EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 29 septembre 2021 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a entendu une communication de Mme Christine Lavarde, rapporteur spécial, sur le financement des aires protégées.

M. Claude Raynal , président . - Nous allons maintenant entendre une communication de Christine Lavarde, rapporteur spécial de la mission « Écologie, développement et mobilité durables », sur le financement des aires protégées.

Mme Christine Lavarde , rapporteur spécial . - En janvier 2021, le Gouvernement a publié la nouvelle stratégie nationale pour les aires protégées (SNAP), qui couvre pour la première fois la métropole et les outre-mer, la terre et la mer. À l'horizon de 2030, les objectifs de couverture sont les suivants : 30 % du territoire national sous protection dont 10 % sous protection forte. À l'heure actuelle, 23,5 % du territoire est protégé, et 1,8 % avec une protection forte. La marche est importante. Les objectifs de couverture, pour le Président de la République, doivent être atteints en 2022. Il y parviendra, car annoncer une protection et protéger et gérer réellement un territoire, avec les financements associés, sont deux choses différentes.

Cette stratégie nationale se décline en plans d'action triennaux, qui se déclinent eux-mêmes en plans d'action régionaux, car la région est cheffe de file en matière de protection de la biodiversité.

D'après la définition de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), une aire protégée est « un espace géographique clairement défini, reconnu, consacré et géré, par tout moyen efficace, juridique ou autre, afin d'assurer à long terme la conservation de la nature ainsi que les services écosystémiques et les valeurs culturelles qui lui sont associés ».

Ce cadre se décline en treize catégories d'aires protégées à terre et onze en mer, qui font l'objet de dispositifs de protection différents, que je regroupe en quatre familles principales : la protection réglementaire - comme les réserves naturelles -, la protection contractuelle - parcs naturels régionaux et sites Natura 2000 par exemple-, la protection par la maîtrise foncière - acquisitions de sites par le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres et les Conservatoires des espaces naturels - et enfin la protection au titre des conventions et des engagements européens internationaux - patrimoine mondial de l'Unesco ou zones protégées par la Convention de Ramsar.

En 2019, 5,5 % des espaces terrestres étaient protégés à plusieurs titres, puisque des aires peuvent se recouper. Une partie de cette complexité vient de l'ancienneté de cette politique : le premier décret en la matière remonte à Napoléon III, qui, en 1861, a ainsi protégé le massif de la forêt de Fontainebleau. Les parcs nationaux sont créés en 1960, avant que les textes européens ne prennent leur essor : directive « Oiseaux » en 1979, directive « Habitats-Faune-Flore » en 1992, ces grandes directives fixant le cadre du réseau Natura 2000. L'Union européenne vient de définir sa nouvelle stratégie en matière de biodiversité, sachant que l'ensemble de cette politique est chapeautée par un cadre international : depuis la Convention de Rio en 1992 jusqu'à une future Convention sur la diversité biologique, qui se tiendra en Chine en 2022. En France, nous avons redéfini nos objectifs en janvier 2021 : l'articulation des calendriers peut sembler surprenante.

Les acteurs sont extrêmement divers. La direction de l'eau et de la biodiversité (DEB) centralise ces politiques au niveau de l'État, et l'Office français de la biodiversité (OFB) est un acteur majeur, qui dispose également de financements.

Les acteurs de terrain indiquent que, au quotidien, cette complexité autorise une réponse appropriée à chaque spécificité locale. Soit. Voilà qui est moins vrai pour les financements : la diversité des acteurs implique un financement très éclaté. Il manque en outre une notion de bénéfice économique rapporté à la gestion de la nature. Cependant, chaque acteur reconnaît que ces aires protégées participent à d'autres objectifs : écotourisme, attractivité du territoire, emplois non délocalisables, éducation, développement rural, intégration sociale, etc. C'est pourquoi l'État et les collectivités soutiennent financièrement cette politique.

Nous estimons que l'État et les opérateurs, en 2021, ont dépensé entre 230 et 250 millions d'euros pour l'ensemble des aires protégées, somme à laquelle il faut ajouter celles versées par les collectivités territoriales, très difficiles à chiffrer. Une étude récente indique qu'en 2018, 345 millions d'euros ont été versés en faveur des aires protégées, tous niveaux de collectivités confondus. Cependant, elles reçoivent également des aides de l'État et de ses opérateurs, de sorte que le montant alloué aux aires protégées à partir de leurs ressources propres n'est pas connu précisément.

