B. AMÉLIORER LA LISIBILITÉ DES PARCOURS DE PROXIMITÉ POUR FAVORISER L'ACCESSIBILITÉ AUX SOINS DE SANTÉ MENTALE ET LES PRISES EN CHARGE PRÉCOCES

1. Renforcer l'approche intégrée de la santé mentale et la coordination des acteurs au niveau territorial
a) Mieux reconnaître le rôle clé des soignants « de première ligne »

Dans un rapport d'octobre 2019 sur la « Prise en charge coordonnée des troubles psychiques : état des lieux et conditions d'évolution », l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) rappelait que « selon les estimations, 15 à 40 % de la file active des médecins généralistes présenteraient un trouble mental ou une souffrance psychique , ce qui en fait la porte d'entrée naturelle de ce type de patients dans le système de soins ».

Or, ce même rapport relevait que si le médecin généraliste est le professionnel le plus consulté en cas de problème psychologique, celui-ci n'est pas toujours outillé pour y répondre : « face à ces situations qui combinent une souffrance généralement associée à des événements de vie (séparation, divorce, perte d'emploi, souffrance au travail...), situation de loin la plus fréquente, et des problèmes en lien avec une organisation psychique dysfonctionnelle, qui relève plus de la psychiatrie, l'omnipraticien peut se trouver démuni. Alors que la profession est dans son ensemble bien formée pour prendre en charge les autres pathologies somatiques, une partie méconnait, voire ignore, l'existence d'outils et des méthodes d'usage courant pour repérer, accompagner ou orienter les problèmes psychiques , avec pour effet collatéral, la prescription de psychotropes comme seul traitement. » Les médecins généralistes sont ainsi, d'après les données citées dans ce rapport, à l'initiative de près de 90 % des prescriptions d'antidépresseurs.

Ce constat a été relevé par des personnes auditionnées : les chercheuses Coralie Gandré et Magali Coldefy ont noté que si le médecin généraliste joue un rôle majeur dans le repérage et le suivi des troubles psychiques fréquents légers à modérés, ceux-ci adressent peu leurs patients vers les dispositifs spécialisés. Elles ont suggéré d'intégrer la santé mentale dans les évaluations courantes - à l'instar de la mesure de la tension - des médecins généralistes, des pédiatres, mais aussi des médecins scolaires ou médecins du travail, pour faciliter un repérage plus précoce, citant également des exemples de pays ayant intégré l'éducation à la santé mentale dans le programme scolaire, pour apprendre à maintenir une bonne santé mentale, à prendre soin de celle des autres, tout en luttant contre la stigmatisation. La diffusion d'outils cliniques, par exemple de questionnaires simples, pourrait contribuer à cette meilleure prise en compte.

Celle-ci devrait dans tous les cas s'accompagner d'une évolution des modalités de rémunération de ces professionnels, pour des prises en charge qui requièrent du temps d'échange et d'écoute. Les rapporteurs notent à cet égard l'engagement du Président de la République, en conclusion des Assises de la santé mentale et de la psychiatrie le 28 septembre 2021, d'ouvrir une réflexion sur les moyens de rémunérer des missions de santé publique en lien avec la santé mentale dans la prochaine convention médicale.

Proposition n° 10 : Favoriser la diffusion auprès des médecins généralistes, pédiatres, médecins scolaires et médecins du travail d'outils cliniques permettant de détecter précocement d'éventuels troubles psychologiques

b) Renforcer la mise en réseau des acteurs locaux

La méconnaissance réciproque entre les intervenants de la prise en charge, qu'ils relèvent des champs sanitaire, médico-social ou social, constitue de même, de l'avis de plusieurs acteurs, un frein à l'accès aux soins en santé mentale et à la bonne coordination des parcours des patients.

Le déploiement, à l'initiative des collectivités territoriales, des contrats locaux de santé mentale (CLSM) ainsi que la mise en place, par la loi de modernisation de notre système de santé de 2016 22 ( * ) , à l'initiative des professionnels de santé, des projets territoriaux de santé mentale (PTSM) ont vocation à répondre à cet enjeu de coordination des acteurs du territoire.

Les modalités d'élaboration et les objectifs
des projets territoriaux de santé mentale

D'après l'article L. 3221-2 du code de la santé publique, le projet territorial de santé mentale a pour objet « l'amélioration continue de l'accès des personnes concernées à des parcours de santé et de vie de qualité, sécurisés et sans rupture ».

