CONCLUSION

Pour devenir le premier continent neutre sur le plan climatique à l'horizon 2050 et accélérer sa transition énergétique, l'Union européenne a besoin d'une source d'énergie décarbonée, abondante, régulière et abordable, alors même que l'ère du pétrole et du charbon n'est pas encore derrière nous.

Dans son ambition de construire un écosystème de la finance durable, qui doit permettre de contribuer à la réalisation du Pacte vert, la Commission européenne ne saurait écarter le nucléaire de la classification des activités considérées comme activités durables sur le plan environnemental. Le rapport du Centre commun de recherche, qui doit guider la Commission européenne dans sa décision, a conclu que cette énergie décarbonée ne porte pas d'atteinte significative à l'environnement, dans la mesure où les technologies actuelles permettent de stocker, dans des conditions de sécurité pour les populations et l'environnement, les déchets radioactifs.

La commission des affaires européennes considère qu'il est nécessaire, avant le début de la Présidence française du Conseil de l'Union européenne, d'intégrer l'énergie nucléaire dans la taxonomie verte, en veillant à classer comme durables la construction et l'exploitation des installations de la production d'électricité, à partir de cette source d'énergie.

Même si elle divise encore les États membres, cette décision doit permettre de contribuer au financement de la décarbonation des économies européennes, dans le respect du choix par les États membres de leur bouquet énergétique et du principe de neutralité entre les différentes sources d'énergie, prévus par les traités. Elle contribuerait en outre à la valorisation de l'hydrogène issu de l'énergie nucléaire et au développement de cette technologie bas-carbone très prometteuse.

Tels sont les principaux éléments de l'avis politique adressé par la commission des affaires européennes à la Commission européenne et de la proposition de résolution européenne qui suit et qui sera renvoyée à la commission des affaires économiques pour examen.

EXAMEN EN COMMISSION

La commission des affaires européennes s'est réunie le mercredi 24 novembre 2021, sous la présidence de M. Jean-François Rapin, président, pour l'examen du présent rapport. À l'issue de la présentation, le débat suivant s'est engagé :

M. Jacques Fernique . - Mes chers collègues, sans finance durable nous ne pourrons pas atteindre la neutralité carbone d'ici à 2050. La classification que doit publier la Commission européenne à la fin de l'année est donc cruciale. En identifiant les activités économiques respectueuses du climat et de l'environnement, elle permettra de guider les capitaux privés vers des entreprises, des produits financiers durables, non néfastes.

Cette taxonomie ne remplira pas son objectif si elle n'est pas crédible. Elle doit donc être un outil régi par des critères rationnels et scientifiques, et non le fruit de batailles menées par des lobbyings intenses.

Mon groupe ne partage pas la position de cette proposition de résolution visant à considérer l'activité de production nucléaire comme une activité durable, à la fois bonne pour le climat et pour l'environnement, ou en tout cas ne portant pas atteinte à l'environnement. Six États membres, à savoir l'Allemagne, l'Autriche, le Luxembourg, le Danemark, l'Espagne et le Portugal, ont exprimé nettement leur désaccord avec une telle évolution qui, pour reprendre leurs termes « affecterait durablement l'intégrité, la crédibilité et donc l'utilité » de cette taxonomie. Au début du mois d'octobre, le Parlement européen, a rejeté deux propositions d'objection du groupe CRE qui militait pour l'intégration du gaz fossile et du nucléaire. Il n'a échappé à personne que les soutiens du gaz fossile et du nucléaire font cause commune pour éviter une éventuelle majorité qualifiée de rejet. On touche donc là à un débat politique majeur. C'est d'ailleurs pourquoi mon groupe déposera une demande d'inscription de cette proposition de résolution européenne à l'ordre du jour du Sénat : ce débat majeur mérite ce cadre adapté.

Pourquoi le nucléaire ne peut-il pas être considéré comme durable dans cette taxonomie ? Certes, il provoque de faibles émissions de gaz à effet de serre pendant l'exploitation. Bien qu'en tenant compte de l'extraction, du raffinage, de l'enrichissement de l'uranium, de la construction des centrales, de leur démantèlement et du traitement des déchets, la facture CO 2 s'alourdisse sensiblement. Mais, surtout, comment le nucléaire pourrait-il passer l'examen des six objectifs environnementaux de la taxonomie avec les déchets qu'il génère et les risques considérables qu'il entraîne ?

