D. AMÉLIORER LA QUALITÉ DE L'ACCUEIL ET MIEUX VALORISER LES MÉTIERS DE LA PETITE ENFANCE

L'accueil en structure collective des jeunes enfants est d'autant plus bénéfique pour leur développement que cet accueil est de qualité. Il ressort des auditions menées par la rapporteure qu'un travail important doit être réalisé en France sur cet aspect.

L' investissement sur la qualité de l'offre d'accueil constitue le corollaire indissociable de la création de places supplémentaires .

1. Mieux penser l'accueil du jeune enfant en s'appuyant sur les apports de la science

Comme on l'a précédemment souligné, l'impact positif de l'accueil collectif dépend fortement de la qualité de cet accueil 89 ( * ) , cette qualité s'appréciant au regard de critères sur lesquels s'accordent de nombreuses études internationales : nature des activités, interactions entre les adultes et les enfants, stabilité du personnel référent pour l'enfant, nombre d'enfants accueillis simultanément, supervision de l'accueil.

Or, il ressort des auditions conduites par la mission d'information que la France dispose d'une importante marge de progression.

Le ratio professionnels/nombre d'enfants accueillis est dans les pays de l'OCDE en moyenne d'un professionnel pour 5 enfants, ce niveau n'étant appliqué en France que pour les enfants non marcheurs, l'encadrement étant plus faible pour les enfants marcheurs (un professionnel pour 8 enfants marcheurs). À cet égard, le récent décret relatif aux établissement d'accueil du jeune enfant 90 ( * ) , en ouvrant la possibilité, pour les établissements, de retenir un ratio d'un professionnel pour 6 enfants, marcheurs ou non marcheurs, n'apporte pas une réponse réellement satisfaisante à la nécessité d'un renforcement de l'encadrement, cette solution étant optionnelle et pouvant se traduire par une dégradation de l'encadrement des enfants non marcheurs.

De même, l'organisation de nombreux établissements ne permet pas de satisfaire l'objectif de stabilité et de continuité de la relation entre l'enfant et un professionnel référent s'occupant de lui de manière stable et sur la durée.

Enfin, les apports des sciences éducatives et comportementales pourraient être davantage mis au service d'un accueil de qualité.

Le rapport Cyrulnik recommande notamment de financer la recherche-action-formation entre chercheurs et professeurs et une évaluation des pratiques « visant à l'amélioration constante de la qualité de l'accueil ».

Le même rapport suggère également de mieux mettre en pratique les apports issus de la recherche scientifique quant à l'impact des espaces d'accueil sur le développement de l'enfant.

Recommandation : améliorer l'encadrement au sein des établissements d'accueil du jeune enfant et développer l'identification de professionnels référents afin de garantir une plus grande stabilité de la relation avec l'enfant accueilli.

Les dépenses en faveur de la petite enfance :
des investissements sociaux rentables

Le rapport précité de Terra Nova illustre à travers l'exemple de deux expériences menées aux États-Unis l'impact sur les inégalités sociales d'interventions conduites dès le plus jeune âge.

Les projets Perry Preschool (1962-1967) et Carolina Abecedarian (1972-1977) étaient des programmes de préscolarisation intensifs reposant notamment sur des jeux autour du langage, des séances de lecture individualisée et une implication des parents. Le suivi des enfants concernés selon une méthode scientifique jusqu'à l'âge de 40 ans a montré des résultats importants en matière de réussite scolaire, de chômage, de revenus, de santé et de délinquance.

Par ailleurs, l'économiste James Heckman a démontré, en se basant sur une évaluation du programme Perry Preschool , que le retour sur investissement des dépenses en faveur du capital humain était d'autant plus fort qu'elles interviennent tôt .

En d'autres termes, les dépenses en faveur d'un accueil de qualité des jeunes enfants seraient nettement plus rentables pour la société que les politiques mises en oeuvre à un âge plus tardif pour lutter contre le décrochage scolaire ou en faveur de l'insertion dans l'emploi.

Cela est particulièrement vrai pour les enfants issus de familles modestes, le graphique ci-dessous, issu du rapport de l'OCDE, synthétisant les travaux académiques concluant à l'impact de l'investissement dans la petite enfance sur la réduction des inégalités des chances.

