II. LA CLAUSE DE SAUVEGARDE : UNE CORDE DE RAPPEL ESSENTIELLE AU DISPOSITIF DONT LES CONDITIONS D'APPLICATION DOIVENT ENCORE ÊTRE PRÉCISÉES

A. DEVENUE LA PROCÉDURE DE DROIT COMMUN ET L'ÉLÉMENT DÉTERMINANT DU DISPOSITIF, LA CLAUSE DE SAUVEGARDE DOIT ENCORE ÊTRE PRÉCISÉE

1. Compte-tenu des choix de l'administration, la clause de sauvegarde constituera la procédure de droit commun
a) Tous les producteurs concernés par les baisses de tarifs devraient recourir à la clause de sauvegarde

Faute d'une prise en compte des données comptables réelles dans la première phase, la mise en oeuvre de la clause de sauvegarde fera office de procédure de « droit commun » pour déterminer le tarif d'obligation d'achat des contrats. La CRE s'attend à ce que l'ensemble des 400 producteurs concernés par une révision tarifaire recoure à cette procédure de réexamen individuel. Au coeur du dispositif, elle doit assurer la préservation de la viabilité économique des exploitations.

Les professionnels formulaient la crainte que le droit effectif à recourir à la clause de sauvegarde ne soit pas parfaitement garanti. Les conditions de saisine de cette procédure essentielle doivent être rendues les plus simples possible . Une plateforme numérique dédiée baptisée ReCost devrait les faciliter.

b) Un projet de lignes directrices de la CRE a été mis en consultation

Les modalités d'application de la clause de sauvegarde doivent être précisées dans une délibération de la CRE . Un projet de lignes directrices a été soumis à consultation entre le 2 août et le 8 septembre 2021 . Alors que la consultation devait initialement se dérouler après la publication du décret et de l'arrêté, elle a été anticipée pour ne pas décaler davantage un calendrier qui avait déjà été retardé.

Le projet de la CRE définit le déroulement de la procédure et les critères d'examen des dossiers. Cet effort de transparence , bien que tardif aux yeux du secteur, doit être salué , d'autant que la CRE a pris en compte un certain nombre des préoccupations exprimées au cours de la première consultation 9 ( * ) . Néanmoins, plusieurs problématiques restent à éclaircir même si la CRE signale qu'au fur et à mesure du traitement des dossiers, ses lignes directrices seront amenées à être complétées par une jurisprudence .

c) La liste des pièces constitutives des dossiers doit être proportionnée

Le projet liste notamment les pièces constitutives du dossier que les producteurs sont tenus de transmettre à la CRE. Il convient à ce titre de veiller à proportionner les demandes de pièces au strict nécessaire.

Par ailleurs, compte-tenu de l'ancienneté de certains dossiers et des situations de contrats ayant changé parfois plusieurs fois de mains, il apparaît nécessaire de préciser les modalités par lesquelles les producteurs de bonne foi pourraient justifier la non communication de pièces exigées. Une telle situation ne doit pas faire obstacle à l'examen du dossier du producteur.

2. Extrêmement sensibles et garantie de la viabilité économique des exploitations, les conditions d'exécution de la clause de sauvegarde doivent encore être explicitées
a) Le sujet sensible des « mesures de redressement et de soutien »

Le sujet le plus sensible tient à l'appréciation des mesures de redressement et de soutien que la société et ses détenteurs doivent avoir prises. Dans le prolongement de la disposition législative, la CRE souligne en effet que lors de l'instruction des dossiers, elle pourra être amenée à faire le constat que le tarif révisé compromet la viabilité économique de la société « sous réserve que la société ait pris toutes les mesures de redressement nécessaires et que tous ses détenteurs , directs ou indirects aient mis en oeuvre toutes les mesures de soutien à leur disposition » .

La nature de ces mesures est esquissée dans le projet de décret . Elles peuvent porter sur la dette, les fonds propres, des renégociations de contrats et jusqu'à l'organisation même de la société . Bien entendu, la CRE devra veiller à ne pas exiger des mesures de redressement qui ne respecteraient pas le droit des affaires. Concernant certaines mesures de redressement, il conviendrait également de préciser si l'obligation qui pèse sur les producteurs est une obligation de moyens ou de résultat . Pour certaines mesures qui peuvent être difficiles à mettre en oeuvre pour des raisons juridiques, notamment les renégociations de contrats, exiger une obligation de résultat pourrait s'avérer problématique . En toute hypothèse, une telle obligation de résultat ne doit pas constituer une condition exigée du producteur pour que son dossier soit considéré comme recevable .

Observation n° 2 : dans la mesure où l'appréciation des « mesures de redressement et de soutien » sera déterminante, compte-tenu notamment des difficultés qu'auront les producteurs à renégocier certains contrats, il convient de les objectiver avec la plus grande précision et de ne pas en faire une obligation de résultat ni une condition préalable à la saisine.

