C. SNCF VOYAGEURS FAIT PESER UNE MENACE SUR LE MODÈLE DE FINANCEMENT DU FERROVIAIRE

1. Au plus fort de la crise, les collectivités locales ont préservé la situation financière de la SNCF

Le transport ferroviaire de voyageurs a connu une baisse substantielle en 2020. En voyageurs par kilomètre (voyageurs.km), la fréquentation des trains a diminué de 41 % tandis que l'offre de transport s'est contractée de 21 % en trains par kilomètres (trains.km). Ainsi que le précise l'annexe 22, les différentes activités de transport de voyageurs ont néanmoins été différemment affectées.

Si SNCF Voyageurs a pris intégralement à son compte les conséquences financières de la crise sur les services librement organisés (non subventionnés), principalement la grande vitesse, elle a pu bénéficier, s'agissant des services conventionnés (les TER, les transiliens et les trains d'équilibre du territoire) d'un très large soutien financier de la part des autorités organisatrices .

En ce qui concerne les trains d'équilibre du territoire (TET) , la signature du cinquième avenant à la convention d'exploitation a conduit à en réviser la trajectoire financière pour tenir compte des conséquences financières de la crise. Ces conséquences ont été estimées à 47,8 millions d'euros en 2020, prises en charge à 55 % par l'État 97 ( * ) . Cet avenant a également prévu un mécanisme de répartition des conséquences financières de la crise au titre de la gestion 2021 au cours de laquelle l'État devait prendre à sa charge entre 90 et 100 % des pertes d'exploitation.

S'agissant de l'activité transilien une répartition paritaire des pertes d'exploitation a été négociée en 2020 entre SNCF Voyageurs et Île-de-France mobilités (IDFM). Pour 2021, IDFM devait assumer 90 % des pertes .

Concernant les services TER, des accords ont été négociés et signés au cas par cas entre les régions et la SNCF pour définir les modalités de partage des pertes d'exploitation. La SNCF considère qu'au regard des clauses des contrats, et malgré le caractère exceptionnel de la crise, les régions sont légalement tenues de prendre en charge l'intégralité des pertes d'exploitation constatées. De nombreuses régions contestent cette interprétation, considérant que l'équilibre économique des conventions s'est trouvé bouleversé par la pandémie . Cependant elles ont assumé financièrement la très grande majorité des pertes d'exploitation résultant de la crise.

Néanmoins, des négociations sur la question restent complexes entre certaines régions et SNCF Voyageurs. Les trajectoires et perspectives financières de SNCF Voyageurs, qui intègrent les ressources attendues des régions au titre des compensations des pertes d'exploitation, pourraient s'en trouver fragilisées . Le total des pertes d'exploitation de l'activité TER a atteint 300 millions d'euros en 2020 et pourrait avoir dépassé les 450 millions d'euros en 2021 .

2. Une situation financière préoccupante et une augmentation fulgurante de la dette
a) 2020 : une situation financière profondément déséquilibrée en dépit des efforts financiers considérables consentis par les régions

Significatives pour l'opérateur historique, les conséquences financières spécifiquement liées à la crise sont décrites dans l'annexe 22.

Entre 2019 et 2020, le chiffre d'affaires de la société SNCF Voyageurs a chuté de près de 30 % et 5 milliards d'euros . Le chiffre d'affaires constaté en 2020 a été inférieur de presque 6 milliards d'euros par rapport au montant inscrit dans le budget initial. En 2021, le chiffre d'affaires de la société demeure inférieur de plus de 18 % à son niveau de 2019.

Évolution du chiffre d'affaires de SNCF Voyageurs entre 2019 et 2021

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents financiers de la SNCF

En 2020, l'activité voyages s'est littéralement effondrée de 55 % et 4,4 milliards d'euros . Si la perte d'activité sur les TGV domestiques a atteint 45 %, elle a culminé à 80 % et 70 % sur l'Eurostar et le Thalys . Le chiffre d'affaires de Voyages SNCF est passé largement sous les 4 milliards d'euros, inférieur de plus d'1 milliard d'euros à celui de l'activité TER.