Si la catégorie « durable » demandée par cette résolution n'est vraiment pas raisonnable, certains, dans le débat européen en cours, envisagent un compromis avec la catégorie « transitoire », le nucléaire devenant une énergie d'appoint des énergies renouvelables, dans l'attente de leur développement complet. Il est d'ailleurs significatif que la proposition de résolution, que je qualifierais de maximaliste, n'évoque absolument pas cette option qui est pourtant largement envisagée aujourd'hui. Je précise qu'elle n'est pas partagée par mon groupe. À notre sens, au-delà de la question rédhibitoire des déchets, le nucléaire est aujourd'hui trop coûteux et trop lent à développer pour répondre aux objectifs climatiques des quinze prochaines années qui seront déterminantes.

Pour conclure, cette résolution me paraît déraisonnable quand elle revendique carrément la catégorie « durable » pour le nucléaire. Nombre des arguments présentés me paraissent hors-sujet. Il serait peut-être envisageable de justifier la catégorie « transitoire ». Je pense aux arguments sur l'évolution de la consommation d'électricité, ou sur la problématique de l'approvisionnement énergétique. Il me paraît évident cependant que d'ouvrir les vannes des investissements privés, des subventions européennes et nationales vers le nucléaire et le gaz fossile entraverait le développement et le déploiement des solutions réellement durables que sont les renouvelables, la sobriété et l'efficacité énergétiques.

M. Didier Marie . - Ce sujet est complexe et il est dommageable qu'il soit traité tardivement. La Commission européenne doit trancher prochainement sur un acte délégué complémentaire alors que la question de l'avenir énergétique de notre pays mériterait un grand débat national et devrait être tranchée lors d'échéances particulières, notamment à l'occasion des prochaines élections présidentielles.

Je ne vous surprendrai pas en vous disant que le groupe auquel j'appartiens est plutôt partagé. Pour ma part, je considère que l'inclusion du nucléaire dans la taxonomie n'est pas une bonne chose. En effet, elle est un outil de transparence qui doit, d'une part, servir de référence au label européen des investissements verts et de standard aux obligations vertes, et d'autre part, éviter le « g reenwashing ». En inscrivant le nucléaire et le gaz dans la taxonomie, étant donné qu'on se dirige vers un compromis, ces objectifs ne seront pas atteints et l'ambition de faire des standards européens la référence mondiale de la finance verte non plus. C'est une occasion perdue pour la prééminence du modèle de l'Union européenne en matière de finance durable. Il est possible de douter que les citoyens épargnants qui alimentent les moyens des investisseurs ainsi que ces derniers acceptent cette approche au regard du nombre d'États membres qui y sont hostiles, parmi lesquels se trouvent des capacités d'investissements particulièrement fortes. C'est le cas des six pays que vous avez cités. On peut aussi ajouter l'Italie. Nos collègues parlementaires italiens nous ont d'ailleurs rappelé qu'après deux référendums, la position de leur pays sur le nucléaire n'avait pas évolué. Certains pays ne se sont pas prononcés et sont dans une attitude dubitative. Je crains - et j'en suis convaincu à titre personnel - que l'inclusion du nucléaire et du gaz dans la taxonomie rende l'Union européenne peu crédible sur la scène internationale en matière de lutte contre le dérèglement climatique et d'émissions de gaz à effet de serre.

Il n'est pas possible d'aborder ce débat sur la taxonomie sans évoquer celui sur le nucléaire. Effectivement, le nucléaire est bon pour le climat. Il n'émet pas une quantité très importante de gaz à effet de serre. Mais il n'est pas bon pour l'environnement. En effet, la question des déchets n'est pas traitée. D'ailleurs, elle n'a pas de solution à moyen terme.

