EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mardi 15 mars 2022, la commission a procédé à une audition commune sur le thème « Accès aux services essentiels à la population et lutte contre la déprise commerciale en milieu rural » .

M. Jean-François Longeot , président . - Madame la présidente, Mes chers collègues, je suis heureux de vous retrouver dans ce format conjoint, qui nous a déjà réunis plusieurs fois. Le dernier rapport commun à nos deux commissions portait sur l'alimentation durable et locale. Nous l'avions adopté en mai 2021 et les propositions qu'il contenait ont permis au Sénat d'enrichir le volet « agriculture » de la loi « Climat et résilience ». C'est dire tout l'intérêt de ces missions de contrôle communes, qui nous permettent d'être plus forts ensemble et de faire avancer nos idées.

Nous examinons aujourd'hui les conclusions du travail mené par Bruno Belin et Serge Babary, qui vise à proposer des solutions pour maintenir et développer le commerce de proximité dans les zones rurales, en particulier dans les communes de moins de 2 500 habitants.

Nos rapporteurs ont réalisé un travail d'envergure, en s'appuyant sur une quarantaine d'auditions, et leurs propositions sont nombreuses et ambitieuses. Celles-ci pourront constituer une « boîte à outils » adaptée pour nos territoires ruraux et nourrir les réflexions futures de nos commissions ainsi que celles du Gouvernement, notamment en lien avec la réforme de la géographie prioritaire de la ruralité - je pense en particulier aux zones de revitalisation rurale (ZRR).

Serge Babary est rapporteur au nom de la commission des affaires économiques, et il est très précieux de pouvoir s'appuyer sur son expertise établie sur ce sujet.

Bruno Belin est rapporteur au nom de la mission d'information sur les perspectives de la politique d'aménagement du territoire et de cohésion territoriale, que notre commission a mise en place à l'automne dernier et qui rendra ses conclusions sur les différents thèmes en plusieurs étapes. Nous examinerons ainsi le 29 mars prochain les conclusions de notre collègue rapporteure Patricia Demas sur le volet « inclusion numérique » et du rapporteur Bruno Rojouan sur le volet « accès territorial aux soins » - ce sujet capital a été évoqué par certains des candidats à l'élection présidentielle -, puis, en mai, seront examinées les conclusions sur d'autres volets, qui sont suivis par les rapporteures Martine Filleul et Christine Herzog.

Mme Sophie Primas , présidente . - Je salue les deux rapporteurs qui ont travaillé sur ce dossier : Bruno Belin, au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, et Serge Babary, au nom de la commission des affaires économiques. Ce dernier a déjà beaucoup oeuvré en faveur du commerce, notamment en sa qualité de président de la délégation sénatoriale aux entreprises.

L'aménagement du territoire est un élément essentiel des politiques publiques, oublié depuis de très nombreuses années. Il consiste à assurer l'irrigation de notre pays partout, dans les villes et dans les campagnes, afin de renforcer leur attractivité et de faire en sorte que la population s'y installe en cohérence avec un véritable choix de vie, et non du fait d'une obligation liée par exemple à la désertification.

Serge Babary avait rédigé un premier rapport sur les nouvelles formes du commerce, qui se retrouvera en tout ou partie dans les travaux que nous examinons. Nous faisons oeuvre utile sur cette partie commerciale, qui doit effectivement être complétée par l'aménagement sanitaire, sportif, la question des associations, du logement, des mobilités, etc. Ce rapport montre une nouvelle fois la complémentarité de nos travaux et l'intérêt du Sénat pour l'aménagement durable du territoire.

M. Bruno Belin , rapporteur de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable . - Avant de vous présenter les conclusions du travail que nous avons mené depuis le mois de décembre, je souhaiterais adresser plusieurs remerciements. D'abord, je souhaite remercier mon collègue Serge Babary pour son implication, pour son écoute et pour avoir partagé avec moi son expérience en la matière. Je remercie également les présidents de nos deux commissions, qui ont fait en sorte que ce travail conjoint puisse se mettre en place. Je remercie vivement Didier Mandelli, qui nous a soutenus depuis le début dans cette démarche, et tous mes collègues rapporteurs de la mission d'information, qui travaillent avec le même objectif de relance de la dynamique d'aménagement du territoire dans notre pays, qui, comme l'a dit Madame la présidente à l'instant, a été un peu oublié au cours des dernières années.

J'en viens au coeur de notre sujet : comment maintenir et développer le commerce de proximité dans nos zones rurales ? Nous avons pris comme objet de travail les communes de moins de 2 500 habitants, seuil que nous avons défini en référence aux unités utilisées par l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee). Les constats sont bien établis depuis des années, et nous connaissons tous cette problématique du fait de nos engagements et de nos expériences. Les rapports administratifs et les diagnostics s'accumulent, mais les solutions manquent aujourd'hui pour préserver les commerces qui demeurent dans nos zones rurales et hyper-rurales et en développer de nouveaux.

Comme souvent en matière d'aménagement du territoire, nous sommes face à un paradoxe : d'un côté, le nombre global de commerces en France n'a cessé d'augmenter depuis vingt ans, en termes de surfaces, de nombre de magasins et de salariés ; de l'autre, leur répartition territoriale s'est continuellement déséquilibrée, au détriment des zones rurales.

Ainsi, alors que seulement 25 % des communes de France ne disposaient d'aucun commerce en 1980, cette proportion atteint désormais 60 %. Autrement dit, près des deux tiers de nos communes n'ont plus aucun commerce aujourd'hui.

En outre, du fait de la disparition de nombreux commerces, les temps d'accès à ces services et lieux de vie n'ont fait que s'allonger pour nos concitoyens qui vivent en zone rurale, ces dernières années. Aujourd'hui, un habitant qui réside dans une commune de moins de 2 500 habitants doit parcourir, en moyenne - le mot à son importance -, environ 2,2 kilomètres pour atteindre une boulangerie, symbole du commerce rural. Un habitant d'une zone rurale peut mettre 10, 20, voire 30 minutes pour accéder à des commerces et services de base depuis son domicile, et même près d'une heure s'il veut accéder à des services de gamme dite « supérieure » - qui désignent des prestations spécifiques de santé ou encore des magasins très spécialisés.

Cette situation n'est pas satisfaisante, vous en conviendrez. À l'issue des auditions que nous avons menées, je souhaite vous faire part de trois convictions.

Premièrement, il n'y a que des avantages à préserver et à développer le commerce de proximité en zones rurales.

Dans une logique d'attractivité globale des communes rurales, le maintien et le développement des commerces de proximité permettent d'attirer de nouveaux habitants - la bascule démographique est en cours sur certains axes - et de nouvelles activités.

Dans une logique de maîtrise de notre empreinte carbone et de nos émissions de gaz à effet de serre, renforcer l'accessibilité et le maillage commercial permet d'éviter des trajets en voiture.

Enfin, dans une logique de préservation et de renforcement du pouvoir d'achat de nos concitoyens, éviter des trajets en voiture, même petits, permet de réduire en partie les dépenses de carburant. Quand on voit l'augmentation du prix de l'essence, à mettre en lien avec le fait que les habitants des zones rurales parcourent, en moyenne, 8 000 kilomètres en voiture chaque année, contre 1 000 kilomètres pour quelqu'un qui vit à Paris ou 3 000 kilomètres pour les habitants des autres grandes villes, on comprend vite que rapprocher le commerce des habitants est une mesure favorable au pouvoir d'achat, donc au bien-être économique.

Deuxième conviction : les fractures territoriales persistent, et nos territoires ruraux demeurent fragiles.

Si les inégalités de revenus entre les habitants des zones rurales sont moindres qu'ailleurs, la proportion de Français dits « pauvres » et « modestes », au sens de l'Insee, y est beaucoup plus importante. Cela permet aussi de relativiser le discours selon lequel la pauvreté se trouverait essentiellement, voire uniquement dans les grandes villes et leurs banlieues. Quand on analyse les chiffres de l'Insee, on constate que près d'un habitant sur deux des zones rurales très peu denses est en situation de fragilité.

Troisième conviction : si les initiatives portées ces dernières années sont positives pour rééquilibrer notre développement économique territorial - je pense au programme Action Coeur de Ville, qui s'adresse aux centralités de plus de 20 000 habitants, ou au programme Petites Villes de demain, qui concerne les villes de moins de 20 000 habitants -, nous pouvons et nous devons encore faire davantage. D'abord, parce que ces programmes s'intéressent non pas à l'hyper-ruralité, mais à des niveaux de centralité supérieurs. Ensuite, parce qu'il existe des solutions pragmatiques à mettre en oeuvre.

C'est tout l'objet de notre travail.

Avant de vous présenter les propositions que nous avons conçues avec Serge Babary afin, d'une part, de maintenir les commerces, et, d'autre part, de soutenir la création de nouveaux commerces en ruralité, je souhaite préciser deux points qui me paraissent très importants.

Premier point : le lien de notre sujet avec la réforme des zones de revitalisation rurale (ZRR) et des autres zonages de soutien à l'attractivité et au développement économique des territoires ruraux.

Il va de soi que nos propositions n'ont pas vocation à se rajouter au millefeuille existant sans s'articuler avec la réforme de la géographie prioritaire de la ruralité, sur laquelle notre commission a déjà beaucoup travaillé - je pense en particulier à Rémy Pointereau - et continuera de travailler les prochains mois.

Les propositions que nous formulons, notamment sur le volet fiscal, ont vocation à s'intégrer dans la grande « boîte à outils » que nous devons refonder pour soutenir l'attractivité et le développement des territoires ruraux. Par exemple, certaines des mesures fiscales que nous proposons auront des effets plus puissants dans des territoires particulièrement fragiles, qui pourraient être classés en ZRR3 selon les critères que notre commission et la commission des finances ont proposés dans le rapport d'information d'octobre 2019 sur l'avenir des ZRR, quand d'autres mesures n'auront pas forcément la même pertinence pour des communes moins fragiles, susceptibles d'être classées en ZRR1 ou ZRR2.

Second point : certaines mesures puissantes pour revitaliser nos commerces dans les zones hyper-rurales sont déjà possibles à cadre législatif et réglementaire constant.

Aussi, notre rapport invite les maires, les acteurs économiques et, bien sûr, l'État et ses opérateurs à se saisir davantage des outils existants, dont certains ont été mis en place avec le plan de relance. Je pense, par exemple, à la définition de stratégies locales pour le commerce, en lien avec les préfets qui représentent l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT). Je pense à l'accueil de points relais dans les commerces, à l'utilisation du droit de préemption, au fonds de restructuration des locaux d'activité ou encore à la possibilité, parfois, d'intervenir en fonds propres pour maintenir ou créer un commerce. À cet égard, le dialogue entre les communes et les intercommunalités, lorsque celles-ci disposent de la compétence de revitalisation commerciale au regard de l'intérêt communautaire (communautés de communes et communautés d'agglomération), est incontournable et doit être encouragé.

Il est essentiel, en effet, de maîtriser l'inflation législative - c'est aussi notre responsabilité de législateur - et de rappeler les mesures qui existent déjà.

J'en viens au coeur de nos propositions.

Afin de renforcer la connaissance et l'information de l'ensemble des acteurs sur la réalité du maillage commercial dans nos territoires ruraux et hyper-ruraux, nous proposons de constituer un nouvel indicateur d'accessibilité aux commerces et d'identifier les zones caractérisées par une offre insuffisante en matière de commerces et de services, sur une liste définie par arrêté ministériel. De fait, les données actuelles sont parcellaires. Ces outils permettront également de faciliter la mise en oeuvre de la réforme des ZRR et de la suivre dans le temps.

À partir de ce zonage d'identification, nous proposons la mise en place d'un nouveau programme d'actions, à la maille communale, baptisé « 400 territoires de commerce », sur le modèle d'Action Coeur de Ville ou de Petites Villes de demain. Ce programme serait défini en lien étroit avec les élus locaux et piloté par l'ANCT et ses partenaires. Nous proposons de le doter de 600 millions d'euros sur cinq ans, avec à la fois des moyens en ingénierie et des moyens d'intervention directe. Ce montant est à comparer aux 5 milliards d'euros sur cinq ans pour Action Coeur de Ville et aux 3 milliards d'euros sur trois ans pour Petites Villes de demain.

En résumé, l'objectif est de soutenir environ 2 000 projets concrets, soit environ 5 projets par territoire retenu, pour un montant moyen approximatif de 300 000 euros par projet. À l'appui de ce programme, nous proposons de déployer 400 chefs de projet dédiés.