Si son activité open access a fait plonger le chiffre d'affaires de SNCF Voyageurs en 2020, il n'en va pas de même pour les services conventionnés qui se sont maintenus à la faveur d'efforts financiers très significatifs des régions et d'Île-de-France mobilités (IDFM). Aussi, pour SNCF Voyageurs, en pleine crise sanitaire, le chiffre d'affaires des services TER ne s'est-il replié que de 4 % , pour passer légèrement sous les 5 milliards d'euros tandis que celui de Transilien a même progressé de 2 % . En revanche, l'activité intercités, plus vulnérable 98 ( * ) , a vu son chiffre d'affaires baisser de 35 %.

De par leur engagement financier exemplaire, les autorités organisatrices régionales ont assumé la majeure partie des conséquences de la crise et apporté une bouffée d'air qui a évité à SNCF Voyageurs un véritable cataclysme financier .

Répartition du chiffre d'affaires de SNCF Voyageurs entre 2019 et 2020

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents financiers de la SNCF

Avant la crise , de 2015 à 2019, le chiffre d'affaires de SNCF Voyageurs 99 ( * ) affichait une légère progression d'environ 9 % tiré par le TER (+ 26 %), le Transilien (+ 15 %) et les activités longue distance hors intercités (+ 13 %). Le chiffre d'affaires des trains intercités s'est quant à lui effondré de près de 40 % sur cette même période.

Évolution du chiffre d'affaires des principales activités
de SNCF Voyageurs (2015-2020)

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents financiers de la SNCF

En 2019, les charges d'exploitation de SNCF Voyageurs approchaient les 14 milliards d'euros . En 2020, elles se sont rétractées à environ 12 milliards d'euros.

Évolution des charges d'exploitation de SNCF Voyageurs

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents financiers de la SNCF

Les charges de personnel de SNCF Voyageurs s'élevaient à 4,4 milliards d'euros en 2019 , soit environ un tiers du total de ses charges d'exploitation. Leur baisse de 400 millions d'euros en 2020 s'explique principalement par le dispositif d'activité partielle et les exonérations de cotisations sociales (166 millions d'euros) ainsi que par les conséquences de la crise sur l'activité de la société. Environ 100 millions d'euros ont pour origine la baisse des effectifs.

Hors péages et énergie, les achats et charges externes représentaient près de 4,5 milliards d'euros en 2019, soit également un tiers des charges d'exploitation. Ce poste de charge s'est rétracté d'environ 450 millions d'euros en 2020 100 ( * ) , majoritairement du fait d'une réduction des volumes d'achats liés à la crise.

Les péages représentent un coût plus lourd d'année en année pour SNCF Voyageurs. Ce fardeau pèse sur la situation et les perspectives financières de la société (voir infra ). En 2019 , ils avaient atteint 3,6 milliards d'euros . Néanmoins, en 2020, en raison des répercussions de la crise sanitaire sur la circulation des trains, le montant des péages acquittés par SNCF Voyageurs a diminué de près de 700 millions d'euros (20 %).

La facture énergétique de traction représentait 3 % des charges d'exploitation en 2019. En raison de la baisse d'activité, elle a diminué de 37 millions d'euros en 2020 pour s'établir à environ 400 millions d'euros. En 2021 et en 2022, la reprise d'activité se conjuguera avec la hausse des prix de l'énergie pour entraîner une forte augmentation de ce poste de charges.

Répartition des charges d'exploitation 2019

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents financiers de la SNCF

Si en 2019 sa capacité d'autofinancement (CAF) nette des remboursements en capital de la dette ainsi que sa marge opérationnelle (MOP) permettaient à SNCF Voyageurs de couvrir ses dépenses d'investissement, tous les indicateurs financiers de la société se sont drastiquement effondrés en 2020.

Aussi, la situation financière de la société est -elle désormais très déséquilibrée et préoccupante compte-tenu des incertitudes qui pèsent sur ses perspectives. En effet, le déficit de compétitivité persistant de l'opérateur pourrait lui faire perdre des parts de marché dans un environnement devenu concurrentiel et même si l'ouverture à la concurrence stimulera la croissance de l'offre de transport. Par ailleurs, la crise actuelle aura des effets de long terme voir permanents qui ne manqueront pas d'affecter les perspectives financières de SNCF Voyageurs.