Dans son projet de lignes directrices, la CRE précise que le tarif qu'elle proposera à l'issue de la procédure de la clause de sauvegarde « permettra en tout état de cause le remboursement du principal de la dette ayant financé l'installation photovoltaïque » et que « si, après la prise en compte des mesures de redressement et de soutien, le producteur se révèle en incapacité de payer ses fournisseurs, de rembourser ses dettes et de dégager une rentabilité positive pour l'actionnaire » , elle proposera un nouveau tarif permettant de garantir la viabilité économique de l'exploitation.

b) Des cas spécifiques exigent un traitement particulier

Les spécificités des exploitations agricoles photovoltaïques semblent devoir être prises en compte dans le cadre de la clause de sauvegarde. Comme évoqué supra , compte-tenu de l'interdépendance entre les projets photovoltaïques et agricoles, une approche holistique des exploitations est nécessaire. Dans son article 6, le projet de décret , précise que la viabilité économique du producteur s'apprécie notamment au regard « de la capacité du producteur et de ses détenteurs directs ou indirects à maintenir la viabilité de leurs activités commerciale, artisanale, agricole ou industrielle » . Spécifiquement insérée pour traiter la situation des exploitations agricoles, l'application de cette disposition dans la procédure de réexamen individuel doit permettre de garantir leur continuité économique. En vertu de cette disposition, la situation concrète de l'ensemble de l'exploitation devrait donc bien être prise en compte dans le cadre de la procédure de la clause de sauvegarde.

La filière estimait que 150 à 200 exploitations pourraient être concernées mais, alors que la quasi-totalité des exploitations aurait une production inférieure à 1 000 KWc, une faible proportion d'entre-elles pourrait être exposée à des révisions de tarifs . Cependant, jusqu'au bout l'incertitude et le flou perdurent et génèrent une anxiété légitime des acteurs économiques.

Dans son projet de lignes directrices, la CRE a proposé une modalité de traitement spécifique du cas des contrats cédés . La question des rachats de contrats est complexe et concerne aussi bien de gros acteurs énergétiques dont la surface financière est importante que des PME qui interviennent dans le domaine des EnR. Le prix de cession du contrat a été déterminé sur la base des recettes futures liées aux tarifs d'achats considérées alors comme des flux certains. Ainsi, une partie de la sur-rentabilité des contrats a été captée par le vendeur .

Pour traiter ce sujet sensible, le projet de lignes directrices de la CRE entend n'examiner que la rentabilité des actionnaires actuels . Aussi, elle prévoit de ne s'appuyer que sur l'analyse financière postérieure à l'acquisition. Seule la rentabilité captée par les actionnaires actuels doit être prise en compte . En réponse au questionnaire du rapporteur, la CRE précise qu'elle « prendra en compte les dettes supportées par les détenteurs actuels au titre de l'acquisition des actifs photovoltaïques ainsi que les recettes effectivement captées ou à venir » . Cette mesure apparaît juste mais devrait diminuer les gains financiers nets pour les finances publiques qui résulteront du dispositif.

La prise en compte des spécificités des ZNI sera appelée à être affinée et renforcée dans le cadre de la mise en oeuvre de la clause de sauvegarde. Dans le modèle de calcul proposé, la prise en compte des particularités des ZNI se traduit par une surcote de 25 % des CAPEX et des OPEX normatifs ainsi que par des TRI cibles supérieurs à ceux prévus pour la métropole continentale. Pour déterminer ces surcoûts, l'administration s'est notamment appuyée sur un rapport du syndicat des énergies renouvelables (SER) publié en 2013 10 ( * ) .

Ces modalités de prise en compte apparaissent trop générales . L'application de la clause de sauvegarde devra permettre de les renforcer et, surtout, de les affiner en fonction des spécificités de chaque territoire.

Les lignes directrices de la CRE devraient être clarifiées en ce qui concerne le traitement des producteurs qui détiennent plusieurs centrales dont certaines ne sont pas concernées par la révision tarifaire. Selon le traitement qui sera réservé à ces financements en portefeuille, un risque de contagion de la mesure pourrait potentiellement affecter les modèles économiques d'autres centrales photovoltaïques.

Observation n° 3 : la procédure de réexamen individuel devra garantir la prise en compte d'une approche holistique des exploitations agricoles, ne pas pénaliser les titulaires des contrats pour des rentabilités passées captées par le développeur initial, permettre une prise en compte plus fine et territorialisée des spécificités des ZNI et proportionner au strict nécessaire les demandes de pièces faites aux producteurs.

c) Un délai de suspension du tarif révisé incertain

La suspension du tarif révisé durant toute la période de réexamen n'est pas garantie à ce stade. La suspension est explicitement limitée à seize mois alors que la procédure pourra dans certains cas excéder ce délai . Même si la CRE s'engage dans son projet de lignes directrices à traiter les dossiers avec la meilleure diligence 11 ( * ) , le volume des saisines qu'elle aura à examiner la mettra sous tension. Pour respecter la disposition législative qui prévoit que la clause de sauvegarde doit permettre de préserver la viabilité économique du producteur, il apparaît nécessaire de garantir la suspension du tarif révisé durant toute la période d'examen .


* 9 Tenue en juillet.

* 10 Rapport du SER « anticiper le développement du solaire photovoltaïque compétitif », mai 2013.

* 11 Le point 3.1 du projet de délibération précise que « les services de la CRE feront leurs meilleurs efforts pour veiller au traitement des demandes dans un délai global de 16 mois équivalent au délai de suspension ».

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