EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 15 décembre 2021, sous la présidence de Mme Catherine Deroche, présidente, la commission examine le rapport d'information de Mme Victoire Jasmin et M. Jean Sol, rapporteurs, sur la mission d'information santé mentale et covid-19

Mme Victoire Jasmin , rapporteure . - Depuis bientôt deux ans, nous vivons au rythme des flux et reflux de l'épidémie de covid-19.

Différentes études montrent que ce climat anxiogène d'incertitudes affecte la santé mentale d'un grand nombre de nos concitoyens, dont la vie sociale et parfois la situation économique se trouvent par ailleurs bouleversées. Certains publics, notamment les plus jeunes, sont particulièrement concernés.

Cette crise sanitaire fait peser une pression supplémentaire sur un système de prise en charge en santé mentale déjà en forte tension, dont nous connaissons les difficultés, si ce n'est la situation de crise. Mais elle a également favorisé une plus large prise de conscience de cet enjeu qui représente le premier poste de dépenses de l'assurance maladie, avec de nombreuses initiatives et innovations. La tenue les 27 et 28 septembre derniers des assises de la psychiatrie et de la santé mentale a répondu, bien que partiellement, à la demande forte des acteurs d'être enfin pris en considération.

Notre commission a souhaité aborder, dans ce contexte particulier, la question de la santé mentale sous le prisme de cette pandémie. Je remercie la présidente de nous avoir permis d'approfondir ce sujet.

Nous avons auditionné des acteurs institutionnels, des chercheurs auteurs d'études sur l'impact psychologique de la crise sanitaire, des psychiatres et pédopsychiatres, des représentants des psychologues ainsi que des associations impliquées dans l'accompagnement des plus vulnérables. Sous un angle territorial, nous avons également organisé une table ronde en visioconférence avec des acteurs de Guadeloupe.

Notre ambition n'était pas de dresser un énième panorama général de la situation de la psychiatrie et de la santé mentale. Sur ce sujet, les constats sont convergents et des propositions ont été formulées, notamment dans le rapport de la mission d'information sur la situation de la psychiatrie des mineurs en France présidée par Alain Milon en 2017, qui conservent leur pertinence et leur actualité.

Notre attention s'est portée sur les enjeux de prévention, de repérage précoce et de prise en charge de premier niveau des troubles de santé mentale. En effet, le contrecoup psychologique de la crise sanitaire amplifie des besoins en ce domaine.

M. Jean Sol , rapporteur . - Ce que certains médecins annonçaient très tôt comme une « vague en matière de santé mentale » qui suivrait la première vague de l'épidémie a en réalité démarré au tout début de la crise.

Au-delà du caractère anxiogène de la menace de la maladie, on ne peut ignorer l'impact des mesures prises pour lutter contre la propagation du virus, qui a fait l'objet de plusieurs études. En France, l'enquête CoviPrev conduite par Santé publique France donne un aperçu de ce retentissement. À titre d'exemple, la première semaine du confinement de mars 2020, les états anxieux concernaient 26,7 % de la population, soit quasiment le double de l'observation hors épidémie ; et les états dépressifs ont atteint plus du double du taux observé hors épidémie, avec 20,4 % de la population concernée à la fin du mois d'avril 2020.

L'analyse des chiffres au fil des différentes vagues de l'épidémie montre une situation fortement dégradée sur les indicateurs que sont l'anxiété, la dépression, les pensées suicidaires et les problèmes de sommeil. Cet état dégradé de la santé mentale est durable en dépit des variations constatées au fil des confinements ou déconfinements successifs.

Les résultats présentés sur la dernière vague de l'enquête, entre fin octobre et début novembre 2021, font encore état de 17 % de Français présentant des signes d'un état dépressif, soit 7 points au-dessus du niveau hors épidémie, et 23 % montrent encore des signes d'anxiété, soit 9 points de plus. Enfin, 10 % des Français ont eu des pensées suicidaires au cours de l'année, soit 5 points de plus qu'avant l'épidémie.