Évolutions des principaux indicateurs financiers de SNCF Voyageurs

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents financiers de la SNCF

Ainsi, la MOP de SNCF Voyageurs s'est-elle réduite de 2,4 milliards d'euros en 2020 pour tomber à un niveau négatif de 671 millions d'euros. La CAF nette (- 784 millions d'euros) comme le résultat net (- 1 257 millions d'euros) sont eux aussi passés en territoire fortement négatifs. En 2021, la MOP de SNCF Voyageurs est remontée en territoire positif (328 millions d'euros) mais à un niveau qui reste inférieur de 81 % à celui de 2019.

Enfin, le cash-flow libre (CFL) de SNCF Voyageurs qui était déjà négatif de plus de 70 millions d'euros avant la crise, a plongé de 600 millions d'euros en 2020.

Répartition de la marge opérationnelle de SNCF Voyageurs (2019-2020)

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents financiers de la SNCF

La diminution de la MOP de SNCF Voyageurs en 2020 ne s'explique que par les activités de Voyages SNCF, dominées par les services grande vitesse en open access . Ainsi la MOP de SNCF Voyages s'est-elle effondrée de près de 3 milliards d'euros .

Inversement, la marge opérationnelle des services conventionnés financés par les autorités organisatrices régionales a augmenté en 2020 , de 55 millions d'euros pour les TER et de 265 millions d'euros pour les Transiliens. Cette différence manifeste entre les activités conventionnées et non conventionnées vient une nouvelle fois corroborer l'effort considérable réalisé par les régions pour absorber les pertes financières liées à la crise sanitaire .

Concernant l'évolution du CFL, la même dichotomie entre services conventionnés et non conventionnés s'observe. Il apparaît en effet que cette baisse globale a été très fortement atténuée par la progression des CFL relatifs aux activités Transilien (+ 830 millions d'euros) et TER (+ 230 millions d'euros) tandis que le flux de trésorerie de Voyages SNCF se dégradait de plus de 2,2 milliards d'euros.

Les rapporteurs spéciaux constatent encore une fois à quel point les régions ont contribué à soutenir les finances de SNCF Voyageurs en 2020.

Répartition du CFL de SNCF Voyageurs (2019-2020)

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents financiers de la SNCF

Dans la mesure où l'activité et les résultats de SNCF Voyageurs jouent un rôle absolument déterminant dans les équilibres du modèle économique du réseau ferré, le risque que sa situation financière soit durablement affectée par des stigmates provoqués par la crise fait peser une lourde menace susceptible de faire dérailler l'ensemble du système de financement du secteur ferroviaire national.

En effet, SNCF Voyageurs contribue massivement au financement de SNCF Réseau , d'une part à travers le versement des péages , directement liés au volume d'activité de l'opérateur, et, d'autre part à travers le versement d'une part de ses bénéfices au fonds de concours dédié au financement de la régénération du réseau. Cette dernière ressource, qui reste essentielle dans les équilibres économiques établis par le nouveau pacte ferroviaire de 2018, est mise en péril par l'évolution du résultat de SNCF Voyageurs. Si son résultat net s'est contracté de 1,5 milliard d'euros en 2020 pour atteindre - 1,3 milliard d'euros, l'effondrement de son résultat net récurent est plus violent encore puisqu'il dépasse les 2 milliards d'euros, son niveau plongeant en territoire négatif au-delà de 1,6 milliard d'euros.

Évolution du résultat net et du résultat net récurrent de SNCF Voyageurs

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents financiers de la SNCF

L'article 36 de la loi n° 2021-1900 du 30 décembre 2021 de finances pour 2022 , a répondu à une demande forte et récurrente de la SNCF, partagée également par la Cour des comptes dans ses notes d'exécution budgétaire du feu compte d'affectation spéciale (CAS) « Services nationaux de transport conventionnés de voyageurs » (SNTCV). La SNCF a ainsi obtenu la suppression , dès le 1 er janvier 2022 pour la contribution de solidarité territoriale (CST) et au 1 er janvier 2023 pour la taxe sur le résultat des entreprises ferroviaires (TREF), de deux taxes qui avaient vocation, dans le cadre du CAS précité 101 ( * ) , à participer au financement du déficit d'exploitation des trains d'équilibre du territoire (TET).

