II. ACCÉLÉRER LES RÉFORMES À COURT TERME, CHANGER DE PARADIGME À PLUS LONG TERME

A. À COURT TERME, UN CERTAIN NOMBRE DE PROGRÈS À RÉALISER, DANS LA CONTINUITÉ DES EFFORTS DÉJÀ ENGAGÉS

1. Affiner la connaissance qu'ont les universités de leur patrimoine immobilier : un prérequis indispensable à tout effort de rationalisation

Les travaux du rapporteur ont mis en évidence la nécessité, pour chaque université, de disposer d'éléments plus fiables concernant son parc immobilier, qu'il s'agisse de données relatives :

- à l'état général du bâti : degré de vétusté, coût moyen du gros-entretien-renouvellement ;

- à l'exploitation du bâti : taux d'occupation en fonction des plages horaires et des périodes de l'année, mais aussi des différents types de locaux ;

- et enfin aux coûts afférents à cette exploitation : consommation énergétique (chauffage, fluides) et taux d'occupation, en fonction des plages horaires et des périodes de l'année, mais également frais de gardiennage, etc.

- aux coûts d'entretien et de maintenance :

En effet, une connaissance fine de l'état du patrimoine s'avère indispensable pour planifier les investissements à moyen et long terme, donc inscrire la gestion immobilière dans le cadre d'une stratégie soutenable économiquement. Il importe également que les établissements disposent d'informations détaillées quant à l'usage qui est fait de leurs locaux tout au long de l'année afin de pouvoir rationaliser les implantations et optimiser les surfaces existantes.

A l'heure actuelle, les établissements sont invités à renseigner à champ très large de données dans l'outil RT-ESR mis à leur disposition par la DIE. Néanmoins, la collecte et le traitement de certaines de ces données nécessite de mobiliser des moyens humains conséquents, tout en investissant dans des équipements techniques spécifiques, si bien que certaines universités renoncent à entreprendre la démarche.

Dans ce contexte, le rapporteur serait favorable à un effort de rationalisation des indicateurs demandés, permettant de constituer une base de données plus restreinte mais également plus qualitative. Les établissements seraient de la sorte incités à s'investir davantage dans la fiabilisation de quelques données immobilières centrales, dont le nombre pourrait ensuite être progressivement revu à la hausse. En parallèle, les universités qui le souhaitent pourraient opter pour un périmètre élargi d'indicateurs.

Recommandation n° 1 : recentrer le champ des données collectées auprès des établissements sur quelques indicateurs clés, afin de disposer d'une base plus fiable et donc plus exploitable.

Par ailleurs, la recherche d'un degré plus élevé de fiabilité et de complétude va de pair avec des efforts pour former les gestionnaires du patrimoine à l'utilisation des outils de suivi informatique (notamment les logiciels RT et OAD-ESR). Si le Mesri conduit d'ores et déjà des formations de ce type, ces dernières pourraient être généralisées. La DIE anime également un club des utilisateurs de ces outils, mais ce dernier se réunit peu fréquemment ; la fédération d'une communauté de techniciens sur ces sujets constituerait une avancée majeure.

Enfin, certaines universités se sont dotées de leurs propres logiciels de gestion immobilière, sans qu'il leur soit possible d'exporter directement les données au sein du logiciel RT-ESR déployé par la DIE. L'interopérabilité des systèmes d'exploitation, quand elle n'est pas déjà assurée, semble indispensable pour garantir une connaissance plus fine et partagée du parc immobilier universitaire .

Recommandation n° 2 : faciliter les échanges de données entre les différents systèmes d'exploitation.

2. Professionnaliser et renforcer la gouvernance immobilière

Plus largement, la professionnalisation des équipes immobilières doit s'accélérer ; elle constitue un prérequis à la conception et la réalisation de montages juridiques et financiers complexes. Mme Virginie Laval, présidente de l'Université de Poitiers, a ainsi indiqué que le recrutement de profils techniques auprès des services de l'État s'est révélé absolument primordial dans le succès de l'opération de dévolution patrimoniale.

Il importe donc que les universités soient en mesure de recruter des compétences adaptées et diversifiées . Le régime indemnitaire dans les établissements d'enseignement supérieur demeurant peu attractif, il incombe aux universités de faire venir les talents par d'autres biais, par exemple en garantissant de réelles perspectives d'évolution, ainsi qu'une capacité d'action concrète, gage d'épanouissement professionnel.