Il est élaboré et mis en oeuvre à l'initiative des professionnels et établissements travaillant dans le champ de la santé mentale, à l'échelle d'un territoire « suffisant » pour permettre l'accès à des modalités de prises en charge diversifiée. Il repose sur un diagnostic territorial partagé établi par les acteurs de santé du territoire et arrêté par le directeur général de l'agence régionale de santé après avis des conseils locaux de santé ou conseils locaux de santé mentale.

Le projet territorial associe notamment les représentants des usagers, les professionnels et les établissements de santé, les établissements et les services sociaux et médico-sociaux, les organismes locaux d'assurance maladie et les services ou établissements publics de l'État concernés, les collectivités territoriales, ainsi que les conseils locaux de santé ou conseils locaux de santé mentale.

Ce projet a vocation à organiser les conditions d'accès de la population :

- à la prévention et en particulier au repérage, au diagnostic et à l'intervention précoce sur les troubles ;

- à l'ensemble des modalités et techniques de soins et de prises en charge spécifiques ;

- aux modalités d'accompagnement et d'insertion sociale.

Les actions tendant à mettre en oeuvre le projet territorial de santé mentale font l'objet d'un contrat territorial de santé mentale conclu entre l'agence régionale de santé et les acteurs du territoire participant à la mise en oeuvre de ces actions, qui définit leurs modalités de financement, de suivi et d'évaluation.

D'après les données communiquées par la délégation ministérielle à la santé mentale et à la psychiatrie, environ un tiers de la population est couverte par un contrat local de santé mentale et par ailleurs 104 PTSM sont recensés. Comme l'a souligné, lors du déplacement des rapporteurs au GHU de Paris, le Dr Annie Msellati s'agissant du PTSM parisien, cette démarche ascendante et collaborative , associant des psychiatres, des acteurs associatifs ou du secteur médico-social, est en elle-même intéressante. Elle a pu susciter une dynamique territoriale et créer du lien entre les acteurs qui facilite ensuite leur mobilisation en cas de crise. Dans son retour d'expérience précité sur la première vague de la crise sanitaire, la délégation ministérielle à la santé mentale et à la psychiatrie relève que « malgré un démarrage lent, les coopérations se sont multipliées entre les acteurs du territoire, notamment entre secteur public et privé », soit en s'appuyant sur les projets en cours, soit parce que « l'état de nécessité [...] a motivé la mise en lien » .

Pour autant, s'il est encore prématuré de tirer un bilan de la mise en oeuvre des PTSM, certains acteurs, à l'instar des Prs Marion Leboyer et Antoine Pelissolo, ont attiré l'attention sur l'hétérogénéité de la coordination des acteurs engagée par ces projets d'un département à l'autre , en l'absence de cadre structurant ou de financement incitatif.

Le recrutement programmé, dans le Ségur de la santé de juillet 2020 (mesure n° 31) de coordonnateurs de PTSM sera un levier essentiel pour donner corps à ces structures qui reposent jusqu'alors sur l'engagement des professionnels de terrain, en exigeant une grande disponibilité.

Par ailleurs, le délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie a reconnu la nécessité de « dépsychiatriser » les PTSM, notamment en vue de privilégier une approche plus transversale ou globale de la santé mentale : il a suggéré que puissent être intégrés en leur sein les acteurs de la prévention primaire que sont notamment les médecins généralistes et professionnels de santé libéraux - par exemple à travers leurs CPTS (communautés professionnelles territoriales de santé) en cours de constitution -, les acteurs de la protection maternelle et infantile ou de la médecine scolaire. De même le Dr Annie Msellati a noté en outre que l'exercice du PTSM laissait encore à ce stade des « trous dans la raquette », à défaut, pour celui de Paris, d'intégrer par exemple les acteurs du soutien à la parentalité qui sont pourtant, comme cela a été souligné, des intervenants essentiels dans les prises en charge des troubles psychiques infantiles. Il est évident que la montée en puissance forcément progressive de ces outils ne pourra se faire sans les doter de moyens propres.

Comme l'ont également relevé les professionnels rencontrés lors de leur déplacement au GHU de Paris, seule l'existence préalable d'un réseau solide de professionnels peut permettre à des initiatives de « premier contact » de fonctionner , pour dispenser des conseils ou assurer une orientation vers des professionnels et structures du territoire. C'est le cas de la plateforme « Psy-IDF » présentée plus haut, et du centre psychiatrique d'orientation et d'accueil (CPOA) du GHU de Paris, qui sont des initiatives territoriales intéressantes pour faciliter le premier recours aux soins.

