III. ASSURER UN FINANCEMENT DURABLE DE L'HÔPITAL ET UN ONDAM HOSPITALIER COHÉRENT AVEC LES BESOINS DE SANTÉ

Si la tarification à l'activité a souvent pu jouer le rôle d'exutoire ou de bouc émissaire pour toutes les difficultés de l'hôpital, c'est en partie parce qu'au-delà de certains travers dans sa mise en oeuvre, le mode de financement de l'hôpital manque de lisibilité, de transparence, de prévisibilité et parfois de cohérence .

Restaurer la confiance, c'est aussi rechercher un mode de financement mieux compris et mieux accepté, en accord avec la logique de qualité et de pertinence des soins qui doit prévaloir à l'hôpital .

L'Ondam, et plus particulièrement l'Ondam hospitalier, doivent être déterminés sur des bases beaucoup mieux étayées, au terme d'un débat parlementaire véritablement éclairé permettant d'apprécier la portée des arbitrages financiers en termes de satisfaction des besoins de soins hospitaliers.

Les différents compartiments de financement , aujourd'hui multiples et complexes, doivent être simplifiés et obéir à des règles claires. La tarification à l'activité doit être réservée aux seules activités pour lesquelles elle est vraiment adaptée , comme l'engagement en avait été pris dès 2017 sans que cela ne se soit véritablement traduit jusqu'à présent. Dans les domaines où ils s'appliquent, les tarifs doivent être mieux corrélés à une estimation crédible des coûts et leur évolution stabilisée pour garantir une certaine visibilité aux établissements.

Le soutien financier aux établissements , annoncé une première fois fin 2019 dans le cadre du plan d'urgence pour l'hôpital puis reformulé à l'été 2020 à la suite du Ségur de la santé, donne lieu à des « tuyauteries » difficiles à appréhender , avec des échéanciers de versement distincts - dont certains courent jusqu'en 2029 - entre « restauration des capacités financières », « investissements structurants » et plan de relance avec ses différents volets. Il appellera un suivi extrêmement attentif qui ne sera pas facilité par les modalités de programmation et de délégation arrêtées par le Gouvernement.

La succession de plans exceptionnels tous les cinq ou dix ans démontre que le mode de financement actuel n'est pas adapté aux nécessités d'un renouvellement des investissements hospitaliers . Un modèle de financement pérenne des investissements autre que la simple couverture par les tarifs d'activité doit être envisagé.

A. RECONNECTER L'ONDAM HOSPITALIER ET LES BESOINS DE SANTÉ

1. Renforcer la transparence sur la construction de l'Ondam

Si le « couple mortel » 173 ( * ) de l'Ondam et de la T2A est souvent évoqué, cette dénonciation apparaît somme toute assez réductrice, tout comme la critique constante d'une « logique comptable » du pilotage des dépenses d'assurance maladie.

Penser que le budget de l'assurance maladie peut être illimité n'est pas raisonnable : c'est mettre en péril la soutenabilité même de notre modèle et du choix de socialisation de la dépense de santé, déjà fragilisé par la dette sociale accumulée.

Comme le rappelait Marie-Noëlle Gerain-Breuzard, présidente de la conférence des directeurs généraux de CHU 174 ( * ) , « les recettes d'un hôpital sont également les dépenses de l'assurance maladie . L'évolution du coût des traitements médicaux, l'augmentation des besoins de soins du fait du vieillissement de la population, de la chronicisation des maladies, les créations d'emplois au fil des années, les évolutions de rémunération ont conduit à la progression du déficit de l'assurance maladie ». Or, poursuivait-elle, si « les lois de financement votées par le Parlement depuis 2010 ont fixé des Ondam plus rigoureux » et « permis d'entamer le redressement de la branche maladie », elles « se sont principalement traduites par des plans de rigueur pour les dépenses hospitalières fixant des objectifs devenus de plus en plus inatteignables ». Concluant par un constat lucide : « L'impact financier du covid-19 et du Ségur de la santé risque d'emporter mécaniquement de nouvelles mesures d'économies. »

L'Ondam, comme le remarquait Denis Morin 175 ( * ) , « est, par définition, un arbitrage et une tension permanente entre ce qui est médicalement utile et financièrement possible . Il fait partie des décisions budgétaires arrêtées chaque année par le Gouvernement et soumises au Parlement ».

