C. LES SURCOÛTS À PRÉVOIR POUR ATTEINDRE LES OBJECTIFS 2025 DE PRÉPARATION DES FORCES : PLUS DE 1,2 MILLIARD D'EUROS

En outre, ont été identifiés des surcoûts qui n'ont pas trait à des dépenses constatées mais à des dépenses à prévoir pour atteindre les objectifs 2025 de préparation opérationnelle qui s'inscrivent dans l'ambition 2030. L'estimation de 1,2 Md € résulte d'une étude spécifique sur les besoins de l'EPM, de la préparation opérationnelle et de la haute intensité .

L'entretien programmé des matériels (EPM)

La préparation opérationnelle
(chiffrage non communiqué)

La haute intensité
(chiffrage non communiqué)

La Commission a demandé au ministère des armées le chiffrage du montant de crédits supplémentaires qui permettrait d'une part le respect de la trajectoire de remontée de la préparation opérationnelle à l'horizon 2025, telle que prévue par la LPM , et, d'autre part, l'atteinte de la haute intensité en 2030, telle que prévue par l'actualisation en 2021 de la Revue stratégique de 2017 .

Ces chiffres n'ont pas été transmis . Il semble que les besoins en la matière doivent être chiffrés en milliards d'euros.

Pour la préparation opérationnelle , l'augmentation de tous les coûts horaires d'utilisation des équipements se traduit par un arbitrage délétère entre l'augmentation des crédits alloués et la réduction des normes d'entraînement en dessous des objectifs de remontée de la préparation opérationnelle. Manquent ici plusieurs centaines de millions d'euros .

Pour la haute intensité , l'effort à consentir est de l'ordre de plusieurs milliards d'euros . À titre d'exemple, le chef d'état-major de l'armée de terre, cité dans la presse quotidienne régionale en juin 2020, estimait qu'« il manque 3 milliards d'euros » pour la préparation à la haute intensité. Le chef d'état-major de la marine a présenté en janvier 2021 le nouveau plan « Mercator, Accélération 2021 » portant sur neuf projets dans les domaines du combat, de l'innovation et des ressources humaines. Enfin, le chef d'état-major de l'air et de l'espace rappelait dans la presse nationale en novembre 2020 que la haute intensité impliquait « de disposer d'une aviation de combat d'une certaine qualité, mais aussi en quantité suffisante. Parce que, dans un tel engagement, il y aura de l'attrition ».

1. Les objectifs fixés par la LPM pour l'entretien programmé des matériels ne sont pas respectés : il manque 1,2 milliard d'euros

La LPM 2019-2025 tirait les leçons de l'accroissement des besoins et portait une réelle ambition pour l'EPM en lui dédiant 35 Mds € sur la période de programmation, dont 22 Mds € entre 2019 et 2023 (soit des annuités de 4,4 Mds €) puis 13 Mds € entre 2024 et 2025 (soit des annuités de 6,5 Mds €).

L'effort significatif consacré à l'EPM sur la durée de la LPM, doit permettre la remontée des niveaux d'entraînement, il doit également permettre de faire face à un haut niveau d'engagement opérationnel tant quantitatif que qualitatif, au vieillissement des matériels suite aux décalages successifs des programmes d'armement (malgré le rattrapage entamé depuis la période de programmation en cours, cette situation est appelé à durer au-delà de 2030), à la plus grande modernité et technicité des nouveaux équipements, plus complexes, plus efficaces et parfois plus chers à entretenir (les coûts de maintenance des matériels neufs sont élevés en début d'utilisation, avant de baisser lorsque le rythme de maintenance est éprouvé puis de remontée lorsque les matériels approchent de leur seuil d'obsolescence), et enfin à une plus forte exigence de disponibilité, appelant des stratégies de soutien rénovées.

L'EPM doit permettre à court terme d'atteindre un niveau suffisant d'activité opérationnelle, mais aussi de préserver la capacité opérationnelle de long terme, en assurant la constitution de stocks, le financement du MCO, marchés verticalisés compris, afin que les contrats opérationnels puissent être exécutés.

Les objectifs fixés par la LPM ne sont pas respectés , puisque les montants inscrits en LFI en 2019, 2020 et 2021 sont inférieurs à l'annuité moyenne de 4,4 Mds d'EPM fixée par la LPM : soit 4,2 Mds en 2019 et 4 Mds en 2020 et 4,1 Mds en 2021. Les 900 millions d'euros qui n'ont pas été consacrés aux cours des trois premières années d'exécution de la LPM à l'EPM devront s'ajouter aux annuités suivantes de la LPM. Or une telle accélération ne se décrète pas aisément. Il n'est pas certain qu'elle soit compatible avec les rythmes de réalisation des contrats verticalisés. Surtout, elle accroit encore l'effort budgétaire décisif qui doit porter les dernières annuités de la période de programmation à une accélération inédite de consommation de crédits d'EPM (soit une augmentation initiale prévue par la LPM de 2,1 Mds par an par rapport aux premières années de programmation).

