C. RENFORCER L'ATTRACTIVITÉ DES PROCÉDURES AMIABLES

Par ailleurs, les procédures amiables de traitement des difficultés des entreprises prévues par le code de commerce restent trop peu utilisées : selon les statistiques du ministère de la justice, le nombre total de mandats ad hoc et de procédures de conciliation ouverts en 2019 s'est élevé à 2 613, à comparer aux 44 896 nouvelles procédures collectives.

Nombre de décisions relatives à l'ouverture d'une procédure en 2019
dans les tribunaux de commerce et les chambres commerciales des TGI

Toutes décisions relatives à l'ouverture d'une procédure

53 431

Ouvertures d'une procédure de rétablissement professionnel

130

Ouvertures d'un mandat ad hoc

1 634

Ouvertures d'une procédure de conciliation

979

Ouvertures d'une procédure de sauvegarde

753

Ouvertures d'une procédure de redressement judiciaire

13 603

Liquidations judiciaires immédiates

30 540

Rejets et autres décisions ne statuant pas sur la demande d'ouverture

5 792

Source : ministère de la justice

En outre, il est unanimement reconnu que les PME n'y ont que très faiblement recours . Selon le rapport « Richelme », le nombre moyen d'emplois au sein des entreprises concernées par une procédure amiable est de 18, alors qu'il est de 2,8 en procédure collective. Encore cette statistique ne tient-elle pas compte du fait que plusieurs procédures peuvent être ouvertes au bénéfice de sociétés d'un même groupe.

Convaincue de l'utilité des procédures amiables pour prévenir l'aggravation des difficultés des entreprises, la mission d'information s'est interrogée sur les moyens de les rendre plus attractives.

1. La suspension ciblée des poursuites en conciliation

Au début du mois d'avril 2020, quelques jours après l'entrée en vigueur de l'état d'urgence sanitaire, la commission des lois du Sénat s'était fait l'écho d'une proposition de la Conférence générale des juges consulaires de France 44 ( * ) , qui a finalement trouvé sa traduction à l'article 2 de l'ordonnance n° 2020-596 du 20 mai 2020 45 ( * ) .

Aux termes de cet article, dont la durée d'application est limitée 46 ( * ) , lorsqu'un créancier appelé à la conciliation n'accepte pas, dans le délai imparti par le conciliateur, de suspendre l'exigibilité de sa créance, le tribunal peut, à la demande du débiteur, suspendre les poursuites de ce créancier pendant la durée de la procédure et reporter le paiement des sommes dues .

Par rapport à l'octroi de délais de grâce , dans les conditions prévues par le code civil, cette procédure présente plusieurs avantages :

- tout d'abord, l'octroi de délais de grâce suppose que le débiteur ait été préalablement mis en demeure ou poursuivi par un créancier, ce qui oblige le juge à statuer au fil de l'eau ;

- ensuite, les délais de grâce sont accordées à l'issue d'une procédure contradictoire, alors que le juge statue ici par ordonnance sur requête ;

- enfin, les délais de grâce ne font pas obstacle aux mesures conservatoires 47 ( * ) , qui semblent au contraire être interdites dans le cadre de la nouvelle procédure, même si ce point mériterait d'être explicité 48 ( * ) .

Un répit peut ainsi être offert rapidement aux entreprises confrontées à une brusque crise de trésorerie, sans les contraindre à demander l'ouverture d'une procédure collective ni, par conséquent, leur interdire tout paiement de leurs dettes antérieures - ce qui est précieux en temps de crise économique globale, afin d'éviter les défaillances en chaîne.

Des critiques ont été formulées à l'égard de cette disposition, au motif qu'elle déséquilibrerait excessivement les relations entre débiteur et créanciers dans le cadre d'une procédure amiable. Ces arguments n'ont pas convaincu la mission : mieux vaut une suspension ciblée des poursuites applicable pendant la durée limitée d'une procédure de conciliation (cinq mois au maximum) que des délais de grâce de deux ans. Il appartient aux juges d'user de cette faculté avec discernement.

Recommandation n° 11 :  Pérenniser la faculté pour le président du tribunal de suspendre les poursuites de certains créanciers et de reporter le paiement des sommes dues pour la durée de la procédure de conciliation.

2. Limiter le coût des procédures amiables

Le problème du coût des procédures amiables pour les petites entreprises a été souvent évoqué au cours des auditions des rapporteurs.