L'inclusion du nucléaire dans la taxonomie ouvre la perspective de prêts à taux réduits par rapport à ceux du marché, accessibles au grand opérateur qu'est EDF. Or la question qui est posée ne concerne pas les dix prochaines années mais les soixante suivantes. Pour les dix prochaines années, tout le monde ou presque convient qu'il est nécessaire d'accélérer le développement des énergies renouvelables. Dans ce cadre, il faudra prolonger la durée de vie des centrales nucléaires existantes pour atteindre un double objectif, celui qui est inscrit dans la loi française votée sous le quinquennat précédent et qui n'a pas été remis en cause depuis, à savoir 50 % d'électricité d'origine nucléaire à l'horizon 2025, et celui fixé par l'Union européenne de réduction de 55 % des gaz à effet de serre à l'horizon 2030. Pour atteindre cet objectif, je pense qu'il faut flécher majoritairement et de façon intensive les financements sur les énergies renouvelables. S'agissant des soixante années suivantes, à compter de 2030, la question qui nous est posée et à laquelle nous ne pouvons pas répondre aujourd'hui, est la suivante : voulons-nous un nouveau programme nucléaire avec des EPR et d'hypothétiques micro-centrales, sachant que le coût du nucléaire ne cesse d'augmenter et qu'inversement, celui des énergies renouvelables est de plus en plus compétitif ? Les risques inhérents à l'énergie nucléaire sont connus, même si les règles européennes sont particulièrement strictes et devraient permettre de les éviter, mais rien n'est nécessairement acquis dans la durée, a fortiori si ce n'est plus le service public qui en est chargé. Je rappelle qu'en dehors de la France, ce n'est pas le service public qui développe le nucléaire. À l'échelle européenne, cela pose une vraie question. Par ailleurs, le problème des déchets n'est pas traité. Pour autant, les limites des énergies renouvelables sont aussi connues.

Au-delà de ces questions, l'argument de la souveraineté est souvent mis en avant. Notre uranium est importé de pays souvent en proie à des conflits. Se pose un vrai problème géopolitique et de ressource. Notre dépendance ne sera pas liée à l'énergie produite mais à la source qui permet de la produire.

Enfin, ce débat suscite des controverses et des tensions à l'échelle européenne. Je rappelle que plusieurs États ont manifesté leur opposition très ferme et l'Autriche a récemment annoncé qu'elle saisirait la Cour de justice de l'Union européenne.

Je ne pense pas que le compromis visant à inclure le nucléaire dans la taxonomie soit pleinement satisfaisant dès lors qu'il s'accompagnera de l'inscription du gaz dans cette même classification. C'est l'ensemble de la crédibilité de l'Union européenne qui sera remise en cause à l'égard des investisseurs internationaux. C'est la raison pour laquelle, à titre personnel, je ne voterai pas cette proposition de résolution européenne.

M. André Gattolin . - Je partage largement les points de vue qui ont été exprimés précédemment par mes deux collègues. Au niveau européen, il est indispensable d'avancer ensemble, et malgré tout, il est nécessaire de trouver des compromis. La taxonomie aborde le sujet du financement des activités économiques. Il est compliqué d'affirmer que l'énergie nucléaire est la moins chère alors qu'en même temps, c'est celle qui nécessite le plus d'investissements.

Par ailleurs, un ingénieur qui ne peut être critiqué pour être du côté des anti-nucléaires, Philippe Denhez, avait publié en 2011, un excellent ouvrage intitulé « La dictature du carbone ». Il indique n'est pas envisageable d'évaluer les questions de transition écologique et de transition énergétique uniquement à l'aune des émissions de gaz à effet de serre, même si des objectifs particulièrement importants ont été fixés dans ce domaine. Le critère de catégorie durable doit intégrer la gestion des déchets radioactifs et aussi l'extraction de l'uranium. Je signale que la construction, dans le nord du Canada, d'une route de plusieurs kilomètres dans le pergélisol, a des incidences sur le niveau d'émissions de gaz à effet de serre et sur l'environnement.

Pour ma part, je ne me poserai pas en anti-nucléaire. J'ai toujours eu un point de vue toujours raisonnable sur cette énergie. Même si je comprends les problèmes qu'il pose, je partage le compromis proposé par la commissaire européenne en charge des services financiers, Mme Mairead McGuinness, selon lequel le nucléaire pourrait être inclus dans la catégorie des activités de transition. Reste néanmoins la question du gaz, qui est relativement compliquée. Entre le pétrole et le gaz, je préfère toutefois le second car en matière d'extraction, les conséquences environnementales en cas de fuite sont au moins cent fois plus graves pour le pétrole que pour le gaz. Bien entendu, le gaz est aussi émetteur de gaz à effet de serre dans son utilisation.

