B. SOUTENIR LES INITIATIVES LOCALES ET PROMOUVOIR LE COMMERCE PAR DES ÉVOLUTIONS PRAGMATIQUES POUR RAPPROCHER L'OFFRE DE LA DEMANDE DES CITOYENS ET PARTICIPER À LA MAÎTRISE DE L'EMPREINTE CARBONE DU SECTEUR

Au fil des auditions réalisées par les rapporteurs, de nombreuses initiatives locales permettant de contribuer à la revitalisation commerciale et artisanale des territoires ruraux ont été mises en avant. Pour appuyer ces dynamiques et favoriser leur diffusion dans d'autres territoires, les rapporteurs formulent plusieurs propositions qui doivent permettre de libérer les contraintes pesant sur les initiatives des collectivités et des acteurs privés, notamment ceux de l'économie sociale et solidaire.

1. Les marchés et les évènements locaux constituent un outil d'aménagement du territoire et de dynamisation de l'activité commerciale dans les zones rurales

Complémentaires à l'offre commerciale sédentaire et facteur d'attractivité touristique, les commerces non-sédentaires participent puissamment à la vitalité et au dynamisme des territoires, en particulier des territoires ruraux . À l'appui de cette conviction, renforcée par les auditions qu'ils ont menées et vérifiée sur le terrain, les rapporteurs appellent à porter une attention accrue aux marchés, qu'ils soient de plein-vent , couverts ou spécialisés .

Les marchés ont connu une forte décroissance depuis les années 1970. Puis, après avoir de nouveau fortement baissé entre 2005 et 2008, leur nombre tend aujourd'hui à se stabiliser. Les estimations divergent et évaluent entre 10 000 et 12 000 87 ( * ) le nombre de marchés répartis sur l'ensemble du territoire national, dont environ 40 % se tiendraient dans des communes de moins de 2 000 habitants . Entre 6 500 et 8 000 communes accueilleraient des marchés de plein air, selon les mêmes estimations 88 ( * ) .

Selon les informations communiquées par la Fédération nationale des syndicats des commerçants des marchés de France (FNSCMF), 82 % des marchés sont mixtes - alimentaires et manufacturiers - et ils se tiennent en grande majorité une fois par semaine (76 %) .

Près de 145 000 entreprises exercent leurs activités commerciales sur le domaine public (artisans, commerçants, producteurs, autoentrepreneurs etc.), dont 91 % n'emploient aucun salarié, tandis que 99 % des entreprises du secteur comptent moins de 6 salariés. Les marchés sont particulièrement présents dans les régions du Sud de la France, sur la côte méditerranéenne, et dans les régions de la côte atlantique , de la Nouvelle-Aquitaine au Centre-Val de Loire. L'ancienne région Languedoc-Roussillon accueillerait la plus forte concentration d'établissements de commerce de détail sur éventaires et marchés, avec 18,6 établissements pour 10 000 habitants , suivie de l'ancienne région Poitou-Charentes (17,3), de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur (15,8), de l'ancienne région Aquitaine (14,4), de l'ancienne région Pays de la Loire (14,2) et de l'ancienne région Midi-Pyrénées (13,9). À l'inverse, les territoires où le nombre de commerces sur éventaires et marchés est le plus bas sont situés dans le Limousin (8,5), l'Alsace (8,6) et la Lorraine (10).

Non seulement, ces marchés suscitent l'attrait des populations , en leur permettant notamment de s'approvisionner en produits frais, mais en plus ils contribuent à créer des flux pour les commerces sédentaires des territoires dans lesquels ils se tiennent. En outre, ils permettent souvent de valoriser des productions locales , en particulier dans le domaine alimentaire, avec le développement des circuits courts . Ainsi, pendant la période de confinement liée à l'épidémie de covid-19, les consommateurs ont manifesté un fort intérêt pour ces lieux, même si les restrictions d'ouverture ont été multiples et que de nombreux professionnels n'ont pas pu bénéficier des aides de l'État, selon les syndicats.