Voilà pour les deux premiers axes, Serge Babary vous présentera nos propositions 3 et 4. Je ne m'étends pas sur la proposition 5, car j'ai déjà parlé des zones de revitalisation rurale (ZRR). Nous souhaitons rappeler, dans ce rapport d'information, la nécessité de faire aboutir rapidement la réforme de la géographie prioritaire de la ruralité.

En attendant, nous proposons de porter à 70 % le taux de compensation de l'État aux collectivités territoriales, pour les mesures que celles-ci mettent en oeuvre à partir des deux nouveaux zonages créés en loi de finances pour 2020, respectivement pour la revitalisation des centres villes et pour la relativisation des commerces en zones rurales. Les exonérations que peuvent décider les collectivités s'agissant du zonage conçu pour la revitalisation des centres-villes ne sont pas compensées du tout par l'État, à la différence des exonérations que peuvent consentir les collectivités dans les zones de revitalisation des commerces en milieu rural qui, elles, sont compensées mais seulement à hauteur de 33 %. Il faut encourager les collectivités à utiliser ces dispositifs. Notre rapport invite également les commerçants à diversifier leurs sources de revenus en accueillant des points relais. Nous prévoyons également une taxation des livraisons de commerce qui serait inférieure ou nulle si le colis est retiré en point relais. L'objectif est de créer des flux pour favoriser une hausse du panier moyen de consommation.

Nos propositions visent aussi à alléger les contraintes et charges pesant sur le commerce de proximité et notamment le commerce non-sédentaire. Nous proposons de rénover les règlements de marché et d'améliorer la prise en compte des marchés dans les documents locaux d'aménagement commercial. Nous proposons également un allégement de la fiscalité portant sur les bénéfices industriels et commerciaux, ainsi que des clarifications législatives et réglementaires visant à soutenir les nombreuses initiatives locales, qui sont portées par les collectivités en lien avec le tissu associatif et les entreprises de l'économie sociale et solidaire. Il me paraît impératif de poursuivre et d'amplifier le soutien au développement de l'apprentissage pour les activités en tension - boulangers, bouchers -, afin de recréer des filières dynamiques. Voilà mes chers collègues, l'essentiel des propositions dont je souhaitais vous faire part.

M. Serge Babary , rapporteur de la commission des affaires économiques . - Je remercie le co-rapporteur Bruno Belin pour le travail approfondi que nous avons effectué ensemble, ainsi que les autres rapporteurs de la mission d'information qui travaillent sur des sujets divers - prévention des risques, accès aux services publics, accès aux soins, surveillance des ouvrages d'art... - et dont les rapports seront présentés prochainement. Plusieurs auditions nous ont d'ailleurs réunis tous les six.

Il me semble que nos échanges constructifs, fluides, ont permis d'aboutir à un constat largement partagé, à savoir que la ruralité dispose d'atouts importants pour réussir à maintenir et à développer le commerce, pour peu que l'État se donne les moyens de soutenir ces territoires et que des outils innovants et utiles leur soient proposés. Or c'est une évidence : si les villes moyennes font l'objet de l'attention des pouvoirs publics, les communes de moins de 2 500 habitants en zone rurale sont, dans l'ensemble, laissées pour compte, hormis bien sûr celles qui disposent de richesses particulières, comme une grande exposition au tourisme.

Vous le savez, la commission des affaires économiques a déjà longuement travaillé sur le commerce. L'angle que nos deux commissions ont choisi cette fois permet d'observer que certaines problématiques sont communes à tous les commerces, de toutes les villes, quelle que soit leur taille ; et que d'autres sont plus spécifiques au commerce de proximité en zones rurales. Nous mettrons l'accent sur ces dernières.

Comme vient de l'expliquer Bruno Belin, nous pensons utile, si ce n'est urgent, de définir certains « territoires de commerce » au sein desquels pourrait être déployée toute une palette de mesures pour enrayer la déprise commerciale. Il ne faut pas oublier, en effet, que la crise sanitaire a impacté un secteur commercial déjà fragilisé. Il l'est depuis plusieurs années, en raison à la fois des attentats de 2015 et de 2016, des violences commises en marge du mouvement des « gilets jaunes », des mouvements sociaux de fin 2019 contre la réforme des retraites, puis, bien entendu, du fait de la crise sanitaire et économique qui en a résulté. Je rappelle que les ventes du commerce de détail ont subi, sur l'année 2020 une baisse de 3 %, mais que cette diminution s'est élevée à 9,3 % pour le commerce non alimentaire en magasin - les boulangeries-pâtisseries, qui sont souvent le dernier commerce dans les communes rurales, ont enregistré une baisse de 5,4 %. Si l'année 2021 a connu un rebond important pour l'activité commerciale, la crise a creusé certaines fragilités structurelles auxquelles font face les commerçants, comme la faiblesse de la trésorerie, le poids des stocks, la faible capacité d'investissement ou le taux d'endettement.

Il est intéressant toutefois d'observer que certaines communes rurales - pas toutes - pourraient bénéficier d'un regain d'attractivité grâce au phénomène de « rurbanisation ». S'il est encore trop tôt pour véritablement conclure à une renaissance de ces territoires, on peut légitimement s'attendre à ce que le phénomène de « rurbanisation », qui voit des citadins réinvestir les zones rurales soit en y habitant de façon permanente - grâce notamment au développement du télétravail -, soit en y élisant domicile le week-end, gagne de l'ampleur dans les années à venir. Cela pourrait représenter une opportunité intéressante de revitalisation des petites communes rurales, sous réserve qu'elles ne soient pas trop éloignées des pôles urbains et qu'elles présentent les services et équipements attendus par ces néoruraux - internet haut débit, proximité d'axes de transport, notamment ferroviaires, loisirs, etc.

Toutefois, pour tirer profit de cette opportunité, et plus largement pour maintenir les commerces du quotidien dans les petites communes des zones rurales, il faudrait prendre certaines mesures pragmatiques, afin de créer un cadre attractif. À cet égard, nous formulons des propositions variées et utiles, me semble-t-il, notamment pour pérenniser les commerces existants.

L'un des sujets récurrents est, bien entendu, la transmission des entreprises pour conserver ce qui existe. Au-delà des raisons purement structurelles - absence de clientèle, baisse de la démographie, etc. -, un manque de formation des repreneurs et des moyens financiers trop limités sont souvent relevés. Or, sans transmission, donc sans dynamisme commercial, il est impossible pour les communes rurales d'attirer de nouveaux habitants. C'est pourquoi nous proposons de mettre en place des incitations financières resserrées pour favoriser la reprise dans les zones rurales caractérisées par une offre insuffisante de commerces. Nous suggérons huit mesures, comme un fonds dédié à la transmission pour compléter l'apport d'un jeune aspirant commerçant, ou la possibilité pour les dirigeants de bénéficier de l'abattement portant sur la fiscalité des plus-values de cession, y compris lorsque la cession n'est pas liée à un départ à la retraite et s'effectue au bénéfice d'un salarié de l'entreprise.

Il nous paraît également essentiel de renforcer le rôle et les marges de manoeuvre des élus locaux en matière de redynamisation commerciale. L'impact d'une grande surface, alimentaire ou non, sur le commerce de centre-ville des petites communes aux alentours est, par exemple, encore trop peu étudié, alors qu'il peut être important dans le cas des communes rurales. De même, les friches commerciales restent insuffisamment voire non répertoriées, alors que certaines d'entre elles pourraient utilement accueillir des projets commerciaux envisagés en périphérie des communes. Sur un autre aspect, nous considérons que les foncières de redynamisation commerciale, si elles sont à saluer, restent encore malheureusement trop peu tournées vers la ruralité.

Afin de renforcer ce pilotage, nous envisageons neuf mesures, dont le renforcement des études d'impact présentées en commission départementale d'aménagement commercial (CDAC), la mise en place d'un inventaire des friches, le retour du fonds d'intervention pour la sauvegarde de l'artisanat et du commerce (Fisac), ou le ciblage de l'action de certains établissements fonciers sur les communes de moins de 2 500 habitants.

Par ailleurs, ainsi que nous en entendons tous parler sur le terrain, l'avenir du commerce est résolument tourné vers « l'omnicanalité », qui permet de mêler les avantages du commerce physique et du commerce en ligne ; c'est encore plus fondamental pour les commerces de zones rurales, dont la zone de chalandise est étroite et les flux de clientèle plutôt faibles. Nous avions étudié en détail ce sujet, qui a donné lieu, l'an dernier, à un rapport de la commission sur les nouvelles formes du commerce. Bien entendu, la crise a accentué ce phénomène et a rendu d'autant plus urgente la levée des obstacles qui freinent encore la transition numérique. Le fait de servir de point relais sera une source de croissance importante pour ces commerces, d'autant qu'une part importante des consommateurs - trois sur dix - fréquentent ensuite le magasin pour y faire d'autres achats.

Dans cette optique, nous proposons trois mesures clés, comme un suramortissement pour les dépenses d'investissement dans les équipements numériques ou un crédit d'impôt pour les dépenses de formation. À l'instar des autres propositions, elles n'ont pas forcément vocation à être mises en oeuvre simultanément, mais ces pistes constituent une boîte à outils dans laquelle le législateur ou le Gouvernement pourra piocher. Il y a urgence !

Enfin, il ne saurait être discuté de commerce physique sans aborder le sujet de l'équité entre les différentes formes de commerce. En matière fiscale et réglementaire, ces dernières ne sont pas toutes logées à la même enseigne. Le commerce physique s'acquitte, par exemple, d'une importante fiscalité au titre du foncier qu'il utilise, défi que n'a pas à relever le commerce en ligne. Les débats se cristallisent notamment autour de la taxe sur les surfaces commerciales (Tascom), source d'inégalités marquées entre types de commerce, et au sein même du commerce physique. Rappelons, du reste, que son produit est passé de 600 millions d'euros à 1 milliard d'euros en quelques années seulement...

Le sentiment de « deux poids, deux mesures » se fait aussi ressentir en matière de réglementation. À cet égard, s'il ne paraît pas utile de soumettre les entrepôts logistiques à une autorisation d'exploitation commerciale, puisqu'ils ont par définition une zone de chalandise immense, il nous paraît important de réfléchir à une meilleure information des élus locaux lorsqu'un tel entrepôt s'apprête à sortir de terre.

Dans la droite ligne du rapport de l'an dernier, nous vous proposons de supprimer la Tascom et de compenser la perte de recettes à hauteur de 60 % par une nouvelle dotation spécifique à destination du bloc communal. Il nous paraît également essentiel que le président de l'établissement public de coopération intercommunale (EPCI) soit informé des effets potentiels d'un projet d'entrepôt sur les flux commerciaux du territoire.

Telles sont les différentes pistes que nous esquissons pour que les pouvoirs publics soient véritablement, enfin, au chevet des territoires ruraux en matière commerciale.

M. Jean-François Longeot , président . - Merci aux rapporteurs. Le sujet du développement des territoires ruraux est d'une importance majeure et vos propositions vont dans le bon sens.

Préserver le commerce existant suppose, au préalable, de développer l'apprentissage, ce qui implique de valoriser les métiers concernés. Le retour du Fisac me semble relever de l'évidence, à condition de le simplifier.

Le ou la candidat(e) à l'élection présidentielle qui sera élu(e) en avril prochain devrait trouver dans ce rapport tous les moyens et idées nécessaires pour agir en faveur de nos communes les plus fragilisées. J'espère que cet excellent travail trouvera une issue favorable à la mesure du travail réalisé et des enjeux sous-jacents ; c'est la clé des services rendus à la population et l'avenir de nos territoires ruraux.

M. Laurent Duplomb . - Je salue le travail qui a été réalisé.

Au lieu d'ajouter de nouvelles contraintes à la CDAC, ne devrait-on pas s'interroger sur les bienfaits d'une telle démarche ? À force de sujétions, l'improductivité et l'inaction guettent notre pays... De plus, j'en ai vraiment assez qu'une commission nationale, la Commission nationale d'aménagement commercial (CNAC), nous explique ce qui est bon ou pas pour nos territoires ! En dépit d'un avis favorable de la CDAC, la CNAC a récemment émis un avis défavorable à l'installation d'un commerce dans une commune de Haute-Loire, pour ne pas porter préjudice aux concurrents situés dans le département limitrophe de la Loire. Il faudrait laisser plus de marge à la CDAC. Libérons-nous du joug jacobin !