Créées dans une logique de péréquation et d'autofinancement du ferroviaire, ces deux taxes pesaient exclusivement sur l'activité grande vitesse de SNCF Voyageurs. La suppression du CAS SNTCV en 2020, les perspectives d'ouverture à la concurrence des transports domestiques de voyageurs et le fait que les TET relèvent d'une politique d'aménagement ferroviaire du territoire qu'il est plus cohérent de faire financer par des contributions publiques, justifiaient la suppression de ces deux taxes.

Cette suppression va se traduire par une diminution des charges fiscales annuelles acquittées par SNCF Voyageurs de plus de 240 millions d'euros (16 millions d'euros au titre de la CST et 226 millions d'euros au titre de la TREF). D'ici 2030, le gain financier pour SNCF Voyageurs s'élèvera à près de 2 milliards d'euros . Les rapporteurs spéciaux considèrent que cette décision nécessaire mais non moins coûteuse pour l'État doit nécessairement se conjuguer avec des efforts de performance redoublés de la part de la SNCF .

b) Un coût des péages de plus en plus lourd qui compromet les perspectives financières de la société

Le coût des péages (3,6 milliards d'euros en 2019) pèse fortement sur l'équilibre financier de SNCF Voyageurs . Leur poids a augmenté de façon structurelle dans les coûts d'exploitation du TGV (de 35 % en 2010, cette part est passée à 45 % en 2019) et les recettes commerciales (environ 40 % avant la crise). Si les péages acquittés par SNCF Voyageurs ont sensiblement baissés en 2020 compte tenu de la diminution du trafic, rapportés aux recettes de la société, leur niveau s'est fortement apprécié, passant de 38 à 56 %. La question de la soutenabilité des péages pour SNCF Voyageurs est posée . Leur poids grandissant constitue une menace pour l'équilibre financier de la société.

Les rapporteurs spéciaux ont acquis la conviction que le niveau des péages en France est devenu aujourd'hui une entrave majeure au développement du transport ferroviaire . Au-delà des seules perspectives financières de SNCF Voyageurs, c'est l'ensemble du système ferroviaire qui en souffre. Cette situation constitue un frein à l'ouverture à la concurrence et la hausse programmée des péages sur les activités conventionnées promet un effet délétère sur l'offre de services TER du fait des contraintes financières des régions. Face à ce constat, ils souhaitent une remise à plat complète des équilibres de financement du réseau ferré national .

Pour SNCF Voyageurs, cette situation constitue également un exemple des relations ambivalentes qui prévalent au sein du groupe ferroviaire intégré. En effet, l'équilibre financier de SNCF Réseau est essentiellement dépendant de péages qui pèsent fortement sur la situation financière de SNCF Voyageurs dont dépend également SNCF Réseau puisqu'il se voit attribuer une part des bénéfices dégagés par SNCF Voyageurs via le fonds de concours.

Au-delà des questions d'indépendance du gestionnaire d'infrastructure dans le cadre d'un marché devenu concurrentiel, cette question des relations financières ambivalentes entre SNCF Voyageurs et SNCF Réseau a convaincu les rapporteurs spéciaux de recommander la séparation claire entre les deux entités à travers une sortie de SNCF Réseau du groupe ferroviaire intégré.

c) Alors qu'elle était sur le point de la voir s'éteindre, SNCF Voyageurs va être durablement affaiblie par sa dette

La dette de SNCF Voyageurs a augmenté de 1,4 milliard d'euros en 2020 pour atteindre 3,3 milliards d'euros , soit 3,1 milliards de plus que le montant prévu au budget initial 2020. En 2021, elle approche les 3,5 milliards d'euros.

Évolution de la dette de SNCF Voyageurs (2019-2021)

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents financiers de la SNCF

L'endettement généré par la crise mettra au moins dix ans à se résorber alors que SNCF Voyageurs était sur le point de se désendetter quasi totalement avant la crise. L'effort nécessaire de désendettement de SNCF Voyageurs va peser dans les prochaines années sur sa capacité d'investissement, ses perspectives de croissance et ainsi sur ses équilibres financiers structurels. Certains de ses homologues européens, qui ont reçu des aides publiques pour leurs services non conventionnés, ne subiront pas les mêmes contraintes.