Aussi, la commission d'enquête souligne l'enjeu fondamental d'une construction justifiée et adéquate de l'Objectif national de dépenses d'assurance maladie pour le pilotage des dépenses d'assurance maladie et donc pour la bonne allocation des crédits nécessaires à l'hôpital. Cet impératif vaut également pour la trajectoire pluriannuelle présentée en loi de programmation , trop souvent lacunaire dans sa justification et, in fine , non suivie.

Construction de l'Ondam en PLFSS

La construction de l'objectif de dépenses pour l'année à venir comporte plusieurs étapes. Dans un premier temps, cette construction englobe le montant par sous-objectif arrêté pour l'année en cours, réactualisé le cas échant en fonction des nouvelles prévisions, et rectifié pour tenir compte des changements de périmètre. Puis, sont appliqués à cette base les estimations des évolutions tendancielles, c'est-à-dire avant mesures nouvelles. Le montant d'économie nécessaire pour atteindre le taux d'évolution cibles des dépenses retenues par le gouvernement et proposé au vote par le Parlement est finalement appliqué à cette construction. L'ensemble de ces éléments permet de définir l'objectif et ses six sous-objectifs en niveau.

La détermination de l'évolution des dépenses avant mesures nouvelles d'économies devrait s'opérer en deux temps : à l'estimation de l'évolution spontanée (ou purement tendancielle) devrait être ajouté l'impact des mesures passées ou à venir occasionnant une dépense supplémentaire.

Mais pour les établissements sanitaires, une approche plus directe, consolidant tendanciel « pur » et mesures d'ores et déjà prises en compte, est adoptée.

Source : Réponses du ministère des solidarités et de la santé

Construction des mesures d'économies

Afin d'aboutir à l'objectif de dépenses souhaité, un montant global d'économies est nécessaire pour la construction de chaque ONDAM.

Ces montants d'économie se répartissaient entre les différentes thématiques autour desquelles s'organisait le plan ONDAM 2018-2022 d'appui à la transformation du système de santé qui mettait en avant des actions de pertinence et d'efficience engagées de manière pluriannuelle. Ces thématiques visaient à faire du pilotage de l'ONDAM un outil au service de la stratégie de transformation et d'adaptation de notre système de santé. Elles comprenaient :

- la prévention ;

- la structuration et l'offre de soins ;

- la pertinence et l'efficience des produits de santé ;

- la pertinence et la qualité des actes ;

- la pertinence et l'efficience des prescriptions d'arrêts de travail et de transports ;

- le contrôle et la lutte contre la fraude.

Source : Réponses du ministère des solidarités et de la santé

Le pilotage et la maîtrise des dépenses d'assurance maladie, et donc des dépenses hospitalières, sont nécessaires, mais ils doivent pouvoir être justifiés, débattus et donc arbitrés par le Parlement . Or, sur ce point, force est de constater que les documents annexés aux projets de loi de financement de la sécurité sociale, certes nombreux et denses, peinent à faire apparaître clairement l'évolution des besoins de santé, les marges envisageables et les solutions concrètement retenues.

Chaque année, les rapporteurs du PLFSS se heurtent ainsi à une incapacité souvent désarmante de l'administration à produire une justification détaillée des dépenses attendues et, in fine , de la légitimité des montants proposés pour l'Ondam et ses différents sous-objectifs. L'ampleur de l'annexe relative à l'Ondam masque en réalité l'absence de réponses à des questions pourtant déterminantes pour l'appréciation du niveau des dépenses.

L'annexe B au PLFSS dresse un tendanciel de taux de progression de l'Ondam jusqu'en année n+3, mais aucune justification réelle n'est apportée et rien ne permet d'apprécier les ressorts de cette prévision à l'échelle des différents sous-objectifs, en particulier celui relatif aux établissements de santé. En définitive, toute projection complémentaire est systématiquement livrée sous des hypothèses « conventionnelles » sans que soient donnés aux parlementaires des éléments permettant de juger eux-mêmes les déterminants de ces constructions.

Recommandation : renforcer dans l'annexe au PLFSS relative à l'Ondam la justification de l'évolution tendancielle de la consommation des soins, en particulier en établissements de santé, de la construction des hypothèses de dépenses en cohérence avec les besoins de santé et, le cas échéant, de la projection des économies attendues.

Dans l'état actuel des dispositions organiques, l'Ondam fait en outre l'objet d'un vote global. Le Parlement se trouve ainsi face à l'approbation par un vote unique d'une enveloppe de plus de 230 milliards d'euros , alors que le budget de l'État comporte de nombreuses unités de vote pour des montants bien inférieurs. Pour possibles qu'ils soient formellement, d'éventuels amendements tendant à redistribuer des crédits entre sous-objectifs seraient tout à fait dénués de portée contraignante pour le Gouvernement.