Les marchés peuvent dès lors soutenir l'essor des activités en circuits courts pour les produits alimentaires . À cet égard, 75 % des exploitations agricoles commercialisaient leurs produits en circuits courts en 2020, contre près de 20 % dix ans plus tôt 89 ( * ) .

Évolution de la part des exploitations agricoles ayant une activité en circuit court (données France, Ministère de l'agriculture, SSP)

Source : Jean-Marc Callois, Des populations nourries par leurs territoires de proximité ? La pandémie Covid-19 révélatrice d'une révolution des circuits courts, Association Population & Avenir, 2022/1 n° 756.

Espaces mercantiles implantés sur le domaine public 90 ( * ) , les marchés font l'objet d'un encadrement ancien et détaillé , portant sur l'organisation de l'espace, le déroulement du marché et la phase post-marché. Les professionnels des marchés font partie des professions réglementées, pour l'exercice desquelles la détention d'une carte professionnelle est requise 91 ( * ) .

Les rapporteurs ont été sensibilisés aux difficultés rencontrées par les professionnels des commerces non-sédentaires , en dehors des restrictions imposées dans le cadre de la gestion de la crise sanitaire, qui ont durement éprouvé les commerçants. L'une des principales demandes des professionnels consiste à sanctuariser l'existence de ces espaces de marché via leur mention et leur intégration dans les stratégies commerciales locales et dans les documents de planification en matière d'urbanisme.

Au-delà du travail engagé entre les professionnels et le Gouvernement afin d'actualiser la circulaire n° 77-507 du 30 novembre 1977 relative à l'exercice du commerce ambulant sur les dépendances du domaine public, qui fixe un règlement type des marchés, les professionnels souhaitent renforcer leurs liens avec les municipalités 92 ( * ) et améliorer la transparence sur les modalités d'organisation des marchés, en particulier sur les conditions de transmission et de présentation d'un successeur en cas de cessions, par le titulaire d'une autorisation d'occupation, de son fonds commercial. Un renforcement de la législation sur les ventes au déballage est également demandé. Enfin, les professionnels souhaitent être accompagnés dans leurs transitions environnementale (gestion des déchets, sobriété) et numérique (système « cliquer et collecter » etc.) afin d'améliorer leurs offres de services.

Les rapporteurs sont convaincus que les marchés doivent être mobilisés comme un outil d'aménagement du territoire et souscrivent aux orientations générales proposées par les professionnels, même si un travail juridique fin est nécessaire.

2. De nouvelles formes d'offres commerciales et d'animation locale, le cas échéant itinérantes, peuvent constituer des relais de développement local

Au-delà des établissements traditionnels et des commerces non-sédentaires, les territoires ruraux connaissent un foisonnement d'initiatives visant à recréer du lien social en proximité et à rapprocher l'offre de services et de commerces des besoins des populations .

Les exemples sont nombreux - Ville à Joie, Bouge ton Coq, 1 000 cafés, Comptoir de campagne, Comm'une opportunité, Bistrot de pays etc. - et permettent d' accompagner les collectivités rurales dans le maintien de leur dernier commerce ou le développement de nouveaux commerces, avec des modèles économiques différents. Ces structures mettent en place des animations (sport, secourisme, tourisme, patrimoine), des services de proximité (La Poste, démarches administratives pour l'assurance-maladie) ainsi que des espaces de convivialité et d'échanges (restauration, buvette) qui permettent aux producteurs et commerçants locaux de valoriser leurs activités et leurs produits.

Le développement de l' itinérance , si elle ne peut constituer l'unique réponse, apparaît comme une solution intéressante pour les territoires très peu denses , où l'insuffisance de flux et l'étroitesse de la zone de chalandise compromettent une exploitation commerciale durable.

Le renforcement des liens entre ces acteurs et les collectivités territoriales paraît là encore indispensable et pourrait être favorisé dans le cadre d' instances dédiées , qui permettraient de traiter l'ensemble des enjeux relatifs au développement de ces activités au sein des communautés de communes et d'agglomération (infrastructures, services existants, adaptation aux caractéristiques de la population locale).