La consommation de médicaments confirme ces tendances. Ainsi, l'enquête EPIPHARE a souligné « une très forte augmentation amplifiée encore en 2021 » de la prescription d'antidépresseurs, antipsychotiques, anxiolytiques et hypnotiques. En 2021, les nouvelles prescriptions d'anxiolytiques sont en forte croissance, avec 15,2 % de nouveaux patients, cette dynamique touchant aussi les antidépresseurs, avec une augmentation d'instauration de 23 %.

Ces chiffres font surtout apparaître différents publics particulièrement vulnérables qui nécessitent une vigilance particulière. D'abord, les personnes souffrant déjà de troubles psychiques, avec une augmentation des facteurs d'angoisse et un abandon ou un mauvais suivi des traitements. Ensuite, les femmes et les jeunes, qui ont subi les retentissements domestiques et économiques de l'épidémie et des confinements. La réduction des interactions sociales et les violences domestiques ont particulièrement touché les jeunes, quand la précarité a renforcé l'impact de la pandémie en termes de santé mentale, particulièrement dans les familles monoparentales - souvent des femmes seules.

Les personnes âgées ont également subi davantage de souffrances psychologiques, du fait de leur isolement social et de la solitude durant la pandémie, à domicile comme en établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad).

Enfin, de manière attendue, les soignants ont été identifiés comme particulièrement vulnérables. Très exposés au virus, ils ont subi en matière de santé mentale les conséquences du stress, de l'épuisement et de la confrontation directe avec la mort.

Mme Victoire Jasmin , rapporteure . - Alors que la crise a conduit à une réorganisation profonde et en urgence des modalités de travail de nombreuses personnes, les conséquences sur la santé mentale du recours massif au télétravail ou des bouleversements du monde professionnel restent à évaluer. Une note scientifique de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) sur les risques psychosociaux liés à l'épidémie, dont notre collègue Michèle Meunier a été corapporteure, a récemment été publiée.

Le bilan des pathologies mentales est plus délicat à établir. À ce jour, il n'a pas été repéré d'évolution sensible du nombre de pathologies, comme les troubles bipolaires ou la schizophrénie.

Certaines études semblent conclure à une augmentation des tentatives de suicide, notamment chez les jeunes et, si le nombre de passages à l'acte semble avoir diminué durant le premier confinement, le nombre de tentatives sévères et de décès est resté stable, indiquant des passages à l'acte plus sévères en proportion.

En revanche, chez certains patients, des syndromes de résilience ont pu être observés, avec, au plus fort de la première vague, une baisse des symptômes de leur pathologie. Cet aspect reste pour le moment du ressort de la recherche.

Si de premières études sont déjà riches d'enseignements sur les conséquences de la crise sanitaire sur la santé mentale, des travaux plus approfondis seront nécessaires dans la suite de la pandémie et, surtout, à l'issue de celle-ci.

Nous insistons donc sur la nécessité de renforcer les crédits attribués à la recherche en santé mentale en général, qui restent très insuffisants. Au-delà du financement, il convient d'assurer la conduite de projets de recherches coordonnés au niveau national et au niveau européen.

De même, alors que certains médecins estiment entre 20 et 30 % la part de patients atteints de la covid présentant des signes dépressifs, l'impact de la maladie elle-même en matière psychologique et psychiatrique relève aujourd'hui de la recherche, notamment sur ce que l'on appelle communément les cas de « covid long ».

M. Jean Sol , rapporteur . - Au-delà des conséquences de l'épidémie sur la population générale, nous nous sommes aussi intéressés à la prise en charge des patients de psychiatrie depuis le début de la crise sanitaire.

Nos auditions ont montré que les difficultés rencontrées dans la prise en charge des patients relèvent, pour beaucoup, des lacunes substantielles déjà bien documentées dont pâtissent les services de psychiatrie, et particulièrement de pédopsychiatrie. Les recommandations maintes fois formulées demeurent malheureusement d'actualité.

Cependant, dans des conditions extrêmement difficiles, les services de psychiatrie ont aussi su s'adapter rapidement avec des moyens limités et contraints. Des unités covid ont été montées dans différents services et les médecins se sont efforcés de garder le lien, souvent par téléphone, avec les patients qu'ils ne pouvaient plus suivre du fait des confinements.