Surtout, comme le constatait Denis Morin 176 ( * ) , « les budgets hospitaliers, à savoir 92 milliards d'euros de dépenses, sont tout à fait comparables aux plus gros budgets civils de l'État accordés à l'éducation nationale - environ 50 milliards d'euros - ou à la politique de sécurité ».

Ainsi, comme l'a déjà souligné la commission des affaires sociales dans ses travaux sur la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale 177 ( * ) comme sur l'Ondam 178 ( * ) , l'un des enjeux des réformes futures du pilotage de l'assurance maladie sera bien d'aboutir à une construction plus efficace de l'Ondam et de prévoir des unités cohérentes d'arbitrages et de votes des dépenses, notamment pour les moyens alloués à l'hôpital .

À ce titre, la proposition de loi organique déposée en 2021 par le rapporteur général de la commission 179 ( * ) visait à renforcer le rôle de l'Ondam hospitalier et à améliorer l'information et le contrôle des commissions des affaires sociales sur l'Ondam établissements de santé.

Il s'agissait d'une part de proposer un découpage plus fin du sous-objectif relatif aux établissements de santé pour mieux appréhender les dépenses pilotables dont les dotations, des dépenses qui relèvent de la prise en charge des soins . L'enjeu était également, d'autre part, de davantage contraindre le Gouvernement à mieux estimer les besoins et surtout à rendre effectivement compte des consommations de crédits . Il s'agissait là de disposer de moyens de contrôle à la mesure de la dimension stratégique du financement de l'hôpital pour notre système de santé.

En outre, comme l'a souligné la commission des affaires sociales à l'automne 2021 180 ( * ) , cette critique rejoint les constats qu'elle avait déjà formulés dans son rapport de 2019 : le découpage actuel de l'Ondam n'est aujourd'hui pas opérant pour donner au budget social de la nation le format qu'il mérite.

Mesure 13 :
Rénover l'Ondam pour l'adapter à une politique de santé de long terme

-- Lancer une mission de refonte de l'ONDAM pour créer les conditions d'un débat démocratique et en évaluer et renouveler les moyens de régulation.

Source : Dossier de presse du Ségur de la santé

Alors que le Ségur de la santé prévoyait une « rénovation » de l'Ondam et qu'Olivier Véran revendiquait alors de vouloir « faire de l'Ondam l'expression non seulement d'une trajectoire de finances publiques mais aussi et surtout d'une politique de santé » 181 ( * ) avant la fin 2021, force est de constater que cet engagement n'a pas été suivi d'effet, seule une modification marginale étant intervenue en PLFSS 2022.

Ainsi, le Gouvernement s'est borné à proposer de transférer une nouvelle fois des crédits « MIG » du sous-objectif relatif aux établissements de santé vers le sous-objectif du fonds d'intervention régional (FIR). Le Sénat avait considéré que cette modification à la marge insuffisamment ambitieuse et justifiée de manière isolée affaiblissait la lisibilité et le suivi budgétaire des crédits arbitrables dédiés aux établissements de santé.

Ces constats demeurent ainsi malheureusement toujours d'actualité et la redéfinition de l'Ondam, loin d'être un sujet technocratique, est bien enjeu de suivi démocratique des dépenses de santé.

Recommandation : engager avec les commissions des affaires sociales de l'Assemblée nationale et du Sénat un nouveau découpage de l'Ondam améliorant la présentation et les conditions du vote des moyens dédiés à l'hôpital.

2. Établir un lien plus étroit avec la dynamique des besoins de santé

La déconnexion entre l'évolution des dépenses hospitalières et la dynamique des besoins de santé est souvent considéré comme une des principales raisons du malaise actuel de l'hôpital.

Ventilation pour 2022 de l'Objectif national de dépenses d'assurance maladie

(en milliards d'euros)

Source : Commission d'enquête, d'après les données du PLFSS 2022

Pour le directeur de la CNAM, Thomas Fatôme 182 ( * ) , « s'agissant de l'Ondam hospitalier, [...] sans doute le curseur entre cette contrainte budgétaire et les conditions d'évolution de l'organisation interne de l'hôpital et de son lien avec la ville n'est pas totalement étranger aux tensions que nous connaissons aujourd'hui ».

Ce constat, déjà dressé dans les conclusions du rapport de la Mecss du Sénat de 2019 sur l'Ondam 183 ( * ) n'a pas été suivi d'actions concrètes. Pourtant, cette déconnexion est bien visible.