Les auditions ont également montré l'importance d'une communication interne suffisamment développée pour aborder de manière transversale les problématiques propres à l'immobilier universitaire . A cet égard, force est de constater la plus-value que constitue, dans certaines universités, l'existence d'un vice-président en charge du patrimoine, à même de porter politiquement les sujets immobiliers. Il serait intéressant, dans ce contexte, d'augmenter la part des universités dotées d'une telle gouvernance.

Recommandation n° 3 : augmenter la part des universités qui disposent d'un vice-président en charge du patrimoine et de la transition écologique, chargé de faciliter la communication interne sur ces sujets et de porter politiquement les projets les plus ambitieux.

Enfin, le rapporteur relève qu'il existe actuellement en Ile-de-France un opérateur métier compétent en matière de gestion patrimoniale, à savoir l'Établissement public d'aménagement universitaire de la région d'Ile-de-France (EPAURIF).

Cet établissement public est chargé d'assister les établissements publics dans la mise en oeuvre de leur stratégie immobilière pluriannuelle ; il est également à même de réaliser des études ou des analyses préalables relatives aux documents de stratégie immobilière, aux investissements immobiliers et peut assurer la réalisation de tout ou partie des missions de maîtrise d'ouvrage.

Étant donné le degré élevé d'expertise de l'EPAURIF, il pourrait être opportun d'élargir au niveau national son périmètre géographique de compétence, afin de permettre à tous les établissements de disposer d'un opérateur métier compétent pour optimiser la gestion de leur patrimoine .

Recommandation n° 4 : élargir au niveau national le périmètre de compétence de l'EPAURIF.

3. Garantir un pilotage pluriannuel des ressources et des dépenses en matière immobilière

Un des premiers freins à une gestion immobilière optimisée étant d'ordre budgétaire, il parait indispensable que les universités puissent disposer de davantage de visibilité, à court, moyen et long terme quant :

- aux ressources dont elles disposent pour entretenir leur patrimoine d'une part ;

- aux dépenses à programmer d'autre part.

Il importe à court terme, que les crédits consacrés à l'entretien des bâtiments ne servent pas de variable d'ajustement du budget des établissements . Pour ce faire, un budget annexe immobilier (BAIM) pourrait être instauré de manière systématique, comme c'est déjà le cas pour les universités ayant bénéficié de la dévolution du patrimoine - cette faculté étant également ouverte, de manière optionnelle, aux autres établissements.

La constitution d'un tel budget annexe permettrait d'identifier clairement à l'intérieur du budget de chaque université les moyens attribués annuellement à l'entretien du patrimoine immobilier, donc in fine de sanctuariser ces crédits .

Recommandation n° 5 : rendre obligatoire la constitution d'un budget annexe immobilier pour l'ensemble des établissements d'enseignement supérieur.

A terme, il convient cependant d'inscrire la gestion des crédits immobiliers dans une logique pluriannuelle . A cet égard, le rapporteur note qu'il existe d'ores et déjà un outil de planification pluriannuelle des opérations immobilières, puisque les établissements doivent produire tous les cinq ans un SPSI, détaillant notamment les besoins et ressources afférentes en matière d'immobilier.

Si l'élaboration d'un SPSI demeure encore un exercice de portée limitée, pour des raisons évoquées supra , plusieurs évolutions semblent envisageables afin d'en accroître l'impact .

En premier lieu, la formalisation de ce document pourrait être rendue plus contraignante pour les établissements, environ un tiers des universités n'ayant pas, à date de mars 2021, présenté de SPSI pour la période 2021 - 2025. La présentation d'un SPSI pourrait par exemple constituer une condition sine qua non pour bénéficier des crédits immobiliers spécifiques (mise en sécurité et sûreté) versés par l'État (« brique occupant »).

En parallèle, la dimension financière des SPSI pourrait être renforcée , afin qu'il soit possible de flécher sur chaque année les besoins identifiés ainsi que les ressources afférentes. Il serait ainsi opportun que les besoins annuels de GER fassent l'objet d'une ligne dédiée, l'établissement étant invité à y consacrer des ressources suffisantes et clairement identifiées. Par la suite, dans le cadre de son accompagnement, la DGESIP pourrait être chargée de vérifier le respect de la trajectoire pluriannuelle élaborée pour chaque établissement.