M. Serge Babary , rapporteur . - Il faut souligner que l'influence d'une installation commerciale ne s'arrête pas aux limites géographiques d'un département. L'instance compétente doit prendre en considération tous les effets qui en résultent, notamment pour le territoire limitrophe, même s'il s'agit d'un autre département. Or les CDAC n'utilisaient pas assez les études d'impact, souvent incomplètes, figurant dans le dossier. Une telle appréciation ne remettrait d'ailleurs aucunement en cause l'autonomie ou la bonne volonté des uns et des autres.

Mme Sophie Primas , présidente . - Je ne polémiquerai pas non plus sur la CDAC et la CNAC, mais j'ai mon avis sur la question, en particulier sur la représentation au sein de la CNAC d'un certain nombre de politiques qui n'ont rien à voir avec le commerce local et sont souvent aux ordres de ceux qui les emploient, et inversement. Sur ce domaine, je suis assez preneuse de schémas d'aménagement commerciaux dans les intercommunalités, afin d'organiser l'accès de nos concitoyens au commerce de proximité ou autre. Nous pouvons aussi penser la logistique, qui sera l'enjeu du commerce dans les quinze ou vingt prochaines années.

Je remercie les rapporteurs de leur travail, qui recoupe des recommandations plus globales sur le commerce, dont sa transformation numérique en zones rurales. Je pense aussi à la Tascom et à la disparition du Fisac. Des dispositifs comme Action Coeur de Ville ou Petites Villes de demain ne concernent qu'un tout petit nombre de communes et sont des appels à manifestation d'intérêt. Ces programmes sont positifs, mais laissent de côté une grande partie de notre ruralité. La disparition du Fisac serait très préjudiciable à ce commerce d'ultra-proximité et d'ultra-ruralité. Vos recommandations à cet égard sont très intéressantes.

Enfin, je vous remercie d'avoir pensé au commerce ambulant et non-sédentaire - marchés et forains -, important pour toutes nos zones rurales.

Nous aurions vraiment aimé disposer des conclusions des Assises du commerce avant la fin du quinquennat, eu égard à l'important travail organisé par le Gouvernement en la matière. Au demeurant, je me réjouis que notre assemblée ait déjà une stratégie et formule ses propres recommandations.

M. Jean-François Longeot , président . - J'adresse aux rapporteurs mes plus vifs remerciements pour leur travail de longue haleine et leurs propositions, au-delà des simples constats sur les dysfonctionnements. En ma qualité de président de la commission de l'aménagement du territoire, je pense qu'il est urgent de redonner à chacun des territoires le souci d'assumer sa spécificité et d'assurer son propre développement, pour le bien-être de ses concitoyens.

M. Fabien Genet . - Je m'associe aux compliments adressés aux rapporteurs. Néanmoins, une proposition a retenu mon attention : celle qui vise à faire disparaître la Tascom et à la compenser à hauteur de 60 %. Pour ma communauté de communes du Grand Charolais, cela représente une recette fiscale très importante, à hauteur de 500 000 euros. Je n'ai pas l'habitude d'entendre notre assemblée proposer des réductions de recettes des collectivités locales assorties de compensations à 60 %. Est-ce un bon signal à envoyer au regard de ce qui nous attend dans les mois à venir ?

M. Serge Babary , rapporteur. - La Tascom est unanimement dénoncée par le monde du commerce. Elle est injuste, et son mode de calcul surréaliste se révèle incompréhensible. Pourquoi une compensation à 60 % ? Parce que sur un milliard d'euros de rendement budgétaire de la taxe, les collectivités en perçoivent à peu près ce ratio, le reste étant reversé à l'État. Mais je comprends que la formulation retenue peut entraîner une forme de confusion sur notre intention, et nous allons clarifier l'objectif, qui est bien que la suppression de la Tascom s'accompagne d'une compensation intégrale pour les collectivités, à hauteur de la part qu'elles percevaient.

M. Bruno Belin , rapporteur. - Je comprends la remarque de notre collègue Fabien Genet mais cet acronyme de fiscalité fait l'unanimité contre lui dans le secteur du commerce et pose un problème d'équité par rapport aux nouvelles formes de commerces.

Notre ambition était d'élaborer un rapport de propositions : notre but est d'être incitatifs et de proposer une dynamique, qui permettra de soutenir globalement le maintien et la création de commerces dans nos territoires. La compensation à 100 % que nous proposons pour les collectivités et les nouvelles mesures que nous mettons sur la table, notamment le programme « 400 territoires de commerce », redonneront des marges de manoeuvre localement. Enfin, je souscris à ce que vient de dire mon collègue rapporteur Serge Babary et nous clarifierons la rédaction. Par ailleurs, le sujet de la re-création du Fisac s'est invité à toutes les auditions. Beaucoup d'acteurs entendus ont également critiqué des pesanteurs dans les relations avec les architectes des bâtiments de France (ABF). Si nous ne cessons de défendre le patrimoine, cela va de soi, nous devons relayer les craintes qui se sont exprimées.

M. Serge Babary , rapporteur. - Les pesanteurs varient selon les ABF qui rendent leur avis.

M. Jean-Claude Anglars . - Je salue le travail remarquable des rapporteurs, et les remercie d'avoir ajouté la notion de « nouvelle géographie prioritaire de la ruralité », très importante pour les politiques publiques. La renaissance rurale est une réalité oubliée, qui devra également être prise en compte.

M. Jean-Michel Houllegatte . - À mon tour de m'associer aux félicitations et aux remerciements sur ce travail d'investigation concernant un sujet primordial : la vitalité de nos petites communes rurales, qui repose sur le dernier commerce.

À ce propos, je rends hommage à tous les maires qui se battent pour le maintien de celui-ci en milieu rural et sont souvent confrontés au rachat des locaux. À l'instar de l'éducation prioritaire, qui a été étendue aux zones rurales, un outil fonctionne bien pour la politique de la ville : l'Établissement public d'aménagement et de restructuration des espaces commerciaux et artisanaux (Epareca), repris par l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT). Dans les 400 territoires pilotés par l'ANCT dont vous proposez la mise en place, un portage foncier effectué par l'Epareca pourrait-il soulager les maires ? Ceux-ci sont parfois découragés par les nouveaux investissements à réaliser.

M. Bruno Belin , rapporteur . - Les établissements publics fonciers (EPF) fonctionnent bien, mais on nous a souvent fait remarquer que les délais de remboursement des sommes qu'ils ont avancées pour aider à l'achat de biens immobiliers étaient trop courts pour les communes, surtout les plus rurales : il faut rembourser dès la cinquième année, alors qu'il faut parfois quatre ans pour monter un projet, le sortir de terre, le faire vivre. S'agissant de l'Epareca, ses missions et compétences ayant été reprises par l'ANCT depuis la loi de 2019, c'est désormais cet opérateur qui peut intervenir directement. Il faut orienter davantage les compétences de l'ANCT, ex-Epareca, en matière de restructuration des commerces vers les territoires ruraux.

M. Laurent Somon . - Le rapport répond à une préoccupation majeure de tous les maires des petites communes rurales, qui voient non seulement les commerces disparaître, mais aussi leur population diminuer.

Tous les textes du Gouvernement ont conduit à rendre la construction en milieu rural impossible. Les derniers ne feront qu'amplifier cette tendance...

Qui va reprendre les commerces s'il n'y a pas de clientèle ? Il faut, bien sûr, favoriser la reprise des commerces en milieu rural avant que le dernier d'entre eux soit menacé, mais, pour conserver des activités en milieu rural, il faut qu'il y ait suffisamment de population. L'enjeu est aussi démographique.

Il faut favoriser la construction pour que l'on puisse, demain, maintenir les commerces, mais, dans le même temps, il ne faut plus consommer de terres agricoles. L'urbanisme en milieu rural est très contraint. Dans la Somme, pas une semaine ne s'écoule sans que des maires reçoivent des certificats d'urbanisme (CU) négatifs. À Braches, près de Moreuil, pour cinq CU demandés dans l'année, il y a eu cinq refus : la dent creuse est toujours soit trop grande, soit trop petite, soit trop profonde...

M. Jean-François Longeot , président . - Hélas, le problème n'existe pas que dans la Somme !

Mme Angèle Préville . - La configuration est exactement la même dans mon département du Lot : beaucoup de communes peu peuplées et très peu dotées en commerces. Le département, très rural, comporte 170 000 habitants, mais Cahors en ayant 20 000 et Figeac 10 000, les 310 communes comptent, en moyenne, 450 habitants.

La semaine dernière, je me suis rendue dans une commune où seulement cinq constructions seront possibles dans les dix ans à venir. Et ce n'est pas la seule dans cette situation ! Ces communes ne pourront absolument pas se développer dans la prochaine décennie. Or la dynamique de l'économie ne se décide pas en haut lieu ni même au niveau d'une communauté de communes : elle se crée autour des entrepreneurs qui s'installent quelque part et qui font prospérer leur entreprise. Ce problème devrait davantage être mis en avant. La non-artificialisation des terres est évidemment très importante, mais on est en train de condamner l'avenir de beaucoup de communes.

Dans certaines communes de mon département, où l'on ne recense guère plus que 100, 200 ou 300 habitants, des bâtiments vont être transformés en résidences principales. La dynamique qui devrait se créer va être complètement freinée.

M. Jean-Marc Boyer . - Merci du travail qui a été réalisé. Bien souvent, dans nos petits bourgs, les investissements en faveur du petit commerce ne manquent pas. La réussite tient, pour l'essentiel, à la fibre commerciale de ceux qui tiennent les boutiques.

Avec mes collègues Daniel Laurent et Anne Ventalon, j'ai déposé une proposition de loi visant à « redonner aux maires la maîtrise de leur développement » - nous espérons qu'elle sera examinée à l'automne.

Les propositions qu'elle contient visent à redonner de l'autonomie aux maires. Elles sont multiples : permettre aux maires de s'opposer à la diminution de leurs droits à construire ; ouvrir la possibilité de majorer de plus de 20 % les possibilités de construction aux communes, et non aux seuls EPCI ; empêcher tout transfert intempestif de la compétence relative au plan local d'urbanisme (PLU) des communes vers les intercommunalités ; permettre aux communes et aux EPCI de donner leur propre définition des hameaux, les refus se fondant bien souvent sur l'absence de continuité du bâti - il suffit qu'un chemin traverse une parcelle pour justifier un refus ; redonner à la commission de conciliation un pouvoir d'arbitrage ; rééquilibrer les rapports entre l'administration et les élus ; simplifier les règlements départementaux de sécurité contre l'incendie, qui freinent bien souvent les autorisations de construction dans les villages un peu reculés ; renforcer le droit de préemption des communes ; autoriser les constructions nécessaires à l'équilibre économique des exploitations agricoles - nous proposons une plus grande souplesse et une suppression des avis conformes de la commission départementale de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF). En ce qui me concerne, je supprimerais même la CDPENAF...

M. Jean-François Longeot , président . - Quand j'étais président de la commission spéciale sur le projet de loi d'accélération et de simplification de l'action publique (ASAP), j'ai proposé la suppression de la CDPENAF. Je peux vous dire que cela a été ma fête dans mon département... Les agriculteurs étaient très mécontents.

Cependant, quelle est l'utilité d'un avis de la CDPENAF sur une construction qui relève d'un document d'urbanisme de la collectivité ? Il faut vraiment se poser la question. Je partage votre point de vue, mais il est plus simple de compliquer que de simplifier...

Mme Sophie Primas , présidente . - On pourrait encore débattre de la CDPENAF. Je sens bien qu'il n'y a pas ici d'unanimité à son sujet...

Mes chers collègues, permettez-moi d'attirer votre attention sur un point, que j'ai déjà évoqué lors de la réunion de mon groupe politique de ce matin, concernant le zéro artificialisation nette (ZAN), dont nous avons longuement débattu lors de l'examen de la loi Climat et résilience. Nous comprenons bien l'objectif, qui est la préservation des terres agricoles, mais nous nous sommes battus pour que cet objectif soit un minimum territorialisé ; nous en avons d'ailleurs fait une condition de l'accord en commission mixte paritaire (CMP). Nous n'avons en définitive pas été très exigeants : nous avons proposé que cette territorialisation se fasse au niveau des schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (Sraddet).