De telles initiatives, adossées à un projet de coopération territoriale, pourraient être opportunément expérimentées.

Proposition n° 11 : Expérimenter, dans le cadre d'une organisation territoriale, des offres permettant de faciliter un « premier contact », physique ou virtuel, avec des professionnels spécialisés en santé mentale

L'enjeu de coordination des acteurs du territoire et des parcours des patients recouvre par ailleurs celui de l'émergence de nouveaux métiers susceptibles d'y concourir. Plusieurs acteurs ont ainsi souligné l'intérêt de valoriser des métiers en santé facilitant l'orientation des patients dans le système de soins ou la coordination des parcours .

À cet égard, le rôle des infirmiers qui assurent le plus souvent ces missions mérite pour les rapporteurs d'être mieux reconnu. Cela pourrait passer en particulier par une revalorisation du statut des infirmiers de pratique avancée (IPA) dont la mention en santé mentale et psychiatrie existe depuis 2019 23 ( * ) . La formation de deux ans requise pour cette spécialisation est particulièrement exigeante, y compris au plan financier pour des professionnels déjà en activité, pour une rémunération par la suite trop peu attractive. Or, le rôle de ces professionnels en matière de prévention, d'éducation thérapeutique, d'orientation et de coordination des parcours entre la ville, l'hôpital ou les structures médico-sociales d'aval est majeur pour des prises en charge de qualité. Les rapporteurs prennent acte de l'engagement pris, en conclusion des Assises de la santé mentale et de la psychiatrie le 28 septembre 2021, de porter le nombre de place pour des formations d'IPA en santé mentale à 185 sur la période 2021-2023 contre 171 en 2019. Ils notent cependant le faible rythme de déploiement de ces formations au regard des besoins potentiels.

Proposition n° 12 : Favoriser l'émergence de nouveaux métiers de médiation et d'aide à la coordination des parcours en santé mentale et revaloriser le statut des infirmiers de pratique avancée

2. Revaloriser le rôle des psychologues au sein du dispositif de soins

• Au cours des derniers mois notamment, les psychologues ont exprimé leur mal-être , considérant leur activité professionnelle, leurs compétences et savoir-faire insuffisamment reconnus et valorisés.

Les titres de psychologue et de psychothérapeute

• La profession de psychologue est encadrée par l'article 44 de la loi n° 85-772 du 25 juillet 1985 portant diverses dispositions d'ordre social.

Celle-ci réserve l'usage professionnel du titre de psychologue, accompagné ou non d'un qualificatif, aux titulaires d'un diplôme, certificat ou titre sanctionnant une formation universitaire fondamentale et appliquée de haut niveau en psychologie préparant à la vie professionnelle et figurant sur une liste fixée par décret en Conseil d'État ou aux titulaires d'un diplôme étranger reconnu équivalent aux diplômes nationaux exigés.

Les personnes autorisées à faire usage du titre de psychologue sont tenues de faire enregistrer sans frais, auprès de l'agence régionale de santé, qui établit pour chaque département une liste publique de cette profession.

Cet article fixe également les conditions d'exercice des professionnels ressortissants d'un État membre de l'Union européenne ou d'un autre État partie à l'accord sur l'Espace économique européen.

• Le recours au titre de psychothérapeute est encadré par l'article 52 de la loi n° 2004-806 du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique.

Ces dispositions réservent l'usage du titre de psychothérapeute aux professionnels inscrits au registre national des psychothérapeutes. La liste est mise à la disposition du public et mentionne les formations suivies par le professionnel.

L'accès à la formation en psychopathologie clinique que doivent remplir les professionnels est réservé aux titulaires d'un doctorat de médecine ou d'un diplôme de niveau master en psychologie ou psychanalyse.

S'ils interviennent depuis longtemps - notamment les années 1970 - dans de nombreuses institutions des champs sanitaire, social, médico-social, judiciaire ou éducatif (établissements de santé, centres médico-psychologiques, centres de crise, instituts médico-éducatifs, maisons d'arrêt, services de santé au travail et de santé scolaire ou universitaire, etc.) ou en exercice libéral, les représentants de la profession estiment souffrir d'une non-reconnaissance institutionnelle et d'une rémunération insuffisante. Ils se disent également « largement sous-employés » alors même qu'on constate une raréfaction du nombre de psychiatre et, en particulier dans le contexte actuel, d'importantes « demandes de prise en charge de la souffrance psychique [...] des populations ne relevant pas strictement de l'exercice de la psychiatrie » 24 ( * ) .

