C. LA NÉCESSITÉ D'UNE POLITIQUE VOLONTARISTE DE DÉVELOPPEMENT DES MODES D'ACCUEIL

1. Impulser une politique plus volontariste de création de places

L'augmentation de l'offre en accueil collectif constitue un objectif affirmé depuis plusieurs années, aussi bien dans les stratégies de lutte contre la pauvreté que dans les conventions d'objectifs et de gestion (COG) conclues entre l'État et la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF).

Pour autant, les résultats en la matière sont constamment inférieurs aux objectifs affichés.

Sur la période 2013-2017, le nombre de places créées en accueil collectif s'est ainsi élevé à environ 56 400, soit à peine plus de la moitié de l'objectif fixé par la COG (100 000 places nouvelles en accueil collectif sur un total de 250 000 nouvelles places).

La COG pour 2018-2022 a fixé un objectif moins ambitieux (dans un contexte de baisse de la natalité) mais qui se voulait plus réaliste et tablait sur la création de 30 000 nouvelles places, « dont une part significative dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville ». Cet objectif est également affirmé dans la stratégie nationale de lutte contre la pauvreté.

L'évaluation de la stratégie nationale de lutte contre la pauvreté établit que 5 240 places ont été créées en 2018 et 2019, soit 17,5 % de l'objectif qui doit être atteint d'ici 2022 .

Ainsi que l'a reconnu le secrétaire d'État à l'enfance et aux familles, auditionné par des députés à l'automne, « il est raisonnable d'espérer la création de douze à quinze mille places d'ici 2022 » 80 ( * ) , soit moins de la moitié de l'objectif affiché.

Dans une circulaire 81 ( * ) adressée aux directeurs de caisses d'allocations familiales en mars 2021, le directeur général de la CNAF estimait lui aussi que l'objectif fixé par la COG ne pourrait être réalisé qu'à hauteur de 40 % .

La conclusion tardive de la COG, le contexte des élections municipales et la crise sanitaire peuvent contribuer à expliquer une partie retard pris dans les projets.

La Cour des comptes observe que « si les Caf cofinancent les projets de structures d'accueil du jeune enfant, ce sont en revanche les acteurs locaux publics ou privés qui les initient. Or, les communes et intercommunalités , qui gèrent 60 % du parc d'établissements d'accueil du jeune enfant, confrontées à des difficultés diverses depuis 2013, notamment budgétaires, ont cherché à limiter leurs dépenses dans ce secteur , ce qui explique que l'objectif de création de places n'ait pas été atteint » 82 ( * ) . La Cour relève d'ailleurs que sur la période 2013-2017, ce sont les acteurs privés qui ont permis la création d'environ 40 % des nouvelles solutions d'accueil, via le développement de micro-crèches.

À ces freins financiers, liés aux charges en fonctionnement des EAJE 83 ( * ) , peuvent s'ajouter, de la part des collectivités locales, des réticences ayant trait aux responsabilités induites par l'accueil de jeunes enfants.

La CNAF a engagé au début de l'année 2021 un plan « rebond » dégageant, par redéploiement de crédits de son Fonds national d'action sociale, des financements pour des aides exceptionnelles en investissement (majoration de 7 000 euros par place pour les projets situés dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville et les zones de revitalisation rurale), une majoration pérenne des aides au fonctionnement et un accompagnement renforcé des porteurs de projets, en ingénierie et en conseils. Ce plan ne permettra de rattraper qu'une petite partie du retard pris.

On constate par ailleurs de fortes inégalités territoriales dans les solutions d'accueil .

En Seine-Saint-Denis , le nombre de solutions d'accueil formel pour 100 enfants de moins de trois ans est pratiquement inférieur de moitié à la moyenne nationale (30,8 pour une moyenne nationale de 59,3 selon les données les plus récentes publiées par la CNAF). Dans le Val-d'Oise , il est inférieur de 30 % à la moyenne (41,8). Outre-mer , tous les départements sont au-dessous de la moyenne nationale, avec un taux particulièrement bas à La Réunion (32) et surtout en Guyane (9) ainsi qu'à Mayotte (à peine un peu plus de 1) où l'accueil, quand il existe, est surtout informel.

La COG avait prévu, pour la période 2013-2017, un objectif visant à ce que 75 % des nouvelles places créées le soient dans les territoires ayant un taux de couverture inférieur à la moyenne nationale. La Cour des comptes a relevé que 60 % seulement des créations de places étaient intervenus dans ces territoires « sous-dotés », et de surcroît dans les plus favorisés d'entre eux, les inégalités territoriales n'ayant donc été que très peu corrigées.