À ce titre, les rapporteurs spéciaux rappellent que, contrairement à certains de nos voisins comme l'Italie ou l'Allemagne, le Gouvernement a fait le choix de ne pas recourir aux dérogations exceptionnelles permises par le droit de l'Union européenne 102 ( * ) pour soutenir les opérateurs de transport ferroviaire . Quand bien même le vote par le Parlement de la suppression de la contribution de solidarité territoriale (CST) et de la taxe sur le résultat des entreprises ferroviaires (TREF) aura un effet sensible sur l'équilibre financier de SNCF Voyageurs, l'enjeu du poids de la dette héritée de la crise reste néanmoins entier.

d) L'effondrement des investissements de SNCF Voyageurs : une menace pour sa compétitivité et ses perspectives financières

En 2020, les investissements de SNCF Voyageurs se sont littéralement effondrés . Les investissements nets de la société ont ainsi baissé de 908 millions d'euros , soit de 80 % , passant de plus de 1,1 milliard d'euros à seulement 0,2 milliard d'euros. 353 millions d'euros de la baisse constatée s'expliquent par le plan d'économies de crise mis en oeuvre par la société. Ils concernent notamment des investissements dans le renouvellement du matériel roulant pourtant indispensables et essentiels pour améliorer la compétitivité de l'opérateur et assurer son équilibre financier de long terme .

Dépenses d'investissement de SNCF Voyageurs

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents financiers de la SNCF

Au-delà des réductions de dépenses décidées dans le cadre du plan d'économies de crise, les investissements de l'ensemble des activités de la société se sont particulièrement contractés . L'activité Transilien est celle qui a été la plus touchée avec une baisse de près de 400 millions d'euros de ses investissements largement liée aux projets d'acquisition et de renouvellement du matériel roulant. La grande vitesse a vu ses dépenses se comprimer de plus de 200 millions d'euros , là encore principalement en raison de renoncements et décalages dans des projets d'acquisition et de renouvellement de matériel roulant. L'activité TER a connu une baisse de plus de 150 millions d'euros de ses dépenses d'investissements concernant tant le matériel roulant que ses installations fixes. Enfin, en raison du report d'importantes dépenses de matériel roulant, les investissements nets des services intercités ont baissé de près de 100 millions d'euros .

Les rapporteurs spéciaux considèrent que ces renoncements ou reports d'investissements dans le matériel roulant, associés aux enjeux du poids croissant des péages et du fardeau de la dette, sont autant de menaces qui planent sur les nécessaires gains de productivité de la société et sur ses perspectives financières à moyen - long terme.

e) Sur les activités conventionnées, SNCF Voyageurs est portée par un soutien financier toujours plus conséquent des régions

L es rapporteurs spéciaux ont été frappés par les efforts financiers consentis par les autorités organisatrices régionales pour soutenir l'équilibre économique des services conventionnés et donc, par voie de conséquences, de SNCF Voyageurs et du groupe SNCF dans son ensemble au cours de la crise sanitaire. Plus généralement, ils mesurent l'ampleur de la montée en puissance structurelle des autorités organisatrices régionales dans le modèle de financement du ferroviaire en France. La situation et les perspectives financières de la SNCF s'avèrent être de plus en plus dépendantes des contributions financières des autorités régionales.

Le déséquilibre des comptes d'exploitation de l'activité TER en 2020 et en 2021 a ainsi été, dans sa très grande majorité, absorbé par les budgets des conseils régionaux . Les dernières données diffusées par l'Autorité de régulation des transports (ART) pour l'année 2020 et présentées en annexe 23 sont à cet égard tout à fait éloquentes.

f) En revanche, la grande vitesse internationale fait peser une menace sur les perspectives financières de SNCF Voyageurs

Le chiffre d'affaires de la grande vitesse internationale s'est replié de 70 % en 2020 . Un retour à la situation antérieure à la crise n'est pas attendu au mieux avant 2023 mais l'activité pourrait être victime de stigmates beaucoup plus durables , notamment du fait d'un déclin structurel des voyages d'affaires . La situation de trésorerie des filiales de la SNCF qui opèrent ces services est sous très forte tension.

Évolution des chiffres d'affaires d'Eurostar et Thalys (2016-2020)

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses de SNCF Voyageurs au questionnaire des rapporteurs spéciaux

La situation et les perspectives financières d'Eurostar sont particulièrement inquiétantes . Au bord de la faillite en 2020 et en 2021, la société détenue à 55 % par la SNCF 103 ( * ) a eu besoin de deux plans de refinancement d'urgence. Au-delà des conséquences conjoncturelles liées à la crise et aux restrictions sanitaires frontalières ainsi qu'aux répercussions du Brexit, de manière plus structurelle, Eurostar doit supporter des coûts fixes importants qui pèsent sur son modèle économique 104 ( * ) .

