CONCLUSION

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Au terme d'une mission d'information qui lui a permis d'échanger avec un grand nombre d'acteurs institutionnels ou associatifs impliqués dans les problématiques de la jeunesse, la rapporteure retire le sentiment que l'objectif d'égalité des chances inspire de multiples actions mais que les résultats ne sont pas à la hauteur des moyens importants qui sont engagés.

Le cloisonnement des politiques limite leur capacité à répondre aux situations des enfants et des jeunes auxquels elles s'adressent.

Certains dispositifs sont ciblés sur un type de public ou de territoire, tels ceux mis en place en matière scolaire dans le périmètre de l'éducation prioritaire, alors que la réalité des situations justifierait une application sur une échelle plus large, en particulier dans les zones rurales.

D'autres, qui donnent de bons résultats, ont été mis en place dans le cadre d'un plan ponctuel et faute de développement ultérieur, ne peuvent toucher tous les jeunes qui mériteraient d'en bénéficier.

Alors que les facteurs obérant les chances d'accéder à des conditions de vie satisfaisantes sont bien identifiés, de la petite enfance à l'entrée dans l'âge adulte, la rapporteure est convaincue que pour progresser vers l'égalité des chances et l'égalité des droits, une approche beaucoup plus transversale des actions à entreprendre est nécessaire, que ce soit au plan national ou local.

Cet objectif doit être pleinement pris en compte, de manière continue et cohérente, dans les politiques publiques concernant les jeunes, à chaque stade de leur parcours. C'est ce que le présent rapport a souhaité démontrer.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

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I. COMPTES RENDUS DES AUDITIONS
DE LA MISSION D'INFORMATION EN RÉUNION PLÉNIÈRE

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Audition sur la mobilité sociale et reproduction des inégalités
de Mme Émilie Raynaud, responsable de la division des études sociales
de l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), M. Clément Dherbécourt, chef de projets au département société
et politiques sociales de France Stratégie,
et M. Michael Förster, analyste au sein de la direction de l'emploi,
du travail et des affaires sociales de l'Organisation de coopération
et de développement économiques (OCDE)

(Mercredi 3 mars 2021)

M. Jean Hingray , président . - Chers collègues, nous sommes heureux, avec ma collègue rapporteure Monique Lubin, de commencer les travaux de notre mission d'information sur la politique en faveur de l'égalité des chances et de l'émancipation de la jeunesse par une première audition destinée à réunir des données objectives nécessaires à la suite de ces travaux.

Nous sommes heureux d'accueillir aujourd'hui Mme Émilie Raynaud, responsable de la division des études sociales de l'Insee, accompagnée de Mme Émilie Pénicaud ; l'Insee a consacré plusieurs études à la mobilité sociale, notamment, en 2019, une analyse de la mobilité sociale des femmes et des hommes entre 1977 et 2015. Nous avons aussi la chance d'avoir M. Clément Dherbécourt, qui est chef de projets au département société et politiques sociales de France Stratégie ; à ce titre, il a dirigé au cours de ces dernières années plusieurs études consacrée à la mobilité sociale, y compris dans sa dimension territoriale. Nous accueillons enfin M. Michael Förster, analyste à la division de l'emploi et des revenus de l'OCDE, qui participe à notre réunion par téléconférence ; il a coordonné le rapport intitulé « La mobilité sociale en panne ? Comment promouvoir la mobilité sociale » publié par l'OCDE en 2019.

Après un propos introductif de Monique Lubin, je vous propose de nous présenter un exposé liminaire d'une dizaine de minutes, puis surtout de pouvoir échanger avec l'ensemble des collègues.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Je suis la rapporteure de cette mission d'information, que j'ai souhaitée tournée vers les conditions d'émancipation de la jeunesse et l'égalité des chances. L'objectif n'est pas uniquement de partir d'un constat sur la situation actuelle de la jeunesse, mais aussi de remonter très en amont et réfléchir aux blocages de ce que l'on nomme communément l'ascenseur social, et à ce qui fait que, me semble-t-il, le déterminisme social n'a jamais été aussi solide dans notre pays. Nous souhaitons d'abord établir un premier constat, puis nous aurons deux ou trois thèmes de réflexion, sur la durée de la mission, qui, je l'espère, nous conduiront à formuler quelques propositions innovantes. Comme l'a souligné Jean Hingray, nous vous proposons de faire chacun une présentation, puis nous aurons quelques questions.

Mme Émilie Raynaud, responsable de la division des études sociales de l'Insee . - Je vais tout d'abord vous indiquer comment est assuré le suivi de la mobilité sociale à l'Insee.

Celle-ci y est mesurée par la mobilité socio-professionnelle. On compare la catégorie socioprofessionnelle (PCS) d'une personne à celle de ses parents. On effectue ainsi des analyses de trajectoires intergénérationnelles. La PCS a l'avantage d'être une mesure stable dans le temps, et ce, depuis 1982. En outre, cette nomenclature a été conçue pour combiner plusieurs facteurs (revenus, métiers, diplômes). Mais on peut aussi choisir de mesurer la mobilité sociale à partir d'un seul de ces facteurs.

On considère qu'il y a mobilité sociale lorsque la personne et son parent relèvent de PCS différentes, et qu'il y a immobilité, ou reproduction sociale, lorsque la personne et son parent ont la même PCS. Pour effectuer cette comparaison, on fait le choix d'un parent - pendant longtemps, cela a été le père - et on fait deux photos, l'une pour l'enfant, l'autre pour le parent, en faisant en sorte de se placer à des âges comparables.

La source principale qui permet d'assurer le suivi de la mobilité sociale à l'Insee est l'enquête Formation et qualification professionnelle (FQP), qui existe depuis 1964. Depuis, sept enquêtes ont été réalisées, dont la dernière en 2014-2015. Cette enquête est très riche : elle permet de mesurer l'origine sociale en récoltant la PCS et le diplôme des deux parents. Elle fournit aussi de nombreuses informations sur les parcours de formation (scolarité initiale, formation professionnelle), sur la mobilité en cours de carrière, et sur les liens avec l'emploi et les revenus tirés du travail. Elle permet des comparaisons temporelles grâce à la reprise à l'identique des questions d'une édition à l'autre, et ce, sur longue période.

L'Enquête emploi constitue une autre source possible pour obtenir une mesure de la mobilité sociale. On y collecte la profession et la PCS des deux parents mais, par exemple, on n'y collecte pas de façon annuelle le diplôme des parents. Cette enquête renseigne la profession des pères depuis 1982 et celle des mères depuis 2003. Elle est disponible annuellement mais la mobilité sociale étant un phénomène structurel, observer ses variations annuelles n'a pas nécessairement de sens.

L'Enquête emploi a été rénovée en 2021. Les questions sur l'origine sociale sont désormais alignées sur celles de l'enquête FQP, ce qui devrait permettre d'en améliorer la qualité, car jusqu'ici la PCS des mères étaient assez mal renseignée, ce qui limitait les capacités d'exploitation de l'enquête. L'Enquête emploi présente également l'avantage de couvrir les outre-mer, ce qui n'est pas le cas de l'enquête FQP qui se concentre sur la métropole, avec seulement en 2015 un échantillon sur La Réunion et la Guadeloupe.

Les travaux de Christian Thélot (Tel père, tel fils ? Position sociale et origine familiale, 1982), de John Harry Goldthorpe (« Women and classe analysis : in defence of the conventional view », 1983), de Camille Peugny (Le destin au berceau. Inégalité et reproduction sociale, 2013) ou de Dominique Merllié (« La mobilité sociale », dans Les grandes questions économiques sociales, 2019) figurent parmi les références clés sur le sujet de la mobilité sociale.

L'Insee fournit, avec les enquêtes FQP et Emploi, les informations de base et les moyens de mesurer la mobilité sociale sur longue période. L'introduction de ces questions dès l'origine, dans l'enquête FQP en 1964, a contribué à développer l'intérêt sur ce thème et a fait de cette enquête une source privilégiée des analyses sur cette thématique. La recherche en sciences sociales s'en est très largement emparée. Une analyse socio-historique de 2010 notait que la thématique des inégalités sociales et de leur reproduction représentait les deux tiers des publications réalisées à partir des éditions 1964 à 2003 des enquêtes FQP.

L'Insee publie aussi sur la question de façon régulière. Quelques références récentes proposent une analyse sur longue période à partir des enquêtes FQP. À partir des enquêtes de Marc Collet et Émilie Pénicaud (« En 40 ans, la mobilité sociale des femmes a progressé, celle des hommes est restée quasi stable » et « La mobilité sociale des femmes et des hommes : évolutions entre 1977 et 2015 ») publiées en 2019, nous aborderons dans le second temps de cette présentation quelques grands résultats tirés des dernières exploitations.

Comment la mobilité sociale a-t-elle évolué en France les dernières années ?

Les analyses n'ont longtemps porté que sur les hommes car le faible taux d'activité des femmes et les caractéristiques de leur emploi rendaient difficile la comparaison de leur position professionnelle avec celle de leurs parents. Au cours des dernières décennies, ce taux d'activité et ces caractéristiques se sont rapprochés de ceux des hommes. Il est donc désormais possible de s'intéresser à la mobilité sociale des femmes en comparant la PCS des femmes à celle de leur mère. Cependant, leur moindre participation au marché du travail limite le champ d'analyse puisque les femmes dont la mère n'a jamais travaillé en sont exclues. Cela dit, sur les dernières années, on peut effectuer des comparaisons sur longue période, sur des échantillons suffisamment grands pour que les résultats soient fiables. De manière complémentaire, on peut comparer les femmes à leur père.

Dans les résultats que l'on va vous présenter, on utilise une nomenclature en six catégories hiérarchisées de PCS : les agriculteurs exploitants ; les artisans, commerçants et chefs d'entreprise de 10 salariés ou plus ; les cadres et professions intellectuelles supérieures ; les professions intermédiaires ; les employés et ouvriers qualifiés ; les employés et ouvriers non qualifiés. Les deux premières catégories regroupent des indépendants, et les quatre suivantes des salariés. Le champ d'analyse concerne les personnes en emploi ou qui l'ont été - on retient alors la PCS du dernier emploi occupé - ayant de 35 à 59 ans. On compare leur PCS avec celle de leur père ou de leur mère à la fin de leurs études, en considérant que les parents étaient à ce moment-là dans cette même tranche d'âge de 35-59 ans.

J'en viens aux résultats. Entre 1977 et 2015, la mobilité sociale des hommes est restée quasi stable : environ deux tiers des hommes relèvent d'une catégorie socioprofessionnelle différente de celle de leur père aux deux dates. C'est la même chose si on examine les vingt dernières années, entre 1993 et 2015. En 2015, la mobilité sociale des femmes dépasse celle des hommes, puisque 71 % d'entre elles ont une PCS différente de celle de leur mère et 70 % une PCS différente de celle de leur père. En quarante ans, ce taux de mobilité sociale a progressé de 12 points par rapport aux mères, et de 6 points par rapport aux pères. En revanche, si on se concentre sur les vingt dernières années, entre 1993 à 2015 - dates des enquêtes FQP - le taux de mobilité sociale est stable, aux environs de 70 % tant par rapport aux mères qu'aux pères.

Pendant cette période, la société française a connu de grandes transformations, comme l'essor du salariat, le recul de l'emploi industriel, la tertiarisation de l'économie et le développement de l'emploi qualifié. Cela affecte notre mesure de la mobilité sociale. En particulier, la forte décroissance de l'emploi non salarié entraîne moins de mobilité entre catégories non salariées (indépendants) et salariées - on parle de mobilité de statut. Corollaire : la mobilité augmente entre les catégories de salariés - on parle de mobilité verticale puisqu'on arrive à hiérarchiser ces catégories de salariés. On observe donc à la fois plus de mouvements ascendants et descendants, mais les mouvements ascendants restent plus fréquents que les descendants, pour les hommes par rapport à leur père, et pour les femmes par rapport à leur mère. Toutefois, pour les hommes, sur la période, la prédominance des mouvements ascendants s'est réduite, essentiellement au cours des vingt dernières années. Pour les femmes, on observe plus de mouvements ascendants, en raison du niveau socioprofessionnel des mères, qui est nettement inférieur à celui des pères. Si on compare les femmes par rapport à leur père, les mobilités descendantes sont, sur toute la période, toujours plus fréquentes que les mobilités ascendantes.

Autre point : sur longue période, on note d'importants effets de structure. On peut essayer de quantifier la part de la mobilité sociale liée à l'évolution de la structure des emplois d'une génération à l'autre, c'est-à-dire la part de la mobilité structurelle. Celle-ci est, en 2015, de 24 % pour les hommes et de 35 % pour les femmes. Cette part de la mobilité structurelle a baissé sur les quarante ans qu'on observe ici, et elle a baissé davantage pour les hommes que pour les femmes. Les modifications de la structure des emplois masculins sont surtout intervenues au sortir des Trente Glorieuses, et, au cours des vingt dernières années, la structure de l'emploi des hommes et celle de leur père se sont rapprochées.

Pour les femmes, les changements ont été plus nombreux depuis la fin des Trente Glorieuses : on a également observé un rapprochement de la structure des emplois des femmes et de celle de leur mère, mais il est moins marqué.

Je vais m'intéresser maintenant à la fluidité sociale. Il s'agit de la mesure où on compare les chances relatives d'accéder à une catégorie socioprofessionnelle plutôt qu'à une autre en fonction de l'origine sociale. C'est une forme de mesure d'égalité des chances. Sur cette période de quarante ans, elle a fortement progressé entre tous les groupes sociaux, pour les femmes comme pour les hommes. Cependant, la réduction des inégalités s'est principalement déroulée entre la fin des années 1970 et le début des années 1990, et elle a tendance à stagner depuis. Nous avons établi une mesure de la fluidité sociale entre la catégorie « cadres » et la catégorie « employés et ouvriers qualifiés ». Ainsi, en 1977, un fils de cadre a 28 fois plus de chance qu'un fils d'employé ou ouvrier qualifié, de devenir cadre plutôt qu'employé ou ouvrier qualifié. Entre 1977 et 1993, ce rapport de chances relatives passe de 28 à 12. En 2015, on conserve un écart de 12. Entre ces catégories sociales, le pallier intervient nettement à partir du début des années 1990.

Pour terminer, je reviens sur quelques résultats d'une autre étude, à partir de l'enquête FQP, mais avec une approche complémentaire, celle de la mobilité subjective ou ressentie. La PCS est certes une mesure stable dans le temps, mais c'est aussi une limite car elle ne rend pas compte de l'évolution de la hiérarchie des emplois. On peut exercer la même profession que son père et en avoir une appréciation différente au regard des évolutions de la société, par exemple parce que le nombre de personnes ayant un emploi qualifié a augmenté. A partir de l'enquête FQP 2003, une question permet de mesurer une mobilité ressentie. De façon cohérente avec la hausse globale de la qualification des emplois, en 2015, près de 4 personnes sur 10 expriment un sentiment d'ascension sociale quand un quart se considèrent déclassés socialement. On constate également un lien assez fort entre la mobilité sociale, mesurée avec la PCS, et la mobilité ressentie : il est plus fréquent de se sentir déclassé quand on suit une mobilité descendante. Dans ce cas-là, plus l'écart entre la PCS du père et la sienne est important, plus le sentiment de déclassement est fréquent. Ce dernier concerne des personnes en mobilité descendante, une mobilité de statut, ou qui appartiennent à la même PCS que leur père. En particulier, 34 % des personnes qui sont cadres comme leur père ressentent un déclassement.

Cette étude propose également une analyse plus fine, par profession, et établit un lien entre sentiment de déclassement et les conditions d'emplois, notamment au sein des employés et des ouvriers. Le sentiment de déclassement est plus fréquent pour les personnes appartenant à des professions dont les conditions d'emploi sont les moins favorables (ouvriers agricoles, caissiers, vendeurs non spécialisés, serveurs...). Dans ces professions, le temps partiel subi, les contrats précaires, le chômage, les revenus posent plus problème, ce qui est en lien avec un sentiment de déclassement plus fréquent.

M. Clément Dherbécourt, chef de projets au département société et politiques sociales de France Stratégie . - Je vais commencer par des définitions et des remarques méthodologiques, je présenterai ensuite rapidement certains travaux que nous avons récemment publiés sur la question de la mobilité sur les revenus, puis j'essaierai de répondre à la question qui m'a été posée lorsqu'on m'a invité : la France est-elle pire que ses voisins, et est-ce de pire en pire ?

Je commence donc par quelques définitions. Étudier la reproduction des inégalités, c'est se demander dans quelle mesure le statut des parents - qu'on peut mesurer par la profession, les revenus, le patrimoine, le niveau d'éducation et encore d'autres dimensions - se transmet en moyenne à leurs enfants. J'insiste sur cette moyenne, parce que dans les débats sur la mobilité sociale, on a tendance à voir l'inégalité des chances comme un pur déterminisme social total, où l'origine sociale déterminerait la trajectoire, les revenus, et la profession des enfants. Or, c'est vrai en moyenne, mais à un niveau individuel, on trouve des enfants d'ouvrier parmi les ménages aisés, parmi les ménages plus modestes, et inversement. Des gens se retrouvent en haut et en bas de la distribution des revenus et des professions, et finalement l'origine sociale n'explique qu'une part marginale de l'inégalité des revenus dans la société : 15 % de celle-ci s'explique par l'origine sociale, donc 85 % de l'inégalité se produit à origine sociale donnée. L'idée est donc qu'on a une inégalité des chances entre enfants d'ouvrier et de cadre en moyenne, mais que parler de déterminisme social excède ce que nous disent les données.

Plusieurs approches sont complémentaires dans l'étude de la mobilité sociale. J'ai parlé des différentes dimensions : la profession, le revenu, le patrimoine, le niveau d'éducation. Nous souffrons toutefois d'un problème de disponibilité des données au niveau international. La plupart des études se sont donc concentrées sur la profession et le revenu, avec des limites importantes sur lesquelles je reviendrai. À France Stratégie, nous avons voulu insister sur la dimension des revenus. Dans une publication de 2018, nous avons regardé l'origine sociale des différents déciles de revenu, avec un zoom sur les revenus les 10 % puis les 1 % les plus élevés. Nous avons détaillé la composition en termes d'origine sociale des différents déciles de revenus. Plus on va vers les revenus élevés, plus les enfants de cadres supérieurs prennent de la place, jusqu'à représenter quasiment la moitié de la population parmi celle dont les revenus sont dans les 1 % les plus élevés. Plus vous allez vers les hauts revenus, plus vous avez des enfants de cadres et moins vous avez d'enfants d'ouvriers - en particulier non qualifiés. On retrouve quand même des enfants d'ouvriers et d'employés au sein du top 10 % et du top 1 % des revenus, donc il n'y a donc pas de déterminisme pur de l'origine sociale sur le destin des individus.

Une autre manière de représenter ces mêmes données est d'examiner le destin des individus selon la profession des parents. On a présenté, selon leur origine sociale, la probabilité d'accès des enfants au groupe des 20 % des revenus les plus élevés et à celui des 20 % des revenus les plus faibles. On constate alors de très fortes inégalités des chances : la probabilité qu'un enfant de profession libérale accède au groupe des 20 % des revenus les plus élevés est 5 fois plus importante que pour un enfant d'ouvrier agricole, et inversement, les probabilités d'accès au bas de la distribution des revenus sont plus importantes pour les individus d'origine modeste.

On avait mesuré qu'environ 1 000 euros par mois, en niveau de vie, séparaient un enfant de cadre et un enfant d'ouvrier, et sur ces 1 000 euros, 500 viennent des écarts de niveau d'éducation. C'est le canal qui explique la moitié des écarts selon l'origine sociale. Le facteur éducatif est donc primordial si l'on veut lutter contre la reproduction des inégalités.

M. Jean Hingray , président . - Et d'où viennent les 500 supplémentaires ?

M. Clément Dherbécourt . - Ils s'expliquent plutôt par la qualité du diplôme, par l'orientation dans les filières, professionnelles ou mieux rémunérées, mais on constate aussi des facteurs propres au marché du travail : à diplôme donné, vous vous insérez mieux si vous disposez d'un réseau social plus conséquent. C'est le cas d'un fils de cadre par rapport à un fils d'ouvrier.

Après cette dimension liée à l'origine sociale, on a réalisé une étude complémentaire pour s'interroger sur la dimension territoriale de l'inégalité des chances. On se concentre sur des individus qui ont la même origine sociale, en l'occurrence des enfants d'ouvrier ou d'employé, ce qui représente environ 40 % de la population. On compare leur niveau de vie à l'âge adulte selon leur territoire d'origine. On s'intéresse aux endroits où les gens ont grandi, et pas nécessairement où ils résident. Ainsi, parmi les enfants d'ouvrier et d'employé qui ont grandi à Paris, le niveau de vie médian est de l'ordre de 1 700 euros, contre 1 400 euros à Calais, Lille ou Perpignan. La carte que nous avons établie fait apparaître des grandes continuités territoriales, c'est-à-dire qu'on a des grandes régions favorables (l'Île-de-France, les zones frontalières de la Suisse, l'Alsace, le Sud-Ouest, Toulouse, certaines grandes métropoles), tandis qu'un ensemble de territoires concentrés au nord et au sud sont peu favorables aux individus (principalement dans les Hauts-de-France, au sud de l'ancienne région Languedoc-Roussillon et en Corse).

Si on s'intéresse à la dimension territoriale de l'inégalité de destins, on constate que les écarts sont avant tout régionaux. À l'intérieur des régions, on observe assez peu d'écarts entre grandes, petites villes et territoires ruraux. Dans le cas particulier de l'Île-de-France, les individus qui grandissent en Seine-Saint-Denis, territoire certes très pauvre mais situé dans une région très riche, bénéficient de ce niveau de développement plus élevé et auront des perspectives plus importantes que les individus de même origine sociale qui ont grandi dans le Nord-Pas-de-Calais, par exemple. L'autre enseignement est que les écarts entre territoires sont fortement liés au développement régional, mais pas autant qu'on aurait pensé au niveau d'éducation. Les niveaux d'éducation varient selon le territoire d'origine mais expliquent assez peu les écarts de perspective de niveau de vie. C'est donc surtout le niveau de développement du territoire qui explique les inégalités de destin.

Mme Guylène Pantel . - Pourquoi la Lozère ne fait-elle pas partie de votre analyse cartographique ?

M. Clément Dherbécourt . - Malheureusement, comme souvent, la Lozère, étant un territoire peu peuplé, nous ne pouvons pas réunir suffisamment d'informations dans les données pour que ce soit statistiquement significatif. On est parti des données de l'échantillon démographique permanent, produit par l'Insee. On avait environ 100 000 individus, on a fixé un seuil pour que cela ait un sens statistique, de mémoire à 250 individus. Comme la Lozère est un département très peu dense, on ne l'a pas intégrée.

Mme Guylène Pantel . - C'est un peu dommage !

M. Clément Dherbécourt . - Je suis d'accord. De même, on avait espéré inclure les DOM et ce n'est pas possible non plus.

Je vous disais que les écarts étaient avant tout régionaux, avec peu d'écarts entre zone rurale et ville moyenne ou grande métropole. On s'est fondé pour dire cela sur les données de l'échantillon démographique permanent étalées sur une trentaine d'années : on a regardé où ont grandi les enfants dans les années 1990, et on a observé ce qu'ils sont devenus aujourd'hui.

On a ainsi examiné les quartiers favorisés et moins favorisés des grandes métropoles dans les années 1990, et on a observé les inégalités de destin. On retrouve des inégalités importantes au sein de la plupart des grandes métropoles, à quelques exceptions près comme Nice ou la région parisienne. Il est important de noter qu'à l'échelle des quartiers, c'est le niveau d'éducation qui explique les écarts de destin. Si vous grandissez dans un territoire peu favorisé à l'intérieur d'une métropole ou d'une grande agglomération, vous allez moins souvent qu'ailleurs suivre des études supérieures, et c'est ce facteur-là qui dégrade vos perspectives de revenu.

Je veux maintenant parler de ce que l'on sait vraiment de la mobilité intergénérationnelle des revenus en France en comparaison internationale. Ce sujet est paradoxalement peu documenté : contrairement à ce que l'on pourrait penser, peu de données permettent d'observer précisément les revenus des parents et des enfants de façon à les compiler sur plusieurs décennies pour retracer l'historique des individus. Très peu de pays - essentiellement États-Unis et Scandinavie - disposent des données qui permettent de faire un tel travail. Pour le reste, nous avons des données de qualité modeste. Pour la France, comme dans beaucoup de pays, les revenus des parents sont imputés dans toutes les études, c'est-à-dire qu'elles ne peuvent pas directement observer les revenus des parents.

Deux approches complémentaires se trouvent dans la littérature : l'une sur l'inertie des revenus, où on estime dans quelle mesure les écarts de revenu entre parents se transmettent à la génération d'après, et une autre approche en terme de reproduction de la position, où on examine non pas les revenus, mais les rangs des parents et des enfants, pour analyser dans quelle mesure les deux sont liés. Les études portant sur la France ne fournissent que des résultats sur l'inertie des revenus, qui représente la part de l'écart entre deux parents subsistant à la génération suivante, et, sur la base de plusieurs estimations concordantes, il faut retenir le chiffre d'une inertie de 40 %. Si vous avez un écart de 100 entre deux parents différents, l'écart entre les enfants de ces parents-là sera de 40.

Ce chiffre est bien plus élevé que pour les bons élèves : la Scandinavie ou le Canada tournent plutôt autour d'une inertie de 10 à 20 %. La France n'est pas pour autant le pire élève : elle se situe dans un groupe de pays où figurent entre autres les États-Unis, l'Allemagne et le Royaume-Uni.

Autre résultat : on observe peu d'évolution significative dans le temps. On ne dispose pas de preuve selon laquelle, depuis une trentaine d'années, l'inertie s'améliorerait ou se détériorerait. Les données ne sont pas de qualité suffisante pour conclure à ce sujet.

Par ailleurs, je souhaitais mentionner un paradoxe concernant la France. Elle se caractérise par une baisse de l'inégalité de revenus sur longue période, alors que dans la plupart des pays occidentaux comparables, on observe plutôt une hausse tendancielle de l'inégalité de revenus. Le paradoxe est le suivant. Cette situation devrait en principe jouer en faveur de la France, la réduction des inégalités de revenus par rapport aux autres pays devant avoir un effet favorable sur l'inertie entre générations : l'inertie des revenus devrait elle aussi diminuer et ne pas demeurer aussi importante. Ce n'est pas le cas et cela peut s'expliquer par le fait que la France connaît un niveau important de reproduction des positions. Même en cas de réduction des inégalités de revenus dans le temps, l'inertie d'une génération sur l'autre demeure importante.

Je voulais encore souligner le fait que les données sont perfectibles, notamment en France, malgré les investissements énormes et très coûteux déjà réalisés. J'ai une note d'espoir : l'échantillon démographique permanent sur lequel l'Insee a investi depuis une quarantaine d'années permettra sur un horizon proche d'améliorer considérablement nos connaissances sur ces questions. Nous disposerons d'échantillons conséquents d'ici 5 ans.

Pour terminer, j'évoquerai la question des héritages. Nous avons publié une note sur le retour des héritages en France sur longue période et nous avons montré que les flux de transmission de patrimoine avaient très fortement augmenté depuis une trentaine d'années. Les héritages représentaient l'équivalent de 8 % du revenu disponible en 1984, contre 20 % aujourd'hui. Selon nous, cela va croître jusqu'à environ 35 % au milieu du siècle. Derrière cette question du retour de l'héritage se cache celle de l'inégalité des chances. Les baby-boomers vont transmettre leur patrimoine, qui, parmi ces générations, est très concentré. Ne risque-t-on pas d'aboutir à une société à deux vitesses dans les décennies qui viennent ? L'héritage se rajoute comme facteur d'inégalité des chances, puisqu'un individu sur deux n'hérite que de très peu, ou de sommes modestes. Il sera donc peut-être facteur d'une telle inégalité. Cependant, la question des données sera essentielle, car on ne sait pas mesurer avec exactitude l'ampleur de l'effet des héritages sur l'inégalité des chances, du simple fait qu'on hérite tard. Il est compliqué de savoir dans quelle mesure un individu va être aidé par ses parents et ses grands-parents, et dans quelle mesure le patrimoine va s'ajouter au revenu comme facteur d'inégalité des chances, ou au contraire va pouvoir compenser des inégalités de revenus.

M. Michael Förster, analyste au sein de la direction de l'emploi, du travail et des affaires sociales de l'OCDE . - Merci pour votre invitation. Je vais présenter cinq points.

Dans un premier point, je vais souligner à quel point les conséquences d'un manque de mobilité sociale sont importantes. Dans le domaine sociétal d'abord, on sait par des études économiques que ce manque de mobilité a un effet négatif sur le bien-être subjectif, y compris sur la santé mentale. Ce n'est pas seulement le niveau réel de mobilité sociale, mais aussi ses perspectives qui jouent sur le bien-être individuel. On sait, par comparaison des enquêtes sur la perception des mobilités, que le pessimisme en ce qui concerne l'ascenseur social est plus fort en France que dans d'autres pays de l'OCDE. La France doit être classée troisième ou quatrième dans cette échelle. L'effet sociétal est donc important.

Deuxièmement, au niveau politique, le manque de mobilité sociale a une conséquence sur la cohésion sociale, montrée par une étude sur le niveau de confiance dans les institutions et la participation aux élections.

Enfin, des effets économiques existent : dans une autre étude, nous avons démontré qu'un manque de mobilité sociale entraîne un manque d'investissement dans le capital humain, ce qui ensuite entraîne une perte de PIB par tête.

Deuxième point : il est très important, surtout quand on parle des conséquences au niveau de l'action publique, de savoir de quel type de mobilité on parle.

D'une part, la mobilité comporte deux aspects. La mobilité intergénérationnelle reflète celle des enfants par rapport à leurs parents ou grands-parents. La mobilité individuelle s'accomplit au cours de l'existence : nous l'avons analysée dans notre rapport publié il y a deux ans.

D'autre part, la mobilité comporte plusieurs dimensions. La présentation de Mme Émilie Raynaud s'est centrée sur le statut socioprofessionnel, aussi appelé classe sociale, sur lequel vont plutôt se pencher les études sociologiques. On peut évoquer aussi la mobilité des revenus (revenu d'activité, revenu disponible, patrimoine). L'OCDE a également examiné la mobilité en termes d'éducation. Enfin, la mobilité du point de vue de la santé est un peu moins abordée dans le débat public mais n'en est pas moins importante, notamment en ce moment. Ensuite dans toutes ces dimensions, on doit concevoir deux degrés. La mobilité absolue reflète dans quelle mesure le niveau d'éducation, de salaire, de revenu réel, est plus élevé que celui des parents. En revanche, dans des sociétés plus riches, on se focalise plus sur la mobilité relative. La mobilité absolue traduit la vitesse de l'ascenseur social, et la mobilité relative le positionnement sur cet ascenseur (où se retrouve-t-on vis-à-vis des parents ?).

J'aimerais aborder un troisième point. Très souvent, dans le débat public, lorsqu'on évoque la mobilité, on parle de mobilité ascendante. Nos travaux montrent que l'immobilité se manifeste en bas ( sticky floors , ou plancher adhérent) et, bien souvent, surtout en haut de l'échelle ( sticky ceilings , on plafond adhérent). Je prends deux exemples dans le cas des différences d'éducation entre générations. Si vous êtes issu d'une famille où au moins un parent a atteint le niveau tertiaire, vous avez, au niveau de l'OCDE, deux chances sur trois (63 %) d'avoir également un diplôme tertiaire. Au niveau de la France, ce chiffre atteint 68 %. C'est le « plafond adhérent ».

En revanche, si vous êtes issu d'une famille où aucun des parents n'a atteint le deuxième cycle du secondaire, le chiffre tombe à 13 % dans l'OCDE, et à 17 % en France. Parmi les 13 %, seulement 2 % parviennent au doctorat. La rigidité en haut de l'échelle est donc très importante.

On peut également analyser la mobilité individuelle. Nous ne disposons pas de données au cours de la vie, mais d'un panel qui peut suivre les gens pendant 5 à 10 ans. C'est toujours en bas et en haut de l'échelle qu'on observe la plus forte rigidité. Ainsi, dans les années 2010, sur 5 ans, 57 % des personnes qui étaient parmi les 20 % les plus pauvres le sont restées. En haut, l'inertie est davantage prononcée car 70 % des personnes parmi les 20 % les plus riches le restent. En France, les chiffres sont respectivement de 63 et 71 %. Depuis les années 1990, cette mobilité au cours de la vie a augmenté de 5 points de pourcentage en bas et en haut au niveau de l'OCDE, et en France, elle a augmenté en bas et a stagné en haut.

Dans mon deuxième point, je rappelais qu'il fallait savoir de quelle dimension on parlait, surtout lorsqu'on compare les pays. Nous avons créé un grand tableau avec les 36 pays de l'OCDE et certains pays émergents. On a classifié les pays en trois groupes, selon que leur niveau d'inégalité de revenus actuel était faible, moyen ou élevé. On a ensuite ajouté le niveau de mobilité sociale intergénérationelle, entre parent et enfant, et la mobilité du revenu individuel.

Le cas du Danemark est particulier : il dispose non seulement d'un faible taux d'inégalité de revenus, ce qui en fait l'un des pays les plus égalitaires de l'OCDE, mais ses indicateurs de mobilité sociale intergénérationnelle (gains, profession, éducation et santé) sont élevés. On note toutefois que dans ce pays la mobilité du revenu individuelle est faible en haut de l'échelle.

Pour les autres pays, on constate un mélange entre tous ces indicateurs, qu'il faut prendre en compte. Si on se concentre sur la France, on observe que le niveau des inégalités de revenus se situe sous la moyenne de l'OCDE : elle est 12 ème sur les 36 pays de l'OCDE, même si cela a augmenté durant les deux dernières années. Elle se trouve dans le même groupe que l'Allemagne et le Canada (niveau moyen d'inégalité de revenus). Si on se focalise sur la mobilité des gains liés à l'activité, la France et l'Allemagne sont parmi les pays où elle est la plus faible. Les configurations varient selon que l'on se concentre sur la profession, l'éducation ou la santé. Il en est de même si l'on examine la mobilité du revenu individuel.

Il faut choisir : ou bien l'on se focalise sur une dimension et on compare les pays (sur l'éducation, on analyse alors la transmission, les diplômes, etc.), ou bien l'on veut avoir une vue d'ensemble, et on peut trouver qu'aux États-Unis ou en Australie, la mobilité au niveau de l'éducation est élevée, mais ne l'est pas au niveau des gains de l'activité.

J'aborde mon cinquième et dernier point. Quand on compare les pays, on constate que les politiques publiques peuvent faire la différence, en jouant sur les inégalités aujourd'hui mais aussi sur la mobilité sociale et l'égalité des chances. Nous avons mis en avant deux grands axes d'intervention. Le premier consiste à élaborer les politiques permettant d'assurer l'égalité des chances pour tous les enfants. On retrouve ici l'idée que pour assurer l'égalité des chances et des opportunités à long terme, une panoplie de mesures issues des expériences menées dans différents pays sont utiles, en particulier l'éducation pré-scolaire, l'éducation, les politiques favorisant l'équilibre entre vie familiale et professionnelle et les politiques de redistribution (en particulier du patrimoine). Il faut également, et c'est le deuxième axe, penser à développer les politiques visant à atténuer les conséquences personnelles des chocs défavorables. Il s'agit ici de politiques de protection, essentiellement centrées sur le marché du travail, et qui doivent prendre en compte les nouvelles formes d'emploi.

Après ces cinq points, je termine par un petit focus sur la France. Parmi les deux grands axes que je viens d'évoquer, après avoir examiné de nombreux pays, quels sont les éléments les plus prometteurs pour réduire les inégalités et promouvoir la mobilité sociale ? Nous en avons identifié trois pour la France.

Le premier consiste à réduire les écarts scolaires entre enfants de milieux socio-économiques différents. Bien que la France soit un des pays qui investisse le plus dans le scolaire et le pré-scolaire, elle maintient, voire renforce ces écarts. Lorsqu'on observe les scores PISA, la France a des indicateurs un peu au-dessus de la moyenne, mais l'écart est très grand entre les élèves, selon qu'ils sont issus de familles défavorisées ou favorisées. Les scores PISA pour les élèves issus de familles favorisées sont très élevés, comme au Japon ou en Corée, mais ceux des élèves issus de familles défavorisées sont proches des faibles scores du Portugal. Cet écart est beaucoup plus important qu'ailleurs, et il s'est accru. Aux débuts de PISA, il y a dix ou quinze ans, l'écart était de même taille en France et en Allemagne. Depuis, il a légèrement diminué dans ce dernier pays, mais il a augmenté en France.

Le second axe vise à réduire le chômage de longue durée. Cela fait référence non pas à la mobilité entre générations mais plutôt aux chocs défavorables. En France, le chômage de longue durée est élevé et a un grand impact. Un éventail de politiques est en partie déjà en place, comme le compte personnel d'activité (CPA), mais il faut les améliorer. Pour l'instant, cela ne couvre pas suffisamment de travailleurs peu qualifiés.

Finalement, il faut s'attaquer aux inégalités territoriales, voire spatiales, plus grandes en France que dans d'autres pays d'Europe. Elles se situent à l'intérieur des régions et des départements. Se pose la question des agglomérations (Paris, Marseille, Lyon) qui regroupent des disparités énormes, lesquelles génèrent un cumul de désavantages pour la mobilité : l'éducation, l'éducation pré-scolaire, l'emploi, la formation, mais aussi l'accès aux services (éducation, santé, transports).

Mme Monique Lubin , rapporteure . - J'ai une question pour M. Dherbécourt sur les inégalités en fonction des régions. Vous avez montré que l'espoir de progression sociale est meilleur dans certaines régions que dans d'autres. Pourtant, dans ces régions, dont la mienne, la Nouvelle-Aquitaine, il existe de fortes inégalités territoriales entre des zones très rurales et des zones urbaines. Vivre à Bordeaux est tout à fait différent de vivre entre l'est des Landes et le Lot-et-Garonne. Pourtant, il est indiqué que les perspectives de niveau de vie des enfants d'ouvrier ou d'employé sont favorables dans l'ensemble de ces deux départements. Les disparités sont-elles prégnantes entre les régions, ou bien n'ont-elles pas été analysées au sein des régions, en « intra » ?

M. Clément Dherbécourt . - Il est vrai que la région Aquitaine, et encore plus la Nouvelle-Aquitaine, est un peu hétérogène. On observe des disparités, mais pas nécessairement à la faveur de Bordeaux, qui s'en sort paradoxalement moins bien que le reste des territoires. Dans tous ces territoires, nous avons comparé des gens qui ont des origines sociales modestes.

Puisqu'on parle de Bordeaux, nous nous sommes concentrés sur les familles populaires de cette ville et nous les avons comparées avec des familles populaires des Landes. On a essayé de neutraliser l'effet de l'origine sociale. Il y a évidemment beaucoup de classes moyennes et de cadres à Bordeaux : si on comparait Bordeaux et les Landes, Bordeaux s'en sortirait mieux. Mais ce serait un effet uniquement de l'origine sociale des Bordelais, plus favorable sociologiquement que celle des Landais.

Sur la question de la ruralité, j'ai oublié de mentionner que certains départements ne donnent pas moins de perspectives aux individus qui y grandissent, car le taux d'émigration est plus important dans ces territoires. Pour réussir, quand on vient d'un territoire rural, cela ne se fera pas nécessairement sur le territoire, mais cela impliquera vraisemblablement une mobilité.

Il ne faut pas penser, lorsqu'on suit notre étude, que les gens de la Creuse sont restés dans la Creuse. Peut-être que les gens du Limousin s'en sortent bien parce qu'ils ont profité d'une mobilité vers une autre ville ou un autre département.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - C'est la deuxième question que je voulais vous poser. Je ne voyais pas la différence entre le fait de vivre une zone très rurale et dans une zone urbaine. Cela signifie-t-il que pour accéder à des meilleures conditions de vie, il faut bouger et être mobile physiquement et spatialement ?

M. Clément Dherbécourt . - Je vais répondre d'une autre manière. Les territoires les plus ruraux compensent un développement économique plus faible par le fait de donner un niveau d'éducation correct ou supérieur à la moyenne aux enfants qui grandissent, leur permettant, parfois au terme d'un parcours de mobilité, d'obtenir un revenu plus important. Certaines régions sont détaillées dans notre note.

De mémoire, la Franche-Comté et le Limousin ouvrent plus de perspectives que ce que leur niveau de développement économique aurait laissé penser. Par plus d'éducation, parfois par plus de mobilité, elles arrivent à compenser un développement économique plus faible. Vous me direz qu'on ne permet pas aux gens de rester sur le territoire ! On se place en effet ici dans une perspective individuelle : on regarde l'égalité des chances entre individus, mais on n'a pas de perspective sur les territoires. On ne dit pas dans quelle mesure ces mouvements de mobilité géographique affectent le développement du territoire.

Mme Marta de Cidrac . - Merci beaucoup pour toutes ces présentations, très intéressantes et denses.

Les études de l'OCDE indiquent qu'en France, il faudrait plus de six générations à une personne en bas de la distribution des revenus pour rejoindre la moyenne, ce qui est assez révélateur et apparaît comme un des plus mauvais scores de la zone OCDE. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle on dit souvent qu'en France l'ascenseur social est en panne.

Comme vous l'avez évoqué chacun à votre façon, en outre, le déterminisme social n'est pas le seul facteur, ce qu'il est important de rappeler. Toutefois, on voit dans d'autres lectures et documents, y compris dans vos propres instances, que le déterminisme revient et que le capital humain est pointé comme un facteur important dans cette reproduction des inégalités. Qu'est-ce qui pénalise le plus la France sur ce terrain-là ? L'objectif et le sens de cette mission sont en effet de trouver et identifier des problèmes pour faire des propositions, ce que fera vraisemblablement Mme la rapporteure à l'issue de tous ces échanges et auditions.

J'aurais souhaité vous poser une autre question. Des réformes menées à l'étranger ont-elles permis de traiter ces différents enjeux ? Les éléments que vous nous avez exposés nous ont montré que ce problème d'inégalités ne se limite pas à la France. Auriez-vous donc des exemples à partager sur ce qui se fait ailleurs, avec une certaine acuité ?

M. Michael Förster . - Je vais mettre en avant quelques pistes. Un chapitre entier de l'étude que j'ai présentée décrit des initiatives entreprises dans les différents pays de l'OCDE. Il faut savoir quels enseignements l'on peut en tirer, car, si nos études servent à apprendre des expériences et des politiques publiques menées par d'autres pays, il faut garder à l'esprit que certaines choses ne sont pas comparables. Certaines politiques, dans des petits pays non centralisés comme l'Autriche, ne peuvent être répliquées en France, alors que d'autres le peuvent.

Prenons un exemple : beaucoup d'efforts sont entrepris en France dans le domaine des écoles spécialisées depuis dix à vingt ans. La Corée et la Finlande le font aussi, mais, en plus, ces pays donnent des encouragements aux professeurs, et même plus que des encouragements. En Finlande, on pousse les professeurs à se rendre dans le nord, en Corée dans des zones avec de forts problèmes de chômage : ceux-ci gagneront deux fois plus en allant à Séoul ou à Turku (Finlande) plutôt qu'à Helsinki ou dans une région plus favorisée. Ces politiques payent. Cela augmente la mixité sociale.

On a étudié plusieurs champs d'action, dont les politiques de logement, et on a évalué celles qui favorisent le plus l'égalité. Peut-être ne faut-il pas trop ségréguer, mais favoriser les HLM ? Les logements sociaux à Vienne représentent 40 % du parc de logements, peuplés de locataires socialement bigarrés, et pas uniquement défavorisés.

Je pense qu'il vaut la peine de regarder ailleurs, en étant conscient que certains exemples peuvent être suivis, mais que d'autres ne le peuvent pas.

M. Clément Dherbécourt . - Le problème est très complexe et multifactoriel : à France Stratégie, nous n'avons pas formulé de recommandation précise de politique publique, que ce soit sur l'éducation ou d'autres secteurs. Nous discutons plusieurs pistes dans lesquelles les politiques publiques devraient investir davantage.

Lorsqu'on reprend l'analyse territoriale, on voit que certaines régions et certains quartiers s'en sortent moins bien en termes de perspectives pour les individus. La caractéristique de la France consiste notamment - et cela rejoint les propos de Michael Förster - en une inégalité territoriale importante, avec deux régions, au nord et au sud, qui cumulent des difficultés : les anciennes régions Languedoc-Roussillon et Nord-Pas-de-Calais, ainsi que la Somme et l'Aisne. Depuis quarante ans, ces régions cumulent toujours les mêmes problèmes, avec un taux de chômage important, des revenus plus faibles, et on note assez peu de convergence vers les autres territoires. En effet, certains territoires, comme la Corse et les DOM, partent d'un niveau de développement plus faible mais on observe chez eux une certaine convergence économique, qu'on ne constate pas au nord et au sud de la France métropolitaine. Des dynamiques défavorables aux individus s'y mettent en place sur le long terme. Il faut donc une politique qui vise ces deux ensembles de territoires défavorisés, par exemple par des politiques incitatives pour que les entreprises y localisent des emplois de qualité. Au niveau de l'emploi public également, l'État aurait intérêt à y localiser des emplois, d'autant qu'ils sont dans certains cas peu dotés en emplois publics par habitant.

Il convient enfin d'insister encore et toujours sur le poids de l'éducation. C'est un champ de recherche tellement vaste que je n'ai pas de recommandation de politique publique particulière, mais si on veut améliorer l'égalité des chances, elle constitue un passage obligé. Michael Förster parlait à cet égard de mixité sociale ou de ciblage, mais nous n'avons pas de formulation plus précise à proposer.

Avant d'en terminer, je voulais revenir sur le chiffre des six générations qu'il faudrait à une famille modeste pour revenir à la moyenne. Ce chiffre, tiré de l'introduction du rapport de l'OCDE sur le sujet, a rencontré un grand succès et a été très repris, ce qui est très bien car cela a favorisé le débat sur ces questions : le Secours populaire en a fait une affiche diffusée dans le métro. Je voudrais rappeler les précautions à prendre avec ce chiffre, tant sur les données que sur l'interprétation du résultat. C'est un calcul théorique, qui vise à prendre le coefficient d'inertie des revenus d'une génération sur l'autre - dont je vous ai précédemment parlé - de 40 % et à l'appliquer de manière successive sur six générations pour examiner l'effet sur la trajectoire des revenus.

Le problème est qu'on a aujourd'hui une inertie de revenus de 40 % en France, mais qu'on ne dispose pas de données sur le long terme. Sur la trajectoire des individus sur six générations, aucun pays n'a de données aussi précises. D'autre part, sur les six générations nécessaires pour revenir à la moyenne, il faut noter qu'au bout de trois générations, l'écart est déjà réduit de 85 % : il ne reste plus que 15 % à parcourir avec les trois générations suivantes. Cela est lié à un phénomène de non-linéarité.

Mme Sophie Taillé-Polian . - Je voulais rebondir sur cette question des inégalités. M. Dherbécourt a souligné que l'on parlait en termes de moyennes, et évoquait le fait que les inégalités, en moyenne, ne connaissaient pas d'approfondissement en France. Qu'en est-il des écarts à la moyenne ? Effectivement, en quelques dizaines d'années, les écarts de salaire à l'intérieur des entreprises se sont considérablement accrus. On parle certes de moyennes et de franchissement de générations, mais il s'agit de réduire l'écart entre le point de départ et la moyenne. Si cet écart s'agrandit, même si cela concerne moins de populations, il est d'autant plus difficile de vaincre la pauvreté et la relégation sociale que cela implique.

Par ailleurs, en tant que rapporteure spéciale sur la mission « travail et emploi », je voulais insister, à la suite de M. Förster, sur la question du chômage de longue durée. Je crois que les moyens mis en termes d'accompagnement des chômeurs de longue durée sont insuffisants, alors qu'il serait important, pour réduire les inégalités, de mettre l'accent sur ce sujet. Nos politiques de l'emploi aident à maintenir un « stock » - mot que je ne valide pas personnellement mais par lequel on analyse parfois ces politiques. On cherche à faire rapidement retrouver un emploi à des populations assez facilement « employables », mais on délaisse les chômeurs de longue durée qui s'enlisent dans les difficultés et la pauvreté, ce qui favorise aussi une certaine inertie. J'ignore si elle correspond au terme utilisé au niveau statistique, mais c'est un fait. En termes de politiques publiques, nous aurions fort à faire, outre les questions d'éducation, pour aider à réduire les inégalités de génération en génération.

M. Clément Dherbécourt . - Je précise mon propos. Je vous ai montré tout à l'heure des éléments indiquant les distributions des salaires des hommes, puisque la littérature est focalisée sur les liens entre la position des pères et des fils. L'écart de revenus entre les neuvième (D9) et premier (D1) déciles, c'est-à-dire le rapport entre les 10 % les mieux payés et les 10 % les moins bien payés, diminue au cours du temps. Dans le débat public, on a tendance à penser que toutes les inégalités augmentent, mais, sur le marché du travail, cela est peu flagrant. Dans les années 1990, en effet, certains secteurs concentrant de fortes inégalités avaient encore un poids important qui a plutôt diminué depuis.

Cependant, lorsqu'on examine ce rapport D9/D1, on ne regarde pas ce qui se passe tout en haut de l'échelle des salaires. On observe depuis une quinzaine d'années que les salaires les plus élevés augmentent de façon plus importante que les autres. Mais d'une part, cela ne joue pas fortement sur le niveau de mobilité sociale de l'ensemble de la population - car cela concerne une partie très restreinte du marché du travail - et d'autre part, pour le reste de la population, on observe plutôt une réduction des inégalités.

Je parlais ici des revenus et des salaires, mais l'analyse des patrimoines donne lieu à d'autres diagnostics. Il faudrait examiner plus en détail les données de Thomas Piketty et de ses coauteurs, qui analysent l'évolution des patrimoines et en particulier des plus gros d'entre eux. Encore une fois, en France, on observe certes une augmentation, mais elle n'est aussi importante que dans d'autres pays, comme les États-Unis. J'insisterai donc sur le fait que, de manière contre-intuitive, la France est un pays qui a fortement contenu les inégalités de patrimoine et a réduit les inégalités de revenu - même si elles demeurent à un niveau important. Il faut prendre garde à ne pas mélanger patrimoine et revenus et à essayer d'avoir un débat documenté sur ces questions.

M. Laurent Somon . - Dans l'analyse proposée par M. Förster, quatre éléments sont pris en compte : d'un côté, les gains ou revenus et la profession - ce qui constitue l'aspect d'origine sociale - et, de l'autre, l'éducation et la santé - qui relèvent plutôt du domaine des politiques publiques. Vous avez également souligné que les moyens mis à disposition de l'éducation étaient parmi les plus élevés au niveau européen, malgré des résultats insatisfaisants. Vous avez également effectué une analyse territoriale : pour ma part, je suis sénateur dans les Hauts-de-France, et cette région cumule de façon problématique nombre de déficits. Vous avez souligné la nécessité de la convergence économique, pour parvenir à une amélioration de la situation dans les territoires, ce qu'a réussi la Bretagne. Avez-vous mené des analyses sur les résultats de la politique d'aménagement du territoire, qui semble avoir été abandonnée, ou de la politique de la ville, qui touche à tous les domaines, comme l'éducation, la santé et le logement ? Voit-on des améliorations ou est-ce plutôt un échec ?

M. Michael Förster . - Je ne peux pas répondre à cette question. Trois quarts du rapport est analytique et empirique : nous comparons les indicateurs. Nous avons effectué deux revues plus approfondies de pays mais cela ne concerne pas la France.

S'agissant du chômage de longue durée, nous insistons toujours sur les politiques actives du marché du travail, qui sont préventives. J'ai lu récemment dans un journal que, pour le personnel politique, le succès de la prévention ne se monétarise pas : aucun électorat n'accorde d'importance à une résorption réussie du chômage de longue durée. Il est donc difficile de promouvoir des politiques préventives réussies, comme les politiques du marché du travail actives.

Dans notre rapport, un graphique montre le lien très clair entre l'effort effectué en politique préventive sur le marché du travail et le risque de mobilité descendante des travailleurs de la classe moyenne. Mais la presse généraliste ne publie pas ce genre de graphique, puisqu'il illustre le succès de politiques effectuées en amont. Il est plus facile de « vendre » des politiques qui passent après, comme les prestations versées au moment de la crise. On constate que les inégalités n'ont pas augmenté autant en France ou Allemagne qu'on aurait pu le craindre, car les prestations ont joué leur rôle. Ce dernier élément est très facile à démontrer. En revanche, cela est plus difficile pour les politiques préventives.

Une question sur la santé m'a été posée. Je tenais à ce que la mobilité en matière de santé soit incluse dans ce rapport. Un autre graphique très simple montre que les pays qui fournissent le plus d'effort monétaire en termes de personnel de santé se retrouvent au sommet de l'échelle de mobilité ascendante dans la santé. On peut donc démontrer que les politiques ont un rôle.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Ma question s'adresse aux représentantes de l'Insee. Il semble qu'en termes de mobilité sociale, les choses ont plutôt progressé depuis 1977, mais stagnent depuis les années 1990. Diriez-vous que la situation d'une génération par rapport à l'autre s'est considérablement améliorée jusqu'aux années 1980 et 1990, et que depuis, la progression s'est non pas arrêtée mais ralentie ?

M. Jean Hingray , président . - Pour compléter la question de Monique Lubin, la mobilité sociale est-elle liée directement à la croissance économique ? Vous avez en effet dit qu'un pallier de mobilité sociale avait été franchi dans les années 1990 et qu'elle était stagnante depuis. Or, la croissance économique est atone depuis les années 1990.

