L'ESSENTIEL

Réunies le mercredi 29 septembre 2021 sous la présidence de Catherine Deroche et François-Noël Buffet, la commission des affaires sociales et la commission des lois ont conjointement adopté le rapport d'information d'Hussein Bourgi, Laurent Burgoa, Xavier Iacovelli et Henri Leroy sur les mineurs non accompagnés .

RÉGULATION DES ENTRÉES, RÉPARTITION DES COMPÉTENCES :
À LA RECHERCHE D'UNE VÉRITABLE POLITIQUE NATIONALE

DES RÉPONSES INSUFFISANTES À UN PHÉNOMÈNE MASSIF ET DURABLE

Les personnes se présentant comme mineurs non accompagnés (MNA) font l'objet d'une procédure spécifique en amont de leur prise en charge par l'aide sociale à l'enfance (ASE). Il incombe au département de procéder à une évaluation sociale des demandeurs, le point crucial étant de déterminer s'il s'agit de mineurs. En outre, le département est tenu de mettre en place un accueil provisoire d'urgence, ou « mise à l'abri », d'une durée théorique de 5 jours.

Le nombre de MNA intégrant les dispositifs de protection de l'enfance avait plus que triplé entre 2014 et 2017, passant de 5 033 à 17 022 selon les chiffres du ministère de la justice. Si 2020 a été une année particulière, marquée par une forte diminution des déplacements en raison de la crise sanitaire, le nombre d'entrées de MNA à l'ASE avait déjà connu une légère baisse de 1,5 % en 2019.

Le nombre d'évaluations conduites par les départements est cependant resté élevé sans que l'on puisse en déterminer le volume exact. Une part prépondérante (55 %) des personnes évaluées ne sont pas considérées comme mineures à l'issue de ce processus.

Or, cette phase « amont » représente une charge financière importante pour les départements : passé le délai de 5 jours de recueil administratif, la mise à l'abri du jeune demandeur se prolonge tant qu'une décision de l'autorité judiciaire n'est pas intervenue.

En « aval », l'effectif de MNA pris en charge par l'ASE se maintient à un niveau élevé, représentant des dépenses parfois très lourdes. 23 461 mineurs non accompagnés étaient ainsi pris en charge par les conseils départementaux au 31 décembre 2020. Le coût annuel de la prise en charge des MNA par l'ASE peut être estimé à 1,1 milliard d'euros. Il s'avère toutefois difficile de retracer avec précision les dépenses d'aide sociale à l'enfance directement imputables aux MNA.

L'entrée dans le dispositif concentre une grande partie des difficultés et des incohérences de cette politique conduite avec des disparités importantes entre départements . Certes, depuis 2013, un référentiel partagé a été progressivement mis en place. Le département peut en outre bénéficier du concours des services préfectoraux avec la création du traitement d'« appui à l'évaluation de la minorité » (AEM). Enfin, le recours à des examens osseux complémentaires a été encadré par la loi.

En dépit de cet encadrement et de ces efforts d'harmonisation, la mise en oeuvre de cette phase d'évaluation reste très hétérogène : professionnalisme de l'organisme en charge de l'évaluation, durée de la procédure, conditions de mise à l'abri... De multiples différences de traitement engendrent des différences d'attractivité entre les territoires, qui tendent elles-mêmes à renforcer les inégalités. En conséquence, le dispositif national d'orientation des MNA est fragilisé par la défiance de plusieurs départements qui donne lieu à des pratiques de réévaluation des jeunes provenant d'autres territoires.

En matière d'hébergement, l'accueil provisoire d'urgence n'est pas toujours effectif. En outre, la mise à l'abri des MNA lors de la phase d'évaluation s'opère en très grande partie à l'hôtel. Les problèmes posés par ce type d'hébergement dépendent des conditions dans lesquelles celui-ci est mis en oeuvre, celles-ci étant très variables. Toutefois, l'hébergement hôtelier est souvent marqué par un faible contrôle de la qualité des lieux d'accueil, un accompagnement très limité ainsi qu'une perception négative de leurs conditions de vie par les jeunes concernés.

Sur l'ensemble du territoire, on peut constater un manque de cohérence de la politique conduite par les différents acteurs . La multiplicité des instances susceptibles d'être saisies
- procureur de la République, juge des enfants, juge administratif - engendre une multitude de procédures parallèles, qui conduisent à la prise de décisions contradictoires.

UNE POLITIQUE À STRUCTURER DE MANIÈRE PÉRENNE ET SOUTENABLE

Ce défaut de pilotage et de coordination expliquant une grande partie des difficultés, il convient de réformer la gouvernance de cette politique, en y associant le ministère des affaires étrangères.

Les rapporteurs plaident pour le transfert à l'État de l'évaluation et de la mise à l'abri des personnes se présentant comme MNA, qui donne lieu à des dépenses indues pour les collectivités . Ce scénario favoriserait la mise en cohérence de la politique conduite par les différents acteurs.

D'ores et déjà, la compensation par l'État doit couvrir l'intégralité des dépenses des départements afférentes à la prise en charge des personnes se présentant comme MNA pendant la durée de l'évaluation. Par ailleurs, l'ensemble des départements devraient recourir au dispositif AEM afin de fiabiliser les évaluations.

Quelle que soit la collectivité publique responsable de la phase d'évaluation, une homogénéisation des conditions de sa mise en oeuvre est indispensable . Dans les cas où cette compétence est déléguée, la personne publique responsable doit imposer à l'association délégataire la présentation de rapports d'activité les plus complets possible et en assurer un suivi rigoureux.

La mise à l'abri prévue par la loi doit être effective, quel que soit le mode d'hébergement retenu. Il serait également souhaitable de tendre vers la fin de l'hébergement à l'hôtel pour la mise à l'abri des personnes en cours d'évaluation.

Pour sécuriser les moyens financiers de la protection de l'enfance, le rapport plaide pour pérenniser la contribution « exceptionnelle » de l'État aux dépenses des départements et pour revoir son mode de calcul en se basant sur l'effectif de MNA pris en charge par l'ASE. À cette fin, il est indispensable que les départements soient en mesure de mieux comptabiliser les dépenses liées à la prise en charge des MNA.

LES PROBLÉMATIQUES DE SÉCURITÉ ASSOCIÉES À CERTAINS MINEURS NON ACCOMPAGNÉS : LE CONSTAT D'UNE DÉLINQUANCE ACCRUE

LA DÉLINQUANCE ASSOCIÉE AUX « JEUNES EN ERRANCE » : UN PHÉNOMÈNE DE PLUS EN PLUS PRÉOCCUPANT

La délinquance des mineurs non accompagnés est un sujet de préoccupation majeur pour les pouvoirs publics depuis maintenant plusieurs années . Pourtant, ils peinent à trouver une solution durable et efficace pour endiguer ce phénomène qui, entretenu par le relais donné par la presse à certains faits divers, rencontre un fort écho dans l'opinion publique.

Face à cette situation, les rapporteurs ont souhaité entendre les acteurs de terrain et ainsi éviter les rapprochements inexacts entre MNA et délinquance . De fait, une très grande majorité des faits de délinquance commis par des mineurs étrangers ou des personnes se présentant comme tels ne sont pas le fait de MNA pris en charge par l'ASE - dont seuls 5 à 10 % font l'objet de mesures pénales (15 % à Paris) - mais plutôt de « jeunes en errance » présentant un profil sociologique distinct . Ces jeunes sont en moyenne plus âgés que les MNA recueillis, avec une proportion importante de jeunes en réalité majeurs, et proviennent principalement des pays d'Afrique du Nord. Surtout, ils ne sont le plus souvent pas pris en charge par l'ASE et ne s'inscrivent dans aucun parcours d'insertion . La population des jeunes en errance se caractérise également par une vulnérabilité marquée, avec notamment des addictions fréquentes à des substances psychotropes illicites.

Si les travaux des rapporteurs n'ont pas mis en évidence une éventuelle emprise de filières internationales organisées sur les jeunes en errance, ils ont permis de constater la mainmise de délinquants plus expérimentés sur les plus jeunes . À Bordeaux par exemple, les jeunes en errance sont repérés et recrutés dès leur arrivée en gare par des délinquants locaux.

Sur la délinquance liée aux jeunes en errance, le constat est sans appel : les infractions commises sont de plus en plus nombreuses, graves et violentes . S'il n'existe pas de statistiques nationales sur le sujet, les données locales recueillies par les rapporteurs sont singulièrement inquiétantes. La part des jeunes en errance sur le total des mis en cause a plus que doublé entre 2016 (3 %) et 2020 (7 %) sur le ressort de la préfecture de police de Paris et atteint un niveau similaire dans les Bouches-du-Rhône en 2020 (7,1 %).