Les départements peuvent financer leur politique « Espaces naturels sensibles » (ENS) par la part départementale de la taxe d'aménagement qu'ils perçoivent, assise sur les autorisations d'urbanisme, dont le taux ne peut excéder 2,5 % : en 2015, chaque département a alloué en moyenne environ 3,9 millions d'euros à la politique « ENS ».

Les régions sont « cheffes de file » dans le domaine de la biodiversité. Elles ne bénéficient toutefois pas de ressources spécifiques. Nous n'avons pas pu avoir d'échanges avec Régions de France, et je le regrette. Il existe une inquiétude, car la loi « 3DS » en cours d'examen prévoit la décentralisation de l'animation des sites Natura 2000 exclusivement terrestres aux régions. Les crédits distribués via le programme budgétaire 113 persisteront-ils ? Cette question inquiète d'autant plus les acteurs que ce transfert semble ne pas s'accompagner de ressources supplémentaires pour les régions.

Les besoins de financement sont très rigides. La masse salariale représente un poids important dans le total des dépenses : 68 % en 2020 du budget des parcs nationaux ; 85 % pour les réserves ; près de la moitié du budget des conservatoires d'espaces naturels. Selon un rapport de juillet 2019, s'agissant des aires marines protégées, « 38 % des gestionnaires enquêtés estiment ne pas être en capacité d'intervenir sur les usages qui affectent les milieux dont ils ont en charge la protection, en particulier s'agissant des activités et de la fréquentation touristique et des vecteurs de pollution ». En clair, ils manquent de moyens pour exercer leurs missions !

Peut-on alors atteindre les objectifs présidentiels ? La SNAP vise à couvrir au moins 30 % du territoire national et des eaux maritimes par un réseau d'aires protégées d'ici à 2022, mais qui seront effectivement gérées en 2030. Nous pourrons sans doute atteindre l'objectif de 30 % grâce à notre immense patrimoine maritime. Songez au parc naturel marin des Glorieuses, par exemple. Mais encore faudra-t-il pouvoir les gérer, avec des moyens adaptés ! Or cette annonce a été faite sans aucun audit préalable. La direction de l'eau et de la biodiversité (DEB) reconnaît qu'il est difficile d'évaluer les moyens financiers et humains nécessaires, car on ne connaît pas encore les zones qui permettront de remplir l'objectif des 30 % de couverture. L'analyse des besoins des structures pour atteindre les objectifs fixés par la nouvelle stratégie est seulement en cours de réalisation. Le Gouvernement a en effet missionné une équipe de l'Inspection générale des finances et du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD), dont les conclusions devraient être remises d'ici à la fin de l'année.

Enfin, les objectifs fixés paraissent en décalage avec les contraintes des opérateurs : le Conservatoire du littoral se voit ainsi confier, par la SNAP, un objectif de renforcement de la protection du littoral par l'extension de son domaine protégé d'au moins 6 000 hectares supplémentaires. Or, le Conservatoire est majoritairement financé par l'affectation plafonnée d'une partie du droit annuel de francisation et de navigation, qui est donc stable dans le temps.

C'est pourquoi nous avançons quelques pistes. Cette politique doit s'inscrire dans la durée. Or, pour le moment, elle relève d'une gestion à courte vue, à l'année. Les acteurs réclament de la visibilité. Nous recommandons donc de mettre en place des contrats d'objectifs et de performance pluriannuels, gages de visibilité des engagements financiers de l'État et des opérateurs sur plusieurs années. Il convient aussi d'éviter la mise en place d'une fiscalité punitive. Il serait en effet paradoxal de faire dépendre le financement des aires protégées de la poursuite d'atteintes à la nature.

Il faut plutôt inciter à la protection. Les communes rurales qui touchaient une compensation de l'État en raison de l'exonération de taxe foncière sur les propriétés non bâties s'appliquant aux sites « Natura 2000 » ont vu cette compensation fondre au fil des années, car celle-ci a été intégrée au périmètre des variables d'ajustement de l'enveloppe normée des concours de l'État aux collectivités territoriales. En 2019, une dotation de soutien aux communes pour la protection de la biodiversité, concernant notamment les sites « Natura 2000 », a été créée, mais sur 13 128 communes concernées par un site « Natura 2000 », très peu la touchent en réalité. L'État semble avoir pris conscience du problème et un article du projet de loi de finances pour 2022, présenté le 22 septembre, constitue une avancée à cet égard. C'est un bon signal. La démarche de contractualisation pour la régulation de la dépense locale entre l'État et les collectivités va sans doute se poursuivre. Or, dans ce cadre, en cas de régulation des dépenses de fonctionnement, les politiques de biodiversité sont une variable d'ajustement pour les collectivités. C'est pourquoi il faudrait isoler les recettes et les dépenses liées aux espaces naturels sensibles au sein d'un budget annexe, afin de valoriser l'action des collectivités concernées en faveur de la biodiversité et des espaces naturels.