Mme Émilie Raynaud . - Notre étude ne relie pas croissance et mobilité sociale. Mais la stagnation du taux de mobilité sociale, ou la réduction de la prédominance des mouvements ascendants sur les mouvements descendants, sont liées au fait que la qualification des emplois a progressé jusqu'au milieu des années 1990, puis que cette croissance de la qualification des emplois a ralenti. C'est une des raisons qui explique une stabilité des chiffres.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Vous avez souligné, Monsieur Dherbécourt, l'importance de l'éducation. Cela signifie-t-il que le territoire est parcouru de disparités importantes ? Normalement, l'éducation est bien nationale, et l'éducation dispensée à tous les enfants est la même dans le pays. Or, cela ne se remarque pas dans les différents éléments que vous nous avez exposés. Faudrait-il parvenir à des politiques différenciées entre les différents territoires, en gardant une base commune mais en faisant des efforts supplémentaires dans certaines parties du territoire ?

Que pensez-vous de tout ce qui n'est pas délivré par l'école, mais concourt à l'éducation des enfants en dehors de l'école ? Certaines familles peuvent être déficientes, et pas uniquement dans les milieux sociaux très défavorisés. Concourent et concouraient à cette éducation des mouvements d'éducation populaire, et sans vouloir choquer personne, également des mouvements religieux - pas au sens où on l'entend aujourd'hui. Lorsque j'étais enfant, je me souviens du rôle joué en zone rurale par la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC) ou par des organismes similaires, qui offraient une structure et proposaient aux enfants des activités leur permettant d'être encadrés. Aujourd'hui, cela a complètement éclaté.

Je pense qu'au contraire, on peut voir aujourd'hui l'émergence de certains mouvements religieux qui n'ont pas la même vocation. De nombreux mouvements ont disparu, les mouvements d'éducation populaire souffrent, et je suis pourtant convaincue de leur importance capitale pour aider à réduire les inégalités. Avez-vous travaillé sur ce sujet, qui, je le reconnais, est très vaste ?

M. Clément Dherbécourt . - Vous parlez ici d'effets de contexte. Dans les différences territoriales, on sait que le contexte historique et social du territoire va jouer. C'est ainsi. Citons l'Aveyron. Les structures sociales n'y sont pas les mêmes qu'en Lozère, et on a observé, historiquement, une bien plus forte mobilité géographique depuis l'Aveyron depuis 200 ans. Le contexte joue de la même façon pour de nombreux territoires. Les politiques publiques y sont peu attentives : elles appliquent des objectifs déterminés au niveau national, ne prenant que peu en compte les effets de contexte. Cela est d'ailleurs très difficile : autant, il est facile de dire que ceux-ci existent et jouent sur les destins, autant, faire en sorte que les politiques éducatives parviennent à compenser ces effets est très difficile. En tout cas, on n'a jamais réussi à progresser sur ces questions : que ce soit à France Stratégie ou ailleurs, il n'existe pas vraiment de boîte à outils très simple pour les traiter.

En outre, certes, l'aspect territorial joue, mais l'origine sociale est très hétérogène sur un territoire. Une agglomération ou une commune regroupe des personnes d'origines sociales différentes, qui vont se retrouver dans le même établissement scolaire, et on n'est pas capable de cibler différents individus dans un établissement. Cela est très difficile. À l'échelle d'un territoire, cela joue aussi. Comment fait-on ? Faut-il cibler un territoire ou bien certains individus sur certains territoires ?

J'ai beaucoup insisté sur les aspects territoriaux de l'inégalité des chances, mais le facteur territorial joue quand même moins que l'origine sociale. Je parlais d'un écart de 1 000 euros entre un enfant de cadre et un enfant d'ouvrier à l'âge adulte, mais au niveau territorial l'écart est plutôt de 300 euros. Si l'on souhaite, donc, favoriser l'égalité des chances, la question territoriale est importante, mais la question sociale l'est tout autant. Cela pose des problèmes de ciblage au sein des établissements et des territoires, pour lesquels je ne dispose pas d'éléments afin de vous proposer des pistes plus concrètes.

Mme Marta de Cidrac . - Vous avez évoqué des comparaisons mère-fille ou père-fils et à la marge parfois fille-père. Que seraient les résultats, si l'on effectuait une comparaison « enfant-parents » ? Pourquoi la comparaison est-elle genrée ? Ma question peut vous paraître anachronique, mais j'aimerais comprendre.

Mme Émilie Pénicaud, division des études sociales de l'Insee . - Traditionnellement, on analyse la mobilité sociale en comparant des enfants de même genre : on trouve dans la littérature des éléments qui comparent les fils aux pères. Pour nous, la nouveauté a consisté à introduire la mobilité sociale des femmes. C'est devenu un élément important à prendre en compte dans l'analyse de la mobilité sociale.

La question était de savoir comment intégrer les femmes dans cette analyse. La première idée a été de comparer d'abord les filles à leur mère. Mais nous avons été contraints par un problème de champ d'analyse : plus on recule dans le temps, moins on dénombre de femmes en activité. Il a été important de compléter ces premiers éléments fille-mère par une analyse complémentaire fille-père. Nous n'avons en revanche pas d'éléments sur la mobilité sociale enfant-parents.

Mme Émilie Raynaud . - Très prosaïquement, nous prenons la catégorie socioprofessionnelle d'une personne et il faut la comparer à quelque chose d'autre. Si on se réfère aux parents, il faut pouvoir définir une catégorie socioprofessionnelle des parents. On choisit donc traditionnellement une personne, et pendant très longtemps, le père, puisque c'était l'homme qui travaillait.

Le Conseil national de l'information statistique (Cnis) a travaillé sur la question par le biais d'un groupe de travail, et a établi une proposition de PCS définie au niveau du ménage, donc soit au niveau d'une personne seule, soit au niveau du couple. Nous avons essayé ces derniers temps de mobiliser cette notion pour travailler sur les questions de trajectoire, mais elle n'est pas simple à utiliser. En effet, elle mêle des notions de catégorie socioprofessionnelle individuelle, mais aussi des éléments de trajectoire matrimoniale et conjugale. Cela pose des problèmes de comparaison, car on se met à hiérarchiser des trajectoires conjugales. On arrive donc bien à comparer une personne à une autre, mais définir le milieu social de façon générale en mêlant le père et la mère n'est pas si simple.

Mme Marta de Cidrac . - Il faut penser aux familles monoparentales, qui sont de plus en plus présentes dans notre société. Je plaiderais pour que nos façons de faire des statistiques évoluent dans ce sens, et qu'on en tienne compte de plus en plus.

Mme Émilie Raynaud . - Les statistiques de l'Insee tiennent fortement compte des familles monoparentales. Vous les retrouverez dans tous nos chiffres. On sait que leurs niveaux de vie sont moins bons, que leur taux de pauvreté est très fort. On prend en compte de façon assez systématique cette catégorie.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat .

Audition sur les inégalités scolaires de Mme Fabienne Rosenwald,
directrice de l'évaluation, de la prospective et de la performance
du ministère de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports
et de M. Éric Charbonnier, analyste à la direction de l'éducation
et des compétences de l'OCDE

(Jeudi 4 mars 2021)

M. Jean Hingray , président . -Mes chers collègues, nous poursuivons les travaux de la mission d'information sur la politique en faveur de l'égalité des chances et de l'émancipation de la jeunesse. Hier nous ont été présentées les conclusions de plusieurs études sur la mobilité sociale et sur la reproduction des inégalités sociales. Ce matin, nous abordons plus particulièrement le rôle du système scolaire.

L'égalité des chances est un objectif majeur de la politique éducative, afin que chaque jeune dispose des mêmes opportunités, quelles que soient ses origines sociales ou territoriales. Toutefois, malgré l'allongement de la durée des études, les déterminismes sociaux ou territoriaux paraissent toujours puissants, en matière de choix d'orientation comme de résultats. C'est pour disposer de données objectives et d'éléments d'analyse que nous avons organisé cette table ronde.

Nous souhaiterions connaître la nature des facteurs qui contribuent à maintenir, voire à accentuer les inégalités de départ, et l'ampleur des divergences de parcours qui en résultent pour les jeunes. Les études montrent-elles sur ce point une amélioration ou une aggravation de la situation de notre système scolaire ? Comment sommes-nous situés par rapport à des pays comparables ? Quels sont les leviers les plus déterminants pour l'égalité des chances au sein du système scolaire ?

Je remercie de leur présence les intervenants qui ont bien voulu participer à notre réunion.

Mme Fabienne Rosenwald est directrice de l'évaluation, de la prospective et de la performance du ministère de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports. Elle est accompagnée de M. Thierry Rocher, adjoint au sous-directeur de l'évaluation. A ce titre, Mme Rosenwald pourra éclairer les constats sur les parcours des élèves et sur les résultats des dispositifs destinés à assurer l'égalité des chances.

M. Éric Charbonnier est analyste à la direction de l'éducation et des compétences de l'OCDE. Parmi les études qu'elle réalise dans le cadre du programme PISA, l'OCDE a notamment publié en 2018 un rapport intitulé : « l'équité dans l'éducation : éliminer les barrières à la mobilité sociale ». Il pourra nous donner la perception de son organisation sur la situation du système scolaire français au regard de ceux des pays comparables, en particulier sur le plan de la reproduction des inégalités dans le système scolaire.

Nous avons reçu les excuses de Mme Nathalie Mons, la directrice du Centre national d'étude des systèmes scolaires (CNESCO) qui ne peut participer à notre réunion de ce matin pour des raisons de santé. Pour information, le CNESCO a publié un rapport intitulé : « Inégalités sociales et migratoires : comment l'école amplifie-t-elle les inégalités ? ».

Je propose à chacun de présenter ses principales conclusions dans un exposé introductif de dix minutes. Nous passerons ensuite aux questions de notre rapporteure, Monique Lubin, et des membres de la mission.

Mme Fabienne Rosenwald , directrice de l'évaluation, de la prospective et de la performance du ministère de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports. - Mon propos s'appuiera sur les analyses et indicateurs que nous publions régulièrement dans nos publications comme Etat de l'Ecole, L'Europe de l'Education en Chiffres, Filles et Garçons, ou Géographie de l'Ecole et des études publiées dans nos notes d'information et notre revue Education et Formations.

La publication « L'état de l'École » présente chaque année depuis 1992 une analyse globale de notre système éducatif fondée sur des indicateurs structurels et pérennes qui permettent de décrire les principales évolutions et tendances en rendant compte des disparités tout en apportant l'éclairage des comparaisons internationales. L'objectif est d'alimenter le débat public autour de l'école, aider au pilotage et contribuer à l'évaluation du système éducatif français.

Nous constatons que l'effort de la nation pour l'éducation a été considérable et s'est accompagné d'une élévation spectaculaire du niveau de qualification qui fait que la France se situe plutôt bien dans les comparaisons internationales, en particulier dans le cadre de la stratégie européenne 2020, où elle atteint quatre objectifs sur six.

Ainsi, alors que la France a longtemps partagé avec les pays latins un niveau d'études modéré de sa population adulte avec des enseignements secondaires et supérieurs moins développés que dans les pays d'Europe du Nord ou qu'aux États-Unis, elle a aujourd'hui rattrapé son retard.

La part des « sortants précoces », c'est-à-dire des jeunes de 18 à 24 ans qui sortent du système éducatif sans diplôme, est passée de 33 % au début des années 1980 à 8 % aujourd'hui. Les diplômes des sortants du système éducatif ont également progressé, puisque 46 % des sortants actuels du système éducatif ont un diplôme de l'enseignement supérieur contre seulement un tiers de la population active. Ces taux placent désormais la France au-dessus de la moyenne de l'OCDE et de la moyenne européenne.

De plus, ces développements quantitatifs des enseignements scolaires et supérieurs ont permis d'ouvrir l'école à une population plus large et ont bénéficié à tous les publics, quels que soient leur origine sociale, leur sexe et leur lieu de résidence. Les inégalités d'accès aux diplômes se sont ainsi réduites. Autre avancée très importante en termes d'inclusion pour les élèves en situation de handicap, depuis la loi de 2005, la scolarisation des enfants en situation de handicap a très fortement progressé.

Il reste néanmoins des alertes.

Un pourcentage non négligeable d'élèves est en difficulté dès l'entrée à l'école. Toutes les évaluations nationales conduites par la direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance (Depp) le montrent. De même, si les scores obtenus à 15 ans par les élèves français en compréhension de l'écrit aux évaluations internationales PISA sont supérieurs à la moyenne de l'OCDE, près de 20 % des élèves de 15 ans ont toujours de faibles compétences, même si ce taux est inférieur à la moyenne de l'OCDE. Nous retrouvons ces fortes inégalités en compréhension de l'écrit lors des journées défense et citoyenneté. Plus d'un jeune sur dix rencontre des difficultés de lecture et parmi eux, la moitié peut être considérée en situation d'illettrisme.

De plus, en vingt ans, en français et en mathématiques, le pourcentage d'élèves en difficulté a augmenté, tandis que le pourcentage d'élèves dans les plus hauts niveaux a baissé. Globalement, les inégalités de performance entre élèves ont également augmenté. En France, les élèves ne connaissent pas tous le même parcours scolaire : certains poursuivent des études longues et d'autres sortent sans diplôme. Il existe aussi de fortes différences de compétences entre élèves, et ces inégalités de réussite scolaire sont fortement liées au milieu social, au profil fille/garçon et au territoire de résidence.

Si notre système éducatif est capable d'amener à des niveaux de qualifications élevés une majorité des jeunes, il existe une proportion de 15 % de jeunes qui « décrochent » très tôt en termes de résultats, ce qui est facteur d'accroissement des inégalités, car ces jeunes sont plus souvent issus de milieux sociaux défavorisés, plus souvent des garçons et plus représentés dans certains territoires. Nous savons que ces inégalités commencent très tôt dans la scolarité, avant même l'entrée à l'école, et qu'elles se construisent aussi en dehors de l'école.

J'aborderai trois types de disparités scolaires : selon le sexe, l'origine sociale et le lieu de résidence.

Selon le sexe, notre publication « Filles et garçons » met en évidence des différences selon les sexes dans le système éducatif. Nous avons aussi consacré quatre numéros de notre revue « Education et Formations » à ce sujet.

Au cours du XXe siècle, les filles ont rattrapé et même dépassé les garçons sur le plan scolaire et actuellement, comme vingt ans auparavant, les filles réussissent mieux leurs études en France, comme dans la plupart des autres pays développés et mènent des études plus longues. 51 % d'entre elles sont diplômées du supérieur contre 40 % des garçons.

Cependant, les choix d'orientation divergent à chaque étape de la scolarisation : les filles sont sur-représentées dans les filières littéraires du secondaire et du supérieur alors que les garçons sont majoritairement présents dans les filières scientifiques et industrielles. Les choix d'orientation diffèrent en raison de motivations et de jugements eux-mêmes différents, même à niveaux scolaire et social équivalents. Enfin, malgré cette meilleure réussite scolaire, les filles ne bénéficient pas d'un avantage en matière d'insertion professionnelle.

En termes de compétences, les écarts de compétences selon le sexe sont beaucoup plus marqués en français qu'en mathématiques, et ce tout au long de la scolarité. Les écarts sont importants en français en faveur des filles dès l'école primaire et vont croissant tout au long de la scolarité. Ils se sont même accrus ces vingt dernières années. Néanmoins, ces écarts sont moins élevés que les moyennes internationales. En mathématiques, si les filles sont plutôt meilleures que les garçons en début de CP, la tendance s'inverse dès le CE1. Ensuite, les écarts se creusent en faveur des garçons en cours de scolarité et les écarts sont plus élevés que dans les moyennes internationales.

La recherche a dégagé quelques pistes d'action. Il s'agit de développer beaucoup plus les compétences socio-comportementales, comme la confiance en soi, qui soutiennent les parcours scolaires des élèves et les aident à se projeter vers des orientations auxquelles ils n'auraient peut-être pas pensé. Il convient de travailler sur les représentations, mais aussi sur l'aide à l'orientation, en améliorant le lien entre compétences et parcours scolaires (égalité des chances, cordées de la réussite, etc.). Sur le marché de l'emploi, il faut changer les représentations, notamment pour les filles.

En tant que directrice de la Depp, certaines pistes me semblent très importantes. Nous devons continuer de travailler avec des équipes de recherche pour comprendre les raisons de ces différences de compétences entre filles et garçons en français et en mathématiques, déterminer la façon dont elles se construisent et comment nous pouvons lutter. Les moindres compétences des garçons en français constituent un vrai sujet.

En termes de disparités sociales, les développements quantitatifs de l'enseignement ont permis d'ouvrir l'école à une population plus large, mais l'environnement familial des élèves continue d'avoir une influence sur leur parcours scolaire. Sur ces vingt dernières années, les inégalités d'accès à un diplôme ont continué à se réduire.

Si nous regardons deux panels d'élèves entrés en 6 ème en 1995 et en 2007, nous constatons que les disparités de parcours scolaires et d'accès au diplôme se sont réduites, mais elles restent quand même prononcées. Ainsi, parmi les élèves entrés en 6 ème en 2007, 19 % des enfants de parents ouvriers non qualifiés n'ont pas obtenu de diplôme du secondaire contre seulement 4 % des enfants de cadres, professions libérales et chefs d'entreprise. Cependant, ces écarts se sont réduits, puisque parmi les élèves entrés en 6 ème en 1995, la proportion d'enfants d'ouvriers non qualifiés sortis sans diplôme atteignait 33 % contre 8 % parmi les enfants de cadres, soit 25 points d'écart, contre 15 en 2007. De même, la proportion de bacheliers généraux et technologiques est restée stable pour les enfants d'enseignants, à hauteur de 87 %, et a augmenté pour les enfants d'ouvriers non qualifiés, passant de 28 % à 35 %.

Les inégalités sociales d'accès au baccalauréat se sont contractées. Néanmoins, elles restent très prégnantes, puisqu'un enfant de cadres a 11 fois moins de risque de sortir sans diplôme qu'un enfant d'inactif. De plus, les diplômes obtenus sont très différenciés socialement : lorsqu'ils quittent l'enseignement secondaire diplômés, 86 % des enfants d'enseignants et de cadres disposent d'un baccalauréat général et technologique contre seulement un tiers des enfants d'ouvriers non qualifiés et moins d'un enfant d'inactifs sur quatre. Les disparités d'accès au diplôme selon l'origine sociale persistent et sont particulièrement fortes dans les plus hauts niveaux de formation : 67 % des enfants de cadres obtiennent un diplôme de l'enseignement supérieur long (au-delà de bac+3) contre seulement 16 % des enfants d'ouvriers.

Au-delà des parcours, nous constatons très tôt des disparités de compétences selon l'origine sociale. Dans toutes les enquêtes de la Depp, nous observons des différences très fortes selon l'origine sociale dès le CP, en particulier sur le lexique et le vocabulaire, mais aussi en fin d'école, à l'entrée en 6 ème ou en fin de collège. Près de 30 % de la variance des scores de compétences est expliquée par l'origine sociale. À l'âge de 15 ans, la France compte parmi les pays européens où les inégalités sociales de résultats scolaires sont les plus fortes. En 2018, dans PISA, les scores des élèves les plus favorisés et les plus défavorisés affichaient un écart de 107 points, comme en Allemagne et en Belgique, mais au-dessus de la moyenne de l'OCDE à 89 points.

Au cours des vingt dernières années, nous avons observé dans PISA une hausse du poids de l'origine sociale sur les résultats scolaires de 2000 à 2009, puis une stabilisation de 2009 à 2018. Dans nos évaluations nationales CEDRE Mathématiques, les écarts selon l'origine sociale ont baissé entre 2014 et 2019, en lien avec une plus forte baisse des performances dans les milieux socialement favorisés.

De plus, dans notre système éducatif, les écarts initiaux de compétences selon l'origine sociale sont renforcés par des progressions inégales selon l'origine sociale, même à compétences initiales équivalentes. Les inégalités se renforcent particulièrement sur les compétences très scolaires (mathématiques, lexique). Enfin, les processus d'orientation restent très marqués par l'origine sociale. A notes équivalentes au brevet, les élèves ne font pas les mêmes choix d'orientation selon leur origine sociale. Les stratégies des familles les plus favorisées jouent un rôle très important.

Ainsi, les différences de parcours s'expliquent par des différences de compétences elles-mêmes très marquées par l'origine sociale, mais aussi, à compétences équivalentes, par des différences de choix selon l'origine sociale. Thierry Rocher et Noémie Le Donné avaient montré dans PISA que les aspirations professionnelles sont très différentes selon l'origine sociale. Or ces aspirations guident le jeune vers un parcours scolaire plus ambitieux.

Enfin, ces inégalités se poursuivent sur le marché de l'emploi, comme le montrent les profils d'élèves dans l'apprentissage. Les garçons et les enfants d'artisans, de commerçants ou de chefs d'entreprise obtiennent plus facilement ces contrats d'apprentissage que les enfants d'immigrés. De plus, l'insertion professionnelle des jeunes est moindre quand le représentant légal est sans activité. Même à diplôme équivalent, l'insertion diffère selon l'origine sociale des jeunes.

Des pistes d'action pour lutter contre ces déterminismes peuvent être tirées de la recherche et des expérimentations. Ces inégalités commençant très tôt, un travail doit être mené avant même l'entrée à l'école, dès la petite enfance. Il faut aussi accompagner très tôt à l'école les enfants issus de milieux défavorisés via la scolarisation obligatoire à trois ans, l'encadrement renforcé en éducation prioritaire, les devoirs faits, l'aide personnalisée. Il convient de travailler pour développer les compétences socio-comportementales qui soutiennent les parcours scolaires des élèves, en particulier la confiance en soi, l'estime de soi, notamment l'expérience Energie Jeunes qui se poursuit actuellement au sein du rectorat de Versailles ou le Laboratoire de persévérance scolaire à Besançon.

Il faut développer les initiatives autour de l'égalité des chances et l'orientation, comme les cordées ou les internats de la réussite, améliorer la mixité dans les établissements scolaires. La Depp suit un certain nombre d'expérimentations. Ces démarches se heurtent cependant à une difficulté liée au fait que la ségrégation scolaire s'explique en grande partie par la ségrégation résidentielle, qui renvoie à une politique du logement. Enfin, quand les établissements scolaires concentrent les difficultés sociales ou scolaires, il faut accompagner davantage avec les contrats locaux d'accompagnement, les territoires éducatifs, ruraux. Sur le marché d'emploi, il convient d'améliorer les représentations en développant par exemple le mentorat.

Enfin, d'autres pistes peuvent être explorées au niveau de la Depp. La mesure des inégalités doit être plus affinée. Le prochain panel de la Depp démarrera plus tôt, dès la maternelle, pour comprendre ce qui se passe à la 1 ère rentrée à l'école et la façon dont les parcours se construisent. Nous travaillons aussi avec des équipes de recherche pour évaluer les expérimentations. Enfin, le travail du Conseil d'orientation de l'école créé par la loi pour l'école de la confiance qui, dans le cadre de l'évaluation des établissements, traite d'un volet sur la lutte contre les disparités doit se poursuivre.

S'agissant enfin des disparités territoriales, notre publication « Géographie de l'Ecole » fait apparaître des disparités importantes en termes d'environnement économique, social et familial des élèves, mais aussi en termes de résultats et de parcours. Si ces inégalités territoriales de résultats scolaires reflètent en partie les inégalités sociales, qui sont assez marquées dans nos territoires, elles ne sont pas réductibles à la dominante rurale ou urbaine des territoires, ni à la composante socio-économique des familles.

La France fait globalement mieux que la moyenne européenne en termes de sortie des jeunes sans diplôme. Néanmoins, nous observons des différences très fortes sur le territoire. En 2017, la proportion de jeunes qui sortent du système éducatif sans diplôme est très faible à Paris (3,4 %) à Rennes (6,2 %) et sur la façade ouest (moins de 9 %). En revanche, nous relevons des niveaux élevés à Amiens, Lille, en Corse et dans les DROM, avec une part supérieure à 11 %. L'espérance d'obtenir le baccalauréat pour un élève de sixième sous statut scolaire s'étend de 55,6 % en Guyane à 84,5 % à Paris.

Lors des journées défense et citoyenneté, nous constatons une proportion beaucoup plus élevée dans les départements du nord et autour de l'Ile-de-France de jeunes en difficulté de lecture, notamment 17,9 % dans l'Aisne, 15,9 % dans la Somme et 15,2 % dans l'Oise. Outre-mer, les pourcentages sont nettement plus élevés : autour de 30 % pour la Guadeloupe, la Martinique et La Réunion, 55 % en Guyane et 73 % à Mayotte. Nous observons aussi ces fortes différences à l'entrée en 6 ème dans les évaluations nationales que nous conduisons. Les difficultés sont plus prononcées pour les élèves dans le nord et les DROM.

Nous avons mis en place une typologie des territoires qui permet de bien distinguer neuf types de territoires urbains ou ruraux. Nous constatons que les élèves du rural ont des résultats légèrement meilleurs que les autres en fin de collège. Ils n'ont pas une probabilité supérieure de sortir sans diplôme. En revanche, leurs orientations après la 3 ème se font plus souvent vers l'enseignement professionnel. Les difficultés se concentrent dans les « petites villes » dans lesquelles se combinent des difficultés sociales et scolaires.

Au-delà des politiques (éducation prioritaire, contrats locaux d'accompagnement, territoires éducatifs ruraux), il convient de poursuivre les mesures des inégalités territoriales. A la Depp, l'année 2021 sera une année consacrée aux territoires. Nous publierons une nouvelle édition de « Géographie de l'école » et un numéro entier de notre revue « Education et formations » sera dédié à ce sujet. Nous décrirons sur l'ensemble des territoires les moyens, l'offre de formation, mais aussi les résultats et les parcours. Il faut absolument approfondir les études des chercheurs.

En conclusion, nous observons des disparités scolaires en France. Si elles se sont réduites, elles restent prononcées. Elles existent avant l'entrée à l'école et en parallèle de l'école. A ce titre, elles sont transverses à plusieurs ministères.

M. Éric Charbonnier, analyste à la direction de l'éducation et des compétences de l'OCDE. - J'aimerais, en préambule, situer la France en termes de performances éducatives. Les études PISA nous offrent désormais un recul de vingt ans qui nous permet d'appréhender les progrès ou les régressions, mais aussi l'efficacité de certaines politiques éducatives mises en place dans l'ensemble des pays de l'OCDE.

Contrairement à ce que nous pouvons entendre, le système français se situe au niveau de la moyenne des pays de l'OCDE dans les enquêtes PISA. La situation n'est donc pas si catastrophique, mais elle n'est pas au niveau de nos attentes ni de nos investissements dans notre système d'éducation. La France reste donc dans la moyenne, avec une élite forte et 20 % d'élèves en difficultés scolaires.

Cependant, quand nous approfondissons ces chiffres, nous constatons des inégalités scolaires très importantes. Elles l'étaient déjà dans la 1 ère étude PISA. Malgré tout, si les inégalités scolaires françaises figurent parmi les plus élevées d'Europe avec la Belgique et l'Allemagne, elles n'augmentent plus depuis 2009, alors que nous avions constaté, tous les trois ans entre 2000 et 2009, une aggravation de ces inégalités. Nous ne pouvons pas nous satisfaire de cette stabilisation. Pour autant, elle nous incite à réfléchir à l'efficacité des politiques éducatives qui s'inscrivent dans la continuité depuis 2008 avec la lutte contre l'échec scolaire, l'amélioration la qualité des filières professionnelles, l'investissement dans les premiers niveaux d'éducation, etc. Ces leviers sont importants pour assurer qualité et équité sociale.

Sur les premiers niveaux d'éducation, les évaluations effectuées au primaire, qu'il s'agisse des études internationales TIMSS ou des études sur la lecture PIRLS, positionnent assez mal les élèves de CM1. La France arrive ainsi en queue de peloton des pays européens sur les performances mathématiques. En lecture, ses résultats sont légèrement meilleurs, mais ils restent aussi sous la moyenne des pays européens. Or ces résultats sont expliqués en partie par de très fortes inégalités entre les enfants favorisés et défavorisés. Il faut sans doute mener une réflexion sur l'investissement dans les premiers niveaux d'éducation, choix politique opéré depuis 2012, avec la priorité donnée au primaire, le dédoublement des classes, la réduction des effectifs dans les classes prioritaires en dernière année de maternelle. Ces mesures semblent importantes. Toute la littérature internationale montre en effet que les inégalités s'enracinent dans les premiers niveaux d'éducation. Il faut donc retenir qu'une politique de lutte contre les inégalités scolaires est une politique inclusive qui comprend des mesures sur tous les niveaux d'éducation et une politique de lutte contre les inégalités globales, car l'éducation ne peut pas résoudre seule l'ensemble des problèmes de la société.

Les inégalités scolaires ne constituent pas une fatalité. Il est important de ne pas baisser les bras dans cette lutte. L'étude PISA montre qu'un ensemble grandissant de pays assure à la fois la qualité éducative, avec des performances au-dessus de la moyenne des pays de l'OCDE, et l'équité scolaire, les enfants de milieux défavorisés ayant un handicap moins grand qu'en France, en Allemagne ou en Belgique. Ces pays sont situés dans des zones géographiques très différentes : Finlande, Suède, Estonie, Australie, Canada, Japon, Corée, Portugal et Pologne. Il n'existe pas un modèle unique. Néanmoins, ces modèles présentent des points communs.

Au niveau de l'OCDE, nous avons mené des recherches pour voir comment des pays avec des organisations scolaires très différentes assuraient performance et équité sociale. Nous avons ainsi pu identifier un certain nombre de leviers.

La lutte contre les inégalités doit commencer dès le plus jeune âge par un investissement dans les maternelles, les écoles élémentaires. La France, dans sa structure de financement des établissements, a sous-investi pendant longtemps dans les premiers niveaux d'éducation. Encore aujourd'hui, la dépense par élève dans l'enseignement élémentaire est 8 % inférieure à la moyenne des pays de l'OCDE quand la dépense par élève au niveau du lycée est 35 % supérieure à cette moyenne. Il faut investir davantage dans ces niveaux d'éducation.

La lutte contre les inégalités commence même avant l'entrée en école maternelle. Dans les pays qui réussissent plutôt bien, le ministère de l'éducation nationale est responsable de l'éducation des enfants dès l'âge d'un an jusqu'à la sortie du système. Dans les crèches, des objectifs pédagogiques sont d'ores et déjà fixés, notamment sur les compétences socio-émotionnelles, l'entrée dans les apprentissages à travers l'écoute de sons. Il serait important de coordonner les actions menées dans les crèches et les écoles maternelles pour lutter contre les inégalités et permettre des transitions plus faciles pour les enfants. Pour les jeunes enfants, cette transition est parfois très anxiogène et peut poser problème dans le développement de ces compétences et de la confiance en soi indispensable à la réussite éducative.

La formation constitue également un levier fondamental, qu'il s'agisse des enseignants, des chefs d'établissement ou des agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles (Atsem) qui aident les enseignants. Nous ne pouvons pas disposer d'un bon système éducatif si nos personnels sont mal formés, s'ils n'ont pas accès à une formation continue de qualité, s'il n'existe pas un esprit de coopération dans les établissements. Dans les études internationales PISA et TALIS sur les enseignants, la France ne se situe pas très bien. Elle fait partie des pays où les enseignants sont les moins bien préparés sur le volet pédagogique du métier, où la coopération entre enseignants est la moins développée. Les enseignants vont rarement observer la classe de leurs collègues. La coopération entre le chef d'établissement et les enseignants est elle aussi très limitée sur les aspects pédagogiques. Là encore, la France fait partie des pays où les chefs d'établissement vont rarement observer la classe de leurs enseignants.

Ces aspects participent des inégalités. Bien souvent, quand un élève éprouve des difficultés, aucune réflexion collective n'est menée pour l'aider à rattraper son retard, aucune mesure n'est mise en place. En Finlande, la coopération entre enseignants est assez informelle, mais nourrie. Un élève en difficulté bénéficie d'une aide personnalisée. Il peut parfois changer d'enseignant pour écouter un autre discours. Différentes mesures sont prises, avec un effet positif sur les inégalités.

L'investissement dans les établissements défavorisés (REP, REP+, zones sensibles) constitue un autre levier. Sur le sujet, nous ne pouvons pas dire que la France est inactive. L'investissement est fort depuis longtemps. Il a même augmenté dans les premiers niveaux d'éducation depuis 2012. Malgré tout, nous peinons toujours à attirer des personnels expérimentés dans ces établissements. Le turn-over est beaucoup plus grand. Dans notre dernière étude TALIS, nous constatons que dans les établissements défavorisés, 21 % des enseignants avaient moins de 5 ans d'expérience, contre 12 % dans les autres établissements. En outre, les enseignants restaient en moyenne 8 ans dans les établissements défavorisés, contre plus de 10 ans dans les autres. Ces statistiques montrent qu'un levier d'action indispensable consiste à créer des incitations et faire en sorte que ces établissements accueillent plus d'enseignants expérimentés et préparés à travailler avec des classes défavorisées. De ce point de vue, je pense que le Grenelle de l'éducation pourrait proposer des évolutions. Il sera intéressant de voir les mesures pour la carrière de ceux qui auront travaillé dans les zones défavorisées. Au Royaume-Uni, en Estonie, en Corée, au Canada ou à Singapour, tous les enseignants qui travaillent dans ces zones bénéficient de récompenses financières, d'avancées de carrière, des incitations qui apparaissent efficaces.

Le dernier aspect réside dans la qualité des filières professionnelles. Souvent, les enfants d'ouvriers ou de familles défavorisées se retrouvent plus facilement en difficulté. Or ces difficultés scolaires incitent à les orienter vers les filières professionnelles. Alors que nous avons besoin aujourd'hui encore plus qu'hier de techniciens compétents, nous observons que les jeunes n'intègrent pas ces filières par vocation, mais par échec scolaire et sont très souvent issus de milieux modestes. Toutes les réformes qui participent à rehausser la qualité, valoriser ces filières sont importantes. Chez nos voisins, en Allemagne, aux Pays-Bas, en Suisse, au Luxembourg ou en Autriche, ces filières facilitent l'insertion des jeunes sur le marché du travail.

Il ne faut pas tomber dans cette fatalité. Des exemples de pays montrent qu'il est possible, avec des politiques ciblées sur quelques leviers, d'améliorer la qualité du système scolaire et de le rendre plus équitable. Il faut aussi avoir en tête qu'en France les inégalités scolaires ont peut-être des conséquences encore plus importantes que dans d'autres pays, car elles conduisent à l'échec scolaire, à des sorties sans qualifications. Même si moins de jeunes sortent sans diplôme en France qu'ailleurs, les conséquences sur le marché de l'emploi sont plus fortes. Chez les jeunes sans qualification, le taux de chômage atteint 25 %. Le baccalauréat ou un diplôme universitaire protège davantage, puisque le taux de chômage est inférieur à 6 % pour les diplômés de l'enseignement supérieur. La lutte contre les inégalités scolaires poursuit aussi l'objectif de limiter les sorties sans diplôme et d'offrir plus d'opportunités professionnelles.

Mme Monique Lubin , rapporteure. - Merci pour ces présentations extrêmement riches, qui me confortent dans l'idée qu'il fallait que nous démarrions cette mission par un état des lieux des inégalités, des manques, mais aussi des aspects positifs. L'inégalité sociale trouve sa source dans la prime jeunesse, dès après la naissance. Ce constat n'est pas rassurant, mais il positionne bien les travaux que nous devons mener.

Vous avez indiqué que le poids de l'origine sociale dans les inégalités avait fortement augmenté avant de se stabiliser. La situation s'est-elle améliorée partout de la même façon ? Existe-t-il des divergences entre les zones urbaines et les zones rurales, voire au sein même des zones urbaines entre les quartiers sensibles et les autres ?

Mme Fabienne Rosenwald. - Pour la mesure des compétences, nous étions un peu sous-outillés en France. Nous ne disposons que depuis vingt ans d'évaluations standardisées au niveau international avec l'OCDE et l'Association internationale pour l'évaluation du rendement scolaire (IEA) comme au niveau national. La Depp a développé des évaluations standardisées qui permettent des comparaisons dans le temps.

Dans la première partie des années 2000, nous avons observé une augmentation de l'impact de l'origine sociale sur les compétences des jeunes. Depuis, nous notons en revanche une stabilité. Les enquêtes internationales PISA et les enquêtes nationales sont menées sur échantillon et ne permettent pas d'aller à des niveaux fins pour distinguer les territoires urbains/ruraux. Nous allons cependant travailler sur ces sujets.

Nous n'avions pas cette entrée territoriale jusqu'à présent. Nos systèmes d'information n'y étaient pas prêts. Il apparaît cependant très intéressant d'examiner les disparités entre les territoires ou selon les sexes. Certains territoires ont changé en termes de positionnement et il serait pertinent de vérifier si ces changements se retrouvent aussi sur les compétences. Pour l'instant, je ne peux pas répondre à votre question.

Mme Monique Lubin , rapporteure. - Avons-nous déjà un retour sur l'impact des mesures de dédoublement de classes de CP sur les compétences des élèves ?

Mme Fabienne Rosenwald. - Nous avons construit au sein de la Depp une véritable évaluation du dispositif de dédoublement dès la rentrée 2017. Cette évaluation se déroulera cependant sur un temps long, puisque nous allons suivre une cohorte.

Les premiers résultats que nous avons publiés ont fait apparaître un effet positif. Cependant, nous nous situions dans la fourchette basse de ce que nous pouvions obtenir dans d'autres études internationales. Ces études étaient réalisées sur échantillon et jamais sur une base exhaustive. Or cette technique présente un certain nombre de biais tenant au volontariat des écoles, à l'accompagnement. De fait, sur échantillon, l'effet apparaît toujours plus fort que dans des évaluations à grande échelle. Par ailleurs, si l'effet restait faible, il était quand même plus élevé que d'autres effets de politiques menées à grande échelle. Nous devions évaluer les élèves en mai 2020. Les écoles étant fermées, nous avons décalé d'un an.

Par ailleurs, nous avons mis en place en début de CP, en milieu de CP et au début de CE1 des évaluations exhaustives, ce qui nous permet d'apprécier la situation sur l'ensemble des élèves. Nous constatons qu'entre le début et le milieu du CP, les écarts entre les résultats des élèves de l'éducation prioritaire et hors éducation prioritaire se réduisent, ce qui constitue un point très positif. Les élèves arrivent en CP avec des écarts très importants selon leur secteur d'origine : de l'ordre de 40 points en vocabulaire entre des élèves qui entrent en REP+ et des élèves qui entrent dans le public hors éducation prioritaire. Nous observons le même résultat à l'entrée en CE1 entre 2018 et 2019. Durant la période, les classes de CP en REP ont aussi été dédoublées.

Nous allons suivre ce point pour identifier les élèves qui ont le plus bénéficié de cette réduction, ainsi que la dispersion.

Mme Monique Lubin , rapporteure. - Nous pouvons considérer qu'il est nécessaire de dédoubler des classes de CP dans des zones peuplées. A l'inverse, dans les départements très ruraux où les classes sont peut-être moins peuplées, nous pouvons penser que l'enseignement sera meilleur. Les enfants étant moins nombreux, l'enseignant pourrait leur consacrer plus de temps. Avez-vous effectué des comparaisons de ce type ? Dans des zones rurales avec des classes à faible effectif, est-il démontré que les résultats sont plus probants ?

Mme Fabienne Rosenwald. - Nous essayons de progresser dans l'analyse grâce à ces évaluations exhaustives. L'exercice se révèle cependant compliqué, car il peut exister des classes multi-niveaux dans les zones rurales. La prochaine édition de la revue « Education et formations » comportera un article sur le sujet. Une chargée d'étude de la Depp a étudié, selon le territoire, le profil à l'entrée en CP et l'évolution.

Mme Monique Lubin , rapporteure. - Avez-vous observé des différences entre les zones passées à 4,5 jours et celles qui sont restées à 4 jours ?

Fabienne Rosenwald . - A un moment donné, tous les établissements avaient basculé à 4 jours. Pour effectuer une évaluation correcte, il faut un groupe de comparaison. Or nous n'en avons pas en l'occurrence. En outre, il existe une forte variabilité des pratiques au sein même des écoles.

Les évaluations exhaustives montrent par ailleurs qu'entre mi-CP et CE1, nous ne récupérons pas tous le bénéfice de la réduction des écarts observée entre le début et le milieu du CP. Nous pensons que les vacances scolaires pourraient avoir un impact très différent selon le profil social de l'élève. Cette année, nous suivons un panel d'élèves que nous évaluerons en fin de CP et en début de CE1 pour répondre à cette question de l'impact des vacances scolaires sur les résultats des élèves selon leur profil social ou leur sexe. Il peut en ressortir des pistes pour lutter contre les inégalités sociales.

M. Éric Charbonnier. - Cette culture de l'évaluation des réformes qui se met en place est une excellente chose. Elle permet de réaliser des points d'étape et d'identifier ce qui fonctionne ou non. Sur les rythmes scolaires, il aurait en effet été intéressant de pouvoir comparer des semaines à 4 et 4,5 jours.

Souvent, l'efficacité d'une réforme vient de l'aspect qualitatif plus que de l'aspect quantitatif. La réduction de la taille des classes peut se révéler efficace dès lors que ces groupes réduits sont utilisés pour mettre en place une pédagogie de qualité. Il faudrait vérifier, dans ces écoles dédoublées qui ont mieux réussi, si les enseignants ont utilisé des méthodes innovantes.

Les performances en lecture et en mathématiques de nos élèves en CM1 sont assez mauvaises. Pourtant, nous sommes l'un des pays où les élèves passent le plus de temps scolaire dans l'élémentaire sur les mathématiques et la compréhension de l'écrit. Si nous restions sur une analyse quantitative, nous devrions figurer parmi les meilleurs pays européens en CM1. Or ce n'est pas le cas. Quand nous évaluons une réforme, il importe d'évaluer tous les aspects qualitatifs pour pouvoir en juger l'efficacité.

M. Fabienne Rosenwald. - Dans l'évaluation que nous avons mise en place sur le dédoublement des classes, nous avons également prévu des questionnements auprès des enseignants et des directeurs d'écoles sur leurs pratiques. Des premières publications sont déjà parues.

M. Laurent Somon . - Merci pour cette présentation très dense. La politique d'évaluation est absolument indispensable sur les pratiques mises en place dans le cadre des réformes. Il importe en effet d'identifier quelles sont les bonnes pratiques et comment les diffuser.

Vous avez évoqué l'impact des origines sociales des élèves et l'impact territorial, mais vous n'avez pas mentionné l'effet positif de la mixité sociale. Avez-vous réalisé des études qui ont pu montrer une amélioration des résultats grâce à cette mixité apportée dans le cadre de restructurations de cartes scolaires ?

Par ailleurs, vous avez indiqué que les résultats en milieu rural étaient globalement meilleurs qu'en milieu urbain, mais que l'insertion professionnelle n'était pas améliorée pour autant. Vous n'avez pas précisé les causes. Je vois deux facteurs : le problème de mobilité dans ces territoires, ainsi que la proximité et l'offre des établissements.

Mme Fabienne Rosenwald. - La Depp avait aidé à mettre en place des expérimentations de mixité sociale. L'exercice se révèle assez compliqué. En France, la ségrégation scolaire est en très grande partie due à la ségrégation résidentielle. Dans certains endroits, les collèges comprennent un très fort pourcentage d'élèves issus de milieux défavorisés, mais il en est de même pour tous les collègues autour. La politique du logement peut entraîner une concentration.

Nous avions repéré des collèges assez proches où nous pouvions mettre en place des expérimentations avec des mobilités. Des équipes de chercheurs travaillent sur le sujet. Il s'agit d'une démarche de long terme, car il importe d'évaluer l'effet sur plusieurs années. Les premiers résultats sont parus sur Paris. Ils montrent que globalement, l'expérience fonctionne en termes de profil social des collèges : la mixité s'améliore.

Sur la mesure des compétences, les chercheurs évaluent à la fois les compétences cognitives et les compétences socio-comportementales, les réseaux d'amis, des sujets sur lesquels la mixité peut apporter énormément. Nous avons commencé à suivre cette cohorte, mais nous avons perdu un an, les évaluations étant prévues en mai 2020.

Nous pourrons appréhender les effets en termes de composition des collèges, mais aussi les effets sur les résultats des élèves. Il est important d'apprécier la façon dont les élèves vont se donner plus d'ambition. Même à compétences équivalentes, les élèves ne se projettent pas de la même façon selon leur origine sociale. Nous avons des marges de manoeuvre en la matière. Nous n'avons pas observé de fuite vers le privé. Ces expérimentations relèvent d'une construction des rectorats avec les collectivités territoriales et le secteur privé. Il faut accompagner les familles et les établissements.

Sur l'orientation professionnelle, les élèves des zones rurales ou des lycées agricoles s'orientent plus facilement vers le professionnel que vers le général. Nous pouvons nous demander si cette orientation est choisie ou subie. Ces élèves souhaitent-ils rester vivre sur leur territoire ? Est-ce parce qu'ils ne s'imaginent pas bouger ? Nous avons construit un indice d'éloignement des collèges qui mesure, pour un collège donné, le fait que des élèves viennent de zones éloignées, mais aussi le fait que le collège lui-même est éloigné d'une certaine offre scolaire, d'équipements sportifs, de bibliothèques, de théâtres, etc. Nous constatons que les collèges les plus éloignés affichent des résultats scolaires plutôt bons, mais nous retrouvons cette orientation vers le professionnel. Ce constat renvoie vers un travail d'accompagnement sur l'orientation, les cordées de la réussite ou les contrats locaux d'accompagnement. Il faut donner de l'ambition à ces jeunes pour qu'ils se projettent ailleurs, accompagner leur mobilité, etc.

M. Éric Charbonnier. - Le lien entre les familles et l'école se révèle très important. La réussite d'une politique de lutte contre les inégalités scolaires nécessite de créer un lien fort entre les familles défavorisées et les écoles. Nous avons des exemples aux Pays-Bas, en Irlande ou au Royaume-Uni de politiques très fortes pour permettre aux familles défavorisées d'être informées de toutes les possibilités qui peuvent s'offrir à elles. Souvent, ces familles n'ont pas le même niveau d'information que les autres.

Au début des années 2000, la Suède, l'un des pays les plus égalitaires de l'OCDE, a décidé de libéraliser le choix des écoles. Or en dix ans, nous avons constaté une aggravation des inégalités scolaires, avec une surreprésentation des élèves favorisés dans certaines écoles et des élèves défavorisés dans d'autres. Ce n'est pas la seule explication de la chute des performances, mais cet aspect reste très important. Il faut partir du principe que les familles favorisées seront toujours mieux informées que les autres, aussi bien sur le choix des écoles que le choix des options, des filières qui réussissent, etc.

Il est fondamental de développer des politiques dans les quartiers difficiles pour instaurer un lien plus fort qu'aujourd'hui, peut-être par l'intermédiaire des acteurs sociaux comme au Portugal.

Mme Michelle Meunier . - Vous évoquiez le repérage de ces inégalités le plus précocement possible. Plus nous accueillons les enfants jeunes, plus nous devons nous adresser aux parents. Quelle place devons-nous faire aux parents dans les lieux d'accueil de la petite enfance et dans les écoles maternelles ? Eux-mêmes ont parfois été en échec. L'école leur rappelle des expériences négatives sur leur estime d'eux-mêmes. Comment les enseignants et les personnels sont-ils formés au cours de leur carrière à cette écoute et cet accompagnement ?

Vous avez parlé de culture de l'évaluation. Ces indicateurs sont-ils déjà évalués ? Avez-vous des éléments de recherche à nous communiquer sur ces sujets d'éducation précoce, d'accompagnement et de repérage des difficultés ?

M. Éric Charbonnier. - Nous avons beaucoup parlé de l'évaluation des performances des élèves. Cependant, aujourd'hui, dans un grand nombre de pays, la réflexion porte sur le bien-être des élèves et l'acquisition des soft skills. Un système d'éducation doit aider les élèves à être curieux, imaginatifs, à travailler en équipe, à avoir confiance en eux, etc. Ces compétences font partie intégrante des programmes scolaires. En France, nous sommes encore très attachés au programme disciplinaire. En Finlande, en revanche, les programmes éducatifs sont construits autour de ces soft skills et les matières se greffent dessus.

L'évaluation des élèves doit aussi permettre de voir comment l'école les aide à développer leur confiance en eux. Différents éléments de recherche montrent que la motivation, la confiance en soi et dans les autres ont aussi un impact sur la progression dans les apprentissages des fondamentaux. Nos enseignants doivent être formés davantage à ces aspects. D'ailleurs, la mission des enseignants ne cesse d'augmenter, ce qui explique en partie les problèmes d'attractivité que nous retrouvons en France et presque partout en Europe.

Aujourd'hui, on attend beaucoup d'un enseignant : il faut qu'il soit enthousiaste et qu'il réussisse à transmettre le plaisir d'apprendre aux élèves, qu'il crée des contacts avec les familles, qu'il fasse progresser les élèves. La pression sur ce métier est de plus en plus forte. Or l'enseignant seul peut-il régler tous les problèmes qui apparaissent dans sa classe ? Il faudrait davantage de formation et une réflexion sur le temps de travail des enseignants. Nos enseignants ont énormément de travail à la maison et leur temps dans l'établissement peut être plus réduit, surtout au collège et au lycée, ce qui leur laisse moins de temps pour ces rencontres avec les familles.

Le Portugal, pays que nous mettons en avant pour une politique efficace de lutte contre les inégalités scolaires, a activé tous les leviers : un investissement dans les premiers niveaux d'éducation, une révision de la formation des enseignants non seulement sur les aspects pédagogiques, mais aussi sur le dialogue avec les familles et un partenariat avec tous les acteurs sociaux des villes défavorisées. Dans les maternelles et les écoles élémentaires, des éducateurs peuvent assister l'enseignant dans sa classe et contribuer à instaurer un climat d'apprentissage de qualité, à créer du lien entre les familles et l'école. Ces politiques ont permis au Portugal d'engranger une amélioration de sa performance éducative et une réduction des inégalités scolaires.

En France, les enseignants sont très bien préparés sur la connaissance de la matière. Ils le sont moins sur les aspects pédagogiques et la communication. En outre, il faut prendre conscience qu'ils ne peuvent pas réussir dans cette mission seuls. Cette lutte doit être inclusive.

M. Thierry Rocher, adjoint au sous-directeur de l'évaluation au ministère de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports. - Nous investissons beaucoup sur ces compétences socio-comportementales, notamment dans le cadre de nos panels. Ces compétences sont importantes, mais la question se pose de la façon dont elles sont travaillées à l'école, puisqu'elles ne relèvent pas d'une discipline en particulier. Il est surtout intéressant de noter que ces soft skills sont socialement marquées.

En outre, ces compétences, le sentiment d'efficacité, la perception de soi, la motivation se dégradent au cours de la scolarité, notamment en collège, en lien avec l'adolescence. Il faut en tenir compte, car il existe un lien avec les compétences cognitives : l'élève peut soit entrer dans un cercle vertueux, soit voir ses compétences se dégrader dans tous les domaines. Il est important de suivre les élèves pour apprécier la manière dont ils se développent sur ces aspects.

M. Pierre-Antoine Levi . - Merci pour cet état des lieux assez rassurant pour notre pays. La France se situe plutôt bien en matière d'éducation.

Du fait de la crise sanitaire, il était prévu la mise en place en septembre 2020 du programme « devoirs faits » pour permettre un accompagnement personnalisé des collégiens. Ce programme devait être déployé dans l'ensemble des collèges sur la base du volontariat. Avez-vous déjà évalué le nombre de collégiens qui ont pu suivre ce programme ?

Le référentiel d'éducation prioritaire prévoyait aussi un accompagnement des parents. Dans le cadre de la mixité sociale, on forme les enfants, mais aussi les parents aux valeurs de la République. Pour qu'un enfant se sente bien à l'école, il doit se sentir bien chez lui. Il s'agissait d'ouvrir l'école aux parents pour la réussite des parents. Quid de ce programme ? Comment est-il mis en place avec la crise sanitaire ?

Mme Fabienne Rosenwald. - La politique « devoirs faits » était déjà en place. Ces sujets sont très importants dans la lutte contre les inégalités sociales. Ils présentent également un intérêt vis-à-vis des inégalités territoriales. Des collèges ont ainsi mis en place des systèmes pour que des élèves qui ont de grands trajets puissent quand même suivre ce programme « devoirs faits ».

Il serait également intéressant d'étudier les dispositifs mis en place pendant les vacances scolaires, juste avant la rentrée. Le directeur général de l'enseignement scolaire pourra vous répondre sur l'ensemble de ces sujets.

Les enseignants sont particulièrement sensibles à l'accompagnement des familles en éducation prioritaire, car il est beaucoup plus difficile de faire venir les familles. Une expérimentation très intéressante a été menée en Seine-Saint-Denis par une équipe de chercheurs auprès de pères. Il s'agissait de faire venir les pères à l'école et les inciter à lire une histoire le soir à leur garçon pour les pousser vers la lecture et le français. Les résultats étaient plutôt bons.

M. Éric Charbonnier. - Nous avons pu constater qu'en France, les devoirs à la maison étaient plus importants que dans la moyenne des pays de l'OCDE. Or comme les vacances scolaires, les devoirs à la maison accentuent les inégalités. Des mesures comme « devoirs faits » ne peuvent qu'aller dans le bon sens. Une évaluation s'avère cependant nécessaire pour apprécier les bénéfices. Il faut que les élèves les plus en difficulté puissent bénéficier de la mesure et de l'accompagnement d'enseignants qualifiés.

M. Rémi Cardon . - Vous avez observé que les enseignants n'avaient pas la possibilité de résoudre tous les problèmes d'inégalité. Vous n'avez pas parlé des assistantes sociales qui effectuent un travail considérable sur le décrochage, les besoins d'urgence de certains élèves. Peu de postes ont été créés au cours des dernières années. Dans mon département, les assistantes doivent couvrir un grand nombre d'établissements et n'ont qu'une vision très globale de la situation des élèves.

Une réflexion mérite d'être menée sur cette population essentielle. Il existe un problème de valorisation, de reconnaissance. Le ministre de l'éducation nationale en parle rarement alors que les assistantes sociales ont joué un rôle important durant cette crise sanitaire pour éviter que les élèves décrochent, permettre aux familles d'obtenir un ordinateur, etc.