Or les projets de décrets d'application relatifs au ZAN, pour lesquels la concertation est entrée dans sa phase finale, sont contraires à l'esprit de la loi - nous avons publié un communiqué de presse hier pour le dénoncer. Nous ne nous laisserons pas faire sur cette question. C'est la vision de la gouvernance de la France qui est en jeu. Nous devons, tous groupes politiques confondus, au nom du respect du Parlement et de la décentralisation, peser sur ces projets de décrets avant qu'ils ne soient publiés.

M. Jean-François Longeot , président . - Nous allons mettre aux voix les recommandations de nos rapporteurs ainsi que l'autorisation de publier le rapport.

Les deux commissions adoptent, à l'unanimité, les recommandations proposées par les rapporteurs et autorisent la publication du rapport d'information sur le volet « attractivité commerciale en zones rurales » de la mission d'information sur les perspectives de la politique d'aménagement du territoire et de cohésion territoriale.

Réunie le mercredi 10 novembre 2021, la commission a procédé à une audition commune sur le thème « Accès aux services essentiels à la population et lutte contre la déprise commerciale en milieu rural » .

M. Jean-François Longeot , président . - Nous reprenons notre cycle d'auditions consacré aux perspectives de la politique d'aménagement du territoire, débutée en mars 2021. Notre sujet, ce jour, concerne l'accès aux services essentiels à la population et à la lutte contre la déprise commerciale en zone rurale. Pour évoquer ce sujet, nous avons le plaisir d'accueillir Fabrice Dalongeville, maire d'Auger-Saint-Vincent dans l'Oise, responsable de la section départementale de l'Association des maires ruraux de France. Francis Palombi, président de la Confédération des commerçants de France, est également présent, ainsi que Christian Martin, vice-président de la Confédération nationale de la boulangerie et boulangerie-pâtisserie française. Enfin, participeront à cette table ronde Alexis Roux de Bézieux, président des Épiciers de France, qui représente l'Union des entreprises de proximité, et Jérôme Gutton, directeur général délégué territoires et ruralité de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT).

Notre commission s'intéresse à ce sujet au titre de ses compétences en matière d'aménagement du territoire et de lutte contre la désertification. Si l'approche de la réalité de nos territoires par les équipements et les services n'épuise pas toute la question de la revitalisation rurale et du dynamisme économique, elle occupe une place centrale dans l'attractivité de nos territoires, leur capacité à attirer de nouveaux habitants et à créer des liens économiques et sociaux.

Ainsi, l'enjeu de l'accessibilité aux services et aux équipements de base est particulièrement aigu pour 15 % à 20 % de la population nationale qui vit dans des territoires ruraux, situés en dehors des zones d'influence des grandes villes et des principaux bassins d'emplois. Plusieurs réponses ont émergé au fil du temps, telles que l'élaboration de schémas d'accessibilité des services publics, ou encore les maisons « France services ». Les initiatives locales de nos maires répondent également à cela, par exemple avec l'investissement en fonds propres pour assurer le maintien de commerces de proximité comme des épiceries, ou l'élaboration de programmes itinérants permettant de rapprocher l'offre de la demande. Les initiatives législatives ont également permis de marquer plus fortement l'enjeu de revitalisation commerciale, avec par exemple le dispositif de la loi « Elan » en 2018, qui a repris plusieurs idées avancées par des sénateurs, Rémy Pointereau et Martial Bourquin, auteurs d'une proposition de loi sur le sujet.

Votre présence, Jérôme Gutton, nous est précieuse pour comprendre comment l'ANCT, qui a repris les missions anciennement assurées par l'Établissement public national d'aménagement et de restructuration des espaces commerciaux et artisanaux (Epareca), travaille pour maintenir et développer le commerce en milieu rural.

L'Agenda rural, mis en oeuvre par le Gouvernement, prévoit des actions qui visent à soutenir les collectivités territoriales dans leur projet de redynamisation. L'initiative des « 1 000 cafés » est à cet égard très positive, même si elle ne peut constituer une réponse unique au déclin de l'offre de services et de biens que nous constatons dans les secteurs ruraux. Toutefois, nous constatons que ces réponses ont été insuffisantes. En outre, avec la crise sanitaire, nos concitoyens ont exprimé leur volonté d'accéder plus rapidement et localement à un panier de services et de biens. Or, cette épidémie a également touché nos commerces ruraux, qui passaient bien souvent au travers des aides décidées par l'État. Une aide spécifique égale à 80 % de la perte du chiffre d'affaires constaté sur six mois a été mise en place pour les commerces de type épicerie, bar-tabac, restaurant, presse, point-poste situés dans les zones rurales. Cette aide ne résout pas la question de l'avenir de ces commerces ruraux. Les interrogations subsistent sur les prêts garantis par l'État (PGE).

Quoi qu'il en soit, répondre à la question de la déprise commerciale en zones rurales n'est pas une lubie d'élu local, mais une nécessité pour préserver et renforcer la cohésion sociale et territoriale dans notre pays.

Nos cinq référents sur les questions d'aménagement du territoire, Bruno Belin, Patricia Demas, Martine Filleul, Christine Herzog et Bruno Rojouan auront l'occasion de travailler sur ces sujets. Nous constituerons prochainement une mission d'information relative aux perspectives de notre politique d'aménagement du territoire, afin de prolonger ces premiers travaux de commission et d'oeuvrer à des solutions techniques qui pourront donner lieu à l'élaboration de dispositions législatives sous la forme d'une ou plusieurs propositions de loi. Je salue également la présence de Serge Babary, membre de la commission des affaires économiques, qui travaille en collaboration avec notre commission sur les sujets d'intérêt commun.

Quels sont les chiffres aujourd'hui sur la réalité de la déprise commerciale et le recul de l'accès aux services publics et privés en zones rurales ? Quels ont été les effets des confinements liés à l'épidémie de Covid-19 sur l'accès aux services publics et privés en milieu rural ? Comment pérenniser les effets positifs ? Quel est le panier de services essentiels qui permet à une commune de maintenir et de développer son attractivité ? Comment lutter contre le phénomène de recul des services et des commerces en milieu rural ?

M. Francis Palombi, président de la Confédération des commerçants de France . - Le commerce est en pleine mutation. Je représente la Confédération des commerçants de France qui regroupe 27 fédérations, constituées essentiellement des très petites entreprises (TPE) de moins de onze salariés, tous secteurs d'activités confondus, situées en centre-ville : je précise que 30 % de ces 450 000 entreprises fonctionnent sans salarié. La revitalisation des centres-villes est une nécessité absolue.

Depuis de nombreuses années, il y a eu des dérives et des implantations exagérées de grandes surfaces, entraînant des vacances de centres-villes et des ruptures d'équilibre entre la périphérie et les centres-villes proprement dits.

Quelques mesures ont été prises pour maîtriser les implantations en périphérie, avec la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique dite « ELAN », mais le mal était déjà fait.

Je voudrais ici vous alerter : il ne s'agit pas de rompre avec la liberté d'entreprendre et avec la liberté du commerce, mais on va à la catastrophe si les pouvoirs publics ne prennent pas des mesures d'encadrement, de régulation, d'équité et d'égalité, entre autres fiscales, avec les grands acteurs économiques exerçant dans un secteur d'activité unique non diversifié, en anglais les pure players . Je viens d'apprendre qu'en région parisienne, une autorisation a été accordée pour implanter un entrepôt de 150 000 mètres carrés pour Amazon. Il ne s'agit pas de stigmatiser cette entreprise, mais de poursuivre l'élan qui a été pris au début du quinquennat en faveur de la redynamisation des centres-villes et de l'équité de traitement pour permettre une alternative à la concurrence des acteurs spécialisés dans le commerce en ligne. L'État peut aider à la mise en place de « places de marché » dans les centres-villes, pour permettre aux commerçants qui doivent se numériser rapidement de se regrouper, d'agir pour le bien-être des consommateurs.

Nous nous sommes inspirés du Canada pour mettre en place des sociétés coopératives d'intérêt collectif de centre-ville, qui relèvent de l'économie sociale et solidaire. Cet outil devrait permettre à nos territoires de se réorganiser en termes de gouvernance, de partage des activités et du pouvoir. En parallèle, nous mettons en place une plateforme numérique « commerçants de France ». Il ne s'agit pas de remplacer le commerce physique par le commerce numérique. En revanche, le commerce physique doit se doter de moyens numériques pour attirer ou faire revenir les consommateurs en centre-ville.

La société coopérative d'intérêt collectif, qui commence à se développer, va rassembler dans une même structure tous les acteurs publics, privés, consulaires, les associations, les salariés, citoyens, etc.

Je précise, avec une certaine fierté, que la ville de Langogne, en Lozère, s'est dotée de la première coopérative de France et une nouvelle dynamique s'est créée. Un marché a été créé durant la crise sanitaire pour fournir à tout le département des produits de consommation, y compris en circuits courts.

Par conséquent, je ne suis pas pessimiste, des solutions existent et il faut que les organisations professionnelles ainsi que les commerçants croient en leur avenir, se regroupent et travaillent ensemble aux côtés des pouvoirs publics - mairies, collectivités locales, État. La régionalisation me semble être nécessaire. Les moyens disponibles doivent être utilisés rapidement et le monde politique qui porte les valeurs de la nation doit être vigilant dans l'équité et l'égalité de traitement, entre les différentes formes de commerce et les différents acteurs du commerce physique, qui paie ses taxes sur les surfaces commerciales (Tascom) et numériques, alors que leurs entrepôts ne sont pas assujettis à la Tascom et ne passent pas par les commissions départementales et la commission nationale d'aménagement commercial. Une réforme des entrepôts de vente est nécessaire.

M. Jean-François Longeot , président . - Merci pour cette introduction. Comme vous l'avez dit, il faut une volonté, car les solutions existent et les consommateurs peuvent accompagner ces évolutions.

M. Fabrice Dalongeville, président de l'Association des maires ruraux de l'Oise . - Je représente l'association des maires ruraux de France et je suis maire d'une commune de 530 habitants, Auger-Saint-Vincent dans l'Oise, depuis plus de vingt ans. À titre liminaire, je rappellerai quatre principaux éléments.

Tout d'abord, la cellule de base de la République est la mairie et dans la réflexion sur le commerce de proximité, le regard est souvent tourné vers le maire, qui a la connaissance du territoire ainsi que vers les acteurs économiques locaux, et un peu moins vers les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI).

Ensuite, il faut tenir compte des spécificités de chaque territoire rural. Des solutions fonctionnant à Langogne ne sont pas nécessairement applicables au Grand Est ou dans des territoires très touristiques. Cette différenciation n'est pas simple en France en raison d'une culture encore assez rigide et centralisée.

Troisièmement, c'est le digital et la téléphonie mobile qui guident aujourd'hui de nombreuses actions. Dans ce domaine, un certain nombre de dispositifs sont portés par l'Association des maires ruraux, avec des initiatives prises localement sans attendre l'intervention de l'État. Il en va de même pour les commerces de proximité.

Enfin, les nouveaux commerces ne sont plus spécialisés sur un secteur, mais ils sont hybrides. Simultanément, grâce au numérique, les livraisons expresses sont accessibles dans de nombreux villages et ce sont les véhicules dédiés à cette fonction que l'on voit le plus souvent circuler dans les villages. La question majeure porte donc sur la couverture numérique de l'ensemble du territoire et la capacité de la France à répondre au besoin d'indépendance à travers l'organisation de ce commerce.

La problématique de l'organisation du commerce ne date pas d'aujourd'hui et l'implantation des grands supermarchés il y a quarante ans avait suscité les mêmes interrogations. Ainsi je me souviens, dans mon enfance, de mon père commerçant qui signalait qu'un acteur de la grande distribution mettait en place un système d'autobus pour venir chercher les consommateurs dans un rayon de 20 km autour de Compiègne. Rappelons-nous que la France est le seul pays européen à avoir choisi une orientation aussi maximaliste et excessive sur la grande distribution. Celle-ci s'organise aujourd'hui pour reproduire le modèle d'Amazon qui apparait comme le symptôme d'un modèle commercial français qui est à bout de souffle. Nous essayons d'inverser cette tendance dans les territoires ruraux mais c'est extrêmement compliqué, car l'organisation de l'État veille à ce que ce système économique ne soit pas bouleversé. Les acteurs souhaitant s'implanter localement se tournent souvent vers la commune, mais le maire est incité à transférer sa compétence à des EPCI dont la politique est souvent de développer de nouvelles zones d'activités : il faudrait donc que ce système arrête de tourner dans le mauvais sens.