Des atteintes préoccupantes aux droits des patients ont été relevées, notamment en matière d'accès au juge dans les cas d'isolement contraint, en particulier au cours de la première vague. Cela mérite un suivi spécifique.

Globalement, la situation des services et les conclusions des études épidémiologiques justifient une vigilance renforcée sur les moyens apportés à la psychiatrie. En effet, alors que les établissements du service public hospitalier sont déjà saturés, cette « nouvelle vague » psychologique et psychiatrique augmentera la pression. Nous sommes inquiets de la capacité de notre système de soins à apporter une réponse adéquate à ces enjeux en psychiatrie, et peut-être encore davantage en pédopsychiatrie.

Le bilan de la prise en compte de la santé mentale dans la gestion de la pandémie est mitigé. Il serait faux de dire que rien n'a été fait, et sans doute trop facile de critiquer a posteriori la gestion dans l'urgence de la première phase de la pandémie. L'action du délégué ministériel à la santé mentale s'est appuyée très tôt sur les cellules de crise ad hoc, et des contacts réguliers ont été entretenus avec les référents territoriaux.

Cependant, les campagnes de prévention en la matière ont été tardives. Alors que les mesures de confinement, leur durée et leur ampleur étaient tout à fait inédites, une information trop faible a été délivrée pour accompagner la population. Alors que les Français étaient confinés, avec des autorisations de sortie d'une heure par jour, les conseils pour préserver un bon état psychologique ont été très insuffisants, dans des conditions inédites et dans un contexte de préoccupation majeure pour soi et ses proches. La campagne lancée au printemps 2021 par l'assurance maladie, Santé publique France et le Gouvernement a sans doute été la mieux relayée à ce sujet, mais elle intervenait un an après le début de la pandémie...

Mme Victoire Jasmin , rapporteure . - Cette crise sanitaire nous rappelle l'urgence d'augmenter l'investissement dans ce secteur, mais présente aussi une opportunité d'engager des changements attendus.

Un premier levier réside dans la prévention et l'information. La stigmatisation des troubles psychiques, toujours prégnante, est un facteur de non-recours aux soins. Le professeur Antoine Pelissolo nous a indiqué que, en raison d'un niveau d'information jugé « catastrophique », les représentations sur les maladies mentales dans notre pays étaient comparables à celles que l'on observait en Écosse il y a quarante ans : elles sont associées à la culpabilité, la honte et l'incompréhension.

La crise sanitaire a contribué à mieux faire connaître ces maladies. Le site psycom.org, cofinancé par Santé publique France et le ministère de la santé, délivre une information en direction de plusieurs publics et aide à s'orienter dans le système de prise en charge, avec un annuaire des structures néanmoins limité pour l'heure à l'Île-de-France. Un autre site, CléPsy, porté notamment par les équipes du service de pédopsychiatrie de l'hôpital Debré, s'adresse aux familles.

Ces sites ont vu leur fréquentation augmenter depuis le début de la crise sanitaire ; une campagne d'information engagée entre avril et mai 2021 a mieux fait connaître le site psycom.org.

Cette information grand public fiable, qui aide à rompre l'isolement, n'est naturellement pas adaptée à tous les publics ; un soutien direct est indispensable pour atteindre les plus fragiles, par des politiques d'« aller vers » reposant sur le travail de terrain d'équipes mobiles, comme celles que nous connaissons en matière d'addictions.

Plusieurs initiatives méritent d'être développées, à l'image du projet Premiers secours en santé mentale, pour l'heure ciblé sur le public étudiant, qui favorise la prévention et le repérage précoce à travers des démarches de pair à pair, suivant un modèle qui a fait ses preuves à l'étranger. Les actions de soutien à la parentalité devraient être, selon plusieurs spécialistes entendus, un autre domaine prioritaire pour des actions d'accompagnement et de repérage précoce des troubles chez l'enfant et l'adolescent.