Même dans un domaine comme celui de la médecine scolaire, la fédération française des psychologues et de psychologie (FFPP) a regretté une approche trop limitée de la fonction des psychologues de l'éducation nationale, en appelant à ce que leur rôle de repérage voire d'orientation et de prévention primaire soit mieux mis en exergue face à la pénurie de médecins scolaires.

Dans son rapport d'octobre 2019 précité, l'IGAS relevait une « prédominance de l'approche médicale » dans l'organisation des prises en charge psychiques : la structuration historique en France de l'offre de soins psychiques à partir de l'hôpital a contribué à « concour [ir] au maintien d'une forte médicalisation des soins psychiques » et donc joué un rôle dans « le maintien des psychologues et des psychothérapeutes à la lisière du secteur sanitaire, même si les positionnements identitaires de ces derniers y sont également pour beaucoup ».

Les psychiatres assurent ainsi en France plus de la moitié des psychothérapies, quand ils se positionnent dans d'autres pays, comme aux Pays-Bas, plutôt en supervision ou dans une approche strictement médicale.

Plusieurs facteurs contribuent à ce que les psychologues peinent globalement à trouver leur place dans le dispositif de soins : l'absence de remboursement des consultations en libéral ( cf. ci-après) par l'assurance maladie constitue de toute évidence un frein ; les psychologues sont également peu connus des médecins, en raison d'un certain isolement de la profession, qui ne participe pas aux réseaux ou projets territoriaux en santé mentale , n'est pas inscrite au rang des professions de santé ou n'est pas organisée, sur le plan de la déontologie, autour d'un ordre ; enfin, plusieurs spécialistes en psychiatrie ou pédopsychiatrie entendus par les rapporteurs ont mis en avant une formation universitaire des psychologues hétérogène , fondée sur des enseignements peu concrets et dont la dimension clinique est perçue comme très insuffisante .

À cet égard, le Dr Serge Hefez et le Pr Antoine Pelissolo ont ainsi considéré que le renforcement du rôle des psychologues dans les prises en charge en santé mentale devrait passer au préalable par une refonte de leur formation, notamment via l'instauration de l'équivalent d'un internat comme il en existe dans d'autres pays, à l'instar du Canada 25 ( * ) .

De surcroît, comme le notait l'IGAS, « l'excellence de la formation professionnelle n'est pas particulièrement encouragée en France où existent pourtant des opportunités d'aller plus loin que le diplôme licence-master (titre de psychothérapeute, titre de docteur, habilitation à diriger des recherches...), mais sans aucune valorisation associée » .

Les professionnels eux-mêmes, suivant notamment la position portée par le syndicat national des psychologues (SNP) dans une contribution adressée aux rapporteurs, plaident pour une organisation de la profession, garantissant l'indépendance des professionnels, et un allongement des études sous la forme d'un doctorat professionnalisant.

Quant à la coopération renforcée des psychologues avec les médecins généralistes et autres acteurs des soins de proximité, les rapporteurs relèvent avec intérêt la mesure 31 du Ségur de la santé de juillet 2020 qui a entendu consolider leur présence au sein des maisons de santé pluridisciplinaires et centres de santé. Si cette évolution va dans le bon sens, en contribuant à améliorer la lisibilité de leur présence territoriale et leur insertion dans les parcours de soins, elle ne représente encore qu'une « goutte d'eau » selon le SNP, en ne concernant que 200 ETP en France.

Proposition n° 13 : Revaloriser le positionnement des psychologues dans les parcours de prise en charge « de première ligne » en adaptant en conséquence leur formation

Proposition n° 14 : Associer les psychologues aux dispositifs territoriaux tels que les projets territoriaux de santé mentale pour renforcer leur visibilité et leur articulation avec les autres acteurs et renforcer le dispositif de présence de psychologues libéraux dans les maisons et centres de santé

3. La pérennisation de la prise en charge des psychothérapies : une mesure récente dont il conviendra de tirer le bilan
a) Une avancée portée depuis 2018 par plusieurs expérimentations

Plusieurs expérimentations ont été engagées depuis 2018 pour proposer un remboursement ou une prise en charge forfaitaire des psychothérapies réalisées auprès, notamment, d'un psychologue libéral : il s'agit à la fois de lever un obstacle financier à l'accès aux soins en santé mentale tout en reconnaissant le rôle de ces professionnels non-médecins dans le champ du premier recours, à l'instar de celui qu'ils occupent dans d'autres pays.