M. Jean-François Longeot , président . - Votre intervention est particulièrement intéressante, car il est utile de rappeler l'évolution historique. Mes grands-parents étaient commerçants et j'ai entendu des conversations semblables à celles que vous avez rappelées sur la montée en puissance de la grande distribution. Aujourd'hui, le consommateur doit aussi prendre conscience que, du point de vue environnemental, il est vertueux de s'adresser au commerce de proximité plutôt que de parcourir plusieurs kilomètres supplémentaires pour remplir son coffre de produits qu'il n'avait pas toujours prévu d'acquérir.

M. Christian Martin, vice-président de la Confédération nationale de la boulangerie et boulangerie-pâtisserie française . - Je rejoins totalement vos propos. Pour ma part, au-delà de mes fonctions institutionnelles, j'ai exercé le métier de boulanger durant 42 ans à Aubenas en Ardèche, département rural. En tant que président de la chambre des métiers de l'Ardèche pendant dix ans, je me suis battu au sein de ses commissions départementales d'aménagement commercial (CDAC) pour éviter la multiplication et le développement à outrance des zones commerciales : les territoires se livraient alors à une véritable course aux implantations.

La crise sanitaire a remis notre profession sur le devant de la scène. On a très opportunément rendu hommage aux personnels de santé, mais nos salariés sont également restés au front en continuant à approvisionner les zones les plus reculées de notre territoire.

Pour inverser la déprise commerciale, il faut, dans un premier temps, figer la situation pour conserver l'existant. Aujourd'hui, un commerce alimentaire en zone rurale est un « aménageur de territoire » : il est créateur de richesses économiques, de lien social et d'emplois. Ce sont des familles qui restent sur place et des activités non délocalisables.

L'essentiel, pour le commerce de proximité, c'est avant tout d'éviter les fermetures, car il est beaucoup plus compliqué de réinstaller une boulangerie dans une commune que de trouver un repreneur. Certes, on trouve encore des jeunes candidats à l'installation, par exemple à titre de reconversion après un plan social ou parce qu'ils souhaitent quitter une grande agglomération et trouver une meilleure qualité de vie. Cependant, pour que ces commerces puissent vivre, plusieurs conditions doivent être réunies : une population suffisante, des services publics avec, en particulier, une école, des locaux adaptés et en conformité avec les normes - le maire est ici encore un interlocuteur essentiel - une concurrence raisonnable et une fiscalité équitable.

On dit que le consommateur a changé et que la crise l'a rapproché du commerçant de centre-ville ; encore faut-il qu'il puisse, par exemple, se garer à proximité.

M. Alexis Roux de Bézieux, président de la Fédération des épiciers de France . - La Fédération des épiciers de France représente environ 20 000 épiciers indépendants alors qu'en 1960, ce nombre était de 140 000. Ils sont répartis sur tout le territoire et on peut les classer en trois typologies. La première rassemble les « hédonistes », ceux qui privilégient l'épicerie fine, avec des produits en provenance directe des producteurs dans un style que certains qualifient de « bobo ». La deuxième typologie est celle de « l'épicier pratique » et multiservices en zone rurale ou en centre-ville, ce type de commerce s'appuie souvent sur une population étrangère... La troisième est celle des épiciers dits « communautaires » qui peuvent approvisionner en produits du quotidien des populations d'origine par exemple lusitanienne, italienne ou grecque.

Nous avons formé cette année, au sein de notre fédération, 60 porteurs de projet qui ont vocation à s'intégrer sur tout le territoire. L'impact de la Covid-19 en zone rurale a été plutôt positif pour beaucoup d'entre eux. En raison notamment des restrictions de circulation, certains épiciers ont connu jusqu'à 50 % d'augmentation de leur chiffre d'affaires. Ce phénomène a été assez circonscrit pendant le premier confinement et les consommateurs se sont ensuite à nouveau tournés vers la grande distribution : seule une petite proportion d'entre eux a pu être fidélisée.

En second lieu, pour qu'un commerce s'installe, perdure ou soit repris, il faut un bassin de population, une intensité concurrentielle faible et un pouvoir d'achat suffisant des populations, car le panier moyen, dans ces épiceries qui vendent des produits frais, est assez contraint. Or dans les milieux ruraux, après avoir payé les traites de leur achat immobilier, les personnes sont souvent contraintes de s'approvisionner en produits de marque distributeur. Il faut donc que le commerçant ait un positionnement sur les prix intelligents ainsi qu'un nombre suffisant de clients.

Deux contraintes pèsent tout particulièrement sur l'exploitation commerciale en centre-bourg ou en centre-ville. La première est le coût de la rénovation du bâti qui se situe en moyenne à 1 200 euros par mètre carré : une aide à la rénovation est ici souhaitable, ce qui permet de valoriser les centres-bourgs ou les villages sur le plan social, touristique ou architectural. La deuxième contrainte est le nécessaire maintien des services publics de l'État dans ces centres-bourgs. Inversement, lorsqu'une maison « France services » s'installe dans une zone commerciale, le consommateur n'a plus guère intérêt à aller en centre-ville.

En ce qui concerne la viabilité économique d'un exploitant, prenons l'exemple d'un épicier dont le ticket moyen par jour et par client est de 9 euros. Avec 35 % de marge, pour pouvoir payer le salaire d'une personne, le loyer, les frais et les charges, il doit dégager 40 000 euros par mois, ce qui correspond à 44 clients par jour sur 300 jours. Il est donc illusoire de penser qu'un commerce indépendant pérenne puisse s'implanter dans un bassin de population comptant moins de 5 000 à 10 000 clients potentiels dans un rayon d'une dizaine de kilomètres.

M. Jérôme Gutton, directeur général délégué de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) . - Dans le prolongement des 20 années de ma carrière préfectorale, notamment dans le Doubs comme sous-préfet à Montbéliard, je suis en charge des territoires et des ruralités au sein de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) : c'est l'une des quatre directions générales déléguées qui agissent de concert.

L'ANCT s'appuie sur une série de directions générales déléguées, dont la mienne, sur le réseau traditionnel de compétences au sein des services de l'État, les préfectures, les sous-préfectures et les directions départementales des territoires (DDT). Il y a également, vous l'avez cité Monsieur le Président, l'Epareca, dont les missions ont été reprises par l'ANCT. En particulier, les préfets sont devenus les délégués territoriaux de l'agence. Celle-ci s'appuie également sur un certain nombre de partenaires pour construire et animer les programmes dont elle a la charge, en particulier la Caisse des dépôts et consignations (CDC) ainsi que sa filiale, la Banque des Territoires, dont les prêts et les subventions sont particulièrement importants en milieu rural, mais insuffisamment connus. La Caisse des Dépôts est très présente pour soutenir le programme « Action coeur de ville » dont la principale priorité est la revitalisation commerciale. Le programme « Petites villes de demain » concerne 1 600 communes, avec la même priorité.

Le commerce et les services publics marchent de pair et les maisons « France services » aident à l'implantation des commerces. Les 2 000 maisons « France services » sont professionnalisées et labellisées, deux personnes physiques sont présentes et spécialement formées. Elles s'appuient sur les communautés territoriales avec l'aide de ses différents acteurs, telles que les allocations familiales, l'assurance-maladie, les caisses de retraite et bien entendu La Poste. L'ANCT travaille en harmonie avec le contexte actuel de relance et de transition écologique.

Dans les programmes « Action coeur de ville » ou « Petites villes de demain » la dimension digitale et numérique est importante pour aider les fonctions commerciales à se maintenir sur le terrain. Le renforcement de la couverture du monde rural en téléphonie mobile s'effectue en lien avec les communes, et pour la fibre, en lien avec les départements ainsi que les régions. Tout ceci vise à créer les conditions favorables au maintien des services et des commerces sur nos territoires ruraux.

Le principal outil de l'ANCT est l'ingénierie qui est mise à disposition des collectivités au travers de différents programmes comme « Action coeur de ville », « Petites villes de demain » ou encore les Contrats de relance et de transition écologique (CRTE) par l'agence et ses opérateurs partenaires. L'agence soutient financièrement les collectivités territoriales, en particulier les plus pauvres d'entre elles, dans un contexte où la diversité des acteurs rend de plus en plus complexes et de moins en moins lisibles les solutions et les moyens à activer.

De nombreux outils sont disponibles, mais insuffisamment connus, et il faudrait mettre en avant les exemples de réussites, surtout en matière de services publics ou de revitalisation commerciale, afin de les reproduire ailleurs.

S'agissant des bâtiments de grande ampleur, comme ceux d'Amazon par exemple, je parle davantage par rapport à mes expériences précédentes qu'au nom de l'ANCT, le détail des dispositions réglementaires et législatives qui s'imposent mérite d'être davantage connu des administrations et des collectivités territoriales, car elles ne sont probablement pas toujours respectées. Ils ne peuvent bien évidemment pas être construits comme un bâtiment de 400 m 2 comme les commerces de proximité que vous évoquez. On oublie trop souvent que de telles surfaces ont des obligations, notamment de pouvoir porter des panneaux solaires ; de plus, leur construction est subordonnée au respect d'un certain nombre de normes environnementales, comme la perméabilisation des sols, auxquelles s'ajoutent des obligations de compensation environnementale particulièrement difficiles à satisfaire sur certains territoires.

M. Bruno Belin . - Je tiens en préambule à remercier le bureau de notre commission et en particulier notre président Jean-François Longeot et Didier Mandelli pour l'organisation de cette table ronde. Je souhaite également remercier nos intervenants pour leurs propos passionnants.

Vous avez parlé, Monsieur le préfet, du programme « Petites Villes de Demain », qui concerne 1 600 villes, le programme « Action Coeur de Ville », concentré sur 222 villes, ou encore des 2 000 maisons « France Services », mais je souhaiterais que nous parlions avant de l'hyper-ruralité, car la moitié de nos communes ont moins de 500 habitants.

Comme nous le savons tous, le commerce en milieu rural est une des activités les plus difficiles qui soient et il nous faut proposer des solutions pour assurer sa pérennité.

Une nouvelle relation commerçant-consommateurs a émergé et la pandémie a révélé de nouveaux modèles, comme les circuits courts, et de nouveaux commerces comme les recycleries ou les camions itinérants, les food trucks même si je n'aime pas ce terme.

La prise en compte par le consommateur du paramètre distance-circuit a changé. Selon certaines chambres de commerce et d'industrie (CCI), lorsqu'un consommateur utilise son véhicule pour acheter ses produits, il faut ajouter entre 80 centimes et un euro par kilomètre pour prendre en compte l'essence et les frais de voiture.

La notion de proximité et la convivialité font désormais partie du lien commercial.

La Cour des comptes a récemment souligné la difficulté pour les territoires ruraux à sortir d'une forme de « spirale d'exclusion », qui se manifeste particulièrement dans le recul de l'accès territorial aux nous, cela a été évoqué lors de l'audition de la ministre précédemment. Nous verrons comment l'ANCT se saisit de ces sujets pour enrayer cette spirale.

Les constats que vous avez effectués sont excellents et pleins de bon sens : il faut avant tout préserver les commerces qui doivent l'être.

Je regrette ici la disparition du Fonds d'intervention pour la sauvegarde de l'artisanat et du commerce (FISAC) : il permettait de faire payer les grandes surfaces pour financer des dépenses de rénovation pour les petits commerces ruraux avec, par exemple, le remplacement du four à pain d'une boulangerie de proximité. Ce type de mesure, qui a bien fonctionné, doit être remis à l'ordre du jour.

Il est également nécessaire que les communes soient entendues dans les commissions départementales lorsqu'elles sont concernées par l'implantation de grandes surfaces. Les maires concernés devraient être invités et écoutés lors de la présentation des études d'impact sur le petit commerce rural.

Je me tourne également vers le représentant de l'ANCT pour dire que nous ne pouvons pas nous satisfaire d'un maillage territorial dont la « maille » serait trop grosse. Vous nous répondrez peut-être que le critère traditionnel est de pouvoir accéder aux services essentiels dans un périmètre accessible en 30 minutes et le programme « Petites villes de demain » est bâti sur cette idée, mais un tel critère n'est plus opérationnel. Aujourd'hui, la mobilité à un coût financier et avec le changement climatique, on doit s'efforcer de moins utiliser sa voiture.

La proximité est devenue une nécessité et le maillage territorial doit être resserré. On ne peut uniquement poser les solutions à l'échelle de villes de 7 000 à 8 000 habitants. Vous avez évoqué la nécessité d'un bassin de population et de clientèle d'au moins 5 000 personnes et cela correspond à nos anciens cantons, qui étaient également le bassin d'école où l'on passait le certificat d'études. Les maisons « France services » doivent aussi être implantées de façon cohérente : elles peuvent générer un flux de clientèle pour les commerces de proximité.