De plus, les infractions constatées tendent à être de plus en plus graves et de plus en plus violentes. Alors que la délinquance observée était auparavant essentiellement une délinquance de voie publique, avec une forte prégnance des vols à la tire, on constate le développement sur la période récente des vols par effraction et, surtout, des vols avec violence . Sur cette dernière catégorie, les jeunes en errance représentaient à eux seuls 27 % des mis en cause en 2020 sur le ressort de la préfecture de police de Paris, contre 8 % en 2016, soit une multiplication par 3,3. Cette tendance est accentuée par l'usage de plus en plus régulier d'armes blanches .

Part des « mineurs étrangers » sur la totalité des mis en cause
sur le ressort de la préfecture de police de Paris en 2020

Vols par effraction

Vols à la tire

Vols avec violence

Source : Préfecture de police de Paris

L'évolution des problématiques de sécurité associées aux jeunes en errance est aujourd'hui inquiétante à plusieurs égards. D'une part, cette délinquance ne concerne plus les seuls centres-villes des grandes communes mais tend à se propager aux communes périphériques où les jeunes se rendent par l'intermédiaire du réseau ferroviaire. D'autre part, la crise sanitaire a accéléré le déport du vol à la tire vers des infractions avec violence , du fait notamment de la disparition des touristes provoquée par les mesures de restriction. Enfin, certains territoires ultra-marins sont particulièrement exposés au phénomène. C'est le cas de Mayotte où l'insuffisante prise en charge des publics concernés nourrit l'insécurité chronique sur le territoire.

FORCES DE L'ORDRE ET SERVICES DE LA JUSTICE RENCONTRENT DE MULTIPLES OBSTACLES POUR ENDIGUER LE PHÉNOMÈNE

Les rapporteurs ont observé que l'organisation et les moyens des forces de l'ordre ne leur permettent pas de répondre à l'intensification de la délinquance liée aux jeunes en errance . Les difficultés qu'elles rencontrent sont de deux ordres et nourrissent de leur part un certain sentiment de découragement .

La première d'entre elles a trait à l'identification des jeunes interpellés , qui se heurte tant à l'utilisation de multiples alias de leur part qu'au refus systématique de se soumettre à la prise d'empreinte. Cette difficulté à « fixer » l'identité des jeunes en errance interpellés conduit à les considérer systématiquement comme des primo-délinquants . Elle s'oppose tant à la gradation de la réponse pénale qu'à la mise en place d'un accompagnement adapté et au long cours.

En conséquence, les rapporteurs recommandent d'ouvrir l'accès aux forces de l'ordre aux données contenues dans le fichier AEM, la création d'un fichier national des MNA délinquants et le renforcement des sanctions liées au refus de se soumettre au relevé d'empreintes ou au délit de fourniture d'une déclaration de minorité mensongère. La conclusion d'accords consulaires avec les pays d'origine pour l'identification de ces jeunes ainsi que le recours plus systématique aux canaux de la coopération policière constituent également des chemins à privilégier.

Le deuxième obstacle provient de la mobilité accrue des jeunes en errance, qui nécessite une présence renforcée des services de la police et de la gendarmerie nationales dans les transports ainsi qu'une coopération accrue entre ces deux entités . Des actions devraient ainsi être engagées pour mettre en place des unités mixtes police/gendarmerie référentes qui appuieraient, lorsque cela est nécessaire, les équipes sur le terrain face à l'extension géographique du phénomène de délinquance.

Les rapporteurs ont également été sensibles à l'exemple bordelais, où une « cellule MNA » spécifiquement dédiée au traitement de la délinquance de ce public a été mise en place et permet de réaliser le lien entre les forces de l'ordre, les autorités espagnoles, les services du parquet et de la PJJ . Ils encouragent à répliquer ce modèle d'organisation qui, en l'espace d'un an et demi, a permis de démontrer la majorité de près de la moitié des 700 jeunes « criblés » par les différents services.

De leur côté, les services de la justice se heurtent également à une forme d'impuissance. Ils rencontrent tout d'abord des difficultés similaires à celles des forces de l'ordre s'agissant de l'identification des individus mis en cause. Pour nombre d'entre eux, la revendication de la minorité est ainsi d'abord une stratégie pour échapper aux sanctions et complexifier les procédures. Tant les sanctions prévues à l'heure actuelle pour le refus de prise d'empreintes que les mesures d'accompagnement prononcées par les magistrats sont ensuite faiblement mises en oeuvre . En effet, les jeunes concernés ne se rendent en général ni aux convocations de la justice ni aux rendez-vous pris avec les services de la PJJ. Si elles sont plus fréquentes que pour les mineurs en général, les mesures d'incarcération demeurent néanmoins limitées tant dans leur volume que dans leur durée (de un à trois mois), ce qui ne permet pas la mise en place d'un accompagnement adapté par les services de l'État .

Des difficultés procédurales demeurent également. Il en va ainsi de la rupture dans la chaîne judiciaire pour les jeunes considérés majeurs par le juge des enfants ou mineurs par le juge de droit commun en comparution immédiate : aucune possibilité de reprise des poursuites n'est actuellement prévue par les textes . Les rapporteurs seront attentifs aux débats sur le projet de loi relatif à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure soumis à l'examen du Parlement qui propose une solution.

Au-delà, l'entrée en vigueur du code de la justice pénale des mineurs en octobre prochain doit être l'occasion d'une remise à plat de la politique de lutte contre la délinquance des mineurs en errance . En particulier, le système de l'audience unique permettant de statuer au cours d'une même audience sur la culpabilité et la sanction pourrait être particulièrement adapté aux infractions commises par les jeunes en errance . Afin d'éviter les abus et de veiller à l'usage proportionné des procédures de contrainte, les rapporteurs souhaitent néanmoins qu'une nouvelle circulaire du Garde des Sceaux soit diffusée d'ici la fin de l'année 2021 afin d'unifier la politique en matière de poursuites et d'incarcération des jeunes en errance et de fixer le cadre d'utilisation de ces nouvelles mesures procédurales.

L'ACCOMPAGNEMENT DE LA SORTIE DE LA MINORITÉ DES MINEURS NON ACCOMPAGNÉS ET DE LEUR ACCÈS À L'AUTONOMIE : UN INVESTISSEMENT HUMAIN À VALORISER

DES JEUNES À L'AVENIR MAL ASSURÉ

Alors que l'article L. 111-1 du code de l'éducation dispose que « le droit à l'éducation est garanti à chacun », la scolarisation des MNA n'est pas à la hauteur des enjeux dans beaucoup de départements . Les mineurs ne sont souvent pas scolarisés tant que se prolonge la phase d'évaluation de leur situation. Une fois les démarches entamées, les procédures devant les services de l'éducation nationale pour obtenir l'affectation des jeunes en établissement scolaire sont complexes et souvent trop longues. La situation actuelle, dans laquelle certains mineurs restent plus d'un an avant d'être scolarisés, n'est pas acceptable alors même qu'une scolarisation effective tout au long de la prise en charge par l'ASE, notamment en permettant au jeune d'acquérir la maîtrise du français, est une condition essentielle de l'accès à l'autonomie des MNA à 18 ans.

S'agissant de leur statut administratif, les MNA doivent obtenir une carte de séjour une fois leur dix-huitième anniversaire passé. Alors que 93 % des demandes de titre de séjour reçoivent une réponse positive, la procédure d'obtention de ce titre n'est pas toujours aisée et se trouve retardée, dans une part non négligeable des cas, par les vérifications de l'authenticité des documents étrangers d'état-civil du jeune. Quelques mesures d'expulsion prises contre des jeunes bien intégrés socialement et investis dans un parcours professionnel ou académique surviennent et peuvent alors toucher l'opinion publique.

En outre, l'anticipation de l'accès à l'autonomie des MNA est très variable selon les départements . Si certains octroient un contrat jeune majeur à quasiment tous les MNA jusqu'à leurs 21 ans, d'autres accompagnent le jeune pour des périodes de temps très brèves, voire conditionnent l'accès à un tel contrat, de telle sorte que la grande partie des MNA ne peuvent en bénéficier. Ce manque d'accompagnement après le dix-huitième anniversaire des jeunes aboutit alors à des difficultés matérielles et une insertion professionnelle compromise.

Si à sa majorité, l'ancien MNA se retrouve sans solution et en situation irrégulière, la prise en charge par l'aide sociale à l'enfance aura été vaine alors même qu'elle représente un investissement humain, éducatif et financier important.

DONNER UN SENS À LA PROTECTION DES MINEURS NON ACCOMPAGNÉS

Les rapporteurs sont convaincus que l'enjeu crucial d'une scolarisation rapide des MNA peut être relevé grâce à une préscolarisation des jeunes arrivés dans le département, qui ne sont pas manifestement majeurs, une coordination accrue entre les départements et les services de l'État et une meilleure anticipation par l'éducation nationale des besoins à venir en unité pédagogiques spécialisées.