Les rapporteurs appellent l'État à lever les freins qui contraignent l'activité des associations et entreprises de l'économie sociale et solidaire . Le versement tardif de subventions est mentionné comme un problème récurrent, qui fragilise des structures parfois dotées de moyens limités. En outre, à titre d'exemple, permettre l'intégration de personnes réalisant des services civiques dans des entreprises qui ne bénéficient pas d'un agrément « entreprise solidaire d'utilité sociale » (ESUS) de plein droit - évoqué notamment par Ville à Joie - semble nécessiter une évolution législative 93 ( * ) . Le recours à des volontaires territoriaux en administration (VTA), mis en place dans le cadre de l'agenda rural du Gouvernement peut également constituer une solution. À ce jour, plus de 200 VTA ont déjà été signés, selon le bilan présenté lors du comité interministériel aux ruralités du 24 septembre 2021 94 ( * ) . Enfin, la réserve citoyenne pour la cohésion des territoires , créée par la loi du 22 juillet 2019 portant création de l'ANCT, à l'initiative des députés, pourrait également être mobilisée, mais le dispositif peine à monter en puissance 95 ( * ) , le décret ayant été pris deux après la publication de la loi 96 ( * ) .

Interrogée par les rapporteurs, la direction générale des collectivités locales indique que des échanges sont en cours , dans le prolongement des Assises du commerce, entre l'ANCT et le ministère de l'économie et de la relance pour envisager une « offre de services commune permettant de rendre lisible cette diversité de solutions ». La DGCL précise que le « déploiement de contrats à impacts sociaux pour déployer des solutions en territoires ruraux et favoriser l'investissement local en ce sens est à l'étude ».

Les rapporteurs saluent ces innovations et appellent les collectivités rurales à contacter les associations et entreprises concernées dans le cadre de leurs actions de revitalisation. Ils invitent également les administrations concernées de l'État à faire aboutir rapidement leurs travaux pour soutenir le déploiement de ces initiatives.

3. Prendre des mesures pragmatiques pour soutenir l'activité commerciale et l'attractivité des zones rurales

Avant toute chose, les rapporteurs tiennent à saluer les pratiques particulièrement intéressantes de certaines collectivités , qui parviennent à redynamiser en s'appuyant sur des bonnes pratiques. Les démarches « gagnantes » reposent globalement toutes sur la définition d'un diagnostic territorial partagé entre les acteurs publics et privés, partant d'un recensement des forces économiques et des outils juridiques mobilisables. L'usage du droit de préemption ou l'investissement en fonds propres apparaissent dans bien des cas incontournables pour favoriser le développement des commerces. Ces initiatives rendent possibles l'installation et la pérennisation d'activités nouvelles. Le dialogue entre les communes et EPCI est particulièrement nécessaire, afin de coordonner, sans brimer, les initiatives locales tout en limitant les phénomènes de compétition territoriale.

Au-delà, les rapporteurs ont été sensibilisés à plusieurs enjeux lors de leurs auditions. Ainsi, les chambres de commerce et d'industrie ont souligné un manque de cohérence entre les différents documents d'urbanisme en vigueur dans les territoires et la réglementation applicable aux commerces . Elles appellent ainsi à un renforcement du volet « commerce » des schémas de cohérence territoriale (Scot) et des plans locaux d'urbanisme (PLU), à une meilleure coordination entre ces documents et les périmètres de préemption commerciale et à l'intégration d'espaces dédiés à la logistique dans les PLU, support d'une stratégie de développement des services innovants et mutualisés de livraison de marchandises.

Les représentants de la Fédération de la vente à distance (Fevad) ont abondé dans le même sens, demandant la mise en place de stratégies logistiques de proximité , qui pourraient soutenir les commerçants en ligne implantés dans les territoires de densité intermédiaire, principalement dans des communes de moins de 20 000 habitants, en permettant des optimisations et mutualisations pour le transport et le stockage des produits tout au long de la chaîne d'approvisionnement. Le développement de plateformes logistiques locales présente également l'intérêt de pourvoir les territoires concernés en emplois non délocalisables et de participer à la maîtrise de l'impact environnemental des livraisons.