Avez-vous réalisé des études au cours des dernières années sur la dégradation des moyens mobilisés pour ces services importants pour nos établissements ? Dans la Somme, il n'existe que 3 assistantes sociales pour toutes les classes du premier degré et 24 pour une bonne cinquantaine d'établissements secondaires. La crise a creusé encore les inégalités et ce volet devrait être renforcé. Elles répondent souvent par des actions ponctuelles, mais elles assurent aussi un suivi des élèves sur le long terme.

Mme Fabienne Rosenwald. - Le collectif autour de l'éducation est important dans un établissement, et j'y inclue les collectivités territoriales. La Depp publie depuis plusieurs années les indicateurs de valeur ajoutée des lycées pour l'obtention du baccalauréat. Ces indicateurs prennent en compte les difficultés auxquelles sont confrontés les lycées. Nous comparons le taux observé de réussite d'un établissement à la moyenne des établissements qui lui ressemblent en termes de profil social. Dans les établissements où cette valeur ajoutée est positive, nous observons que tous les personnels de l'établissement travaillent ensemble pour accompagner les élèves, avec également l'implication des collectivités et des entreprises.

Nous observons aussi l'importance du collectif en maternelle avec les Atsem. Leur rôle primordial est d'ailleurs mis en avant aujourd'hui pour les valoriser et les accompagner.

M. Éric Charbonnier. - Il apparaît important d'instaurer une vie coopérative à l'intérieur des établissements, ce qui pose aussi la question du bâti scolaire. Nos établissements sont-ils tous équipés pour pouvoir réunir, en dehors de la classe, les enseignants, les assistantes sociales, les infirmières scolaires, etc ? Il existe de nombreuses inégalités dans ce domaine en France. En Allemagne ou en Norvège, des investissements importants ont été réalisés dans le bâti scolaire, ce qui permet de mener un ensemble d'activités en dehors des heures de cours.

Mme Fabienne Rosenwald. - Le ministère réinvestit actuellement sur le bâti scolaire, notamment à la suite de la crise sanitaire, autour du bien-être et de la vie ensemble.

M. Rémi Cardon . - Des rumeurs se sont fait jour sur une volonté de transférer aux départements la compétence sur les infirmières et les assistantes sociales dans le cadre du projet de loi « 4D ». Un tel désengagement de l'éducation nationale ne constituerait-il un mauvais signe pour la coopération ?

Mme Fabienne Rosenwald. - Je ne peux pas répondre à cette question. Sur la mixité, un travail très important doit être mené avec les collectivités. L'école ne peut pas tout faire toute seule. Comme l'élaboration de la carte scolaire, tout ce qui se trouve autour de l'école se construit avec les collectivités. Elles restent un partenaire privilégié.

M. Jean Hingray , président. - Vous avez évoqué le fait que les enfants d'artisans et de commerçants trouvaient plus facilement un apprentissage. Comment l'éducation  nationale peut-elle favoriser l'insertion des enfants dans ces filières qui ont été dévalorisées au cours des dernières années ?

Mme Fabienne Rosenwald. - Pour aider cette orientation professionnelle, il faut fournir des informations aux familles. Très récemment, nous avons développé InserJeunes avec le service statistique de l'emploi afin de fournir, pour chaque lycée professionnel et chaque CFA, le taux d'emploi par spécialité et diplôme, le taux de poursuite d'études, le taux d'interruption en cours de scolarité et le taux de rupture de contrat. Le taux d'emploi ne suffit pas, car certains métiers nécessitent un niveau supérieur. Le jeune doit donc savoir que pour exercer le métier en question, il ne doit pas se contenter d'un CAP, mais qu'il doit passer un Bac pro. Nous communiquerons aussi l'insertion à 6, 12, 18 et 24 mois. Les lycées professionnels et les CFA n'accueillent pas les mêmes profils et le marché de l'emploi peut être différent.

L'accompagnement de l'orientation renvoie au collège. Il est très important de travailler sur les représentations. Il faut que les jeunes sachent que certains métiers sont porteurs et qu'ils ont la possibilité de s'engager dans cette voie. Ce travail d'orientation a été fortement accentué. Il me paraît majeur. Aujourd'hui, à compétences équivalentes, les élèves ne font pas les mêmes choix et je pense que certains se sous-estiment. Il faut les accompagner, surtout s'ils ont une mobilité à faire. Il est compliqué de bouger, notamment pour les jeunes de milieux défavorisés. Les actions menées au sein des établissements, mais aussi les mentorats ou les cordées de la réussite avec des étudiants, contribuent à tout cela, de même que l'information sur les métiers.

M. Éric Charbonnier. - Il existe aussi un enjeu d'élargissement des débouchés des filières professionnelles et de propositions d'évolutions jusqu'au niveau Master. En Allemagne, l'apprentissage et les filières professionnelles ont été fortement développés. Quand l'élève choisit une voie au lycée, il a la possibilité de poursuivre ses études pour sortir avec un Bac+5. Cette démarche est valorisante et crée des vocations.

Aujourd'hui, en France, l'orientation reste très axée sur les notes. Les élèves en échec scolaire se voient proposer la filière professionnelle. Or nous avons besoin de techniciens. Nous connaissons déjà des pénuries dans certains métiers. Il faut développer les poursuites d'études après le bac professionnel avec réussite, offrir des perspectives et les préparer au mieux à ces études.

M. Jean Hingray , président. - Merci d'avoir répondu à toutes nos questions. Je vous donne rendez-vous mercredi prochain à 17 heures pour une table ronde avec des représentants des associations de jeunesse.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat .

Audition de représentants des organisations de jeunesse

(Mercredi 10 mars 2021)

M. Jean Hingray , président . - Nous poursuivons les travaux de notre mission d'information sur la politique en faveur de l'égalité des chances et de l'émancipation de la jeunesse. Après deux auditions consacrées aux études et données disponibles sur le lien entre origine sociale et géographique d'une part, destinée scolaire ou professionnelle d'autre part, nous avons souhaité aujourd'hui entendre des représentants des organisations de jeunesse.

Je voudrais tout d'abord leur préciser que notre mission n'a pas vocation à aborder les questions spécifiques liées à l'impact de la crise sanitaire sur la jeunes, ni la situation des étudiants. Ces sujets font l'objet de travaux distincts au Sénat.

Notre mission porte sur des questions plus structurelles : l'égalité des chances, l'accès à l'autonomie, afin d'offrir à chaque jeune les mêmes opportunités, quelles que soient ses origines sociales ou territoriales.

Nous accueillons ainsi pour le Forum français de la jeunesse, qui regroupe de nombreuses associations, Mme Anaïs Anselme, déléguée générale et M. Charles Viger, membre du bureau ; pour le Comité pour les relations nationales et internationales des associations de jeunesse et d'éducation populaire (Cnajep), Mme Lucille Bertaud, vice-présidente « Politique jeunesse », et M. Paul Mayaux ; pour le Mouvement rural de la jeunesse chrétienne, Mmes Maximilienne Berthelot-Jerez, secrétaire nationale, et Nelly Vallance, présidente ; pour la Jeunesse ouvrière chrétienne, M. Nicolas Bellissimo, président ; enfin M. Bertrand Coly, membre du Conseil économique, social et environnemental (CESE) au titre des organisations de jeunesse, qui a notamment présenté devant le CESE un rapport sur la Place des jeunes dans les territoires ruraux.

M. Charles Viger, membre du bureau du Forum français de la jeunesse . - Le Forum français de la jeunesse est le porte-parole des organisations animées et gérées par des jeunes en France ; notre but est de rassembler des organisations diverses afin de participer à la coconstruction des politiques publiques.

Nous mettrons l'accent sur l'orientation et l'insertion des jeunes. L'orientation des jeunes est une variable clef pour comprendre les situations de précarité : les inégalités se répercutent évidemment sur l'insertion professionnelle, engendrant précarité des jeunes, absence d'égalité des chances, réduction des possibilités d'émancipation. L'orientation, à tous les niveaux - collège, lycée, supérieur - est un facteur de reproduction des inégalités, de classe, de genre, d'origine géographique, etc . L'obtention des diplômes révèle une reproduction forte des inégalités. Ainsi, les classes sociales aisées sont surreprésentées dans les grandes écoles et les territoires ruraux sous-représentés. On comptait moins de 30 % de femmes dans les écoles d'ingénieurs en 2017. Dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) et les territoires ruraux, l'orientation est souvent subie et le décrochage plus important.

Les NEET - Not in Education, Employment, or Training - sont dans la situation la plus précaire. Il y a donc un lien fort entre orientation et précarité.

On identifie aussi d'autres facteurs qui rendent plus difficile l'accès à l'emploi : l'obésité, les noms à la consonance maghrébine, etc. Selon l'Insee, les femmes obèses ont sept points de moins de chances de trouver un emploi que la moyenne. Le Forum français de la Jeunesse préconise la mise en place d'un service public de l'orientation, de l'information et de l'accompagnement, allant du secondaire à l'entrée dans la vie active, mais se prolongeant aussi tout au long de la vie, ou encore l'organisation de la formation en parcours, autour de voies en adéquation avec les aspirations et les capacités des jeunes, avec un accompagnement personnalisé et collectif par les pairs. Le Comité d'orientation des politiques de jeunesse travaille sur des préconisations similaires. La France est l'un des cinq pays d'Europe où le taux de chômage des jeunes est le plus élevé. Les jeunes sont bien une variable d'ajustement : en cas de crise, on cesse d'abord d'employer les jeunes, notamment ceux qui sont en insertion professionnelle. Nous plaidons pour une meilleure rémunération des stages, le CV anonyme, et la mise en place du RSA et de la garantie jeunes pour tous.

Mme Lucille Bertaud, vice-présidente « Politique jeunesse » du Comité pour les relations nationales et internationales des associations de jeunesse et d'éducation populaire (Cnajep) . - Le Cnajep est une coordination de 70 mouvements nationaux de jeunesse et d'éducation populaire. Nous aborderons la question de l'égalité des chances sous l'angle de l'émancipation, chère à nos associations. Des jeunes de Paris, de Haute-Saône ou de Seine-Saint-Denis n'auront pas les mêmes chances dans la vie, en raison de leur origine géographique. Selon l'enquête Provox « Jeunesse, opportunités, territoires », 80 % des jeunes estiment ainsi qu'il y a plus d'opportunités en ville qu'à la campagne. Nous plaidons pour une politique d'émancipation, avec un parcours sécurisé et choisi par chaque jeune, selon quatre axes : la mobilité culturelle et spatiale, l'engagement, l'accès aux loisirs et à la culture.

M. Paul Mayaux (Cnajep) . - J'évoquerai la mobilité culturelle et spatiale. L'accès aux vacances peut être source de mixité, d'émancipation et donc favoriser l'égalité des chances. Cela permet à des jeunes d'apprendre à vivre dans un cadre collectif. La question est de savoir comment faciliter le départ en vacances pour toutes et tous, comment créer des espaces de rencontres entre des jeunes issus de différentes origines sociales. L'Union nationale des centres sportifs de plein air (UCPA) a organisé l'an dernier, en partenariat avec le Crous, une opération « un bus pour un campus » permettant d'organiser le départ en vacances d'étudiantes et d'étudiants en santé, qui avaient participé à l'effort de la crise sanitaire, et d'étudiants issus de milieux défavorisés. Ce type de dispositifs semble intéressant et devrait être développé pour développer la mixité et l'égalité des chances par le partage de valeurs communes.

La question de la mobilité est fondamentale. Il s'agit de faciliter l'accès des personnes issues de milieux ruraux aux milieux urbains. Des dispositifs existent déjà, comme des bourses de mobilité ; on peut aussi développer des universités numériques qui pourraient être installées dans les milieux ruraux.

Le logement est le premier poste de dépenses chez les jeunes et c'est pourtant le premier vecteur d'émancipation et de réussite dans l'enseignement supérieur. Les perspectives de construction sont assez modestes ; on manque de foncier. Le plan de construction de 60 000 logements pour les étudiants et 20 000 pour les jeunes actifs a été un échec, faute de moyens et en raison de la baisse des APL qui solvabilisait les locataires, tout en sécurisant les bailleurs.

Notre sentiment quant aux mesures de décloisonnement est donc plutôt réservé, même si nous nous félicitons du dispositif Visale, de la facilitation de l'accès au parc HLM pour les jeunes, ou des actions en faveur de l'intergénérationnalité dans les associations et les institutions.

Mme Lucille Bertaud. - J'évoquerai la question des loisirs, du sport et de la culture, qui sont aussi un vecteur d'émancipation et de rencontre. Le Cnajep soutient le tissu associatif qui oeuvre en ce sens.

L'engagement est un facteur d'émancipation. Il permet à des jeunes de mieux comprendre l'environnement dans lequel ils vivent, de prendre des responsabilités, de rencontrer d'autres personnes et d'acquérir des savoir-être et des savoir-faire. Nous proposons de développer les parcours d'engagement : le brevet d'aptitude aux fonctions d'animateur (BAFA), les missions du service civique, les responsabilités associatives ou dans les institutions politiques, ce qui pose aussi la question du renouvellement des instances. Pour construire ces parcours collectifs et choisis, il faut travailler avec les organisations et les collectifs de jeunes. Cela pose la question de la gouvernance des politiques de la jeunesse. La région est chef de file, mais son rôle pourrait être approfondi. L'État doit aussi jouer son rôle, tandis que les jeunes sont très peu présents dans les espaces de coconstruction des politiques publiques et leur présence serait, pour nous, un élément majeur, pour élaborer des politiques publiques efficientes. Des dispositifs existent déjà, comme le dialogue structuré porté par le Cnajep qui permet à des jeunes de construire des propositions et de les porter auprès des décideurs politiques.

Mme Nelly Vallance, présidente du Mouvement rural de la jeunesse chrétienne (MRJC). - Le MRJC est une association de jeunesse et d'éducation populaire en milieu rural, qui réunit des jeunes de 13 à 30 ans, pour aider les jeunes à prendre des responsabilités, à s'engager sur les territoires où ils vivent et à s'émanciper pour devenir des citoyens et citoyennes engagés. La jeunesse est plurielle. Nous parlerons au nom de la jeunesse rurale. Les facteurs d'inégalité que nous identifions relèvent de l'accès à des conditions dignes d'existence et des conditions d'engagement des jeunes ruraux.

Mme Maximilienne Berthelot-Jerez, secrétaire nationale du MRJC. - Les difficultés d'insertion professionnelle des jeunes issus des territoires ruraux ne sont pas nouvelles : selon le rapport du CESE, un quart des jeunes ruraux de 18 à 24 ans sont sans emploi ou sans formation. Les possibilités d'étude ou d'emploi sont plus rares dans les zones rurales qu'en zone urbaine, ce qui entraine une besoin de mobilité.

Or les territoires ruraux sont peu desservis en transports publics et il est nécessaire de posséder son propre véhicule, condition souvent indispensable pour obtenir un emploi. Les jeunes peuvent aussi être conduits à quitter leur territoire pour poursuivre leurs études ou trouver un emploi, ce qui pose la problématique de l'accès au logement, des frais de transport, de l'éloignement par rapport à sa famille ou à ses proches. Les politiques d'accès au logement ont le mérite d'exister mais elles peuvent être améliorées.

Mme Nelly Vallance. - Les perspectives d'engagement et de loisirs pour les jeunes sont aussi rares dans les territoires ruraux. Or le développement de la personnalité et la construction de son parcours passe aussi par des espaces de rencontre et d'engagement au quotidien. Nous plaidons pour des propositions de proximité pour chaque jeune, en lien avec les aspirations et les besoins du territoire. Il faut développer les espaces de rencontre où l'on tisse du lien social. Nous insistons sur cette dimension collective, importante pour la construction de soi. Ces propositions sont peu nombreuses en zone rurale et trop peu diversifiées, la labellisation ayant pour effet de réduire la diversité des offres.

Mme Maximilienne Berthelot-Jerez. - Nous avons aussi des propositions pour offrir des conditions de vie dignes quel que soit le lieu où l'on vit. S'agissant de l'accès à l'emploi, nous proposons de développer la garantie jeunes ; le RSA peut être ouvert aux moins de 25 ans comme filet de sécurité mais devrait faciliter l'accès à l'emploi. On peut aussi créer des aides pour faciliter l'accès au permis de conduire ou l'acquisition du premier véhicule. Il faut développer les transports en commun ou partagés dans les territoires. Il est aussi important que les jeunes soient associés aux décisions qui les concernent, à tous les niveaux, et à toutes les politiques qui concernent leur territoire. Nous proposons de soutenir les espaces d'engagement de toutes natures, via des aides financières notamment.

M. Nicolas Bellissimo, président de la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC) . - La Jeunesse ouvrière chrétienne est la première organisation nationale de jeunes issus du milieu ouvrier et des quartiers populaires, elle réunit plusieurs milliers de jeunes, âgés de 13 à 30 ans, sur l'ensemble du territoire français. Depuis 1927, la JOC a construit une expertise sur la vie des jeunes par son contact permanent avec le terrain, sa présence sur l'ensemble du territoire et aussi par des enquêtes réalisées régulièrement auprès de milliers de jeunes, sur différentes thématiques de leur vie. Les inégalités qui touchent les jeunes du milieu ouvrier et des quartiers populaires sont nombreuses. Les jeunes sont tout d'abord les premières victimes du chômage : alors que le taux de chômage moyen en France oscillait entre 7 % et 9 % en 2020, il est supérieur à 20 % chez les 15-24 ans. On reproche souvent aux jeunes leur manque d'expérience lors de l'entrée sur le marché du travail; les jeunes du milieu ouvrier et des quartiers populaires sont encore plus touchés par ces inégalités d'accès à l'emploi, car ils n'ont pas les moyens, bien souvent, de faire des études longues et n'ont pas accès à un réseau susceptible de faciliter leur entrée dans le monde du travail. Ils sont souvent obligés de prendre le premier emploi disponible pour avoir un revenu et subvenir à leurs besoins.

Les jeunes issus des quartiers populaires sont aussi touchés par les inégalités géographiques, notamment en termes de mobilité. De nombreux quartiers ne sont pas ou sont très mal desservis par les transports en commun. Leurs habitants sont isolés, éloignés des centres-villes. Or, le manque d'emplois dans certains endroits condamne les jeunes à devoir bouger, mais tous n'en ont pas les moyens ! Comment postuler pour un stage dans une entreprise si on n'a aucun moyen de s'y rendre et que les transports en commun ne permettent pas d'y accéder : à Angers, par exemple, les jeunes issus de quartiers populaires postulent à des stages dans des entreprises proches des lignes de bus desservant leur quartier.

Ensuite, ces jeunes ont souvent des ressources financières limitées, ce qui constitue un frein pour l'accès à un logement, en raison du prix des loyers : les gratifications de stage, les indemnités de service civique ou la garantie jeunes ne sont pas suffisantes.

Enfin, les jeunes des quartiers populaires sont aussi victimes d'une inégalité d'accès à l'information et au droit ; les jeunes en apprentissage, en particulier, ne connaissent pas toujours leurs droits et beaucoup se font avoir par manque d'informations. L'absence de réseau est là encore préjudiciable. Je dois souligner toutefois qu'un travail a été mené, depuis plusieurs années, sur l'apprentissage et que la filière a été revalorisée.

Pour permettre une réelle émancipation de la jeunesse, il faut prendre en considération les jeunes tels qu'ils sont, les écouter et respecter leurs envies, leur donner les moyens de construire leur vie et leur projet librement, ainsi que les moyens de suivre la voie qu'ils ont choisie. La lutte contre les inégalités d'accès à l'emploi passe par la lutte contre le chômage de masse qui accentue les inégalités dont les jeunes des quartiers populaires sont victimes. Il faut également leur donner les moyens d'être mobiles localement, notamment en facilitant la desserte des quartiers populaires vers les centres-villes par les transports en commun. Enfin, il faut remédier au non-recours, car trop de jeunes ignorent qu'ils ont droit à des aides. Une attribution automatique de celles-ci serait pertinente.

M. Bertrand Coly, membre du Conseil économique, social et environnemental (CESE). - En raison du renouvellement du CESE, il s'agira certainement de l'une de mes dernières prises de parole. Je suis vice-président du CESE et représente les organisations étudiantes et les mouvements de jeunesse. Il serait d'ailleurs intéressant de s'interroger sur l'effet de la présence des organisations de jeunes dans une institution comme le CESE. J'évoquerai la question des jeunes ruraux. J'ai réalisé une étude sur la place des jeunes dans les territoires ruraux. J'ai identifié quatre caractéristiques, qui sont autant de facteurs d'inégalité.

La première caractéristique concerne les parcours scolaires et l'entrée dans la vie active. Les jeunes ruraux ont plutôt de meilleurs résultats jusqu'à la fin du collège, ce qui montre une capacité de rattrapage de l'école dans les territoires ruraux - qui comportent davantage de personnes issues des catégories populaires. Par la suite, les jeunes ruraux s'orientent majoritairement vers les voies professionnelles : plus de 50 % des ruraux font ce choix, contre 40 % des urbains. Leurs choix sont ainsi marqués par des déterminismes sociaux : lorsque l'on est entouré de personnes inscrites dans ces filières courtes, on a tendance à faire des études plus courtes. Cela pose aussi la question de l'accessibilité de l'offre, beaucoup moins diversifiée en zone rurale, sauf à aller dans une grande ville. L'entrée dans la vie active est aussi compliquée : un quart des jeunes des territoires ruraux se retrouve sans emploi et sans formation, du fait notamment de l'éloignement des lieux de formation et d'accompagnement dans ces territoires.

La deuxième dimension concerne l'engagement. Les jeunes ruraux tendent à s'engager davantage que l'ensemble de la jeunesse, pourtant il y a moins de politiques publiques en leur faveur. Il en découle une forte défiance des jeunes des territoires ruraux vis-à-vis de la politique : 92 % des jeunes ruraux n'ont pas confiance dans la politique et le fossé s'aggrave chaque année.

Troisième élément, les inégalités entre les femmes et les hommes sont bien plus marquées que sur l'ensemble du territoire. Il y a un problème d'orientation ; un article du Monde aujourd'hui évoque l'assignation sociale des jeunes dans ces territoires. Les emplois les plus précaires sont occupés par des femmes.

La quatrième caractéristique est la mobilité. Les jeunes sont la population rurale la plus impactée par les questions de mobilité, parce que les espaces dont ils ont besoin, et qui peuvent aller de l'auto-école à un cabinet de gynécologie, sont les plus éloignés des territoires ruraux. Cela a des répercussions très fortes sur l'employabilité : un tiers des jeunes n'a pas pu assister à un entretien lié à l'emploi dans ces territoires faute de mobilité, et les deux tiers disent qu'ils pourraient répondre à plus d'offres s'ils n'avaient pas de problème de mobilité. L'impact s'étend à la question du loisir et de l'accès à la culture, mais aussi de l'accès aux soins. Ce travail, en 2017, a montré que le premier département consommateur d'héroïne était la Meuse !

Vous avez évoqué notre regard sur les politiques menées ces dernières années. Mais lesquelles ? Depuis les années 2000, il n'y a pas eu de politique pour la jeunesse en tant que telle. Un certain nombre de politiques ont été structurées alors autour de la question de l'emploi, des emplois-jeunes, avec des dispositifs comme « Envie d'agir » ou le Conseil national de la jeunesse. Depuis, on a assisté à un enchaînement de mesures, comme le service civique ou des appels à projets, toutes choses qui peuvent être très intéressantes, mais ne sauraient structurer une politique en faveur de la jeunesse. Surtout qu'en même temps, on constatait la suppression de politiques structurantes en direction de la jeunesse : ainsi, de la disparition des directions départementales de la jeunesse et des sports (DDJS), ou de la suppression d'une ligne du ministère de l'agriculture en direction de l'animation rurale, qui a mis à plat un certain nombre de structures sur ces territoires. Du coup, il n'y a parfois plus d'acteurs de l'éducation populaire.

Nous avons cru, en 2017, avec la loi égalité et citoyenneté dans laquelle les organisations de jeunes se sont beaucoup impliquées, dans la reconnaissance d'un chef de filat des politiques de jeunesse confié aux régions. Mais nous avons été déçus, car il n'a pas beaucoup de substance aujourd'hui dans les conseils régionaux.

Le Conseil d'orientation des politiques de jeunesse a fait un très bon travail, sans être assez écouté. Certaines évolutions me paraissent incompréhensibles. Que le tutorat devienne une politique d'État ne lutte pas contre les inégalités. Le risque est plutôt de renforcer le sentiment d'arbitraire : si tu trouves le bon parrain, tu pourras t'en sortir, si tu ne le trouves pas, tant pis pour toi ! L'intitulé de votre commission évoque la résorption de l'inégalité des chances. L'enjeu majeur serait plutôt de les combattre pour faire en sorte qu'elles disparaissent.

La réforme des APL représente plus de 700 millions d'euros d'économies pour le budget de l'État, réalisées principalement sur les jeunes. Cela interroge. Depuis les années 2000, le mouvement de fragilisation et de paupérisation d'une grande part de la jeunesse a été particulièrement sévère, avec la crise de 2008 notamment. Les mineurs isolés sont une vraie problématique : un quart des gens qui se trouvent dans la rue sortent de l'aide sociale à l'enfance... Cela remet en cause notre système social ! Merci au Sénat de prendre cette question à bras le corps, car l'enjeu est fort.

Il faut remettre autour de la table l'ensemble des acteurs pour repenser une politique en faveur de la jeunesse. En 2001, le rapport Charvet pour le Haut-Commissariat au Plan, intitulé « Jeunesse, le devoir d'avenir », venait interroger la place des jeunes dans notre société. Il y a aujourd'hui trois enjeux majeurs et urgents. Comment protéger, d'abord, c'est-à-dire la question des filets de sécurité offerts aux jeunes, illustrée dans cette crise. Comment accompagner, ensuite, dans le logement comme dans les déplacements. Comment favoriser l'émancipation, enfin, en permettant aux jeunes d'accéder à la décision et à la responsabilité, pour participer au devenir de notre société, dont ils se sentent exclus.

La première question renvoie à celle de la précarité et des minima sociaux. On a considéré que le jeune était avant tout un enfant : jusqu'à 25 ans, il était majeur civilement mais mineur socialement. Cette situation n'est plus acceptable, ni pour les jeunes ni pour les familles. La précarité des jeunes risque d'entraîner une précarité des familles elles-mêmes, du fait de la situation sociale et économique. Des propositions sont sur la table, relatives au RSA ou à la volonté du Conseil d'orientation des politiques de jeunesse de faire de la garantie jeune un droit. En tous cas, il y a urgence à avancer.

La deuxième question renvoie aux outils à mobiliser pour favoriser la mobilité, la santé, l'accès à l'éducation. Pour que les jeunes ruraux puissent avoir le choix, et pour réduire les inégalités, il faut que les familles ne se sentent pas dans l'incapacité de faire en sorte que leurs enfants puissent continuer leur parcours scolaire. D'où l'importance des bourses. Les outils d'éducation populaire sont très importants aussi, et ils ont disparu d'un certain nombre de territoires ruraux. Nous devons les revivifier pour faire en sorte que ces espaces intègrent les jeunes à notre société, en leur permettant de se construire.

La dernière question est de savoir comment inclure les jeunes dans la construction des politiques publiques. Cela demande de repenser nos espaces démocratiques, d'y insérer la société civile organisée. C'est le moment. La situation est très critique et l'ensemble de la société s'en rend compte. Le risque serait d'accentuer le fossé entre les jeunes et nos institutions, et que les jeunes se trouvent exclus des outils de la protection sociale qui font la cohésion de notre société. S'ils en sont exclus au moment où ils en ont le plus besoin, ils ne croiront plus, demain, en leur valeur. Ce serait une catastrophe pour la cohésion de l'ensemble de notre société.

La société civile est prête à des évolutions. L'ensemble des composantes du CESE s'est positionné en faveur de l'accès des jeunes aux minima sociaux. Aux politiques, désormais, de s'emparer de cette question, pour promouvoir une vraie considération des jeunes dans la société !

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Vous avez tous parlé de la difficulté des jeunes, notamment en milieu rural, à faire des études et à chercher des emplois, pour des raisons que nous connaissons : manque de transports, de moyens, de réseaux. Considérez-vous que, du coup, ces jeunes ont tellement intégré toutes ces difficultés qu'ils s'interdisent l'accès à ces éléments, en quelque sorte en s'autocensurant, parce qu'ils pensent qu'ils ne viennent pas du bon milieu ? Je suis persuadée que certains jeunes, dans des banlieues difficiles ou en zones rurales, s'interdisent tout simplement d'aller en ville. Ai-je tort ? N'y a-t-il pas, en plus de la barrière géographique, une barrière psychologique et sociologique qui empêche d'accéder aux endroits où l'on peut faire ses études, se cultiver ? Avec tous ces interdits mentaux, ces jeunes n'ont plus aucune mobilité, ni sociale, ni spatiale, ni culturelle.

M. Bertrand Coly . - Les espaces de mixité, d'apprentissage, les espaces d'éducation populaire sont là pour cela ! Ils nous permettent d'aller en vacances, d'aller à la mer pour la première fois, d'aller à la découverte. J'anime un groupe d'enfants dans ma commune, qui est toute petite - 300 habitants. Je les ai emmenés visiter une ferme à côté. La moitié de ces enfants, alors qu'ils habitent le village, n'y avaient jamais été, et n'avaient jamais visité une ferme ! La découverte du monde dans un cadre de mixité sociale est indispensable. C'est en croisant des regards et des parcours de vie différents qu'on peut découvrir, faire des choix... Nous devons développer ces espaces où l'on partage un certain nombre de choses. Si chacun reste chez soi, dans son monde, l'ouverture sera plus difficile. L'école a un rôle à jouer, mais les acteurs associatifs aussi, notamment par les vacances. Le développement de colonies de vacances plus mixtes serait une bonne chose.

Mme Nelly Vallance . - Les barrières psychologiques existent, chez les jeunes ruraux comme dans les quartiers prioritaires. C'est dans la rencontre et dans les espaces de diversité qu'elles sautent. Il est important de venir voir chacun pour lui dire qu'il a sa place dans différents espaces, pour y trouver sa vocation.

L'isolement individuel, ou dans un seul milieu, ne fait que renforcer les barrières. D'où l'importance de la mixité, pour aller au-delà de ces verrous psychologiques. Un territoire géographique ne présente pas qu'une seule carrière, ou qu'un seul espace d'engagement. La diversité des propositions, bien réparties sur l'ensemble des territoires, permet de découvrir que d'autres choses sont possibles chez soi.

Mme Anaïs Anselme, déléguée générale du FFJ . - Ces phénomènes d'autocensure ne s'appliquent pas qu'aux jeunes ruraux ou aux jeunes des QPV. En fait, c'est toute la question des discriminations qui peut être prise sous cet angle. Outre cette autocensure, qui conduit à ne pas aller vers certaines opportunités, il existe aussi des espaces où règnent des préjugés et des discriminations. Ainsi, sur le marché du travail, un nom à consonance maghrébine rend plus difficile de se faire recruter. Il ne faut pas ignorer ces facteurs, qui pèsent sur l'insertion des jeunes. Il faut soutenir ces espaces d'engagement que sont les organisations représentées ce soir, mais aussi, au niveau local, tout le tissu associatif, sans négliger l'école, qui est l'espace où les jeunes sont tous présents et où, via l'orientation, on peut leur faire connaître toutes les opportunités qui s'offrent à eux pour leur vie future. Il y a un vrai besoin d'accompagnement, qui impose de former des conseillers d'orientation : c'est un bon moyen de lutter contre les discriminations que peuvent subir les jeunes.

M. Paul Mayaux . - De nombreux jeunes, dans les milieux ruraux, sont déjà en proie à l'impossibilité de se mouvoir et d'avoir accès à l'information. De ce fait, ils s'interdisent des choses dont ils n'ont même pas connaissance. Puis, une fois l'information acquise, se pose la question du filet de sécurité. Un jeune qui veut faire des études, ou se déplacer, est toujours confronté au poids financier que cela aura sur son foyer fiscal de référence. De là vient une forte part de l'autocensure.

Mme Lucille Bertaud . - On parle toujours de la mobilité dans un seul sens, en évoquant des jeunes ruraux ou des jeunes des quartiers populaires qui doivent aller dans un centre ou une métropole. On ne pense jamais le flux inverse. Souvent, de jeunes urbains souhaitent aller en zone rurale, ou dans des quartiers populaires, pour suivre une formation ou y habiter. Tous les services sont dans les grandes métropoles ou les grandes villes, ce qui pose question sur l'égalité des territoires et la solidarité entre villes et campagnes. On sait qu'un habitant qui habite en zone rurale fait l'objet d'une dépense publique moindre qu'un citadin. Il y aurait donc des choses à retravailler...

M. Laurent Burgoa . - Merci pour ce témoignage. J'ai été pendant treize ans adjoint au maire chargé de la politique de la ville dans une commune de 150 000 habitants comptant sept QPV. Mais, dans cette maison, la ruralité nous est chère ! En ce qui concerne les QPV, nous devrions faire l'autocritique des pouvoirs publics. En voulant trop faire pour ces quartiers, ne les a-t-on pas, implicitement, transformés en ghettos ? Un jeune qui naît dans ces quartiers n'en sort plus ! À Nîmes, il ne dira plus qu'il est nîmois, mais qu'il vient de tel ou tel quartier. Le conseiller départemental que j'ai été pense que ce fut une erreur de mettre les collèges dans ces QPV, car le résultat est que l'adolescent ne connaît en fin de compte que son quartier. Certes, il y a le problème de la mobilité, indéniable.

Il faut être réaliste : en matière de politique de la ville, depuis plusieurs années, l'État et les collectivités territoriales mettent le paquet, notamment à travers des projets de rénovation urbaine lourds, par des financements de projets sociaux, mais aussi par les fonds que l'éducation nationale alloue aux collèges : je me rappelle que les moyens financiers accordés au collège d'un QPV étaient trois fois supérieurs à ceux du collège du quartier le plus épais de ma commune ! Pensez-vous que ces moyens financiers lourds sont bien utilisés et bien ciblés ? Sinon, comment les orienter pour avoir plus de résultats ? Dans ces quartiers, il faut passer d'une politique de moyens à une politique de résultats.

Mme Brigitte Lherbier . - Je me suis fait le même genre de réflexion. J'étais adjointe à la sécurité et à la prévention à la mairie de Tourcoing, qui est située à une vingtaine de minutes de Lille. J'ai rencontré une jeune fille qui me disait ne pas trouver de stage, et me demandait de la prendre avec moi, pour être secrétaire. Elle est donc partie de Tourcoing. Quand elle est arrivée à mon bureau, elle était livide : c'était la première fois qu'elle prenait le tramway, le métro... Nous disposons dans l'agglomération de toutes les mobilités, mais je pense qu'on a habitué ces jeunes à rester dans le lieu où ils grandissent. Sur ce point, l'école pourrait faire beaucoup, en faisant davantage se déplacer ces jeunes, en proposant des vacances à l'extérieur, des séjours à l'étranger.

Quand on est confronté à un problème, on trouve des solutions, on cherche... La vie n'est faite que de rencontres, et d'évolutions. Vous avez évoqué le respect des envies des jeunes. Nous devons adapter ce qu'on propose aux envies. Pendant le confinement, on s'est rendu compte que, pour les jeunes des villes, le bonheur ne passait pas obligatoirement par des pratiques urbaines. Une grande part de la population française a pris conscience que la nature, la campagne, c'était un plus, un but de vie ! Pourquoi vouloir à toute fin une vie urbaine ? La jeune fille que j'évoquais n'avait pas profité de la ville, et même la vie urbaine la handicapait. Ne pensez-vous pas, aussi, que le service militaire, combattu par les jeunes de l'époque, avait l'avantage de donner une occasion de voir ce qui se passait ailleurs ?

Mme Sophie Taillé-Polian . - Le mot d'engagement est beaucoup revenu dans vos propos. Vous avez évoqué différents dispositifs, notamment le service civique. À l'origine, il était pensé comme un engagement volontaire au service de projets collectifs. Depuis la crise sanitaire, on a le sentiment qu'il est utilisé, à la fois par les associations et les services publics, d'une autre manière. Comment les jeunes le perçoivent-ils aujourd'hui ? Loin de sa vocation émancipatrice, n'est-il pas perçu comme une sorte de sous-travail, d'étape préalable au travail, avec moins de droits ?

M. Laurent Somon . - Dans vos propos, on n'a rien entendu sur l'institution scolaire et sur son rôle non seulement de formation, mais aussi d'information. Vous avez évoqué le besoin de mixité. Concernant les quartiers prioritaires, nous avons, hélas, une tendance à segmenter, alors que nous savons bien que la mixité amène l'unité.

Le premier lieu de mixité, c'était l'école. Comment fait-on pour retrouver ce creuset de la mixité ? On a parlé du service militaire d'hier, du service civique... L'idée, avec le service civique, c'est de rassembler les jeunes en un lieu hors de leur appartement et de leur faire connaître autre chose.

Les milieux ruraux et urbains ont des résultats scolaires globalement équivalents, mais il y a une rupture au niveau de l'orientation : les jeunes ruraux ne poursuivent pas des études supérieures. Nos politiques publiques à destination de la jeunesse manquent de cohérence pour les accompagner. On a supprimé les petites lignes de chemin de fer, ce qui complique l'accessibilité pour les formations, souvent choisies par défaut aujourd'hui. À cela s'ajoute également la problématique du logement.

Mme Michelle Meunier . - On compte sur vous pour nous donner de l'énergie, du dynamisme et de l'utopie sur cette thématique de l'égalité des chances. Vos propos sont, d'une manière générale, assez « plombants », avec notamment le poids des origines et des déterminismes, la dimension d'autocensure... Les jeunes ne s'autoriseraient pas l'engagement. Pour s'en sortir en 2021, les jeunes s'en remettent-ils à leur famille et à leurs réseaux ? Ou ont-ils encore recours au groupe, au collectif ?

M. Charles Viger . - La réunion de nos organisations autour de cette table est un bon exemple d'esprit de groupe. Le FFJ, tout comme le Cnajep, sont des regroupements d'associations de jeunes. Cet esprit de groupe, on le retrouve, par exemple, dans la création d'un parti politique organisé autour des jeunes : Allons Enfants.

Nous portons également la voix des jeunes au Sénat, dans les conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux (Ceser), au Conseil économique, social et environnemental (CESE), dans les différentes instances des villes. Plus nous sommes écoutés par les pouvoirs publics, plus cet esprit de groupe se développe.

Mme Anaïs Anselme . - Le tissu associatif a besoin de soutien pour exister. Si on veut de l'utopie et des jeunes qui s'engagent, il faut aussi donner des moyens à nos organisations. Au FFJ, nous constatons des moyens en baisse. Les financements pluriannuels, qui permettraient de structurer ces mouvements, sont quasiment inexistants pour les organisations de jeunes.

M. Charles Viger . - Je souhaite donner un chiffre concernant les quartiers prioritaires : selon une enquête réalisée en 2019 par l'Institut national de la jeunesse et de l'éducation populaire (Injep), le taux de chômage des jeunes y est deux fois et demie plus important que dans les quartiers d'unité urbaine « englobante ». Des politiques sont menées, mais cet argent n'est pas bien dépensé. Il faudrait réfléchir aux canaux qui permettraient à cet argent d'arriver dans les quartiers.

Dans ces quartiers pourtant proches des villes, 22 % seulement des jeunes ont un certificat d'aptitude professionnelle (CAP). On en revient au problème de l'orientation et au défaut d'informations.

Sur le service civique, il convient de faire attention. Au FFJ, nous demandons régulièrement l'augmentation du nombre de places, sachant que le service civique ne doit pas non plus constituer un dispositif d'emploi ; ce n'est pas sa vocation, il n'apporte pas les mêmes garanties qu'un emploi.

Mme Anaïs Anselme . - En ce moment, nous sommes en alerte sur la manière dont on communique autour du service civique. Quand il apparaît comme un élément de langage dans le plan « 1 jeune, 1 solution », on ouvre la porte à une conversion en dispositif d'emploi. Nous souhaitons qu'il reste un dispositif d'engagement.

M. Charles Viger . - Le FFJ s'est positionné contre le service militaire. Nous ne pensons pas que la mixité doive être prise en charge par l'armée, y compris dans le cadre du service national universel (SNU).

Mme Anaïs Anselme . - Il y a un mythe autour du service militaire. Cette idée de mixité sociale ne correspondait pas à une réalité à l'époque, et le SNU ne résoudra pas le problème. Pour nous, l'école est le lieu où la mixité sociale doit s'épanouir ; c'est dans cette institution que l'égalité des chances doit devenir une réalité.

M. Laurent Burgoa . - J'ai fait mon service national, et cela m'a donné une vision de la société française au-delà de mon cocon de la faculté de droit. Beaucoup de jeunes ont également pu, par le biais du service national, passer leur permis de conduire.

Mme Anaïs Anselme . - Nous portons plutôt des idées autour de la mobilité européenne ; je pense, par exemple, au programme Erasmus + qui donne à toute une classe d'âge l'opportunité de découvrir un ailleurs.

M. Paul Mayaux . - Chaque année, 100 000 jeunes effectuent leur service civique, avec une diversité très forte d'origine, de niveau social, de territoire, de cursus. Parmi eux, 500 ont accès à des grandes écoles ou à des filières sélectives, avec un taux de réussite de 92 %. Ce mécanisme pourrait être étendu, afin de diversifier le champ de l'enseignement supérieur et de promouvoir l'égalité des chances. Dans le rapport mené par Martin Hirsch sur la question de l'ouverture sociale, une proposition traitait également de l'égalité des chances. Ces pistes sont à creuser.

Les moyens financiers débloqués ne pallient que partiellement les besoins. Sur la question du logement, par exemple, la faute n'incombe pas seulement aux personnes qui versent l'argent, mais parfois à d'autres acteurs. Si l'on prend l'investissement lié au plan 60 000, les constructeurs sociaux vont privilégier une politique de l'habitat centrée sur la famille plutôt que sur les étudiants, considérés comme moins rentables.

Quand, en termes de politique sociale de l'habitat, les quotas dédiés aux milieux moins favorisés ne sont pas respectés par certaines municipalités, c'est problématique. À l'heure actuelle, nous recensons 175 000 logements Crous pour 2,7 millions d'étudiants.

Au sein de l'école, on peut envisager l'intervention d'acteurs de l'éducation populaire, afin de promouvoir la diversité. Il existe beaucoup de programmes d'intermédiation culturelle et d'échanges, qu'il serait intéressant de développer.

Mme Lucille Bertaud . - Le service civique ne doit pas se substituer à l'emploi, il convient de retrouver le sens initial de ce dispositif.

Au Cnajep, nous doutons de la pertinence du SNU, censé favoriser la mixité et la citoyenneté. Je vous invite à lire les rapports de l'Injep sur le SNU, qui fournissent beaucoup de chiffres. Le SNU ne peut être la seule et unique politique à destination de la jeunesse. Au vu de la situation actuelle des jeunes, cette politique doit être plus globale. La semaine dernière, le Cnajep a diffusé une lettre ouverte au Gouvernement, en proposant notamment que le crédit prévu pour le SNU en 2021 soit plutôt dédié au financement d'autres propositions en faveur des jeunes.

Dans le domaine de l'éducation populaire, le collectif est primordial. Surtout après cette année de confinement, nous avons observé un besoin de rencontres et d'espaces collectifs pour construire des choses ensemble.

Mme Maximilienne Berthelot-Jerez . - Au MRJC, nous accueillons des services civiques. On ne peut pas nier que des jeunes postulent à des missions de service civique aussi parce qu'ils ne trouvent pas d'emploi. C'est un moyen, pour eux, de nouer des liens et de « rentrer » dans le marché de l'emploi, ce qui nécessite un accompagnement différent. On ne peut pas détacher la question du service civique de la réalité du marché de l'emploi.

Quel sens veut-on donner aujourd'hui au service civique, avec des missions de 35 heures dans certaines structures ? Forcément, on se rapproche d'un emploi, alors que le dispositif est censé accompagner les jeunes dans leurs réflexions sur leur avenir.

La mixité se fait par l'école. Vous avez évoqué le problème de ces jeunes d'un même quartier qui se retrouvent dans un même collège. Peut-être pourrait-on inventer des espaces de rencontre entre écoles, dans le cadre d'un voyage scolaire par exemple. Nous savons également que les colonies sont très peu mixtes aujourd'hui. Des choses sont à inventer pour permettre cette mixité.

Mme Nelly Vallance . - Les jeunes ont-ils envie de se regrouper ? Il semblerait que oui. Le manque de liens et d'espaces pour se retrouver, comme l'a montré l'année écoulée, est problématique. Si l'on remonte à l'année précédente encore, la lutte pour le climat a rassemblé une génération autour d'une cause commune.

Si nos retours paraissent un peu « plombants », c'est aussi parce que nous essayons de comprendre les causes des inégalités. Nous portons ce désir d'avoir le choix et cette envie que le quotidien ne soit plus un poids.

M. Nicolas Bellissimo . - Dans le parcours des jeunes, on leur ferme des portes et on leur renvoie l'idée qu'ils ne pourront pas accéder à certaines formations. Tout un environnement favorise l'autocensure dont on parlait.

En termes de moyens financiers, il convient de cibler l'orientation des jeunes. On doit disposer de suffisamment de conseillers d'orientation psychologues (COP) pour rencontrer les jeunes, discuter avec eux, leur présenter les métiers, les informer sur les formations et le monde du travail.

Les jeunes du milieu ouvrier et des quartiers populaires ne demandent qu'à être autonomes, à trouver du travail et à pouvoir vivre leur vie. Ils sont prêts à se déplacer pour faire des études et chercher du travail, mais le manque d'informations et le manque de ressources les pénalisent.

Le service civique, pour certains jeunes, devient une option pour bénéficier d'un revenu pendant un certain temps. On a également des entreprises et des organismes qui abusent de la situation avec des emplois déguisés.

La mixité est importante à l'école, elle l'est également dans les lieux de vie. L'offre de logement doit être plus attractive, afin de donner envie à des familles plus aisées de s'installer dans les quartiers populaires. Par ailleurs, le phénomène de gentrification contribue à chasser les familles modestes des centres-villes.

La notion de groupe est toujours très importante à la JOC. En se retrouvant à plusieurs, en partageant leurs difficultés, leurs joies, leurs galères, les jeunes se rendent compte qu'ils ne sont pas seuls. Nous nous battons contre l'individualisation de la société, avec notamment une atomisation de l'emploi et des travailleurs de plus en plus isolés.

M. Bertrand Coly . - Beaucoup de moyens ont été engagés, dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) notamment. En revanche, on a oublié de soutenir ce qui relève du fonctionnement de la vie associative, de la prévention spécialisée, tous ces dispositifs à destination des jeunes qui créent du lien. C'est vrai dans les quartiers comme dans les territoires ruraux.

Ces dernières années, on a préféré miser sur des politiques sécuritaires plutôt que sur des moyens humains, et aujourd'hui nous en payons le prix.

On a un décalage entre les potentialités que l'on observe dans nos organisations, avec des jeunes qui s'impliquent, et le regard que porte la société sur sa jeunesse. Nos organisations galèrent, les financements sont en berne. J'ai passé ma vie de responsable associatif avec des budgets déficitaires. Quand les jeunes essayent de se battre, de faire des choses sur leur territoire, on ne leur donne pas les moyens. Créer du collectif, c'est une volonté politique.

Il n'y a pas eu de questions sur les minima sociaux, par exemple. Aujourd'hui, des jeunes crèvent de faim, et la société n'apporte pas de réponse. Si on veut que les jeunes s'engagent, ils doivent aussi pouvoir se nourrir et disposer d'un logement.

On pourrait imaginer que le permis de conduire, si important pour les jeunes ruraux notamment, soit passé dans le cadre du service civique ou de la formation professionnelle.

La société a tout intérêt à miser sur la jeunesse et à l'impliquer pour répondre aux grands enjeux, en particulier environnementaux. C'est peut-être plus d'un service écologique dont nous avons besoin que d'un service militaire... Il s'agit également de redonner vie aux espaces démocratiques qui se sont beaucoup appauvris. Les foyers ruraux, par exemple, ont longtemps eu dans leurs conseils d'administration des places dédiées aux moins de 30 ans ; cela s'est perdu, et il est primordial de renouer avec ce type d'initiatives.

M. Rémi Cardon . - J'ai été moi-même membre d'un comité régional des associations de jeunesse et d'éducation populaire (Crajep) et, à ce titre, du conseil économique, social et environnemental régional (Ceser), et je partage votre constat : chaque année nous faisions la course aux appels à projets pour essayer de récupérer des subventions supplémentaires, sachant que les subventions de l'État et de la région baissaient régulièrement de 5 à 10 %. Nous étions même parfois obligés de vendre notre patrimoine.

Il serait temps d'abandonner les plans du type « 1 jeune, 1 solution », qui ne visent qu'à mettre en valeur les multiples dispositifs existants, auxquels, à force, on ne comprend plus grand-chose, et qui sont méconnus du grand public. La garantie jeunes devient un peu visible auprès des jeunes ; pour le service civique, cela a pris du temps également.

Notre mission d'information doit raisonner sur deux volets : l'éducation nationale a un rôle important pour corriger certaines choses - nous n'avons pas tous les mêmes parents... Quant à l'éducation populaire, elle dispose d'autres méthodes très intéressantes pour permettre à des jeunes de s'émanciper.

Vu le constat que nous faisons tous sur les taux de pauvreté et de chômage des jeunes ou sur le rajeunissement des bénéficiaires de l'aide alimentaire, il est nécessaire de tout réinventer plutôt que de repartir sur des programmes existants qui, en définitive, sont des dispositifs et non pas des droits.

C'est pourquoi nous avons récemment lancé une proposition de loi pour des droits nouveaux dès 18 ans. Ce débat revient régulièrement : il y a un trou dans la raquette. Pourquoi n'alignerait-on pas la majorité sociale sur la majorité légale ?

Quelles propositions pourrions-nous faire émerger concrètement dans les prochains mois ? Par quoi commencer ? Si un jeune n'arrive pas à se loger ou à se nourrir, il ne peut pas non plus se déplacer, se former, s'insérer professionnellement.

Mme Monique Lubin , rapporteure. - Je m'apprêtais justement à formuler cette demande : chaque organisation que vous représentez pourrait-elle nous transmettre dans les prochains jours ne serait-ce qu'une proposition phare ? Vous avez dit des choses extrêmement riches et intéressantes, mais j'aimerais que vous puissiez en extraire une chose à faire en priorité dès demain.

Mme Anaïs Anselme . - Nous serions tous d'accord sur le RSA. Je propose donc autre chose : notre marronnier, c'est la création d'un comité interministériel de la jeunesse permettant de tout remettre à plat et d'en finir avec le millefeuille des politiques relatives à la jeunesse.

M. Paul Mayaux. - La garantie jeunes universelle, droit universel opposable, doit fournir à chacun, quel que soit son parcours, sa formation, sa catégorie socioprofessionnelle, un accompagnement social et fiscal. La garantie jeunes est aujourd'hui un dispositif qui fonctionne, mais elle n'est adaptée qu'à des publics assez restreints.

Mme Nelly Vallance. - Il nous paraît central de donner une cohérence à la politique jeunesse, autour de la question du minimum social notamment.

M. Nicolas Bellissimo . - Il faut garantir à tous les jeunes l'accès à un emploi digne - j'entends par là un emploi à durée indéterminée avec de bonnes conditions de travail -, c'est-à-dire à une réelle autonomie financière.

M. Bertrand Coly . - Je tirerai ma proposition du rapport du CESE : rendre obligatoire une compétence jeunesse dans les communautés de communes.

Mme Monique Lubin , rapporteure. - Envoyez-nous vos travaux ! Nous sommes preneurs.

M. Jean Hingray , président. - Merci pour ces échanges très fructueux.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat .

Audition de M. Édouard Geffray,
directeur général de l'enseignement scolaire (DGESCO)

(Mercredi 17 mars 2021)

M. Jean Hingray , président . - Nous recevons aujourd'hui Monsieur Édouard Geffray, directeur général de l'enseignement scolaire au ministère de l'éducation nationale. Il est accompagné par Monsieur Christophe Géhin, chef du service du budget et des politiques éducatives territoriales. Je vous propose de commencer sans plus tarder. Au terme de votre intervention, nos collègues - en présentiel et en visioconférence - qui le souhaitent pourront vous interroger.

M. Édouard Geffray, directeur général de l'enseignement scolaire . - Merci Monsieur le Président. Après une brève présentation, je répondrai autant que possible à vos questions.

Rappelons que la politique d'égalité des chances vise avant tout, d'une part à surmonter les contraintes sociales, financières et géographiques susceptibles d'entraver la réussite d'un élève, d'autre part à lui permettre de déployer toutes ses potentialités. L'ensemble des actions que je vous présente aujourd'hui forment un système très cohérent. L'objectif est d'offrir une réelle égalité des chances sur l'ensemble du cycle scolaire d'un élève, de 3 ans à 18 ans.

La construction du parcours et la réussite de l'élève dépendent principalement des conditions d'apprentissage proprement dites, de son environnement ainsi que de la libération des ambitions de l'élève. En termes d'égalité des chances, l'un des enjeux est de permettre à l'élève, au sens étymologique du mot « ambition », de voir autour et de voir plus loin.

Un certain nombre de dispositifs d'accompagnement existent à cet effet tout au long du parcours de l'élève.

Un premier élément d'évolution, consécutif à la loi pour une école de la confiance de 2019, réside dans l'instruction obligatoire entre 3 et 6 ans et l'obligation de formation entre 16 et 18 ans. Nous vivions avec le principe d'instruction obligatoire de 6 à 16 ans. Cette loi a augmenté de 50 % le temps d'instruction et de formation obligatoire. Un enfant intègre donc le système scolaire plus jeune. Sachant que toutes les bases en termes de diversification du vocabulaire se construisent entre 3 et 6 ans, cette évolution est essentielle. L'apprentissage, notamment de la lecture, est ensuite facilité.

À partir de la rentrée 2017-2018, le dédoublement des CP et des CE1 en REP et en REP+ contribue à améliorer les conditions d'apprentissage en réduisant le volume des classes à 12 élèves. Des évaluations nationales - menées en début de CP, en milieu de CP et en CE1 - ont montré une réduction progressive des écarts entre les élèves en zones d'éducation prioritaire et les élèves hors zones d'éducation prioritaire.