La mise en oeuvre des procédures d'accès au séjour pour les jeunes engagés dans un parcours d'insertion professionnelle doit être facilitée et la délivrance des cartes doit être anticipée le plus possible afin d'éviter les ruptures administratives à la majorité.

En 2019, seules 755 demandes d'asile avaient été déposées par des MNA auprès des services de l'Ofpra ; ce nombre apparait étonnamment bas au regard des 31 009 mineurs pris en charge par les services de l'ASE au 31 décembre de cette même année. Il convient d'orienter plus systématiquement vers l'Ofpra les mineurs susceptibles de prétendre au statut de réfugié.

En 2019, parmi les MNA pris en charge

demandes de titres de séjour déposées

des demandes de titre de séjour déposées ont été acceptées

demandes d'asile avaient été déposées

Le projet d'accès à l'autonomie est préparé en amont et en co-construction avec le jeune grâce à un entretien devant se tenir à 17 ans. Cette mesure mise en place par la loi du 14 mars 2016, inégalement appliquée à l'échelle du territoire, doit être effectivement mise en oeuvre dans tous les départements. En outre, il apparait nécessaire que les départements accompagnent plus systématiquement les MNA grâce aux contrats jeune majeur en maintenant cet accompagnement jusqu'à l'obtention du diplôme ou de la qualification professionnelle.

Enfin, les dispositifs de droit commun proposés par les missions locales comme le parcours contractualisé d'accompagnement vers l'emploi et l'autonomie (PACEA) et la Garantie jeunes ne sont encore qu'insuffisamment utilisés comme filet de sécurité pour les MNA éprouvant des difficultés matérielles ou d'insertion professionnelle. La mobilisation de ces dispositifs de l'État pour le public des MNA, dans le cadre notamment de la création d'un revenu d'engagement pour les jeunes (REJ), doit être renforcée pour éviter qu'un jeune ayant vocation à rester sur le territoire national et désireux de s'investir dans son intégration sociale et professionnelle ne reste sans solution.

I. LA RÉGULATION DES ENTRÉES DANS LE DISPOSITIF MINEURS NON ACCOMPAGNÉS ET LA RÉPARTITION DES COMPÉTENCES ENTRE LE DÉPARTEMENT ET L'ÉTAT : À LA RECHERCHE D'UNE VÉRITABLE POLITIQUE NATIONALE

A. DES RÉPONSES INSUFFISANTES À UN PHÉNOMÈNE MASSIF ET DURABLE

La notion de mineur non accompagné (MNA), présente dans plusieurs textes européens et internationaux, est transposée en droit français par celle de « mineur privé temporairement ou définitivement de la protection de sa famille » 1 ( * ) .

Une dépêche du ministère de la justice du 11 juillet 2016 définit ainsi cette notion : « Il s'agit soit d'un mineur entré sur le territoire français sans être accompagné d'un adulte et privé temporairement ou définitivement de la protection de sa famille, soit d'un mineur laissé seul sur le territoire français. La privation de la protection de la famille s'entend comme le fait de ne pas être sous la responsabilité, de droit ou de fait, d'un majeur susceptible d'exercer durablement les attributs de l'autorité parentale. » 2 ( * )

Dans la suite du rapport, est qualifiée de « personne se présentant comme MNA » toute personne - mineure ou majeure - sollicitant auprès des services départementaux une prise en charge au titre de la protection de l'enfance. Sont qualifiées de MNA les personnes effectivement reconnues mineures et isolées, et dont la prise en charge relève de l'aide sociale à l'enfance (ASE) .

1. Alors que l'effectif des MNA semble se stabiliser à un niveau élevé...
a) Les lacunes du suivi des évaluations

Le nombre exact de MNA reste difficile à établir, la seule approche disponible résultant du suivi des évaluations de la minorité et de l'isolement des personnes se présentant comme MNA.

La procédure d'évaluation de la minorité et l'obligation de mise à l'abri

La prise en charge de droit commun de l'aide sociale à l'enfance s'exerce sans condition de nationalité. Elle s'applique donc aux MNA au même titre qu'aux mineurs français en danger et elle est assurée par les conseils départementaux.

En pratique, les MNA font l'objet d'une procédure spécifique en amont de la prise en charge de droit commun. Elle consiste en une évaluation sociale des personnes se présentant comme MNA au regard notamment de leurs déclarations sur leur identité, leur âge, leur famille d'origine, leur nationalité et leur état d'isolement.

Le point le plus déterminant est de s'assurer de la minorité du demandeur . La loi attribue au président du conseil départemental la responsabilité de procéder à cette évaluation.

En outre, le département est tenu de mettre en place un accueil provisoire d'urgence, ou « mise à l'abri », d'une durée théorique de cinq jours. Passé ce délai, le président du conseil départemental saisit le procureur de la République. Débute alors une phase judiciaire durant laquelle la mise à l'abri se prolonge tant qu'une décision de l'autorité judiciaire n'est pas intervenue 3 ( * ) .

La direction générale de la cohésion sociale (DGCS) ne dispose pas de données complètes sur le flux des personnes qui se présentent comme MNA. Les chiffres reposent sur les déclarations des départements faites auprès de l'agence de services et de paiement (ASP) pour le versement de la participation forfaitaire de l'État aux dépenses qu'ils engagent pour l'évaluation et la mise à l'abri de ces personnes ( cf. infra ). Or, les départements disposent d'un délai d'un an à compter de la fin de chaque trimestre pour formuler leur demande complète au titre de ce trimestre. En conséquence, on observe un décalage entre le flux d'une année et les remontées des départements sur les évaluations réalisées, ce qui ne permet pas d'avoir une appréhension fine du flux réel des personnes se présentant comme MNA.

Les données dont dispose la DGCS sont retracées dans le tableau ci-dessous. Les chiffres présentés pour 2019, qui font apparaître une baisse importante, peuvent ne pas être définitifs 4 ( * ) .

Nombre d'évaluations de la minorité réalisées par année

Année

Nombre d'évaluations réalisées

Nombre de jeunes évalués mineurs

2016

22 688

11 605

2017

44 588

21 025

2018

51 357

25 025

2019

37 212

12 237

Source : Mission d'information, d'après les données de la DGCS

Il apparaît en tout état de cause qu'une large part des personnes évaluées ne sont in fine pas considérées comme mineures. La proportion importante de majeurs parmi les personnes se présentant comme MNA a été documentée par plusieurs rapports 5 ( * ) .

b) Après plusieurs années d'augmentation soutenue, un tassement des entrées

La mission Mineurs non accompagnés (MMNA) du ministère de la justice consolide chaque année le nombre d'ordonnances et de jugements de placement auprès de l'aide sociale à l'enfance (ASE) concernant des personnes déclarées mineures non accompagnées 6 ( * ) .

Le nombre de MNA intégrant les dispositifs de protection de l'enfance avait fortement augmenté en quelques années, en triplant notamment entre 2014 et 2017. L'année 2020 a été une année particulière marquée par la pandémie de covid-19, qui s'est notamment traduite par des restrictions de déplacement et la fermeture de frontières internationales ; le nombre d'admissions dans le dispositif MNA a diminué en conséquence. Toutefois, le nombre d'entrées de MNA avait déjà connu une légère baisse de 1,5 % en 2019 ( cf . graphique ci-dessous).

La crise sanitaire se poursuivant en 2021, les chiffres pourraient rester cette année proches de l'étiage de l'an passé 7 ( * ) .

Nombre de personnes déclarées MNA

Source : Mission d'information, d'après les données de la MMNA

Entre 2016 et 2018, il existe un écart important entre le nombre de jeunes évalués mineurs par les départements, présenté plus haut, et le volume plus faible, retracé ici, de personnes considérées comme mineures par le juge des enfants et placées à l'ASE. Il s'explique notamment par le fait qu'une même personne a pu être évaluée dans plusieurs départements 8 ( * ) .

c) Un effectif qui demeure à un niveau élevé

Selon la DGCS, 23 461 mineurs non accompagnés étaient ainsi pris en charge par les conseils départementaux au 31 décembre 2020, après 31 009 fin 2019 et 28 411 fin 2018.

Nombre de MNA pris en charge par l'ASE (au 31 décembre)

Source : Mission d'information, d'après les données de la DGCS

Si les flux d'entrée se sont ralentis, l'effectif total de MNA pris en charge par l'ASE a cependant pu continuer à augmenter localement en 2019 et en 2020, comme l'indique l'exemple de la Gironde ( cf . tableau ci-dessous). Il convient de préciser que le conseil départemental de la Gironde comptabilise non seulement les mineurs pris en charge par l'ASE mais également les jeunes majeurs dont la prise en charge se poursuit au-delà de l'âge de 18 ans.