Sur ce sujet de l'information, du repérage et du « premier contact » en santé mentale, nous avons pu constater, depuis le début de la crise sanitaire, un foisonnement d'initiatives publiques et privées : des applications proposant une auto-évaluation de son état mental, voire des conseils personnalisés, ou des sites proposant des téléconsultations avec des psychologues ont émergé. En octobre 2020, un rapport de retour d'expérience de la délégation ministérielle à la santé mentale et à la psychiatrie recensait 150 dispositifs innovants, dont 63 % sur l'initiative de structures publiques. Les lignes d'écoute se sont multipliées : l'agence régionale de santé (ARS) en recensait dix-huit pour la seule région d'Île-de-France, en portant un bilan cependant « mitigé » avec des lignes fermées peu de temps plus tard, pour d'autres un faible recours ou un bénéfice difficile à évaluer.

Notre rapport évoque, puisque nous en avons rencontré les équipes, la ligne Écoute Étudiants d'Île-de-France, portée par la fondation Fondamental et le numéro vert Psy Île-de-France, qui s'appuie sur l'expertise du centre psychiatrique d'orientation et d'accueil du groupe hospitalier universitaire (GHU) de Paris. Mise en place en avril 2020 avec le soutien de l'ARS et pérennisée depuis, cette ligne « Psy-IDF » propose une première ligne de réponse par des infirmiers, qui procèdent à une évaluation et à une orientation sous supervision médicale, et un recours possible à une seconde ligne d'écoute et de soutien psychologique.

Ces outils viennent combler un certain manque : facilement accessibles, ils aident des personnes à « franchir le pas » pour parler de leurs troubles psychiques, voire entrer dans un accompagnement. Ils permettent de capter une demande, de l'orienter, de la filtrer. C'est déjà une étape importante. Nous avons bien conscience, toutefois, qu'il ne peut s'agir que d'une offre de service complémentaire : l'outil numérique, qui peut se révéler excluant pour d'autres publics, ne saurait bien entendu tenir lieu de seule réponse.

Il nous faudra évaluer l'intérêt dans le temps de ces outils, notamment en termes de qualité des parcours de prise en charge et de continuité du suivi pour ceux qui proposent une mise en relation avec des professionnels par le biais de téléconsultations.

En outre, une plus grande cohérence entre les dispositifs gagnerait à être recherchée, non seulement dans un souci de lisibilité de l'offre, mais aussi pour que ces lignes d'écoute puissent être adossées à un réseau territorial de structures et de professionnels, à l'image de ce que peut faire Psy-IDF grâce à l'expertise du Centre psychiatrique d'orientation et d'accueil (CPOA).

Par ailleurs, en ce qui concerne les sites de téléconsultation adossés à des plateformes commerciales, un dispositif de certification des intervenants serait un gage de qualité.

M. Jean Sol , rapporteur . - Un autre levier d'amélioration des prises en charge en santé mentale réside dans l'organisation de parcours de proximité lisibles et accessibles.

D'après l'inspection générale des affaires sociales (IGAS), si 15 à 40 % de la file active des médecins généralistes présente un trouble mental ou une souffrance psychique, les outils cliniques permettant de repérer précocement ces troubles, tels que des questionnaires simples, restent globalement peu connus. Leur diffusion pourrait être étendue non seulement aux pédiatres, mais aussi auprès des acteurs de la médecine du travail ou scolaire.

Lors de son audition, le délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie a également suggéré d'intégrer ces professionnels de la prévention primaire dans les projets territoriaux de santé mentale (PTSM) en cours de structuration, actuellement au nombre de 104. Cela pourrait effectivement contribuer à une approche plus globale ou intégrée de la santé mentale. Il n'en demeure pas moins, pour l'heure, que ces projets de coordination des acteurs territoriaux sont encore perçus comme hétérogènes dans leur mise en oeuvre, même si la démarche ascendante et collaborative sur laquelle ils reposent est intéressante. Surtout, les moyens permettant une montée en puissance de ces outils chronophages pour les professionnels de terrain font encore souvent défaut.

Nous avons enfin porté une attention particulière à la place des acteurs non médecins dans les prises en charge de premier niveau.