En juin 2020 , Eurostar a bénéficié d'un premier plan de sauvetage à hauteur de 500 millions de livres ( 580 millions d'euros ) 105 ( * ) . Le second programme de refinancement, pour 250 millions de livres ( 290 millions d'euros ) est intervenu en mai 2021 106 ( * ) . En sa qualité d'actionnaire, et au prorata de ses participations, la SNCF a soutenu les deux plans de refinancement d'Eurostar à travers aussi bien les prêts d'actionnaires que les injections de fonds propres 107 ( * ) . La situation de sa filiale Eurostar est loin d'être neutre pour la SNCF , et ce d'autant plus que cette dernière a consenti une promesse d'achat irrévocable des participations dans Eurostar du consortium CDPQ/Hermès et SNCB. Cette promesse d'achat fait l'objet d'un passif financier évalué à 812 millions d'euros dans les comptes consolidés du groupe SNCF.

g) La productivité insuffisante de son matériel roulant nuit à la compétitivité de SNCF Voyageurs

SNCF Voyageurs est encore loin d'avoir optimisé l'usage de son matériel roulant et cette situation nuit à sa compétitivité , tout particulièrement s'agissant des services conventionnés .

Cette problématique s'observe beaucoup moins pour l'activité grande vitesse sur laquelle le parc est presque utilisé à flux tendu avec une rotation intensive du matériel roulant. La productivité actuelle du parc de TGV est comparable aux meilleurs standards internationaux. Le développement de l'offre Ouigo , dont le modèle économique repose en bonne partie sur une utilisation très intensive des rames et une optimisation de la maintenance du matériel roulant a joué un rôle décisif . Ainsi, sur les cinq dernières années, la flotte TGV a-t-elle diminué d'un quart tandis que, dans le même temps, le nombre de places kilomètre a augmenté.

En revanche, l'insuffisante productivité du matériel roulant des services conventionnés, tout particulièrement s'agissant du TER, pourrait expliquer une part non négligeable de l'écart de compétitivité de la SNCF à l'égard de ses concurrents.

Le matériel roulant TER de SNCF Voyageurs roule nettement moins qu'ailleurs en Europe. Ainsi, en moyenne, en Allemagne les flottes de TER roulent 150 000 kilomètres par an pour les trains diesel et 200 000 kilomètres par an pour les trains électriques contre seulement 90 000 kilomètres et 120 000 kilomètres par an en France . Cette problématique est un enjeu essentiel d'optimisation financière dans la mesure où l'acquisition de ce matériel roulant insuffisamment productif suppose des investissements lourds à la charge des autorités organisatrices régionales .

L'une des explications de cette insuffisante productivité du matériel roulant de le SNCF tiendrait à une organisation sous-optimale de sa maintenance . En effet, la SNCF a fait le choix de privilégier une maintenance en atelier avec des ateliers de maintenance centralisés . Ce choix suppose de nombreux allers-retours vers et depuis ces ateliers durant lesquels les trains ne sont pas utilisés à des fins commerciales . Il apparaît d'ailleurs que les coûts de maintenance du matériel roulant en France sont nettement plus élevés que la moyenne européenne pour les TER. Ils s'élèvent à plus de 4 euros par train kilomètre en France contre entre 1 et 2 euros en moyenne en Europe . SNCF Voyageurs devrait faire évoluer l'organisation de la maintenance de son matériel roulant pour la rendre plus efficiente . Le développement des maintenances préventive et prédictive est une piste à exploiter de façon plus systématique.

Les coûts élevés de maintenance ainsi que le manque de productivité du matériel roulant des services conventionnés sont également la conséquence d'une tendance à la sur-spécification de SNCF Voyageur. En effet, plutôt que d'opter pour des offres sur catalogue moins coûteuses et plus fiable , les services d'ingénierie de SNCF Voyageurs ont tendance à demander aux constructeurs la production de trains sur mesure avec des développements spécifiques superfétatoires générant un surcoût financier à l'achat pour les régions, des défauts de fiabilité et des coûts de maintenance plus élevés et une baisse du taux d'engagement des matériels roulants. Cette situation sous-optimale et très coûteuse pour les régions participe à la faible productivité du matériel roulant constatée en France sur les services TER. Les rapporteurs spéciaux considèrent que ces excès manifestes d'ingénierie et ce phénomène de sur-spécification qui nuit tant à la compétitivité de la SNCF qu'aux finances locales n'est pas compatible avec un modèle ferroviaire économiquement viable .