De la même manière, de nombreux acteurs entendus par les rapporteurs soulignent que la mise en place des retraits en point relais participent à l'activité des commerces de proximité et en zones rurales. Si la rémunération par colis ne permet pas d'assurer aux commerçants un véritable revenu complémentaire, elle tend cependant à créer des flux vers les magasins physiques, qui peuvent se transformer en achats supplémentaires. Elle tend également à améliorer le bilan carbone de la livraison, en réduisant le nombre d'arrêts et de trajets de livraison, tout en optimisant les coûts pour le commerçant en ligne et les logisticiens.

Si les rapporteurs partagent ces observations, les évolutions législatives récentes, issues de la loi « Climat et résilience » 97 ( * ) prévoient déjà une intégration renforcée de l'enjeu logistique dans les documents d'urbanisme . Il convient dès lors de renforcer l'appropriation de ces mesures par les élus, avec le soutien des services déconcentrés de l'État, et de définir des stratégies locales communes , dans une logique de coopération.

Le soutien aux initiatives de digitalisation des commerces de proximité doit également être amplifié aux yeux des rapporteurs. Des initiatives visant à développer les systèmes de réservation préalable (« cliquer et collecter »), comme celles mises en oeuvre par le groupe La Poste ou par les réseaux consulaires, présentent de nombreux avantages et doivent être encouragés par les pouvoirs publics. Elles reposent toutefois essentiellement sur les acteurs économiques, qui doivent s'engager pleinement dans ces transformations, avec le soutien des réseaux professionnels.

Afin de favoriser le développement de commerces éphémères ou boutiques tests , plusieurs acteurs rencontrés par les rapporteurs recommandent également d'adapter les baux commerciaux et de prévoir un loyer progressif, sans droit au bail, pour un nouveau commerçant désireux de créer un magasin de ce type. Pour les commerces éphémères, une dérogation à l'interdiction de la sous-location dans les baux commerciaux pourrait être envisagée dans certains territoires et sous réserve de respecter plusieurs conditions. D'autres éléments de rigidité pour des activités éphémères ont été signalés aux rapporteurs (inscription au registre du commerce, travail le dimanche, exploitation de débits de boissons temporaires) et supposeraient des évolutions législatives . En outre, des dispositions spécifiques peuvent être introduites dans un contrat portant opération de revitalisation territoriale (ORT) pour favoriser l'urbanisme transitoire.

Au-delà, la quasi-totalité des professionnels demandent un allégement de la fiscalité pesant sur leurs activités, qui pourrait être envisagé dans le cadre des prochaines échéances budgétaires.

« Paroles de maires et de leurs administrés »

Extraits de remontées de terrain communiquées aux rapporteurs
par des maires de communes rurales

Une gérante de café dans une commune rurale explique : « Les ménages sont prisonniers de l'usage de la voiture pour leur travail [...] Nous savons que les communes rurales [...] deviennent des villages dortoirs. [...] Ce phénomène n'est pas dû à la pandémie, mais cette dernière l'a aggravé ». « Quelques pistes de diversification de nos activités n'ont pas reçu de réponse (Relais Colis ou Relais Postal), malgré de nombreuses relances auprès des organismes concernés ». [...] La mise en place du PMU que nous avons sollicitée n'a pu être envisagée car nous appartenons à un bassin géographique où l'offre est déjà suffisante. Notre demande a été refusée ! ». « Aujourd'hui nous sommes à flux tendu, entre loyers impayés, les factures de fournitures d'énergies en retard, ainsi que les fournitures de matières premières. Le fioul est cher, l'électricité augmente. [...] Nous avons eu un rendez-vous avec la CMA qui nous encourage à changer de four et à changer la climatisation. [...] Bien entendu, nous n'avons pas les moyens de faire ces changements. »

Un maire souligne que la « pénurie de matières premières pour les artisans et industriels » et le fait que « les chefs d'entreprises ont encore plus de difficultés à recruter » et « sont dans une phase d'anticipation de remboursement des prêts garantis par l'État ».