Évolution du nombre et de la proportion de MNA pris en charge par l'ASE
Département de la Gironde

Année

Nombre de MNA (mineurs et majeurs)
pris en charge

Proportion des MNA (mineurs et majeurs)
au sein de l'ASE

2018

980

20,4 %

2019

1 257

24,5 %

2020

1 464

27,7 %

2021 (au 20 juillet)

1 523

25,9 %

Source : Conseil départemental de la Gironde

d) Une stabilité des profils dans le temps avec des spécificités en 2020

• Les MNA reconnus comme tels sont le plus souvent originaires de trois pays d'Afrique de l'Ouest : la Guinée, le Mali et la Côte d'Ivoire. En 2020, ces pays restent les plus représentés mais ne concentrent plus que 45,5 % des flux, contre 61 % en 2017, 67 % en 2018 et 61 % en 2019.

À l'inverse, le nombre de MNA en provenance de pays du Maghreb (Algérie, Tunisie et Maroc) est demeuré stable en 2020, si bien que leur proportion a augmenté (de 10,6 % des jeunes reconnus MNA en 2019 à 18,4 % en 2020) 9 ( * ) . Le nombre de MNA originaires du Bangladesh et d'Afghanistan est également resté important.

La cellule MNA du ministère de la justice constate en 2020 un accroissement des traversées par la route de la Méditerranée centrale (accès au territoire français par l'Italie) compensée par une diminution des arrivées par les routes de la Méditerranée orientale et occidentale (accès par l'Espagne).

Comme l'a indiqué aux rapporteurs l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), il ne s'agit que dans une minorité de cas de demandeurs d'asile.

Principaux pays d'origine des MNA ayant intégré le dispositif en 2020

Source : MMNA

Cette répartition géographique est une spécificité française : à l'échelle européenne, plus de 50 % des MNA sont originaires d'Afghanistan 10 ( * ) .

• Les MNA sont très majoritairement des garçons , quoique la proportion de filles ait augmenté en 2020.

Répartition par genre des MNA par année

Source : mission d'information, d'après les données de la MMNA

Les jeunes âgés de 15 à 17 ans sont largement majoritaires et leur proportion a continûment augmenté depuis plusieurs années, de 84,4 % en 2016 à 94,3 % en 2020, tandis que celle des 10-14 ans a progressivement diminué. Les arrivées d'enfants de moins de 10 ans non accompagnés demeurent rares.

En particulier, les jeunes de 17 ans ont été très fortement représentés (43,3 %) parmi les nouveaux MNA en 2020 . Cette donnée est importante dans la mesure où ces jeunes se retrouvent très vite confrontés à l'enjeu de la sortie de la minorité.

Répartition des MNA par tranche d'âge

Source : Mission d'information, d'après les données de la MMNA

2. ...les départements restent confrontés à une charge financière indue

Devant le développement soudain et massif du phénomène à partir de 2016, les crédits alloués par l'État au titre des mineurs non accompagnés, portés par la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » des lois de finances, ont visé à alléger la charge des départements relative à la phase initiale d'évaluation de la minorité et de la mise à l'abri des jeunes, mais aussi à la contrainte supplémentaire pesant sur l'ASE.

Au total, les crédits ouverts pour 2021 au titre des MNA s'élèvent à 120 millions d'euros, ce qui représente un recul de 25,7 % par rapport à la loi de finances initiale (LFI) pour 2020 , après une augmentation de 14,7 % entre 2019 et 2020. La participation financière de l'État baisse dans ses deux composantes, comme le retrace le tableau ci-dessous.

Évolution des crédits et des dépenses de l'État
au titre des mineurs non accompagnés

(en millions d'euros)

LFI
pour 2019

Exécution 2019

LFI
pour 2020

Exécution 2020

LFI
pour 2021

Montant de la participation « amont » (évaluation et mise à l'abri)

74 M€

93,2 M€

115 M€

50 M€

103 M€

Montant de la participation « aval » (aide exceptionnelle au titre des dépenses d'ASE)

67,2 M€

33,7 M€

47 M€

15,8 M€

17 M€

Crédits demandés / dépensés au titre des MNA

141,2 M€

126,6 M€

162 M€

65,8 M€ 11 ( * )

120 M€

Source : Mission d'information

a) La participation forfaitaire de l'État à la phase d'évaluation et de mise à l'abri

Un protocole d'accord, conclu le 31 mai 2013 entre le Gouvernement et l'Assemblée des départements de France (ADF), avait initialement prévu la prise en charge par l'État d'une partie des dépenses supportées par les départements au titre de la période d'évaluation à hauteur de 250 euros par jeune et par jour, dans la limite des cinq jours de mise à l'abri provisoire prévus par le code de l'action sociale et des familles.

À la suite du nouvel accord intervenu le 17 mai 2018, des réformes visant à renforcer l'appui de l'État aux départements dans l'exercice de leurs missions d'accueil des personnes se présentant comme MNA ont été engagées.

Sur le plan financier, un nouveau barème a été établi en concertation avec l'ADF. Il prévoit, pour les évaluations réalisées à compter du 1 er janvier 2019 :

- une prise en charge de 500 euros par jeune au titre de l'évaluation sociale et d'une première évaluation de ses besoins en santé ;

- au titre de la mise à l'abri, 90 euros par jeune et par jour dans la limite de quatorze jours, puis 20 euros par personne et par jour dans la limite de neuf jours complémentaires ,

- soit un montant maximum de 1 940 euros par jeune , contre 1 250 euros sous le régime antérieur 12 ( * ) .

Sur le plan opérationnel, le renforcement de l'appui de l'État aux départements dans l'exercice de leur mission d'évaluation de l'isolement et de la minorité des personnes se présentant comme MNA s'est traduit par la mise en place, conformément à la loi « Asile et immigration » du 10 septembre 2018 13 ( * ) , d'un outil d'appui à l'évaluation de la minorité (AEM), qui vise à éviter les présentations multiples, dans des départements différents, de personnes qui auraient déjà bénéficié d'une évaluation ( cf. infra, 3. ) .

Afin de favoriser une harmonisation et une convergence vers les meilleures pratiques, un arrêté du 23 octobre 2020 14 ( * ) conditionne, à compter du 1 er janvier 2021, la majeure partie de la participation forfaitaire de l'État à la signature par le président du conseil départemental d'une convention avec le préfet afin de fixer les modalités selon lesquelles l'action des services de l'État et du département est coordonnée en matière d'évaluation et de mise à l'abri des MNA 15 ( * ) .

Ainsi, le montant de la participation forfaitaire de l'État est réduit par cinq pour s'élever à 100 euros par personne évaluée si le président du conseil départemental n'a pas conclu une telle convention. L'utilisation des outils facultatifs prévus par la loi est donc devenue, de fait, quasi obligatoire pour les départements. Le respect de ces conditions fait l'objet de contrôles sur pièces de la part de l'Agence de services et de paiement (ASP), chargée de verser les sommes aux départements.

Pour 2021, les crédits ouverts en loi de finances au titre des dépenses de mise à l'abri et d'évaluation s'élèvent ainsi à 103 millions d'euros après 115 millions d'euros en 2020 16 ( * ) .

b) La contribution « exceptionnelle » de l'État aux dépenses d'aide sociale à l'enfance

L'aggravation des coûts liés à l'augmentation du nombre de MNA en 2017 avait conduit l'État à apporter, en 2018, une contribution exceptionnelle aux dépenses d'ASE des départements ayant accueilli un nombre supplémentaire de MNA au 31 décembre 2017 par rapport au 31 décembre 2016 17 ( * ) . Ce montant a été fixé à 12 000 euros par jeune supplémentaire pris en charge par l'ASE, le total dépensé s'élevant à 96,2 millions d'euros (sur une enveloppe initiale de 66,8 millions d'euros), correspondant à la présence de 8 005 mineurs supplémentaires fin 2017 par rapport à la fin 2016. La quasi-totalité des départements avaient alors vu le nombre de MNA pris en charge augmenter entre ces deux dates et ainsi bénéficié de cette enveloppe.

Cette contribution partielle de l'État aux dépenses de l'ASE a été reconduite à partir de 2019 suivant des modalités moins favorables 18 ( * ) .

Elle est ainsi tombée en 2019 à 6 000 euros par jeune pour 75 % des jeunes supplémentaires pris en charge par l'ASE au 31 décembre 2018 par rapport au 31 décembre 2017 - soit, en réalité, 4 500 euros par jeune supplémentaire - cette différence étant appréciée département par département. Une enveloppe totale de 67,2 millions d'euros était prévue en loi de finances initiale (LFI) pour 2019 à ce titre. Les dépenses se sont toutefois limitées à 33,7 millions d'euros en application de ce nouveau mode de calcul.

En 2020, cette contribution « exceptionnelle » de l'État a été une nouvelle fois reconduite, le mode de calcul arrêté en 2019 ayant été présenté comme pérenne, et inscrite en LFI à hauteur de 47 millions d'euros. L'arrêté du 23 septembre 2020 19 ( * ) fixe toutefois le montant dû aux départements à ce titre à 15,8 millions d'euros , correspondant à 2 634 MNA supplémentaires pris en charge au 31 décembre 2019 par rapport au 31 décembre 2018.