De plus, le ministre est spécialement attaché à faire valoir une approche territoriale. La décision de ne pas fermer d'écoles sans l'accord du maire a été réaffirmée avec la crise du Covid et représente 1 248 équivalents temps plein réinvestis.

À l'école élémentaire puis au collège, l'élève est accompagné sur l'ensemble des activités à caractère scolaire, y compris pendant les congés. Un million d'enfants ont bénéficié de l'opération « Vacances apprenantes » l'été dernier. Environ 250 000 élèves, dont une majorité en école primaire, ont participé à « École ouverte » et aux stages de réussite. Ces stages se déroulent sur cinq jours, généralement pendant la dernière semaine du mois d'août. Il s'agit, en lui « remettant le pied à l'étrier », de permettre à l'élève de recommencer une année scolaire dans les meilleures conditions d'apprentissage, après des grandes vacances qui représentent souvent une perte d'apprentissage significative. Ils réduisent ainsi les écarts entre les élèves provenant des zones d'éducation prioritaire et les autres élèves. Au niveau collège, le dispositif pédagogique « devoirs faits » prend le relais. Un tiers des élèves en bénéficient. Grâce à cet accompagnement professionnel renforcé, l'élève s'affranchit des contraintes sociales qui l'empêchent de faire correctement ses devoirs.

Au lycée, d'autres éléments d'égalité des chances interviennent. La transformation de la filière professionnelle ainsi que la réforme du lycée général et technologique ont donné aux élèves un panel de choix de métiers beaucoup plus large. Le décrochage diminue ainsi, notamment en filière professionnelle, en dépit d'une rentrée 2020 difficile. Le même phénomène s'observe sur la voie générale ; le fait de ne pas être enfermé dans une filière a priori permet aux élèves de suivre ce qui leur correspond.

Enfin, au-delà du lycée, a été mise en place l'obligation de formation jusqu'à 18 ans.

D'autres dispositifs visent à réduire les inégalités d'origine sociale ou géographique.

Le Gouvernement a annoncé cette semaine le renforcement du dispositif « petit-déjeuner gratuit » qui avait profité à 156 000 élèves l'année dernière et qui visera 265 000 ou 300 000 élèves à partir de la rentrée prochaine. Un enfant avec le ventre vide apprend moins bien. La République tient donc ses promesses. Un enfant en éducation prioritaire doit ainsi pouvoir poursuivre sa scolarité dans des conditions améliorées puisqu'il rentre à l'école à 3 ans, que sa grande section, son CP et son CE1 sont dédoublés et qu'un petit-déjeuner lui est assuré. Un système de suivi plus personnalisé au collège et au lycée prend ensuite le relais pour libérer l'ambition de l'élève.

Plusieurs dispositifs cités ici pourront faire l'objet de discussions. Dans les « cordées de la réussite », un établissement supérieur s'encorde avec un collège et un lycée. L'élève est suivi dans un cadre à la fois collectif et individuel, de la 4 ème jusqu'à la terminale, grâce à un système de mentorat. On constate en effet que plus on commence tôt, plus on libère les ambitions.

Face à des élèves qui doutent de pouvoir réaliser leurs souhaits, l'école fait la promesse d'apporter les meilleures conditions possibles de réussite scolaire et les encourage activement à suivre leurs aspirations professionnelles. 200 000 élèves en bénéficient cette année et un tiers des établissements publics locaux d'enseignement sont encordés avec un établissement supérieur.

L'affranchissement des contraintes géographiques est un autre aspect. C'est notamment l'un des enjeux des internats d'excellence. Un appel à manifestation d'intérêt a été publié dans le cadre du plan de relance. La finalisation des différentes procédures et de dossiers est en cours. Plutôt que d'adapter ses projets à l'offre territoriale immédiate, nous conseillons au jeune de partir en internat d'excellence afin de suivre la formation qui lui convient avec un dispositif de bourse associé. Désormais, pour un boursier échelon 6, le départ en internat est gratuit pour sa famille.

Le système est donc très cohérent à la fois en termes de conditions d'apprentissage et de création d'un environnement porteur. Les différentes mesures prennent systématiquement le relais les unes des autres en fonction de l'âge et des attentes légitimes du jeune.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Vous avez énoncé un ensemble de dispositifs en matière de réduction des inégalités sociales et territoriales. Je les trouve, à titre personnel, pertinents, mais ils soulèvent quelques questions.

Le dédoublement des classes de CP et CE1 est une excellente initiative, mais il s'impose pourtant souvent au détriment d'autres dispositifs vitaux pour nos territoires. Par exemple, le dispositif « plus de maîtres que de classes » a été supprimé dans mon département. Les élus et les parents d'élèves des zones rurales partagent l'impression que le dédoublement des CP et CE1 profite plus aux zones défavorisées urbaines qu'aux territoires ruraux. Des postes d'enseignants sont supprimés et le nombre d'élèves par classe augmente à nouveau en raison d'un soi-disant sous-effectif d'élèves. Les difficultés en zones rurales sont pourtant bien présentes et diffèrent des problématiques rencontrées en zones urbaines très denses.

M. Édouard Geffray . - Je peux affirmer avec beaucoup de conviction notre obsession territoriale au moment de la définition de dispositifs.

Les situations varient d'un territoire à l'autre mais nous nous sommes engagés à améliorer le taux d'encadrement des élèves dans tous les départements. C'est le cas depuis trois rentrées consécutives. Le taux moyen national d'encadrement, c'est-à-dire le nombre de professeurs pour 100 élèves, est en progression constante depuis 2017. Il est ainsi passé de 5,54 à la rentrée 2017 à 5,84 à la rentrée 2020, soit +0,1 point par an, progression également attendue pour la rentrée 2021. La chute de la natalité est la deuxième réalité avec laquelle nous devons conjuguer. Ce constat est extrêmement préoccupant, en particulier dans certains départements.

La réponse apportée doit être globale et doit considérer l'ensemble du cycle. En zone urbaine et rurale, les cités éducatives et les territoires éducatifs ruraux sont respectivement mis en place, avec la volonté manifeste d'une alliance éducative entre les acteurs concernés (collectivités locales, services de l'État, tissu associatif, etc.) qui varie dans ses modalités pour des raisons de distance géographique. Les internats d'excellence se développent en zone rurale, l'enjeu étant d'offrir une perspective de formations, que le maillage territorial ne permet pas de couvrir intégralement.

Dans le cadre des « cordées de la réussite » et du mentorat plus généralement, la dimension territoriale est fortement présente. Les élèves qui vivent dans un environnement rural ont parfois tendance à ajuster leurs ambitions, faute de rencontres et de connaissances. 20 000 élèves concernés par les « cordées » résident en zone rurale. Les dispositifs de mentorat doivent être renforcés, au travers notamment du tissu associatif, pour mieux faire connaître aux jeunes le panel de débouchés possibles.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Puisque vous parlez de ces cités éducatives, avez-vous déjà des premiers retours ?

M. Édouard Geffray . - Les premiers retours très positifs concernent le fonctionnement des 80 premières cités éducatives. Les acteurs travaillent en plus étroite collaboration qu'auparavant et disposent de davantage de moyens, permettant d'articuler de mieux en mieux les différents temps du parcours de l'élève.

L'évaluation des effets des dispositifs d'apprentissage et pédagogiques est en revanche prématurée. L'idéal serait de suivre le chemin d'un élève qui rentre aujourd'hui à l'école dans une cité éducative puis de le comparer dix ans plus tard avec des élèves rentrés à l'école dix ans avant lui.

M. Laurent Burgoa . -En tant qu'élu urbain, adjoint à la politique de la ville d'une commune de 150 000 habitants il y a encore quelques semaines, je partage totalement vos propos. Issu d'un département comprenant aussi de nombreuses communes rurales, je rejoins également l'analyse de Madame la rapporteure. L'impossibilité de mettre en place les mêmes dispositifs que dans les quartiers REP ou REP+ est souvent perçue comme une injustice. Du fait de leur petite taille, 4 ou 5 communes doivent parfois se rassembler afin qu'un groupe scolaire puisse exister.

Tant l'État que les élus souhaiteraient approfondir la territorialisation de l'action publique. Dès lors, ne serait-il pas intéressant, d'un point de vue expérimental, de laisser les élus locaux ruraux décider du dédoublement des CP et des CE1 ? La charge d'investissement et de fonctionnement revient avant tout aux communes, qui seraient libres de l'accepter ou non. Les élus locaux ruraux se sentent un peu « stigmatisés ».

M. Édouard Geffray . - Les situations démographiques sont très variables. Le dédoublement des CP et CE1 en REP et REP+ concernent souvent des classes de 24-25 élèves. La question de diviser les classes se pose moins en zone rurale, celles-ci étant en revanche exposées à des risques de fermeture pour des raisons de sous-effectifs d'élèves.

Dans certains départements ruraux, le taux d'encadrement atteint les 6,5, 7, 7,5 voire 8 professeurs pour 100 élèves comparativement à une moyenne nationale de 5,84. L'enjeu est donc plutôt le maintien de l'ouverture des classes et des élèves.

La proposition, ou l'hypothèse que vous formulez selon laquelle la collectivité pourrait éventuellement prendre en charge la décision du dédoublement ramène à des questions de compétences entre les collectivités locales. Il m'est difficile de me prononcer sur ce sujet. Il y a un effet d'attractivité forte autour de cette question du dédoublement du CP et du CE1 en REP et REP+ mais, en pratique, le taux d'encadrement est souvent assez favorable aux départements ruraux, malgré les autres difficultés auxquelles font face ces départements.

Mme Michelle Meunier . - Vous n'avez pas mentionné les propositions issues des états généraux du numérique, qui visent à développer et utiliser au mieux cet outil. La crise du Covid semble avoir favorisé, voire déclenché de fortes inégalités en matière d'accès et d'utilisation du digital. Je souhaite vivement vous entendre sur ce point.

M. Édouard Geffray . - La crise du Covid correspond à l'aspect conjoncturel. Face à cette crise, nos actions en matière numérique répondent aux difficultés liées aux fermetures d'écoles ou de classes. La mise en place d'une cellule d'appui numérique au niveau national en témoigne. Le premier déploiement massif de ce dispositif, avec plus de 400 ordinateurs fournis en moins de 24 heures, a eu lieu dans les Alpes-Maritimes au mois de décembre. Plusieurs dizaines voire centaines d'élèves ne pouvaient plus accéder à leur école.

Parallèlement, deux dispositifs plus structurels ont été lancés. Les territoires numériques éducatifs (TNE) sont expérimentés actuellement dans deux départements, l'Aisne et le Val d'Oise, l'un plutôt rural, l'autre urbain. Ce dispositif vise à équiper l'intégralité des écoles et à doter en équipements informatiques tous les professeurs nouvellement nommés dans ces départements. C'est une approche à 360 degrés ; ce n'est pas seulement une question d'équipements, c'est aussi une question de ressources numériques et de formation. L'intégralité du champ doit être investie. Notre logique consiste à équiper les professeurs mais aussi à les outiller intellectuellement. Ce dispositif a vocation à s'étendre à d'autres départements selon les résultats de ces expériences.

Le deuxième dispositif est le plan d'équipement des écoles primaires dans le cadre du plan de relance. Je laisse mon adjoint vous en dire un mot.

M. Christophe Géhin, chef du service du budget et des politiques éducatives territoriales . - Dans le cadre du plan de relance, la direction du numérique pour l'éducation pilote un plan visant à identifier les territoires les plus en difficulté et en retrait en termes d'équipements numériques. La mobilisation d'une partie des crédits du plan de relance garantit un appui de l'État aux collectivités concernées. Nous ne sommes pas encore dans la phase active, mais une ligne du plan de relance est prévue et sera activée progressivement, en collaboration les collectivités.

Mme Monique Lubin , rapporteur . - Dans mon département, les Landes, les élèves des collèges (3 ème et 4 ème ) sont dotés en ordinateurs depuis 20 ans. Au départ, les enseignants y résistaient fortement, notamment en lien avec la question de la numérisation des livres des matières enseignées. Y a-t-il eu des améliorations en la matière ?

M. Édouard Geffray . - La transition culturelle est antérieure à la crise du Covid. La crise a cependant accéléré le changement avec l'introduction de nouveaux dispositifs tels que « ma classe à la maison » du CNED ou les cours en visioconférence. L'offre de service proposée est, à mon sens, unique dans sa diversité et dans sa complétude.

L'autre aspect porte sur les ressources et la formation. Nous avons un opérateur de formation continue pour le numérique, Canopé. Pendant le confinement, 125 000 professeurs se sont inscrits en auto-formation et plus de 200 000 professeurs se sont formés via cet opérateur entre mars 2020 et mars 2021, soit quasiment un professeur sur quatre. Le goût et l'appétence envers le numérique existent donc. Davantage de ressources numériques doivent être disponibles, notamment des logiciels. L'outil « apps éducation » permet aux professeurs de retrouver gratuitement une série de logiciels et de ressources directement utilisables en classe.

Trois piliers centraux sont à considérer : l'accès aux équipements, la formation et l'appropriation de nouvelles techniques pédagogiques liées au numérique, l'accès gratuit à des logiciels pour les professeurs. Telle est donc notre approche à ce jour. Je suis résolument optimiste sur ce point.

M. Jacques Grosperrin . - Ma première question concerne la loi sur l'école obligatoire à 3 ans. Je ne suis pas persuadé que ce changement sera significatif, sachant que 97 % des enfants concernés sont déjà scolarisés. Un vrai plan maternelle, qui s'inspire du modèle finlandais, paraît beaucoup plus pertinent. Le système scolaire français peine à prendre en charge efficacement les jeunes en grande difficulté. Le dédoublement est une idée intéressante mais insuffisante car tout est déjà joué avant 6 ans.

Par ailleurs, de nouvelles réflexions autour des indices en termes d'égalité des chances doivent être menées. Outre le classement des établissements scolaires permis par l'indice de position sociale (IPS), des facteurs tels que l'origine socioprofessionnelle, l'origine culturelle et la profession de la mère pourraient être considérés.

La réforme actuelle des concours de la fonction publique, entre autres de l'ENA et des lycées d'excellence, est intéressante. Les collèges d'excellence doivent aussi être généralisés partout en France afin de limiter au maximum l'effet de « plafond de verre ». Quelles sont les actions menées sur ce point ? Pourquoi le ministère de l'éducation nationale n'est-il pas sollicité sur cette réforme des concours ?

Enfin, ma dernière question concernait notre difficulté « endémique », soulignée par les enquêtes PISA de l'OCDE, à améliorer la prise en compte des élèves les plus en difficulté, alors que notre système scolaire a plutôt de bons résulats, en moyenne, par rapport aux autres pays.

M. Édouard Geffray . - Sur les 3-6 ans, le taux de 97 % d'élèves scolarisés qui ne sont pas concernés par l'obligation de scolarité induit que 30 000 à 40 000 élèves sont concernés. L'absence de cette obligation équivaudrait à fermer toutes les écoles maternelles dans des départements comme l'Oise ou la Haute-Savoie. Ce chiffre est significatif à l'échelle d'une génération. Nous voulons tenir cette promesse collectivement.

Je vous rejoins totalement sur l'importance du niveau « maternelle ». Les travaux commencés l'année dernière incluent la grande section, le CP et le CE1. Ils ont aussi porté sur les repères de progression en mathématiques, en français et en éducation morale et civique, du CP à la 3 ème dans un but d'information auprès des parents. Statistiquement, une amélioration du niveau entre le CP et le CE1 apparaît. Les évaluations sur les 6 ème montrent une amélioration constante des résultats depuis 3 ans, en dépit du Covid. Cette tendance longue est susceptible de réduire, et de vaincre à terme, cette fatalité des 20 % élèves arrivant en 6 ème sans savoir parfaitement lire, écrire ou compter.

En revanche, jusque l'année dernière, le niveau d'entrée en CP ne connaissait que très peu de variation, notamment en éducation prioritaire. Le plan « je rentre en CP », lancé l'an dernier et déployé actuellement à grande échelle, vise à mieux partager les exigences pédagogiques et le type d'apprentissage en maternelle. Un ensemble de guides sont publiés par le ministère, dont l'un, le plus téléchargés sur le site d'Eduscol par les professeurs, a pour thème l'acquisition du vocabulaire en maternelle. Réfléchir à la manière de diversifier très tôt le vocabulaire d'un enfant pour l'aider à appréhender le monde à l'âge pertinent, constitue le plein coeur de notre travail. Le Conseil supérieur des programmes a émis la semaine dernière des repères sur les apprentissages en maternelle, qui seront mis en consultation et publiés en vue de la prochaine rentrée.

Les IPS sont un point extrêmement important. Les modèles d'allocation des ressources au niveau national dans les académies, les établissements et les écoles, ont été enrichis ces deux dernières années. Un indice d'éloignement a ainsi été intégré et prend en compte l'éloignement de la structure scolaire pour l'élève en termes de transports.

M. Christophe Géhin . - Nous pouvons citer également l'éloignement des infrastructures culturelles et sportives, ainsi que des établissements d'enseignement supérieur.

M. Édouard Geffray . - Ces critères permettent l'allocation de moyens supplémentaires, le renforcement des dispositifs et des ambitions.

Le Président de la République et le ministre souhaitent la généralisation des internats d'excellence avec, au minimum, un établissement par département.

Pour la réforme des concours de la fonction publique, et plus généralement de l'enseignement supérieur, nous ne sommes pas absents des réflexions interministérielles sans pour autant en être les pilotes. Des effets de rétroaction jouent. En effet, les jeunes dont nous avons la responsabilité seront les futurs candidats et ils doivent avoir la chance de se projeter très tôt sur des métiers, y compris des métiers de fonction publique.

Deux dispositifs sont mis en place par les ministères de l'éducation nationale et de l'enseignement supérieur et de la recherche. Les parcours préparatoires au professorat des écoles seront ouverts dans les lycées de 24 académies à la rentrée 2021. Ces classes préparatoires sont en lien avec l'université, avec une transition progressive sur trois ans, dont une première année en lycée, une deuxième année mixte et une troisième année en université. Le but est d'accompagner des élèves manifestant le désir de suivre ce parcours mais en situation économique peu favorable.

La préprofessionnalisation a été lancée en 2019 et fonctionne très bien. Dès la 2 ème année de licence, les étudiants boursiers peuvent découvrir le métier de professeur, à raison de 6 à 8 heures par semaine jusqu'au concours. Le parcours inclut l'observation, la participation aux « devoirs faits », une prise de responsabilité de groupes puis en classe. L'étudiant est rémunéré et cette rémunération est cumulable avec des bourses. La trajectoire est professionnellement accompagnée et financièrement sécurisée, potentiellement jusqu'à la fin de ses jours s'il rentre dans la fonction publique et reste professeur toute sa vie.

M. Laurent Somon . - Je souhaite d'abord souligner les efforts faits en matière de réussite scolaire et de ses dispositifs.

Madame Lubin et vous-même évoquiez votre attachement à la différenciation territoriale. Dans la Somme, les taux d'illettrisme sont largement supérieurs à la moyenne nationale. Malgré un rapport professeurs pour cent élèves supérieur à la moyenne nationale, la fermeture des classes donne souvent lieu in fine à des moyennes d'élèves par classe plus élevées qu'initialement. Il faudrait profiter d'une baisse de la natalité sur ces territoires pour, d'une part éviter la suppression de postes et de classes, d'autre part permettre le dédoublement systématique des CP-CE1 et de la grande section. Quels sont les traitements différenciés existants sur les territoires les plus marqués par ces problèmes d'illettrisme ?

Bien que les résultats scolaires en milieu rural soient aussi bons qu'en milieu urbain, les zones rurales connaissent un décrochage plus important après le collège. Nous avons deux internats d'excellence dans la Somme qui peinent à se remplir. Comment donc donner l'appétence à des jeunes venant de milieux sociaux en difficulté de poursuivre leurs études, d'aller en internat puis d'intégrer des formations qui correspondent à leur souhait propre ? Le mentorat est-il un dispositif réparti sur l'ensemble du territoire national ou est-il encore expérimental ?

Vous n'avez pas du tout évoqué les méthodes pédagogiques. Des réflexions sur des expérimentations qui marchent mieux et bien à l'étranger sont-elles menées au niveau territorial ou au niveau national ?

M. Édouard Geffray . - Il est d'usage de ne pas « reprendre la démographie », comme nous le disons dans notre jargon, c'est-à-dire de ne pas coller à une baisse démographique pour adapter le nombre de postes, d'où la situation critique actuelle. Dans le premier degré, des postes ont été créés dans toutes les académies alors même que certaines académies présentaient une démographie en chute libre. Le solde de création de poste est donc toujours positif. En mars-avril 2020, au moment du Covid, les révisions de la carte par le gouvernement ont abouti à la création de 1 248 équivalents temps plein en zone rurale au sens large, incluant toutes les villes de moins de 5 000 habitants et leurs alentours.

Les disparités en termes de résultats apparaissent principalement entre la fin du collège et l'entrée au lycée. Plusieurs leviers d'action permettent de créer l'appétence pour la poursuite des études.

Le panel d'offres de formations dans les lycées général et technologique a été repensé et élargi avec la mise en place de la carte des spécialités. 93 % des lycées proposent au minimum les sept spécialités les plus choisies. Dans l'ancien Bac, 84 % des lycées avaient seulement trois filières (S, ES, L).

Le deuxième levier est la carte de formation qui relève des régions, en lien avec le rectorat. Comment faire pour implanter des formations attractives de manière équilibrée sur un territoire ? Une « conférence diplôme » a été lancée afin de réexaminer les diplômes dans certains secteurs (aide à la personne, numérique, etc.), les mettre à jour et faire apparaître de nouveaux besoins (le numérique et le cyber) et permettre leur implantation sur le territoire.

Par ailleurs, je partage le constat sur la nécessité de remplir les internats. Le réel travail à accomplir est celui auprès des familles qui s'inquiètent de son coût financier. Le solde forfaitaire a été maintenu mais une part progressive a été renforcée en fonction de l'échelon de bourse. Un boursier échelon 6 ne coûte donc rien à sa famille s'il décide d'aller en internat. La bourse d'internat et les autres dispositifs existants prennent l'intégralité des dépenses en charge. Notre travail est à présent de faire connaître cette évolution.

L'accompagnement et le mentorat individuel doivent bénéficier à un maximum de jeunes car cette approche fonctionne. Des associations sont fortement impliquées dans le monde rural, à l'instar de l'association Chemins d'avenirs qui met en relation les jeunes avec des mentors dans le milieu professionnel.

La dimension pédagogique est essentielle pour l'acquisition des fondamentaux. Nous avons lancé un plan « mathématiques », dit « Villani-Torossian », et un plan « français ». Ils consistent, sur une période de 6 ans, à former tous les professeurs des écoles sur des approches pédagogiques en mathématiques et en français. Des constellations ou groupes de 6 ou 8 professeurs travaillent ensemble selon les besoins identifiés de leurs élèves ou les besoins révélés par les évaluations nationales en termes d'acquisition des compétences.

Chaque année, 16 % des professeurs de français et 16 % des professeurs de mathématiques sont formés dans le cadre de ces constellations, dont les référents sont des conseillers pédagogiques de circonscription. Devenir référent en mathématique ou en français requiert 24 jours de formation. C'est un effort considérable avec des formations lourdes d'au moins 5 ou 6 jours dans l'année pour les professeurs. Cette dimension pédagogique est le levier principal et je ne peux que saluer l'investissement de ces professeurs.

M. Jean Hingray , président . - Je dois vous quitter, en raison d'une obligation, et remercie Laurent Burgoa, vice-président, d'assurer la présidence de la fin de notre réunion. Je vous remercie pour vos interventions très intéressantes et donne la parole à notre rapporteure.

- Présidence de M. Laurent Burgoa, vice-président -

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Vous avez évoqué la formation des professeurs. La situation des professeurs des écoles dans les zones urbaines sensibles reste un sujet très délicat.

J'ai reçu récemment un professeur des écoles qui travaille en région parisienne depuis environ 15 ans. Ses premières années dans des secteurs difficiles l'ont épuisé. Il aspire à une mutation professionnelle qu'il aura très difficilement du fait de la lourdeur des critères de mutation. Ces conditions contribuent à décourager des jeunes qui souhaiteraient aller vers le professorat des écoles mais auxquels des professeurs plus âgés expliquent la difficulté d'enseigner aujourd'hui. Quelque part, ils se sentent aussi dans une certaine solitude et cet ensemble de conditions décourage des vocations.

Quelles dispositions sont-elles prises afin d'accompagner ces professeurs des écoles qui commencent leur carrière pour la plupart dans des secteurs difficiles ? Je parle de motivations financières mais aussi d'accompagnement dans l'exercice de leur profession, dans leur relation avec les parents et avec des élèves jeunes et déjà en difficulté. Comment éviter qu'ils se sentent bloqués sur des zones géographiques dont ils aimeraient sortir ? Je ne me fais pas la porte-parole des enseignants mais chacun aspire à un parcours professionnel heureux. Ma question comprend donc deux volets, respectivement celui de l'accompagnement des élèves mais surtout des enseignants.

Vous le savez mieux que moi car vous êtes très bien investis de votre mission, c'est évident. Cependant certains nous racontent des parcours extrêmement difficiles. Il faut le dire.

M. Édouard Geffray . - Ce sujet est en effet loin d'être simple.

Deux représentations contradictoires se confrontent. La première montre la rapidité du turnover des professeurs et leur départ précipité des écoles les moins favorisées. La deuxième reflète la peur des jeunes professeurs de rester bloqués dans des zones sensibles.

La durée d'ancienneté moyenne en poste est un critère intéressant. L'écart n'est pas significatif entre les écoles des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) et les écoles hors QPV. Ainsi, la durée d'ancienneté est inférieure d'un an seulement pour les premières. Un équilibre doit être trouvé entre la stabilité de l'équipe et la mobilité personnelle.

En termes d'accompagnement des enseignants, la rémunération est importante. Un professeur en REP touche une prime de 2 400 euros par an, contre 4 400 euros en REP+, ce qui représente une reconnaissance intéressante pour des jeunes professeurs en début de carrière.

L'exercice dans des conditions difficiles, sur des missions particulières dans des environnements spécifiques, aura des conséquences à long terme sur la carrière. Ces professeurs feront partie du « vivier 1 » qui a vocation à intégrer la « classe exceptionnelle » en troisième partie de carrière, avec une perspective de carrière très ouverte en termes de rémunération et d'avancement.

Pour préparer les enseignants au face à face avec les élèves et les familles, un travail considérable est engagé depuis deux ans avec les instituts nationaux supérieurs du professorat et de l'éducation (INSPÉ) et la conférence des présidents d'universités, sur le thème de la formation initiale et continue des professeurs. À la suite d'une formation à l'INSPÉ et de la possibilité, pour l'étudiant, de réaliser un stage en alternance au sein de l'éducation nationale, le titularisé rentre ensuite immédiatement dans une logique de formation continue qui doit coïncider in fine avec la formation initiale. Par exemple, un besoin de complément de formation en gestion de conflit en formation initiale sera comblé grâce à la formation continue. La formation continue est ainsi adaptée et répond aux besoins. Nous mettons actuellement ce dispositif en place.

Enfin, les professeurs doivent disposer d'espaces de travail commun, quel que soit le niveau d'enseignement. Pouvoir travailler avec six ou huit collègues de manière dédiée durant cinq jours dans l'année, sur le modèle des plans « français » et « mathématiques », aller dans la classe des autres professeurs, faire venir le collègue dans sa classe, sont autant d'outils qui participent de cette construction.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Il est réjouissant de voir que l'utilité d'une formation des maîtres d'école est reconnue à nouveau. Pendant plusieurs années, les maîtres étaient envoyés quasiment sans formation auprès des élèves, ce qui était catastrophique.

Mme Michelle Meunier . - Votre réflexion portant sur le langage en maternelle m'amène à souligner les inégalités d'apprentissage. Certains enfants, à 3 ans, maîtrisent trois cents mots quand d'autres en connaissent mille. Boris Cyrulnik souligne très bien l'importance du milieu de l'enfant qui est d'autant plus déterminante que l'apprentissage en lui-même. Notre mission devra s'intéresser à ces inégalités.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - CE sera bien le cas. La présentation de ce matin m'a beaucoup apporté. Vous avez été très concret et vous avez développé plusieurs d'axes sur lesquels nous pouvons partager.

Cependant, malgré tous les dispositifs mis en place ces dernières années, le déterminisme social n'a jamais paru aussi présent et davantage d'enfants semblent être en grande difficulté.

M. Édouard Geffray . - Qualifier la situation actuelle est compliqué. En revanche, je peux vous certifier que cette lutte contre les déterminismes sociaux est notre combat. Un des enjeux majeurs est d'éviter les ruptures de continuité, d'où ma présentation en termes de parcours. L'élève a besoin de conditions d'apprentissage adaptées dès l'élémentaire, même si à ce stade, il ne se pose pas encore de questions sur son avenir. Il a besoin d'interlocuteurs en 4 ème et en 3 ème lorsqu'il commence à chercher sa voie. Il doit pouvoir choisir ce qui lui correspond au lycée. S'il décroche, il doit être rappelé à son obligation de formation et être soutenu. Si nous parvenons à raccrocher tous les wagons et à faire en sorte que l'élève ne s'aperçoive pas qu'il passe d'un wagon à l'autre, alors nous avons gagné. Chaque fois qu'un effort est nécessaire pour l'amener d'un wagon à l'autre, nous le perdons.

M. Laurent Burgoa , président . - Je tiens, au nom de tous, à vous remercier Monsieur le directeur général, ainsi que votre adjoint, pour votre présence et vos propos très constructifs qui enrichissent notre réflexion.

L'audition de Monsieur Jean-Benoît Dujol, directeur de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative, délégué interministériel à la jeunesse, initialement prévue cet après-midi, a été annulée. Nous avons tous déjà reçu un rectificatif à la convocation.

La prochaine réunion plénière aura lieu le jeudi 1 er avril à 11 heures. Nous entendrons l'Agence nationale de la cohésion des territoires sur ses actions en matière d'égalité des chances.

Madame Monique Lubin procédera à des auditions en format rapporteur mardi et jeudi après-midi de la semaine prochaine. Il est possible à tous les membres de la mission d'assister à ces auditions ou de les suivre en visioconférence. D'autres auditions en format rapporteur sont prévues au mois d'avril sur les thèmes que la mission a identifiés : les politiques de l'enfance et de soutien à la famille, les actions dans le domaine scolaire et l'orientation, l'encadrement et l'accompagnement des jeunes hors école et famille, l'insertion sociale et professionnelle. Le programme de ces auditions vous sera communiqué régulièrement.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat .

Audition de M. François-Antoine Mariani, directeur général délégué
à la politique de la ville et de Mme Simone Saillant, directrice
des programmes « ruralités » et « montagne » à l'Agence nationale
de la cohésion des territoires (ANCT)

(Jeudi 1 er avril 2021)

M. Jean Hingray , président . - Nous recevons M. François-Antoine Mariani, directeur général délégué à la politique de la ville de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) et Mme Simone Saillant, directrice des programmes « ruralités » et « montagne » à l'ANCT.

Créée il y a un an, l'ANCT a repris les missions du Commissariat général à l'égalité du territoire, lui-même issu de l'Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances, créée en 2006.

Nous l'avons vu depuis le début de nos travaux, l'égalité des chances présente une dimension territoriale : des inégalités de nature géographique s'ajoutent à celles liées à l'origine sociale ou au milieu familial. Elles engendrent, pour de nombreux jeunes, des obstacles difficiles à surmonter en termes d'opportunités d'études, d'orientation professionnelle et de vie personnelle.

L'ANCT intervient dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville, mais également dans les territoires ruraux.

C'est pourquoi il nous paraissait important de connaître son appréciation sur la situation des jeunes aujourd'hui en termes d'égalité des chances et surtout d'évoquer les actions qu'elle conduit en la matière, sur les territoires où elle intervient.

M. François-Antoine Mariani, directeur général délégué à la politique de la ville de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) . - L'ANCT a deux cibles territoriales principales : les quartiers de la politique de la ville (QPV) et la ruralité. Nos missions évoluent, celles d'administration centrale ne sont plus dévolues à l'ANCT, donc nous n'avons plus de tutelle sur l'Agence nationale de la rénovation urbaine (ANRU) ni la maîtrise budgétaire du programme 147. De même, nous ne sommes plus chargés de l'élaboration de textes réglementaires. Nous sommes davantage un opérateur, dans une logique de services auprès des acteurs de terrain. L'Agence comprend une direction de la politique de la ville, avec quatre programmes thématiques : l'emploi et le développement économique, la petite enfance, le lien social, le cadre de vie et la tranquillité publique. Nous avons également deux missions : le soutien à la vie associative, à travers laquelle nous finançons quelque 10 000 associations, et la Grande équipe de la réussite républicaine, qui a pour ambition de promouvoir une nouvelle méthode d'animation territoriale, à travers la fédération de l'ensemble des acteurs de terrain.

Mme Simone Saillant, directrice des programmes « ruralités » et « montagne » à l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) . - L'Agence développe deux axes en appui à la ruralité : l'aide à l'ingénierie de projet pour les petites communes rurales et le suivi de la mise en oeuvre des 181 mesures de l'Agenda rural, feuille de route présentée à l'automne 2019 par le Premier ministre. Ces mesures impliquent l'ensemble des ministères, l'ANCT en assure le suivi au quotidien et prépare les comités interministériels aux ruralités ; le dernier s'est tenu le 14 novembre, il a donné lieu à l'établissement d'une cartographie reposant sur une définition de la ruralité, laquelle n'existait pas puisque les territoires ruraux s'entendaient en négatif, comme les territoires non-urbains. Nous accompagnons la mise en place de référents « ruralité » dans chaque ministère, et dans l'administration déconcentrée. C'est avec cette architecture nouvelle de référents que nous comptons faire avancer les questions concernant la ruralité. Nous travaillons avec chaque ministère à des stratégies pour la ruralité, qui stimulent et donnent de la visibilité aux actions en soutien des territoires ruraux. Pour l'égalité des chances, par exemple, le ministère de l'éducation nationale a lancé récemment le dispositif des territoires éducatifs ruraux, une expérimentation sur trois académies. Nous nous efforçons de lui donner de la visibilité.

M. Laurent Burgoa . - Ne vous semble-t-il pas que l'action publique pour l'emploi gagnerait à ce qu'il n'y ait qu'un seul référent par quartier ? Est-il possible de rationnaliser l'action publique ? J'ai été adjoint au maire de Nîmes pendant treize ans, et nous avons échoué sur ce point, malgré nos efforts et la bonne volonté du préfet en la matière : n'est-ce pas une question importante à régler, pour que les jeunes en particulier ne se perdent pas et ne soient pas renvoyés d'un dispositif à l'autre ?

M. François-Antoine Mariani . - C'est un point important, car dans bien des territoires les dispositifs d'accès à l'emploi s'accumulent en se juxtaposant. Je crois qu'il est très compliqué d'essayer de désigner un interlocuteur unique, étant donné la pluralité d'administrations et de collectivités qui aident à l'emploi et qui chacune poursuit ses objectifs, avec la volonté de valoriser son action ; nous avons préféré renforcer la coordination entre les acteurs, en particulier en créant les « cités de l'emploi ». Ainsi, nous aidons les préfectures à organiser une équipe chargée de coordonner les dispositifs très divers qui facilitent l'accès à l'emploi et à la formation. C'est aussi la mission de la Grande équipe de la réussite républicaine que de réunir les acteurs de terrain autour d'une même table, pour assurer un suivi des jeunes vers la qualification et l'emploi, sans rupture entre les âges. C'est là notre mission, et je vous accorde très volontiers que la disparité des acteurs ne simplifie pas la vie sur le terrain.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - À travers l'Agenda rural, envisagez-vous des actions qui visent des difficultés particulières aux jeunes dans la ruralité - et vous semble-t-il que ces jeunes de la ruralité rencontrent des problèmes spécifiques ?

Mme Simone Saillant . - L'Agence n'est pas opérateur des dispositifs, nous suivons ceux qui ont été mis en place par les ministères dans le cadre de l'Agenda rural. Ils sont nombreux à viser les jeunes ruraux, par exemple les cordées de la réussite, lesquelles ont commencé dans les zones urbaines avant de s'étendre à la ruralité. 24 000 jeunes ruraux en bénéficient, au-delà de l'objectif de 20 000 fixé par l'agenda rural, et le ministère de la cohésion des territoires a accompagné celui de l'éducation nationale à hauteur de 2,8 millions d'euros l'été dernier. Nous allons voir s'il faut aller au-delà. Dans la ruralité, la jeunesse a plutôt de bons résultats scolaires, mais nous constatons des défauts d'ambition et des problèmes de mobilité, qui empêchent d'ouvrir suffisamment le champ des possibles.

Un autre dispositif qui fonctionne bien : les campus connectés, qui permettent de suivre à distance des études supérieures ; dix-neuf de ces campus étaient opérationnels en 2020. Le ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation a lancé un nouvel appel d'offres et l'objectif est de parvenir à une centaine de campus connectés, dont un tiers en zones rurales.

Il en va de même pour la Boussole des jeunes, un nouvel outil numérique qui rend visibles sur un territoire tous les services en direction de la jeunesse : 7 territoires sont couverts, 25 sont engagés pour une ouverture prochaine et 29 autres ont manifesté leur intérêt.

L'Agenda rural comprend aussi des mesures pour renforcer les missions locales ou développer le permis de conduire à 1 euro. Nous aidons à l'installation de simulateurs de conduite : 7 missions locales ont été équipées à titre expérimental et nous généralisons ce dispositif, avec l'objectif d'atteindre 60 missions locales d'ici à l'été. Les jeunes pourront ainsi s'entraîner en évitant les déplacements et les frais liés aux leçons.

Le ministère de l'éducation nationale a lancé plusieurs dispositifs pour l'égalité des chances. Je pense aux territoires éducatifs ruraux, pour fédérer autour des établissements scolaires les collectivités, les associations et l'ensemble des acteurs de terrain ; 24 sites ont été retenus sur trois académies, des diagnostics sont établis en vue de contrats de territoires, qui seront évalués.

Il y a aussi le projet d'établissement de services, pour créer, par exemple, des Points info service dans les établissements, en direction des jeunes, mais aussi des enseignants. Un appel à projets a été lancé dans ce sens et 50 points identifiés. Nous formalisons cette stratégie pour l'égalité des chances avec le ministère de l'éducation nationale, en vue du prochain comité interministériel aux ruralités.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Ces dispositifs sont-ils expérimentaux, ou bien extensibles à l'ensemble de la ruralité ?

M. François-Antoine Mariani . - Le dispositif des cordées de la réussite est ancien, il a visé d'abord les quartiers de la politique de la ville avant d'être étendu au monde rural, où son utilité s'est confirmée. Il a vocation à perdurer dans le temps.

Mme Michelle Meunier . - Quelles sont vos perspectives en direction de l'enfance et de l'éducation ?

M. François-Antoine Mariani . - L'enfance et l'éducation sont au coeur de la politique de la ville, les dispositifs sont très nombreux, des cordées de la réussite à l'aide pour les stages en classe de troisième, en passant par les programmes de réussite éducative (PRE).

Parmi nos priorités, je citerai les 80 cités éducatives que nous avons lancées, auxquelles s'ajoutent 46 nouvelles cités labellisées en janvier dernier, avec l'objectif de parvenir rapidement à 200 ; elles consistent à décloisonner les différents niveaux d'enseignement, avec une logique de chaîne de valeur autour du jeune, mais aussi à favoriser l'ouverture aux acteurs autour de l'école, parce que trop souvent il y a de la défiance envers le territoire environnant.

Autre priorité, le stage de la classe de troisième, qui représente un premier plafond de verre pour les élèves des quartiers populaires et dans la ruralité ; nous avons créé une plateforme où nous avons recueilli 30 000 offres de stage, que nous mettons à disposition des élèves pour leur faciliter la tâche. Nous envisageons d'étendre le dispositif au-delà du baccalauréat et nous réfléchissons aux moyens de répondre aux problèmes particuliers que rencontrent les jeunes dans la ruralité, avec toutefois des difficultés liées au nombre plus réduit de terrains de stage et aux questions de mobilité.

J'ai déjà évoqué les cordées de la réussite. Nous nous fixons un objectif de 200 000 jeunes « encordés ». Il y en a 180 000 à ce jour.

Nous soutenons aussi les dispositifs de tutorat et de mentorat. Le tutorat vie à accompagner les jeunes vers l'enseignement supérieur. Le mentorat s'adresse à des élèves un peu plus jeunes et nous l'avons mis en oeuvre lors du confinement, par exemple pour aider certains jeunes et leurs familles à se servir d'ordinateurs.

Enfin, les PRE représentent 60 millions d'euros par an, nous travaillons avec l'éducation nationale sur leur contenu.

Mme Michelle Meunier . - Et sur la petite enfance ?

M. François-Antoine Mariani . - La cité éducative vise les enfants à partir de 3 ans, mais nous accompagnons des actions qui visent également les mille premiers jours de l'enfant, en particulier autour des crèches, où ont été mis en place des bonus « territoires » et « mixité sociale » selon les caractéristiques sociales du territoire. Il faut également citer le dédoublement des classes de maternelle dans les réseaux d'éducation prioritaire (REP), qui a été un dispositif phare pour la politique de la ville.

Mme Michelle Meunier . - Il semble que de nombreuses communes n'aient pas recours à ces dispositifs, faute de les connaître, en particulier les petites communes : avez-vous une action pour les aider à y recourir quand elles y ont droit ?

M. François-Antoine Mariani . - Nous avons bien entendu une démarche « aller vers », mais aujourd'hui, nous demandons plutôt aux communes de manifester leur intérêt, de se signaler. Pour les cités éducatives par exemple, nous avons accompagné des communes, mais certaines ont hésité à s'engager, notamment pour des raisons financières. D'autres ont confirmé leur volonté de concrétiser la démarche et nous les avons aidées financièrement, en particulier pour mettre en place une équipe de projet. Dans les quartiers prioritaires, il me semble que les communes connaissent nos dispositifs. Beaucoup sont dans une situation fragile et nous avons toujours fait en sorte de pouvoir les accompagner. Je n'ai pas connaissance de communes qui auraient été écartées d'un dispositif par manque d'ingénierie. La situation peut être différente en zone rurale.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Depuis quand les référents « ruralité » sont-ils installés dans les préfectures ?

Mme Simone Saillant. - Des référents « ruralité » avaient été désignés à la suite de la signature des contrats de ruralité, mais la mobilité étant forte parmi les sous-préfets, il y a eu des changements. Une nouvelle série de nominations vient d'intervenir et nous en sommes à 67 référents. Joël Giraud, secrétaire d'État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité, vient de les réunir pour les mobiliser autour de l'Agenda rural, afin qu'ils définissent, avec les élus, une stratégie pour leur territoire, avec des axes prioritaires parmi les mesures prévues par l'Agenda rural. Ils ont mission de mieux faire connaître les outils sur le terrain et de constituer un point d'entrée bien identifié.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Plusieurs des dispositifs que vous avez évoqués sont mal connus. Je crois que les cordées de la réussite et la Boussole des jeunes seraient utiles dans la ruralité - alors n'hésitez pas à venir nous chercher, à faire connaitre ces outils...

En Île-de-France, la préfecture de région met en oeuvre sur une centaine de quartiers, et bientôt 100 quartiers supplémentaires, un plan régional d'insertion pour la jeunesse (PRIJ). N'y a-t-il pas de chevauchements avec les actions que vous menez dans les quartiers prioritaires ? Agissez-vous de manière coordonnée et complémentaire ?

M. François-Antoine Mariani . - Nous travaillons au quotidien avec la préfecture de région pour coordonner notre action. Nous allons labéliser certains des quartiers visés par le PRIJ en cité de l'emploi. Nous avons en effet considéré que ce qu'avait engagé la préfecture de région ressemblait beaucoup à ce que nous faisions. Il fallait éviter d'agir en silos et nous allons combiner les deux actions. Je ne nie pas qu'il puisse y avoir ici ou là des redondances, mais nous nous attelons à les diminuer. C'est d'ailleurs le principe de la cité de l'emploi. Il y a en région Île-de-France plus d'une cinquantaine de dispositifs en matière d'emploi, portés par un grand nombre d'acteurs. La préfecture de région les a d'ailleurs inventoriés dans un document. Notre action vise précisément à ce que les différents intervenants se connaissent, sachent ce que font les autres pour pouvoir en faire une ressource dans leur propre travail.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Concrètement, qu'est-ce qu'on trouve dans une cité de l'emploi ?

M. François-Antoine Mariani . - La cité de l'emploi n'est pas un lieu physique, un bâtiment ou des locaux, c'est un principe et une dynamique. Elle a vocation, via un financement pouvant aller jusqu'à 100 000 euros par an, à organiser et coordonner l'action en faveur de l'emploi sur un territoire. Il s'agit de réunir les acteurs qui identifient les publics, forment et donnent accès à l'emploi, pour qu'ils se connaissent - il arrive souvent que cela ne soit pas le cas sur un même territoire - et échangent sur leur action, afin que tous les dispositifs soient connus et qu'il n'y ait plus de rupture dans les parcours liée à la mauvaise articulation des dispositifs d'aide.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Il s'agit donc de réunir les acteurs de la formation, de l'insertion, de la recherche directe d'emploi.

M. François-Antoine Mariani . - Oui, ainsi que les associations d'identification des jeunes.

Nous avons labéllisé 24 cités de l'emploi, nous serons bientôt à 60, dont 6 en Île-de-France - je tiens la liste à votre disposition.

Il n'y a pas de lieu physique, mais un moment régulier tous les mois, où le territoire est passé au crible. Nous avons poussé les préfets à recruter des professionnels dont la spécialité est de mettre les acteurs en relation et de les faire travailler ensemble.

Je fais l'analogie avec la circulation dans l'espace public : la présence de feux tricolores ne rend pas inutile, quand il y a engorgement, la présence d'un agent de la circulation ; nous essayons que ne se reproduisent plus ces situations où un jeune se présente dans une structure et se voie répondre par la négative sans autre information. Il s'agit d'éviter les ruptures. Il faut que chaque intervenant, sur le terrain, connaisse les ressources du territoire, pour orienter à bon escient. Nous espérons aussi, par cette mobilisation précise, faire revenir des jeunes qui se sont éloignés de la formation et de l'emploi - nous passons, en particulier, par les éducateurs sportifs, qui viennent vers nous d'autant plus qu'ils perçoivent une dynamique.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Quels sont les facteurs qui vous paraissent les plus pénalisants pour les jeunes en matière d'égalité des chances ? Sont-ils analogues dans le rural et l'urbain ?

M. François-Antoine Mariani . - Les questions éducatives sont au coeur des différences dans l'égalité des chances.

Mme Simone Saillant . - S'y ajoutent, dans le monde rural, des freins supplémentaires liés aux problèmes de mobilité.

M. François-Antoine Mariani . - La notion de « perte de chance » est valable dans les territoires urbains comme dans les territoires ruraux, quand l'établissement scolaire ne fonctionne pas bien et que la famille n'a pas les moyens d'accompagner les enfants ; se pose aussi la question de la maîtrise du français, pour les familles non francophones. C'est pourquoi le Gouvernement a mis l'accent sur les petites classes et sur les mille premiers jours, les 0-3 ans.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Vous avez cité tout à l'heure le dédoublement des classes de CP. C'est une excellente mesure pour les classes surchargées .

M. François-Antoine Mariani . - Pour l'instant, c'est une mesure orientée REP et REP+.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Dans le même temps, on continue de supprimer des postes dans les zones rurales où l'on va demander de regrouper des classes. Ne pensez-vous pas qu'il faille donner les mêmes chances aux enfants des zones rurales, d'autant qu'il s'y trouve également des zones REP ? Je suis favorable à la pérennisation du dispositif, visant à doubler les classes de CP, mais pas au détriment des zones rurales. Les élus du monde rural ont souvent le sentiment que cette politique se fait à leur détriment. Ce sentiment est-il fondé ?

M. François-Antoine Mariani . - Nous évitons au maximum d'opposer les deux publics. Ces derniers mois, l'agenda rural et les différents financements mis en oeuvre ont montré que la question rurale était au centre de l'attention du Gouvernement. Je ne suis pas certain qu'il existe un lien de causalité avec la fermeture de classes en zones rurales. La politique éducative rurale est assez récente. L'extension du dispositif des cordées de la réussite au monde rural date d'un an.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Je ne partage pas votre point de vue. Si les élus n'avaient pas pris certaines initiatives, il y a longtemps qu'il n'y aurait plus d'écoles dans certaines zones rurales !

M. François-Antoine Mariani . - Je visais l'action de l'Etat. Certes, les élus locaux ont fait beaucoup de choses, mais l'orientation prise depuis un an et demi et l'Agenda rural prouvent qu'il existe de la part de l'Etat une réelle volonté de mieux appréhender le sujet.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - L'Agenda rural contient-il des cibles sur la très petite enfance.

Mme Simone Saillant . - Pas à ma connaissance.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - L'importance des toutes premières années de la vie est pourtant capitale. Il y a moins d'offres dans certaines zones, notamment dans les zones rurales, où les financements sont plus rares, et dans les zones urbaines sensibles.

Mme Simone Saillant . - La question est de savoir si la thématique est spécifique ou pas à un type de zone. Les missionnaires de l'agenda rural ont essayé de focaliser sur certains sujets, qui semblaient poser des problèmes particuliers. La question de la petite enfance concernera certainement l'ensemble de la France. L'idée, ici, est d'identifier des problématiques assez spécifiques à ces zones. La nouvelle cartographie des zones rurales concerne néanmoins 30 000 communes. La dimension n'est pas la même qu'avec les QPV. Le ministère de l'éducation nationale a mis en oeuvre des conventions ruralité. C'est un dispositif qui n'a pas rencontré un énorme succès, peut-être parce qu'il impliquait, pour les collectivités, de s'engager dans la restructuration scolaire.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Nous nous sommes méfiés !

Mme Simone Saillant . - Nous travaillons sur les contrats de relance et de transition écologique (CRTE), qui comprennent un volet éducation, sport et culture. Cela ouvrira peut-être un champ d'échange plus large et moins crispant. On pourra y évoquer les questions de mobilité, de rénovation du bâti. Le sujet reste sur la table, mais il existe des tentatives pour améliorer les choses.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Pourriez-vous nous préciser l'articulation entre les programmes de réussite éducative, qui regroupent un peu plus de 500 projets, et les cités éducatives, centrées sur quatre-vingts territoires ? Quelle est la différence entre ces deux dispositifs ? Les cités éducatives sont-elles uniquement centrées sur le public scolaire ou ont-elles une dimension d'insertion professionnelle ?

M. François-Antoine Mariani . - Le PRE est un dispositif ancien, qui fonctionne plutôt bien sur l'ensemble du territoire. Il est l'une des bases de la cité éducative, mais celle-ci englobe d'autres actions qui permettent d'aller au-delà. On a conservé la logique du PRE, qui mobilise plusieurs acteurs, notamment les familles, mais la cité éducative ne se réduit pas à un PRE amélioré. Le pilotage de la cité éducative repose d'ailleurs sur une troïka, entre les services de l'État, les collectivités locales et l'établissement.

Quant à la formation professionnelle, les cités éducatives ne sont pas obligées d'y participer. Nous avons établi un cahier des charges, regroupant l'ensemble des possibles, mais nous avons laissé chaque cité libre de mettre l'accent sur tel ou tel secteur, en fonction des réalités de chaque territoire. En périphérie des grandes métropoles, par exemple, l'emploi est moins un sujet de préoccupation que les questions éducatives. Notre objectif est d'arrimer les cités ayant souhaité s'orienter vers l'insertion professionnelle aux cités de l'emploi.

Mme Michelle Meunier . - Jean Jaurès disait : « quand les hommes ne peuvent changer les choses, ils changent les mots » ! C'est un peu mon sentiment aujourd'hui. Un dispositif n'a d'intérêt que s'il est connu, accessible et utilisé. Je comprends que certains maires baissent les bras devant cette forêt de dispositifs. Il ne suffit pas d'avoir mis en place un dispositif pour considérer que le « job » est fait !

Certes, la question de la petite enfance concerne l'ensemble des territoires. Que l'on réside dans une petite commune rurale ou dans une grande métropole, il faut pouvoir répondre à l'accueil des tout-petits, c'est important pour les parents. C'est aussi un élément qui donnera à l'enfant les canaux suffisants et nécessaires pour tisser des liens. Il y a encore du chemin à faire !

M. François-Antoine Mariani . - Nous recevons beaucoup trop de demandes pour les cités éducatives, preuve que le dispositif a bien été identifié par les communes. Nous sommes obligés d'effectuer un tri. S'agit-il seulement de changer les mots ? Le financement réservé à ce dispositif est important : les cités éducatives bénéficient de 30 millions d'euros par an. Les financements de certaines cités éducatives sont parfois deux ou trois fois supérieurs au montant de la subvention de la politique de la ville du territoire. Clairement, nous n'avons pas renommé les PRE, mais nous avons créé un autre dispositif en lui accordant plus de moyens. Néanmoins, cela ne résout effectivement pas la question de la multiplication des dispositifs dans certains territoires.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat .

Audition de M. Thibaut Guilluy, haut-commissaire
à l'emploi et à l'engagement des entreprises

(Jeudi 8 avril 2021)

M. Jean Hingray , président . - Nous entendons aujourd'hui M. Thibaut Guilluy, Haut-Commissaire à l'emploi et à l'engagement des entreprises, qui intervient en visioconférence.

M. Thibaut Guilluy, Haut-Commissaire à l'emploi et à l'engagement des entreprises . - Le Haut-Commissariat à l'emploi et à l'engagement des entreprises est rattaché à la ministre du travail et au ministre de l'économie.

Mon rôle est d'être le bras armé des politiques de l'emploi, et d'abord des politiques inclusives : il s'agit de mobiliser les entreprises pour qu'elles mettent en place des politiques de recrutement ouvertes aux populations fragiles, aux personnes handicapées, pour que chacun ait le plus de chance de développer ses talents sans discrimination ; en plus de cette promotion des politiques inclusives au sens large, pour l'égal accès aux entreprises, mon action vise à conforter les politiques d'accompagnement vers l'entreprise des personnes les plus éloignées de l'emploi.