Le rôle des infirmiers de pratique avancée, dont il existe depuis 2019 une mention en santé mentale et psychiatrie, nous semble utile pour renforcer la prévention et assurer la coordination de parcours souvent complexes pour les patients. Toutefois, leur nombre est encore modeste et, comme nous avons déjà eu l'occasion de le souligner dans cette commission, la reconnaissance d'un investissement de deux ans de formation reste trop mineure.

Les psychologues sont enfin des acteurs clés de la prise en charge de premier niveau. Ces derniers mois, nous avons été nombreux à être sollicités par leurs représentants et à entendre le mal-être d'une profession qui s'estime mal reconnue et mal valorisée dans le système de soins. Contrairement à d'autres pays, une approche médicale des prises en charge psychiques prédomine en France. De fait, les psychologues sont relativement isolés : ils ne participent pas aux PTSM, par exemple. La profession est peu structurée : il n'existe pas d'ordre ou de code de déontologie qui s'impose à ses membres. Les formations universitaires sont perçues comme hétérogènes et leur volet clinique insuffisant. Les représentants des psychologues eux-mêmes plaident pour un allongement de leurs études, sous la forme d'un doctorat professionnalisant, et pour une organisation de leur profession.

Pour revaloriser le positionnement des psychologues dans les parcours de prise en charge, en articulation avec les autres acteurs, une concertation sur ces différents sujets apparaît nécessaire.

La généralisation, par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2022, de la prise en charge par l'assurance maladie des séances réalisées avec un psychologue dès l'âge de trois ans n'a pas levé toutes les inquiétudes de la profession. Les conditions financières envisagées sont peu attractives et la prescription médicale obligatoire pourrait constituer un frein.

Notre commission a approuvé cette mesure phare des assises de la santé mentale et de la psychiatrie, qui fait suite aux expérimentations engagées depuis 2018. Elle a cependant souhaité qu'elle s'accompagne d'une meilleure organisation de la profession, dans le respect de son indépendance.

Il faut, selon nous, rester également attentif à ce que cette évolution contribue à lever les freins à un accompagnement par des psychologues, alors que d'autres freins - pas seulement financiers - peuvent exister.

Telles sont les principales conclusions tirées de nos travaux.

Cette crise sanitaire nous aura, une fois de plus, alertés sur l'enjeu de santé publique majeur que représente la prise en charge précoce des troubles psychiques et sur les carences de notre système de suivi, de prévention et de prise en charge de premier niveau.

En parler, c'est déjà se soigner : comme l'indique ce slogan de la campagne nationale de prévention, il faut dépasser la stigmatisation des maladies mentales. Cette crise, en révélant des vulnérabilités collectives, aura contribué à oeuvrer en ce sens. Saisissons cette opportunité pour engager des évolutions indispensables pour répondre aux attentes des patients comme des professionnels du secteur.

Mme Florence Lassarade . - Les psychiatres, grâce à leur formation médicale, ont su remarquablement organiser leurs services je l'ai constaté en Gironde, des secteurs « covid » spécifiques ont été mis en place et on a relevé très peu de contaminations, malgré la promiscuité.

Certaines pathologies se sont révélées en pédopsychiatrie : des jeunes filles de 11 à 12 ans présentaient des automutilations et un syndrome qu'on ne connaissait pas jusqu'alors. Sait-on ce qu'il est advenu de ces jeunes filles, dont l'état était extrêmement préoccupant ?

Qu'en est-il des trois consultations gratuites offertes aux étudiants ? Ce dispositif a-t-il porté des fruits ?

Mme Chantal Deseyne . - L'étude du CoviPrev relève 26,7 % d'états anxieux et/ou dépressifs, ce qui a entraîné une hausse des prescriptions d'anxiolytiques, dont les Français sont déjà de gros consommateurs. Des enquêtes ou études similaires ont-elles été conduites dans d'autres pays ? Comme vous, je dénonce la misère qui frappe la psychiatrie en France.

Mme Frédérique Puissat . - Une analyse du rôle anxiogène des médias durant cette période a-t-elle été réalisée ?

Mme Laurence Cohen . - Le rapport est principalement centré sur la notion de prévention et de prise en charge des troubles.