Lors du montage d'un projet cofinancé par les fonds européens, les parcs nationaux ou autres structures gestionnaires d'aires protégées doivent avancer tout ou partie de la somme qui sera ensuite prise en charge par l'Union européenne. Il conviendrait que l'État mette en place un fonds dédié pour gérer le décalage de trésorerie et faciliter la mobilisation des fonds européens.

Le code général des collectivités territoriales (CGCT) oblige par ailleurs les PNR à autofinancer 30 % de leurs opérations d'investissement. Cette règle mériterait d'être revue, car elle est difficilement compatible avec les capacités d'autofinancement des parcs.

Enfin, il serait judicieux de donner une valeur économique à ces espaces. Ces derniers apportent beaucoup à l'environnement, mais sont dénués de valeur économique. Dans la baie du Mont Saint-Michel, par exemple, une exploitation économique limitée existe : pour traverser la baie, il faut recourir aux services d'un guide agréé. Nous pourrions reproduire cela dans toutes les aires protégées pour tirer une recette de l'utilisation de la nature : on pourrait créer des randonnées guidées dans les parcs, développer différents usages payants, afin que ceux qui profitent de ces espaces contribuent financièrement à leur entretien. La valeur écologique de ces territoires est forte. Ceux qui aiment courir préfèrent aller courir dans la nature plutôt que sur du bitume ! Valorisons ces usages. Je propose d'instaurer une contribution obligatoire au financement des aires protégées qui serait due par les organisateurs d'activités économiques au sein de ces espaces, que ces activités soient culturelles ou sportives.

M. Claude Raynal , président . - Merci pour cette synthèse sur un dispositif complexe.

M. Jean-François Husson , rapporteur général . - Merci pour ce rapport vivifiant, sur un dispositif, en effet, « labyrinthique ». Notre rapporteur a raison, ces espaces ont une valeur. Ce sujet me rappelle les débats au sein de la commission d'enquête sur l'évaluation du coût économique de la pollution de l'air. Conférer une valeur économique à ces espaces est la meilleure manière de les protéger. Pour le reste, le dispositif est un vrai bazar, les compétences se chevauchent, nul ne se précipite pour intervenir, et cela ne gêne personne de proclamer dans les médias de grandes ambitions, sans actes...

M. Jérôme Bascher . - Ce dispositif est un labyrinthe de contraintes de tous ordres : à cause de ces dernières, les petites collectivités qui abritent des sites protégés ne peuvent guère agir. En Haute-Corse, par exemple, les contraintes de la loi Montagne et de la loi Littoral se combinent, et finalement on ne peut plus rien faire ! Il est temps de rationaliser. Je salue l'effort de notre rapporteur pour remettre de la lumière dans le maquis des aires protégées. Le ministère lui-même semble ne pas savoir ce qui se passe ni maîtriser l'effet des normes qu'il produit...

M. Charles Guené . - L'instauration d'une contribution obligatoire au financement des aires protégées, qui serait acquittée par les organisateurs d'activités économiques, est une piste intéressante, mais les activités possibles sont limitées : par exemple, on ne peut pas installer d'éoliennes ni de panneaux photovoltaïques, ce qui semble paradoxal. Les crédits de la dotation « Natura 2000 » ne compensent pas le prélèvement effectué sur les parcs nationaux au titre de la contribution des collectivités locales au redressement des finances publiques. À ce rythme, le risque est que ces zones protégées se désertifient.

M. Claude Raynal , président . - Le rapport montre la complexité du système, faute de principes clairs et d'une répartition nette des compétences. Il faudrait distinguer ce qui relève du régalien et ce qui relève d'autres financements, et notamment des choix de chacun. Faire contribuer les acteurs économiques pour leurs prestations est une idée intéressante.

M. Jean-Marie Mizzon . - Finalement, je ne sais plus si avoir une aire protégée est une chance pour une commune. Elles sont inscrites dans les schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires, dans les schémas de cohérence territoriale, etc. Ces zones sont-elles vécues comme une source supplémentaire de contraintes, comme les périmètres de protection contre les inondations ou contre les éboulements, ou bien comme une chance pour le développement du territoire ?