On sait que les déterminants de l'éloignement sont nombreux : niveau de qualification, secteur de formation, facteurs sociaux, ascendance migratoire, faiblesse du capital social - les études abondent sur ces différents facteurs qui se combinent pour conduire à ce que des jeunes ne franchissent pas les portes de l'entreprise et ne conçoivent parfois pas qu'ils peuvent y parvenir, parce qu'ils n'ouvrent pas le champ des possibles.

La période de crise accentue ces phénomènes structurels d'éviction de l'emploi, en particulier pour les jeunes - pendant le premier confinement, l'insertion des jeunes en emploi a chuté de 80 %, puis il y a eu des actions ciblées, en particulier le plan « 1 jeune, 1 solution », et nous avons retrouvé, à partir du moins d'août, un recrutement des jeunes dans l'épure des années précédentes.

Le plan « 1 jeune, 1 solution » est une action forte, c'est une promesse qui  engage, quand notre pays compte 1,38 million de jeunes « NEET », ni en emploi, ni en études, ni en formation, un niveau bien plus élevé que la moyenne européenne, comme le soulignent régulièrement les organismes internationaux.

Nous mobilisons un grand nombre de mesures dans ce cadre pour encourager l'accès à l'emploi, en emploi durable, avec différentes formes d'alternance et des mesures ciblées sur les collectivités, sur l'emploi social et solidaire, sur les jeunes en situation de handicap, sur les quartiers de la politique de la ville, des mesures qui toutes tendent à corriger les défauts du marché de l'emploi. Ce plan durera au moins jusqu'à la fin de l'année 2021, le Premier ministre l'a annoncé.

L'apprentissage est un outil important d'égalité des chances, pour faciliter l'intégration professionnelle : au niveau CAP, c'est 20 points de plus pour l'accès à l'emploi durable, cette performance tient à ce que l'apprentissage met en lien direct avec l'entreprise, à ce qu'il donne une chance de développer un réseau, en plus des savoirs pratiques. L'apprentissage est également très utile pour lever les freins financiers à l'accès aux études supérieures, grâce à une prise en charge de frais d'études par le contrat d'apprentissage, c'est un outil à consolider.

Nous faisons également un effort sur la qualification, avec 200 000 places supplémentaires de formations qualifiantes, en invitant les régions à flécher les contrats vers certains domaines comme le numérique ou encore le social.

Nous avons aussi un programme ambitieux pour les 16-18 ans, avec 35 000 places ouvertes aux jeunes d'ici la fin de l'année au sein de l'Association pour la formation professionnelle des adultes (AFPA).

Nous ouvrons également 100 000 places supplémentaires en service civique, c'est important pour la capacité des jeunes concernés à gagner en confiance, à se faire du réseau et à avoir un contact avec le monde du travail, une piste à encourager.

Pour les jeunes NEET, nous mettons en oeuvre le droit à un accompagnement, qui est légal, mais pas encore effectif, et que je souhaite rendre effectif. Nous allons passer de 600 000 à 1 million de jeunes accompagnés, en s'appuyant sur le service public de l'emploi, les missions locales, Pôle emploi, pour proposer un accompagnement intensif, global et adapté aux jeunes. La Garantie jeunes et le Parcours contractualisé d'accompagnement vers l'emploi et l'autonomie (PACEA) seront renforcés.

Nous travaillons sur la Garantie jeunes universelle, pour faire progresser idée d'un accompagnement intensif et contractualisé de tous les jeunes, avec une garantie de ressources financières chaque fois que la situation du jeune le nécessite. C'est ce que nous avons commencé à faire en faisant passer le plafond annuel de l'allocation PACEA de trois à six fois le montant mensuel du RSA, de même que nous avons relevé le barème de rémunération des stagiaires de la formation professionnelle, qui n'avait pas évolué depuis 2002, et qui atteint désormais 500 euros mensuels pour les jeunes de 18 à 25 ans. L'enjeu de la ressource est crucial pour que la précarité financière n'entrave pas la capacité à s'engager dans un projet.

Plus récemment, nous avons lancé un appel à projets pour accompagner la création d'entreprises par les jeunes. Les jeunes de moins de 30 ans ayant moins de capital social et économique, ils sont moins armés pour créer leur entreprise et c'est pourquoi nous les visons. Il s'agit de leur offrir un accompagnement, les études ayant montré qu'un tel accompagnement augmentait de 10 points le taux de réussite dans la création d'entreprise, et de les faire bénéficier d'une dotation en capital de 3 000 euros, qui vient en complément de l'apport personnel et joue comme levier pour l'accès à d'autres financements.

Enfin, le Président de la République a lancé le programme « 1 jeune, 1 mentor », c'est un outil important et puissant pour lutter contre les discriminants sociaux, 30 000 jeunes sont accompagnés dans leur parcours scolaire ou d'insertion professionnelle grâce à la mobilisation de plusieurs associations soutenues par les entreprises. Le mentor est en mesure d'apporter le réseau, le capital social, les conseils en matière d'orientation qui manquent au jeune issu de milieu modeste ou de territoires défavorisés. Nous accompagnons le changement d'échelle du mentorat, pour passer à 100 000 jeunes à la fin de l'année, puis 200 000 jeunes en mentorat d'ici à 2022 : c'est un levier pour leur donner de meilleures chances de réussite scolaire ou professionnelle.

M. Jean Hingray , président . - Le plan mentorat, lancé par le Président de la République il y a un mois, vous semble-t-il suffisant pour amener la jeunesse de France à l'esprit d'entreprise ?

M. Thibaut Guilluy . - Non, une mesure seule ne suffirait pas. Cependant, dans « 1 jeune, 1 solution », l'idée est bien que les jeunes fassent partie de la solution. Dans un moment de fragilisation de l'économie et de la cohésion sociale, il faut investir dans la jeunesse. J'anime un réseau de plusieurs milliers de chefs d'entreprises engagés dans ce programme : je fais passer le message que si l'État aide à l'embauche des jeunes, c'est aussi pour passer la crise et pouvoir organiser la relance. Nous sommes en retard sur la transition numérique, nous avons besoin des jeunes, qui sont plus natifs dans ce domaine, de même pour la transition écologique. L'appel à projets sur la création d'entreprise accompagnera quelque 40 000 créateurs d'entreprises en deux ans ; je crois qu'il faut aller encore plus loin, car les jeunes ont l'envie de créer des entreprises. Les comparaisons internationales sont sur ce point à l'avantage de la jeunesse française. Il faut simplement lui donner les moyens de passer du projet à la réalisation et de crée les conditions de meilleurs taux de réussite ; c'est pourquoi nous les soutenons directement avec un apport en capital.

Le mentorat donne de la confiance, et c'est cette confiance qui ouvre les possibles. Pour avoir créé une vingtaine d'entreprises, je sais par mon expérience combien cet enjeu de la confiance et de l'accompagnement est important, et je suis convaincu que nous avons des marges de dynamique importantes avec le mentorat et le changement, par des démarches très pragmatiques, de l'écosystème entrepreneurial. J'indique également que Pôle emploi, avec la montée en puissance de son programme Activ'Créa, soutient fortement les demandeurs d'emploi sur la création d'entreprises avec des dispositifs très pragmatiques. Il y a encore énormément de marge sur ce plan.

M. Laurent Burgoa . - Vous avez évoqué la politique de la ville, et peu la ruralité : avez-vous des mesures spécifiques pour les territoires ruraux, ou est-ce le droit commun qui s'applique ?

M. Thibaut Guilluy . - Venant du Pas-de-Calais, je ne me sens guère métropolitain... J'ai parlé des quartiers de la politique de la ville, mais les zones de redynamisation rurale (ZRR) sont également concernées. Je déploie le programme « 1 jeune, 1 solution » avec la Mutualité sociale agricole (MSA), avec la Coopération agricole, avec la filière agroalimentaire, avec la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), dans toutes les zones rurales. Nous déployons aussi des animations, des webinaires, de la communication dans tous les départements et dans bien des communautés de communes.

Avec « 1 jeune, 1 solution », avons mis en ligne une plateforme géolocalisée, www.1jeune1solution.gouv.fr, pour que chaque jeune ait accès aux offres d'emploi et de formation en proximité, nous en sommes à 200 000 offres quotidiennes partout en France. Il faut ensuite que les réseaux locaux se mobilisent, j'organise des partenariats avec les collectivités territoriales, en particulier dans les zones rurales. Grâce à cette plateforme, les jeunes sont rappelés dans les 72 heures pour se voir proposer une formation ou une offre d'emploi. Nous avons une offre symétrique pour les petites entreprises qui peuvent déposer leurs offres sur cette plateforme et nous mobilisons les entreprises à travers 90 clubs départementaux. Je suis particulièrement attentif à cette irrigation dans le territoire, de même que sur le déploiement des tiers lieux, soutenu par le plan de relance.

M. Jean Hingray , président . - Quel est le lien entre les tiers lieux et le monde économique ?

M. Thibaut Guilluy . - Des tiers lieux en milieu rural permettent, par exemple, de déployer des formations, d'accueillir des formations mobiles, nous les soutenons, de même pour la formation à distance. Avec le développement du travail à distance, ces tiers lieux peuvent également accueillir les salariés lorsqu'ils ne sont pas présents dans l'entreprise.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Vous parlez création d'entreprises, je suis plus intéressée par la façon dont on amène les jeunes les plus défavorisés - qui sont souvent très loin de la création d'entreprise - à ouvrir leurs horizons : quels outils avez-vous dans ce sens ? Nous avons entendu ce matin des associations qui font du mentorat, nous avons parlé de bénévoles qui accompagnent les jeunes dans leurs projets, qui développent leur capacité à faire des projets.

M. Thibaut Guilluy . - Il n'y a pas de contradiction, l'enjeu est bien d'accompagner chaque jeune à accomplir son désir le plus fort. J'ai créé des entreprises d'insertion, pour accueillir des jeunes de la protection judiciaire de la jeunesse ou sortant de l'aide sociale à l'enfance, en particulier. Je crois qu'il faut d'abord reconnecter ces jeunes qui ont décroché de l'école et plus largement des circuits d'accompagnement. Nous consacrons des moyens pour accompagner chaque jeune, de façon digne. Je veux dire par là que si l'on a un conseiller d'insertion pour 200 ou 300 jeunes, l'accompagnement ne peut pas fonctionner. C'est pourquoi nous renforçons les équipes d'accompagnateurs des jeunes les plus éloignés de l'emploi, dans le réseau de Pôle emploi, des missions locales, des écoles de la deuxième chance, des EPIDE. Il faut en parallèle agir sur l'offre de solutions.

Nous renforçons aussi l'offre d'insertion avec l'objectif de 100 000 places supplémentaires dans l'offre d'insertion par l'économique. Il y a des dispositifs qui ont fait leur preuve auprès des jeunes très éloignés de l'emploi, tels que les préparations opérationnelles à l'emploi collectives (POEC) ou individuelles (POEI). Notre action est très concrète, en direction de jeunes très éloignés de l'emploi, pour les fidéliser et les amener vers une insertion réelle.

Nous le faisons aussi pour les parcours d'insertion dans l'emploi des personnes handicapées, avec les entreprises adaptées et un objectif de passer de 40 000 à 75 000 parcours.

Même chose pour le mentorat. Je suis mentor, je connais ce rôle de manière directe, son utilité propre - et je sais aussi que nous avons besoin de débouchés, c'est ce que nous faisons avec « 1 jeune, 1 solution », en proposant des stages, des formations, et un accès à l'entreprise. Nous avons un grand défi consistant à ouvrir les entreprises à ces jeunes, il faut des immersions en entreprise pour que le contact concret se fasse, c'est ce sur quoi nous travaillons. Les solutions existent, il faut les mettre en oeuvre en renforçant l'offre et en connectant le monde de l'entreprise et celui des accompagnateurs, le mentorat est un bon outil. C'est aussi un très bon moyen de créer des connexions positives entre le monde de l'entreprise et les jeunes.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Nous sommes convaincus de l'efficacité du mentorat, les associations sont satisfaites du plan annoncé, mais elles se posent des questions au-delà de 2022 : que va-t-il se passer ensuite ?

M. Thibaut Guilluy . - Il faut voir loin, effectivement. Le mentorat s'est développé depuis une quinzaine d'années grâce à des associations comme Article 1 ou Télémaque, sans intervention de la puissance publique et parallèlement à d'autres actions comme le parrainage, mis en place de longue date par les missions locales, un tiers des jeunes mentorés s'inscrivant dans ce programme. Les associations de mentorat se sont développées avec le soutien des entreprises, c'est une richesse d'innovation, de proximité, mais aussi une limite, en tout cas en nombre de jeunes bénéficiant d'un mentor : 30 000 jeunes, c'est bien, mais on peut aller plus loin, en tout cas c'est mon rêve, que chaque jeune puisse trouver un mentor s'il en a besoin. C'est pourquoi nous cherchons à renforcer le modèle opérationnel et économique. Avec notre plateforme « 1 jeune, 1 solution », où se rencontrent de très nombreux acteurs, venus de l'éducation, des services de l'État, des entreprises, nous encourageons ces dernières à s'engager dans le mentorat, si elles ne l'ont pas encore fait, ou à renforcer leur implication, en fournissant des mentors et aussi un soutien financier aux associations. Nous avons aussi d'autre part, du financement public - 30 millions d'euros cette année - pour accompagner l'ingénierie et le cofinancement du mentorat, il s'agit de permettre un effet de levier, sans créer cependant de dépendance trop forte au financement public et sans changer le modèle économique, qui repose essentiellement sur la société civile et où pourraient également intervenir, demain, les collectivités. Le modèle fonctionne, le mentorat coûte peu, entre 500 et 1 000 euros pour accompagner un jeune sur une année, pour des effets très positifs sur l'accompagnement et la réussite scolaire et professionnelle des jeunes concernés.

Le rapport entre le coût investi, les dépenses évitées et le bénéfice socio-économique est tel que je doute que des responsables avisés remettent en cause trop fortement une initiative qui a certes bénéficié du soutien de l'Etat mais qui est essentiellement portée par les associations et les entreprises.

Mme Michelle Meunier . - Le milieu médicosocial subit une crise des vocations, y compris dans les crèches : comment aider le développement de ces métiers du soin ?

M. Thibaut Guilluy . - L'entrepreneuriat n'est qu'une brique, comme mentor j'ai accompagné des jeunes et des adultes qui connaissaient ou qui aspiraient aux métiers du médico-social. Ces métiers ont du sens, c'est un facteur de motivation, mais ils sont mal reconnus, pas seulement sur le plan de la rémunération. Il y a une question de formation : on met en avant les compétences techniques, alors que les compétences humaines sont décisives, il faut faire mieux reconnaître la diversité des compétences utiles. Il faut aussi valoriser les circuits courts, entre les apprentissages et la mise en relation avec le métier lui-même. Des expérimentations sont en cours, et nous accompagnons le mouvement.

Ensuite, il y a la question des rémunérations, ça compte évidemment. Enfin, nous faisons le lien entre les associations intermédiaires et les besoins dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), pour construire des parcours avec des passerelles vers l'emploi. Les possibilités de recrutement ne manquent pas, beaucoup de jeunes aspirent à travailler dans ces métiers, il faut avancer en recrutant par les compétences plutôt que par le curriculum vitae.

Avec cette mission, vous mettez le doigt sur un enjeu très large. Le ministère, comme le Haut-Commissariat, porte une vision inclusive de la société : l'inégalité des chances est un véritable fléau, et nous n'avons pas trouvé la panacée ! J'attends donc avec impatience votre rapport d'information.

Il ne s'agit pas seulement d'aider les individus à se saisir des opportunités, il faut aussi promouvoir une culture d'inclusion au sein des entreprises, dont la culture managériale doit permettre d'accueillir chacun, avec ses singularités et ses fragilités, c'est-à-dire ce qui est consubstantiel à la nature humaine. Pour cela, nous devons remettre en question les normes et standards de productivité que nous ont inculqués les écoles. Il faut que l'écosystème incite aux pratiques inclusives : cela ne pourra qu'accroître notre performance globale, économique et financière, mais aussi humaine et sociale. Les quelques milliers d'entreprises qui nous ont rejoints dans « La France, une chance » s'engagent à progresser en matière d'égalité des chances. Merci pour ces échanges.

M. Jean Hingray , président . - Merci de votre participation.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat .

Audition de Mme Emmanuelle Pérès, directrice de la jeunesse,
de l'éducation populaire et de la vie associative,
déléguée interministérielle à la jeunesse

(Mardi 4 mai 2021)

M. Jean Hingray , président . - Nous recevons cet après-midi Mme Emmanuelle Pérès, directrice de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative au ministère de l'éducation nationale, déléguée interministérielle à la jeunesse, qui est accompagnée de Mme Sylvie Hel-Thelier, sous-directrice des politiques interministérielles de jeunesse et de vie associative.

Madame la directrice, vous avez été nommée dans vos fonctions tout récemment, le 24 mars dernier. Votre audition aujourd'hui est donc l'occasion d'évoquer votre ressenti sur l'état des lieux que vous avez pu dresser, depuis cette date, sur l'action engagée en matière de politique de la jeunesse, ainsi que les priorités qui vous ont été assignées et les perspectives envisagées.

Au regard de la situation de la jeunesse et de la question de l'égalité des chances, qui préoccupe notre mission d'information, vous exercez une double responsabilité. D'une part, votre direction joue un rôle propre dans le soutien à l'éducation « informelle », pour favoriser l'accès des jeunes à la culture, aux loisirs et aux activités pouvant contribuer à leur autonomie ; d'autre part, depuis 2014, le directeur de la jeunesse est également délégué interministériel à la jeunesse, avec une mission de coordination des ministères qui contribuent, chacun dans leur secteur, à la politique en direction des jeunes.

C'est sous ce double aspect que nous souhaitons vous entendre aujourd'hui.

Mme Emmanuelle Pérès, directrice de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative, déléguée interministérielle à la jeunesse . - Je vous remercie de votre accueil pour ma première audition dans le cadre de ces nouvelles fonctions que j'exerce depuis le 24 mars dernier. La direction de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative (Djepva) est une direction de l'administration centrale qui est composée de trois sous-directions : la sous-direction des politiques interministérielles de jeunesse et de vie associative, dirigée par Sylvie Hel-Thelier ; la sous-direction de l'éducation populaire qui traite en priorité des accueils collectifs de mineurs, en lien étroit avec le tissu associatif ; enfin, la sous-direction du service national universel (SNU), plus récente, ce rattachement à notre direction de ce qui constituait une mission de préfiguration ayant permis de lever certaines difficultés.

L'Institut national de la jeunesse et de l'éducation populaire (Injep), dont le directeur, Thibaut de Saint Pol, vous a exposé le panorama des jeunesses, est pour nous un observatoire très précieux, y compris au travers de la statistique, sur les jeunesses et les politiques en leur faveur.

Nous assurons également le secrétariat général du Haut Conseil à la vie associative (HCVA), instance qui oriente nos politiques, et le secrétariat du Conseil d'orientation des politiques de jeunesse (COJ) mis en place en 2016 : il réunit tous les acteurs intéressés par ces politiques et met à leur disposition sa production. Notre action s'appuie aussi sur l'ensemble du réseau déconcentré de la jeunesse et des sports, dont la collaboration étroite pour mettre en place ces politiques sur les territoires relève désormais des recteurs et des préfets.

S'agissant de l'égalité des chances, l'agenda du Gouvernement s'étend sur toute la durée du quinquennat et inclut de nombreuses politiques publiques, telles que l'émancipation des individus, la lutte contre l'assignation à résidence et l'autocensure ainsi que l'accent porté sur les plus jeunes. La jeunesse est le coeur de cible de ces politiques d'égalité des chances, qui ont pour souci premier de promouvoir l'égalité des chances et d'assurer une vraie continuité de la maternelle à l'entrée dans la vie professionnelle.

La crise sanitaire a révélé des fractures très importantes au sein de la jeunesse. Nous sommes dans une situation d'urgence, la crise Covid ayant accéléré des phénomènes préexistants.

Le Gouvernement a dès le départ engagé un plan très ambitieux avec le doublement des classes de CP et de CE1 dans les réseaux d'éducation prioritaire (REP) et les réseaux d'éducation prioritaire renforcés (REP+), renforcé par le grand plan « 1 jeune, 1 solution » diffusé l'été dernier et comprenant de nombreux dispositifs en faveur de l'emploi et de la formation. S'agissant de ceux qui relèvent du champ de compétence de la Djepva, nous avons l'ambition d'accueillir 245 000 jeunes en mission de service civique au cours de l'année 2021 - contre 140 000 en 2020 - et d'ajouter aux 1 000 postes supplémentaires financés par le Fonds de coopération jeunesse et éducation populaire (Fonjep) au profit des associations prévus en 2021, 1 000 autres postes spécifiques aux jeunes de moins de trente ans, et ce dès 2022.

L'égalité des chances, qui est au coeur des principaux dispositifs de la Djepva, passe par l'information des jeunes, avec un fort enjeu de lisibilité des dispositifs et une vigilance particulière pour les jeunes ruraux, les ultra-marins et les « invisibles » : au lieu d'attendre qu'ils viennent, nous devons aller vers eux.

Nous travaillons aussi étroitement avec le ministère du travail sur le projet de Garantie jeunes universelle et tous les parcours d'accompagnement. De plus, dans le cadre du plan « 1 jeune, 1 solution », a été développée une plateforme servicielle distincte d'un site internet classique afin qu'elle s'adresse spécifiquement aux jeunes. Dans le même esprit, nous avons mis en place « La boussole des jeunes », qui est un nouveau service numérique pleinement complémentaire. visant à fédérer les acteurs sur un territoire. Nous travaillons actuellement à articuler les deux initiatives. Il s'agit de permettre aux jeunes d'accéder à des personnes physiques susceptibles de les accompagner et de les informer sur l'ensemble des dispositifs accessibles sur un territoire.

Nous nous appuyons sur l'enquête menée par l'Injep sur les attentes, les besoins et les comportements des jeunes pour faire évoluer l'information en direction de la jeunesse. Il s'agit non pas de décider pour eux, mais bien de les comprendre ; c'est la condition sine qua non pour renforcer l'égalité des chances. Enfin, nous nous référons à l'expertise du Centre d'information et de documentation jeunesse (CIDJ).

Le deuxième volet de notre action s'inscrit dans la mise en oeuvre du programme d'investissement d'avenir (PIA) pour la jeunesse et du Fonds d'expérimentation pour la jeunesse (FEJ), lancé il y a une dizaine d'années. Ils ont vocation à financer des projets innovants et à les assortir d'une évaluation scientifique pour pouvoir éventuellement les généraliser. Les deux axes retenus pour ces projets sont le dépassement des déterminismes sociaux dans les phases d'apprentissage et la prévention des discriminations et du creusement des inégalités. À ce jour, plus de 60 expérimentations ont été menées, toutes très instructives, car elles ont permis de définir de bonnes pratiques, de créer, entre autres, « La Malette des parents », les internats d'excellence, la Garantie jeunes : autant d'initiatives portées par des acteurs de terrain.

Le troisième volet est le SNU, dans ses trois composantes. La première est le séjour de cohésion - le prochain aura lieu le 21 juin -, qui dure une douzaine de jours en fin de seconde et vise à accentuer la mixité sociale et à ouvrir le champ des possibles pour ces jeunes adultes en devenir. Il s'agit aussi d'offrir une vraie occasion de mobilité géographique, bien souvent la première pour ces jeunes... Toutefois, cette année, en raison de la crise sanitaire, ils ne pourront se déplacer qu'au sein de leur région d'attache, ce qui n'empêchera pas les jeunes urbains d'être accueillis dans des zones rurales. À leur retour, les jeunes remplissent, cette fois-ci sur leur territoire, une mission d'intérêt général - c'est la deuxième composante du SNU - grâce à laquelle ils font l'expérience de l'engagement, prennent confiance et mettent en pratique les compétences transversales reçues lors du séjour de cohésion. Troisième composante : l'engagement volontaire, avant l'âge de 25 ans, dans des actions de trois mois minimum, dont le service civique est le dispositif le plus emblématique.

Il convient également de citer toute la politique de mobilité internationale en direction du plus grand nombre au travers d'actions volontaristes comme Erasmus +, le Corps européen de solidarité, l'Office franco-allemand pour la jeunesse (OFAJ) pour les 3 à 30 ans et l'Office franco-québécois pour la jeunesse (OFQJ) pour les 18 à 35 ans.

Autre grand chantier, l'accueil des jeunes en centres de loisirs sur le temps périscolaire et extrascolaire. Je pense en particulier au « Plan mercredi » et à l'action « Vacances apprenantes » qui devrait être renouvelée cette année. L'État n'organise pas directement les colonies de vacances, mais il les accompagne. Pour ce faire, nous travaillons en étroite collaboration avec les grands acteurs concernés, tels que l'Union nationale des associations de tourisme et de plein air (UNAT) et La Jeunesse au plein air (JPA).

Ces acteurs sont très fragilisés par la crise, alors que leur accueil est très important durant toute l'année pour ouvrir le champ des possibles et donner aux jeunes de nouvelles expériences. C'est pourquoi nous apportons un soutien très fort à ce secteur, notamment par le biais de campagnes de communications ou la prise en charge intégrale des frais de séjour en faveur de 70 000 enfants dans des « Colos apprenantes » en 2020. Nous réfléchissons à des modalités d'aide plus simples et plus accessibles au plus grand nombre.

Enfin, nous venons de clore l'appel à projets du mentorat. Comme l'a annoncé le Président de la République, l'enjeu est de créer 100 000 tandems en 2021 et 200 000 en 2022, au moment de l'insertion professionnelle, mais aussi dès le collège pour les jeunes moins favorisés.

En tant que déléguée interministérielle à la jeunesse, je me dois d'avoir une vision transversale sur l'ensemble des politiques de la jeunesse : la santé, l'emploi, la lutte contre la précarité, la culture, les sports, etc. Nous travaillons en lien avec les autres ministères et avons aussi la possibilité de réunir un comité interministériel de la jeunesse. Il est indispensable de nouer un dialogue structuré entre les pouvoirs publics, les régions - la loi en fait les chefs de file des politiques de la jeunesse - les représentants de la société civile et les jeunes, en vue d'élaborer et d'articuler les orientations stratégiques entre acteurs.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Cela montre l'étendue de votre mission.

Mme Emmanuelle Pérès . - Elle est passionnante, mais effectivement étendue !

Mme Monique Lubin , rapporteure . -En matière d'égalité des chances, les nombreuses actions en direction des jeunes passent par des politiques locales, ce qui suppose de coordonner différents acteurs : administrations, collectivités, associations. Comment s'effectue cette coordination ? Quelles difficultés rencontrez-vous ? Quel est le rôle de l'État, notamment depuis la disparition des directions départementales de la jeunesse et des sports ? La loi Égalité et citoyenneté de 2017 entendait donner un rôle de chef de file à la région : cette disposition a-t-elle trouvé une réelle traduction ?

Mme Emmanuelle Pérès . - La disparition des directions départementales s'inscrit dans le cadre de la réforme de l'organisation territoriale de l'État. Ont été créées les délégations régionales académiques à la jeunesse, à l'engagement et aux sports (Drajes). Cette nouvelle organisation doit nous permettre de mieux assurer un suivi continu de l'enfant et de l'adolescent. Les Drajes pilotent les services déconcentrés, en particulier dans les départements, qui comptent plus de 2 000 agents travaillant dans le domaine de la jeunesse et des sports.

Aujourd'hui, la situation est très tendue dans les départements. Nous travaillons à assurer l'adéquation entre nos politiques publiques, qui sont ambitieuses, et les moyens déployés sur les territoires. Depuis ma prise de fonctions, je fais des déplacements tous les quinze jours dans les régions, et je suis en contact avec les partenaires sociaux. Cette réforme a été voulue par tous parce qu'elle offrait davantage de cohérence sur le papier. Néanmoins se pose la question des moyens dans les départements.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - En tant qu'élue locale, je regrette ces fusions : les services de l'État dans les départements se réduisent comme peau de chagrin. Dans mon département, nous avons maintenant un grand service de l'État regroupant toutes les anciennes directions, avec de moins en moins de fonctionnaires et de moyens.

Mme Emmanuelle Pérès . - L'idée est de créer toutes les synergies possibles avec les rectorats, mais je vous rejoins sur la question des moyens dans les territoires. Nous y travaillons. Nous avons attiré l'attention de la secrétaire d'État sur ce point.

Mme Sylvie Hel-Thelier, sous-directrice des politiques interministérielles de jeunesse et de vie associative . - Le principe d'un dialogue structuré territorial et le chef de filât des régions au sein des collectivités locales ont été inscrits dans la loi Égalité et citoyenneté. Certains conseils régionaux se sont saisis de cette compétence pour organiser un dialogue entre l'État, les collectivités locales, la société civile, notamment les associations, et les jeunes. C'est le cas notamment en Bretagne, en Nouvelle-Aquitaine, en Occitanie, en Provence-Alpes-Côte d'Azur. En fonction de l'intérêt du conseil régional et des élus locaux pour ces sujets, on assiste à une plus ou moins grande mise en synergie des différents acteurs des politiques de jeunesse.

À notre niveau, nous avons organisé des séminaires associant les différentes parties prenantes - le dernier s'est tenu début 2020 juste avant le premier confinement. Nous avons également mis à la disposition des élus, des associations et des organisations de jeunesse des outils de travail, dont ils ont toute liberté de se saisir ou non.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Les organisations de jeunesse estiment que la coordination interministérielle des politiques de jeunesse, prévue par les textes, est inexistante. À quand remonte la dernière réunion du Comité interministériel de la jeunesse et est-il envisagé de le réunir à nouveau ? Quelles sont les difficultés pour faire émerger une politique plus globale en direction des jeunes ?

Mme Emmanuelle Pérès . - La dernière réunion du comité interministériel date de 2015. La décision de le réunir relève du Gouvernement - il me semble que c'est en projet compte tenu des enjeux. Le plan « 1 jeune, 1 solution » traduit la volonté de mener une action qui soit interministérielle. La mission qui m'a été confiée est justement de donner de la lisibilité et d'accentuer la dimension interministérielle.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Après avoir entendu de nombreuses structures, je fais le constat qu'un certain nombre de jeunes ne profitent pas des opportunités qui leur sont offertes alors qu'il existe une multitude d'acteurs et de dispositifs.

Vous avez évoqué le problème de l'information, mais il existe aussi un problème de coordination.

Mme Emmanuelle Pérès . - Certes, et il y a de quoi faire ! Nous cherchons à fluidifier le parcours des jeunes. Il existe énormément de dispositifs, qu'ils soient ministériels ou portés par les collectivités locales. C'est à nous d'« absorber » cette complexité pour que le jeune ait accès à l'information et qu'il puisse mobiliser les dispositifs qui lui correspondent. Notre responsabilité partagée, c'est qu'il n'y ait pas de rupture dans son parcours : passer d'un dispositif à l'autre ne doit pas engendrer une cassure qui serait source d'anxiété ou de décrochage.

Sur l'information, nous menons un travail pour « aller vers ». On peut développer des outils attractifs, mais si les jeunes ne s'en saisissent pas nous n'aurons fait que nous faire plaisir sans atteindre notre objectif. Il faut travailler étroitement avec ces publics : nous avons monté des expérimentations dans le cadre du FEJ, et le réseau Information Jeunesse, qui est un réseau multipartenarial incluant les collectivités locales, les associations, les régions, nous permet d'être au plus près des besoins.

La plateforme « 1 jeune, 1 solution » apporte une information de premier niveau au jeune ou, au moins, à celui qui l'accompagne. Il ne faut pas se priver des outils numériques qui apportent une meilleure lisibilité. Nous sommes au milieu du gué : l'enjeu, c'est l'accompagnement et la lisibilité. Comme le disait la ministre, la délégation interministérielle est la boussole des politiques pour la jeunesse, qu'il faut - j'insiste - rendre plus lisibles. C'est la mission qui m'a été confiée : elle n'est pas aisée, mais il faut s'y atteler.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Comment « aller vers » ? L'expression est reprise par tout le monde, mais de quels moyens dispose-t-on pour y parvenir ? La plateforme est-elle un de ces moyens ?

Mme Emmanuelle Pérès . - C'est un outil qui atteint certains publics, notamment ceux qui sont autonomes, et qui peut aider ceux qui accompagnent les jeunes, car elle est très accessible et ergonomique. Cela ne reste qu'un outil. C'est un outil précieux, il faut qu'il soit performant : les jeunes ne doivent pas être privés des technologies les plus efficaces et de l'intelligence artificielle pour obtenir des informations à jour sur les dispositifs correspondant le mieux à leur profil.

Pour autant, le « aller vers » passe surtout par le contact humain. Le réseau Information Jeunesse mène des actions de ce type. Nous soutenons également un certain nombre d'associations, en particulier dans le cadre des expérimentations jeunesse. Une expérience menée par les Apprentis d'Auteuil à Marseille consistait à aller dans les cages d'escalier des immeubles pour rencontrer les jeunes sur le terrain et susciter leur intérêt. De jeunes volontaires du service civique travaillent également avec ces associations, ce qui permet de faire un travail « de pair à pair ».

Le « aller vers » se décline de différentes façons, mais il passe par des actions très concrètes : ce n'est pas seulement un slogan.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Les structures d'éducation populaire ont un rôle important en matière d'égalité des chances, en permettant aux jeunes d'élargir le cadre de leur milieu d'origine. Nous avons le sentiment qu'elles sont en situation moins favorable que par le passé. Quelle appréciation portez-vous ? Quelle est l'action des pouvoirs publics en la matière, alors que les organisations de jeunesse ont mentionné une diminution du soutien de l'État ces dernières années ? Quelles sont les pistes pour revivifier ce moyen de contribuer à l'autonomie des jeunes et de leur ouvrir des opportunités ?

Nous avons entendu les représentants des structures d'éducation populaire : ils sont toujours aussi volontaires et passionnés, mais quelque peu découragés.

Mme Emmanuelle Pérès . - Surtout dans la période que nous venons de traverser...

S'agissant des colonies de vacances, qui représentent une activité importante des associations d'éducation populaire, on a assisté à un décrochage ces dix dernières années, que nous avons commencé à corriger en 2017. En 2018 et 2019, on accueillait à peu près 1,4 million de jeunes durant l'été, ce qui était un peu mieux que les années précédentes. Avec la pandémie, 600 000 jeunes seulement ont été accueillis l'année dernière. Vous pouvez imaginer la situation économique de ces structures... Nous avons mis en place un fonds d'urgence pour les aider, et nous les réunissons régulièrement pour examiner comme travailler ensemble. Les conditions sanitaires ne nous ont pas permis d'organiser les fameux stages de formation au brevet d'aptitude aux fonctions d'animateur (BAFA) en résidentiel et en présentiel. Nous devons travailler à tous ces sujets.

Nous nous mobilisons aussi pour que le dispositif des colos apprenantes soit renouvelé parce qu'il est un moyen de soutenir ces structures. Enfin, nous menons une campagne de communication sur les colonies de vacances.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Les associations ont évoqué les difficultés administratives liées à leur mission. On leur demande de répondre à des appels à projets, au lieu de leur donner un cahier des charges avec le financement correspondant. Les appels à projets sont des procédures compliquées, qui prennent du temps et qui ne leur assurent pas des ressources pérennes. Je sais bien que les appels à projets répondent à certaines logiques : il ne s'agit pas de subventionner pour subventionner sans droit de regard sur le travail des différentes structures.

Néanmoins, le constat doit être entendu : ne faudrait-il pas essayer de trouver des solutions pour pérenniser les financements de ces structures dont nous ne pouvons pas nous passer dans un certain nombre de domaines, notamment en zones rurales ?

Mme Emmanuelle Pérès . - En zones rurales, mais pas exclusivement. Certaines structures ont eu un rôle extrêmement actif pendant le confinement : elles ont assuré les accueils collectifs de mineurs pour les publics prioritaires.

En sortie de confinement, nous aurons encore davantage besoin d'elles : il faudra accueillir et accompagner les jeunes et peut-être réparer les maux découlant de la période d'isolement dont ils risquent de souffrir. Nous allons travailler en partenariat avec ces structures.

S'agissant des financements, nous avons mis en place des conventions pluriannuelles d'objectifs (CPO) : les engagements sont pris sur trois ans, et non plus sur une base annuelle.

Tout l'enjeu est bien sûr de garantir la pérennité de ces associations et d'assurer leur développement. Nous sommes en train d'engager un important travail avec elles en ce sens, car il s'agit pour nous de partenaires non seulement historiques, mais également stratégiques pour la politique en faveur de la jeunesse.

M. Michel Bonnus . - Je suis élu d'un canton très populaire, avec 78 % de logements sociaux pour 49 000 habitants. Vous êtes dans le vrai, mais les indicateurs mis en place doivent nous orienter par rapport à notre localité, à notre département et à notre région. Il importe en effet que nous soyons complémentaires. Il est essentiel à mon sens de se rapprocher des écoles et des collèges, qui sont une source d'informations sur les familles en difficulté et l'habitat. Quid également du suivi ? Nous devons avoir une capacité de lecture afin d'accompagner les fratries. Je ne perds pas de vue non plus l'aide à la parentalité. La sécurité, ce n'est pas que la justice, c'est aussi l'éducation et la culture.

Mme Emmanuelle Pérès . - La réforme de l'organisation territoriale de l'État (OTE) permet très concrètement de pouvoir travailler ensemble. Pour l'opération « Vacances apprenantes », nous devons nous appuyer sur les chefs d'établissement pour aller chercher certains jeunes, voire pousser les familles à les y inscrire. Il en va de même du Plan mercredi. Quant au SNU, il concerne aujourd'hui 25 000 jeunes, contre 2 000 volontaires il y a deux ans. Clairement, notre objectif est de demander aux chefs d'établissement, en passant par les recteurs, de favoriser la diversité. J'ai pu participer à des visioconférences avec 800 jeunes de milieux ruraux pour leur expliquer le sens du SNU et surmonter les autocensures. Notre nouvelle organisation administrative doit nous permettre de mieux assurer ce suivi complet de l'enfant et de l'adolescent. Ce ne sont pas que des mots, car nous décloisonnons nos champs d'action pour mieux travailler ensemble et accompagner ces jeunes dans leur individualité. Nous n'avions pas ces capacités-là au démarrage du SNU.

M. Michel Bonnus . - Comment se passe l'opération « Vacances apprenantes » ?

Mme Emmanuelle Pérès . - Il s'agissait d'anticiper l'année dernière sur le fait qu'un certain nombre de jeunes ne pourraient pas partir en vacances et également de compenser des carences de certains dans l'apprentissage scolaire. Il ne s'agit pas de refaire l'école, car il y existe aussi le dispositif « École ouverte » grâce auquel les enfants peuvent bénéficier de soutien scolaire pendant les vacances.

L'opération « Vacances apprenantes » s'inscrit davantage dans la dynamique des colonies de vacances et elle est portée par les organisations de jeunesse. Nous avons mis l'accent sur des séjours thématiques, avec des acquisitions de compétences plus formalisées.

M. Michel Bonnus . - Quelle est la prise en charge de l'État pour le dispositif « École ouverte » ?

Mme Emmanuelle Pérès . - Elle est importante, c'est l'éducation nationale qui paie les enseignants. Concernant les colonies apprenantes, la prise en charge s'élevait l'année dernière à 500 euros par semaine et par enfant, avec un reste à charge de zéro pour les familles.

M. Michel Bonnus . - Le dispositif « École ouverte » s'adresse à quelle tranche d'âge ? Quelle est sa périodicité ?

Mme Emmanuelle Pérès . - De la maternelle jusqu'à seize ans, les quinze premiers jours de juillet et quinze jours avant la rentrée.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Vous avez évoqué tout à l'heure la nécessité de s'intéresser aux jeunes dès la petite enfance et jusqu'à l'entrée dans l'âge adulte. C'est exactement le périmètre que couvre notre mission. Nous avons auditionné de nombreux acteurs de la petite enfance. Le constat est clair : tout se joue durant les trois premières années de la vie d'un enfant. L'une des solutions serait de pratiquer la mixité sociale dès les premiers mois. Pour autant, les familles les plus en difficulté, notamment les familles monoparentales, n'ont guère accès aux structures d'accueil - crèches, haltes-garderies - avant la scolarisation à l'école maternelle. Que peut-on faire pour les inciter à recourir à ces structures pour que la mixité s'installe dès la toute petite enfance ?

Mme Emmanuelle Pérès . - La petite enfance ne relève pas du périmètre de ma direction, même si c'est un sujet qui me préoccupe en tant que déléguée interministérielle à la jeunesse. En revanche, nous pouvons être amenés à prendre en charge de jeunes mamans, l'idée étant de démonter certaines idées reçues et de les accompagner, notamment dans le cadre de l'information jeunesse. Notre objectif est de changer les déterminismes. Quant à la mixité dans les crèches, je sais que des actions sont engagées, mais elles n'entrent pas stricto sensu dans mon domaine d'intervention. Il pourrait s'agir d'un sujet à traiter en priorité dans le cadre d'un comité interministériel.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Vous me donnez des idées ! Il serait effectivement très intéressant de traiter cette question par le biais des structures d'accueil des jeunes. Ces jeunes femmes mettent leur vie entre parenthèses et ne se forment pas dès lors qu'elles ont un enfant. Nous pourrions aborder cet aspect du problème grâce aux points information jeunesse (PIJ) ou aux missions locales pour l'insertion professionnelle et sociale des jeunes. Il existe des dispositifs très intéressants. Nous pourrions les adapter à ces publics. Je pense, par exemple, à la Garantie jeunes : nous pourrions y inscrire la question de l'accueil du jeune enfant.

Mme Emmanuelle Pérès . - C'est tout à fait possible. Nous le faisons également sur les actions de formation. Je rappelle que l'obligation de formation de seize à dix-huit ans est une mesure forte du Gouvernement en faveur de l'égalité des chances et contre les déterminismes. Il convient néanmoins de s'interroger : y a-t-il des trous dans la raquette ?

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Comment se met en place l'obligation de formation pour les jeunes de seize à dix-huit ans ?

Mme Sylvie Hel-Thelier . - La loi pour une école de la confiance a fixé cette obligation de formation de seize à dix-huit ans, qui passe par un certain nombre de dispositifs. Nous avons été plus particulièrement concernés par le sujet du service civique. Ce n'est certes pas une formation certifiante, mais il s'agit tout de même d'une formation civique et citoyenne. D'autres modalités existent via les missions locales - je pense, notamment, au parcours contractualisé d'accompagnement vers l'emploi et l'autonomie (Pacea) et à la Garantie jeunes - qui permettent d'assurer l'accompagnement du jeune entre seize et dix-huit ans vers une orientation professionnelle.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Le service civique est une excellente chose, mais il doit aboutir à des passerelles et à une reprise d'études. Avez-vous prévu des dispositifs en ce sens ?

Mme Emmanuelle Pérès . - C'est un chantier sans fin et sur lequel nous travaillons continuellement. Comme l'a souligné Sylvie Hel-Thelier, des compétences sont acquises pendant cette mission de service civique. Elles méritent d'être valorisées, en particulier auprès des employeurs éventuels. Au-delà, nous travaillons avec un certain nombre de grands acteurs qui accompagnent le jeune volontaire pendant sa mission de service civique afin de l'aider à construire son projet professionnel. La vocation du service civique n'est pas de conduire vers l'emploi, ce n'est pas un dispositif d'insertion dans l'emploi, mais c'est vraiment un dispositif d'engagement. Nous ne devons pas le dévoyer, je suis très vigilante sur ce point. Pour autant, tout l'apport du service civique pour un jeune, en particulier un jeune qui a décroché, est de pouvoir être accompagné dans l'élaboration de son projet professionnel, notamment grâce à la mise en place d'un tutorat. Ma mission est de m'assurer qu'à la fin de son service civique le jeune ne retrouvera pas livré à lui-même.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Vous dites que vous êtes attentive à ce que les jeunes en service civique n'occupent pas des emplois, mais dès lors que le Gouvernement en accroît considérablement le nombre juste après avoir fait quasiment disparaître les emplois aidés, n'y a-t-il pas un risque que le service civique remplace les anciens emplois aidés ?

Mme Emmanuelle Pérès . - Ce risque existe depuis le début, ce nouveau statut de volontariat doit trouver sa place particulière pour renforcer les associations, sans y occuper des emplois. Nous y sommes très vigilants, les missions sont étudiées en amont, nous avertissons les partenaires qu'elles ne doivent pas correspondre à des postes d'emploi, l'Agence du service civique s'est dotée d'outils pour exercer un contrôle précis. Pour avoir participé au conseil d'administration de cette agence, je peux témoigner qu'elle y est très vigilante, il y va de l'avenir du service civique.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Le jeune en service civique a un statut de volontaire, il n'a donc pas droit au chômage ; les missions durent huit mois qui doivent s'exercer en continu, sans interruption.

Mme Emmanuelle Pérès . - La mission peut être séquentielle lorsque cela se justifie, c'est le cas par exemple pour les étudiants.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - La durée doit être de 24 à 48 heures sur six jours pour une rémunération de 480 euros nets, soit 4,14 euros de l'heure - c'est peu, d'autant que le Gouvernement présente le service civique comme un outil d'émancipation.

Mme Emmanuelle Pérès . - Certes, mais le service civique est un volontariat rétribué, ce n'est pas un emploi assorti d'un salaire.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - On peut l'entendre, mais encore faut-il que le contingent reste modeste. Dès lors que les jeunes y seront bien plus nombreux, n'y a-t-il pas le risque d'une substitution ?

Mme Emmanuelle Pérès . - Les associations demandent l'extension, jusqu'à même rendre le service civique obligatoire, en particulier dans l'éducation populaire. Elles y trouvent certes leur intérêt, mais pour les jeunes aussi le service civique est une expérience intéressante. Nous donnons consigne à l'Agence du service civique de la plus grande vigilance vis-à-vis de ce risque de substitution à l'emploi ; nous veillons également à ce que les associations les plus modestes aient accès au service civique.

M. Michel Bonnus . - Il faut communiquer sur les dispositifs, nous devons être complémentaires et informer tout le monde : je vais m'y employer, c'est décisif.

Mme Sylvie Hel-Thelier . - Effectivement, nous nous y employons également, en particulier dans le dispositif « La boussole des jeunes ».

M. Michel Bonnus . - Nous aurions dû parler de tout cela avant de voter comme nous l'avons fait contre le port du voile pour les accompagnantes scolaires
- je me suis pour ma part abstenu. Car les accompagnantes sont indispensables, elles sont une source d'information incomparable, un lien avec bien des familles, des fratries, et en leur refusant l'accompagnement, nous nous privons en réalité d'un lien très important, d'une confiance qui est indispensable - sans compter que si nous manquons d'accompagnants, les enfants ne sortiront plus de l'école, de leur quartier, ils n'iront plus à la piscine ni aux activités culturelles.

Je le dis sans détour : dans mon canton, à Toulon, je compte au moins une vingtaine d'écoles où interdire aux accompagnantes de porter le voile, c'est s'interdire d'avoir des accompagnantes tout court, avec pour conséquence que les enfants ne participeront plus aux activités extérieures à l'école, mais également que nous couperons un lien avec bien des familles de ces quartiers et que nous préparerons plus de difficultés à l'avenir.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - J'en suis bien d'accord, même si ce n'est pas le débat d'aujourd'hui.

M. Michel Bonnus . - J'entends bien, mais les questions sont étroitement liées.

M. Jean Hingray , président . - Je me réjouis, comme centriste, que notre mission réconcilie la gauche et la droite...

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Le Fonds d'expérimentation pour la jeunesse sera-t-il pérennisé ?

Mme Emmanuelle Pérès . - Nous y travaillons, notre objectif est bien de le pérenniser. Il s'agit de faire émerger l'innovation, de l'évaluer et de la partager. Nous avons acquis une expertise et une ingénierie dans la capacité à mesurer l'impact d'expérimentations portées par les acteurs du territoire et à les généraliser lorsqu'elles marchent. Il est important que l'État soutienne des démarches innovantes, assorties d'évaluation.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Qu'en est-il du programme d'investissement d'avenir qui avait financé des projets innovants en faveur de la jeunesse ?

Mme Emmanuelle Pérès . - C'était dans le même esprit, avec un autre circuit de financement. Nous nous adapterons quel que soit le canal de financement.

M. Jean Hingray , président . - Merci pour toutes ces informations.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat .

Audition de Mme Bénédicte Legrand-Jung, adjointe au délégué général
à l'emploi et à la formation professionnelle, M. Stéphane Rémy,
sous-directeur chargé des politiques de formation et du contrôle
et Mme Cécile Charbaut, adjointe au sous-directeur
en charge des parcours d'accès à l'emploi

(Mardi 11 mai 2021)

M. Jean Hingray , président . - Mes chers collègues, nous entendons cet après-midi Mme Bénédicte Legrand-Jung, adjointe au délégué général à l'emploi et à la formation professionnelle, qui est accompagnée de M. Stéphane Rémy, sous-directeur chargé des politiques de formation et du contrôle, et de Mme Cécile Charbaut, adjointe au sous-directeur chargé des parcours d'accès à l'emploi.

Mme Bénédicte Legrand-Jung, adjointe au délégué général à l'emploi et à la formation professionnelle . - Je commencerai par un certain nombre de constats concernant la situation des jeunes sur le marché du travail.

Le taux de chômage des jeunes est très élevé, notamment pour les moins qualifiés. Fin 2020, ce taux était 2,3 fois supérieur à celui de la population générale. Le nombre des jeunes sans emploi ni formation est très important : on dénombre près de 1 million de jeunes sans emploi ni formation initiale ou professionnelle, les fameux NEET - Not in Education, Employment or Training. Le nombre des jeunes travailleurs précaires est, quant à lui, de l'ordre de 320 000 environ.

On sait par ailleurs qu'une part importante de cette population n'est pas accompagnée par le service public de l'emploi, ce qui soulève évidemment des problèmes en termes de repérage, et n'est pas indemnisée par l'assurance chômage.

Les jeunes se trouvant dans une situation de grande précarité sociale et financière cumulent, non seulement un handicap en matière d'accès à l'emploi, lié à leur niveau de qualification, mais aussi des handicaps sociaux : ils sont souvent confrontés à des problèmes de logement et de santé. Ce n'est pas un hasard si les jeunes issus des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) ou des zones de revitalisation rurale (ZRR) sont surreprésentés.

Il existe en outre une problématique spécifique aux jeunes mineurs : 60 000 jeunes âgés de seize et dix-sept ans sont sans emploi ni en formation.

Enfin, il faut évoquer les conséquences sociales de la crise économique et sanitaire sur la situation des jeunes, en particulier les effets de la non-création d'emploi et du gel des embauches dans les entreprises. En période normale, le nombre des jeunes entrant sur le marché du travail s'élève à 750 000 en moyenne chaque année.

L'ensemble de ces constats a conduit le Gouvernement à mettre en place, dans le cadre du plan France Relance, un plan très ambitieux en faveur des jeunes, le plan « 1 jeune, 1 solution », doté de plus de 9 milliards d'euros, qui mobilise un éventail très large de dispositifs pour répondre aux problèmes rencontrés par les jeunes. Dans cette perspective, nous sommes particulièrement attentifs aux conditions de mise en oeuvre opérationnelle et territoriale des mesures envisagées et à leur accessibilité pour les jeunes.

La politique menée par le ministère du travail et de l'emploi en faveur de l'insertion des jeunes est centrée autour de trois axes.

Le premier axe majeur concerne les mesures visant à favoriser un accès direct à l'emploi. C'est notamment le cas via le développement de l'apprentissage et de la formation par alternance. Celle-ci permet à tous les jeunes dès seize ans, voire dès quinze ans dès lors que ceux-ci ont achevé leur scolarité au collège, d'alterner un enseignement théorique en centre de formation des apprentis (CFA) et un enseignement pratique en entreprise, format qui peut être particulièrement adapté à des jeunes qui considèrent que l'enseignement scolaire est contraignant.

La formation par alternance offre aux jeunes la possibilité de bénéficier d'une rémunération, ce qui n'est pas négligeable pour des individus en quête d'émancipation et d'autonomie. Cette formation est gratuite et garantit l'accès à un certain nombre d'autres avantages, comme par exemple une aide au permis de conduire.

L'alternance a été profondément modifiée par la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, tant en ce qui concerne les relations entre l'employeur et l'apprenti que son financement. La réforme vise à développer l'apprentissage pour faciliter l'emploi et l'insertion des jeunes, en levant les freins au développement des CFA, en centrant la formation sur les pratiques des entreprises et en l'adaptant à leurs besoins. Dans ce cadre, une attention particulière a été portée aux publics les plus fragiles, comme les jeunes travailleurs handicapés, pour lesquels la durée du contrat peut être étendue d'un an par rapport aux jeunes non handicapés.

Je citerai également l'exemple de la prépa apprentissage. Ce dispositif, qui a fait l'objet d'appels à projets financés dans le cadre du plan d'investissement dans les compétences (PIC), a pour objet d'offrir aux jeunes un parcours dans la durée, sécurisé, modulable en fonction de leurs besoins, ce qui leur permet de travailler sur leurs prérequis et leurs compétences relationnelles. Il s'agit de limiter les ruptures prématurées de contrats d'apprentissage.

Dans le cadre de la crise sanitaire, le Gouvernement a souhaité amplifier les efforts en matière d'apprentissage au travers de plusieurs actions.

Je pense tout d'abord à l'aide à l'embauche de jeunes en contrat de professionnalisation, qui s'élève à 5 000 euros pour les apprentis mineurs et à 8 000 euros pour les majeurs. Cette aide financière a été prolongée jusqu'à la fin de l'année 2021.