Pendant cette épidémie de covid-19, qui perdure, nous avons constaté un accroissement de la contention et de l'enfermement des patients, pas toujours à bon escient. Ces pratiques professionnelles risquent de perdurer au-delà de la crise sanitaire en raison non seulement du manque de personnel, mais aussi de son manque de formation. Nous avions auditionné le docteur Mathieu Bellahsen, alors chef de service à l'hôpital Roger-Prévot-de-Moisselles, qui avait dénoncé des enfermements abusifs, corroborés par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Beaucoup d'hôpitaux privilégient aujourd'hui des protocoles ; et si ça ne rentre pas dans les protocoles, ça ne marche pas. Quelle est votre analyse de cette situation ?

Vous avez évoqué les parcours de proximité. Que pensez-vous des centres médico-psychologiques (CMP) et des centres médico-psycho-pédagogiques (CMPP) ? Pour y obtenir un rendez-vous, il faut attendre un an. Les chiffres de la montée en puissance des pensées suicidaires chez les enfants et adolescents sont pourtant éloquents. Les plateformes d'écoute, comme vous l'avez souligné, ne peuvent suffire pour répondre à ces problèmes. Les professionnels, qui nous alertent, disent tous qu'ils ne sont pas en nombre suffisant.

Les psychologues souhaitent une meilleure organisation de leur profession, mais ils ne réclament pas forcément la création d'un ordre : ils veulent surtout la reconnaissance de leurs études et de leur qualification. Ils refusent également de rentrer dans des cases, car les thérapies sont multiples et nombreuses en fonction de chaque patient.

Sachez enfin que des assises de la santé mentale alternatives se tiendront en mars prochain, pour répondre à celles que le ministre a organisées et qui ont été très mal vécues par un certain nombre de professionnels.

Mme Corinne Imbert . - Avez-vous des éléments à nous communiquer sur la santé mentale des personnes âgées isolées, vivant à domicile ? Le confinement a été un accélérateur de perte d'autonomie pour celles qui avaient l'habitude de faire leurs courses, de conduire...

Mme Michelle Meunier . - Votre rapport met une nouvelle fois le doigt là où ça fait mal : manque de moyens, pénurie, faiblesse de la recherche...

Vous avez évoqué le rapport sur les risques psychosociaux post-covid que Pierre Ouzoulias et moi-même avons rédigé dans le cadre des travaux de l'Opecst. J'ai été surprise de la baisse du nombre des suicides, qui ne concerne pas que la France, alors que l'on a constaté une hausse de l'anxiété et de la consommation d'anxiolytiques. Ce constat diffus, sur lequel nous manquons encore de recul, mériterait d'être analysé.

J'appelle à consacrer davantage de moyens à la recherche, notamment sur le « covid long ». J'ai appris, lors de notre dernière audition, que dix études étaient d'ores et déjà financées. Soyons attentifs aux travaux qui seront menés.

M. Daniel Chasseing . - Vous constatez un doublement du nombre de personnes dépressives et soulignez combien il est nécessaire d'augmenter les crédits consacrés à la santé mentale et de répondre aux carences qui perdurent en psychiatrie et en pédopsychiatrie. Des postes de pédopsychiatres existent, mais il n'y a pas suffisamment de pédopsychiatres.

Cela étant dit, le taux constaté de 40 % de troubles mentaux chez les médecins généralistes me semble quelque peu élevé...

Mme Catherine Deroche , présidente . - Ce chiffre concerne seulement la file active, mon cher collègue.

Mme Victoire Jasmin , rapporteure. - Madame Lassarade, nous avons visité le CPOA du GHU, qui reçoit en urgence tous les patients qui se présentent. Nous avons pu observer que les services s'étaient très vite réorganisés afin de garantir le respect des gestes barrières.

Quant aux patients - je réponds à Mme Cohen, qui a parlé de contention -, certains d'entre eux ont été isolés parce que leur état rendait délicat le respect des gestes barrières, l'enjeu étant d'éviter la propagation du virus à partir de patients positifs.