L'État a une vraie responsabilité à l'égard des commerces réglementés, tels que les restaurants et débits de boissons disposant d'une licence IV, les pharmacies, les établissements labellisés « Française des jeux » et les boulangeries, qui, vous pourrez nous le confirmer, sont réglementés depuis Napoléon III et soumises à des régimes d'ouverture peu souples...

Il faut donc un travail de cohérence et d'adaptation à chaque bassin de population, qui n'est bien sûr pas le même d'un territoire à l'autre, pour prévenir la fermeture massive des commerces existants.

Bien entendu, l'équité fiscale doit être rétablie entre les petits commerçants et les moyennes-grandes surfaces et les élus associés. Des zones franches ont attiré des grandes surfaces alors que des commerces de centre-ville continuent à payer ses taxes foncières par ailleurs.

J'ajoute enfin que de nouveaux critères doivent être pris en compte, comme l'arrivée des néoruraux et du « tourisme vert », ce qui appelle la création de commerces et de services de proximité.

Pour accompagner ce mouvement, la formation professionnelle aux métiers de la boulangerie ou de la boucherie-est essentielle.

Je rappelle qu'en France, la masse des dépenses de formation professionnelle avoisine 50 milliards d'euros. Or dans les secteurs où l'on manque de candidats, comme la boucherie ou les préparateurs en pharmacie ou les boulangers par exemple, ce sont les chefs d'exploitation qui prennent la formation à leur charge sous forme de cotisations et ensuite qui financent également des maisons de formation. Les contraintes de mobilité des apprentis sont également majeures en milieu rural. Au total, pour tous ces sujets, qui concernent 15 à 17 millions de citoyens de la ruralité, les solutions doivent être trouvées selon une démarche de bon sens en évitant les travers du jacobinisme.

M. Jean-François Longeot , président . - J'ajoute qu'il faudrait enfin cesser de dévaloriser l'apprentissage.

Mme Patricia Demas . - Les ruralités sont diverses, mais leur point commun est le rôle central du maire. J'ai deux interrogations.

Quels témoignages pouvez-vous nous apporter sur les « tiers lieux », qui bénéficient d'un soutien du Gouvernement et de l'ANCT ? En quoi peuvent-ils contribuer à la dynamique des territoires et de quelle manière ?

Par ailleurs, la dynamique des partenariats privés-publics est souvent une réussite en matière commerciale et, par exemple, sur mon territoire une station-service a pu être préservée. Quels témoignages pouvez-vous apporter à ce sujet ? Quels types de collaborations et de projets permettent-ils de réussir ?

Mme Martine Filleul . - Merci pour vos interventions. Je soulèverai quatre interrogations pour ma part.

Tout d'abord, la périurbanisation a favorisé l'implantation souvent anarchique et redondante de surfaces commerciales en périphérie des villes. La loi « Climat et résilience » d'août 2021 a proposé un certain nombre de mesures : vont-elles dans le bon sens, faut-il apporter des correctifs, et si oui, lesquels ?

Ensuite, l'équilibre entre les bailleurs et les locataires est un facteur important pour la revitalisation d'un centre-ville ou d'une commune. Quels dispositifs permettraient selon vous d'éviter l'alourdissement des loyers pour favoriser l'implantation et le maintien de commerçants ou d'artisans dans les territoires ruraux ? Quelles solutions législatives pourrait-on mettre en oeuvre pour répondre à la problématique du niveau des charges parfois très lourdes qui pèsent sur les commerces de proximité, sans porter une atteinte excessive à la liberté contractuelle ? Peut-on imaginer des types de baux spécifiques pour les commerces en milieu rural ou en zone urbaine délaissée ?

Par ailleurs, pour répondre aux défis des commerces, on constate l'émergence des magasins éphémères ou « pop-up stores ». Ils permettent de tester un concept commercial et des produits, ou de déstocker des marchandises. Ces pratiques sont-elles, selon vous, une opportunité pour enrayer la vacance commerciale en zone rurale ou dans des secteurs urbains en difficulté ?

Enfin, le plan de relance souhaite accompagner le mouvement déjà engagé localement de recyclage et de réhabilitation des friches urbaines et industrielles. Les opérations de revitalisation territoriale comprennent-elles ce genre d'action pour favoriser l'implantation de commerces ? Rencontrez-vous des obstacles pour la réutilisation de ces friches ?

M. Bruno Rojouan . - Ayant moi aussi vécu dans une famille de commerçants en zone rurale, je souhaiterais vous faire réagir à propos d'idées reçues que nous avons tous entendues.

Au préalable, je fais observer que l'avancée de la désertification a d'abord été constatée dans les villages, puis dans les villes moyennes et maintenant dans les grandes villes. Les rideaux baissés sont désormais visibles dans les grandes villes comme Paris : il suffit de s'y promener, en dehors des grands boulevards, pour voir qu'un grand nombre de vitrines commerciales sont fermées avec de vieilles affiches qui démontrent que l'activité commerciale y a cessé depuis longtemps. La problématique du commerce dit de centre-ville n'est donc plus liée uniquement à la taille de la commune, mais à une évolution de la société.

J'en viens à mes questions. Pensez-vous que le développement des voies piétonnes dans les coeurs de ville ait limité l'accès des véhicules et provoqué la dépréciation du commerce ?

Estimez-vous qu'une différenciation significative de fiscalité - avec un alourdissement pour les commerces de périphérie et un allègement pour les commerces de coeur de ville - aurait un véritable impact ?

De nombreuses communes rurales ont décidé d'acheter des murs commerciaux, afin de favoriser l'implantation de commerçants : quel est votre point de vue à ce sujet ? D'autres, plutôt de taille moyenne, ont fait le choix d'implanter des centres commerciaux dans le coeur de ville, avec pour objectif que les petits commerçants bénéficient de l'attrait de ces centres commerciaux. Que pensez-vous de ces pratiques ?

Les prix plus bas sont un élément majeur pour attirer les consommateurs. Existe-t-il, selon vous, une différence entre les prix pratiqués en périphérie et dans les commerces de centre-ville ? Les fonds de commerce des coeurs de ville ont-ils conservé une valeur ? Je rappelle que la vente du fonds finançait autrefois une partie de la retraite des commerçants et ce capital participait beaucoup à l'attrait pour les commerces de centre-ville.

M. Christian Martin, vice-président de la Confédération nationale de la boulangerie et boulangerie-pâtisserie française . - Merci pour vos témoignages et vos questions auxquelles je vous apporte quelques éléments de réponse.

S'agissant des partenariats public-privé, je voudrais mentionner quelques constats embarrassants. Lorsqu'une commune participe au maintien d'un commerce, par exemple d'une boulangerie, on voit parfois une partie du conseil municipal et de leurs familles qui ne se fournissent cependant pas chez cet artisan. De plus, certains établissements de la commune, comme les écoles ou les maisons de retraite, se fournissent quant à eux chez Sodexo quand le commerçant ne peut pas consentir des remises qui menaceraient sa survie économique.

Le sujet des voies piétonnes a été débattu dans de nombreuses communes. Elles ont certes des atouts, en particulier par beau temps. Mais, en hiver, quand il pleut, qu'il neige ou que les rues sont en pente et verglacées dans des endroits où il y a beaucoup de personnes âgées, la tentation est grande de prendre le bus qui vous amène dans un centre commercial abrité en périphérie.

S'agissant des prix : la baguette de l'artisan boulanger - environ 90 centimes d'euro - est effectivement plus chère que celle vendue dans les zones commerciales avec des prix divisés par deux. Il faut ici rappeler au consommateur que la baguette du boulanger se compose de matières premières différentes, avec d'un côté l'utilisation d'une farine locale et de l'autre, l'utilisation d'une farine dont les blés proviennent d'Asie centrale. Il est donc souhaitable de « rééduquer » le consommateur qui se veut aujourd'hui plus vertueux et écologique, mais achète au moins cher tirant les salaires et la protection sociale vers le bas. De plus, à surface égale, un commerçant emploie en moyenne trois fois plus de personnes qu'une grande surface. Ces commerces de proximité sont ainsi créateurs d'emplois, générateurs de cotisations sociales, et s'inscrivent dans une économie vertueuse.

Enfin, les petits commerçants ne demandent pas de cadeaux fiscaux ou de traitement différenciés. Nous en discutons souvent et notre conclusion est toujours identique : » mêmes droits, mêmes devoirs ».

M. Fabrice Dalongeville, président de l'Association des maires ruraux de l'Oise . - Concernant des « tiers lieux », ma réponse s'appuiera sur le cas concret de mon village : avec un établissement public foncier, nous avons racheté un presbytère de 300 mètres carrés situé sur la place du village. Nous en avons transformé une moitié en gîte d'hébergement touristique pour répondre à la demande émergente des « néoruraux ». L'autre moitié a été aménagée en café citoyen avec une licence IV communale.

Sur le principe, je remercie l'Agenda rural de nous avoir permis de retrouver des moments de convivialité grâce à la licence IV. Cependant, un courrier du sous-préfet m'a informé qu'en tant qu'officier de police judiciaire, je ne peux pas utiliser le permis d'exploiter de la licence IV communale, que je suis d'ailleurs le seul maire à avoir obtenu.

Mesdames et Messieurs les Sénateurs, je fais appel à vous pour faire évoluer ce dispositif, car il m'est difficile de demander à une tierce personne d'assumer cette responsabilité - et de faire face aux éventuels incidents - dans le cadre d'un projet communal.

À côté de ce café, nous avons également installé une épicerie grâce aux nouveaux outils que l'association des maires ruraux soutient, notamment Monépi, qui est une plateforme de réouverture d'épiceries en milieu rural. Nous utilisons les outils digitaux pour faciliter l'accès à l'épicerie, mais je signale qu'un tiers de la centaine de clients de ce commerce ne sait pas les utiliser. Aujourd'hui, la principale difficulté est que ce projet ne permet pas de dégager une marge de rentabilité suffisante et donc sa structuration est bénévole. Il n'y a aucun enjeu de concurrence dans ce village qui a été déserté des commerces. En revanche, des dispositifs comme « 1 000 Cafés » permettent d'aider des commerçants déjà installés, même si certaines critiques peuvent être adressées aux montages immobiliers utilisés.

Par ailleurs, pour soutenir le commerce local, nous avons lancé le projet « C'est ma tournée » avec la plateforme de financement rural « Bouge ton coq » : 300000 euros y ont été consacrés pendant la crise Covid.

L'épicerie de proximité propose les produits de producteurs locaux à des prix cependant assez élevés, car personne n'est réellement philanthrope et nous dresserons un bilan de cette expérience après six mois de fonctionnement. Chacun a parfois tendance à augmenter ses marges, si bien que l'organisation d'un circuit court de proximité a un coût important qui se répercute dans les prix. Aussi, de nombreuses personnes n'y ont pas accès alors que le territoire n'est pas défavorisé socialement.

Un « tiers lieu » permet d'hybrider les offres de services dans un lieu de vie : c'est une tendance de plus en plus forte aujourd'hui. Sur les 1 800 tiers lieux français qui ont été identifiés, la moitié se trouvent en milieu rural.

Grâce à « RuraConnect », notre mairie met également à disposition, en ligne, la salle du Conseil municipal ainsi qu'une salle ouverte à la location, notamment pour des représentants de commerce du territoire qui ont besoin de se réunir.

Par ailleurs, l'appréciation des zones piétonnes est variable selon les territoires. Dans la commune de 500 habitants où je suis élu, la place du village se confond avec le secteur piétonnier. Je note que les territoires touristiques sont plus agréables lorsqu'ils comportent des secteurs piétonniers et les solutions pertinentes dépendent donc des situations.

J'en viens aux sujets immobiliers. La prise en main « municipale » des murs me paraît d'une nécessité évidente et incontournable. La difficulté réside dans la situation financière des communes qui subissent la baisse des dotations et l'absence d'horizon financier à moyen ou long terme tout en devant gérer les problématiques liées à l'assainissement, à l'eau, à l'enfouissement ou encore à la transition énergétique. Dans ce contexte, les établissements publics fonciers locaux (EPFL) sont des outils importants et efficaces dans certaines situations.