Pour 2021 , les crédits ouverts au titre de cette contribution exceptionnelle s'élèvent à 17 millions d'euros, ce qui représente déjà une chute de 47 % par rapport aux crédits ouverts en 2020 mais correspond à l'étiage des dépenses de l'année précédente. L'arrêté du 24 août 2021 20 ( * ) fixe toutefois à 1,7 million d'euros le montant effectivement dû aux départements pour cette année, ce qui représente un effondrement de 89 % du soutien de l'État. Seuls six départements 21 ( * ) ayant vu le nombre de MNA confiés par l'autorité judiciaire à l'ASE augmenter entre 2019 et 2020, ainsi que la Métropole de Lyon, bénéficient en effet de cette contribution en 2021.

Contribution versée par l'Etat au titre des charges supplémentaires
liées à la prise en charge de MNA

(en millions d'euros)

Source : Mission d'information

L'État fait valoir que la prise en charge de mineurs protégés confiés aux conseils départementaux relève de leur compétence et qu'il n'a pas vocation à se substituer à ces collectivités, y compris sur le plan financier. Les départements attendent cependant un soutien accru de l'État au financement de l'accueil et de l'accompagnement des MNA au titre de la protection de l'enfance. Selon l'ADF, les MNA représentent aujourd'hui entre 15 % et 20 % des mineurs pris en charge par l'ASE 22 ( * ) . Ils occasionnent pour les départements des dépenses durables et ont un impact permanent sur leurs capacités d'accueil de mineurs en danger . Or, le mode de calcul actuel de la contribution de l'État rend sa contraction quasi inexorable .

Dans le contexte de la crise sanitaire, un financement exceptionnel de 50 millions d'euros a cependant été accordé pour l'année 2020 aux départements au titre du maintien obligatoire de la prise en charge des jeunes majeurs de 21 ans sortant de l'ASE (y compris les anciens MNA) 23 ( * ) . 49,8 millions d'euros ont été versés à ce titre aux collectivités.

La loi du 31 mai 2021 relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire a prolongé jusqu'à quatre mois à compter de la fin de l'état d'urgence sanitaire 24 ( * ) l'obligation de poursuivre cette prise en charge. Un amendement adopté au Sénat a prévu que les charges supplémentaires résultant, pour les départements, de cette obligation feraient « l'objet, en loi de finances, d'une compensation intégrale par l'État des dépenses effectivement engagées » 25 ( * ) .

c) Le cas particulier des MNA en provenance de Grèce

Dans le cadre d'un programme européen de relocalisation de mineurs non accompagnés, majoritairement originaires d'Afghanistan, ayant transité par la Grèce, la France s'est initialement engagée à accueillir 350 jeunes, lesquels sont orientés vers l'ASE. Les départements reçoivent, pour chaque jeune accueilli, 1 000 euros de l'État 26 ( * ) et 4 000 euros de l'Union européenne dans le cadre du Fonds Asile, Migration et Intégration (FAMI).

Ces jeunes étant orientés par le biais d'un dispositif ad hoc , et leur évaluation ayant été réalisée en Grèce, ils ne sont pas comptabilisés pour le calcul de la contribution de l'État aux dépenses supplémentaires d'ASE ( cf. supra ).

La première vague de relocalisations a eu lieu en août 2020. Au 15 juin 2021, 280 MNA (ainsi que 2 bébés) ont été relocalisés dans 36 départements, selon la DGCS. Au total, 1,4 million d'euros ont été concédés aux départements dans le cadre de ce dispositif.

d) L'estimation des dépenses des départements

Pour les années 2018 et 2019, l'ADF évalue à 2 milliards d'euros environ les dépenses annuelles globales des départements liées à la prise en charge des MNA par l'ASE. 191 millions d'euros seraient consacrés à la prise en charge des MNA devenus majeurs.

Il s'agit toutefois d'une estimation large : l'ADF évalue en effet à 50 000 euros par an et par jeune le coût global estimatif de la prise en charge d'un jeune par l'ASE, et à 40 000 l'effectif des MNA au cours de ces années, considéré comme le maximum à ce jour.

Le tarif journalier d'hébergement des mineurs pris en charge par l'ASE est en réalité très variable et évolutif, et le chiffre de 50 000 euros par an avancé par l'ADF, probablement surévalué 27 ( * ) . L'État ne dispose toutefois d'aucune évaluation nationale du coût moyen de l'accueil d'un mineur non accompagné.

En se basant sur les statistiques plus restrictives de la DGCS sur les effectifs, qui font apparaître une moyenne de 22 000 mineurs non accompagnés pris en charge sur les cinq dernières années, les dépenses annuelles totales s'élèveraient à 1,1 milliard d'euros (hors contrats jeune majeur).

Il s'avère en réalité difficile de retracer avec précision les dépenses d'aide sociale à l'enfance directement imputables aux MNA. Dans un référé du 8 octobre 2020, la Cour des comptes pointe « la méconnaissance des coûts réels des dispositifs et procédures liés aux MNA, qui constitue une lacune grave tant pour piloter cette politique que pour la gérer de manière efficiente. L'absence de comptabilité analytique dans la majorité des départements les empêche en effet de distinguer ce qui relève des MNA dans leurs dépenses . »

Par exemple, comme l'a indiqué le conseil départemental de la Gironde aux rapporteurs, il n'est actuellement pas possible de chiffrer précisément le coût des MNA dans ce département lorsqu'ils sont hébergés dans des établissements « classiques » de la protection de l'enfance 28 ( * ) . En revanche, dans les établissements accueillant exclusivement des MNA, le conseil départemental indique que les dépenses se sont élevées à 37,2 millions d'euros en 2020. Le coût global de la prise en charge des MNA par l'ASE en 2020 est ainsi évalué à 46 millions d'euros environ par le département de la Gironde. À titre de comparaison, le montant versé par l'État à ce département au titre des dépenses supplémentaires d'ASE a été de 978 000 euros en 2019, de 108 000 euros en 2020 et nul en 2021.

Quant à la participation forfaitaire de l'État aux dépenses liées à l'évaluation et à la mise à l'abri, elle s'est élevée en 2019 à 878 000 euros pour la Gironde alors que le coût total a été de 2,4 millions d'euros pour le département.

Ainsi, quelles que soient les lacunes du suivi des dépenses imputables aux MNA, le soutien financier de l'État est de toute façon loin de couvrir les dépenses réelles des collectivités.

Il serait toutefois utile de réaliser, sur la base d'échantillons représentatifs, une enquête nationale sur les coûts pour les départements, détaillés par poste de dépenses, de la prise en charge des MNA et sur les déterminants de leurs variations. Les chiffres approximatifs communiqués depuis plusieurs années par l'ADF contribuent en effet à la crispation des positions sur le sujet.

Recommandation n° 1 : Réaliser une enquête nationale sur les coûts pour les départements de la prise en charge des MNA.

3. Les conditions de réalisation de la phase d'évaluation et de mise à l'abri restent insuffisantes et hétérogènes
a) La mise en oeuvre variable de la procédure d'évaluation entre les territoires

La circulaire « Taubira » du 31 mai 2013 relative aux modalités de prise en charge des jeunes isolés étrangers a mis en place un dispositif national de mise à l'abri, d'évaluation et d'orientation des MNA . Ce dispositif a été consacré par décret en 2016 29 ( * ) et précisé en 2019 30 ( * ) . En décembre 2019 a été diffusé un guide de bonnes pratiques en matière d'évaluation de la minorité et de l'isolement auprès des départements ainsi que des réseaux associatifs impliqués dans la réalisation de cette évaluation et la prise en charge des jeunes se présentant comme MNA.

• Un arrêté du 20 novembre 2019 fixe le référentiel national sur la base duquel doit être réalisée la procédure d'évaluation sur tout le territoire 31 ( * ) .

Ainsi, l'évaluation doit s'appuyer sur un faisceau d'indices qui peut inclure :

- les informations fournies au président du conseil départemental par le préfet ;

- une évaluation sociale, menée par les services du conseil départemental ou par tout organisme du secteur public ou du secteur associatif auquel la mission d'évaluation a été déléguée par le président du conseil départemental ;

- des examens radiologiques osseux complémentaires.

En particulier, le président du conseil départemental doit s'assurer du caractère pluridisciplinaire de l'évaluation sociale de la personne se présentant comme MNA. Cette pluridisciplinarité repose sur au moins une des deux modalités suivantes :

- des entretiens menés par au moins deux évaluateurs ayant des qualifications ou des expériences différentes, intervenant soit simultanément, soit de façon séquentielle ;

- la relecture du rapport d'évaluation sociale par une équipe composée de personnes ayant des qualifications ou des expériences différentes avant validation par le responsable d'équipe.