À titre d'exemple, les deux derniers PLFSS précédant la crise de la covid-19 illustraient ce décrochage. Pour le PLFSS 2020, le taux de progression du sous-objectif portant les crédits des établissements de santé est inférieur de 42 % à l'évolution des besoins de santé pour le secteur hospitalier , et ce alors même que le Gouvernement considérait avoir desserré la contrainte sur les tarifs hospitaliers.

Comparaison de l'Ondam aux besoins de santé

Source : Commission d'enquête, d'après les données des PLFSS et les réponses du ministère des solidarités et de la santé

Note : pour 2021, les dépenses indiquées comprennent les dépenses de crise et les dépenses liées au Ségur.

Force est de constater que ce sujet reste peu présent dans le débat sur le PLFSS. Pierre-Louis Bras souligne ainsi que les modalités actuelles de discussion de l'Ondam ont pour effet de centrer celle-ci sur des questions qui « sans être dénuées d'intérêt, restent annexes - et donc d'occulter celles qui devraient être au centre du débat : délivrera-t-on des soins en rapport avec ce qu'exigerait l'évolution de notre démographie et les progrès thérapeutiques ? ».

Une lacune cependant, et non des moindres : l'estimation de ces besoins de santé, et en particulier des besoins hospitaliers, reste difficile à objectiver de façon consensuelle .

Ainsi, si les annexes relatives à l'Ondam présentent chaque année des tendanciels d'évolution des besoins de santé, le ministre des solidarités et de la santé considérait devant la commission d'enquête 184 ( * ) que « sur les besoins de santé, le problème est qu'on ne sait pas les évaluer . Je ne sais pas dire combien de consultations chez un médecin doit faire en moyenne un Français en fonction de sa pathologie. Les économistes réfléchissent à l'identification de ce qu'est un besoin, mais nous ne pouvons fonctionner qu'en termes d'offre, et non de besoin . Certains indicateurs sont probants : l'accès en trente minutes à la maternité, aux urgences... Pour le reste, la situation est complexe. Combien de fois une personne de 60 ans en bonne santé doit-elle voir son médecin chaque année pour obtenir un gain réel en matière de santé ? Il est difficile de le dire ».

Tout le problème est pourtant ici résumé en creux par l'aveu d'impuissance du ministre chargé de présenter chaque année l'Ondam au Parlement : les données manquent et les projections étayées avec . Or, ce sont bien ces informations qui paraissent essentielles pour éclairer la décision qui est attendue chaque année du législateur quand il adopte un objectif de dépenses publiques de plus de 230 milliards d'euros .

C'est cette même analyse que fait Pierre-Louis Bras, qui estime par exemple 185 ( * ) que « Le gouvernement devrait répondre devant le Parlement de la politique qu'il propose en la matière en fixant tel ou tel niveau d'Ondam, à partir de questions essentielles : quelle évolution du nombre d'actes de généralistes serait nécessaire/souhaitable ? Les effectifs de médecins généralistes pourront-ils spontanément l'assurer ? Quelles évolutions peut-on promouvoir et quels moyens peut-on mobiliser pour éviter une insuffisance de l'offre ? Quel niveau de revenu pour les médecins généralistes ? ». Autant de questions déterminantes et pourtant dénuées de réponses.


* 173 Audition du 9 décembre 2021.

* 174 Audition du 18 janvier2022.

* 175 Audition du 3 février 2022.

* 176 Audition du 3 février 2022.

* 177 Rapport d'information n° 601 (2019-2020) de M. Jean-Marie Vanlerenberghe, fait au nom de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale et de la commission des affaires sociales sur la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité, déposé le 8 juillet 2020.

* 178 Rapport d'information n° 40 (2019-2020) de Mme Catherine Deroche et M. René-Paul Savary, fait au nom de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale et de la commission des affaires sociales, déposé le 9 octobre 2019.

* 179 Proposition de loi organique n° 492 (2020-2021) tendant à renforcer le pilotage financier de la sécurité sociale et à garantir la soutenabilité des comptes sociaux.

* 180 Communication de Mme Corinne Imbert, rapporteure pour l'assurance maladie, 27 septembre 2021 et avis transmis au ministre des solidarités et de la santé en application de l'article L.O. 111-3 du code de la sécurité sociale.

* 181 Discours d'Olivier Véran, Conclusions du Ségur de la santé, 21 juillet 2020.

* 182 Audition du 16 février 2022.

* 183 Rapport précité.

* 184 Audition du 24 février 2022.

* 185 Note précitée.

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