L'effort porte en priorité sur les apprentis dont les niveaux de qualification sont les plus bas. Ainsi, les entreprises de moins de 250 salariés recrutant des jeunes jusqu'au niveau du bac peuvent bénéficier, le cas échéant, au terme de la première année du contrat d'apprentissage, d'avantages financiers exceptionnels. Par ailleurs, le délai de signature d'un contrat d'apprentissage avec une entreprise a été prolongé de trois à six mois après le début de la formation en CFA, et le forfait de premier équipement de 500 euros par apprenti a été étendu à l'achat de matériel informatique pour lutter contre la fracture numérique.

Au-delà de l'apprentissage, plusieurs aides directes à l'embauche des jeunes ont été mises en oeuvre.

C'est le cas de l'aide à l'embauche des jeunes, prévue du 1 er août 2020 au 31 mai 2021, qui est destinée à l'ensemble des entreprises embauchant un jeune de moins de vingt-six ans dans la limite de 1,6 SMIC. Cette aide peut atteindre 4 000 euros pour des embauches en CDD de plus de trois mois ou en CDI.

Les emplois francs sont un autre exemple. Ils font l'objet d'une expérimentation depuis 2018. Désormais généralisé, ce dispositif géré par Pôle emploi facilite le recrutement de personnes résidant dans les QPV par une aide aux employeurs qui les embauchent en CDD de plus de six mois ou en CDI. Afin de maintenir un avantage pour les jeunes résidant en QPV, le montant de l'aide a été bonifié, pour les embauches intervenues à partir du 15 octobre 2020, pour atteindre 7 000 euros la première année pour une embauche en CDI.

Du mois d'août au mois de décembre 2020, environ 1,2 million de jeunes ont été recrutés en CDI ou en CDD, chiffre à peu près équivalent à celui que l'on observait sur la même période en 2018. Nous avons donc réussi à protéger les jeunes de moins de vingt-six ans durant la crise sanitaire, l'apprentissage ayant évidemment beaucoup contribué à ces bons résultats, puisque plus de 500 000 contrats d'apprentissage ont été conclus en 2020. Ce chiffre s'inscrit dans la dynamique que l'on observait déjà en 2019, avec une augmentation de 16 % du volume des contrats sur l'année.

Le deuxième axe des politiques d'insertion concerne le développement de la formation professionnelle des jeunes en recherche d'emploi.

Les efforts déployés ont été confortés dans le cadre du PIC. Sur la période 2018-2022, notre objectif est de former 2 millions de jeunes demandeurs d'emploi peu ou pas qualifiés supplémentaires, moyennant un investissement financier significatif. Le plan se décline au niveau territorial en lien avec les conseils régionaux dans le cadre des pactes régionaux d'investissement dans les compétences (PRIC). Aujourd'hui, on constate une forte augmentation du recours des jeunes demandeurs d'emploi à la formation, puisque les moins de trente ans représentent près de 40 % des nouveaux bénéficiaires.

Le renforcement de la formation professionnelle des jeunes se concrétise aussi au travers du plan « 1 jeune, 1 solution ». L'objectif est d'atteindre 100 000 entrées en formation préqualifiante ou qualifiante supplémentaires. Le pilotage de cette action se fait en lien étroit avec Pôle emploi et les missions locales pour la formation et l'emploi des jeunes, qui sont les prescripteurs en matière de formation professionnelle des jeunes.

La deuxième mesure importante en matière de formation repose sur la revalorisation du barème de la rémunération des stagiaires, prévue par la loi de finances pour 2021. Cette réforme est en cours : elle repose sur le constat que le niveau des rémunérations était désincitatif et que leur évolution dépendait de critères trop complexes. La revalorisation est nette : pour les jeunes mineurs, elle passe de 130 à 200 euros ; pour les jeunes de dix-huit à vingt-cinq ans, elle passe à 500 euros.

Troisième mesure, nous allons étendre le bénéfice de cette rémunération aux jeunes qui sont engagés dans les parcours d'accompagnement financés par le PIC.

Le troisième axe des politiques d'insertion, qui s'est lui aussi considérablement développé dans le cadre du plan « 1 jeune, 1 solution », s'articule autour des parcours d'accompagnement et d'insertion des jeunes les plus éloignés de l'emploi, notamment ceux qui cumulent les handicaps : faible niveau de qualification, mauvais état de santé, problèmes de logement ou de mobilité, par exemple.

On peut distinguer, dans un premier temps, les parcours mis en oeuvre par les opérateurs du service public de l'emploi, à commencer bien sûr par les missions locales. Celles-ci sont notamment responsables des parcours contractualisés d'accompagnement vers l'emploi et l'autonomie (Pacea), sorte de cadre de droit commun de l'accompagnement des jeunes. Il s'agit d'un cadre souple offrant à tous les jeunes un accompagnement par phase pour une durée qui peut aller jusqu'à vingt-quatre mois. Les jeunes peuvent alors bénéficier d'une allocation ponctuelle pour répondre à des besoins financiers spécifiques.

Les missions locales sont aussi chargées du déploiement de la Garantie jeunes, dispositif destiné aux jeunes en situation de précarité, très orienté sur leur expérience professionnelle, et dont la durée peut atteindre jusqu'à dix-huit mois.

Le plan « 1 jeune, 1 solution » se fonde sur des objectifs ambitieux, qui ont évidemment fait l'objet d'échanges avec l'Union nationale des missions locales (UNML) : il vise à doubler le nombre des jeunes accompagnés dans le cadre du dispositif de la Garantie jeunes en 2021 pour atteindre 200 000 jeunes ; il vise également à augmenter de 80 000 le nombre de jeunes engagés dans un Pacea pour passer à 420 000. Pour ce faire, un certain nombre de mesures ont été prises, et des moyens supplémentaires sont consacrés aux missions locales pour financer l'accompagnement des jeunes.

Le dispositif d'accompagnement intensif de Pôle emploi destiné aux jeunes éprouvant des difficultés d'accès à un emploi durable a par ailleurs été considérablement renforcé dans le cadre du plan « 1 jeune, 1 solution » : l'objectif est que 240 000 jeunes puissent bénéficier de cet accompagnement intensif au cours de l'année 2021.

Enfin, nous prévoyons de mettre en place des mesures de sécurisation financière des parcours pour faire face à la hausse de la précarité financière des jeunes. Le Gouvernement a annoncé une revalorisation de l'allocation Pacea, dont le plafond a été porté de trois fois à six fois le montant mensuel du RSA sur une période de douze mois, et prévoit une aide équivalente pour les jeunes accompagnés par Pôle emploi ou par l'APEC, ainsi qu'à destination des jeunes diplômés ex-boursiers.

À côté des parcours suivis par les opérateurs du service public de l'emploi, il existe tout un catalogue de solutions proposées aux jeunes les plus éloignés de l'emploi.

Je pense aux contrats aidés. Pour les parcours emploi compétences (PEC) dans le secteur non marchand - associations et collectivités locales - l'objectif est de financer 80 000 PEC en 2021, en sachant que la prise en charge de l'État a été portée à 65 %. S'agissant du contrat initiative emploi (CIE) jeunes, contrat aidé du secteur marchand, sa durée potentielle a été allongée. Depuis la réforme de 2018, le cadre de ces contrats, notamment dans le secteur non-marchand, est plus qualitatif, avec un caractère plus insérant. On le constate sur les taux de sortie des bénéficiaires de ces contrats aidés.

Nous investissons aussi dans l'insertion par l'activité économique (IAE), via le recours aux structures d'insertion par l'activité économique. À souligner, l'existence d'un pacte d'ambition pour l'insertion par l'activité économique qui vise à augmenter significativement le nombre d'entrées dans les parcours de retour vers l'emploi : l'objectif est d'atteindre 35 000 jeunes en 2021.

Enfin, il faut évoquer les dispositifs de soutien à la création d'activité, qui peuvent constituer une solution adaptée pour un certain nombre de jeunes. Un appel à projets visant à développer le travail indépendant et la création d'activité comme solution d'insertion a été lancé. Dans ce cadre, 15 000 parcours de jeunes pourront être financés.

Les jeunes peuvent en outre profiter de l'action de structures comme les établissements pour l'insertion dans l'emploi, les Epide, ou les écoles de la deuxième chance, qui sont soutenus dans le cadre du plan d'investissement des compétences.

Je souhaite enfin faire un point sur les dispositifs à destination des mineurs, notamment dans le cadre de l'obligation de formation, entrée en vigueur le 1 er septembre 2020 dans le cadre de la loi pour une école de la confiance de juillet 2019. Je citerai en particulier le programme « La Promo 16.18 » proposé par l'Agence pour la formation professionnelle des adultes, l'AFPA, qui vise à formuler des solutions pour les jeunes mineurs décrocheurs, en leur proposant un véritable sas de remobilisation de quatre mois.

Enfin, certains appels à projets financés dans le cadre du plan d'investissement dans les compétences sont destinés à repérer les jeunes dits « invisibles » Un premier appel à projets a permis de financer 237 projets destinés à accompagner près de 34 000 de ces jeunes. Le but est de faire émerger des méthodes d'approche innovantes pour repérer les jeunes concernés et les orienter vers les acteurs institutionnels de la prise en charge et de l'accompagnement.

La mise en oeuvre opérationnelle de ces mesures est évidemment très importante. Le plan « 1 jeune, 1 solution » vise avant tout à garantir un accès effectif des jeunes et des entreprises aux mesures en vigueur.

Dans cette logique, une attention particulière est portée à la coordination des opérateurs du service public de l'emploi, notamment Pôle emploi et les missions locales, mais aussi les Cap emploi qui accompagnent les jeunes travailleurs handicapés. Cette politique fait l'objet d'un pilotage resserré au niveau territorial sous l'égide des préfets. Enfin, il faut mentionner certains outils comme la plateforme « 1 jeune, 1 solution », plateforme numérique destinée à proposer aux jeunes un accès simple et ergonomique à l'ensemble des solutions proposées dans le cadre du plan, mais également aux offres d'emploi et de stage.

Mme Agnès Canayer . - Ma première question porte sur la complexité des dispositifs existant sur le terrain : leur multitude ne nuit-elle pas à leur lisibilité ? Ne pensez-vous pas que certaines mesures, plus attractives, vont supplanter d'autres mesures pourtant intéressantes ?

Dans le cadre du dispositif prépa apprentissage, les rémunérations prévues n'ont pas encore été versées aux jeunes concernés : est-ce prévu dans un avenir proche ?

Ne pensez-vous pas qu'une meilleure coordination entre les outils informatiques (Ouiform pour les régions, I-MILO pour les missions locales...) sur lesquels reposent les différents dispositifs que vous avez évoqués accroîtrait leur efficacité ?

Enfin, pourriez-vous nous parler de la Garantie jeunes universelle ?

M. Laurent Burgoa . - Dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville, les dispositifs et les intervenants sont nombreux, manquent parfois de visibilité et les jeunes ne savent pas à qui s'adresser. Ne conviendrait-il pas de rationaliser ?

Mme Bénédicte Legrand-Jung . - Vous posez la question de l'accompagnement financier des parcours. Avec le plan de lutte contre la pauvreté, l'objectif est de sécuriser les parcours des jeunes, notamment par le biais de l'allocation Pacea, qui est gérée par les conseillers des missions locales, en lien éventuellement avec les conseillers de Pôle emploi : cette allocation permet de faire face aux besoins ponctuels des jeunes, dans le cadre de leur parcours d'insertion, ou à une situation d'urgence ou de précarité.

Vous soulignez aussi le risque d'écarts de rémunération entre les différents dispositifs. Dans le cadre de la réforme de la formation professionnelle, le niveau de la rémunération des jeunes en formation a été aligné sur le niveau de la Garantie jeunes. Cette revalorisation du barème est importante et va dans le sens que vous indiquez.

La refonte des systèmes d'information constitue un chantier structurant et de longue haleine. Nous travaillons à renforcer les articulations entre les systèmes d'information de Pôle emploi et des missions locales. Le projet Agora vise à recenser toutes les personnes inscrites dans un dispositif formation professionnelle, quel que soit le financeur, ce qui permettra d'avoir des données de pilotage mieux intégrées. L'outil Ouiform permet déjà aux différents prescripteurs de positionner les jeunes sur un catalogue de formations, qui est celui des Carif-Oref. La réforme des systèmes d'information est aussi au coeur du chantier du service public de l'insertion et de l'emploi ; il s'agit de faciliter le partage des données entre tous les acteurs.

La ministre de l'emploi, du travail et de l'insertion a l'ambition de créer une Garantie jeunes universelle, afin de pouvoir proposer à chaque jeune privé d'emploi, à chaque jeune NEET, un accompagnement renforcé et un parcours sécurisé, grâce à une garantie de ressources, pour permettre l'insertion sur le marché du travail. L'objectif est d'accroître l'autonomie des jeunes, dans une logique d'émancipation par le travail, tout en veillant à la simplicité du mécanisme et à sa personnalisation ; les réflexions sont en cours.

Vous avez aussi évoqué la question de la multiplicité des acteurs et de la lisibilité des dispositifs. C'est un sujet important. L'accord-cadre de partenariat renforcé entre Pôle emploi et les missions locales vise déjà à renforcer la fluidité entre les organismes. Je pourrais aussi mentionner l'appel à projets « 100 % inclusion » du plan d'investissement dans les compétences, qui vise à financer des projets innovants afin d'accompagner les personnes dans une logique sans couture, à 360 degrés, pour garantir la fluidité de leur parcours.

Quant à la plateforme « 1 jeune, 1 solution », elle fournit aux jeunes des outils pour qu'ils puissent s'orienter directement, entrer en relation avec des entreprises ou avec des conseillers des missions locales.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Quel regard portez-vous sur l'initiative de la préfecture de la région Ile-de-France qui a mis en oeuvre un plan régional d'insertion pour la jeunesse (PRIJ) pour mettre en cohérence les différentes interventions en faveur des jeunes ?

Mme Cécile Charbaut, adjointe au sous-directeur en charge des parcours d'accès à l'emploi . - Nous avons eu des contacts avec la préfecture dans le cadre de ce PRIJ et des travaux préparatoires à la mise en oeuvre de l'obligation de formation des jeunes de 16 à 18 ans. La démarche de la préfecture est très intéressante, notamment en ce qui concerne la coordination des acteurs et le repérage des jeunes. Ces échanges sont fructueux et cela nourrit nos réflexions.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Concernant l'obligation de formation jusqu'à 18 ans, quelles sont les actions qui sont développées par le ministère du travail ?

Mme Bénédicte Legrand-Jung . - Les actions sont de différentes natures. Il a fallu définir le cadre réglementaire pour préciser le fonctionnement du dispositif, le rôle des différents acteurs, l'offre de solutions disponible. Le ministère du travail y a pris part, en lien étroit avec le ministère de l'éducation nationale et la délégation interministérielle à la prévention et à lutte contre la pauvreté. Le ministère entretient aussi un dialogue étroit avec les missions locales sur le déploiement du dispositif et pour faire en sorte que les missions locales disposent des données de l'éducation nationale sur les décrocheurs grâce à une articulation de leurs systèmes d'information. Nous travaillons aussi avec les missions locales pour définir l'offre de services à leur disposition et les moyens qu'on leur fournit dans ce cadre. Il y a aussi le dispositif « La Promo16.18 », conçu avec l'Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes (l'AFPA), qui est déployé depuis l'année dernière au bénéfice des mineurs décrocheurs, notamment sous le pilotage des missions locales et qui permet aux jeunes d'avoir un parcours de mobilisation de quatre mois, avec des phases collectives et individuelles, de découverte des métiers, de travail, d'approfondissement de ses compétences relationnelles, etc.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - En somme, vous étendez avec ce plan ce qui a déjà cours avec la Garantie jeunes !

Mme Bénédicte Legrand-Jung . - Ce dispositif est destiné et conçu pour les mineurs. La Garantie jeunes a pour objectif de déboucher sur une formation ou un emploi. La Promo 16.18 est un dispositif de remobilisation qui intervient en amont, pour aider les jeunes à entrer dans un dispositif d'accompagnement.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Tous les jeunes décrocheurs seront-ils repérés et accompagnés de la sorte ? Il est quand même assez simple de repérer ces jeunes !

Mme Bénédicte Legrand-Jung . - Notre objectif est de repérer ces jeunes et de leur proposer des solutions. Le dispositif proposé par l'AFPA n'est qu'une solution parmi d'autres, au même titre que le retour dans la formation initiale par exemple.

Mme Cécile Charbaut . - L'obligation de formation est pilotée par les plateformes de suivi et d'appui aux décrocheurs (PSAD), instances de coordination entre tous les acteurs qui sont copilotés par les centres d'information et d'orientation (CIO) et les missions locales. Les PSAD ont vocation à repérer les mineurs en situation de décrochage scolaire grâce à des échanges de données, ou avec le concours des acteurs mobilisés dans le cadre de l'appel à projets « repérer et mobiliser les publics invisibles » pour identifier les jeunes hors listes. Nous nous efforçons, en développant les échanges de données, d'être plus réactifs pour repérer les cas de décrochage, prendre contact avec le jeune et sa famille, réaliser un diagnostic et lui proposer une orientation adaptée.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Et l'éducation nationale ? Ne serait-il pas plus simple qu'elle fournisse directement les coordonnées des décrocheurs ?

Mme Agnès Canayer . - L'enjeu, en effet, est d'éviter les décrochages et de renforcer la coopération entre tous les acteurs en amont. Cette coopération prend des formes diverses selon les territoires. Cela vaut aussi avec les départements pour les jeunes de l'aide sociale à l'enfance (ASE). Dans tous les cas, il faut anticiper et réagir vite pour ne pas perdre le contact avec les jeunes. Or les différentes structures ont parfois du mal à se parler. Je prends l'exemple d'une école de production, sur mon territoire, qui forme des jeunes de 15 à 16 ans en situation de décrochage aux métiers de la chaudronnerie : elle n'arrive pas à obtenir la reconnaissance de l'éducation nationale.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - J'ai présidé une mission locale : je n'ai pas le souvenir de liens avec l'éducation nationale... C'est dommage. On pourrait éviter ainsi de perdre la trace des jeunes qui sortent sans qualification du système scolaire.

Mme Bénédicte Legrand-Jung . - Le partenariat avec l'éducation nationale est au coeur du dispositif et de l'obligation de formation jusqu'18 ans. L'enjeu du chantier de refonte des systèmes d'informations est bien de parvenir à avoir des données en temps réel pour pouvoir détecter un jeune qui décroche et intervenir rapidement. Les ministres du travail et de l'éducation nationale ont donné des instructions à leurs services pour qu'ils travaillent ensemble dans le pilotage régional de l'obligation de formation, sous l'égide des préfets et des recteurs d'académie, en association aussi avec les régions. La volonté politique est forte. Les départements sont également associés en ce qui concerne les jeunes de l'ASE. Le décret dispose ainsi qu'en cas d'absence de solution dans le cadre de l'obligation de formation, le président du conseil départemental est alerté.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Certains dispositifs d'insertion s'accompagnent d'une allocation, d'autres non. Ne faudrait-il pas décorréler la formation et la rémunération ? Ne doit-on pas craindre que les jeunes ne s'orientent en priorité vers les formations les mieux rémunérées, mais peut-être pas les plus pertinentes pour eux ? Ne faudrait-il pas instaurer un revenu minimum pour les jeunes, indépendamment de la voie qu'ils ont choisie ?

Mme Bénédicte Legrand-Jung . - Des étapes ont déjà été franchies dans le sens que vous indiquez, avec, par exemple, la revalorisation de la rémunération des stagiaires en formation professionnelle. Le plan « 1 jeune, 1 solution » vise à développer l'accompagnement des jeunes, en sécurisant leur situation financière.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Le plan de relance contient des crédits exceptionnels en faveur de l'insertion des jeunes. Seront-ils pérennes ? Toute une génération de jeunes aura vu ses conditions de scolarité bouleversées avec la crise et risque d'être longtemps handicapée.

Mme Bénédicte Legrand-Jung . - Le plan de relance a été conçu pour faire face à la crise et accompagner aussi longtemps que nécessaire les jeunes. C'est le cas, par exemple, avec la prolongation des aides en faveur de l'apprentissage.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - La réforme de l'assurance chômage est controversée et frappera durement les jeunes, qui, pour certains, commenceront leur vie professionnelle par le chômage. Comment estimez-vous ses effets sur les jeunes ? La précarité ne risque-t-elle pas de les entrainer dans la spirale de l'échec ? N'est-ce pas en contradiction avec les annonces du Gouvernement en faveur de la jeunesse ? Le Gouvernement reverra-t-il sa copie ? Et si oui, comment ?

Mme Bénédicte Legrand-Jung . - Un plan massif a été mis en place pour proposer à tous les jeunes demandeurs d'emploi - qu'ils soient ou non indemnisés ou inscrits à Pôle emploi - des solutions d'insertion. Ce plan, d'une ampleur inédite, mobilise tous les leviers possibles pour aider les jeunes à s'insérer sur le marché du travail.  Je rappelle aussi les efforts de sécurisation financière entrepris avec la revalorisation de la rémunération des stages de formation professionnelle ou grâce à l'allocation Pacea.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Constate-t-on déjà une hausse du nombre d'apprentis en lien avec la hausse des rémunérations ?

Mme Bénédicte Legrand-Jung . - Pour le déterminer, il faudrait pouvoir réaliser des analyses macroéconomiques très fines : il est toujours difficile d'apprécier l'efficacité d'un dispositif, de faire la part des effets d'aubaine... Les centres de formation d'apprentis ont été durement frappés par la crise et ont dû adapter leur enseignement pour maintenir les enseignements à distance. Toutefois, les entrées en apprentissage ont continué à augmenter, avec 500 000 contrats conclus cette année. C'est lié à la réforme structurante de 2018. La hausse des aides a sans doute joué aussi et s'inscrit dans le cadre de cette politique d'ensemble.

M. Stéphane Rémy, sous-directeur en charge des politiques de formation et du contrôle . - Nous avons instauré un dialogue hebdomadaire avec les CFA à partir du 16 mars pour assurer la continuité pédagogique, notamment la formation à distance. Cela a été un succès. Une enquête de la Fédération nationale des associations régionales de directeurs de CFA montre que, dans 92 % des cas, des solutions en distanciel ont été proposées aux apprentis. On a aussi été attentif à éviter le risque de fracture, notamment pour les premiers niveaux, qui sont moins équipés, d'où l'importance du forfait de premier équipement. Au printemps 2020, on craignait une rentrée catastrophique car les prévisions faisaient état d'une chute annoncée de l'apprentissage de 25 % à 40 %. On a réussi à inverser la tendance. La réforme de 2018 a joué, car dès 2019, la hausse était de 16 %. La refonte des aides a aussi joué un rôle important. Elles ont été relevées pour tous les niveaux, toutes les entreprises. La question reste posée de savoir comment ces aides seront maintenues en sortie de crise. L'aide unique prendra le relais pour les entreprises de moins de 250 salariés et pour les formations de niveau inférieur ou égal au bac. La réforme a joué un rôle structurant. L'éventail d'offres de formation par apprentissage s'est développé. Des CFA d'entreprise sont apparus. Le système a été revu en profondeur. Il n'y a plus besoin d'une autorisation administrative de la région ; les branches professionnelles déterminent les niveaux de prise en charge en fonction des besoins économiques et les employeurs ont joué le jeu.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - L'aide à l'embauche des jeunes est versée à des entreprises qui embauchent aussi bien en CDD qu'en CDI. Ne craignez-vous pas que cette mesure crée des effets d'aubaine au profit des employeurs ?

Mme Bénédicte Legrand-Jung . - La décision a en effet été prise de verser l'aide à l'embauche des jeunes aux employeurs recrutant un jeune de moins de vingt-six ans en CDD de plus de trois mois ou en CDI.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Il serait certainement utile de mesurer rapidement les effets de cette décision.

Afin de promouvoir un égal accès aux compétences, le Gouvernement a lancé un plan d'investissement dans les compétences doté de 15 milliards d'euros pour la période 2018-2022, afin de financer des actions visant le développement des compétences des demandeurs d'emploi faiblement qualifiés et des jeunes sans qualification, dont les personnes en situation de handicap et les personnes issues des QPV et des ZRR. Quels sont vos leviers d'action dans le cadre de ce plan ? Pour quels résultats ?

Mme Bénédicte Legrand-Jung . - Le PIC vise en effet à renforcer l'accès à la formation des demandeurs d'emploi dans leur ensemble, et notamment les moins qualifiés, les jeunes et les individus les plus fragiles. Nous observons une hausse significative du recours de ces publics à la formation : un demandeur d'emploi sur six y a accès aujourd'hui, contre un sur dix en 2015.

Mme Agnès Canayer . - Les opérateurs de compétences, les OPCO, n'informent pas suffisamment bien sur la qualité, la spécificité et les modalités d'accès à telle ou telle formation, ce qui rend plus délicate l'orientation d'un certain nombre de jeunes.

Mme Bénédicte Legrand-Jung . - Ce ne sont pas les OPCO qui sont responsables de la qualité de l'information relative à l'offre de formation, mais le réseau des Carif-Oref, qui sont des acteurs financés par les conseils régionaux. Comme vous le soulignez, l'un de nos objectifs est d'améliorer la visibilité et l'accessibilité au catalogue des formations.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Un certain nombre de régions se sont manifestées encore récemment pour témoigner que la création des CFA d'entreprise n'était pas forcément une bonne chose, notamment parce que ces centres vidaient de leur substance les CFA existants. Il faut reconnaître que la formation d'un apprenti par une entreprise répond aux besoins de l'entreprise et ne permet pas nécessairement de lui délivrer une formation applicable partout.

Mme Bénédicte Legrand-Jung . - Les CFA d'entreprise doivent respecter exactement les mêmes obligations que les CFA, notamment en ce qui concerne la qualité de l'enseignement délivré. Aujourd'hui, le développement de l'apprentissage profite aussi bien aux CFA « traditionnels » qu'aux CFA d'entreprise : l'un n'empêche pas l'autre.

M. Stéphane Rémy . - La loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel visait à développer l'offre de formation par l'apprentissage, y compris dans le cadre des 53 CFA d'entreprise que nous avons recensés.

La très grande majorité des CFA dits « historiques » se portent bien. Au total, ce sont 2 400 organismes qui déclarent faire de l'apprentissage aujourd'hui : je vous confirme que ces structures sont toutes assujetties aux mêmes règles.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Il faudra certainement se donner le temps d'évaluer cette réforme. Je vous remercie pour cette audition de grande qualité.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat .

Audition de M. Louis Schweitzer, président du comité d'évaluation
de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté

(Mercredi 26 mai 2021)

M. Jean Hingray , président . - Mes chers collègues, nous avons le plaisir d'accueillir M. Louis Schweitzer, président du comité d'évaluation de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté. Vous êtes accompagné de Mme Marine de Montaignac, rapporteure du comité d'évaluation. Je vous remercie de votre présence.

Je vous propose de rentrer dans le vif du sujet avec un propos liminaire avant de répondre aux questions.

M. Louis Schweitzer . - Mesdames et messieurs les sénatrices et les sénateurs, mon exposé sera complété par Marine de Montaignac.

Je commence par quelques mots sur la stratégie de lutte contre la pauvreté. Elle a été annoncée à l'automne 2018. Le comité d'évaluation a été créé à l'automne 2019. Il a publié une première note en mars 2020, une note sur les premiers effets de la covid à l'automne 2020 et un premier « vrai » rapport en mars 2021. Nous ferons, par la suite, une nouvelle note sur l'impact de la covid sur la lutte contre la pauvreté à l'automne 2021 en espérant que la crise sanitaire sera derrière nous et que nous serons en état d'en mesurer les effets. Nous ferons un nouveau rapport annuel à la fin du printemps 2022, après la période électorale.

En France, il existe un accord universel sur l'égalité des droits et il est parfaitement établi dans les textes. Les discriminations montrent que quelques pas restent à accomplir pour aboutir à l'égalité des droits dans les faits. L'égalité des chances fait aussi l'objet d'un accord général sur le plan des principes, mais dont tout le monde s'accorde à reconnaître qu'elle n'est pas encore effective. L'égalité des situations, en revanche, ne fait pas l'objet d'un accord de principe. Mais une trop forte inégalité des situations rend impossible une réelle égalité des chances. C'est là où la stratégie de lutte contre la pauvreté rencontre les préoccupations de votre mission, puisque la pauvreté compromet l'égalité des chances. Des exemples caricaturaux, comme l'accès aux grandes écoles, l'illustrent, mais on constate, à tous les niveaux, une corrélation entre le parcours futur et les origines. Toutefois, la France est, sur ce plan, mieux placée que les États-Unis, où le mythe de l'égalité des chances existe, mais où elle a moins de réalité qu'en France.

Dans notre rapport, nous avons pour mission d'évaluer la mise en oeuvre effective de la stratégie de lutte contre la pauvreté, telle qu'elle a été définie par le Gouvernement. Elle comporte des mesures, d'une part en faveur de l'enfance et de l'adolescence pour assurer l'égalité des chances et, d'autre part, une série de mesures pour assurer l'accès à l'emploi et aux droits.

Nous avons ajouté un troisième volet dans notre évaluation : le respect de l'engagement d'éliminer la grande pauvreté, qu'a pris la France devant l'Organisation des nations unies (ONU). Au demeurant, et paradoxalement, les situations de grande pauvreté ne sont pas encore parfaitement définies en droit alors même qu'on a fixé un calendrier pour 2030. Si on estime que cette grande pauvreté consiste en un revenu par unité de consommation inférieur à la moitié du revenu médian accompagné de privations matérielles mesurées, on voit bien que, si la famille se trouve dans cette situation, l'enfant n'aura pas les mêmes chances, quoi que vous fassiez pour lui, qu'un enfant grandissant dans une famille plus favorisée. La lutte contre la grande pauvreté est donc un des éléments de l'égalité des chances des jeunes et des enfants.

La première mission de notre comité était de voir la mise en oeuvre effective de la stratégie annoncée par le Gouvernement. Marine de Montaignac va vous en faire une présentation. Auparavant, je voudrais vous dire que le comité a constaté, avec un certain chagrin, que les instruments de suivi de la mise en oeuvre effective de la stratégie, préalable à l'évaluation de son efficacité qui est notre mission première, étaient incomplets, tardifs et peu cohérents. Nous menons, malgré cela, une action de suivi.

Marine de Montaignac va vous exposer le suivi des mesures qui intéressent spécifiquement le comité, puis je dirai quelques mots de la mesure particulière concernant la garantie de ressource des jeunes de 18 à 24 ans.

Mme Marine de Montaignac . - Nous allons vous parler du suivi de la mise en oeuvre et de l'état de connaissance en matière de l'évaluation de la stratégie. Je vous propose également de vous donner une vue d'ensemble sur les 35 mesures de la stratégie, puisque plusieurs s'appliquent également au public qui vous intéresse.

Cette présentation s'appuie sur des éléments du rapport du comité d'évaluation publié début avril.

Le comité a publié tout d'abord une note d'étape en mars 2020, dans laquelle il avait précisé comment il procéderait pour son évaluation. Il avait ainsi indiqué que, pour les 35 mesures de la stratégie qu'il avait recensées, il s'attacherait, d'une part, à suivre leur mise en oeuvre et à évaluer l'effet de chacune des mesures, et d'autre part à procéder à l'évaluation de la stratégie dans son ensemble, sur la pauvreté et les objectifs visés. Il a également décidé d'évaluer la démarche adoptée pour mettre en oeuvre les mesures de la stratégie sur les territoires, qui en représentent un axe fort.

Le comité programme des travaux d'évaluation, s'appuie sur des travaux menés par les administrations ou par la délégation interministérielle à la prévention et à la lutte contre la pauvreté (DIPLP), et, pour les dispositifs comme le plan d'investissement dans les compétences (PIC) pour lesquels un comité scientifique d'évaluation sera mis en place, sur les conclusions de ces évaluations.

Je vous rappelle tout d'abord que l'évaluation nécessite du temps : il est trop tôt pour évaluer les effets des mesures. Toutes ne sont pas pleinement montées en charge. Il existe un délai pour qu'elles produisent des effets et pour pouvoir disposer des données. Le comité soulève à ce propos le risque que les données nécessaires aux indicateurs envisagés pour évaluer leur effet ne soient pas disponibles. Le travail d'évaluation de la stratégie, nécessitant de connaître avec précision l'objet à évaluer, le comité a étudié l'état d'avancement de la mise en oeuvre des mesures à la fin 2020, soit un peu plus de deux ans après son lancement.

Sur les 35 mesures que le comité a recensées, quatre sont pleinement mises en oeuvre. C'est le cas, par exemple, de la revalorisation de la prime d'activité. Deux mesures ont été abandonnées : celle concernant le soutien aux collectivités dans 60 quartiers prioritaires de la ville (QPV) avec deux adultes par classe de maternelle, fusionné avec le dispositif des cités éducatives, et celle qui correspondait à une expérimentation relative aux opérations et modalités de la Garantie jeunes qui reposait sur une initiative du plan d'investissement dans les compétences.

Pour les autres mesures, l'état d'avancement est très inégal. Par exemple, l'objectif de création de places de crèches bénéficiant du bonus mixité était presque atteint fin 2019, tandis qu'aucune formation des professionnels de la petite enfance ou des travailleurs sociaux prévue dans la stratégie n'a eu lieu en 2020. Il faut souligner également l'interruption de la concertation sur le revenu universel d'activité depuis le premier confinement de mars 2020, qui n'a pas repris ensuite. À ce stade, seul un rapport technique sur le sujet doit être réalisé à l'automne. Pour une autre mesure phare de la stratégie, le service public de l'insertion et de l'emploi, la mise en place en a été retardée afin d'en dessiner les contours, et permettre l'appui sur des expérimentations territoriales sur la base d'appel à volontariat pour son déploiement.

Deux mesures ont vu leurs objectifs revus à la baisse : le nombre de travailleurs sociaux formés - avec un ciblage sur ceux qui sont en contact avec des publics en situation de précarité ce qui fait passer le nombre de 700 000 annoncé dans la stratégie à 100 000 personnes - ainsi que le nombre de centres sociaux à ouvrir dans les quartiers prioritaires.

À l'inverse, cinq mesures ont été renforcées pour répondre à la crise en 2020, comme le complément de l'obligation de formation des jeunes de 16 à 18 ans par le dispositif de la « promo 16-18 » mis en oeuvre par l'AFPA, l'extension de la Garantie jeunes et des allocations « parcours d'accompagnement contractualisé vers l'emploi et l'autonomie (PACEA) » ou encore des mesures supplémentaires en faveur de l'insertion par l'activité économique.

Deux mesures ont été repriorisées : celle sur l'automatisation pour les demandes de droits sociaux et celle sur la prévention des expulsions dans le cadre du plan « logement d'abord ». Ces mesures ne semblaient pas avoir beaucoup avancé jusqu'alors.

Ainsi, la grande majorité des mesures ont été lancées. Le comité constate des retards dans la mise en oeuvre de la stratégie, en partie liés à la crise sanitaire et au fait qu'en 2020, notamment de mars à juin, la priorité de la DIPLP et des administrations en charge de la mise en oeuvre des mesures a été la gestion de la crise. Mais pour le comité - le comité citoyen l'a également signalé et le président Schweitzer en a parlé - le suivi de la mise en oeuvre n'est pas satisfaisant et il manque à ce jour un tableau de bord qui permettrait d'avoir une vision globale de la mise en oeuvre de la stratégie à mi-parcours, et une vision précise de son déploiement dans les territoires.

Concernant l'évaluation de l'effet des mesures, il est trop tôt pour y procéder. Pour certaines mesures, on dispose déjà de tous premiers résultats. Il y en aura davantage en cours d'année 2021, par exemple pour la revalorisation de la prime d'activité. Pour d'autres mesures - soit parce qu'elles ne sont pas encore très avancées, soit parce que leurs effets ne sont pas encore visibles - les résultats seront disponibles à compter de 2022, ce qui suppose que l'évaluation se poursuive au-delà de l'horizon de déploiement de la stratégie. Le comité a par ailleurs dressé l'état des lieux de la disponibilité des indicateurs d'évaluation qu'il avait sélectionnés et souligne le risque que les données nécessaires pour évaluer l'effet des mesures ne soient pas disponibles pour certaines d'entre elles.

Concernant l'évaluation de l'atteinte des objectifs globaux, le comité, avec son évaluation, souhaite évaluer l'effet de la stratégie sur la pauvreté et les objectifs fixés. L'évolution des indicateurs sur les grandes thématiques donne pour le moment une vision de la situation avant la mise en place de la stratégie, sauf pour les mesures en matière d'emploi et d'éducation, où des valeurs plus récentes sont disponibles, mais ne peuvent être reliées à la mise en oeuvre de la stratégie.

Toujours sur le même sujet, selon une simulation réalisée par l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) et la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees), avec le modèle de micro-simulation Ines selon certaines hypothèses, la revalorisation de la prime d'activité aurait eu un fort impact sur le taux de pauvreté. Toutefois, il faut noter que cette réforme ne concerne que les personnes percevant des revenus d'activité supérieurs à 50 % du Smic mensuel. Cette estimation sera complétée par une évaluation des effets de cette revalorisation sur la pauvreté monétaire, après prise en compte de ses effets sur les comportements d'activité. Cette étude est réalisée actuellement par l'Institut des politiques publiques à la demande du comité d'évaluation.

Enfin, et c'est le dernier point concernant l'évaluation, le comité s'attache également à évaluer la gouvernance. Les premiers résultats reposent en grande partie sur l'audition de 14 des 18 commissaires à la lutte contre la pauvreté, dont trois issus des départements d'outre-mer, et on peut dire à ce stade que l'organisation prévue pour piloter la stratégie est bien mise en place. Les moyens financiers annoncés ont été confirmés, rendant ainsi crédible l'engagement de l'État vis-à-vis des collectivités.

Toutefois, le comité souligne un point d'alerte important, sur le soutien politique qui reste insuffisant pour donner à la délégation qui en a la charge les moyens d'une coordination interministérielle et d'un pilotage propre, à garantir un niveau de mise en oeuvre à la hauteur des ambitions nationales.

L'une des nouveautés introduites dans la stratégie est la mise en oeuvre de contrats entre l'État et les départements. Les commissaires auditionnés sont plutôt positifs sur cette contractualisation, qui aurait permis de renouer un dialogue sur les objectifs et les moyens de compétence décentralisée depuis de nombreuses années, ainsi que sur le fait que le suivi d'indicateurs engagerait les départements sur la voie de l'évaluation de la performance. Elle met aussi à jour le déficit des systèmes d'information des départements.

Enfin, en ce qui concerne la participation des personnes concernées, qui était un axe fort de la stratégie, elle reste, au vu des retours sur le sujet, et notamment de la part du cinquième collège du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale (CNLE), pour le moment inférieure aux ambitions. Mais il est trop tôt pour en mesurer les effets, y compris parce que la crise a créé un décalage sur les conventions et les remontées d'indicateurs. Une recherche évaluative des laboratoires Arènes et un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales sur la contractualisation, prévus pour 2021, permettront d'en savoir plus pour le prochain rapport du comité.

L'évaluation est un exercice sur le temps long. Il est encore trop tôt pour mesurer les effets des stratégies qui, pour la plupart, ne pourront être évaluées avant 2022. Cela suppose que l'évaluation se poursuive au-delà de l'horizon de déploiement de la stratégie.

M. Louis Schweitzer . - Je voudrais reprendre brièvement en évoquant deux points.

Le premier est l'accompagnement. L'accompagnement des personnes aidées est un élément central de la stratégie de lutte contre la pauvreté. Et nous avons été très frappés de voir, en dialoguant avec les responsables des grandes organisations de lutte contre la pauvreté, avec le cinquième collège des personnes en situation de pauvreté du CNLE, qu'en fait, l'accompagnement faisait l'objet de jugements ambivalents. D'une part, accompagnement et contrôle étaient souvent associés, ce qui expliquait un recul ou un retrait vis-à-vis des personnes chargées de cet accompagnement. C'est évidemment le cas dans l'emploi. D'autre part, parce que l'accompagnement peut et doit être multidimensionnel. Il n'est pas seulement professionnel, tourné vers l'emploi, mais il est aussi tourné vers tous les aspects psychologiques associés à la pauvreté, à la situation familiale, etc. Le sujet de la qualification des accompagnateurs dans tous ces domaines se pose. C'est un des points que le comité suivra avec attention.

Je voudrais en venir à la situation des jeunes de 18 à 25 ans. En France, le revenu de solidarité active (RSA) n'est ouvert qu'aux jeunes ayant passé leur vingt-cinquième anniversaire. C'est une situation différente de celle qu'on trouve dans certains pays, qui ont institué de revenu de même type, et qui n'en ont pas écarté les jeunes adultes, de 18 à 25 ans.

Les arguments contre l'extension du RSA aux 18-25 ans sont de deux natures : le premier est le coût de la mesure, évalué à 9 milliards d'euros en année pleine ; le second est la crainte que le fait qu'on accorde un revenu à des jeunes les détourne de rechercher un emploi.

Les études expérimentales faites dans des pays étrangers sur la question de savoir si un revenu minimum détourne de rechercher un emploi tendent plutôt à indiquer le contraire : elles n'ont pas d'effet négatif sur la recherche d'emploi, mais peuvent même avoir un effet positif parce qu'elles libèrent le jeune qui recherche un emploi. Mais il n'y a pas d'étude solide de ce type en France : nous avons désiré que la mise en oeuvre d'un tel revenu - que nous souhaitons - s'accompagne d'une étude expérimentale. Esther Duflo en a donné des méthodes. Des personnes compétentes en France peuvent faire de ce type d'évaluation en regardant ce qui se passe aux frontières des droits pour examiner si la mise en place des mesures nouvelles a ou n'a pas un effet sur la recherche d'emploi.

Le comité est allé plus loin, en proposant la mise en place d'un revenu pour les jeunes de 18 à 24 ans, mais en s'éloignant du RSA pur et simple. Nous avons proposé d'étendre à l'ensemble des jeunes un système similaire à celui des bourses. Pourquoi ? D'abord, parce que créer une distorsion entre les catégories de jeunes est moins justifié qu'à une époque où les étudiants représentaient une petite minorité d'une classe d'âge. Ce n'est plus le cas : désormais les étudiants représentent une proportion proche de la moitié d'une classe d'âge -, n'était pas justifié. Deuxièmement, le système des bourses prend en compte la capacité de bénéficier d'un soutien familial. Il nous paraît légitime de tenir compte de cette capacité de certaines familles à soutenir les jeunes, en particulier pour les plus jeunes d'entre eux. Éliminer le concept de solidarité familiale ne nous paraît ni justifié, ni souhaitable au niveau général.

Nous avons donc proposé la mise en place d'un système, dont on a défini les grands axes, qui s'inspire du système des bourses et qui consiste à donner un revenu calé au niveau maximum sur le RSA, mais qui tient compte de la capacité contributive ou de soutien familial quand il existe.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Vous avez brossé un large éventail de sujets intéressant notre mission, car elle se penche sur les inégalités, de la naissance à l'entrée dans l'âge adulte. Vous avez parlé, Madame, du premier regard porté par le comité d'évaluation sur les modes d'accueil du jeune enfant.

Vous avez raison de dire que nous manquons de recul pour disposer d'évaluations sérieuses, mais vous avez semblé indiquer que les modes d'accueil n'étaient pas suffisamment développés et vous avez évoqué la formation des personnes en charge de ces jeunes enfants. De nos auditions, et plus particulièrement celles sur la petite enfance - ma collègue Michelle Meunier qui est très qualifiée sur le sujet pourra en parler mieux que moi - il ressort que les personnels chargés d'accueillir ces très jeunes enfants ne sont pas suffisamment formés. Faites-vous le même constat ? Auriez-vous des préconisations ?

Mme Marine de Montaignac . - Une mesure prévoyait la mise en place de formations et la formation professionnelle de la petite enfance. À ce jour, ce qui a été prévu pour 2020 n'a pas été mis en place, sans doute en partie à cause de la crise mais aussi parce que l'organisation n'était pas suffisamment aboutie pour que ces formations puissent se tenir.

Pour ce qui est du manque de déploiement des modes d'accueil, la réponse sera la même. Je vous ai dressé un état des lieux à partir des informations dont nous disposions, qui vous donne une idée de l'avancement de la mise en oeuvre des mesures prévues par le Gouvernement dans sa stratégie. Je ne porterai pas de jugement pour savoir si cette mesure est plus ou moins bien calibrée. Il est d'ailleurs bien trop tôt pour pouvoir tirer des conclusions.

M. Louis Schweitzer . - Il est évident que la crise sanitaire a empêché d'exercer à grande échelle le programme de formation. Néanmoins, on aurait pu expérimenter, valider à plus petite échelle des plans de formation pour pouvoir les mettre en oeuvre à grande échelle, après avoir testé leur efficacité sur une échelle plus réduite. À notre connaissance, cela n'a pas été fait.

Mme Marine de Montaignac . - Un référentiel de formation a été publié par le Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge, tel que prévu par la mesure, et des actions d'ingénierie de formation ont été réalisées.

Mme Michelle Meunier . - Monsieur le président, vous venez de dire, dans votre présentation, que la mise en oeuvre et le suivi de la stratégie de lutte contre la pauvreté reste imparfaite. Selon vous, cela vient-il des mesures du plan elles-mêmes, du pilotage et de la gouvernance, ou bien est-ce une question de moyens ?

Je me dégage ici des questions de la petite enfance que Monique Lubin a soulevées. Sur ce point, je confirme que nous avons beaucoup entendu, lors de nos auditions, l'intérêt d'un repérage précoce des situations de pauvreté - et d'une action en conséquence - pour éviter qu'elles ne se forment et ne s'enkystent.

M. Louis Schweitzer . - Cette stratégie a été développée par Olivier Noblecourt, qui était alors délégué interministériel à la lutte contre la pauvreté, et qui a quitté ces fonctions après avoir élaboré cette stratégie mais avant qu'elle n'est ait été pleinement mise en oeuvre. La délégation interministérielle est une toute petite instance, qui regroupe moins de dix personnes à effectif complet dans la délégation centrale, auxquels il faut ajouter les délégués régionaux - dont le nombre se limite à une personne par région. Vous voyez ce que cela peut vouloir dire à l'échelle d'une région comme la Nouvelle-Aquitaine ! C'est une toute petite équipe. Et en réalité, cet effectif a été plus souvent inférieur à l'effectif autorisé : certains départs n'ont été compensés qu'au bout d'un grand nombre de mois. L'institution chargée de piloter cela au niveau central et les délégués régionaux de cette institution ont donc très peu de moyens.

Deuxième point : les grandes administrations qui ont cette capacité, que ce soient les administrations nationales - notamment la direction générale de la cohésion sociale - ou les services départementaux ou régionaux, n'ont pas de liens hiérarchiques ou structurels avec cette mission interministérielle. Il existe donc une stratégie globale, mais pas de cohérence de pilotage global de la stratégie au niveau de l'État.

Troisième problème : les instruments de mesure, qui relèvent souvent de collectivités départementales ou municipales, n'ont pas été mis en oeuvre. Il n'existe pas de système informatique qui permette - je pense aux petits déjeuners et aux cantines - de suivre quantitativement et effectivement la mise en oeuvre des mesures. Nous demandons à ce que soit mis en place un système qui permette de faire ce suivi. Si vous essayez de suivre une stratégie nationale qui concerne des centaines de milliers d'enfants et que vous le faites au moyen de quelques exemples illustratifs, on voit bien que ce n'est pas un suivi satisfaisant. Cela a été pour moi une source d'étonnement. Mes souvenirs de l'administration étaient que les données remontaient, étaient centralisées, et qu'on avait des instruments de suivi. L'action était plus ou moins efficace, l'évaluation de cette efficacité était plus ou moins bien assurée, mais les instruments de remontée statistique, qui sont la base de tout, sont ici incomplets, indisponibles. Cela a été pour le comité une source de frustration.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Nos auditions confirment que l'une des façons d'aider les très jeunes enfants naissant dans des milieux particulièrement défavorisés est de leur permettre d'accéder, dès les premières années de leur vie, à des modes d'accueil mixtes, où ils fréquenteraient des enfants issus de milieux différents et plus aisés. Cela nous questionne sur l'éventuel avènement d'un service public d'accueil de la petite enfance. Y avez-vous réfléchi ou bien pouvez-vous être amené à y réfléchir dans le cadre des travaux que vous avez à rendre ?

M. Louis Schweitzer . - Là aussi, la crise sanitaire, a limité la réalité de l'action sur l'accueil collectif. Il existe une mesure spécifique sur la mixité dans les crèches et dans les premières années. J'ignore si nous avons des données quantifiées.

Mme Marine de Montaignac . - L'objectif de 90 000 places bénéficiant du bonus mixité d'ici 2022 était quasiment atteint fin 2019, avec 82 000 places créées.

M. Louis Schweitzer . - Cette mesure ne montre que la mixité ou le progrès de mixité qui permet de toucher le bonus. Ce n'est pas une donnée quantifiée sur la réalité de la mixité sociale dans les crèches.

Cela dit, on voit un problème lié à des zones d'habitat plus pauvres, qui peuvent être compensées par des crèches plus proches des lieux d'emploi qui ne sont pas nécessairement les mêmes que les lieux d'habitat.

Je ne crois pas que nous ayons des instruments qui permettent de dire dans quelle mesure les crèches sont ou ne sont pas mixtes.

Mme Marine de Montaignac . - On suit un indicateur de la caisse nationale d'allocations familiales (CNAF). En 2018, 20 % des enfants en situation de pauvreté fréquentaient un établissement d'accueil du jeune enfant (EAJE). C'est un point de départ pour l'évaluation de la stratégie et des effets de certaines mesures. Une étude de la CNAF est en cours sur ce bonus mixité, pour avoir un regard plus précis sur son effet, qui pourra éventuellement mener à un recalibrage de la mesure.

M. Louis Schweitzer . - C'est l'occasion de dire que la CNAF est un acteur majeur de toutes ces mesures, avec lequel le travail est souvent plus facile.

Mme Monique Lubin , rapporteure . -La CNAF, que nous avons auditionnée, met en oeuvre de nombreux dispositifs pour les familles, notamment à destination des plus pauvres d'entre elles. Encore faut-il que ces familles s'en saisissent.

Mme Michelle Meunier . -Ce sont des chiffres plutôt satisfaisants en matière de mixité. Mais ils concernent l'accueil organisé et collectif. La moitié des enfants de 0 à 3 ans sont gardés selon des modes non déclarés ou de débrouille et de solidarité. Ces chiffres encourageants sont donc à mettre en regard de la réalité de l'accueil de la petite enfance, qui mériterait d'être développé.

M. Louis Schweitzer . - À cet égard, un des points soulignés par le comité, ainsi qu'une de ses recommandations, est la lutte contre le non-recours. Les chiffres sont incertains, mais la plupart des experts estiment qu'environ le tiers des personnes qui ont droit à une prestation ne l'exercent pas. Les causes de ce non-recours sont multiples : la peur de la stigmatisation, l'ignorance, la complexité des formules. Le revenu universel d'activité (RUA) avait pour objet de résoudre en partie ces problèmes. Quelques expériences locales ont été engagées, à l'image des territoires « zéro chômeur de longue durée », visant à avoir des territoires « zéro non-recours ». Si on se place dans cette optique, cela conduit à aller vers les gens et à mieux comprendre le non-recours. Je pense qu'il est exclu de transformer toute la France en un territoire « zéro non-recours », mais cela donne des pistes d'action concrètes pour lutter contre ce phénomène, qui n'est pas évalué ni analysé de façon suffisamment précise. C'est aussi le sentiment des grandes associations.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Vous citez l'« aller-vers ». Nous l'avons entendu dans la bouche de très nombreux intervenants. Ne trouvez-vous pas paradoxal qu'au moment où tout le monde nous parle d'« aller-vers », on mette finalement de moins en moins d'interlocuteurs en chair et en os en face des personnes en difficulté ? Nous devons tous passer par des plateformes informatiques, des outils numériques, pour faire les demandes du quotidien, alors que l'« aller-vers » est nécessaire aux personnes les plus en difficulté ?

M. Louis Schweitzer . - La crise sanitaire a rendu plus difficile l'« aller-vers ». On ne peut pas juger ce qui s'est passé pendant ces deux ans comme si elle n'avait pas eu lieu.

Il faut ajouter, en second lieu, qu'en dehors des services publics, nationaux, municipaux ou départementaux, ou encore des caisses d'allocations familiales qui pratiquent beaucoup l'« aller-vers », les associations ont montré qu'elles ont un rôle majeur en ce sens, par leurs bénévoles ou leurs salariés. Elles ont en effet une expérience de terrain très forte. Je regrette qu'on ne soutienne pas assez ces associations. Elles bénéficient d'un concours populaire certain, mais au fond, les responsables de ces associations disent que le surplus de tâches a excédé le complément de moyens qu'elles ont reçu. Je pense que du point de vue de cet « aller-vers », le monde associatif dispose d'une capacité que le service public n'a pas nécessairement de la même façon. Une aide à ce monde associatif est donc un élément central de l'« aller-vers ». Un autre élément est bien sûr l'automaticité et la simplification, qui étaient l'une des idées du RUA.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Nous allons d'ailleurs prochainement examiner une proposition de loi sur l'automaticité. Nous savons qu'elle a peu de chances de prospérer, mais nous espérons qu'elle ouvrira le débat.

M. Laurent Somon . - Je vais dresser des constats et poser quelques questions.

Le constat que vous faites est assez peu satisfaisant, même s'il s'explique en grande partie par la crise sanitaire. Pour autant, vous soulignez que certaines des 35 mesures ont été engagées. On a parlé de la petite enfance, mais au-delà de l'ouverture des crèches et la possibilité d'y accéder, certaines concernent aussi la santé. Dans le plan pauvreté, on note la volonté de faire en sorte que dans les mille premiers jours, et en particulier dès la naissance, on ait un accompagnement par les services de protection maternelle et infantile (PMI) afin que 100 % des enfants de zéro à un an soient vus le plus rapidement possible. Avez-vous pu constater, depuis que la stratégie a été engagée, que les départements très en retard dans ce domaine ont progressé ? Malgré la crise sanitaire, les PMI ont en effet continué à travailler.

Un deuxième axe a été fortement travaillé : les enfants issus de l'aide sociale à l'enfance (ASE) et les contrats « jeunes majeurs », en continuité de la responsabilité du département et avec la volonté de contractualiser au maximum pour les accompagner dans leur formation et qu'ils puissent s'insérer dans la vie sociale ou professionnelle rapidement.