Enfin, la fiscalité reflète la triste réalité de notre système économique et la volonté politique qui la sous-tend. Les montages fiscaux de l'entreprise de Jeff Besos nous éclairent sur les difficultés que rencontre l'État pour baisser les impôts des artisans indépendants. Davantage d'équité permettrait à chacun de mieux s'en sortir.

M. Jean-François Longeot , président . - Je vous remercie pour ces interventions et suis très sensible à leur pragmatisme. Il y a plusieurs formes de ruralité : pour avoir eu la chance de gérer une commune au patrimoine exceptionnel, j'ai, moi aussi, fait appel aux établissements publics fonciers pour solliciter des artisans d'art et recréer une dynamique de centre-ville.

M. Fabrice Dalongeville, président de l'Association des maires ruraux de l'Oise . - Vos propos m'amènent à ajouter une remarque, tout particulièrement à l'attention des représentants de l'ANCT : les effets de seuil et les fléchages spécifiques deviennent insupportables. Les énergies et les besoins doivent être déployés au service d'un projet pour le faire aboutir, quelles que soient la densité, la localisation, ou la dimension patrimoniale du village concerné.

Je le redis, il faut partir du projet pour permettre aux communes rurales de moins de 1 000 habitants de bénéficier de dispositifs que nous appelons « Villages d'avenir » et qui auraient vocation à être généralisés à l'ensemble des collectivités locales.

M. Francis Palombi, président de la Confédération des commerçants de France . - J'apprécie beaucoup les questions qui ont été posées.

Vous avez demandé des exemples de réorganisation commerciale novatrice. Je citerai les expériences conduites dans l'Albigeois, à Langogne ou encore à Montélimar et une trentaine d'autres cas en gestation. Fondées sur le principe de cogestion, les sociétés coopératives d'intérêt collectif y associent les acteurs - mairies, collectivités locales, citoyens, commerçants, acteurs privés, professionnels libéraux. Cette piste très prometteuse s'inscrit dans le cadre de l'économie sociale et solidaire.

Vous avez également évoqué l'artificialisation des sols et le réemploi des friches. Nous ne souhaitons pas que les entreprises Amazon bénéficient à nouveau des dispositifs de réaménagement des fiches pour installer leurs entrepôts de 50000 à 150000 mètres carrés, tout en bénéficiant d'une fiscalité attrayante. Une piste sérieuse consisterait à aider des jeunes qui souhaitent s'installer dans des zones rurales en trouvant des solutions de gestion sous forme coopérative avec des propriétaires de commerces qui ont dû fermer.

Les collectivités locales ont besoin de ressources fiscales, mais si tous les entrepôts logistiques d'entreprises qui proposent des produits directement aux consommateurs, en B to C, étaient soumis à la taxe sur les surfaces commerciales (Tascom), les sommes collectées représenteraient une manne financière significative qui pourrait être redéployée en zone rurale dans le cadre des plans « Petites villes de demain » ou « Action coeur de ville ».

Par ailleurs, les Assises du commerce nous permettront d'évoquer les importants problèmes de loyers. Des commissions départementales existent quasiment dans tous les départements. Elles devront se réformer et devenir plus efficientes pour prendre en compte le montant des loyers. Le montant de ces derniers est parfois délirant et cela crée une ségrégation entre les différentes typologies de commerçants. Par principe, aucune procédure portant sur les loyers ne devrait être engagée sans concertation avec ces commissions départementales.

S'agissant du regroupement des acteurs et de l'étude des projets de réaménagement des territoires, je reste à la disposition des maires et des collectivités territoriales pour leur information sur les coopératives numériques ou de centre-ville : je dispose de dossiers très complets et bien ficelés. Les maires sont trop souvent isolés et d'après mon expérience, il faut les mettre en situation de donner, ou pas, le feu vert à une opération de regroupement. Enfin, je salue le discours de l'ANCT, tel qu'il vient d'être formulé.

M. Alexis Roux de Bézieux, président de la Fédération des épiciers de France . - En France, notre chance est qu'il reste heureusement beaucoup d'indépendants dynamiques, malgré la crise Covid qui a été fatale pour certains.

J'aborderais un sujet qui me parait important : celui des « rentes », la valeur du fonds de commerce. Pendant longtemps, la valeur du fonds de commerce a été le socle de la retraite du commerçant. Aujourd'hui ce n'est plus le cas, ce qui soulève le problème de la rentabilité du travail de l'indépendant. Cette rentabilité dépend du volume d'activités, car les effets d'élasticité-prix sont relativement faibles : les dépenses alimentaires représentent actuellement 5 à 15 % du budget des ménages contre 30 % il y a quarante ans. Les Français n'envisagent de renoncer ni à leur abonnement à domicile auprès d'un fournisseur d'accès numérique ni à leur téléphone mobile. Une part contrainte du budget des ménages est donc accordée aux loisirs et aux divertissements.

Dans ce contexte, l'indépendant rencontre fréquemment un problème de niveau de vie lié à la couverture de l'achat de ses produits ou fournitures et de ses frais fixes.

Aujourd'hui, il n'y a quasiment plus de centrales d'achat pour les indépendants : la plupart des centrales d'achats sont désormais regroupées au sein des grands distributeurs. Ceux-ci risquent d'ailleurs également de subir, à terme, la désaffection des consommateurs et de redevenir des grossistes pour des épiciers indépendants, car leur modèle intégré arrive en fin de cycle et se renouvellera probablement pour s'adapter aux attentes de la population.

En contrepoint, les Français recherchent généralement de la singularité et une différenciation du commerce, cette préférence étant limitée par des considérations de prix. Or, il y a peu d'élasticité-prix chez le consommateur et peu de marge de manoeuvre pour l'indépendant qui ne se peut pas se fournir à bas coût auprès des centrales d'achat groupées.

Pour leur part, les frais fixes sont principalement composés des frais de personnels et du loyer. On l'a bien vu pendant la crise Covid, certains bailleurs n'ont guère réalisé d'efforts sur les loyers quand bien même leurs locataires subissaient des baisses significatives de leur chiffre d'affaires. En centre-ville, la réduction de l'amplitude horaire d'ouverture a pénalisé des commerçants.

Une plus grande variabilité des loyers pourrait être envisagée selon le principe d'un taux d'effort qui dépendrait de la rentabilité des métiers : les loyers seraient ainsi paramétrés selon la performance et le niveau de chiffre d'affaires.

Par ailleurs, l'achat des murs par les communes est envisageable et ne me choque pas.

Quant à la valeur des fonds de commerce, je l'ai évoqué, elle repose sur un modèle dépassé, un peu comme celui des licences de taxi, et n'existe pas dans plusieurs pays.

Enfin, fiscalement, il faudrait que le commerçant puisse mieux comprendre ce qu'il paye et combien il paye pour ensuite pouvoir calculer les effets des impôts de production sur le compte d'exploitation d'un commerce.

Plus largement, il faut progresser au niveau de la facilité d'exploitation d'un commerce, car la norme, notamment environnementale, se révèle souvent difficile à comprendre et à appliquer pour l'indépendant et à contrôler pour l'État.

M. Jérôme Gutton, directeur général délégué de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) . - Je souhaite revenir sur certains sujets pour dissiper les malentendus.

Tout d'abord, s'agissant de la taille des « Petites villes de demain », il n'existe aucun seuil comparable à ceux établis par l'INSEE. La ministre Jacqueline Gourault a décidé de ne pas hésiter à retenir des communes de 700 à 900 habitants, en fonction de l'organisation du territoire, de sa réalité commerciale et de ses capacités de développement. Chaque territoire fait ainsi l'objet d'un examen particulier. Nous travaillons donc beaucoup sur l'animation des « Petites villes de demain », en liaison étroite avec les élus et les autres partenaires.

Par ailleurs, dans le cadre des contrats de relance et de transition écologique (CRTE), nous veillons, sous la houlette du maire et du président de la Communauté de communes concerné, à faire bénéficier du dispositif le territoire tout entier : il n'y a donc pas de frontière entre la petite ville labellisée et le territoire qui l'entoure. La cible est relativement large et permet d'éviter les effets de seuil ou les effets couperets extrêmement fâcheux.

Je reconnais, en tant que préfet, avoir été assez attaché au FISAC, mais nous disposons d'outils alternatifs non négligeables que les régions et les communautés de communes ont mis en place dans un contexte de décentralisation.

L'État subventionne effectivement le rachat de murs dans plusieurs communes, via la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), en fonction des catégories éligibles définies par les élus membres de la commission départementale. Si aucune disposition ne s'y oppose, le préfet ou le sous-préfet ont la possibilité de participer au rachat de murs à condition de respecter les principes fondamentaux de la concurrence. En l'absence de tout intervenant depuis plusieurs années, les conditions sont évidemment réunies ; elles ne le sont pas, a priori , si plusieurs commerces se sont maintenus sur la même thématique.

Pour faire écho à la remarque du Président Longeot, la France est désormais largement couverte par des établissements publics fonciers de l'État qui réalisent un travail précieux. Ils sont plus ou moins connus selon les territoires qui se les approprient progressivement en fonction de leur histoire.

L'ex-EPARECA désormais intégré à l'ANCT, travaille davantage sur des enjeux de revitalisation commerciale dans des villes particulièrement difficiles, avec des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV). Cependant, le bénéfice du savoir-faire des équipes s'élargira graduellement.

Enfin, la Caisse des dépôts et consignations met progressivement en place des sociétés foncières qui ont une activité dynamique.

Nous essayons donc de travailler intelligemment, sans référence à des « seuils », en fonction des caractéristiques du territoire - géographie, sociologie et bassins de vie. L'ANCT a vocation à travailler en priorité au profit des territoires les plus ruraux.

M. Éric Gold . - Je souhaite évoquer la disparition régulière des agences bancaires pourtant nécessaires à l'activité commerciale des territoires. Plus généralement, les distributeurs automatiques se raréfient dans les zones rurales alors que le paiement en espèces reste largement utilisé dans les commerces de base.

Certains prestataires proposent désormais aux communes ou intercommunalités de prendre en charge l'installation et le fonctionnement de ces distributeurs pour des montants exorbitants.

Devons-nous nous résigner à voir les services bancaires disparaître inéluctablement ? Cette évolution génère-t-elle des handicaps ou va-t-elle simplement dans le sens de l'histoire ? A-t-elle des conséquences particulières sur vos activités ?

Mme Angèle Préville . - Je souhaite aborder la problématique liée à la réforme sur les entrepôts de vente et en particulier leur imposition à la Tascom. Nous déposons régulièrement des amendements sur ce point, sans succès jusqu'à présent. Nous persévérerons, car j'estime que cette mutation spécifiquement française de la consommation et de la livraison à domicile représente un non-sens écologique. Cette urgence est absolue.

Le Lot est un territoire très rural qui rassemble beaucoup de communes de moins de 1 000 habitants - la majorité des communes du département ont quelques centaines d'habitants. Après la crise Covid, plusieurs commerces multiservices restants ont dû fermer et les maires désemparés ignorent comment réinstaller ce type de commerces dans leur commune.

Quelles solutions peuvent être proposées à des communes de 100 à 300 habitants ? À quelles conditions - notamment en nombre d'habitants - une boulangerie est-elle viable ? Est-il envisageable de solliciter des personnes qui travaillent déjà à leur domicile pour gérer un multiservice ?

M. Jean-Michel Houllegatte . - On a vu les boulangers devenir boulangers-pâtissiers et ils proposent désormais d'autres menus. L'évolution de ce modèle économique soulève d'ailleurs de nouvelles difficultés.

L'éducation du consommateur a été renforcée par différentes lois, notamment par l'affichage du NutriScore et de l'impact environnemental. Elle se structure progressivement autour de projets alimentaires territoriaux (PAT). Les branches professionnelles liées au commerce et à l'artisanat, auxquelles s'associent généralement les chambres d'agriculture, sont-elles véritablement parties prenantes des projets alimentaires territoriaux (cantines scolaires, épiceries de quartier) ?

Vous avez également évoqué les « 1 000 Cafés » pour réinventer le bistrot du village. Quel est l'état d'avancement de ce projet ? Qu'apporte-t-il concrètement ?

M. Étienne Blanc . - Aujourd'hui, le droit de l'Union européenne met en oeuvre une politique de prix guidée par le dogme selon lequel les prix les plus faibles servent les concitoyens les plus modestes. C'est pourquoi la France rencontre des difficultés lorsqu'elle cherche à protéger les entreprises ou les commerces de proximité contre la grande distribution : nous l'avons constaté avec la loi Egalim.