Deux autres facteurs accroissent les besoins en EPM. Le report de 220 millions d'euros d'activité de l'armée de l'air n'a été compensé qu'à hauteur de 70 millions, 150 millions d'euros doivent donc être reprogrammés sur la période de programmation. Enfin, les besoins d'EPM exprimés par les armées jusqu'à la fin de programmation seraient supérieurs aux crédits prévus par la LPM à hauteur de 160 millions d'euros.

Ce sont ainsi 1,2 Md € qui s'ajoutent aux annuités initialement prévues par la LPM pour les années 2022, 2023, 2024 et 2025.

Par ailleurs, la verticalisation des contrats de maintenance, qui est vertueuse à long terme, peut s'avérer plus couteuse à court terme dans les premières années de lancement des marchés ( cf. encadré ci-dessous).

La verticalisation des contrats est vertueuse
mais génératrice de surcoûts à court terme

La consolidation de l'activité opérationnelle des armées est une ambition importante de l'actuelle LPM. Elle repose sur l'augmentation des crédits alloués à l'entretien programmé des matériels (EPM) à raison de 35 milliards d'euros, mais également sur une réforme de l'organisation du maintien en condition (MCO) des matériels, au premier rang de laquelle figure la « verticalisation » des contrats de maintenance.

Verticaliser pour améliorer les performances, une logique gagnant-gagnant entre État et industriels

Les armées se sont attachées à simplifier le paysage contractuel en « verticalisant » les contrats de maintenance pour améliorer les performances globales du MCO. Cette action consiste à regrouper plusieurs marchés et prestations sous la responsabilité d'un maître d'oeuvre unique, dans un périmètre d'action couvrant dans la mesure du possible la quasi-intégralité du matériel concerné. À ce titre, la gestion logistique des stocks de pièces est incluse dans des contrats de longue durée. En 2020, les armées ont passé près de 10 contrats verticalisés ; plus d'une quinzaine devraient être signés en 2021.

La verticalisation des contrats de MCO devrait mettre fin aux multiples marchés existants, passés de manière transverse par tranches annuelles sans engagement de longue durée. Ces derniers présentaient un risque fort de coupure d'exécution contractuelle et de dilution des responsabilités. À titre d'exemple près de vingt-deux contrats assuraient le soutien de la flotte Rafale avant la contractualisation du marché RAVEL - qui verticalise pour une dizaine d'années le soutien des cellules et des équipements, hors moteurs - et plus d'une dizaine pour le char Leclerc. La verticalisation des contrats, outre l'amélioration de la disponibilité des matériels, devrait générer des économies de MCO, au-delà de 2025 principalement.

Un renchérissement du cout de MCO à court terme

En termes purement financier, les contrats passés aujourd'hui par les armées coutent globalement plus chers que les budgets initialement prévus par la LPM. La notion de « ticket d'entrée » semble adaptée à la problématique de verticalisation des contrats, qui ne présentent pas les mêmes caractéristiques.

Pour une partie d'entre eux, en raison de différence de périmètres contractuels il n'est pas pertinent de s'essayer à un exercice de comparaison, rapportée à l'heure de fonctionnement avant et après verticalisation. Il en est ainsi du contrat Diderot pour les emports de l'armée de l'air et de l'espace. Pour d'autres contrats, les armées constatent que la verticalisation induit des surcouts importants à la signature alors que le périmètre physique ne change pas de manière fondamentale. Les contrats Chelem pour l'hélicoptère Caracal, passé en 2019, ou Platon pour le ravitailleur C135 passé en 2020 en sont des exemples. Le nouveau contrat de soutien du char Leclerc, qui traitera entre autres la pérennisation des obsolescences majeures jusqu'alors écartées du périmètre de rénovation (moteur, turbomachine et viseurs) s'y apparente également. Non prévu dans la LPM initialement, il participe des ajustements budgétaires identifiés dans le périmètre de l'actualisation.

Ces surcouts peuvent résulter de plusieurs constats parmi lesquels :

- le financement du risque pris par les industriels pour atteindre leurs objectifs contractuels ;

- la complexité des contrats verticalisés est en effet accrue et nécessite de disposer d'acheteurs plus expérimentés et capables de développer de l'ingénierie contractuelle innovante.