• Pour les adultes (patients âgés de 18 à 60 ans présentant des troubles anxieux et/ou dépressifs d'intensité légère à modérée), l'assurance maladie a mis en place à compter de 2018 un dispositif testé dans quatre départements : les Bouches-du-Rhône, la Haute-Garonne, le Morbihan et les Landes. Dans le cadre d'un parcours de soins coordonné par le médecin traitant, il permet la prise en charge à 100 % d'un entretien d'évaluation réalisé par un psychologue clinicien ou psychothérapeute agréé par l'ARS et d'une à dix séances d'accompagnement psychologique de soutien. Après réévaluation par le médecin traitant et avis d'un psychiatre, une à dix séances supplémentaires de psychothérapies peuvent être proposées.

D'après les données présentées par la CNAM 26 ( * ) , ce dispositif a bénéficié depuis son lancement en 2018 à plus de 30 000 patients et 733 psychologues cliniciens ou psychothérapeutes agréés par l'ARS (environ 45 % des professionnels des départements concernés) ont signé la convention-cadre. En 2019, 60 % des médecins généralistes des départements pilotes ont inclus au moins un patient dans le dispositif ; 75 % des patients étaient des femmes et 25 % avaient moins de 30 ans ; en moyenne, un patient a réalisé 9 séances pour une prise en charge s'étalant généralement sur quatre mois. Le coût du dispositif est évalué à 2,2 millions d'euros en 2019, pour 89 582 séances réalisées et un coût moyen par patient de 228 euros.

Sa mise en oeuvre est prolongée jusqu'à fin 2022. Elle doit faire l'objet d'une évaluation médico-économique pour confirmer sa faisabilité, son efficacité et son impact sur les pratiques des professionnels.

Pour les enfants et adolescents , plusieurs dispositifs coexistent. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2017 a ouvert la voie à une expérimentation, dans quelques territoires, pour des adolescents âgés de 11 à 21 ans : le dispositif Écout'Émoi présenté dans l'encadré ci-après.

« Écout'Émoi » : une expérimentation ouvrant la voie à la prise en charge
des consultations avec un psychologue libéral pour des jeunes de 11 à 21 ans

L'article 68 de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2017 a ouvert la possibilité de mener des expérimentations pour une durée maximale de quatre ans, dans des territoires définis par arrêté, « afin d'améliorer la prise en charge et le suivi de jeunes de six à vingt et un ans chez lesquels un médecin, notamment médecin généraliste, médecin scolaire, pédiatre ou psychologue scolaire, a évalué une souffrance psychique ». Ce suivi repose notamment sur une orientation vers des consultations de psychologues libéraux, donnant lieu à une prise en charge.

Les modalités de cette expérimentation ont été précisées par le décret n° 2017-813 du 5 mai 2017, avant d'être intégrées dans le cadre général pour l'innovation au sein du système de santé issu de l'article 51 de la LFSS pour 2018.

Recentrée sur les jeunes entre 11 et 21 ans en situation de souffrance psychique, celle-ci permet aux médecins généralistes, pédiatres ou médecins scolaires de prescrire, après évaluation, au maximum douze consultations avec un psychologue libéral prises en charge dans la limite d'un forfait, sous réserve du consentement du jeune et de ses parents s'il est mineur.

Le renforcement de la formation en santé mentale, pour les professionnels, et l'inclusion dans un parcours de soins, pour les jeunes, sont coordonnés par les Maisons des adolescents de chaque territoire concerné.

Des territoires situés dans trois régions (Île-de-France, Pays de la Loire et Grand Est) sont concernés : les villes des Mureaux et Trappes (Yvelines), de Garges-lès-Gonesse, Goussainville, Sarcelles et Villiers-le-Bel (Val-d'Oise), de Cholet (Maine-et-Loire) et Saint-Nazaire (Loire-Atlantique), ainsi que les départements des Ardennes, du Haut-Rhin, de la Meuse et des Vosges.

