B. RÉFORME INDISPENSABLE, LE NOUVEAU PACTE FERROVIAIRE EST INSUFFISANT

1. Vertueuse d'un point de vue financier, la réforme ne règle pas toutes les difficultés de gouvernance

La loi du 27 juin 2018 pour un nouveau pacte ferroviaire , l'ordonnance du 3 juin 2019 et ses décrets d'application prévoient la transformation au 1 er janvier 2020 des trois EPIC existants en une nouvelle organisation composée de cinq sociétés anonymes (SA) . La SNCF, société anonyme à capitaux publics détenue à 100 % par l'État, est la holding du groupe. Détenue par la SA SNCF, SNCF Voyageurs regroupe les différentes entreprises ferroviaires de transport de voyageurs du groupe. SNCF Réseau, également détenue par la société mère SNCF, est le gestionnaire d'infrastructure. Fret SNCF a le statut de société par actions simplifiée (SAS) et est également une filiale de la SA SNCF. Enfin, Gare et Connexions est une filiale de SNCF Réseau qui gère et exploite les gares.

L'enjeu du nouveau pacte ferroviaire est d' améliorer la compétitivité de la SNCF dans un contexte d'ouverture du marché domestique de transports de voyageurs à la concurrence en application des dispositions du quatrième paquet ferroviaire européen (présenté en annexe 1). Le nouveau pacte ferroviaire vise aussi à créer un système ferroviaire autoporteur financièrement . Pour cela, il entend notamment réformer les relations qu'entretiennent l'État et la SNCF. Cette réforme s'est notamment appuyée sur certains des constats et des conclusions du rapport sur l'avenir du transport ferroviaire du 15 février 2018, dit rapport Spinetta (présenté en annexe 1) 5 ( * ) .

Le nouveau cadre juridique suppose la conception et le suivi d'un plan stratégique établi par les organes de gouvernance du groupe. L'une des vocations de la réforme est de responsabiliser davantage le management de la SNCF . La réduction de la taille de son conseil d'administration est sensée lui conférer une plus grande agilité. Cette nouvelle organisation devait également se traduire par une meilleure gestion tandis qu'elle impose des règles financières plus rigoureuses.

Cette nouvelle gouvernance porte néanmoins en elle le risque de l'émergence d'un système en silo générant un manque de coordination entre les différentes composantes du groupe. Les rapporteurs spéciaux ont pu constater, que localement, de plus en plus souvent, ce sont les régions , fortes de leur vision globale du service, qui participent à la coordination et à fluidifier la circulation de l'information entre les différentes entités du groupe SNCF.

Un des principaux acquis de la réforme, l'extinction du statut de cheminot pour les nouveaux recrutements à compter de 2020 permettra d'améliorer la compétitivité-coût de la SNCF.

Pour prévenir la reconstitution d'une dette que l'État s'est engagé à reprendre à hauteur de 35 milliards d'euros, la réforme de 2018 prévoit de renforcer la règle d'or (présentée en annexe 2) qui doit protéger SNCF Réseau. En marge de la réforme, parce que la dette de la SNCF était devenue insoutenable , qu'elle obérait toute possibilité d'amélioration financière du groupe et qu'elle était incompatible avec le nouveau statut de société anonyme de SNCF Réseau, l'État a pris l'engagement d'en reprendre 35 milliards d'euros . Cette reprise, totalement effective depuis le 1 er janvier 2022, s'est effectuée en deux temps : 25 milliards d'euros au 1 er janvier 2020 puis 10 milliards d'euros au 1 er janvier 2022.

Les rapporteurs spéciaux rappellent que cette dette avait été accumulée en raison du sous-investissement chronique de l'État dans les infrastructures ferroviaires et que sa reprise par la puissance publique était devenue indispensable, notamment pour alléger des frais financiers devenus totalement insoutenables. En 2020, les frais financiers du gestionnaire d'infrastructures ont ainsi été réduits de plus de moitié.