Par ailleurs, je suis gêné par la mention de l'hydrogène dans la proposition de résolution. Cela revient à dire que l'électricité est une énergie verte, qu'elle soit produite par le nucléaire, par le pétrole ou par les énergies renouvelables. Au détour d'un passage, l'hydrogène est valorisé quelle que soit son origine, alors qu'il peut être produit à partir de matières premières fortement émettrices de gaz à effet de serre ou avec des conséquences environnementales graves.

Les membres de mon groupe et moi-même, nous ne voterons pas cette résolution.

M. Jean-Yves Leconte . - Je vous remercie, messieurs les rapporteurs, pour cette proposition de résolution européenne qu'à titre personnel, je voterai. Débattre de la taxonomie n'épuise pas le débat sur l'énergie nucléaire. Ce débat est important et il doit être totalement démocratique, à un moment adéquat pour cela.

La taxonomie revient à vouloir conserver une porte ouverte ou non. Il s'agit de savoir si nous souhaitons classer l'énergie nucléaire parmi les énergies qui pourront bénéficier de coûts de financement avantageux. Or les investissements dans le secteur du nucléaire sont importants et s'il faut financer un, deux ou trois points de taux d'intérêt supplémentaires dès lors que le nucléaire n'intègre pas cette norme, cela posera des difficultés pour financer des investissements dans ce secteur à des coûts raisonnables. Il ne faut pas s'empêcher de se donner la possibilité de le faire à des coûts et à des taux acceptables.

Je crois qu'en matière climatique et d'évolution de la consommation énergétique, nous sommes face un défi scientifique. Il faut mieux éviter de se fermer des portes alors que nous avons encore beaucoup d'inconnus. Nous savons aujourd'hui que pour s'orienter vers une énergie décarbonée, il faudra utiliser davantage le vecteur - je préfère ce terme - qu'est l'électricité. Les énergies renouvelables, certes, en produiront mais cela nécessitera d'investir considérablement dans les réseaux.

Compte tenu de nos connaissances actuelles, des contraintes et des objectifs, il est préférable de ne pas se fermer de porte et de se donner la capacité, si on le décide de manière démocratique, de financer le nucléaire avec des taux qui nous permettront de le faire de manière satisfaisante.

J'ajoute aussi la préoccupation au regard de notre indépendance énergétique. Il est plus facile de s'approvisionner en uranium à long terme que d'assurer sur le temps long et sans risque la fourniture en gaz ou en pétrole. L'indépendance énergétique est aujourd'hui plus facile à construire avec le nucléaire.

Il ne faudrait pas, à un moment où la hausse des prix de l'énergie nous pose des difficultés, se fermer des portes à nous-mêmes.

Mme Véronique Guillotin . - À titre personnel, je partage une grande partie des recommandations des rapporteurs. Je n'engage pas mon groupe. Plusieurs organismes, tels que le GIEC ou l'Agence internationale de l'énergie, considèrent que l'énergie nucléaire relève des leviers d'atténuation du changement climatique et de développement durable

Nous avons deux défis à relever, décarboner notre énergie et faire face à l'augmentation du prix des énergies. À court terme, l'énergie nucléaire semble la mieux placée pour y répondre, même si, à plus long terme, il sera nécessaire d'accentuer la place des énergies renouvelables dans notre système énergétique.

Pour l'instant, il apparaît important de ne pas se fermer de porte et d'inclure le nucléaire dans l'acte délégué complémentaire prévu par le règlement sur la taxonomie. Je pense que, sans cela, on se dirigerait vers une remise en cause du droit des États membres de décider de leur mix énergétique. Cette décision doit s'accompagner évidemment, d'une part, de la poursuite d'une politique de sûreté nucléaire au niveau national, à la hauteur des enjeux, et, d'autre part, d'un modèle de gestion ambitieux et transparent. Il faut pouvoir réutiliser, comme cela a été dit, les déchets radioactifs. Je pense que c'est à ce prix que nous pourrons continuer à produire de l'énergie nucléaire, tout en rassurant nos concitoyens et en assurant leur sécurité.

M. Pierre Laurent, rapporteur . -Je partage les propos de Didier Marie. Nous avons besoin de continuer à avoir des débats sur l'avenir du système énergétique de notre pays, en Europe et dans le monde. Le premier acte délégué sur la taxonomie n'a pas fait l'objet d'un débat public. La prochaine publication de cet acte délégué complémentaire est l'occasion de se saisir de ces questions énergétiques.