Un autre maire raconte : « les activités des coiffeurs ont chuté de 10 à 15 % entre 2019 et fin 2021 ». Ainsi, « les commerces qui subissent une baisse du chiffre d'affaires et qui ont eu des Prêts garantis par l'État souhaiteraient que le remboursement se fasse sur une période plus longue ». « Les ventes immobilières sont en hausse notable [...] mais les entreprises du secteur craignent pour l'avenir car le marché n'est pas extensible à l'infini. [...] Les acheteurs sont essentiellement des parisiens qui veulent quitter leurs appartements pour acheter essentiellement des maisons dans le cas d'un nouveau confinement ».

Un maire différent ajoute : « Le café tabac journaux excentré par rapport au centre commercial a dû fermer pour diverses raisons et n'a pas été repris. » [...] Un commerce multi services de type café/tabac/journaux/restaurant est de nature à répondre aux attentes de la population d'une commune de plus de 1700 habitants » , mais « la crise de la Covid 19, n'a pas permis de concrétiser ce projet en raison d'un manque de visibilité au regard d'un investissement élevé pour créer une telle structure ».

Un quatrième maire raconte : « Les charges deviennent insupportables (hausse de la taxe foncière, de l'électricité, du gaz, des loyers, ...), supérieures à la rentabilité des petits commerces. [...] Beaucoup de commerçants ont une rémunération inférieure à 1 000€ lorsqu'ils ont payé toutes leurs factures, avec un temps de travail très souvent supérieur à 70 h par semaine. Les clients sont hélas repartis vers les grandes surfaces après le déconfinement ». « À notre niveau d'élus de proximité, nous considérons que les ressources financières attribuées à la réhabilitation des coeurs de ville « récompensent » les acteurs locaux des grandes villes qui ont eux-mêmes privilégié l'implantation de grandes surfaces à la périphérie des villes, en appauvrissant ainsi le dynamisme de leur propre centre-ville, sans créer d'emploi. Avec pour conséquence la fermeture des commerces des communes périphériques ».

Un cinquième maire abonde : « Le commerce rural doit être soutenu je pense par des dispositifs incitatifs au niveau des impôts et aussi des charges, mais au-delà des différents dispositifs qui ne peuvent pas faire vivre les commerçants s'ils n'ont pas de clients, car personne dans les villages, il faut arrêter la décroissance voulue et programmée des villages ».

Un sixième maire ajoute : « À ce jour et depuis longtemps, le commerce en milieu rural n'existe uniquement que si la collectivité investit dans l'investissement et le fonctionnement. »

Un septième maire conclut : « Je m'échine vainement à tenter d'élargir le débat pour dépasser la seule question du transport, et pour que soit menée une véritable réflexion sur le concept de "dé-mobilité". [...] Je ne peux en effet m'empêcher de constater que le retrait des services publics de nos villages a induit - c'était inévitable même si d'autres causes peuvent être invoquées - la fermeture progressive de la presque totalité des commerces et de l'artisanat locaux. »

Source : Sénat, à partir des échanges entre les rapporteurs et des maires.

Par ailleurs, lors d'une table ronde en commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, le 10 novembre dernier, consacrée à l'accès aux services essentiels à la population et à la lutte contre la déprise commerciale en milieu rural, le président de l'association des maires ruraux de l'Oise a fait part d'une situation de blocage concernant une licence IV .

Pour rappel, le nombre de licences IV est passé de 200 000 en 1960 à 40 000 environ aujourd'hui . Alors que le Gouvernement a annoncé la création de 10 à 15 000 licences IV gratuites pour les communes de moins de 3 500 habitants, dans le cadre de l'agenda rural présenté en septembre 2019 par le Premier ministre, à ce jour, selon les informations communiquées par la DGCL, seules 132 licences auraient été effectivement délivrées .