La réforme de 2018 a aussi fait évoluer le système de financement du réseau . En renforçant le circuit de financement de SNCF Réseau au moyen des bénéfices générés par SNCF Mobilités 6 ( * ) versés au fonds de concours et destiné à subventionner le gestionnaire d'infrastructure, la réforme porte l'ambition de créer un système ferroviaire financièrement autoporteur 7 ( * ) . Une part significative des bénéfices réalisés par l'activité voyages et, plus particulièrement par les dessertes TGV rentables, doit participer à financer la rénovation du réseau. Toutefois, cette situation ne va pas sans instaurer une relation ambivalente entre les deux filiales, la santé financière du gestionnaire d'infrastructure étant dépendante des résultats de l'opérateur de transport historique. Au-delà de cette situation ambigüe, l'indépendance véritable du gestionnaire d'infrastructure au sein du groupe ferroviaire unifié interroge . L'ambition d'autofinancement du système ferroviaire s'appuie aussi sur un système d'intégration fiscale qui permet à la société mère SNCF de percevoir l'écart entre le montant de l'impôt sur les sociétés qui lui est versé par ses filiales et l'impôt sur les sociétés dû à l'État.

Par ailleurs, l'ART , qui a notamment la mission d'accompagner l'ouverture à la concurrence du secteur ferroviaire, s'est vu octroyer de nouvelles compétences . Ainsi, l'ordonnance n° 2018-1135 du 12 décembre 2018 élargit-elle ses missions en matière de régulation des autorisations d'accès aux nouveaux services librement organisés (SLO) de transports de voyageurs, de règlement des différends en cas de non-respect des garanties d'indépendance de SNCF Réseau, de défaut de transmission d'informations, de gestion de la circulation et de saisine pour avis sur les contrats de service public. Ces missions renforcées visent à rendre effective l'ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs.

Si le nouveau pacte ferroviaire présente des leviers essentiels pour que la SNCF gagne en compétitivité, il risque cependant de ne pas aboutir à la révolution attendue et la situation financière du groupe reste très inquiétante.

2. Les paramètres sous-jacents de la réforme remis en cause

Trois hypothèses sous-jacentes conditionnaient les résultats de la réforme de 2018 en termes de retour à l'équilibre financier de la SNCF. Elle supposait premièrement un réseau ferroviaire rénové mais constant , c'est-à-dire sans nouveaux développements, deuxièmement un fret ferroviaire stable et, troisièmement, une activité TGV très dynamique susceptible de porter financièrement le modèle économique de l'ensemble du système.

Ces trois hypothèses sont tout ou partie remises en causes aujourd'hui. Le premier paramètre a été modifié par des décisions gouvernementales qui apparaissent comme des revirements par rapport aux engagements pris en 2017 . Outre le caractère sensiblement insuffisant des financements consacrés à la régénération et à la modernisation du réseau, en 2021, le Gouvernement a annoncé des investissements importants dans de nouvelles LGV . Ces décisions vont à rebours des engagements pris par l'État et de la philosophie de la loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités (LOM) qui entendait concentrer les investissements sur la rénovation des infrastructures existantes et les mobilités du quotidien. Ce revirement, qui participe à compromettre les équilibres du nouveau pacte ferroviaire, ne va pas sans susciter l'interrogation des rapporteurs spéciaux.

Autre paramètre qui conditionnait l'équilibre de la réforme de 2018, la stabilité du fret ferroviaire est remise en cause, cette fois pour une très bonne raison, à savoir l'annonce d'un plan ambitieux de relance de cette activité qui doit permettre de doubler sa part modale d'ici 2030. Si cette ambition est plus que vertueuse aux yeux des rapporteurs spéciaux, elle n'en remet pas moins en cause les hypothèses sur lesquelles la réforme avait été conçue.

Enfin, la troisième hypothèse forte de la réussite de la réforme de 2018, la plus déterminante de toute en raison de la dépendance de l'ensemble du modèle à la rentabilité du TGV, a été profondément bouleversée par la crise sanitaire. Incertaines du fait des conséquences structurelles de la crise sur les mobilités, les perspectives de moyen-long terme de l'activité grande vitesse font peser une menace sur les équilibres du modèle de financement de la SNCF et du système ferroviaire dans sa globalité.


* 5 Rapport au Premier ministre portant sur « l'avenir du transport ferroviaire » de la mission conduite par Jean-Cyril Spinetta, 15 février2018.

* 6 Mécanisme créé par la réforme de 2014.

* 7 Désormais, le montant des résultats du groupe SNCF affectés au fonds de concours destinés à SNCF Réseau correspondra à 60 % de son bénéfice net récurent et non plus au 40 % prévu par la réforme de 2014.

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