Le débat tel qu'il est abordé actuellement est paradoxal du point de vue de l'impact climatique puisqu'on y traite du gaz et du nucléaire comme s'ils pouvaient être placés sur un même plan.

Concernant la taxonomie, je voudrais faire plusieurs remarques. Cette classification aura des impacts très importants sur le coût des financements privés mais, et les auditions que nous avons réalisées l'ont confirmé, cela pourrait influencer progressivement les financements publics. La taxonomie tend à devenir progressivement une sorte de norme qui s'imposera non seulement aux investisseurs privés mais aussi comme critère de choix en matière de politiques publiques. Or, compte tenu de l'objectif européen qui est très ambitieux - une diminution de 55 % des gaz à effet de serre d'ici à 2030 - et de ce qui s'est passé à la COP 26 à Glasgow, il est raisonnable d'affirmer que la France n'y contribuera pas de façon significative si elle ne poursuit pas sa stratégie de mix énergétique particulièrement décarboné. Pénaliser fortement le financement du nucléaire nous fermerait des portes tout à fait importantes.

Enfin, il me semble aussi paradoxal de s'appuyer sur la position allemande, dont on sait qu'elle est une de celle qui soutiendra le compromis faisant entrer le gaz dans la taxonomie en tant qu'activité transitoire. En effet, sa sortie du nucléaire a obligé l'Allemagne à se tourner massivement vers cette source d'énergie, et ce, probablement pour plusieurs décennies. Mettre sur un pied d'égalité le gaz et le nucléaire en termes d'impacts environnementaux et de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre est effectivement contradictoire.

M. Daniel Gremillet , rapporteur . - Je ferai trois remarques. Premièrement, chaque État membre a la capacité de décider de ses choix stratégiques en matière énergétique. Les choix français, aujourd'hui, sont les plus aboutis sur l'atteinte des objectifs de neutralité carbone. Nous savons tous que le temps est court et qu'il est nécessaire de prendre des décisions qui permettent de garantir notre capacité à produire, dans notre pays et en Europe, un certain nombre de biens que nous importons et dont le bilan carbone est d'ailleurs catastrophique. Cela ne se fera pas sans énergie. Je rappelle qu'en l'espace de deux ans, la France a doublé le nombre de jours d'importation d'électricité. Notre dépendance s'élève désormais à quarante-trois jours par an.

Deuxièmement, les choix qui ont été faits, pas seulement par ce Gouvernement mais aussi précédemment, en termes de mobilités et de fin du moteur thermique, nous amènent à une mobilité basée pour l'essentiel sur l'électrique, ce qui pose le problème du transport, y compris maritime. Le débat sur l'hydrogène est également engagé. Certaines régions ont lancé des investissements dans le cadre de l'appel à projets « Écosystèmes territoriaux hydrogène ». Si l'on considère la bataille qui se joue au plan mondial sur l'hydrogène - avec l'Allemagne, l'Asie et surtout la Chine, qui est très en pointe sur ce dossier - notre indépendance énergétique est vraiment en jeu. Dans le débat sur la taxonomie, il est surréaliste de mettre au même niveau le gaz et le nucléaire. La dépendance au gaz est extrême. Les enjeux géopolitiques nous conduisent à une certaine fragilité en termes d'approvisionnement pour notre pays et l'Union européenne. Or les conséquences du gaz en termes de gaz à effet de serre sont catastrophiques. Les auditions ont montré qu'inclure le gaz et le nucléaire dans une même catégorie constituerait une anomalie.

Sur la question de notre dépendance à l'égard de l'approvisionnement en uranium, la situation est très différente. La France dispose de cinq ans de réserves. Les pays producteurs qui la fournissent sont plus stables que ceux qui fournissent du gaz et plus nombreux. La capacité de valorisation de l'uranium de réacteurs de nouvelle génération par rapport à ceux actuellement en fonctionnement permettra de produire moins de déchets, même si cette question reste un sujet à traiter.