L'évaluation sociale doit porter a minima sur un entretien comportant six points : l'état civil, la composition familiale, la présentation des conditions de vie dans le pays d'origine, l'exposé des motifs de départ du pays d'origine et la présentation du parcours migratoire de la personne jusqu'à l'entrée sur le territoire français, les conditions de vie depuis l'arrivée en France et le projet de la personne, notamment en termes de scolarité, de formation, d'insertion et de séjour ou d'asile ainsi que, lorsqu'un contact avec la famille a pu être établi, le projet parental.

• Le ministre de l'Intérieur a été autorisé à mettre en oeuvre un traitement automatisé de données à caractère personnel, dénommé « appui à l'évaluation de la minorité » (AEM) , ayant pour objectifs :

- d'identifier, à partir de leurs empreintes digitales, les personnes se déclarant MNA et ainsi de lutter contre la fraude documentaire et la fraude à l'identité ;

- de permettre une meilleure coordination des services de l'État et des services compétents en matière d'accueil et d'évaluation de la situation des MNA ;

- d'améliorer la fiabilité de l'évaluation et d'en raccourcir les délais ;

- d'accélérer la prise en charge des personnes évaluées mineures ;

- de prévenir le détournement du dispositif de protection de l'enfance par des personnes majeures ou des personnes se présentant successivement dans plusieurs départements 32 ( * ) .

L'application permet de recueillir les données biométriques des demandeurs et de les confronter au système européen d'identification des visas (Visabio) ainsi qu'à l'application de gestion des titres de séjour (Agdref).

Les services départementaux conservent la faculté de conclure immédiatement, sans que le dispositif AEM soit mobilisé, à la nécessité de protéger une personne se présentant comme MNA, notamment lorsque la minorité et la vulnérabilité de cette personne sont manifestes. Toutefois, la participation forfaitaire de l'État aux dépenses liées à l'évaluation et à la mise à l'abri est désormais conditionnée à la conclusion d'une convention entre le président du conseil départemental et le préfet sur l'utilisation de l'AEM 33 ( * ) .

Le préfet s'engage à organiser l'accueil dans un délai raisonnable, par un agent de la préfecture formé et habilité à cet effet, dans un local dédié et selon des modalités adaptées à l'accueil des mineurs, des personnes se présentant comme MNA adressées à la préfecture par le conseil départemental 34 ( * ) .

Le suivi du déploiement du dispositif est assuré par la direction des étrangers en France (DGEF). En mars 2021, deux ans après sa mise en oeuvre effective, le nombre de dossiers initiés dans le traitement atteignait 16 576.

• L'article 388 du code civil, dans sa rédaction résultant de la loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l'enfant 35 ( * ) , encadre le recours aux examens radiologiques osseux aux fins de détermination de l'âge, « en l'absence de documents d'identité valables et lorsque l'âge allégué n'est pas vraisemblable ». Ceux-ci ne peuvent être réalisés que sur décision de l'autorité judiciaire et après recueil de l'accord de l'intéressé. Les conclusions de ces examens, qui doivent préciser la marge d'erreur, ne peuvent à elles seules permettre de déterminer si l'intéressé est mineur, le doute profitant à ce dernier. Le recours à un examen du développement pubertaire des caractères sexuels primaires et secondaires est exclu.

Le Conseil constitutionnel a validé, tout en le limitant strictement, le recours aux tests osseux aux fins d'évaluation de l'âge 36 ( * ) . Considérant comme « établi que les résultats de ce type d'examen peuvent comporter une marge d'erreur significative », il a souligné l'intention du législateur d'exclure que ces résultats puissent constituer l'unique fondement dans la détermination de l'âge de la personne.

• En dépit de cet encadrement et de ces efforts d'harmonisation, la Cour des comptes relève dans son référé d'octobre 2020 que « l'évaluation de minorité et d'isolement familial reste très hétérogène d'un département à un autre quant à sa durée et à ses modalités » .

La Cour constate notamment que la pluridisciplinarité et la collégialité de l'évaluation ne sont que « très rarement respectées » . Elle rapporte également la fréquence, dans certains départements, du recours aux tests osseux en dépit des recommandations visant à en restreindre l'usage. Elle pointe enfin la dégradation de la durée de l'évaluation , certains départements affichant « plusieurs semaines, voire plusieurs mois de délais ».

Ces constats ont été corroborés par les auditions réalisées par les rapporteurs. L'organisme en charge de l'évaluation (services du conseil départemental ou association désignée), son degré de professionnalisme, la durée de l'évaluation, les conditions de mise à l'abri dans le cadre du recueil provisoire d'urgence, etc . diffèrent d'un territoire à l'autre et engendrent des taux de prise en charge effective divergents à l'issue de l'évaluation. La question de l'impartialité de l'évaluation lorsque l'organisme qui en est chargé assure également la mise à l'abri a par ailleurs été soulevée.

Au premier semestre 2017, les taux de reconnaissance de minorité variaient de 9 % à 100 % selon les départements 37 ( * ) . Les conseils départementaux auditionnés par les rapporteurs ont toutefois fait état de taux comparables entre eux en ordre de grandeur, ce qui suggère un début de convergence 38 ( * ) .

Pour les rapporteurs, ces multiples différences de traitement engendrent des différences d'attractivité entre les territoires, qui tendent elles-mêmes à renforcer les inégalités . En effet, elles dépendent non seulement de la politique propre à chaque département mais aussi d'une capacité financière qui peut être réduite en raison de la forte hausse du nombre de demandeurs au cours des dernières années.

b) Les inégalités de traitement en matière de mise à l'abri

• D'abord, le recueil provisoire d'urgence n'est pas toujours effectif. Or, lorsqu'une personne se présentant comme MNA n'est pas mise à l'abri le temps de l'évaluation se sa situation, elle se retrouve à la rue. Elle ne bénéficie alors d'aucun accompagnement durant cette période, ce qui compromet gravement ses chances d'être aidée dans le cas où elle pourrait légitimement y prétendre.

• Un rapport de l'IGAS de novembre 2020 39 ( * ) a avancé que de nombreux jeunes hébergés à l'hôtel sous la responsabilité des conseils départementaux, que l'on ne sait pas quantifier de manière globale, sont des personnes en attente d'évaluation de leur minorité et de leur isolement. Il ressort en effet des entretiens menés par la mission de l'IGAS que la mise à l'abri des MNA lors de cette phase d'évaluation s'opère en très grande partie à l'hôtel .

Plusieurs conseils départementaux auditionnés par les rapporteurs (Paris, Bouches-du-Rhône, Alsace) ont confirmé recourir habituellement à l'hébergement hôtelier pour tout ou partie des personnes en cours d'évaluation. Le conseil départemental de la Gironde a en revanche affirmé ne recourir aux hôtels qu'en cas de saturation de son dispositif de mise à l'abri.

Les problèmes posés par l'hébergement hôtelier dépendent des conditions dans lesquelles celui-ci est mis en oeuvre , ces conditions étant très variables selon les départements. Le département des Bouches-du-Rhône a ainsi veillé à améliorer les conditions de cet hébergement en sélectionnant des hôtels offrant des espaces privatisés, en garantissant la présence d'un éducateur pour cinq jeunes et en organisant la présence de veilleurs de nuit et des astreintes de cadres de l'ASE.

Toutefois, selon l'IGAS, l'hébergement hôtelier est souvent marqué par un faible contrôle de la qualité des lieux d'accueil, un accompagnement très limité ainsi qu'une perception relativement négative de leurs conditions de vie par les jeunes concernés. Les modalités de recours à l'hébergement hôtelier sont dans l'ensemble très peu formalisées, seule une minorité de départements formalisant la relation avec les hôteliers au travers d'un marché public.

Pour les rapporteurs, certains hôtels paupérisés se sont spécialisés dans ce type de prestation, ne vivant que du public apporté par les collectivités et laissant ainsi leur établissement se dégrader. En tout état de cause, ces lieux ne sont pas appropriés pour l'accueil de mineurs , alors que ceux-ci représentent une part non négligeable des personnes en attente d'évaluation.

Il convient toutefois de préciser que certaines alternatives à l'hôtel, tels les « hébergements diffus » en semi-autonomie parfois confiés à des prestataires, peuvent offrir des conditions de contrôle et d'accompagnement encore plus dégradées.

L'hébergement hôtelier semble fréquemment se poursuivre pour les jeunes ayant été reconnus comme mineurs .

Le rapport de l'IGAS de novembre 2020 estime que le nombre moyen de mineurs accueillis à l'hôtel s'élève au minimum à 5 % des jeunes de l'ASE. Sur la base des réponses fournies à l'IGAS par 29 départements, 95 % des mineurs hébergés à l'hôtel seraient des MNA et 28 % des MNA admis à l'ASE seraient pris en charge à l'hôtel .