La Cour des comptes relève également de très fortes variations, selon les départements, des dépenses d'action sociale des caisses d'allocations familiales relatives à l'accueil des jeunes enfants rapportées à la population des 0-4 ans : en 2018, on constate dans quatre départements une dépense moyenne supérieure à 1 400 euros par enfant, dont Paris (2 808 euros) et les Hauts-de-Seine (1 624 euros), et dans 34 départements une dépense inférieure à 700 euros, dont la Mayenne (388 euros) et l'Aisne (354 euros).

Ces disparités pourraient en partie résulter, pour les départements les plus dotés, d'un nombre d'équipements historiquement élevé, d'une demande plus forte ou de coûts immobiliers et salariaux plus importants, en particulier en Île-de-France.

Les aides financières à la création et au fonctionnement des EAJE prévues dans le cadre de la COG s'avèrent donc manifestement insuffisantes. Il apparaît dès lors indispensable de renforcer les moyens mis en oeuvre par la branche famille pour favoriser la création de places en EAJE , en ciblant l'effort sur les quartiers prioritaires de la politique de la ville, les zones rurales sous-dotées et les familles les plus modestes. Lors de son audition par la mission d'information, Jean-Louis Borloo 84 ( * ) a quant à lui préconisé, durant le temps nécessaire au rattrapage du retard constaté dans certains quartiers ou territoires ruraux et outre-mer, de réorienter certains financements dont bénéficient les territoires les mieux dotés afin d'intensifier l'effort en faveur de ceux moins bien dotés.

Recommandation : renforcer les efforts de création de places en structure d'accueil du jeune enfant dans les quartiers prioritaires, les zones rurales sous-dotées et outre-mer et en faveur des familles modestes.

2. Interroger les règles de financement

Les règles de financement des EAJE incitent les gestionnaires à maximiser l'utilisation de leurs berceaux. Ce souci, compréhensible du point de vue de l'efficience des deniers publics, conduit à exclure les familles qui n'ont besoin que d'un accueil intermittent ou à temps partiel, par exemple parce que l'un des parents, généralement la mère, ne travaille pas à temps plein ou travaille avec des horaires atypiques.

La majoration des aides au fonctionnement
pour susciter la création de places en EAJE

La principale modalité de financement des établissements d'accueil du jeune enfant par les caisses d'allocations familiales est depuis 2002 la prestation de service unique (PSU).

Cette aide, versée à des établissements publics comme privés, complète la participation demandée aux familles, qui doit être modulée en fonction de leurs ressources, à hauteur des deux tiers du prix de revient pour le gestionnaire, dans la limite d'un plafond.

Par ailleurs, la PSU est modulée (les coûts plafonds sont majorés) en fonction du service rendu (fourniture de couches et de repas) et du taux de facturation (rapport entre les heures facturées aux familles et les heures effectuées). La prise en compte du taux de facturation peut avoir tendance à inciter les gestionnaires à privilégier les familles dans lesquelles les deux parents travaillent , qui ont besoin d'un accueil régulier et à temps complet.

La COG État-CNAF pour 2018-2022 prévoit une rénovation des modalités de financement des EAJE. Le financement du fonctionnement des EAJE par la branche famille s'articulerait ainsi sur trois niveaux.

Les sommes versées aux EAJE au titre de la PSU peuvent être ainsi majorées grâce à des financements forfaitaires prenant en compte des critères liés aux caractéristiques des territoires et des publics accueillis :

- le bonus « mixité sociale » (300 à 2 100 euros par an et par place), attribué aux établissements pour lesquels le montant horaire moyen de la participation des parents est faible ;

- le bonus « inclusion handicap » est attribué aux établissements accueillant au moins un enfant en situation de handicap, son montant étant modulé (dans la limite d'un plafond de 1 300 euros par place) en fonction du nombre d'enfants accueillis ;

- le bonus « territoire » , attribué dans le cadre de « conventions territoriales globales » qui doivent progressivement prendre la place des « contrats enfance jeunesse » et modulé selon le potentiel financier du quartier ou de la commune d'implantation (jusqu'à 700 euros par place créée, assortis d'une majoration spécifique de 1 000 euros dans les QPV).

Ces bonus sont attribués au titre de toutes les places de l'établissement et non pas uniquement de celles attribués aux publics visé.

Enfin, le fonds « publics et territoires », doté d'environ 58,3 millions d'euros par an sur la période, doit permettre le financement de projets spécifiques.

Un bilan de ces bonus devra être dressé afin de mesurer leur efficacité pour développer l'accueil des enfants de familles modestes.