Concernant les étudiants, au moment même où nous travaillions, la mission d'information sur les conditions de la vie étudiante rendait ses conclusions. Nous avons constaté que beaucoup de jeunes se trouvaient en effet dans des situations difficiles. Un accompagnement psychologique a été proposé par le Gouvernement - je pense au « chèque psy ». Certes insuffisant - les psychologues nous l'ont dit -, ce dispositif constitue néanmoins une première ébauche de prise en charge des jeunes.

Madame Deseyne, la tendance sur les phénomènes anxieux et dépressifs est aussi constatée d'autres pays. À titre d'exemple, le Japon a interpellé très tôt sur les risques en termes de santé mentale lors de la première vague. Cependant, concernant la consommation de médicaments je n'ai pas de comparaisons sur ce sujet, l'évolution doit vraisemblablement être comparable.

Nous insistons par ailleurs, dans notre rapport, sur la nécessité de démarches transversales, de protocoles communs, au niveau européen.

Madame Imbert, on constate effectivement, chez les personnes âgées et isolées, à leur domicile notamment, beaucoup de syndromes liés à la solitude, et à l'isolement. Concernant la consommation de médicaments, la hausse est aussi constatée mais moindre que dans le reste de la population cette tranche d'âge par ailleurs une consommation en temps normal.

M. Jean Sol , rapporteur. - Sur le rôle des médias, qu'a évoqué Frédérique Puissat, nous n'avons pas réalisé d'étude particulière, mais nous sommes bien d'accord : les médias ont contribué à l'entretien d'un climat anxiogène délétère. Santé publique France a d'ailleurs émis des recommandations à cet égard, invitant les Français à ne pas regarder excessivement l'information en continu durant le confinement.

La question de la prise en charge des patients de la contention et de l'enfermement, soulevée par Mme Cohen, est un sujet de préoccupation en effet, qui n'est pas nécessairement limité à la période covid..

Quant aux plateformes d'écoute, il s'agit d'un outil nouveau, qui complète ce qui existait déjà, mais n'a pas vocation à remplacer une véritable prise en charge.

Les assises de la santé mentale et de la psychiatrie ont abouti à un renforcement des CMP. Certains délais d'attente, néanmoins, continuent de dépasser les six mois - je pense aux enfants et aux adolescents notamment. Le plan d'urgence prévoit, en la matière, une dotation de 1,9 milliard d'euros sur cinq ans. Cette question fait l'objet de propositions récurrentes - je vous renvoie par exemple au rapport d'information du Sénat sur la situation de la psychiatrie des mineurs en France.

Michelle Meunier a évoqué l'évolution du nombre de suicides. Je confirme qu'il a baissé pendant le confinement, mais tel n'est pas forcément le cas sur le temps long. À tirer des conclusions trop hâtives, nous risquons d'avoir de mauvaises surprises... Le nombre de tentatives a certes baissé, mais pas celui des tentatives très sévères. L'augmentation est même sensible et préoccupante chez les moins de 15 ans, ce phénomène n'étant toujours pas enrayé à ce jour.

Daniel Chasseing a raison de dire que, en matière de pédopsychiatrie, c'est moins le nombre de postes ouverts qui pose problème que la difficulté à les pourvoir. Ce défaut d'attractivité est connu de longue date, d'autant que la pédopsychiatrie est surtout assumée par le secteur public.

Mme Victoire Jasmin , rapporteure. - Concernant les plateformes d'écoute, leur portée est certes limitée, mais bien réelle dans la prévention des suicides : les personnes signalées et identifiées ont systématiquement été rappelées et un contact de confiance a pu s'installer. Ce dispositif n'est pas toujours d'une grande fiabilité - toutes les plateformes n'ont pas été évaluées -, mais il a eu du bon, manifestement.

M. Jean Sol , rapporteur. - Celles que nous avons pu observer fonctionnaient relativement bien : écoute, accueil, conseil, information, accompagnement. Pour ce qui est de l'évaluation, il est effectivement un peu prématuré d'en parler aujourd'hui.

Mme Catherine Deroche , présidente . - Merci pour ce rapport sur un sujet difficile ; il témoigne à nouveau de la faiblesse de notre système de santé mentale.

La commission donne acte aux rapporteurs de leur communication et en autorise la publication sous la forme d'un rapport d'information.

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