Si l' article 47 de la loi du 27 décembre 2019 relatif à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique a permis de concrétiser cette annonce 98 ( * ) , le président de l'association des maires ruraux de l'Oise a indiqué : « un courrier du sous-préfet m'a informé qu'en tant qu'officier de police judiciaire, je ne peux pas utiliser le permis d'exploiter de la licence IV communale, que je suis d'ailleurs le seul maire à avoir obtenu ». Les rapporteurs souhaitent que de telles dérogations puissent être accordées , au regard du motif d'intérêt général qui s'attache à la préservation de la vitalité des territoires ruraux.

L'ensemble des conséquences des évolutions normatives évoquées ci-dessus pourront faire l'objet d'un travail approfondi, que les rapporteurs souhaitent poursuivre dans le cadre de la préparation d'une proposition de loi, visant à répondre aux besoins exprimés par de nombreux professionnels sans créer d'effets de bord préjudiciables.

Toutefois, plusieurs mesures nécessaires n'appellent pas d'évolution législative . Outre les outils existants, dont peuvent se saisir les élus, les acteurs économiques et l'État à droit constant, la valorisation du commerce en milieu rural pourrait faire l'objet d' actions de communication ciblées.

Enfin, les rapporteurs jugent essentiel d' amplifier le soutien à l'apprentissage pour les activités artisanales et commerciales en tension (boulangeries, boucheries). Compte tenu du fait que le poids de l'emploi artisanal est plus élevé dans les zones rurales et hyper-rurales - 640 000 entreprises artisanales en milieu rural selon les chiffres des chambres des métiers et de l'artisanat - par rapport aux zones intermédiaires et urbaines et qu'il présente un caractère non délocalisable permettant de soutenir le développement économique du territoire dans le temps, des solutions pragmatiques doivent être définies en lien avec les professionnels (identifier les territoires et les besoins, soutenir la formation de proximité, développer les lieux d'hébergement et les tutorats etc.).

Proposition n° 8 - Diversifier les sources de revenus des commerces physiques en :

- incitant les commerçants à accueillir un point relais dans leurs établissements [Unions professionnelles] ;

- prévoyant une taxation des livraisons de commerce en ligne qui serait inférieure ou nulle si le colis est retiré en point relais [État].

Proposition n° 9 - Alléger les contraintes et les charges pesant sur le commerce de proximité et les initiatives de développement locales en :

- rénovant les règlements de marché et en permettant la présentation d'un successeur dans le cadre du règlement de marché pour faciliter la transmission 99 ( * )

[État] ;

- renforçant la prise en compte des espaces de marchés dans les stratégies locales d'aménagement commercial [État, collectivités territoriales] ;

- définissant, élus locaux et commerçants, des programmes locaux de tournée de marchés [Collectivités territoriales, unions professionnelles] ;

- atténuant le poids de la fiscalité applicable aux commerçants (IR et IS) [État] ;

- permettant à un maire d'une commune de moins de 3 500 habitants d'être titulaire d'une licence IV et d'une licence de Tabac [État] ;

- modifiant le système d'agrément des entreprises solidaires d'utilité sociale (Esus) pour soutenir les projets d'animation locale [État] ;

- assouplissant les règles d'ouverture des commerces le dimanche (aller jusqu'à 14h ou 15h pour les commerces alimentaires) et le soir en semaine [État] ;

- étudiant l'opportunité d'exclure des loyers commerciaux les charges de fiscalité foncière aujourd'hui souvent répercutées par le bailleur sur le preneur dans le cadre des baux commerciaux (contrairement aux baux d'habitation) et en adaptant la législation sur les baux commerciaux pour favoriser le développement de magasins éphémères dans les communes rurales [État].