Vous avez parlé du revenu universel. J'ai été président de département, et je me suis engagé dans le plan pauvreté. J'ai signé un contrat avec l'État dans l'appel à projets, et nous avons fait le service public de l'insertion, par un groupement d'intérêt public, avec la préfecture. Je dois reconnaître qu'il a du mal à prendre sa vitesse de croisière. Des expériences de revenu d'activité ont eu lieu au Canada, en Finlande, et elles montrent que c'est un élément favorisant la résolution de certains problèmes, comme la santé. En revanche, aussi bien en Finlande qu'au Canada, on observe assez peu d'effets sur l'emploi.

Le plan « un jeune, une solution » paraît produire des résultats plutôt probants. Je ne sais si cela est le cas partout, mais dans la Somme, nous nous y sommes vraiment attelés avec Pôle emploi. Avez-vous constaté, en matière d'insertion des jeunes de 18 à 24 ans dans le monde du travail, la volonté d'engager des moyens supplémentaires ? Vous l'avez dit conjointement : il faut accompagner. Mais ce n'est pas seulement une personne qui peut accompagner, il faut un panel de compétences pour accompagner. Je n'étais pas pour le RUA, mais j'avais proposé une allocation éducative et de recherche d'emploi, c'est-à-dire une contractualisation entre les jeunes et la collectivité, pour que les premiers s'engagent à suivre une formation ou un accompagnement social et professionnel et qu'on puisse les aider à déboucher sur un emploi.

Ma question finale est la suivante : vous avez dit que la contractualisation avec les départements semblait plutôt efficace. Qu'il n'y ait que dix personnes au niveau national pour piloter le plan pauvreté est un constat désagréable. Sur une politique majeure d'un gouvernement, cela paraît particulièrement ridicule. À côté de cela, avez-vous pu constater que les départements s'étaient engagés, puisque c'est de leur responsabilité sociale, dans le cadre de ce plan pauvreté, comme c'était la volonté initiale de M. Noblecourt ?

M. Louis Schweitzer . - Marine de Montaignac représente l'effectif permanent du comité d'évaluation : nous n'avons pas la capacité d'évaluer de façon complète l'action des différents départements ! Nous ne l'avons que via la délégation interministérielle dont j'ai évoqué la situation tout à l'heure.

Je réponds désormais sur « un jeune, une solution » et les mesures d'accompagnement spécifiques des jeunes. Toutes les grandes administrations assistent au comité, mais dans leur branche d'étude et de statistiques, et non dans leur branche exécutive. Ces administrations constatent qu'un jeune accompagné a de meilleures chances d'accéder à l'emploi qu'un jeune non accompagné. Cela mesure l'efficacité de l'accompagnement au profit de cette personne.

En revanche, elles nous disent ne pas savoir si les personnes accompagnées gagnent seulement des places dans la file d'attente, ou si cela permet de réduire globalement le chômage des jeunes. On sait que c'est utile à ceux qui en bénéficient, mais on ne sait pas si ça permet de réduire le chômage des jeunes.

Cela fait partie des sujets dont nous souhaitons approfondir l'étude.

Mme Marine de Montaignac . - Concernant la mesure sur les missions des PMI, le comité d'évaluation a eu très peu d'informations. La loi pour une école de la confiance a rendu obligatoire l'examen médical à 3-4 ans. Mais nous n'avons pas d'informations sur l'effectif de cette obligation et les effets qu'elle pourrait avoir sur la santé des enfants.

M. Laurent Somon . - Pourtant, parmi les 35 mesures, elle était considérée comme très importante.

M. Louis Schweitzer . - Je reviens sur le fait qu'il n'existe pas de système de consolidation des informations. Au fond, lorsque je compare à une gestion d'entreprise, cela fait une vraie différence.

M. Laurent Somon . - Dans la Somme, nous avions essayé d'engager une action sur l'insertion des jeunes, avec les entreprises - et notamment avec Break Poverty, qui regroupe des sociétés engagées sur la responsabilité sociale et environnementale (RSE) - mais c'est tombé en panne avec la covid. On essaie de redémarrer : en tant que conseiller départemental, je suis cela de près puisque les difficultés d'insertion des jeunes des 18-24 constituent un véritable fléau dans notre pays. Les raisons sont peut-être antérieures, mais ceux qui ont cet âge-là sont aujourd'hui dans une grande difficulté.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - J'ai auditionné le préfet de la région Île-de-France, Marc Guillaume, et nous en sommes ressortis avec un peu d'optimisme. Des actions menées dans sa région portent leurs fruits. J'ai apprécié qu'il souligne l'envie des jeunes des quartiers de s'en sortir. Les équipes mises en place par la préfecture de région mènent des actions très concrètes et obtiennent des résultats.

Laurent Somon a parlé de fléau et il a raison. Les résultats ne tiennent pas uniquement aux moyens financiers : le plan mis en place en île-de-France en engage relativement peu. En revanche, il y a mise en commun des moyens existants et une action d' « aller-vers » très importante qui porte ses fruits.

M. Louis Schweitzer . - Il est vrai que les jeunes ont envie de conquérir leur autonomie par le travail. L'idée qu'ils aspireraient à ne rien faire est fausse. J'évoquais des études montrant que l'attribution d'un revenu ne décourageait pas la recherche d'emploi : cela l'illustre. Que l'accompagnement soit un puissant facteur complémentaire est évident.

D'expérience et en repensant au temps où je m'occupais de la Haute autorité de lutte contre les discriminations (HALDE), on voit bien que dans l'entrée dans l'emploi ou l'apprentissage du travail, certaines choses doivent s'apprendre. Quand, vous avez devant votre porte 10 ou 15 jeunes gens, dont certains connaissent les codes et sont entraînés, vous écartez ceux qui n'ont pas cette expérience. Cela conduisait à une sorte de cercle vicieux : si vous n'aviez pas d'expérience professionnelle, vous n'étiez pas recruté, et comme vous n'aviez pas cette expérience, vous étiez exclu du système.

Je pense que les actions du type de celles que vous évoquez, Monsieur le sénateur Somon, sont pertinentes. Il ne s'agit pas toujours de formations lourdes, mais plutôt d'apprendre les codes de l'entreprise.

Mme Michelle Meunier . - Monsieur le Président, vous insistez sur l'importance de l'accompagnement social des situations. Je pense au film de Ken Loach, Moi, Daniel Blake. Quel est votre sentiment sur le fossé numérique ? Les plateformes et les sites internet connaissent un développement de plus en plus large et facilité, et leur recours est encouragé. Pensez-vous que cela influence, dans l'approche de lutte contre les inégalités, les stratégies de lutte contre la pauvreté ?

Vous évoquez l'ambiguïté des attitudes face à l'accompagnement et certaines de familles ou de jeunes vis-à-vis d'un contrôle social de leur façon de vivre. Le changement de regard prend du temps.

M. Louis Schweitzer . - Je n'ai pas de données chiffrées qui me permettent d'évaluer ce fossé numérique dont on parle souvent. J'ai tendance à penser qu'il est plus lié à l'âge qu'au niveau de revenus. Cependant, la France a mis en place depuis longtemps des systèmes de retraite et d'allocation de ressources pour les personnes âgées. Le taux de pauvreté monétaire des personnes âgées y est parmi les plus faibles d'Europe - 8 % - alors qu'il est de l'ordre de 14 à 14,5 % pour la population générale.

C'est autre chose que l'aller-vers.

M. Lucien Stanzione . - Je crois que vous avez raison : la question principale est celle de l'accompagnement. Ce n'est pas toujours une question de revenu. Pour moi, qui ai été éducateur spécialisé en milieu ouvert pendant une vingtaine d'années, c'est la présence qui est importante. Michelle Meunier parlait de contrôle social, c'est vrai, mais ce sujet disparaît petit à petit : une fois que l'accompagnement est engagé, il n'est plus vécu comme un contrôle social mais bien comme une mise à l'étrier. Comme vous le disiez, Monsieur le président, ce n'est pas l'envie de ne pas travailler qui domine. Quand on donne une perspective et une lueur d'espoir, un déclenchement se produit. Il faut aller dans ce sens : l'accompagnement est capital dans ces mesures.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Je reviens sur les jeunes enfants. Pouvez-vous évaluer les retours sur le dédoublement des classes de CP, sur les dispositifs « plus de maîtres que de classes » - qui ont été amincis au profit du dédoublement des classes de CP ? Avez-vous pu regarder ces dispositifs très récents ?

M. Louis Schweitzer . - Il faut suivre la lutte contre la pauvreté dans la durée, comme en thérapeutique lorsqu'on veut mesurer l'effet d'un médicament. Nous souhaitions évaluer le plan du précédent Gouvernement. Nous avons le recul nécessaire pour le faire. Il a été considéré que cette demande n'était pas prioritaire, donc cette évaluation n'a pas eu lieu. On est passé d'une doctrine de deux adultes par classe à un dédoublement des classes. Nous avons établi un arbre de causalité qu'une meilleure formation à l'âge de 3 ans débouche sur une meilleure chance d'accès à l'emploi à 18 ans, mais on voit bien que le plein effet de cela sera mesuré bien après la mise en place de la mesure.

Mme Marine de Montaignac . - La mesure « soutenir les collectivités dans 60 quartiers prioritaires » avec deux adultes par classe de maternelle ne fait plus partie de la stratégie. Elle a été fusionnée avec les cités éducatives. Nous ne disposons pas d'informations sur la mise en place de cette mesure pour répondre à votre question.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - On ne comprend pas bien la fusion avec les cités éducatives. On pouvait trouver le dispositif « plus de maîtres que de classes » dans nos zones rurales alors qu'on ne trouve pas partout de cités éducatives.

En avançant dans l'âge du public auquel nous nous intéressons, je veux en venir aux dispositifs en faveur de l'insertion des jeunes. Nous avons auditionné de nombreux acteurs ; les dispositifs et les structures sont nombreux, laissant l'impression d'une forte fragmentation. Au final, peut-être que trop de richesse nuit à l'efficacité. Pensez-vous qu'il faudrait regrouper ces dispositifs sous un seul et même chapiteau ? Les auditions ont confirmé l'impression d'un maquis.

M. Louis Schweitzer . - Un maquis vu d'en haut est une chose, un maquis pour l'individu en est une autre. Si vous êtes dans un département précis ou une ville précise et que vous avez un interlocuteur, le fait que quelqu'un d'autre, dans une autre ville, ait un autre système pour un autre type d'interlocuteur, n'est pas un problème. Si on essaie de définir un vaste système complètement homogène partout, il n'est pas évident ce soit le plus efficace. Je ne suis pas sûr qu'un « grand chapiteau », comme vous l'avez désigné, Madame la rapporteure, soit l'idéal. Le tout est qu'une personne dans un endroit sache qui trouver ou qu'on aille le trouver. Ce n'est pas exactement la même chose. Cela peut donner l'impression d'un foisonnement vu d'en haut, mais si la réalité est que, où que vous soyez, il y ait quelqu'un à qui vous adresser ou qui vienne à vous, le problème ne se pose pas.

Les systèmes d'aide sociale sont très largement décentralisés. La contractualisation a pour objet de les recentraliser. Cela permet d'avoir un regard. Je pense que c'est utile si on avait une information homogène, mais pas nécessairement des mécanismes ou des organismes similaires. Un exemple nous avait frappés : certaines communautés urbaines ont des attributions en matière sociale. D'autre ne les exercent pas. Cette couche supplémentaire est-elle un facteur d'efficacité supplémentaire ? La réponse n'est pas évidente.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Vous vous êtes exprimé sur la création d'un revenu de base pour les jeunes de 18 à 24 ans. Vous proposez quelque chose qui s'apparenterait à un système de bourse, qui deviendrait universel. Avez-vous fait des propositions concrètes au Gouvernement ? Est-ce cela qui a généré certaines annonces gouvernementales ?

M. Louis Schweitzer . - Je ne pense pas que nous soyons à l'origine de ces annonces. J'ai eu l'occasion de m'entretenir pendant une heure avec la ministre du travail, qui a exprimé de l'intérêt sur ce sujet. Je pense qu'elle est convaincue de l'absence de contradiction entre l'allocation d'un revenu et la recherche d'un emploi. Je ne pense pas qu'elle partage ce préjugé. Toutefois, le coût financier de la mesure fait que cela ne relève pas d'elle.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - On annonce une allocation de base pour les jeunes de moins de 25 ans. Pour l'instant, on n'en connaît pas les contours.

M. Louis Schweitzer . - Si cela arrive, je m'en réjouirai.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Je voudrais poser une question à l'ancien dirigeant d'entreprise. Les grands groupes tels que celui que vous avez présidé s'impliquent-ils suffisamment dans l'insertion des jeunes par le biais, notamment, de l'apprentissage ?

M. Louis Schweitzer . - J'ai dirigé ce groupe il y a plus de 15 ans. Il est vrai que nous n'avions pas un recours étendu à l'apprentissage. Même si pendant la période où j'étais en charge de ce groupe, sa production a considérablement augmenté - elle a été depuis divisée par deux, ce qui crée une situation différente -, compte tenu des progrès de productivité, nous ne recrutions que peu, en tout cas parmi les personnels de production. On recrutait plutôt des ingénieurs. Il y avait plus de gens formés que d'emplois de cadre. En revanche, et tous les groupes pourraient le faire, nous organisions des recrutements en contrat à durée déterminée pour des jeunes en premier emploi qui, formellement, ne débouchaient en aucun cas sur un emploi chez Renault, mais où nous aidions des jeunes qui avaient passé trois à six mois chez nous à trouver un emploi chez quelqu'un d'autre. Cela leur permettait de sortir du cercle vicieux : « comme tu n'as pas d'expérience, je ne te recrute pas ». On recrutait des gens dont on savait qu'ils n'avaient pas d'expérience - c'était même une condition d'accès - et on leur donnait l'expérience qui leur permettait ensuite de trouver un emploi.

Il faut reconnaître que c'était pour des métiers avec une formation très légère. Le gros de la formation consistait en de la discipline, de la rigueur, de la précision et un souci de la qualité plus qu'une formation technique lourde. Il s'agissait d'emplois n'exigeant pas, dans les faits, une professionnalisation de plus de quelques jours. Ils étaient, autrefois, exercés par les étudiants pendant les vacances d'été et un étudiant parvenait à apprendre le métier en deux jours.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Vous avez rappelé que cela date de plus de 15 ans. Depuis, l'apprentissage a été considérablement valorisé. Il en va de même dans le plan de lutte contre la pauvreté. Avez-vous une vision de ce que font les entreprises ?

M. Louis Schweitzer . - Elle n'est pas solide. Je vois se développer les formations en alternance. Par ailleurs, j'ai des activités en Seine-Saint-Denis : un jeune qui n'a pas d'appui a d'énormes difficultés pour trouver une entreprise qui lui donne un stage ou une formation en alternance.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Cela a été dit dans nos auditions. Des associations et des bénévoles s'investissent pour aider ces jeunes qui n'ont pas de réseau et, n'ayant pas la bonne adresse ou le nom qui convient, n'arrivent pas, par exemple, à trouver un stage de 3 ème .

M. Louis Schweitzer . - « Nous n'avons ni les réseaux ni les codes » : c'est le mot que j'entends sans cesse.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Mais comment fait-on pour donner ces réseaux et ces codes à tout le monde ?

M. Louis Schweitzer . - Autant l'apprentissage, qui est un mode de recrutement, implique que l'entreprise puisse s'engager sur le long terme vis-à-vis de la personne, autant des systèmes du type de celui que j'évoquais peuvent plus facilement être demandés aux entreprises car ils n'impliquent pas d'engagement. Mais je le répète, je ne suis pas expert sur le sujet.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Jusqu'à quand votre mission a-t-elle vocation à se poursuivre ?

M. Louis Schweitzer . - Jusqu'au moment où le Gouvernement décidera d'y mettre un terme.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Il serait intéressant qu'elle dure suffisamment pour avoir le recul nécessaire.

M. Louis Schweitzer . - Je ne me plaindrais pas si c'était le cas, Madame la rapporteure.

M. Jean Hingray , président . - Nous vous remercions de cette audition et de cette rencontre. Chers collègues, nous nous retrouvons la semaine prochaine avec la secrétaire d'État à la jeunesse pour continuer nos travaux.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat .

Audition de Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État
chargée de la jeunesse et de l'engagement

(Jeudi 3 juin 2021)

M. Jean Hingray , président . - Nous avons le plaisir de recevoir cet après-midi Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État auprès du ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports chargée de la jeunesse et de l'engagement.

Dans le cadre de cette mission d'information, nous avons eu à coeur, notre rapporteure Mme Lubin et moi-même, d'entendre et de rencontrer de nombreux intervenants. Ce matin encore, nous étions à Gennevilliers pour découvrir les cités éducatives. Dans ces rencontres, il y a du débat, de l'échange, des idées contradictoires. Nous souhaitons toucher un panel aussi large que possible, avec une attention particulière pour les 0-3 ans et les 15-25 ans. En parallèle de nos travaux, nous suivons aussi la proposition de loi sur le ticket restaurant étudiant, qui bénéficiera notamment à ceux qui n'ont pas accès à un restaurant universitaire.

Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État auprès du ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de la jeunesse et de l'engagement . - Nous avons suivi attentivement les travaux de votre mission d'information.

Cette crise a bousculé les jeunesses, dans leur situation familiale, territoriale. Pourquoi « les jeunesses » ? Parce qu'il y a en France 12 millions d'adolescents et de jeunes adultes : collégiens, lycéens, étudiants, parfois en décrochage, de jeunes actifs ou en recherche d'emploi ; certains peuvent compter sur leur famille, d'autres non. Parler des jeunesses au pluriel, c'est prendre en considération leur diversité.

Cette classe d'âge est marquée par une multitude de transitions : études, entrée sur le marché du travail, autonomie financière, accès au logement. Cela multiplie les besoins d'accompagnement.

Notre rôle est de mettre au coeur de notre action la promesse républicaine, et l'égalité des possibles - de faire en sorte que les possibles se construisent.

On a pu parler, au cours de cette crise, de tensions entre générations, d'individualisme. Ce n'est pas ce que j'ai vu. J'ai vu, au contraire, des jeunesses engagées, solidaires. Un exemple : le site jeveuxaider.gouv.fr a reçu 350 000 inscriptions, dont 45 à 47 % de moins de trente ans. Pour beaucoup, c'était leur premier engagement. Plus de 58 000 missions de service civique ont également été adaptées de manière proactive à la crise sanitaire.

Il y a néanmoins des difficultés incontestables. Un jeune sur cinq vit en dessous du seuil de pauvreté. Quelque 14 % d'entre eux ne sont ni en emploi ni en formation, leur taux de chômage est deux fois supérieur à la moyenne de la population.

Nous avons évoqué, avec la sénatrice Michelle Meunier, l'impact psychologique de la crise sanitaire sur les jeunes, souligné par le psychiatre Boris Cyrulnik ; il y a aussi un impact économique avec la rupture qu'a été la fin brutale des petits boulots , pour les jeunes étudiants et jeunes actifs. La première réaction du Gouvernement à cette rupture a été de mettre en oeuvre rapidement le plan « 1 jeune, 1 solution ».

Dès 2017, le Gouvernement s'est donné pour priorité de réduire le chômage. Nous avons ainsi débloqué 15 milliards d'euros entre 2018 et 2022 pour former plus d'un million de jeunes ; nous sommes également allés chercher les jeunes en décrochage, en particulier dans les outremers, car notre regard doit être territorialisé.

Nous avons aussi été à l'origine d'avancées sociales : obligation scolaire entre 16 et 18 ans, accès accéléré à l'apprentissage notamment. Ma mission consiste à lever les freins à l'égalité des chances, où qu'ils se trouvent.

Le plan des 1 000 premiers jours, pour les 0-3 ans auxquels vous faisiez référence, est porté par Adrien Taquet. Citons également le dédoublement des classes de CP et CE1, les cités éducatives, l'éducation prioritaire, la détection renforcée des difficultés sociales.

Des mesures d'urgence ont été prises : 200 euros ont été versés à plus de 800 000 jeunes au début de la crise sanitaire, complétés en décembre par un versement de 150 euros à 400 000 bénéficiaires des APL et boursiers.

Comment toucher plusieurs jeunesses sans opposer les catégories, dans une vision universelle de l'accompagnement ? C'est la première question que nous nous posons. Nous atteignons aussi les jeunes aux endroits où ils se trouvent avec des dispositifs comme les job tutors dans les CROUS, une mesure portée par Frédérique Vidal.

Le plan « 1 jeune, 1 solution » a été prolongé jusqu'au mois de décembre, son budget passant de 6,7 à 10 milliards d'euros.

Il faut également mentionner des mesures diverses pour soutenir l'emploi : car protéger l'entreprise, c'est protéger les plus jeunes, le dernier arrivé étant souvent le premier sorti. Nous avons mis en place le chômage partiel accompagné et des stimulations au recrutement comme l'aide de 4 000 euros pour l'embauche d'un jeune de moins de 26 ans. J'ai enfin porté la création de 100 000 missions de service civique supplémentaires.

Un combat m'a tenu particulièrement à coeur : la lutte contre le non-recours. J'ai constaté, à ma prise de fonctions, qu'il était particulièrement élevé ; or les difficultés d'accès à l'information reproduisent et aggravent les inégalités. Il fallait donc universaliser, mais aussi faciliter l'accès à l'information. Grâce à la direction de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative (Djepva), nous avons lancé la « Boussole des aides », une sorte de point d'entrée permettant à chaque jeune, après la réponse à un bref questionnaire, de s'informer sur les droits auxquels il peut prétendre. Nous avons aussi voulu concentrer sur le site 1jeune1solution.gouv.fr des réponses sur les stages, les jobs d'été.

Le ministère de l'éducation nationale a fait le maximum pour garder les écoles ouvertes, et garantir à tous les jeunes un accès à l'éducation et un accompagnement social, surtout pour ceux qui subissent des difficultés familiales.

Notre choix a été de conjuguer cette action avec un engagement très fort auprès de l'animation socio-éducative et l'éducation populaire. M. Blanquer a souhaité, dans ce nouveau ministère élargi de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports, accompagner l'enfant dans tous les moments de sa vie, en conjuguant éducation formelle et informelle. C'est le sens du dispositif des vacances apprenantes, reconduit et renforcé par les « colos apprenantes ».

En matière d'accès à l'information, beaucoup d'organismes existent pour accompagner les jeunes. Je souhaite également évoquer le dispositif « 1 jeune, 1 mentor », qui réunit des associations travaillant autour de la question de l'accompagnement. Le mentorat peut s'exercer à différents moments de la vie ; je pense à l'association Socrate, avec des lycéens qui accompagnent des collégiens, ou à des associations plus connues comme l'association de la fondation étudiante pour la ville (Afev) ou Télémaque. Disposant d'un budget de 30 millions d'euros, le collectif mentorat a permis le passage de 25 000 à 100 000 jeunes « mentorés » cette année ; l'ambition est de doubler ce chiffre l'année prochaine.

Dans cette volonté de lutter pour l'égalité des chances, il y a le projet du service national universel (SNU), que je porte plus particulièrement. Pour rappel, le SNU concerne les jeunes entre 15 et 17 ans. Pour la première fois cette année, 25 000 jeunes vont être accueillis sur tout le territoire. L'idée du dispositif est d'identifier les personnes en difficulté et d'apporter un accompagnement personnalisé ; son ambition est également de faire se rencontrer les jeunesses de notre pays.

La crise nous a mis face à nos responsabilités d'accompagnement. Nous devons contribuer à l'impulsion d'un nouvel élan et corriger des inégalités qui se sont accentuées pendant la crise. L'information de la jeunesse est, à mes yeux, un vrai combat pour ne plus laisser la place au hasard.

J'ai également sollicité l'office franco-allemand et l'office franco-québécois de la jeunesse, afin de relancer la mobilité en profitant d'un budget européen renforcé ; je pense notamment au corps européen de solidarité, un dispositif encore trop peu connu qui permet à des jeunes de vivre une mobilité internationale sans être dans le cadre universitaire.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Ce matin, nous étions à la cité éducative de Gennevilliers. Que se passera-t-il à l'issue des trois ans de l'expérimentation ? Avez-vous commencé à travailler sur l'avenir de ces cités éducatives ?

Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État . - Je ne peux pas prendre d'engagement à la place du ministre de l'éducation nationale. Ce que je peux vous garantir, c'est la volonté du ministère de l'éducation nationale d'accompagner ces alliances territoriales, qui peuvent prendre plusieurs formes, notamment celle des cités éducatives.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Nous avons rencontré beaucoup d'acteurs engagés et passionnants qui travaillent en direction de la jeunesse et, à l'issue de ces rencontres, ressort l'impression d'un manque de coordination. Que répondez-vous à cela ?

Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État . - Madame la sénatrice, votre constat est partagé. L'idée des cités éducatives était précisément de réunir tous ces acteurs. Il y a une nécessité de coordination. Au niveau ministériel, on a constitué ce pôle réunissant plusieurs temps de la jeunesse ; ainsi, nous avons lié la vie associative, l'engagement, le sport et l'éducation.

La réforme de l'organisation territoriale de l'État (OTE) est entrée en application le 1 er janvier dernier. Elle rassemble les administrations de l'éducation nationale, de la jeunesse, de l'engagement et des sports. La jeunesse nécessite des politiques transversales, et nous souhaitons aller plus loin dans l'inter-ministérialité, notamment avec Élisabeth Borne, la ministre du travail, sur la question du mentorat. Au niveau des territoires, on retrouve cet état d'esprit dans les projets éducatifs territoriaux (PEDT), avec un véritable partenariat entre l'État, les collectivités et les associations.

La réforme de l'information jeunesse ou encore le développement de la Boussole ont pour objectif de faciliter et de simplifier l'accès à l'information pour les jeunes. Le plus important pour eux est d'avoir un point d'entrée ; c'était l'un des premiers engagements de la lutte contre le non-recours.

Mme Michelle Meunier . - Aller au-devant de la personne est souvent une démarche fructueuse, comme nous l'a encore rappelé Louis Schweitzer la semaine dernière lors de son audition. Pensez-vous améliorer le dispositif « 1 jeune, 1 solution » ? Les chiffres, pour l'instant, ne sont pas au rendez-vous.

Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État . - Un jeune sur deux ignore les aides dont il peut bénéficier. Nous avons donc cherché à renforcer ces expérimentations et ces projets où l'on va vers les jeunes, en s'appuyant sur les acteurs associatifs et ceux de l'éducation populaire qui ont cette culture. Cette idée est aujourd'hui portée par le collectif mentorat avec qui l'on travaille. Le renforcement du budget d'accompagnement des missions locales va également dans ce sens. Pour cela, nous travaillons beaucoup avec la ministre du travail et Brigitte Klinkert, la ministre déléguée à l'insertion. Si l'on veut lutter contre le non-recours et la non-consommation de dispositifs, il faut démultiplier ces expérimentations.

Mme Michelle Meunier . - Dans Ouest-France ce matin, un article faisait état des travaux de deux chercheurs qui ont produit une étude sur la ségrégation scolaire. La carte est caricaturale, avec une surreprésentation des catégories socioprofessionnelles favorisées dans les établissements du centre de Nantes. La carte scolaire ne fait pas partie des prérogatives de l'État, mais avez-vous des idées pour endiguer ce phénomène ?

M. Jean Hingray , président . - Pour compléter la question de Michelle Meunier, qu'en est-il des zones rurales ?

Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État . - J'ai lu cet article et la carte présentée est, en effet, assez inquiétante. Pour redynamiser la mixité sociale et lutter contre la ségrégation scolaire, j'évoquerai deux outils : le premier, c'est le SNU, qui a vocation à faire vivre cette mixité sociale ; le deuxième, ce sont les travaux menés par le ministre de l'éducation nationale et Nathalie Élimas, la secrétaire d'État chargée de l'éducation prioritaire, pour développer des options et des parcours spécifiques dans le cadre du plan pour l'égalité des chances.

Avec l'Institut national de la jeunesse et d'éducation populaire (Injep), nous travaillons sur des profils de jeunes issus des territoires ruraux, des régions ultramarines et des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV). Dans le collectif mentorat, nous avons cherché des associations connaissant bien les territoires ruraux ; je pense, par exemple, à l'expertise de l'association Des territoires aux grandes écoles. Tous les projets que nous menons dans les QPV ont vocation à s'ouvrir aux jeunes ruraux.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Où en est la mise en place du SNU ? Dans les objectifs fixés, quelle sera la part du service civique ? Je m'interroge également sur l'organisation matérielle du SNU ; à quelle période de l'année va-t-il se dérouler ? Pendant les vacances scolaires ? Et sous quelles formes vont se décliner les missions d'intérêt général (MIG) prévues dans la seconde phase du SNU ?

Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État . - La première expérimentation du SNU date de 2019. Parmi les retours d'expérience, on peut évoquer le fait qu'un jeune sur deux n'avait jamais pris le train de sa vie ; on a également pu identifier de nombreux problèmes de santé. Durant cette première expérimentation, 2 000 jeunes ont été accueillis dans 13 départements.

En 2020, en dehors de la Nouvelle-Calédonie, nous n'avons pas pu organiser de séjours de cohésion. Toutefois, certains jeunes qui s'étaient engagés avaient envie de réaliser leur MIG ; nous avons permis l'inversion du calendrier et ils ont pu vivre leur expérience, notamment dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Après avoir noté cette appétence, nous avons, avec Brigitte Bourguignon, la ministre déléguée chargée de l'autonomie, accompagné la création de 10 000 missions « Service civique solidarité senior », permettant à des jeunes en service civique de vivre ce lien intergénérationnel.

En 2021, nous avons reçu plus 30 000 candidatures, avec des profils divers. On a recensé un tiers de jeunes urbains, un tiers de jeunes ruraux et un tiers de jeunes issus des zones périurbaines. Les profils familiaux et sociaux-professionnels sont également très variés, beaucoup plus que lors de la première expérimentation. Le SNU est pensé comme un moment de creuset républicain, où l'on débat, où l'on apprend, où l'on fait ensemble, avec l'aide des structures de l'éducation populaire et du monde éducatif, et celle des corps en uniforme.

Concernant l'encadrement, un adulte aura sept jeunes sous sa responsabilité. Parmi les centres d'hébergement, on compte des centres de vacances, des internats, des lycées généraux ou agricoles. La question du calendrier déprendra de l'obligation, et il n'y aura pas d'obligation sans un débat parlementaire et une généralisation du dispositif qui concerne aujourd'hui entre 700 000 et 800 000 jeunes. En 2021, avec un nombre de 25 000 jeunes et le choix du volontariat, nous restons en dehors du temps scolaire.

La règle posée est de sortir de chez soi et de son département pour rencontrer l'autre. Au niveau de l'articulation, la MIG se déroule après le séjour de cohésion ; elle dure 15 jours ou 82 heures, et elle est principalement portée par le monde associatif, des collectivités de toutes tailles et des corps comme ceux de la gendarmerie, de la police ou des armées.

La dernière étape du SNU, celle du volontariat, concerne les missions d'engagements longs, entre 6 et 12 mois en fonction de la mission et selon les mobilités ; c'est là qu'intervient le service civique, à la fin du processus entamé par le séjour de cohésion. Avec l'agence du service civique, on travaille sur les parcours d'engagements ; par exemple, on précise à chaque jeune les formats européens de service civique auxquels il peut prétendre au-delà de ses études. Ce dispositif sera une réussite s'il arrive à conjuguer mixité sociale et mobilité territoriale, et si chaque jeune en repart avec des apprentissages qui lui serviront.

Mme Michelle Meunier . - Concrètement, comment cela va-t-il se passer ? Quand on est une association ou une commune, faut-il en passer par les appels à projets ?

Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État . - Concernant le séjour de cohésion, les associations sont aujourd'hui en lien avec les services territoriaux. Si les structures associatives accueillent le centre ou si elles proposent leurs animateurs pour encadrer les jeunes dans le centre, les expérimentations dépendent des territoires. Ensuite, vient le temps des MIG. L'idée n'est pas d'en passer par les appels à projets ; les services déconcentrés de l'État contactent les collectivités pour sensibiliser les maires et développer les MIG.

Concrètement, voilà le calendrier que nous suivons : nous avons commencé par les mairies accueillant des centres Service national universel (SNU) ; la deuxième phase, d'ici la fin de l'été, consiste à travailler avec celles qui envoient des jeunes en séjour de cohésion - 5 000 communes sont concernées ; enfin, des travaux ont vocation à être menés avec les associations d'élus au bénéfice des communes qui le souhaitent.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Depuis très longtemps, les associations d'éducation populaire jouent un rôle essentiel auprès de la jeunesse. Mais elles ont peine à survivre... Lorsque nous les avons rencontrées, elles se sont notamment plaintes des modes de financement par appels à projets. Nous devons les entendre !

Les associations d'éducation populaire avaient pourtant retrouvé leur raison d'être et avaient fait montre de leur efficacité lors de la modification des rythmes scolaires. Mais votre gouvernement y a mis fin et nous sommes revenus à la semaine de 4 jours. Cette réforme a été mise en place de façon précipitée, dans une période de crise où nombre de communes ont vu leurs dotations diminuer.

Plutôt que de mettre fin aux dispositifs d'éducation populaire, il aurait mieux valu les renforcer et octroyer aux communes des moyens supplémentaires - bon nombre n'y auraient pas renoncé, tel que cela s'est produit.

Tous les travailleurs de la petite enfance le reconnaissent : la semaine de 4 jours et demi facilite vraiment les apprentissages. Que ce soit dans les villes ou en zones rurales, elle permettait aux enfants, grâce à l'investissement des associations d'éducation populaire ou aux engagements d'éducation des petites communes, de faire connaissance avec toutes sortes de choses auxquelles ils n'avaient alors pas accès. Je déplore sincèrement qu'il ait été mis fin à ce dispositif...

Quel est votre avis sur la question, madame la secrétaire d'État ?

Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État . - Aujourd'hui, il est clair que nous pouvons améliorer les relations avec les structures d'éducation populaire. Certaines communes sont revenues sur le rythme scolaire, avec toutes les différences territoriales que cela a pu engendrer...

Nous sommes en train de démultiplier les contrats pluriannuels afin que les acteurs de l'éducation populaire, qu'ils dépendent ou non de l'éducation nationale, n'aient plus à répondre de leurs missions d'une année sur l'autre, vis-à-vis d'interlocuteurs divers. C'est d'autant plus important que leur action socio-éducative répond à un besoin réel.

Dans un premier temps, beaucoup d'enseignants se sont engagés dans l'éducation populaire ; plusieurs étaient accompagnateurs de colonies de vacances. S'est succédé à cela une période de creux, durant laquelle l'éducation nationale et l'éducation populaire ont pris leurs distances. Aujourd'hui, une période de renouveau s'ouvre à nous : le ministre Blanquer veut rapprocher de nouveau ces deux corps d'éducation, dans le but d'améliorer leur fonctionnement. C'est d'ailleurs dans cette perspective qu'a été déployé le plan Mercredi, qui propose des activités culturelles et de loisirs à vocation émancipatrice.

Durant la crise, les centres de colonies de vacances, avec ou sans hébergement, n'ont eu d'autre choix que de rester fermés. Ils permettent pourtant à tant de jeunes de partir en vacances, notamment à ceux qui en ont le plus besoin ! C'est pourquoi j'ai lancé un plan d'urgence de 15 millions d'euros destiné à les financer.

Aujourd'hui, le premier enjeu est de prioriser les contrats pluriannuels par rapport au financement par appels à projets. Telle est la philosophie poursuivie par le ministère, à travers les plans Mercredi et Vacances apprenantes, afin d'assurer une coordination et une coconstruction plus grandes.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Toutes les associations et les structures que nous avons rencontrées se sont dites favorables à un revenu de subsistance pour les jeunes de moins de 25 ans.

Nous avions déposé une proposition de loi visant à créer un RSA jeunes
- le RSA existant déjà, il aurait été facile de mettre en oeuvre un tel dispositif -, mais, pour le moment, cet appel n'est pas entendu. Comment l'expliquez-vous ?

Dernièrement, le Président de la République a annoncé le lancement d'une allocation de 500 euros pour les jeunes de moins de 25 ans. Où en est ce projet ?

Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État . - Madame la rapporteure, au-delà des lignes politiques qui nous séparent, notre préoccupation en matière de précarité des jeunes est commune. Cette dernière s'est accrue pendant la crise : aider financièrement les jeunes qui ne s'en sortent pas va donc de soi.

Aujourd'hui, le Gouvernement met en oeuvre tous les moyens nécessaires pour soutenir financièrement les jeunes qui en ont besoin, tout en renforçant les mesures d'accompagnement social. Le nombre de bénéficiaires de la Garantie jeunes a été élargi - 100 000 jeunes supplémentaires en ont ainsi bénéficié. Ce qui compte, en définitive, c'est le parcours d'insertion, car il lève toutes les difficultés.

Il n'y a aucun tabou sur la question de l'accompagnement financier des 18-25 ans, mais notre priorité était d'élargir le nombre de bénéficiaires de la garantie jeunes et d'assurer un accompagnement individualisé et plus long, jusqu'à 18 mois.

Le RSA nous paraissait ne pas jouer son rôle d'insertion, d'où le choix du Gouvernement de renforcer la Garantie jeunes : c'est un magnifique dispositif, qui finit par répondre à toutes les difficultés, qu'il s'agisse, entre autres, de l'accès à la santé ou du logement.

Au-delà d'une aide financière, les jeunes ont besoin d'un accompagnement humain. Telle est la ligne que nous avons adoptée en priorité et, à ce titre, nous avons considéré qu'il fallait concentrer nos efforts sur la Garantie jeunes : dès la remise du rapport du Conseil d'orientation des politiques de la jeunesse (COJ), Élisabeth Borne et moi-même avons travaillé à l'élargir, sans aucun frein financier.

Mme Michelle Meunier . - Notre mission d'information a mené beaucoup d'auditions sur la question du fossé numérique entre les jeunes. Les jeunes ont pour point commun de posséder un équipement numérique mobile, mais ils ne l'utilisent pas tous de la même manière.

Que compte faire le Gouvernement à ce sujet ?

Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État . - Sur cette question, il y a presque un malaise. L'illectronisme des jeunes n'est pas un fantasme, c'est une réalité.

Mme Michelle Meunier . - On a tendance à se focaliser uniquement sur les personnes âgées !

Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État . - En effet, c'est les plus âgés que nous avons l'habitude d'accompagner. Mais les plus jeunes sont aussi victimes de la fracture numérique - et elle s'accroît !

À travers les dispositifs « 1 jeune, 1 solution » et La Boussole des jeunes, le Gouvernement s'efforce d'accompagner les jeunes vers plus d'autonomie numérique.

Le ministre Blanquer travaille au renforcement des projets pédagogiques, via un plan numérique. En raison de l'expertise des acteurs de l'éducation populaire, sur des temps scolaires et périscolaires, les jeunes peuvent acquérir des compétences et de nouveaux outils. Nombreux sont ceux qui, grâce à ce système, ont pu trouver leur chemin et s'en sortir.

Frédérique Vidal et moi-même sommes en train de développer 89 campus connectés. Mais pour pleinement lutter contre les inégalités, nous devons assurer l'accès des jeunes aux outils numériques, ce qui n'est pas toujours acquis comme l'a démontré la crise. Les jeunes ne possèdent pas tous un ordinateur et beaucoup n'ont pas accès à internet ; en revanche, ils ont tous des smartphones, mais ces derniers ne permettent ni d'étudier ni de remplir des formulaires d'aides et créent en définitive une sorte de barrière.

L'éducation à l'information, dans le cadre de l'utilisation des smartphones, est indispensable pour prémunir les jeunes contre les fake news et les problèmes de harcèlement, d'autant que ces outils numériques tombent entre les mains des enfants à un âge de plus en plus précoce. Parce que l'accès aux médias via les smartphones constitue un fléau et peut mener au pire, nous nous efforçons d'y sensibiliser les jeunes et de renforcer leur éducation, avec l'aide des acteurs de l'éducation populaire.

Enfin, à travers les maisons France Service, nous nous employons à coordonner le réseau Information Jeunesse et travaillons à ce que les jeunes puissent être accompagnés par d'autres jeunes accomplissant leur service civique ou bénéficiant d'un premier contrat, dans un lien de pair à pair, sur le modèle des missions numériques.

M. Jean Hingray , président . - Je vous remercie, madame la secrétaire d'État, d'être venue échanger avec nous sur ces sujets.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat .

Audition de M. Yves Jégo, président d'honneur et fondateur
de la certification Origine France Garantie, et M. Arnaud Montebourg, président de la société « Les équipes du made in France »

(Mercredi 9 juin 2021)

M. Jean Hingray , président . - Nous sommes heureux de recevoir M. Yves Jégo, président d'honneur et fondateur de la certification Origine France Garantie. M. Arnaud Montebourg, président de la société Les équipes du made in France va nous rejoindre d'ici quelques instants.

Avec notre rapporteure, Monique Lubin, qui suit notre réunion en visioconférence depuis son département et que je salue, notre mission d'information s'intéresse aux moyens de favoriser l'émancipation de la jeunesse.

Le produire en France a-t-il un avenir, pour donner des perspectives à notre jeunesse ?

C'est le thème sur lequel nous souhaitions échanger avec vous. Je vous propose donne la parole pour un propos introductif.

M. Yves Jégo, président d'honneur et fondateur de la certification Origine France Garantie . - Je suis très honoré d'être parmi vous aujourd'hui sur un sujet majeur et qui me passionne : que fait-on pour la génération montante dans un monde de changements profonds et brutaux ?

Depuis plusieurs années, je suis engagé en faveur de la France des usines et des ateliers. Notre pays dispose d'entreprises, d'actionnaires et de marques qui bien souvent n'ont plus d'usines et d'ateliers en France.

Je suis attaché à la production française, dans une vision qui n'est pas fermée ni ultra-souverainiste, et qui se veut ouverte, dans un monde où les produits circulent. Mais je constate que là où les usines ont fermé se dessine une géographie française du mécontentement et du chômage, qui est finalement celle des gilets jaunes, celle de cette France rurale ou semi-rurale en désespérance faute d'avenir pour ses enfants.

Origine France Garantie est une association loi de 1901 que j'ai présidée pendant douze ans, avec l'objectif de mettre à disposition des entrepreneurs un outil certifiant l'origine de leurs produits. Plus de 600 entreprises couvrant plus de 6 000 gammes de produits ont eu recours à cet outil de certification.

C'est le combat pour la France des usines et des ateliers qui m'anime. Pour moi, produire en France constitue un véritable projet de société. Nous manquons aujourd'hui d'un projet partagé, capable de créer un lien entre les Français. Produire en France peut donner du sens à un projet collectif mobilisant les outils de formation et notre jeunesse. Il s'agit de donner à chacun une place dans la société, en tant que producteur, réalisateur de produits entrant dans notre vie quotidienne. J'y vois un moyen d'épanouissement, à un moment où beaucoup aspirent, dans tous les domaines, à faire eux-mêmes, à devenir des « makers ».

Le premier moteur de ce projet, ce sont les perspectives de création d'emploi qu'il ouvre pour la jeunesse : pas seulement des emplois d'ouvrier, mais aussi d'ingénieur, de technicien, de concepteur... En cela, il est très mobilisateur.

Comment intégrer la jeunesse dans ce projet, la mener sur le chemin des usines et des ateliers ?

L'industrie souffre dans notre pays d'un déficit d'image. La dirigeante d'une usine de fabrication de chaussures témoignait récemment de sa difficulté à recruter des piqueuses et constatait. Un emploi de caissière de supermarché, moins qualifié et moins payé, est privilégié à celui d'ouvrière, car on ne souhaite pas avoir à dire que l'on travaille à l'usine.

Il est donc nécessaire d'entreprendre un gros effort de communication et de promotion des métiers de l'industrie.

Ces dernières années, grâce à la télévision, le métier de cuisinier est de nouveau reconnu. La société doit fabriquer des « stars » de la production.

Il existe aujourd'hui une génération montante du produire en France : on le constate dans tous les secteurs d'activité, avec des jeunes voulant créer leur société. Appuyons-nous sur cette génération pour en faire les héros de demain, les valoriser et renforcer l'attractivité des usines et des ateliers qui produisent en France. Mobilisons les territoires pour accueillir et former ces jeunes.

Soyons également conscients de la dimension particulière que notre culture donne à la production française. La marque France est portée par un imaginaire culturel français qui constitue un véritable levier pour le produire en France.

Il s'agit d'un projet de société global, complet, qui concerne autant la formation que le développement du digital ou la promotion des circuits courts pour préserver l'environnement. Cela donne du sens et de la motivation pour la jeunesse.

Dans le cadre de vos travaux sur la jeunesse et l'égalité des chances, j'ai la conviction que l'une des réponses réside dans l'outil productif. Nous avons besoin d'usines et d'ateliers de proximité, dans tous les territoires. Nous devons valoriser ceux qui produisent et promouvoir les héros de la production !

M. Arnaud Montebourg, président de la société « Les équipes du made in France » . - De grandes mutations se profilent. Il faut s'attendre à des effondrements économiques dans certains secteurs important et une nouvelle économie est à créer.

Se pose également un enjeu de souveraineté économique : nous aurons à relocaliser une partie des outils de production stratégiques.

L'industrie représente 11,5 % de notre PIB, ce qui nous place en dernière position des grands pays européens. Atteindre 15 %, c'est-à-dire rattraper l'Espagne ou l'Angleterre, supposerait de rapatrier 75 milliards d'euros de chiffre d'affaires et nous serions encore loin de l'Italie ou de l'Allemagne.

Pour cela, il y a un grand besoin en compétences et en qualifications. Trop de jeunes sortent du système scolaire sans les qualifications adéquates.

Mon expérience personnelle me conduit à penser que les grandes réformes macroéconomiques ne fonctionnent pas, faute de pouvoir mettre en oeuvre un suivi opérationnel suffisamment efficace sur le terrain.

À l'inverse, comme j'ai pu le constater dans mon activité d'entrepreneur, il est possible de faire évoluer les choses en partant du niveau microéconomique.

Il est bien connu aujourd'hui que la transformation de l'agriculture et la transition écologique pourraient créer des millions d'emplois. Pour autant, personne ne semble vouloir occuper ces emplois, principalement pour des raisons culturelles.

Pour développer la formation au plus proche des réalités du terrain il faut que les entreprises créent des écoles avec une garantie d'emploi à la clé et un financement par le système de formation professionnelle. Il faut le faire dans l'ensemble des secteurs porteurs. Xavier Niel suit cette démarche dans le domaine du codage informatique. J'ai moi-même lancé une école d'apiculture, que j'ai dû fermer au bout de deux ans faute de financement. Il m'a également été opposé l'impossibilité de mobiliser les dispositifs existants pour former les gens à créer leur propre emploi.

Le système actuel de financement de l'apprentissage n'est pas adapté car trop bureaucratique et trop segmenté par branche professionnelle et par région. Ce sont les entreprises elles-mêmes qui connaissent leurs besoins, c'est d'elles que doit partir l'initiative.

C'est ainsi que des jeunes pourront placer leur confiance dans un métier qu'ils ont appris, quitte à ce qu'en contrepartie soient fixées certaines obligations, par exemple une durée minimale de maintien dans l'entreprise. Cela permettrait à bien des jeunes de sortir de leur milieu, d'apprécier le sens de leur travail et de faire l'apprentissage de l'art, car pour moi, l'agriculture comme l'industrie supposent des gestes, des méthodes, des apprentissages fins et pour autant accessibles à beaucoup de jeunes.

M. Jean Hingray , président . - Dans la logique de cette approche micro-économique, voyez-vous un rôle particulier pour les régions ou les départements ?

M. Arnaud Montebourg . - La formation professionnelle fonctionne sur un modèle paritaire. Les entreprises sont parties prenantes et c'est à elles de prendre l'initiative, car elles connaissent leurs besoins. On constate aujourd'hui un engouement croissant pour le retour à la terre et vers des métiers de la production, qui peut permettre de répondre aux besoins des territoires.

C'est en partant du niveau local que l'on peut changer la vie des français. Malheureusement, le système politique français ne fonctionne qu'avec de grandes annonces et de grands objectifs chiffrés.

Avec la réforme territoriale, l'échelon régional peut sembler éloigné des besoins du terrain. Les départements ont aujourd'hui un rôle essentiellement social. Un rôle de coordination et d'impulsion pourrait sans doute être confié aux préfets de département.

Mme Michelle Meunier . - Merci de nous permettre ce pas côté par rapport aux auditions menées jusqu'ici par notre mission d'information. Je me réjouis de constater une convergence de vues entre MM. Montebourg et Jégo.

Je suis fille et soeur de cordonnier et je peux témoigner qu'il s'agit d'un métier passionnant et valorisant. Pourtant, mon frère n'a pas pu trouver de repreneurs en raison de l'image négative que peuvent avoir les activités considérées comme manuelles.

Je partage le souhait de renforcer l'apprentissage, qui est encore trop souvent un choix fait par défaut.

Comment renforcer l'attractivité de cette voie pour les jeunes et faire évoluer l'image des métiers techniques ?

M. Yves Jégo . - Je partage le point de vue d'Arnaud Montebourg sur l'approche micro-économique et les effets d'entraînement pouvant en résulter sur les territoires, de préférence aux projets de grande réforme d'organisation.

Il convient de s'attaquer au problème culturel qui fait qu'en France, au-delà des discours sur les mérites de l'apprentissage, les parents le considèrent toujours comme une voie moins valorisante dans laquelle ils ne souhaitent pas, pour la plupart, engager leurs enfants.

Les journées portes ouvertes dans des usines, les visites scolaires, sont des idées simples et pragmatiques qui ne sont pour autant pas assez développées.

Il faudrait que dans les programmes scolaires, l'orientation soit abordée très différemment. La place qui lui est assignée est extrêmement faible. Les centres d'information et d'orientation (CIO) manquent de moyens. Il faut concrètement faire visiter des usines et des exploitations et faire découvrir ces métiers de la production.

Un mouvement est en train de naître, de plus en plus de Français veulent être des « makers » et retrouver la satisfaction de l'acte de production. Il faut que les pouvoirs publics amplifient ce mouvement. Cela suppose aussi de dédramatiser et de valoriser le travail manuel ou en usine. Les médias, et notamment les médias publics, ont un rôle à jouer en ce sens. On l'a vu pour les métiers de la restauration et de la pâtisserie. Les jeunes s'orientent vers ces formations parce que la télévision a porté ces métiers. Il faut mettre en avant des exemples, créer des héros dans l'imaginaire collectif. On a bien vu comment l'image des soignants véhiculée pendant la crise sanitaire a permis de susciter de nouvelles vocations d'infirmiers.

Il s'agit d'un projet de société. Le ministre chargé de l'industrie pourrait avoir une mission beaucoup plus transversale à ce sujet.

Ouvrons les usines, les ateliers, les fermes aux visites scolaires et nous contribuerons à développer envies et initiatives chez les jeunes.

M. Jean Hingray , président . - Faut-il inscrire l'orientation dans les programmes scolaires ?

M. Yves Jégo . - L'école doit développer la capacité de détecter les talents de chacun, non seulement les talents académiques, et la découverte des métiers ne doit pas être limitée à un stage en troisième, qui par ailleurs n'est jamais une usine. L'orientation doit être un moment fort de la scolarité, abordée dans les programmes scolaires plusieurs heures par semaine.

Il faudrait des professeurs d'orientation, qui devraient faire venir des intervenants extérieurs, chefs d'entreprises, créateurs, agriculteurs, faire visiter des usines, découvrir la réalité des métiers. La question de l'orientation doit être récurrente dans la vie de l'enfant, et non se poser uniquement lorsqu'il est temps de choisir. Lorsqu'on ne sait pas quelle voie choisir, l'outil d'aide à l'orientation n'existe pas. Or, s'agissant de l'éducation nationale, le débat se concentre surtout sur les cursus et les programmes et non sur l'orientation qui est pourtant absolument majeure.

Le directeur des ressources humaines du Futuroscope m'indiquais, il y a quelques années, avoir renoncé à recruter avec des curriculum vitae (CV) pour ne faire passer aux postulants que des tests d'habileté. Il ne regardait le CV qu'a posteriori. Dans la moitié des cas, le CV était très éloigné des compétences des personnes. Il a depuis entièrement renoncé aux CV. Le parcours d'insertion professionnelle reste fondé sur des critères qui ne sont plus ceux d'aujourd'hui. Des grandes entreprises comme Jouve, qui fait de la numérisation, recrutent parmi les champions de e-sport et montrent que jouer aux jeux vidéo est un formidable travail de préparation aux habilités numériques. Notre système n'est plus adapté à la réalité du monde et doit évoluer. Si des formations à l'orientation étaient prises en charge, si on visitait plus d'usines, certains se découvriraient peut-être des vocations.

M. Jean Hingray , président . - Les chaînes publiques ne devraient-elles pas prendre leur part de responsabilités ?

M. Yves Jégo . - Les chaînes publiques devraient réfléchir à des programmes attrayants, mettant en avant ceux qui travaillent et fabriquent. Le système médiatique est capable de construire des héros, mais aujourd'hui la production à l'usine est vue comme douloureuse et dégradante. Or l'imaginaire du jeune est construit par son environnement, et non seulement l'école.

M. Jean Hingray , président . - Que pensez-vous du dispositif sur le mentorat ?

M. Arnaud Montebourg . - Je ne connais pas assez ce dispositif pour me prononcer sur le sujet.

M. Yves Jégo . - Moi de même.

M. Jean Hingray , président . - Quel est votre point de vue dans le débat sur l'attribution d'une garantie de revenu aux jeunes de 18 à 24 ans ?