Cette pratique est là encore très inégalement répandue selon les départements, et les auditions menées par les rapporteurs ont montré qu'elle évolue favorablement dans certains cas. Paris a ainsi transformé plus de 600 chambres d'hôtel accueillant des mineurs en foyers ou appartements partagés et veille désormais à faire en sorte que plus aucun enfant confié à l'ASE ne soit hébergé à l'hôtel.

c) Un dispositif national de répartition fragilisé

Le protocole d'accord de 2013 a mis en place un mécanisme de solidarité interdépartementale visant à répartir les MNA sur l'ensemble du territoire et à réduire les disparités entre les départements en nombre de prises en charge. Les flux de personnes se présentant comme MNA se concentrent en effet majoritairement sur les départements frontaliers, sur ceux abritant une zone portuaire ainsi que sur l'Île-de-France.

La loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l'enfant a donné une base légale à ce dispositif d'orientation, dont les modalités d'application ont été précisées par le décret du 24 juin 2016 et l'arrêté du 28 juin 2016 40 ( * ) .

L'article L. 221-2-2 du code de l'action sociale et des familles prévoit ainsi que le ministre de la justice fixe les objectifs de répartition proportionnée des accueils de ces mineurs entre les départements « en fonction de critères démographiques et d'éloignement géographique ».

Les présidents de conseils départementaux sont tenus de transmettre à la cellule MNA du ministère de la justice les informations relatives au nombre de mineurs pris en charge au 31 décembre de l'année précédente, au plus tard le 31 mars de l'année en cours. À défaut de transmission dans les délais, le nombre retenu est fixé à zéro 41 ( * ) .

La clé de répartition, calculée sur la base de ces informations, est rendue publique au plus tard le 15 avril de chaque année.

Elle prenait initialement en compte à la fois la population âgée de 19 ans et moins du département et l'écart observé, au 31 décembre de l'année précédente, entre le nombre de mineurs effectivement confiés au département et le nombre qui aurait résulté d'une répartition purement proportionnelle à la population des moins de 19 ans.

Cette clé de répartition a été modifiée fin 2019 à la suite d'une demande de l'ADF, les départements relativement les plus jeunes se voyant pénalisés par ce mode de calcul 42 ( * ) . Elle prend désormais en compte un critère de population générale et se calcule suivant la formule détaillée dans l'encadré ci-dessous.

Un arrêté du ministre de la justice détermine chaque année le taux pris en compte pour chaque département métropolitain. Pour 2021, il varie entre 0,12 % pour la Lozère et 4,02 % pour le Nord 43 ( * ) .

Le calcul de la clé de répartition des MNA (art. R. 221-13 du CASF)

La clé de détermination du nombre de MNA devant être accueillis dans chaque département est égale à la somme :

1° de la population totale du département rapportée à la population totale de l'ensemble des départements concernés ;

2° d'un cinquième du rapport entre :

a) la différence entre :

- le nombre de mineurs privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille que le département aurait dû accueillir au 31 décembre de l'année précédente en appliquant la valeur du 1° au nombre de mineurs accueillis dans l'ensemble des départements à cette date ;

- et le nombre de mineurs effectivement pris en charge par le département à cette date ;

b) le nombre de mineurs accueillis dans l'ensemble des départements concernés au 31 décembre de l'année précédente.

Dans son référé d'octobre 2020, la Cour des comptes estime cependant que le dispositif « est fragilisé par la défiance de plusieurs départements d'“accueil” vis-à-vis des évaluations réalisées par les départements d'“arrivée” » , ce qui donne lieu à un phénomène de réévaluations : « l'enquête des juridictions financières montre que certains départements procèdent à une nouvelle évaluation de minorité de 70 à 90 % des jeunes provenant d'autres territoires ».

Il apparaît d'ailleurs que le dispositif de répartition alimente lui-même les disparités de traitement : les départements ayant une faible clé de répartition ne sont pas incités à réaliser des évaluations de qualité, c'est-à-dire suffisamment rigoureuses.

L'orientation spontanée par certains départements franciliens de jeunes pour évaluation vers Paris a également été signalée. Cette pratique est évidemment contraire au principe de solidarité interdépartementale.

Enfin, il convient de préciser, comme le rapporte la Cour des comptes, que plus de 14 % des décisions judiciaires de placement
- généralement des ordonnances du juge des enfants saisi en appel de décisions prises par les présidents de département ou directement par les demandeurs - sont exécutées hors du dispositif national d'orientation et échappent donc au principe de solidarité interdépartementale.

4. La politique conduite par les différents acteurs manque de cohérence

La multiplicité des instances susceptibles de prendre des décisions relativement à la prise en charge d'une personne se présentant comme mineure - préfecture, département, justice judiciaire et administrative, éducation nationale - conduit à un manque de cohérence du fait de la multiplicité de procédures parallèles, qui amène à la prise de décisions contradictoires .

Le code de l'action sociale et des familles confie au juge des enfants la compétence pour prendre les décisions de placement dun mineur 44 ( * ) . C'est donc au juge, et non au président du conseil départemental, qu'il appartient de confier un mineur sans représentants légaux aux services de l'aide sociale à l'enfance.

Cependant, en application du même code, les mineurs non accompagnés sont pris en charge immédiatement par les services départementaux pour leur mise à l'abri, puis pour assurer ou superviser l'ensemble des démarches susceptibles de conduire à une prise en charge par l'ASE.

Or la diversité des procédures de saisine du juge fait que les phases administrative d'évaluation de la minorité et judiciaire sont parfois concomitantes et non successives. Les décisions prises peuvent de plus être contradictoires . L'articulation entre l'action des départements et celle de la justice est donc parfois complexe, comme l'ont signalé de nombreux conseils départementaux aux rapporteurs.

L'article 375-5 du code civil prévoit demblée l'intervention des magistrats pour la protection des personnes reconnues mineures en disposant que : « Lorsqu'un service de l'aide sociale à l'enfance signale la situation d'un mineur privé temporairement ou définitivement de la protection de sa famille, selon le cas, le procureur de la République ou le juge des enfants demande au ministère de la justice de lui communiquer, pour chaque département, les informations permettant l'orientation du mineur concerné ». Le déroulement de la procédure est fixé par le code de l'action sociale et des familles (article 221-2-2 relatif à la répartition des mineurs entre départements) et ses dispositions réglementaires, singulièrement l'article R. 221-11 issu du décret du 24 juin 2016 45 ( * ) . Le IV de cet article prévoit l'obligation de saisine du procureur de la République au cas où la minorité a été reconnue et rappelle la nécessité dune décision de l'autorité judiciaire 46 ( * ) pour le placement auprès de l'ASE.

Or, le juge des enfants peut également être saisi à tout moment par la personne se déclarant mineure afin que soient prises des mesures de protection. Cette possibilité a par exemple permis au tribunal pour enfants de Marseille d'ordonner la prise en charge immédiate et la scolarisation de mineurs pendant la période d'évaluation et d'imposer des délais pour cette prise en charge. Ces décisions mettent à mal le travail conduit par les départements car elles interviennent avant toute décision sur la minorité des demandeurs et posent des difficultés pratiques aux départements concernés. Notamment, pour les Bouches-du-Rhône, la possibilité dobtenir réellement des places en établissement scolaire pour les jeunes concernés.

Le juge administratif peut lui aussi être saisi de demandes tendant à la prise en charge avant la fin du processus d'évaluation. Plusieurs associations comme Médecins Sans Frontières ont ainsi introduit des référés-liberté au moment du confinement lié à l'épidémie de covid-19 ou, depuis, pour défaut de mise à l'abri de personnes se présentant comme mineures 47 ( * ) .

Plus complexe du point de vue de la coordination entre les acteurs, le département de la Gironde a indiqué aux rapporteurs les difficultés que peut poser l'examen par le procureur de la République des demandes de placement à l'ASE présentées par le département . Dans les cas où il estime que la minorité du jeune nest pas établie, le procureur refuse en effet la saisine du juge des enfants. Ceci conduit le département à faire appel des décisions du parquet. Les divergences d'appréciation sur la minorité, reposant notamment sur la validité des documents d'état civil fournis, peuvent ainsi aboutir à ce que la justice refuse la prise en charge souhaitée par le département.

La personne se présentant comme mineure peut enfin faire appel de la décision de refus de prise en charge opposée par un département. Plusieurs conseils départementaux ont fait état aux rapporteurs des difficultés que pose la prise en charge des personnes concernées, qui nincombe plus aux départements puisqu'ils ont jugé qu'elles étaient en fait majeures, et devrait relever de l'État. Cependant, le refus de prise en charge, lorsqu'il ne saccompagne pas dune obligation de quitter le territoire français, aboutit le plus souvent à une absence de prise en charge par l'État, qui, dans les faits, laisse reposer sur le département la charge de fournir une solution d'hébergement.