Enfin, plus de 3,5 millions de familles sont aujourd'hui en situation de précarité énergétique. Ce sujet doit retenir toute notre attention. Or la taxonomie conditionnera le coût de financement de cette indépendance énergétique. Les consommateurs mais aussi les entreprises seront impactés, d'autant plus que nous souhaitons relocaliser certaines productions dans notre pays et en Europe. Au regard du coût du nouveau nucléaire, les conditions de financement sont l'élément le plus important qui influencera le niveau des prix et celui de la compétitivité de la production française.

C'est un sujet essentiel. Nous l'avons abordé à plusieurs reprises dans l'hémicycle. Des annonces ont été faites par le Gouvernement sur des constructions qui sont absolument nécessaires pour l'indépendance énergétique de notre pays. Ces constructions ne sont envisageables que si elles sont réalisées dans des conditions acceptables de financement.

M. Didier Marie . - La France ne s'est pas opposée à la proposition de règlement qui a défini la taxonomie dans laquelle ne figurait ni le nucléaire ni le gaz. Ce n'est qu'à l'occasion de cet acte délégué et de la prise de position du Président de la République dans les médias, qui n'a donné lieu à aucun débat ni au Parlement ni devant la Nation, que l'on discute de ce sujet aujourd'hui. L'élargissement de la taxonomie doit faire l'objet d'une décision de la Commission européenne en décembre.

Il faut aussi avoir en mémoire l'étude de RTE, réalisée à la demande du Gouvernement et qui a défini les différents scénarii à l'horizon 2030 et 2050. Parmi ces scénarii, il y en a un qui privilégie la poursuite d'un programme nucléaire à partir de 2030 et 2035, après le prolongement des centrales existantes. La taxonomie s'appliquerait donc, si elle incluait le nucléaire, pour des investissements qui seraient réalisés après 2030 et qui engageraient notre pays pour les soixante années qui suivront.

Enfin, je voudrais faire une remarque sur la place de l'électricité dans le mix énergétique. L'électricité représente aujourd'hui 25 % de l'énergie finale. Compte tenu des simulations réalisées, cette part devrait atteindre 25 % mais la consommation d'énergie finale devrait dans le même temps passer de 1 600 TWh à une fourchette de 850 à 950 TWh, en fonction des scénarii retenus, ce qui veut dire que la production d'électricité passerait de 480 TWh aujourd'hui à 670 TWh à l'horizon 2030/2050. La différence est certes importante mais elle est tout à fait soutenable par le recours à différentes technologies. C'est un vrai choix politique qui doit être réalisé.

M. Jean-François Rapin , président. - Je voudrais rappeler qu'en termes de durabilité, la première centrale française a été ouverte en 1956 à Marcoule. Elle est aujourd'hui toujours en fonctionnement comme centre expérimental nucléaire pour le démantèlement. Cela fait donc soixante-cinq ans que ce site est ouvert et qu'il n'a pas rencontré de problème. La dernière ouverture d'une centrale nucléaire en France date de 1979. Je rappelle que la durée de vie d'une éolienne est de vingt ans.

Je partage les remarques de Didier Marie sur la frontière entre le débat sur la taxonomie et celui sur le nucléaire. Lors de notre récent déplacement en Italie, nos interlocuteurs ont exprimé des positions très anti-nucléaires et se sont montrés favorables à l'utilisation du gaz. Cela démontre une forme de paradoxe et de discordance des positions.

Je suis, bien entendu, d'accord pour que cette proposition de résolution européenne soit débattue en séance publique. J'avais d'ailleurs anticipé ce sujet du nucléaire alors qu'il n'avait pas encore été débattu au niveau national, en organisant à titre personnel, il y a quelques mois, des auditions. Le débat aurait dû être lancé au moment de la décision de mettre fin au projet Astrid. Les tergiversations de ces dernières années expliquent le retard pris par la France dans le domaine nucléaire.

M. André Gattolin . - Je voudrais regretter à nouveau la mention, au détour d'un alinéa, de l'hydrogène dans la proposition de résolution européenne qui vient d'être adoptée.

M. Daniel Gremillet , rapporteur . - L'hydrogène figure déjà dans la taxonomie.

À l'issue du débat, la commission a autorisé la publication du rapport d'information et a adopté la proposition de résolution européenne disponible en ligne sur le site du Sénat ainsi que l'avis politique qui en reprend les termes et qui sera adressé à la Commission européenne.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page