M. Arnaud Montebourg . - Il est certain que la jeunesse est en difficulté. Selon le Gouvernement, il faudrait que les jeunes travaillent davantage. Encore faut-il qu'il y ait du travail. Lorsqu'on est sans emploi, et que l'on n'a pas d'assurance chômage car l'on n'a pas cotisé, l'on est condamné à la pauvreté ou à vivre aux crochets des parents, qui n'en ont pas toujours les moyens. Je ne comprends pas pourquoi il n'a pas été mis en oeuvre un mécanisme faisant varier les allocations en fonction du taux de chômage. Lorsqu'il est très élevé, il est normal qu'il y ait un secours. Je ne suis pas un fanatique des allocations, dont on est dépendant toute sa vie, qui ne doivent pas être la solution. Cependant, nous sommes en période exceptionnelle, avec des dégâts humains considérables et les jeunes ne peuvent prendre tous les coups. Une jeunesse abîmée pourrait désespérer de la société.

M. Yves Jégo . - S'agissant du RSA pour les moins de 25 ans, la difficulté est d'assortir cette allocation à une activité, la société ayant du mal à admettre que pour certains de nos compatriotes, il sera très difficile de retrouver une insertion professionnelle. J'ai été fondateur de l'école de la deuxième chance en Seine et Marne et je suis vice-président de la fondation Édith Cresson pour les écoles de la deuxième chance. J'ai vécu l'arrivée de la Garantie jeunes. Mais lorsqu'un jeune a le choix entre intégrer une école de la deuxième chance, ou bénéficier d'une allocation sans contrepartie de 20 % de plus, le choix est vite fait. Je pense qu'il faut s'intéresser à la Garantie jeunes mais en étant innovant. Il faut apporter aux jeunes un revenu public, assorti d'une formation, si besoin dans des lycées pour adultes, lors des 146 jours de fermeture des établissements scolaires. Les 56 000 établissements scolaires fermés la moitié de l'année constituent un réel gâchis. Il me semble que, vu le niveau d'orthographe déplorable de certains jeunes, il faut utiliser ces établissements qui ne servent à rien pour renforcer leurs compétences dans certains domaines, et notamment le français, ou pour améliorer le niveau en langues et plus particulièrement en anglais, qui est la langue du futur. Il y a peu de chose à faire car tout existe, il suffit de remobiliser le patrimoine qui ne sert à rien. Je me souviens avoir voulu utiliser les locaux des collèges pour monter une aide aux devoirs. À l'époque les principaux de collège étaient très récalcitrants, car leur responsabilité est engagée dès que les élèves sont dans l'établissement, ce qui aboutissait à laisser les bâtiments vides l'essentiel de l'année. Éviter le gâchis de matériel public doit être une priorité, alors que des jeunes dans la rue sont aujourd'hui désoeuvrés.

Mme Michelle Meunier . - Je suis d'accord avec vous concernant le cloisonnement et ces systèmes qui ne fonctionnent pas ensemble et qui peuvent être sclérosants. Par ailleurs, comment améliorer plus particulièrement la situation des jeunes femmes. Les métiers de l'industrie et de la production sont souvent des métiers très masculins.

M. Yves Jégo . - J'ai beaucoup visité d'usines et le milieu, y compris les usines lourdes, à l'exception des aciéries, est très féminin ; à rebours, dans les usines textiles, les ouvrières sont quasi uniquement des femmes, ce qui pose également un problème de déséquilibre. Je ne dis pas que le combat est gagné, mais j'ai été très surpris, et je visite une cinquantaine d'usines par an.

Mme Michelle Meunier . - C'était le sens de ma question. Il est redoutable que les métiers soient segmentés selon le genre ; les métiers du soin à la personne étant trop féminisés par exemple. Comment inciter encore à davantage de mixité ?

M. Arnaud Montebourg . - Je pense que cela implique de parler de salaire. La question de la répartition de la rémunération entre le capital et le travail est centrale. Nous ne sommes pas équilibrés sur ce point. Un rapport McKinsey sur la dernière décennie, a montré que dans l'OCDE, 580 millions de ménages, soit 72 %, ont vu leur pouvoir d'achat stagner ou régresser. Lors de la décennie antérieure, c'était le cas de seulement 10 millions de ménages. Et pendant ce temps-là, l'économie a continué à fonctionner, et 80 % de la richesse est allée vers 1 % des patrimoines. Vous voyez la tension qui s'exerce. Les « premiers de corvée » qui ont fait tourner la France pendant la crise sont les plus mal payés.

Ce sujet apparaît même dans la pensée économique majeure. Patrick Artus, économiste chez Natixis, est par exemple l'auteur de Et si les salariés se révoltaient, et Pour en finir avec l'austérité salariale. Selon lui, il n'existe pas de politique de partage de la richesse créée. Cette promesse n'a pas été tenue par la droite ni mise en oeuvre par la gauche. Je suis de ce point de vue un gaulliste social. Les Allemands exercent un partage du revenu par le syndicalisme dans l'entreprise. En France, les salaires n'évoluent pas, les négociations salariales annuelles sont très pauvres. Je suis favorable aux dividendes salariés. Le Président de la République a initié des primes très ponctuelles, mais elles ne constituent pas un partage amélioré. Les rémunérations féminines plus faibles à travail égal nous incitent à nous pencher sur le rattrapage salarial de certains secteurs, comme la grande distribution ou le soin, qui ont peuplé les ronds-points des gilets jaunes et qui ont été en première ligne pendant la crise.

S'agissant de l'orientation, l'Onisep était un service public autonome. Mais le sujet concerne l'ensemble de la société et non uniquement l'éducation nationale. Dans les années 1950, les meilleurs étaient repérés par les instituteurs et dirigés vers les écoles normales. Aujourd'hui, les professeurs des écoles ne sont pas formés. On peut imaginer qu'il y ait des écoles normales sur tous les secteurs où les besoins existent, par exemple des écoles normales d'agriculteurs, etc.

M. Jean Hingray , président . - Nous allons conclure cette réunion.

M. Yves Jégo . - Je vous remercie de m'avoir convié . Nous touchons à un sujet majeur de la politique de notre pays, mais son organisation et sa structuration sont aujourd'hui si complexes qu'elles sont impossibles à réformer de manière globale. Il s'agit néanmoins de trouver les moyens d'avancer.

M. Arnaud Montebourg . - Si je devais retenir une recommandation en conclusion, elle concernerait notre système de formation professionnelle. On enchaîne réforme sur réforme, mais l'immobilisme prévaut. Quant à la gestion de son compte formation par une application sur un smartphone, je trouve cela grotesque : les choix sont certes individuels, mais les besoins sont collectifs. Il est absolument stratégique, pour un pays, d'orienter les formations. C'est ce que font tant les États-Unis, dans un cadre libéral, que la Chine, dans un cadre autoritaire : ils dirigent leurs talents vers les secteurs prioritaires. Si nous ne mettons pas en place un « plan quinquennal » pour la formation, nous serons « morts » et nous deviendrons ce que Michel Houellebecq a prédit dans « La carte et le territoire » : un pays magnifique d'emplois de service et de gardiens de musée pour accueillir une riche clientèle venue du reste du monde.

M. Jean Hingray , président . - Je vous remercie d'être venus échanger avec nous sur ces sujets.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat .

Audition de M. Jean-Louis Borloo, ancien ministre d'État

(Mercredi 30 juin 2021)

M. Jean Hingray , président . - Monsieur le Ministre, merci d'avoir bien voulu être entendu par la mission d'information sur la politique en faveur de l'égalité des chances et de l'émancipation de la jeunesse. Cette mission d'information a été souhaitée par le groupe socialiste et j'ai l'honneur de la présider depuis quelques mois.

Nous avons voulu solliciter votre expérience, notamment dans la politique de la ville, avec le plan de rénovation urbaine et les propositions de relance que vous avez récemment formulées. Nous souhaitons savoir si de votre point de vue, les écarts de chances se sont accentués dans notre pays. Quel état des lieux pouvez-vous dresser ? Quelles propositions pouvez-vous formuler ?

Je vois que vous avez amené avec vous le document « Vivre ensemble, vivre en grand », produit en 2018. Nous vous écoutons, avant de vous poser des questions.

M. Jean-Louis Borloo, ancien ministre d'État . - Monsieur le Président, Mesdames et messieurs. Je suis ravi d'être dans cette maison de réflexion de fonds sur la gouvernance de notre pays. Pourquoi est-il important que ce sujet soit évoqué au Sénat ? Il existe une réalité contre-intuitive selon laquelle la France serait un pays centralisé. Ce n'est pas le cas. La « Cour » l'est, mais la France est émiettée. Elle compte un nombre très élevé de vraies puissances d'action, d'intelligence et de moyens financiers que sont par exemple les organismes de sécurité sociale, comme la Caisse nationale des allocations familiales, les chambres de commerce, d'agriculture ou de métiers, les collectivités locales et bien d'autres. Le sujet qui nous intéresse aujourd'hui est prioritaire. Il doit être traité par toutes les forces vives de la nation en même temps, sans quoi cette mission d'information serait inutile. Le Sénat étant la maison des territoires par excellence, cette audition a d'autant plus de sens.

Ce sujet est vraiment le plus important de notre pays aujourd'hui. Une nation est, au fond, similaire à une voiture thermique. Celle qui aurait quatre cylindres, mais ne tournerait que sur trois d'entre eux - le quatrième représente la jeunesse qui n'est pas dans le train de la réussite, de la République, de la société -, serait une nation condamnée à un déclin lent, mais inéluctable et irréversible.

Essayons de comprendre pourquoi, lorsque certains pays affichent une croissance extraordinaire, la nôtre est l'une des plus mauvaises. On nous avance des raisons de fiscalité. C'est faux. La puissance d'un pays dépend de ses ressources humaines. Un quart de la jeunesse est « en bas de l'immeuble ». Elle est imaginative, pleine de lumière et d'espoir, multiculturelle, multilingue, agile, rêveuse, mais elle n'est pas là. À un moment donné, lorsqu'on n'est pas là, on est malheureusement autre part. Je suis très heureux que Paris-Saclay soit, cette année encore, consacrée parmi les grandes universités du monde. Toute une jeunesse de la France est extrêmement performante et brillante. Trois des dix premières écoles de commerce du monde sont françaises dans le secteur de la finance. C'est extraordinaire. Pour autant, notre système relève d'une conjugaison de ségrégation urbaine, d'arrivées non maîtrisées et non contrôlées, de systèmes familiaux déstructurés, mais avec beaucoup d'enfants, et d'une concentration de tous les problèmes au même endroit. Cela nous mène à une situation dramatique et irréversible.

Pour cette raison, je suis très heureux que vous organisiez cette audition. Vous devez, selon moi, vraiment aller à l'essentiel, et dresser un diagnostic sans concession. Il ne s'agit pas de critiquer tel moment de la vie démocratique ou tel gouvernement. Le problème est structurel. Il dépend d'une France dont le modèle reste homogène, alors qu'elle est elle-même hétérogène dans l'exercice de ses talents, dans ses écoles, dans sa formation. Elle est de plus en plus consanguine d'un côté, et de plus en plus écartée de l'autre. Ce système ne peut pas continuer ainsi.

Nous pourrions nous intéresser à telle ou telle mesure, mais nous avons besoin d'une mobilisation de l'ensemble des forces de la nation. Je pense par exemple aux caisses d'allocations familiales. Seules 5 % des 20 % de familles les plus pauvres en France accèdent à la socialisation par la crèche ou l'accueil. Pourquoi ?

De grâce, dites les choses fortement. Nous avons besoin d'un cri d'alarme. Faudra-t-il encore attendre de la violence pour que ce sujet soit mis sur la table ? La chance de notre pays réside dans sa jeunesse. Nous ne pouvons pas continuer ainsi. Les chiffres sont accablants.

Pour la jeunesse qui est dans le train de la réussite, tout va bien. Nous pouvons améliorer deux ou trois points, mais le système fonctionne bien. Il y a une quinzaine d'années, un collègue allemand m'indiquait que son pays était plus performant que le nôtre dans la majorité des secteurs d'activité, à l'exception de la médecine. Il expliquait cette différence par le fait qu'en médecine, nous pratiquions l'apprentissage, et pas eux. Autrement dit, l'apprentissage des différents métiers tout au long de la vie, dès un âge assez jeune, serait le seul point de faiblesse du modèle français classique. Pour le reste, il relève plutôt de l'excellence. La République n'a pas beaucoup plus à faire dans ce domaine. La sociabilisation pour les plus petits est très en avance en Europe. Le modèle français est bien différent du système anglais. L'ensemble des pouvoirs publics et des responsables s'occupent plutôt bien de la jeunesse. Nous pouvons nous en féliciter, même si nous pourrions bien évidemment toujours faire mieux. Ce n'est pas vital, et cela ne mérite pas une mission.

Pour autant, un petit quart de la jeunesse est totalement à l'écart. Tout commence à la crèche ou dans les systèmes d'accueil sociabilisés sous toutes leurs formes. Ces dispositifs sont six fois moins nombreux là où les besoins sont probablement trois fois plus importants. Quelqu'un a-t-il voulu ce scandale ? Bien sûr que non. Personne, en France, n'a décidé un jour d'affecter moins de moyens dans ces territoires. Il s'agit simplement de notre mécanique habituelle. Nous avons deux tares : les appels à projets et le cofinancement. La Caisse nationale d'allocations familiales exige un cofinancement par les collectivités et les parents. Les pauvres n'ont pas l'argent nécessaire pour payer le reste à charge. Cet outil d'universalisme de la méthode est scandaleux. Les parlementaires devraient unanimement décider de concentrer tous les moyens sur ces quartiers.

Tout commence à deux ans, dans toute la chaîne jusque l'arrivée à l'école. Cette période est vitale, puisqu'elle comprend l'apprentissage de la langue et du collectif, qu'elle permet d'alléger les familles et de les faire accéder à l'emploi, notamment pour les familles monoparentales. Combien de familles monoparentales se trouvent en difficulté ? Toutes les études américaines et scandinaves démontrent que cette période impacte la moitié de l'histoire, avec les programmes périscolaires. L'action sociale ne revient pas à gaspiller de l'argent. C'est au contraire un investissement dont la rentabilité est considérable. Ce sujet est vital et réglable. Il suffit de décider d'investir uniquement dans le rattrapage de besoins identifiés. Là où les collectivités sont riches, elles peuvent se débrouiller avec leur système d'accueil pendant cinq ans.

Si vous ne prenez pas le sujet à bras le corps maintenant, il sera oublié.

Je rappelle que cette situation est liée à la ségrégation urbaine. C'est vrai aussi outre-mer comme dans les zones rurales ou industrielles en déprise, ou dans les quartiers en difficulté. Dans notre pays, il est fascinant de constater que nous acceptons que des poches entières ne soient pas soutenues par la République. Les décrochants sont invisibles, jusqu'à ce que la violence, la délinquance ou l'extrémisme éclatent.

La ségrégation urbaine est un terrible phénomène. Nous avons autorisé l'immigration de travail. Nous avons construit son accueil à la va-vite, sur les préceptes de la charte d'Athènes. Ne m'en voulez pas de considérer cela comme le plus grand délire urbain communiste de l'humanité. Nous voyons les mêmes cités ailleurs dans le monde, sans commerces, ni bureaux, ni vraie ville. Ce sont des cicatrices dans le tissu urbain. Ces cités ont été construites très rapidement, dans de mauvaises conditions. C'est le passé, mais nous devons en tenir compte. Nous n'avons jamais réussi à désenclaver ces territoires. C'est compliqué. Il n'y a pas de transports en commun. C'est un autre univers. Cette jeunesse a à coeur d'en sortir, à quinze ans, avec tous les problèmes que cela suppose.

Prenons l'exemple de l'école de Grigny. Il me semble que le premier jour de maternelle, deux tiers des enfants ne parlent pas français. Essayez d'inscrire vos enfants à l'école bilingue, qui dispose de quatre fois plus de moyens que l'école communale. On ne peut pas, au titre d'une République solidaire, d'égalité, se contenter des mêmes moyens, qui plus est moins expérimentés, moins organisés, dans ce type de territoire. Ce n'est pas possible. Tout va à l'avenant. La dyslexie n'est par exemple pas très grave. Les enfants peuvent très facilement la surmonter en consultant des spécialistes. Ils bénéficient de nombreuses cordes de rappel pour ne pas avoir à la vivre comme un réel handicap. Pour autant, elle devient très difficile à vivre pour les enfants dont le français n'est pas la langue maternelle, surtout lorsque des conditions de vie compliquées s'y ajoutent.

Nous pouvons résoudre le problème de cette partie de la jeunesse qui n'est pas dans le train de la croissance. Ce n'est pas une question d'argent, mais d'organisation. Chacun doit faire sa part. On ne peut pas laisser les professeurs et l'école avec un dispositif de droit commun dans un territoire qui ne l'est pas. Nous rendons-nous compte de ce que nous demandons aux équipes éducatives ?

Les professeurs sont des héros. C'est pour cette raison que nous avions imaginé l'idée de la cité éducative. De nombreuses forces entourent l'école : associations, médecins, psychologues, maires, département... Un référent doit permettre à tout moment de fédérer ces forces extérieures pour s'occuper des enfants. Un proverbe arabe dit qu'il faut tout un village pour élever un enfant. C'est le cas dans ces endroits. Le village doit se mettre à la disposition de l'équipe éducative pour s'occuper de ces enfants, sous la coordination d'un spécialiste, pour que les enseignants n'aient qu'à gérer la transmission du savoir.

J'étais récemment à Garges-lès-Gonesse pour le lancement de la première école d'insertion par le sport. Les seules personnes en contact réel avec les préadolescents et adolescents sont aujourd'hui les coaches sportifs. Ils sont extraordinaires. Ce sont les seuls à pouvoir faire revenir les jeunes vers la rigueur, la discipline, le comportement. Les grandes entreprises sont prêtes à les accompagner et les sponsoriser, si c'est bien organisé, et pas sous forme de bénévolat insupportable. Cette jeunesse est incroyablement talentueuse. Elle affiche un QI normal, parfois très élevé, parfois moins, semblable aux autres générations. Son approche culturelle est toutefois différente, tout comme son ouverture sur le monde. Son sens de leadership et du rapport de force est très élevé. Il en va de même pour son sens de la communauté et de la fratrie. Bref, elle a des qualités particulières.

Notre système éducatif est extrêmement formaté. Il a sa puissance, mais ne sélectionne qu'une petite partie de l'intelligence française. La partie de la jeunesse qui est ascolaire, et qui ne vit d'ailleurs pas nécessairement dans les quartiers, n'est pas sans talent. Comment lui redonner une vraie chance de s'exprimer ? J'aurais moi-même été incapable de suivre de grandes études. J'ai quitté l'école et passé le bac en candidat libre. J'ai développé d'autres choses. 200 ou 300 000 jeunes sont comme moi chaque année en France. Nous peinons à appréhender ces talents dans un monde qui va de plus en plus vite. Nous passons à côté de certains d'entre eux. Nous avions invité l'académie des leaders pour recruter 500 jeunes par an, sur des critères tels que le QI, l'intelligence d'adaptation ou encore le leadership. Ces épreuves sont différentes des épreuves classiques, dont je n'apprécie pas qu'on les envisage sous un mode dégradé pour certains jeunes sous prétexte qu'ils viennent des quartiers. Ce modèle, s'il a le mérite d'exister, n'est pas optimal.

Le modèle français est performant, mais aussi formaté. D'autres modèles sont tout aussi performants, mais formatés différemment. C'est à mon sens l'un des sujets d'appel de notre jeunesse. Ce n'est pas parce qu'on ne fait pas une prépa HEC qu'on devient forcément garagiste. Si on souhaite devenir mécanicien, c'est génial. Mais ne le faisons pas par défaut.

Voilà l'essentiel de ce que je ressens. Je retiendrai simplement que c'est une affaire de tous les acteurs en même temps, avec un coordinateur. Le Gouvernement est un acteur parmi d'autres. Le Parlement doit demander à l'ensemble des acteurs de la nation d'établir un rapport cohérent, détaillé, chaque année. Nos agences ne sont pas des Ovnis en apesanteur. Nous devons agir dans l'intérêt de la nation française. Celle-ci dispose d'un Parlement et de deux chambres, qui doivent exiger le traitement de cette question. Cette petite partie de la jeunesse est vitale. Sans elle, la situation va mal se terminer.

M. Jean Hingray , président . - Merci, Monsieur le Ministre.

M. Cédric Vial . - Nous partageons votre constat. La jeunesse est la clé de toute civilisation, et a fortiori d'une nation comme la nôtre. Pour autant, s'il existe bien une jeunesse qui réussit, certains facteurs peuvent être un peu inquiétants. Nous ressentons un changement dans ces jeunesses, avec une perte de repères, d'envie ou de sens. Seuls 13 % des moins de 25 ans ont voté aux dernières élections. C'est trois fois moins que le reste de la population. Elle ne voit plus d'intérêt au système représentatif, ou encore moins que les autres. Selon le dernier sondage, 28 % des jeunes de moins de 18 ans se posaient des questions sur leur genre. C'est là aussi un phénomène nouveau. Nous voyons depuis plusieurs années arriver des jeunes acceptant de travailler pour la mairie, à condition qu'ils ne soient pas fonctionnarisés et qu'ils ne décrochent pas un CDI. Ils veulent rester en CDD, car ils craignent la situation durable.

Vous avez parlé de l'apprentissage. Je partage vos propos. Je crois que la situation a un peu évolué depuis l'époque où vous étiez ministre. Depuis que ce dispositif est également mis en place dans l'enseignement supérieur, son image est en train de changer. Les classes ne sont néanmoins pas pleines. Des employeurs font la queue à la sortie pour attendre des apprentis, mais nous ne parvenons pas à remplir les sections, notamment dans les domaines du BTP ou de la restauration. Avant, les jeunes avaient peur du chômage. Nous peinons désormais à recruter, car ils n'acceptent plus un certain nombre de contraintes associées à ces métiers. J'identifie donc un véritable manque de sens.

Revenons sur la question de la scolarité, de la réussite éducative ou des moyens de tendre vers celle-ci. Comment pouvons-nous redonner un peu de sens ou d'envie à cette jeunesse ? Nous avons parfois le sentiment qu'elle sait ce qu'elle ne veut pas, mais qu'elle ne sait plus vraiment ce qu'elle veut. Vous avez parlé des difficultés dans les quartiers ou dans la ruralité, de natures différentes. Ces jeunes ont, à mon avis, pour point commun la quête de sens. Comment leur redonner de l'envie, de l'espoir, ou une direction pour qu'ils se réengagent, et fassent ainsi redémarrer le quatrième cylindre du moteur ?

M. Jean-Louis Borloo . - En effet, le pourcentage de votants chez les moins de 25 ans est deux fois plus faible que chez les plus de trente ans. C'est historique. Les plus de trente ans ne sont pas allés voter, eux non plus. Nous n'avons pas observé de décrochage particulier, il est classique et banal. Nous savons exactement, par tranches d'âge, qui va le plus voter en France. Les jeunes militent plus et votent moins que les plus âgés. Votre remarque n'en est pas moins juste. Nous avons un problème de sentiment d'appartenance et de projet de destin.

Au risque de choquer, j'apprécie assez peu la grande mode d'aller vivre dans un autre pays après 45 ans, après avoir réussi spectaculairement, pour échapper aux prélèvements français plus élevés. C'est selon moi le plus grand des séparatismes. Tout le monde vit un peu au détriment du système, sur tous les bouts de la chaîne. J'estime pour ma part que nous payons l'impôt parce que nous sommes français, et pas parce que nous résidons en France, quitte à déduire l'impôt payé ailleurs. Cette idée d'arbitrage me semble grave. Elle est répandue dans les élites françaises. Ce n'est bien entendu pas le seul sujet.

Je peine à répondre à votre question. Il peut y avoir quelques petites victoires, telles que l'impôt national. Je précise d'ailleurs que les prélèvements sont beaucoup moins élevés ailleurs, mais que les personnes que j'évoquais plus tôt rentrent tout de même se faire soigner en France. Je ne suis pas d'accord. Nous devons probablement ressortir des drapeaux, remettre en place des symboles sur une chaîne de fraternité et de responsabilités. Je suis venu aujourd'hui avec l'idée de mesures concrètes opérationnelles pour éviter qu'une partie de la jeunesse ne décroche. Ne m'en veuillez donc pas de ne pas avoir réfléchi à ce sujet.

Ajoutons à cela un corps de doctrine qui reposait en quelque sorte sur la République, le Secours catholique et le Secours populaire. Il existait un tissu sociologique de valeurs, de doctrines. Le Président de la République et les grandes fonctions associatives pourvoyaient à tout cela. La famille n'était pas explosée. Je ne sais que dire. Il y a vingt ans, il n'y avait pas de crémation en vie de vie. Le curé de la paroisse et le médecin de quartier s'occupaient de tout. La famille parcourait en moyenne trois kilomètres pour se rendre aux obsèques. Aujourd'hui, les distances moyennes s'établissent à 500 kilomètres. La dernière grande réunion se tient dans l'église laïque du funérarium. Nous sommes passés à 35 % de crémations. Il n'y a peut-être pas de rapport, mais je jette quelques éléments auxquels je pense.

Vous avez raison, il y a un sujet de projet commun de la nation. Que signifie aujourd'hui ce terme, alors que les études sont réalisées dans le monde entier, que les groupes sont eux-mêmes mondiaux ? Les communautés virtuelles s'ajoutent à ces éléments. Elles peuvent être mondiales.

M. Cédric Vial . - Je n'ai pas parlé de laïcité, mais les nouvelles générations subissent également d'importants changements en la matière.

Vous l'avez dit, notre système fonctionne globalement bien. Les opportunités restent importantes sur différents domaines, pour les jeunes qui souhaitent ou peuvent les saisir. L'apprentissage est une voie d'excellence. Nous le disons depuis des années. Un apprenti a plus de chances de devenir chef d'entreprise et de très bien gagner sa vie dans dix ans qu'un étudiant en maîtrise de droit, qui sera au mieux chef-adjoint de bureau d'un département à 2 000 euros par mois. Ces voies d'excellence existent, mais les jeunes ne s'en saisissent pas. La société a pourtant besoin de cette jeunesse, de la faire travailler. Comment donner ces chances aux jeunes ?

Le problème est peut-être plus lointain que cela, dès la maternelle. Les problèmes sont certainement plus lourds dans certains quartiers que dans d'autres.

M. Jean-Louis Borloo . - J'ai connu des bassins en déprise : en outre-mer, dans les zones rurales non irriguées et non riches, les bassins industriels en crise et les poches de pauvreté et de ségrégation des agglomérations puissantes. C'est le même sujet que celui que vous traitez.

Vous parlez de l'apprentissage. La chance n'est pas saisie parce que l'information ne circule pas. Dans les milieux favorisés, les enfants peuvent discuter de multiples sujets à table avec leur famille, leurs oncles et tantes. Ces discussions accompagnent les jeunes par la main. Lorsque vous ne vous situez pas dans ce schéma, vous ne savez pas. Personne ne vous accompagne.

C'est pour cette raison que de grandes associations telles que Nos quartiers ont du talent existent. Une partie de la société doit accompagner chacun de ces jeunes pour les amener à l'information, à la découverte, à la sécurité. La coupure géographique est la même que la coupure culturelle. Il existe bien des bureaux d'aide sociale, des chambres de commerce, diverses structures dispensant de l'information. Il faut toutefois pousser ces jeunes à s'y rendre. Ils n'osent pas. Vous rendez-vous compte que vos enfants ont entendu au moins 500 fois une conversation leur permettant de disposer d'informations, et pas ces autres jeunes ? Il faut donc mettre en place du parrainage. Il en faut une armée. Il existe certaines initiatives, mais le fossé est trop large pour que les jeunes puissent savoir à quel point le métier de charcutier est formidable, par exemple. Cela ne tombe pas sous le sens. Les maisons rurales ont joué un rôle extraordinaire. Elles se sont mises en quatre pour aller chercher les jeunes et leur proposer des activités. Je peux vous assurer qu'il y avait alors des parrains.

Cette nation compte suffisamment de forces vives, de jeunes retraités en pleine forme, de gens qui ont du temps. Sans ce système, les jeunes n'entreront pas dans le dispositif existant. Ce n'est pas qu'ils ne saisissent pas l'opportunité. Elle n'existe pas pour certains d'entre eux.

M. Pierre-Antoine Levi . - Vos actions et votre engagement en faveur de l'égalité des chances ne sont plus à démontrer. Vous y avez consacré vos forces durant toute votre carrière. Après votre plan de cohésion sociale, présenté en 2004, puis la loi pour l'égalité des chances en 2006, vous avez rendu le rapport « Vivre ensemble, vivre en grand » au Président de la République en 2018, à sa demande. Il comportait une série de mesures ambitieuses, avec 19 programmes touchant tous les pans de la société. Malheureusement, après avoir commandé ce rapport, le Président de la République n'y a pas donné suite. En le rangeant dans un tiroir, il a même affirmé « cela n'aurait aucun sens que deux mâles blancs ne vivant pas dans ces quartiers s'échangent un rapport ». Cette annonce a été très mal perçue.

Fort de votre grande expérience, quel bilan tirez-vous de la politique en faveur de l'égalité des chances de ce gouvernement ? Certaines des mesures issues de votre rapport ont-elles finalement été reprises ?

M. Jean-Louis Borloo . - Je ne commenterai pas l'actualité gouvernementale. Je ne suis plus un acteur politique, je ne le souhaite pas.

Je le répète, la nation est émiettée. Pour traiter un problème comme celui-là, quantitativement assez faible, il faut arrêter de penser que c'est le Gouvernement qui l'a créé. Ce rapport comportait dix-neuf programmes, conçus avec leurs acteurs, auxquels était adressée une feuille de route, assortie d'un plan d'action de financements. Il ne s'agissait pas de mesures gouvernementales. Le chef de la nation n'avait qu'à donner son feu vert.

Le drame de notre pays résulte selon moi d'une erreur de diagnostic. Le pays n'est pas centralisé, mais émietté dans l'action. L'action centrale du gouvernement est en outre compliquée, puisque c'est par nature la seule organisation commençant l'année avec un déficit de 30 %. Elle doit se recentrer sur l'essentiel de sa mission. Les Français doivent arrêter d'en attendre plus de la part de l'État. Celui-ci, de son côté, ne doit pas laisser croire qu'il agit à la place des autres. Enfin, le travail est très compliqué. Je n'étais pas le plus ignorant lorsque je l'ai commencé. Il m'a quand même demandé sept mois d'ouvrage, car il fallait voir tous les acteurs. L'action publique, si elle est extraordinairement enthousiasmante, demande beaucoup de travail et de préparation.

Je m'inquiète de voir se succéder des politiques insuffisamment préparées en amont. Les équipes qui se présenteront aux prochaines échéances devront être prêtes. À huit mois des élections, elles doivent avoir rencontré l'ensemble des partenaires qui les accompagneront. La politique du logement dépend de la fiscalité, de l'urbanisme, des communes, du département, de la région, d'Action logement. L'action publique a pour rôle de fédérer des puissances légitimes différentes. Celles-ci ne rendent pas compte à la représentation nationale. On se demande d'ailleurs pourquoi.

Il faut être ultra-préparé. En France, on pense qu'il est facile de conduire l'action publique, et on s'autorise à ne pas se préparer. C'est une erreur. Une personne doit porter durant cinq ans une thématique avec l'ensemble des partenaires. Il y a un non-cumul des mandats. Par voie de conséquence, les gouvernements, quels qu'ils soient, peinent à gérer des complexités locales. Enfin, il n'est pas possible de réussir à se charger d'un sujet aussi compliqué sans y être préparé.

M. Cédric Vial . - Quelles suites envisagez-vous à ce rapport ? Vous sentez-vous capable de transmettre votre préparation à ce travail, pour qu'il ne soit pas vain ?

M. Jean-Louis Borloo . - Ma remarque concerne tous les secteurs. Une fois qu'on est en poste, on est pris dans l'actualité de la fonction. La réflexion doit avoir lieu en amont, dans tous les secteurs. Si quelqu'un me demande mon avis sur une présentation de programme, sur un certain nombre de sujets que je maîtrise, je me préoccupe peu de l'équipe concernée. J'aimerais que toutes les équipes soient à ce niveau. Ce n'est pour l'heure pas le cas.

M. Jean Hingray , président . - Que pensez-vous du RSA jeunes ?

M. Jean-Louis Borloo . - Je préfère ne pas m'exprimer sur un sujet dont je ne maîtrise pas la réalité actuelle.

M. Cédric Vial . - Pouvez-vous nous dire un mot sur la réussite éducative et les efforts collectifs autour de l'école ? Nous avons le sentiment que ces efforts concertés visent à rattraper ceux qui passent au travers des mailles du filet, qui sont de plus en plus nombreux, d'après nous. Nous confions donc de plus en plus de responsabilités à cet effort collectif, associatif ou autre. Cela peut fonctionner sur un nombre limité de personnes. Ce type d'organisation collective est-il toujours aussi efficace si le nombre de personnes en ayant besoin augmente ?

Ce système de parrainage que vous évoquiez est-il efficace ? Devons-nous au contraire essayer de concentrer les efforts et limiter le nombre de personnes concernées ?

M. Jean-Louis Borloo . - On connaît précisément le périmètre dans lequel il faut intervenir : les quartiers prioritaires, les zones rurales très éloignées et abandonnées, des petits bassins industriels identifiés.

M. Cédric Vial . - Quelle est la proportion de ces jeunes à l'intérieur de ces bassins ?

M. Jean-Louis Borloo . - Elle est assez stable. C'est un phénomène à deux tiers ou trois quarts masculin. La problématique touchant les filles est d'une autre nature. Il faut des endroits de protection, par exemple. L'agilité des filles à ne pas avoir peur de l'extérieur et à pouvoir entrer plus facilement dans les plis est sensiblement plus élevée.

La part de ces jeunes n'est pas si élevée. Ils doivent être environ 150 000 par génération. Le noyau dur en compte 50 à 80 000, avec ensuite un effet de contagion positive. Leur nombre est stable, en tout cas en métropole.

M. Jean Hingray , président . - Merci Monsieur le Ministre.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat .

Audition de M. Adrien Taquet,
secrétaire d'État en charge de l'enfance et des familles

(Mardi 20 juillet 2021)

M. Laurent Burgoa , vice-président . - Le président de notre mission d'information, Jean Hingray, ne peut être présent cet après-midi et m'a demandé de le suppléer. En son nom et en votre nom à tous, je souhaite la bienvenue à M. Adrien Taquet, secrétaire d'État en charge de l'enfance et des familles auprès du ministre des solidarités et de la santé.

Nous avons identifié la période de la petite enfance comme particulièrement cruciale pour les politiques en faveur de l'égalité des chances. C'est dès ce moment que se forment des inégalités liées au milieu social et familial d'origine, avec des répercussions sur toute la suite du parcours des jeunes, à l'école et à la sortie de l'école.

La politique d'accueil du jeune enfant ne peut donc pas se limiter à offrir des solutions de garde aux parents qui travaillent. Elle doit aussi intégrer cette dimension éducative pour les enfants les moins favorisés par leur environnement familial.

Nous souhaitons connaître les actions entreprises par le Gouvernement dans ce domaine, les résultats obtenus, mais aussi les voies d'amélioration possibles.

Monsieur le Secrétaire d'État, je vous propose d'intervenir pour un propos liminaire avant que notre rapporteure, Monique Lubin, et nos collègues, vous posent leurs questions.

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État en charge de l'enfance et des familles auprès du ministre des solidarités et de la santé . - Je ne sais pas où termine l'enfance et commence la jeunesse, cela dépend de chacun. Je sais en revanche que l'émancipation ne se prépare pas la veille de ses 18 ans, mais bien avant.

La petite enfance est ce moment où se forgent les inégalités de destin. C'est une période de la vie qui est peu investie par les politiques publiques dans notre pays, à la différence des pays du nord de l'Europe ; c'est pourquoi nous avons voulu mettre l'accent sur « les 1 000 premiers jours », du quatrième mois de grossesse à l'entrée à l'école, considérant que l'enfant est sujet de droit avant de devenir un élève, et que nous devons mieux garantir l'égalité de chances. Tout ne se joue pas dans ces 1 000 premiers jours, mais des choses s'y passent et, pour reprendre le sous-titre du rapport de la commission Cyrulnik, c'est « là où tout commence ».

C'est dans le début des trajectoires qu'apparaissent des inégalités sociales, de santé, de capacités cognitives. Les sciences nous ont appris beaucoup sur le sujet, en particulier les travaux du britannique David Barker, qui a établi, dans les années 1980, la corrélation du poids à la naissance et la probabilité de mourir d'une maladie cardio-vasculaire. Depuis lors, on fait des corrélations entre des événements intervenant dans la vie du très jeune enfant, ou dans son environnement, et la vie qu'il aura une fois adulte. On sait notamment que le stress de la femme enceinte, qu'elle éprouve par exemple quand elle subit de la violence domestique, aura un impact sur la santé mentale de son enfant devenu adulte, au moins jusqu'à ses trente ans ; on sait aussi, côté positif, que l'activité physique de la femme enceinte diminue la probabilité d'une dépression post-partum .

C'est pourquoi nous investissons sur les 1 000 premiers jours. On a beaucoup parlé, à juste titre, du dédoublement des classes maternelles et primaires en REP+. Mon action se situe avant l'entrée à l'école. C'est aussi très important dans notre pays, sachant qu'on met en moyenne six générations à sortir de la pauvreté, et qu'un fils de cadre de trois ans a deux fois plus de vocabulaire et a entendu 10 millions de mots en plus qu'un fils d'ouvrier. C'est pourquoi nous avons confié une mission à Boris Cyrulnik et 18 autres professionnels de la petite enfance, pour établir l'état des savoirs sur ces inégalités de chances, pour que nous en dégagions ensuite des politiques publiques pertinentes.

Notre démarche autour des 1 000 premiers jours s'est incarnée notamment par le doublement du congé paternité. Nous l'avons fait parce que la présence des parents lors des premières semaines est bon pour le développement de l'enfant, pour l'égalité femmes-hommes, et parce qu'elle diminue les risques de dépression post-partum , laquelle reste un sujet tabou dans notre pays bien qu'elle touche 15 à 20 % des femmes après l'accouchement. Les 1 000 premiers jours sont aussi la période où l'on peut établir des parcours pour mieux accompagner les parents, avec une approche universelle, au bénéfice de tous les parents et enfants. Ce parcours se déroule en trois étapes : un entretien prénatal précoce au quatrième mois de la grossesse, cet entretien gratuit permet d'aborder avec un professionnel les divers aspects de l'arrivée d'un enfant ; un contact plus étroit, dans les maternités, avec des professionnels de la protection maternelle et infantile (PMI) ; enfin, un entretien entre la 5 ème et la 12 ème semaine après l'accouchement, pour prévenir la dépression post-partum , nous recherchons à systématiser cet entretien qui est loin d'être effectué partout.

Nous développons également, dans cette démarche des 1 000 premiers jours, une logique de parcours spécifiques, selon les fragilités identifiées, qui sont très diverses et ne requièrent pas les mêmes actions - qu'il s'agisse par exemple de la naissance d'un enfant prématuré, d'un enfant souffrant de handicap, de personnes en situation de handicap qui deviennent parents. Nous cherchons à contrer les fragilités qui entraînent des pertes de chances si l'accompagnement n'est pas bien fait. Ces parcours spécifiques se traduisent par des actions ciblées, comme l'allongement du congé pour le second conjoint en cas d'hospitalisation d'un enfant prématuré, ou encore le renforcement des équipes de psychiatrie périnatale, pour lequel vous avez voté 10 millions d'euros dans le dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS).

Notre démarche sur les 1 000 premiers jours vient également renforcer des actions déjà conduites dans la stratégie de lutte contre la pauvreté, par exemple les repas de cantine à 1 euro, les petits déjeuners gratuits - car nous savons qu'un enfant sur cinq arrive à l'école le ventre vide et que cela se ressent sur l'acquisition des connaissances. C'est une perte de chances que nous voulons compenser.

Un autre volet de notre action pour la petite enfance concerne les modes d'accueil. Il a un aspect quantitatif, la convention d'objectifs et de gestion avec la Caisse nationale d'allocations familiales (CNAF) prévoyait 30 000 places nouvelles. Nous n'y arriverons pas dans le délai imparti, en raison notamment de la crise sanitaire - mais ce n'est pas la seule raison. Vous connaissez également les bonus mixité, les bonus territoires, l'inclusion des enfants en situation de handicap. Nous avons aussi des actions visant à faciliter l'insertion professionnelle des mères, ainsi qu'un plan de formation de 100 000 professionnels de la petite enfance, mis en oeuvre depuis quelques mois.

En parlant d'accueil et non pas de garde du jeune enfant, je m'inscris dans la lignée des travaux de Sylviane Giampino, qui ont conduit à la charte nationale de l'accueil du jeune enfant, publiée le 23 mars 2017 et qui s'est traduite par tout un ensemble de mesures concrètes, avec des référentiels sur les bâtiments d'accueil, des taux d'encadrement, ou encore sur l'accès à la médecine du travail.

Sur l'aspect quantitatif, la CNAF a constaté que les objectifs de la convention d'objectifs et de gestion ne seraient pas atteints et elle a adopté en février dernier un « plan rebond », doté de 200 millions d'euros, notamment pour accélérer les projets d'investissements qui ont pu être retardés lors de la séquence des élections municipales.

Nous cherchons également à améliorer l'articulation entre vie professionnelle et vie familiale. C'est le sens de la mission qu'avec Élisabeth Borne, nous avons confiée en avril dernier à Christel Heydemann, présidente de Schneider Electric France et Julien Damon, conseiller scientifique de l'École nationale supérieure de sécurité sociale. Il faut réfléchir à l'articulation entre les congés et les modes d'accueil. En Suède, les congés familiaux de 14 à 16 mois sont obligatoirement partagés entre les deux parents, et aucun enfant n'a de place de crèche la première année, car les parents s'occupent de leurs enfants.

Enfin, dans le cadre de la stratégie nationale de prévention et de protection de l'enfance 2020-2022, le Gouvernement a déposé un projet de loi relatif à la protection des enfants, que l'Assemblée nationale a adopté le 8 juillet dernier et que le Sénat devrait examiner à son tour prochainement, j'espère à l'automne - je ne doute pas que le Sénat saura y apporter des améliorations. Je le mentionne en particulier pour la question de l'accès à l'autonomie des jeunes sortant de l'aide sociale à l'enfance (ASE), dont on attend trop qu'ils soient autonomes bien plus tôt qu'on ne l'exige de nos propres enfants. Nous devons accompagner ces enfants, ils veulent être considérés comme des enfants comme les autres, ce qui est à la fois simple et compliqué - cela demande qu'on leur garantisse l'horizon du droit commun.

C'est pourquoi nous avons décidé que les enfants de l'ASE en études supérieures - ils ne sont que 6 % à le faire, c'est assurément trop peu -, accèdent automatiquement aux bourses les plus élevées et qu'ils disposent d'un accès prioritaire au logement étudiant. Pour ceux qui ne font pas d'études, nous avons déposé un amendement au projet de loi adopté à l'Assemblée nationale, pour qu'ils accèdent automatiquement à la Garantie jeunes, et au contrat jeune majeur. Le débat parlementaire a montré que d'autres dispositifs encore sont possibles pour mieux préparer l'autonomie des jeunes suivis par l'ASE et pour instituer une sorte de droit à l'erreur dans le cas où ceux qui rompent tout lien avec l'institution à leur majorité, puissent cependant accéder à certains dispositifs et qu'ils puissent continuer à être suivis s'ils le demandent.

Enfin, nous travaillons à l'échelle européenne, avec la garantie européenne pour l'enfance, un texte adopté sous la présidence portugaise et qui demande aux États membres d'adopter sous neuf mois une stratégie pour protéger les enfants contre la pauvreté - ce délai conduit à la présidence française, c'est une action sur laquelle nous pouvons mettre l'accent.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - L'objectif fixé de places en crèche ne sera pas atteint. Nous constatons une désaffection des collectivités territoriales envers ce mode d'accueil parce qu'il pose des problèmes de coût, mais aussi parce qu'il engage la responsabilité des élus sur l'accueil des jeunes enfants. Que peut-on faire pour que les collectivités retrouvent leur appétence, leur goût pour investir dans les crèches ?

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État . - Effectivement, les objectifs de la convention d'objectifs et de gestion ne seront pas atteints, et ce n'est pas la première fois - il y a, cette fois-ci, l'incidence de la crise sanitaire et des élections municipales. Les petites collectivités territoriales ont du mal à s'engager pour des raisons de coût, il y a aussi des problèmes liés à l'ingénierie, c'est pourquoi la CNAF a mis en place une équipe dédiée à l'aide aux collectivités. Il faut compter aussi avec les autres modes d'accueil, ce qui fait la richesse de notre modèle - il n'y a pas un mode d'accueil meilleur que les autres, cela dépend de l'enfant, de son âge, de son environnement familial. Ces autres modes d'accueil se développent : les micro-crèches, nous en avons élevé le seuil de 10 à 12 enfants, et, en particulier dans la ruralité, les maisons d'assistantes maternelles, qui réunissent un peu le meilleur des deux mondes, du collectif et de l'individuel, en sortant les assistantes maternelles de l'isolement. Ensuite, il faut peut-être s'interroger sur le caractère facultatif de cette compétence petite enfance et sur l'intérêt qu'il y aurait à la rendre obligatoire - mais je ne fais que poser la question.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Des collectivités se désintéressent de ce mode d'accueil, les élus n'en voient pas l'urgence ; ils semblent davantage motivés pour des installations sportives, mais ils regardent surtout les difficultés pour construire des crèches, d'autant que c'est moins porteur politiquement. Il y a un problème de coût, de responsabilité, mais sans parler de compétence obligatoire qui devrait être assortie de moyens, il faut expliquer aux collectivités l'intérêt d'exercer cette compétence.

Dans nos ruralités, on oppose aux crèches les maisons et réseaux d'assistantes maternelles, alors que le collectif revêt un caractère important pour les jeunes enfants et les familles.

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État . - Vous avez raison, il est important que les enfants aillent tôt en collectif, je l'ai vu en particulier lors de mon déplacement en Guyane - avec les spécificités de ce territoire, où les besoins sont très importants et peu couverts, parce qu'il manque des porteurs de projets. Le schéma départemental enfance et famille est un bon outil contre le morcellement de l'offre pour la petite enfance, je l'ai vu en action dans les Côtes d'Armor. C'est le lieu où peuvent se retrouver autour de la même table tous ceux qui exercent la compétence petite enfance, pour définir une stratégie territoriale d'accueil du jeune enfant et d'accompagnement de la parentalité.

M. Laurent Burgoa , président . - La compétence petite enfance n'intéresse pas toujours car elle est très lourde en budget de fonctionnement, alors que c'est là où les marges de manoeuvre sont les plus faibles. Une communauté de communes du Gard a failli être mise sous tutelle du fait des charges financières entraînées par cette compétence petite enfance.

M. Rémi Cardon . - Une remarque sur l'accompagnement des jeunes dans le cadre de la Garantie jeunes : je crains que les missions locales ne se sentent placées en concurrence avec Pôle emploi, et que les jeunes eux-mêmes ne sachent pas bien à quelle porte frapper. La question de l'égalité territoriale se pose aussi : le Gouvernement pense-t-il amplifier les moyens pour certains territoires, pour plus d'équité ?

Ensuite, je redoute le manque de compréhension sur la Garantie jeunes, la plateforme est certes simple, à condition de s'y intéresser. Pour avoir été administrateur d'un centre régional d'information jeunesse (CRIJ), je peux témoigner de ce que les moyens ont été réduits, et qu'il est devenu difficile de produire une information de qualité pour les jeunes, alors que le réseau d'information jeunesse est un outil connu et éprouvé. Il faut faire savoir aux jeunes qu'ils peuvent être accompagnés, l'enjeu n'est pas nouveau mais il est loin d'être réglé.

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État . - Je partage vos constats, mais je ne peux guère répondre hors de mon champ de compétence. Sur l'information jeunesse, je vous crois volontiers. Sur la Garantie jeunes, vous avez entendu le Président de la République évoquant un revenu d'engagement qui va faire l'objet de discussions avec les partenaires sociaux, je ne peux guère vous en dire davantage. J'évoquais la Garantie jeunes pour le lien que je souhaite obligatoire avec les enfants suivis par l'ASE. Actuellement, nous avons une convention avec les différentes institutions qui participent aux politiques publiques en direction des jeunes, pour que chacune désigne un « référent ASE » qui se rapproche des équipes d'ASE, car trop souvent, les accompagnants n'ont pas de culture de l'insertion professionnelle. Je me suis rendu dans une mission locale où ce lien est très bien établi, avec un suivi des jeunes de l'ASE. Nous sommes allés plus loin dans la loi, avec cet accès automatique. Pour le reste, Élisabeth Borne serait plus à même de vous répondre.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Quel bilan faites-vous des bonus territoires et mixité ? Sont-ils suffisants pour atteindre les familles moins favorisées, ou faudrait-il un ciblage plus précis sur les quartiers prioritaires et les familles modestes ? Dans bien des zones rurales et des quartiers prioritaires, les familles hésitent à recourir à un mode de garde collectif quand la maman ne travaille pas, alors que l'accueil collectif est assurément un soutien aux familles défavorisées : comment les y aider ?

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État . - Je n'ai pas les données chiffrées avec moi, mais je vous les communiquerai - je sais que le bonus fonctionne bien pour le lien avec le handicap. Faut-il amplifier ces mécanismes ? Peut-être, même s'il ne faut pas perdre de vue la diversité des modes d'accueil. Il faut aussi aider le retour à l'emploi des femmes, c'est un sujet lié. C'est la vocation des crèches à vocation d'insertion professionnelle. Nous allons en effectuer une évaluation approfondie, et sur cette base, nous pourrions développer ce dispositif dans la prochaine convention d'objectifs et de gestion. Je pense également aux crèches à horaires atypiques ; en Finlande, des parents peuvent laisser leurs enfants en crèche jusqu'à cinq jours de suite, y compris les nuits, lorsque la situation professionnelle le commande, ceci pour des enfants jusqu'à 6 ans ; et dans l'évaluation faite de ces crèches, on voit qu'elles bénéficient d'abord aux plus précaires.

Après les rixes dramatiques qui se sont produites en Essonne, où des adolescents ont tué d'autres adolescents, j'ai rencontré les acteurs locaux, associations, maires, professionnels ; ils m'ont décrit cette réalité en grande couronne, où l'éloignement du lieu de travail fait que des parents laissent leurs enfants seuls. Des maires m'ont dit devoir faire une sorte de garde partagée avec les parents, qui partent très tôt le matin et reviennent tard le soir - c'est pour cela que nous avons besoin de crèches à horaires atypiques. Nous n'en disposons pas assez. Il y en a par exemple près de Roissy, il faut développer ce type d'accueil. Le plan « bandes » prévoit des mesures pour les plus grands, j'ai demandé à la Mutualité française de faire un panorama des dispositifs existants dans notre pays, pour aider les acteurs à mettre en place ces crèches à horaires atypiques qui nous font encore bien trop défaut.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Où en est-on sur la formation des professionnels de la petite enfance ?

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État . - Le plan de lutte contre la pauvreté prévoyait déjà de renforcer la formation des professionnels. Les discussions ont pris du temps avec les organismes de formation. Une signature est intervenue dans deux des trois branches professionnelles. Les premières formations sont lancées depuis peu, autour de sept modules qui vont de la qualité de l'accueil, à l'éveil culturel et artistique, en passant par les questions de langage. Il n'y a nul besoin d'attendre l'école pour avoir un projet pédagogique.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Peut-on envisager un rapprochement des structures de la petite enfance avec les établissements scolaires ? Peut-il y avoir des échanges avec les maternelles et des sortes de passerelles ?

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État . - Oui, il pourrait y avoir des échanges. Il faut, autant que possible, éviter le travail en silo. Il est pertinent d'avoir un projet pédagogique, tant en crèche qu'en maison d'assistantes maternelles. Mais je crois que le problème central n'est pas dans la distance avec l'école. Nous sommes plus préoccupés par l'éclatement des structures d'accueil, qui forment un système peu lisible. Il n'existe pas de guichet unique pour connaître l'offre disponible. Même le maire n'a qu'une vision parcellaire de l'offre sur la petite enfance. Ensuite, il y a un problème sur le reste à charge, qui varie beaucoup selon le mode d'accueil, c'est un problème.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Effectivement, d'autant que ce reste à charge peut accentuer les inégalités. Que pensez-vous de l'institution d'un service public de la petite enfance ?

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État . - Je peux vous renvoyer la question, car je ne suis pas sûr qu'on mette tous la même chose dans le périmètre d'un tel service public. S'agit-il d'instaurer un droit garanti à une place, comme en Allemagne ? Ou bien un nouveau partage des compétences, avec la notion d'obligation ? Je crois que nous avancerons progressivement vers ces objectifs, mais je n'en connais pas toutes les modalités - mon objectif c'est que tous les parents puissent se voir proposer une place, et à tout le moins une information précise et claire sur ce qui existe. Nous pouvons commencer par atténuer les inégalités en particulier sur le reste à charge.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - En matière d'apprentissage du langage, dont on sait qu'il est déterminant pour le reste de la vie, envisagez-vous des programmes spécifiques visant les enfants les moins bien dotés ?

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État . - Nous soutenons des actions spécifiques autour de la lecture, mais nous n'avons pas de plan précis à ce stade. D'une manière générale, nous avons travaillé avec Santé publique France pour constituer une série de messages sur une dizaine de sujets importants dont on sait qu'ils donnent lieu à des informations erronées, sachant que deux Français sur trois vont sur internet quand ils cherchent une réponse à leurs questions sur la petite enfance. Nous avons des messages sur le syndrome du bébé secoué, sur les perturbateurs endocriniens, sur l'éveil culturel et artistique, nous avons constaté que même les professionnels disaient des choses hétérogènes sur ces sujets. Nous développons une application sur les 1 000 premiers jours pour accompagner les parents, leur donner des informations sur cette période si particulière du début de l'enfance, qui peut être aussi celui de la parentalité. Il y a aussi une expérimentation avec un cadeau à la naissance, qui contient un livre à lire à l'enfant, c'est intéressant.

Mme Monique Lubin , rapporteure . - Nous le faisons dans les Landes.

M. Laurent Burgoa , président . - Merci encore pour toutes ces informations. Notre prochaine réunion se déroulera à la reprise de la session au mois de septembre, pour la présentation du rapport d'information.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat .

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