D'autres dispositifs ciblés ont été déployés dans le contexte de la crise sanitaire. Pour les publics étudiants , le « chèque d'accompagnement psychologique » renommé dispositif « Santé Psy Étudiants » a été mis en place à compter du 1 er février 2021. Il permet à tous les étudiants de consulter sans avance de frais, pour trois séances, un psychologue, un psychothérapeute ou un psychiatre (parmi une liste de professionnels partenaires du dispositif), sur prescription d'un médecin du service de santé universitaire ou d'un médecin généraliste, avec un renouvellement possible pour trois séances après nouvelle prescription médicale. Pour les enfants et adolescents de 3 à 17 ans souffrant de troubles psychiques légers à modérés, le Président de la République a annoncé, le 14 avril 2021, un dispositif d'urgence transitoire (le « forfait 100 % psy enfants »), déployé sur l'ensemble du territoire : il permet la prise en charge à 100 %, sans avance de frais, de 10 séances (un entretien initial bilan et jusqu'à 9 séances d'accompagnement psychologique) auprès d'un psychologue de ville choisi par la famille sur une liste nationale de professionnels figurant sur une plateforme. Ce dispositif s'inscrit dans un parcours de soins coordonné par le médecin, sur la base d'une prescription pouvant être établie par un médecin généraliste, pédiatre, hospitalier, médecin scolaire ou de PMI. Les séances devront être réalisées avant le 31 janvier 2022.

D'autres initiatives de remboursement de séances avec un psychologue émanent d' organismes complémentaires d'assurance maladie (OCAM). La Fédération nationale de la Mutualité française (FNMF) propose à ses adhérents le remboursement au premier euro de quatre séances de psychologue à hauteur de 60 euros par séance. Un bilan dressé après cinq mois de mise en oeuvre, entre fin mars et fin août 2021, fait état de 512 000 personnes ayant demandé au moins un remboursement pour une séance chez un psychologue, contre 200 000 sur toute l'année 2019.

b) Un dispositif dont la pérennisation, annoncée lors des Assises de la santé mentale et de la psychiatrie, a été actée en loi de financement de la sécurité sociale pour 2022 selon des modalités qui ne satisfont pas l'ensemble de la profession

Lors de son intervention en clôture des Assises de la santé mentale et de la psychiatrie le 28 septembre 2021, le Président de la République a annoncé que les consultations de psychologues seront prises en charge par l'assurance maladie à partir de l'âge de 3 ans à compter de 2022 , la cible principale étant constituée des patients souffrant de troubles dépressifs ou anxieux d'intensité légère à modérée.

Cette annonce a trouvé une concrétisation au cours de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022 : l'article 42 bis , inséré par l'Assemblée nationale 27 ( * ) , devenu l'article 79 de la loi promulguée, a précisé les conditions d'une prise en charge par l'assurance maladie obligatoire de séances d'accompagnement psychologique réalisées par un psychologue dans le cadre d'un exercice libéral ou en centre ou maison de santé, sous réserve que celui-ci soit signataire d'une convention avec l'organisme local d'assurance maladie. À des fins de régulation, le nombre de psychologues pouvant proposer ces séances et leur répartition selon les besoins de chaque territoire sera fixé annuellement par arrêté.

Cette avancée va dans le sens d'une plus grande reconnaissance du rôle des psychologues dans les prises en charge en santé mentale et, pour les patients, d'un renforcement de l'accessibilité financière à ces professionnels : c'est ce qui a conduit la commission des affaires sociales comme le Sénat à soutenir cette mesure lors de l'examen du PLFSS pour 2022.

Cependant, cette mesure a suscité, au sein de la profession de psychologue, des réserves importantes, liées notamment à la nécessité pour le patient d'être adressé par un médecin. La condition de prescription médicale obligatoire , qui rejoint les conclusions des Assises de la santé mentale et de la psychiatrie annoncées par le Président de la République, est en effet perçue, selon des représentants des psychologues entendus par les rapporteurs, comme une entrave pour des patients - notamment les plus jeunes d'entre eux - amenés à devoir justifier plusieurs fois de leur besoin de prise en charge ; un travail en collaboration avec d'autres acteurs (médecin ou autre tiers professionnel de santé, travailleur social, etc .) serait pour eux un meilleur reflet des pratiques courantes. Cette étape préalable, perçue comme une forme de « paramédicalisation » des psychologues, pourrait également s'avérer un frein dans des territoires médicalement sous-dotés, en retardant l'accès à une prise en charge.