2. La préparation opérationnelle : plusieurs centaines de millions d'euros ?

Un lien financier existe entre l'EPM et l'activité opérationnelle. L'EPM doit produire un taux de disponibilité des équipements majeurs des forces permettant un niveau d'entraînement, d'activité opérationnelle, satisfaisant.

Or, le tableau suivant 11 ( * ) montre que quatre des indicateurs d'activité opérationnelle devraient diminuer entre 2020 et 2021, et que sur les 14 indicateurs retenus pour les trois armées, un seul d'entre eux devrait être conforme, en 2021, à la norme OTAN. Il s'agit du nombre d'heure de vols des pilotes de chasse de la marine. Ce bon résultat soit toutefois être nuancé, puisque ces mêmes pilotes n'obtiendraient pas le nombre d'heure de vols qualifiés d'appontage de nuit.

Niveau de réalisation des activités et de l'entraînement

Source : commission des affaires étrangères et de la défense, avis budgétaire n° 140 (2020-2021) du 19 novembre 2020, Tome VI Défense : Préparation et emploi des forces

Pour l'armée de terre, depuis le déploiement de Sentinelle , la cible de 90 jours de préparation opérationnelle par militaire n'a plus été atteinte. Réduite à 72 en 2016, elle est remontée à 81 jours en 2017 mais aucun progrès n'a été constaté en 2018, 2019 et 2020. Cette stagnation risque encore de perdurer en 2021.

La LPM consacre d'une part un effort en hausse de 17 % au soutien de la préparation et de l'activité opérationnelles et d'autre part le choix de repousser en 2025 la remontée de l'activité opérationnelle, en qualité et en quantité, à 100 % des normes d'activité de l'OTAN. Des trajectoires d'évolution de l'activité opérationnelle des forces et de la disponibilité technique opérationnelle des équipements ne se dévoilent au Parlement qu'année après année, sous forme de « cible » des indicateurs de performance du projet de loi de finances . Il est donc très difficile d'apprécier si les moyens mis à disposition des armées sont adaptés aux efforts à produire pour atteindre les objectifs d'amélioration des indicateurs d'activité et de disponibilité. Pour y remédier, lors de l'examen de la LPM, deux dispositions ont été votées, à l'initiative de notre commission, afin d' améliorer la lisibilité de l'efficacité des efforts budgétaires consentis en faveur de l'EPM par la fixation d'objectifs annuels de progression de l'activité opérationnelle et de la DTO, et par la présentation d'un bilan annuel de la remontée de la préparation opérationnelle lors de l'actualisation de la LPM .

En l'absence de mise en oeuvre de ces dispositions, des auditions ont été menées par la commission et par ses rapporteurs pour avis en charge du programme 178 « Préparation et emploi des forces », des questionnaires ont été adressés. Ce travail permet d'estimer que :

- la remontée de la préparation opérationnelle doit suivre une trajectoire , elle ne se décrète pas d'une année sur l'autre. Elle ne peut pas bondir d'une année sur l'autre. La préparation des militaires se construit, se consolide au fil des années ;

- les trajectoires de progression de remontée de la préparation opérationnelle qui devraient permettre d'atteindre enfin les normes d'activité de l'OTAN en 2025 ne sont pas respectées ;

- le besoin de crédits permettant de « coller aux trajectoires définies par le ministère pour respecter les objectifs de la LPM » se chiffre en centaines de millions d'euros .

3. La haute intensité : plusieurs milliards d'euros ?

Reste à évaluer le montant de crédits permettant d'atteindre les objectifs de haute intensité à l'horizon 2030. Là encore, les discours politiques qui tendraient à rejeter les exigences de l'accélération de la préparation opérationnelle à la prochaine LPM ne sont pas compatibles avec la réalité. La capacité à faire face à la haute intensité ne sera atteinte que si la trajectoire est mise en oeuvre suffisamment tôt, avec exigence et régularité. Les estimations demandées par la commission n'ont pas été transmises par le ministère des armées. Un effort doit pourtant dès à présent être consacré à cet objectif. Le retard en la matière amènerait, de fait, à revoir l'objectif en déplaçant le curseur temporel d'au moins 5 ans. Les besoins réels en la matière semblent très conséquents, mais l'absence de transparence du Gouvernement vis-à-vis du Parlement sur ces sujets ne permet pas une plus grande précision .


* 11 Publié dans l'avis budgétaire n° 140 (2020-2021) du 19 novembre 2020, Tome VI Défense : Préparation et emploi des forces par Olivier Cigolotti et Michelle Gréaume.

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