Alors que les émoluments des praticiens des procédures collectives (administrateur judiciaire, commissaire à l'exécution du plan, mandataire judiciaire, liquidateur) sont fixés par voie réglementaire, selon un barème qui varie en fonction de la taille de l'entreprise débitrice (chiffre d'affaires, nombre de salariés, valeur des actifs cédés...), la rémunération du mandataire ad hoc ou du conciliateur est libre 49 ( * ) . Certes, les représentants des juges consulaires entendus ont déclaré ne pas rencontrer de difficulté pour trouver des volontaires pour assumer ces missions, même pour un prix modique de quelques milliers d'euros. Il n'en reste pas moins qu'une grille tarifaire, au moins indicative, serait utile pour servir de référence et rassurer les chefs d'entreprise.

Recommandation n° 12 :  Fixer une grille tarifaire indicative pour la rémunération des mandataires ad hoc et conciliateurs.

Par ailleurs, comme le relevait la mission « Richelme », il convient de développer les dispositifs de prise en charge des frais liés aux procédures amiables pour les PME, qu'ils prennent la forme d'assurances ou d'aides financières (subventions ou prêts). Ainsi, dans les Hauts-de-France, une avance remboursable d'un montant compris entre 5 000 et 50 000 euros peut être accordée par le conseil régional aux entreprises qui font l'objet d'un mandat ad hoc ou d'une conciliation, au titre d'un « fonds de premier secours ». Selon les informations communiquées aux rapporteurs, un partenariat étroit a été noué avec les tribunaux de commerce de la région, qui sont chargés de l'instruction des demandes.

Recommandation n° 13 :  Développer les dispositifs de prise en charge des frais liés aux procédures amiables pour les PME, sous forme d'assurance ou d'aide publique.

3. Élargir le vivier des mandataires de justice

Quoique la loi ne l'impose pas, les missions de médiateur ad hoc ou de conciliateur sont le plus souvent confiées à des administrateurs judiciaires ou, plus rarement, à des mandataires judiciaires . Il arrive que d'autres professionnels soient désignés, mais cela reste exceptionnel. Le domaine agricole fait ici exception , puisque le rôle de conciliateur en règlement amiable est généralement assumé par une chambre d'agriculture.

Or, si les procédures amiables connaissent au cours des prochains mois et des prochaines années le succès que l'on souhaite, les quelques 140 administrateurs judiciaires et 300 mandataires judiciaires de France n'y suffiront pas. La mission s'est donc interrogée sur les moyens d'élargir le vivier des mandataires de justice.

Certes, restructurer une entreprise est un métier. En outre, la position de tiers de confiance qui est celle du mandataire ad hoc ou du conciliateur doit être occupée par une personne qui présente les garanties requises d'honorabilité et de professionnalisme, du point de vue du débiteur comme de celui des créanciers.

Toutefois, la restructuration de la dette d'une micro-entreprise ou d'une TPE ne requiert pas le même degré d'expertise que celle d'une grande société cotée . D'autres professionnels, soumis eux aussi à une déontologie exigeante, pourraient être plus fréquemment sollicités, comme les experts-comptables ou les avocats. Ce rôle pourrait également être endossé par des juges consulaires retraités, ou encore par des établissements publics comme les chambres de commerce et d'industrie ou les chambres de métiers et de l'artisanat.

Recommandation n° 14 :  En cas de besoin, développer le vivier des mandataires ad hoc et conciliateurs, en recourant notamment aux professionnels du droit et du chiffre ou aux chambres consulaires.


* 44 Covid-19 : deuxième rapport d'étape sur la mise en oeuvre de l'état d'urgence sanitaire , rapport d'information n° 608 (2019-2020) précité, p. 62-63.

* 45 Ordonnance n° 2020-596 du 20 mai 2020 portant adaptation des règles relatives aux difficultés des entreprises et des exploitations agricoles aux conséquences de l'épidémie de covid-19 .

* 46 Initialement fixé au 31 décembre 2020, le terme a été reporté au 31 décembre 2021 par l'article 124 de la loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 d'accélération et de simplification de l'action publique .

* 47 Article 513 du code de procédure civile.

* 48 L'article 2 de l'ordonnance précitée autorise le juge à « arrêter » ou « interdire toute procédure d'exécution » de la part du créancier, ce qui n'inclut pas expressément les mesures conservatoires.

* 49 Plus exactement, l'ordonnance qui désigne le mandataire ad hoc ou le conciliateur fixe les conditions de sa rémunération, au vu des propositions faites par celui-ci ; mais en cas de désaccord, le mandataire ou le conciliateur est libre de refuser cette mission.

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