Proposition n° 10 - Soutenir la mobilisation des élus et des citoyens au service de la revitalisation commerciale des territoires ruraux en :

- prévoyant la possibilité pour les collectivités concernées de créer un conseil économique (dans chaque EPCI à fiscalité propre compétent en matière de politique commerciale), dont les missions seraient d'identifier les composantes du tissu économique local, de permettre l'adaptation des infrastructures à l'activité quotidienne des entreprises de proximité (voirie, circulation, réseaux internet, installations) et de recenser et promouvoir les services existants pour favoriser l'accueil de nouveaux acteurs [État] ;

- déployant la réserve citoyenne pour la cohésion des territoires afin de soutenir des projets locaux d'animation [État] ;

- créant une semaine du commerce de proximité et en mettant en place un plan d'information et de communication centré sur les commerces de proximité en zones rurales [État] ;

- en poursuivant et en amplifiant le soutien au développement de l'apprentissage pour des activités en tension (boulangerie, boucherie etc.) afin de recréer des filières artisanales dynamiques [État].


* 87 Chiffres donnés respectivement dans le rapport n° 4968 de la mission d'information de l'Assemblée nationale sur le rôle et l'avenir des commerces de proximité dans l'animation et l'aménagement des territoires, présenté le 26 janvier 2022 par Sandra Marsaud (rapporteure) et Emmanuel Maquet (président) et dans la contribution écrite de la Fédération nationale des syndicats des commerçants des marchés de France (FNSMCF).

* 88 Ibidem.

* 89 Jean-Marc Callois, Des populations nourries par leurs territoires de proximité ? La pandémie Covid-19 révélatrice d'une révolution des circuits courts, Association Population & Avenir, 2022/1 n° 756.

* 90 L'activité des commerçants non-sédentaires requiert une autorisation d'occupation temporaire (AOT) dans les conditions prévues par le code général de la propriété des personnes publiques : autorisation d'installation accordée par la mairie ou un placier en contrepartie du paiement des droits de place, permis de stationnement délivré par l'autorité administrative chargée de la police de la circulation, permission de voirie accordée par l'autorité chargée de la gestion du domaine.

* 91 Loi n° 69-3 du 3 janvier 1969 relative à l'exercice des activités ambulantes modifiée par la loi n° 95-96 du 1 er février 1995 concernant les clauses abusives et la présentation des contrats régissant diverses activités d'ordre économique et sociale et par la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie. Ces dispositions sont désormais inscrites aux articles L. 123-29 à L. 123-31 et R. 123-208-1 à R. 123-208-8 du code de commerce.

* 92 Aux termes de l'article L. 2224-18 du code général des collectivités territoriales, les conseils municipaux délibèrent sur la création, le transfert ou la suppression de halles ou de marchés communaux après consultation des organisations professionnelles intéressées, qui disposent d'un délai d'un mois pour émettre un avis. L'autorité municipale établit également un règlement spécifique. L'article L. 2224-18-1 du CGCT fixe les conditions dans lesquelles le titulaire d'une place de marché peut présenter au maire un successeur, en cas de cession de son fonds.

* 93 Modification du II de l'article L. 3332-17-1 du code du travail et du II de l'article L. 120-1 du code du service national.

* 94 Ce dispositif permet à des jeunes de 18 à 30 ans d'un niveau au moins bac+2 de mener des missions dans les collectivités territoriales.

* 95 Article L. 1233-6 du code général des collectivités territoriales.

* 96 Le décret n° 2021-1275 du 29 septembre 2021 a fixé les modalités de mise en oeuvre de la réserve citoyenne de la cohésion des territoires.

* 97 Article 219 de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets.

* 98 L'article 47 de la loi n° 2019-1461 du 27 décembre 2019 prévoit qu'une licence IV peut être créée, pendant une durée de trois à compter de la publication de la loi, par déclaration auprès du maire dans les communes de moins de 3 500 habitants n'en disposant pas à la date de publication de la loi. Cette licence ne peut faire l'objet d'aucun transfert au-delà de l'intercommunalité concernée.

* 99 Modification législative nécessaire.

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