La réticence des parents de familles modestes à confier leur enfant à une structure collective résulte parfois en outre de facteurs culturels : difficulté à confier son enfant à des tiers, distance vis-à-vis des institutions et crainte du jugement ou d'un contrôle social, renonciation à envisager de solliciter une place dès lors qu'un parent ne travaille pas. De tels facteurs peuvent être surmontés par une démarche progressive. La COG État-CNAF prévoit le développement de l'accueil temporaire ou occasionnel en complément de l'accueil sur des périodes plus longues, sans toutefois préciser les moyens mis au service de cette ambition.

Selon la rapporteure, une voie d'amélioration de la situation actuelle pourrait être de réserver un quota de places financées hors PSU afin de donner aux gestionnaires une marge de manoeuvre pour l'accueil d'enfants de familles modestes.

Par ailleurs, dans l'attribution des places, la priorité est souvent donnée aux couples bi-actifs. Lorsque l'un des parents, c'est-à-dire bien souvent la mère, ne travaille pas, il est trop souvent considéré, plus ou moins implicitement, qu'elle peut donc s'occuper de son enfant.

Cette conception conduit à renforcer les inégalités de taux d'emploi entre les pères et les mères et nuit à l'accès des enfants de familles modestes à des modes de garde collectif.

Recommandation : assouplir les règles de financement des établissements d'accueil du jeune enfant par la branche famille afin de favoriser l'accueil volontariste d'enfants de familles modestes.

3. Promouvoir les formes d'accueil incluant un accompagnement des familles

L'augmentation du recours à des modes de garde formels, et notamment collectifs, par les familles modestes passe également par une réflexion sur l'adaptation de l'offre à leurs besoins et à leurs attentes. En effet, ces familles peuvent avoir des réticences à confier leur enfant ou peuvent ne souhaiter l'inscrire qu'à temps partiel.

Il convient d'aller vers ces familles et de leur offrir des solutions adaptées à leurs besoins. Le rapport Giampino préconisait de favoriser les espaces et les initiatives atypiques qui vont au-devant des familles et des enfants qui sont éloignés des modes d'accueil et qui en ont le plus besoin.

Le code de l'action sociale et des familles (art. L. 214-7) impose aux EAJE de réserver une part 85 ( * ) de leurs berceaux à des enfants dont les parents sont demandeurs d'emploi ou ont des faibles revenus 86 ( * ) .

Certains projets vont plus loin et développent une offre associant accueil des jeunes enfants et accompagnement des parents dans une démarche d'insertion. La COG État-CNAF pour 2018-2022 prévoit de renforcer le soutien à ces projets, et notamment aux crèches « à vocation d'insertion professionnelle (Avip) modèle qui a fait l'objet d'un accord et d'une charte conclus en 2016 entre l'État, la CNAF et Pôle emploi.

L'article 4 de la proposition de loi visant à accélérer l'égalité économique et professionnelle, adoptée par l'Assemblée nationale le 12 mai 2021 87 ( * ) prévoit de leur donner une assise législative.

Le Gouvernement, par la voie de Mme Elisabeth Moreno, a soutenu cette disposition, qui doit permettre « d'accélérer le développement de ce modèle vertueux » 88 ( * ) . La rapporteure partage cette conviction.

À défaut d'une inscription prochaine de la proposition de loi à l'ordre du jour du Sénat, le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022 pourrait être l'occasion de reprendre cette disposition. Il conviendra en outre de poursuivre les ambitions portées par la COG État-CNAF et de renforcer le soutien financier aux projets combinant offre d'accueil et offre mobilisant la famille sur un projet d'insertion sociale et ou professionnelle. Cela suppose d'abonder à l'avenir plus fortement le fonds « Publics et territoires » de la CNAF.

Recommandation : donner une base législative aux crèches Avip et renforcer le soutien en faveur des projets combinant accueil du jeune enfant et accompagnement des parents.


* 80 Audition de M. Adrien Taquet par la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, 21 octobre 2020.

* 81 Circulaire CNAF n° 2021-004 du 17 mars 2021.

* 82 Cour des comptes, Rapport annuel sur les lois de financement de la sécurité sociale, L'action sociale de la branche famille , octobre 2020.

* 83 Le reste à charge moyen pour la collectivité est d'environ 33 %, une place d'accueil ayant un prix de revient moyen de 16 000 euros.

* 84 Audition de M. Jean-Louis Borloo, 30 juin 2021.

* 85 Cette part ne peut être inférieure à une place par tranche de vingt places d'accueil (art. D. 214-7).

* 86 L'ordonnance du 19 mai 2021 a prévu une nouvelle rédaction de cet article, qui doit entrer en vigueur le 1 er janvier 2022.

* 87 Texte transmis au Sénat et enregistré sous le numéro 592 (2020-2021), renvoyé à la commission des affaires sociales.

* 88 Propos de Mme Elisabeth Moreno en séance publique à l'Assemblée nationale le 12 mai 2021.

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