3. SNCF Voyageurs doit sensiblement amplifier son programme de performance

En 2020, SNCF Voyageurs a mis en oeuvre un plan d'économie de crise de 796 millions d'euros qui a conduit à massivement amputer ses dépenses d'investissement , à hauteur de 353 millions d'euros . Cette réduction des montants investis s'est concrètement matérialisée par des renoncements ou des décalages d'opérations portant sur l'achat et la rénovation du matériel roulant ainsi que sur les systèmes d'information .

Cette diminution drastique des investissements de SNCF Voyageurs pourrait, à terme, affecter négativement ses perspectives de croissance et sa compétitivité.

Il pourra en résulter des répercussions négatives sur les perspectives de croissance et de productivité de la société.

Plan d'économies exceptionnel 2020 mis en oeuvre par SNCF Voyageurs

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses de SNCF Voyageurs au questionnaire des rapporteurs spéciaux

Les répercussions de la crise se sont traduites par des baisses de charges liées à la baisse d'activité ainsi qu'au soutien de l'État dans le cadre du dispositif d'activité partielle.

Économies de charges générées par la crise sanitaire

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses de SNCF Voyageurs au questionnaire des rapporteurs spéciaux

Le programme de productivité structurelle déployé par SNCF Voyageurs a conduit à des économies de 177 millions d'euros en 2020 . 66 % des gains d'efficience réalisés en 2020 (116 millions d'euros) ont pour origine les baisses d'effectifs . Les 34 % restants ont été obtenus par une optimisation de la politique d'achats .

Plan de productivité 2020 mis en oeuvre par SNCF Voyageurs

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses de SNCF Voyageurs au questionnaire des rapporteurs spéciaux

Afin de renforcer la compétitivité de la société qui va devoir affronter un marché de plus en plus concurrentiel dans les années à venir, son programme de productivité doit être sensiblement accéléré . Les rapporteurs spéciaux notent que SNCF Voyageurs entend renforcer ses efforts de performance dès 2022 pour viser des gains de productivité de 350 millions d'euros en moyenne annuelle jusqu'en 2030 pour un total de 3,2 milliards d'euros . Les rapporteurs spéciaux saluent cet objectif ambitieux qui implique de doubler le rythme actuel. Ils suivront avec attention l'exécution effective de ces engagements.


* 97 La compensation d'exploitation de l'État au titre de l'année 2020 inclut donc une contribution liée à la crise de 26,3 millions d'euros.

* 98 Dans la mesure où son modèle économique repose sur un ratio plus important de recettes d'exploitation.

* 99 SNCF Mobilités jusqu'en 2019.

* 100 En retraitant les effets de périmètre.

* 101 Supprimé le 31 décembre 2020.

* 102 Notamment au travers du règlement européen du 7 octobre 2020 sur le soutien aux opérateurs ferroviaires ou des lignes directrices sur les aides d'État dans le secteur ferroviaire.

* 103 Le reste du capital étant partagé entre Patina (40 %), un consortium composé de la Caisse de dépôt et placement du Québec et du fonds Hermes, et l'entreprise ferroviaire publique belge SNCB (5 %).

* 104 Ils sont liés à l'infrastructure du tunnel sous la Manche et de la ligne à grande vitesse HS1 au Royaume-Uni.

* 105 Répartis entre 400 millions de livres (464 millions d'euros) de prêts commerciaux bancaires et 100 millions de livres (116 millions d'euros) de prêts d'actionnaires.

* 106 Il se compose de 50 millions de livres (58 millions d'euros) de capitaux propres des actionnaires à hauteur de leur parité respective, de 150 millions de livres (174 millions d'euros) de nouveaux prêts bancaires, garantis par les actionnaires et de 50 millions de livres (58 millions d'euros) de facilités de crédit existantes restructurées.

* 107 Elle a également renoncé à ses dividendes pour les prochaines années.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page