La commission a considéré à ce stade, lors de l'examen du PLFSS pour 2022, que cela constituait toutefois un critère de qualité du suivi des patients requérant un accompagnement psychologique, conformément au principe du parcours de soins coordonné pour des actes pris en charge par l'assurance maladie obligatoire. Elle avait néanmoins proposé que le médecin du travail puisse assurer cette orientation, de par son rôle en matière de prévention des risques psycho-sociaux.

Les modalités de cette prise en charge, en termes de nombre de séances remboursées et de tarif de chaque séance, renvoyées à un décret en Conseil d'État, suscitent également des interrogations dans la profession. Le remboursement évoqué en conclusion des Assises, à savoir une base tarifaire de 40 euros pour la première consultation et de 30 euros pour les suivantes dans le cadre d'un forfait qui serait de l'ordre de huit séances, sans possibilité de dépassements d'honoraires, se situe en effet, pour certains professionnels, en deçà de leur niveau de rémunération habituel. Il faudra notamment veiller à ce que les organismes complémentaires d'assurance maladie, qui peuvent également prendre en charge les consultations psychologiques, ne s'en désengagent pas à l'avenir.

En outre, la commission avait relevé d'autres points de vigilance, parmi lesquels la question de la participation au dispositif des psychologues exerçant en milieu hospitalier, de même que des psychothérapeutes, en particulier si le dispositif venait à prendre de l'ampleur et à exercer une pression trop importante sur l'offre ambulatoire. Un autre engagement des Assises de la santé mentale et de la psychiatrie, à savoir le financement à hauteur de 80 millions d'euros dédié aux centres médico-psychologiques (CMP) pour la création de 800 postes supplémentaires à partir de 2022, sera à cet égard un levier complémentaire d'amélioration des prises en charge. Cette évolution renforce par ailleurs le besoin, évoqué plus haut, de mieux structurer la profession, via notamment l'instauration d'un code de déontologie conformément aux recommandations de l'inspection générale des affaires sociales dans un rapport d'octobre 201928 ( * ), dans le respect des pratiques individuelles.

Pour les rapporteurs, l'évaluation du dispositif devra enfin comporter des données sur l'évolution du profil des patients consultant des psychologues pour savoir si d'autres freins que financiers peuvent persister. Les chercheuses de l'Irdes auditionnées ont relevé qu'en Australie, une mesure similaire avait avant tout bénéficié aux personnes les plus favorisées.

En tenant compte de ces données, il serait nécessaire de procéder à un bilan de la mise en place de cette prise en charge, associant les professionnels concernés, avant l'échéance de l'évaluation de ce dispositif fixée en loi de financement de la sécurité sociale au 1 er septembre 2024 au plus tard.


* 22 Loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, article 69, complétée par le décret n° 2017-1200 du 27 juillet 2017 relatif au projet territorial de santé mentale et l'instruction n° DGOS/R4/DGCS/3B/DGS/P4/2018/137 du 5 juin 2018.

* 23 Décret n° 2019-836 du 12 août 2019 relatif au diplôme d'État d'infirmier en pratique avancée mention psychiatrie et santé mentale.

* 24 Contribution du Syndicat national des psychologues adressée aux rapporteurs.

* 25 D'après l'IGAS (rapport d'octobre 2019 sur la « Prise en charge cordonnée des troubles psychiques »), à l'Université du Québec à Montréal (Canada), la structure de la formation des psychologues (pour l'obtention du titre de docteur en psychologie) intègre des éléments scientifiques (statistiques, mathématiques...), et l'apprentissage de la pratique (internat clinique dédié d'une durée de 1 600 heures, formations obligatoires aux différentes approches thérapeutiques, travail en supervision médicale) ; les psychologues font partie intégrante du système de santé canadien.

* 26 Cf . rapport « charges et produits » pour 2022, juillet 2021.

* 27 Cet article résulte de l'adoption de quatre amendements identiques, déposés par le Gouvernement, Mme Agnès Firmin Le Bodo (Agir ensemble), MM. Philippe Vigier (Modem) et Éric Pouillat (La République en marche).

* 28 Prise en charge coordonnée des troubles psychiques : état des lieux et conditions d'évolution , rapport de l'inspection générale des affaires sociales n° 2019-002R, octobre 2019.

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