Enfin, cet effort de planification gagnerait à inclure façon plus systématique un volet énergétique, afin de garantir une programmation intelligente des opérations . En effet, il est souvent plus ergonomique et plus avantageux d'un point de vue économique de combiner les travaux de rénovation et les travaux d'entretien. Certaines opérations permettent en effet de traiter de manière simultanée plusieurs points faibles , comme l'étanchéité et l'isolation ou encore l'abandon de locaux vétustes, mal situés, générant des frais de fonctionnement élevés pour des locaux neufs, mieux situés, plus performants.

Il est ainsi possible d'optimiser la durée d'indisponibilité, de réduire le coût de la main d'oeuvre, tout en assurant progressivement la rénovation énergétique du bâti universitaire.

Pour ne pas être commandée par l'urgence, cette programmation intelligente nécessite cependant une bonne connaissance de la situation énergétique du patrimoine ainsi que des besoins à moyen et long terme. Le volet énergétique des SPSI demeurant pour l'heure très limité, il semble primordial d'en faire un élément plus central dans la planification des opérations .

Recommandation n° 6 : rendre la formalisation d'un SPSI plus contraignante pour les établissements, tout en renforçant les volets financiers et énergétiques de ce document, afin d'en faire un véritable outil de pilotage pluriannuel des dépenses immobilières.

4. Revisiter le cadre juridique applicable à la commande publique

S'agissant du droit de la commande publique, il ressort des travaux menés par le rapporteur que le cadre juridique applicable demeure excessivement rigide, et ne correspond pas toujours aux besoins des établissements supérieurs.

A court terme, il serait opportun de permettre une mutualisation, entre les établissements, des bonnes pratiques ou des dispositifs innovants . A titre d'exemple, le rapporteur a pris connaissance avec un grand intérêt des initiatives prises par l'Université de Poitiers afin de favoriser une approche territoriale de la commande publique .

Vers une approche territoriale de la commande publique ?

L'Université de Poitiers a pris ces dernières années plusieurs initiatives pour développer la dimension territoriale de la commande publique, parmi lesquelles figure l'organisation de rencontres régulières entre l'ensemble des maîtres d'ouvrage publics sur le territoire d'une part, et l'ensemble des entreprises présentes localement d'autre part.

En effet, la coopération publique-publique rend possible une mutualisation de l'expertise acquise par les différents maîtres d'ouvrage publics - qu'il s'agisse de réaliser des marchés publics simplifiés, d'insérer des clauses spécifiques sur le développement durable ou les sous-traitants. A Poitiers, cette coopération a notamment abouti au développement d'une plateforme dédiée , administrée en partie par la Fédération française du bâtiment (FFB) et référencée sur le site de la préfecture sur laquelle l'ensemble des maîtres d'ouvrage publics indiquent les travaux à venir .

Il s'agit en pratique de donner de la visibilité aux entreprises locales , afin de leur permettre d'anticiper les opérations à venir, tout en permettant aux maîtres d'ouvrage publics de mieux se coordonner .

En parallèle, l'Université de Poitiers collabore activement avec les petites entreprises locales , afin notamment d'élaborer des cahiers des charges adaptés et personnalisés aux opérations envisagées. L'Université s'attache également à espacer les chantiers et ne pas recourir aux marchés globaux, afin de ne pas évincer les petits acteurs, qui ne seraient pas en mesure de répondre à ces appels d'offre.

Ces choix se traduisent par des délais plus longs pour la réalisation des travaux, mais permettent à l'Université de Poitiers de parvenir à un taux de 95 % de commande publique locale . Ils participent, in fine , d'une approche écosystémique particulièrement vertueuse : en effet, les efforts de l'Université pour renforcer le tissu économique bénéficieront indirectement aux étudiants en développant les offres de stage et d'emploi.

Source : commission des finances

Cet exemple est loin d'être isolé, et certaines universités font preuve d'une grande créativité, en dépit des rigidités susmentionnées. Ces initiatives gagneraient à être mieux connues des différents établissements, voire promues par le Mesri .

Cependant, à plus long terme, certains assouplissements paraissent indispensables, qu'il s'agisse de l'allègement des procédures ou de l'abaissement des seuils. Dans ce contexte, il pourrait être opportun de dresser un bilan des difficultés rencontrées par les établissements d'enseignement supérieur dans ce domaine, afin de dégager des pistes d'évolution à court et moyen terme.

Recommandation n° 7 : dresser un bilan des difficultés rencontrées par les établissements d'enseignement supérieur dans leur recours à la commande publique.

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