La compétence du juge des enfants mais aussi du parquet et du juge administratif en matière de prise en charge des MNA par l'aide sociale à l'enfance conduit donc à une complexité accrue. En l'état du droit, des échanges plus formalisés devraient être organisés entre les acteurs de la Justice, les départements et l'Éducation nationale afin de permettre de conduire à bien la phase d'évaluation et de fonder les décisions concernant la minorité mais aussi la scolarisation sur des constats et des objectifs partagés par tous.

Procédure d'évaluation de la minorité et de l'isolement

Source : DPJJ


* 1 Depuis 2016, cette expression est employée de préférence à celle de « mineur isolé étranger » qui demeure cependant dans certains textes.

* 2 Dépêche conjointe DACG-DPJJ-DACS du 11 juillet 2016 sur l'application des dispositions de l'article 375-5 du code civil et de l'article L. 221-2-2 du code de l'action sociale et des familles.

* 3 Art. R. 221-11 du code de l'action sociale et des familles.

* 4 Les données concernant l'année 2020 n'étaient pas encore suffisamment consolidées, à la date de l'envoi des données, pour être représentatives.

* 5 Voir notamment Mineurs non accompagnés : répondre à l'urgence qui s'installe , rapport d'information Sénat n° 598 (2016-2017) de Mme Élisabeth Doineau et M. Jean-Pierre Godefroy, fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 28 juin 2017.

* 6 En application de l'article R. 221-14 du code de l'action sociale et des familles, les départements doivent faire remonter au ministère de la justice, avant le 31 mars de chaque année, le nombre de MNA qui leur sont confiés sur décision judiciaire au 31 décembre de l'année précédente.

* 7 Au 3 septembre 2021, selon la mission MNA du ministère de la justice, 6 875 MNA ont été confiés à l'ASE sur décision judiciaire.

* 8 Ce point, problématique en soi, est développé plus loin : cf. 3. c).

* 9 Mission MNA du ministère de la justice, rapport annuel d'activité 2020.

* 10 Rapport de la mission bipartite de réflexion sur les mineurs non accompagnés , IGA, IGAS, IGJ et ADF, février 2018.

* 11 Rapport annuel de performance annexé au projet de loi de règlement du budget 2020, mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ».

* 12 Décret n° 2019-670 du 27 juin 2019 relatif à la participation forfaitaire de l'État à la phase de mise à l'abri et d'évaluation des personnes se déclarant mineures et privées temporairement ou définitivement de la protection de leur famille et arrêté du 28 juin 2019 pris pour son application.

* 13 Loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie - Article 51.

* 14 Arrêté du 23 octobre 2020 modifiant l'arrêté du 28 juin 2019 pris en application de l'article R. 221-12 du code de l'action sociale et des familles.

* 15 Article R. 221-12 du code de l'action sociale et des familles modifié par le décret n° 2020-768 du 23 juin 2020.

* 16 Le montant versé à l'ASP à ce titre s'est toutefois limité à 50 millions d'euros en 2020 compte tenu du fort ralentissement des arrivées de MNA dans le contexte de la crise sanitaire.

* 17 Arrêté du 23 juillet 2018 fixant le montant du financement exceptionnel de l'État pour la prise en charge des mineurs non accompagnés confiés à l'aide sociale à l'enfance sur décision de justice et pris en charge au 31 décembre 2017.

* 18 Arrêté du 27 août 2019 fixant le montant du financement exceptionnel de l'État pour la prise en charge des mineurs non accompagnés confiés à l'aide sociale à l'enfance sur décision de justice et pris en charge au 31 décembre 2018.

* 19 Arrêté du 23 septembre 2020 fixant le montant du financement exceptionnel de l'État pour la prise en charge des mineurs non accompagnés confiés à l'aide sociale à l'enfance sur décision de justice et pris en charge au 31 décembre 2019.

* 20 Arrêté du 24 août 2021 fixant le montant du financement exceptionnel de l'État pour la prise en charge des mineurs non accompagnés confiés à l'aide sociale à l'enfance sur décision de justice et pris en charge au 31 décembre 2020.

* 21 Il s'agit des Alpes-de-Haute-Provence, des Hautes-Alpes, des Alpes-Maritimes, de la Meuse, du Rhône et de la Sarthe.

* 22 Le conseil départemental de la Gironde estime cette proportion (y compris parmi les jeunes majeurs pris en charge par l'ASE) à 27,7 % en 2020 dans son département.

* 23 Loi n° 2020-935 du 30 juillet 2020 de finances rectificative pour 2020.

* 24 Soit jusqu'au 1 er octobre 2021, l'état d'urgence sanitaire déclaré en vigueur depuis le 17 octobre 2020 ayant pris fin le 1 er juin 2021 dans l'hexagone.

* 25 Loi n° 2021-689 du 31 mai 2021 relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire - Article 9.

* 26 Au titre du programme 304 de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ».

* 27 À titre d'exemple, selon la chambre régionale des comptes d'Île-de-France, le coût annuel de l'hébergement d'un MNA dans le Val-d'Oise a été de 53 560 euros en 2017, 47 828 euros en 2018 et 44 464 euros en 2019.

* 28 Il s'agit d'une abstention volontaire de la part du département qui considère que les MNA ne doivent pas être distingués des autres mineurs pris en charge par l'ASE.

* 29 Décret n° 2016-840 du 24 juin 2016 pris en application de l'article L. 221-2-2 du code de l'action sociale et des familles et relatif à l'accueil et aux conditions d'évaluation de la situation des mineurs privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille.

* 30 Décret n° 2019-670 du 27 juin 2019 relatif à la participation forfaitaire de l'État à la phase de mise à l'abri et d'évaluation des personnes se déclarant mineures et privées temporairement ou définitivement de la protection de leur famille et au comité prévu à l'article R. 221-15 du code de l'action sociale et des familles.

* 31 Arrêté du 20 novembre 2019 pris en application de l'article R. 221-11 du code de l'action sociale et des familles relatif aux modalités de l'évaluation des personnes se présentant comme mineures et privées temporairement ou définitivement de la protection de leur famille.

* 32 Art. R. 221-15-1 du code de l'action sociale et des familles.

* 33 Art. R. 221-12 du code de l'action sociale et des familles et arrêté du 16 octobre 2020.

* 34 Cf. arrêté du 20 novembre 2019 - Article 3.

* 35 Loi n° 2016-297 du 14 mars 2016 relative à la protection de l'enfant.

* 36 Décision n° 2018-768 QPC du 21 mars 2019.

* 37 Rapport de la mission bipartite de réflexion sur les mineurs non accompagnés , IGA, IGAS, IGJ et ADF, février 2018.

* 38 Le taux de jeunes évalués mineurs est de 45 % en 2021 pour les Bouches-du-Rhône. À Paris, ce taux est passé de 11 % en 2016 à 34 % en 2019.

* 39 L'accueil de mineurs protégés dans des structures non autorisées ou habilitées au titre de l'aide sociale à l'enfance , rapport IGAS, novembre 2020.

* 40 Arrêté du 28 juin 2016 pris en application du décret n° 2016-840 du 24 juin 2016 relatif aux modalités de calcul de la clé de répartition des orientations des mineurs privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille.

* 41 Art. R. 221-14 du code de l'action sociale et des familles.

* 42 Décret n° 2019-1410 du 19 décembre 2019 relatif au calcul de la clé de répartition entre les départements des mineurs privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille.

* 43 Arrêté du 27 mai 2021 fixant pour l'année 2021 les objectifs de répartition proportionnée des accueils des mineurs privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille.

* 44 Hors le cas de placement volontaire d'un enfant par ses parents.

* 45 Décret n° 2016-840 du 24 juin 2016 pris en application de l'article L. 221-2-2 du code de l'action sociale et des familles et relatif à l'accueil et aux conditions d'évaluation de la situation des mineurs privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille

* 46 « IV. - Au terme du délai mentionné au I, ou avant l'expiration de ce délai si l'évaluation a été conduite avant son terme, le président du conseil départemental saisit le procureur de la République en vertu du quatrième alinéa de l'article L. 223-2 et du second alinéa de l'article 375-5 du code civil. En ce cas, l'accueil provisoire d'urgence mentionné au I se prolonge tant que n'intervient pas une décision de l'autorité judiciaire.

« S'il estime que la situation de la personne mentionnée au présent article ne justifie pas la saisine de l'autorité judiciaire, il notifie à cette personne une décision de refus de prise en charge délivrée dans les conditions des articles L. 222-5 et R. 223-2. En ce cas, l'accueil provisoire d'urgence mentionné au I prend fin. »

* 47 Ainsi en mars 2021 : https://www.lagazettedescommunes.com/726462/mna-les-bouches-du-rhone-rappelees-a-lordre-pour-defaut-daccueil/

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