Mme Vanina Paoli-Gagin . - Cette complexité, récurrente en France, montre la difficulté de réaliser la transition écologique. Ces zones ont une valeur, en effet, mais on ne sait pas leur donner un prix. Ne faut-il pas revoir nos modalités d'analyse ? Il me semble que l'on atteint les limites de notre système.

M. Gérard Longuet . - La complexité du dispositif résulte d'un empilement au fil du temps de dispositifs et d'objectifs de natures différentes.

Les premiers dispositifs visaient à éviter les constructions humaines excessives, dépourvues d'harmonie, mais les normes changent et bien des bâtiments anciens protégés n'obtiendraient pas un permis de construire aujourd'hui.

Puis est venue la préoccupation des paysages. Cela est devenu encore plus compliqué. Dans une zone agricole, comme le parc naturel régional de Lorraine, il faut tenir compte des contraintes de production : ces terres constituent un outil de travail pour les agriculteurs. Si on les classe au titre de la protection des paysages, il faut les indemniser et cela devient très complexe.

Avec la biodiversité, qui est peu visible et constitue une notion sans limites claires, la complexité ne fait que s'accroître.

Finalement, la complexité résulte d'une absence de choix. Le rapporteur indique que la plupart des atteintes à la biodiversité liées à des « activités anthropiques » ne font pas l'objet d'une taxe. Derrière cette notion se cache en fait l'art de vivre. Quand Michel d'Ornano a créé le Conservatoire du littoral, les règles étaient simples : le Conservatoire achetait les terres, le droit de propriété était respecté et les constructions dans la zone des 100 mètres étaient interdites. Aujourd'hui, les normes de biodiversité s'entassent et manquent de lisibilité. Le droit de propriété individuelle et les droits humains s'effacent derrière des préoccupations esthétiques relatives concernant les paysages, qui sont discutables, et la biodiversité, qui sont incompréhensibles. Or personne n'a envie de payer pour quelque chose qu'il ne comprend pas !

M. Marc Laménie . - La complexité est frappante. Il est difficile de chiffrer l'engagement des collectivités territoriales. Les opérateurs de l'État sont nombreux. Ma question portera sur l'Office national des forêts (ONF). Quel est son rôle ?

M. Christian Bilhac . - Dans les aires protégées, il faut aussi protéger les humains. Dans une zone protégée près de chez moi, qui est très accidentée et dangereuse, je ne comprends pas pourquoi on interdit l'installation d'une antenne-relais de téléphonie mobile, qui pourrait aider les secours à intervenir. Dans un autre site, on ne peut pas installer un poste de secours. L'État devrait accorder des dérogations pour les installations consacrées à la sécurité des personnes.

Mme Christine Lavarde , rapporteur spécial . - Sur les 230 à 250 millions de crédits alloués par l'État et ses opérateurs aux aires protégées, la part de l'État n'est que de 72 millions, le reste provenant de ressources de l'OFB, des agences de l'eau et d'autres opérateurs.

Ces espaces ne sont pas des déserts dépourvus d'activité. Le parc du Marquenterre, en baie de Somme, accueille ainsi des activités de mytiliculture. Des activités économiques sont possibles, mais elles sont encadrées. On pourrait envisager de développer des sorties guidées, des randonnées avec bivouac, des excursions photographiques, etc. Selon les zones, différentes activités sont autorisées ou interdites.

Ces zones ont une valeur évidente, même si on n'a pas encore trouvé leur prix économique : il suffit de constater leur surfréquentation. À Port-Cros, il a fallu limiter la circulation à vélo dans une partie de l'île cet été. Les parcs sont parfois contraints de limiter les entrées. Il faut aussi s'interroger sur le mode de consommation de ces espaces. Ainsi, 80 % des touristes viennent en Baie de Somme en voiture individuelle pour observer les oiseaux, ce qui ne va pas dans le sens de la politique de développement durable des territoires et de la transition écologique. Il faut donc trouver les moyens d'articuler tous ces objectifs.

Lorsqu'une collectivité devient membre d'un PNR, elle signe une charte qui s'impose aux documents d'urbanisme. Les PNR sont en effet gérés par des syndicats où siègent les collectivités : celles-ci participent donc à la définition de la politique menée. Il est possible d'exploiter la valeur économique par une délégation de service public, comme les refuges dans le parc de la Vanoise. Cela permet de concilier protection du territoire et économie. Enfin, j'aborde la question de l'ONF dans mon rapport.

La commission a autorisé la publication de la communication de Mme Christine Lavarde, rapporteur spécial, sous la forme d'un rapport d'information.

Page mise à jour le

Partager cette page