Comment imaginer une véritable politique d'aménagement du territoire qui développe le commerce de proximité dans les bourgs et les petites communes alors même que le droit européen nous impose des restrictions qui la rendent quasiment impossible ?

M. Gilbert Favreau . - Nous venons de tirer à boulets rouges sur les grandes surfaces et on constate aujourd'hui que dans beaucoup de petites et moyennes communes, certaines surfaces de commerce fonctionnent bien en ciblant, le plus souvent, les besoins alimentaires. Or, en matière d'urbanisme, nous observons généralement que des moyennes surfaces demandent l'autorisation d'installer une galerie marchande à proximité.

Je tairais le nom d'une commune qui a refusé au propriétaire de la moyenne surface d'installer une galerie marchande et il s'agit d'une commune où le commerce individuel est le plus florissant du département. Dans ces galeries marchandes, on rencontre toutes les activités qui disparaissent progressivement des communes.

Le propriétaire de la moyenne surface a pourtant exercé beaucoup de pression pour obtenir une autorisation : l'affaire a été portée au tribunal, lequel a donné gain de cause à la commune qui refusait cette extension et la mairie se satisfait aujourd'hui pleinement de la situation. C'est une idée qui peut être suggérée à certains élus qui voudraient maintenir les petits commerces.

M. Louis-Jean de Nicolaÿ . - Dans mon département, nous avons également essayé de refuser l'aménagement d'une galerie marchande autour d'une grande surface. Nous avons été contraints d'accepter deux ou trois commerces, mais nous avons réussi à empêcher l'installation de petits commerces à proximité de ces galeries.

Dans le cadre de l'ANCT, je conseille aux communes qui souhaitent installer des commerces de veiller à inscrire ces politiques dans les contrats de relance et de transition écologique (CRTE). Ils seront en effet cosignés par le préfet et le président de la Communauté de communes et permettront de garantir des fonds DETR et DSIL (dotation de soutien à l'investissement local) aux communes qui souhaitent investir dans l'immobilier pour installer des commerces. Par ailleurs, j'estime qu'il est important de penser au cybercommerce sans oublier que « le commerce marche bien quand le commerçant est bon », c'est-à-dire quand la formation est adaptée et que les conditions sont bonnes.

Mme Laurence Muller-Bronn . - Dans nos communes, l'application des lois et des normes d'accessibilité a poussé de nombreux commerces à fermer, puis à rouvrir dans des zones commerciales. Cette évolution a rendu plus difficile l'accès des commerces aux personnes âgées qui vivent dans les vieux centres, car elles doivent désormais prendre la voiture. En voulant résoudre le problème de l'accessibilité physique, nous avons donc compliqué l'accessibilité pour les personnes âgées.

Par ailleurs, il faut rappeler les contradictions auxquelles on doit faire face : tout le monde veut le commerce à proximité, mais personne ne souhaite les nuisances - sonores, visuelles - de livraison. Les habitants de certains lotissements ne souhaitent pas voir rouvrir des boulangeries de centre-ville, car ils privilégient la quiétude, le repos ou la piscine et le panier de basket. Face à ces constats, les maires rencontrent des difficultés pour faire évoluer la situation de certaines communes.

Nous avons évoqué le multiservice et les « tiers lieux ». Ces concepts « à la mode » fonctionnent bien à condition que le commerçant soit compétent et en bonne santé, car à l'amplitude très large des horaires s'ajoute la nécessaire polyvalence. Dans ces conditions, le commerçant ne doit subir aucun accident de parcours. Or, combien de commerces ont fermé en raison d'un accident de la vie ? Le conjoint collaborateur n'est pas assez protégé non plus. Quand sera-t-il vraiment couvert ? Combien de commerces ferment parce que la succession est trop compliquée ou que la fiscalité qui pèse sur les successions et les transmissions de commerces est trop lourde ? Quelles sont les évolutions possibles ?

Est-il envisageable de légiférer sur le reversement de commissions et le loyer pour faciliter la reprise des supérettes alimentaires en milieu rural ? Un indépendant qui n'a pas accès aux centrales d'achat privilégiera le circuit court, mais ce dernier a ses limites. Comment faire en sorte qu'une supérette de 300 mètres carrés, gérée comme un commerce indépendant, soit moins défavorisée par ses fournisseurs ?

Enfin, comment rendre les métiers attractifs pour assurer leur pérennité ? La distribution de produits de qualité demande beaucoup de dévouement et de présence en contrepartie de niveaux de vie modestes. Autrefois, les commerces étaient pérennes et l'évolution reflète notre façon de vivre actuelle, moins stable. Le client, très exigeant, n'est plus aussi fidèle qu'autrefois.

M. Serge Babary . - Merci pour votre invitation. La commission des affaires économiques s'intéresse constamment à l'évolution et à la révolution du commerce.

Ma première question porte sur le digital. La crise a mis en exergue la nécessité pour les commerçants d'accélérer leur transition numérique. Au-delà des discours de principe, le commerce en ligne semble constituer une solution dont l'efficacité reste hétérogène selon les territoires - les ruralités - et les entreprises. Cela dépend de la zone de chalandise, du coût de transport, du type de produits vendus, ou encore du nombre d'entrepôts à construire. Pensez-vous que cette solution soit aussi utile en zones rurales plus qu'en zones urbaines ? Si oui, passe-t-elle par le développement de plateformes très localisées ou, au contraire, étendues à l'échelle d'un bassin de vie ? Quels sont les freins à ce développement éventuel ?

Par ailleurs, le plan de relance a prévu plusieurs dispositifs destinés au commerce et à l'artisanat, notamment le financement de foncières de redynamisation commerciale chargées d'acquérir des locaux vacants, de les rénover, puis de les louer à moindre prix afin d'attirer de nouveaux commerçants. Ces foncières se déploient-elles suffisamment rapidement ? Sont-elles à la hauteur des enjeux ?

M. Christian Martin, vice-président de la Confédération nationale de la boulangerie et boulangerie-pâtisserie française . - Je n'aurai pas de mots assez durs pour dénoncer les pratiques des banques, notamment en matière d'octroi de prêts garantis par l'État (PGE) en période de crise. Nous avons dû faire intervenir Monsieur Bruno Le Maire pour que les banques, qui ne prenaient quasiment aucun risque, débloquent les fonds sans exiger des conditions exorbitantes.

Par ailleurs, je souhaiterais rappeler l'existence d'organisations professionnelles chargées d'aider à la transmission d'entreprises commerciales. La Confédération générale de l'alimentation de détail (CGAD) regroupe toutes les professions alimentaires, chaque profession étant structurée en organisation professionnelle.

La profession des bouchers met en place des « boîtes repas » dans certaines communes : les consommateurs sont invités à passer leurs commandes à distance, puis à venir chercher leurs plateaux préparés par le boucher. Cette solution répond astucieusement à certaines situations.

Pour éviter la disparition d'un commerce comme la boulangerie, j'estime intéressant de se rapprocher des organisations professionnelles. Elles connaissent parfaitement les besoins du métier, contrairement aux banques ou aux vendeurs de matériels qui sur-dosent parfois les ventes d'équipement plus ou moins utiles.

Il convient également de rester vigilant face aux minotiers. Les contrats d'exclusivité sont des contrats difficiles à combattre, car ils sont légaux. Un jeune qui s'engage se voit ainsi prêter de l'argent par un meunier ou un marchand de matériel, sous réserve qu'il se fournisse exclusivement chez lui. Or, le jeune ignore, lorsqu'il s'installe, que le prix de la farine sera fixé par le meunier.

Les organisations professionnelles de branche et la CGAD peuvent donc assister le professionnel pour que son commerce reste pérenne. Elles travaillent également sur la digitalisation et la lutte contre le gaspillage. Les organisations professionnelles ont des commissions qui réfléchissent à la formation. Elles collaborent localement avec les chambres consulaires et le rapprochement avec les élus locaux est dans leur ADN.

Effectivement, les normes européennes qui nous sont imposées s'appliquent indifféremment à la société qui emploie 15000 salariés ou au boulanger qui emploie 3 personnes, dont un ou deux apprentis. Nous formons 28000 apprentis par an. Ni la crise économique ni la crise sanitaire n'ont empêché la boulangerie artisanale et les commerces alimentaires de continuer à créer de l'emploi. Nous devrons en prendre conscience.

Le ministre Alain Griset a formulé des propositions intéressantes pour la protection du conjoint. Trois statuts le protègent aujourd'hui, celui du conjoint collaborateur était le plus utilisé, car moins coûteux. Il sera désormais limité dans le temps.

Nos organisations professionnelles sont structurées pour traiter la formation, mais aussi la situation économique, sociale ou fiscale. Je préside ainsi une Commission paritaire permanente de négociation et d'interprétation (CPPNI) au niveau national. Le dialogue social, qui porte principalement sur le droit du travail, est très vivant dans nos branches.

Nous formons de nombreux apprentis, mais nous rencontrons des difficultés pour les fidéliser dès qu'ils obtiennent leur CAP. Nous réfléchissons à leur proposer un cursus professionnel leur offrant une évolution intéressante. Enfin, d'autres services doivent être présents dans la ruralité, car les jeunes souhaitent se rendre au cinéma, au théâtre ou au restaurant.

M. Fabrice Dalongeville, président de l'Association des maires ruraux de l'Oise . - Avec les « Bistrots de Pays », nous militons pour la création d'une sixième catégorie d'établissements recevant du public (ERP) qui tiendrait compte des contraintes du milieu rural.

Concernant la relation aux banques, l'arrêt de la fermeture des distributeurs est primordial.

La dimension de service public de proximité doit ensuite être revisitée malgré les contraintes du droit européen, car le maillage postal du territoire est extraordinaire.

Le projet « 1 000 Cafés » s'appuie sur des gérants-salariés tandis que la création d'épiceries repose sur l'économie sociale et solidaire et un engagement bénévole. La réflexion sur ce point doit être approfondie dans les zones désertifiées, car les artisans indépendants n'apporteront pas d'offre commerçante alors que les néoruraux recherchent des projets de création de commerces.

Nous avons réglé la problématique du distributeur, car nos commerces proposent de délivrer des espèces, en contrepartie d'un paiement en carte bancaire du même montant en prenant les frais à notre charge

Ce modèle bénévole existe et avance dans les territoires. Il représente un axe de développement important pour redonner du sens à la ruralité, mais la reconnaissance du bénévolat est difficile.

Enfin, j'ai recruté deux jeunes en services civiques dans notre projet communal du café citoyen, avec une rémunération mensuelle de 104 euros par étudiant. Cette démarche renforce le lien intergénérationnel et permet au jeune de bénéficier d'une expérience complémentaire. Ce dispositif très peu utilisé aujourd'hui permet de promouvoir l'inclusion sociale et la solidarité intergénérationnelle.

M. Francis Palombi, président de la Confédération des commerçants de France . - La digitalisation est une préoccupation croissante dans l'esprit des commerçants, mais les organisations professionnelles, les communes et les ministères doivent poursuivre leurs efforts pour qu'elle s'établisse véritablement de manière globale et équilibrée.

Nous devons continuer de soutenir nos commerçants, en particulier dans les zones rurales quelque peu déshéritées, et permettre la généralisation de la numérisation dans le commerce physique.

M. Alexis Roux de Bézieux, président de la Fédération des épiciers de France . - Nous notons une diminution de l'utilisation des espèces de 15 % à 50 % en volume, avec des variations selon les zones d'habitation - ruralité ou centre-ville - et les catégories de population. Le taux de commission (0,25 % à 0,5 %) que doit avancer le commerçant ne justifie pas pleinement un refus de paiement par carte bancaire en dessous, par exemple, de 15 euros. J'ajoute que le fait de ne pas manipuler d'espèces limite les risques de vols et de cambriolage, sachant qu'en centre-ville, les commerces sont cambriolés, en moyenne, tous les deux ans.

Enfin, pour réussir un commerce pérenne, les fédérations professionnelles peuvent identifier les critères de succès en fonction de la zone de chalandise, du pouvoir d'achat, de la distance par rapport à la concurrence, du choix des produits, de leur qualité, leur prix, sans oublier le facteur essentiel du profil du commerçant.

M. Jean-François Longeot , président . - Je vous remercie pour ces échanges particulièrement intéressants. Vous nous avez apporté des faits et arguments très utiles et de bon sens pour enrichir nos travaux.

La commission adopte les propositions et autorise la publication du rapport d'information.

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