2. Mieux former les professionnels et développer une réelle filière métier

Les spécialistes de la petite enfance auditionnés par la mission d'information s'accordent sur l' insuffisance de la formation initiale et continue des professionnels de ce secteur, notamment en comparaison avec les situations observées à l'étranger. Cette difficulté concerne tant l'accueil individuel que l'accueil collectif.

Surtout, il ressort des auditions menées par la rapporteure que les professionnels ayant les plus hauts niveaux de qualification sont fréquemment affectés à des tâches administratives ou de gestion, loin des enfants. Le rapport sur les 1 000 premiers jours de l'enfant souligne ainsi que « les professionnels les moins bien rémunérés et les moins bien formés sont ceux qui travaillent directement auprès des enfants » et « bénéficient également peu souvent d'analyse des pratiques, de supervision et de formations continues structurées ».

Les personnes auditionnées ont en outre mentionné l'insuffisante analyse de la pratique au sein des EAJE. Ce constat est corroboré par le rapport Eurydice 91 ( * ) 2019 de la Commission européenne qui montre que la France fait partie des pays dans lesquels aucun système obligatoire de développement professionnel continu n'est prévu pour les professionnels intervenant auprès d'enfants de moins de trois ans 92 ( * ) , qu'il s'agisse des « travailleurs principaux » ou des « assistants ».

La France se classe 27 ème parmi les 35 pays de l'OCDE pour la qualification des personnels dans les lieux d'accueil de jeunes enfants.

L'idée que la prise ne charge de jeunes enfants constitue un métier qualifié et non une compétence innée -et surtout féminine- doit donc encore se développer en France. Selon le rapport sur les 1 000 premiers jours, « les métiers de la petite enfance souffrent globalement d'un manque de reconnaissance et d'une rémunération plus faible par rapport à la moyenne des pays de l'OCDE ».

Ce manque de considération est un des facteurs explicatifs de la pénurie de professionnels de la petite enfance et peut également contribuer à expliquer un taux de rotation important et la fréquence des syndromes d'épuisement professionnel, symptômes d'un malaise au travail qui ne peut qu'avoir des conséquences pour les enfants.

Ainsi, comme le proposait déjà en 2016 le rapport de Sylviane Giampino, l'amélioration de la qualité de l'accueil des jeunes enfants passe par le développement d'une filière professionnelle des métiers de la petite enfance et par une montée en compétences des professionnels du secteur.

Le rapport Cyrulnik souligne lui aussi la nécessité d'améliorer la valorisation des professionnels de la petite enfance (personnel des établissements mais également assistants maternels).

Il s'agit donc d'enrichir et de renforcer la formation initiale et continue des acteurs intervenant auprès des enfants, de développer la reconnaissance des acquis de l'expérience et les passerelles entre les différents métiers dans une logique de parcours.

La création d'un comité de filière « petite enfance », annoncée par le secrétaire d'État chargé de l'enfance et des familles, constitue en cela une première étape, qu'il conviendra de compléter par des actions concrètes.

Recommandation : renforcer la formation initiale des professionnels de la petite enfance, revaloriser, notamment du point de vue de la rémunération, ces métiers et développer une filière cohérente permettant une évolution professionnelle.

Le plan de formation prévu dans le cadre de la stratégie pluriannuelle de lutte contre la pauvreté, qui doit bénéficier à 600 000 professionnels, a été perturbé par la crise sanitaire et la première campagne de formation continue n'a été réellement lancée qu'en mai 2021. Au-delà du rattrapage du retard résultant de ce décalage, il semble souhaitable de pérenniser l'offre de formation à destination des professionnels de la petite enfance, afin qu'elle ne soit pas tributaire de plans ponctuels.

Recommandation : pérenniser une offre de formation à destination des professionnels de la petite enfance


* 89 Certains experts auditionnés (le professeur Agnès Florin notamment) suggèrent qu'un accueil de mauvaise qualité peut avoir un impact nul voire négatif sur le développement des enfants. Le rapport Cyrulnik (p. 109) suggère également qu'un accueil dans un établissement de faible qualité peut avoir des effets négatifs sur le développement de l'enfant.

* 90 Article 8 du décret n° 2021-1131 du 30 août 2021 relatif aux assistants maternels et aux établissements d'accueil de jeunes enfants.

* 91 Rapport Eurydice, Chiffres clés de l'éducation et de l'accueil des jeunes enfants en Europe , édition 2019.

* 92 Op. cit. , annexe A, p. 153

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