B. SIMPLIFIER LE MODE DE FINANCEMENT DES ÉTABLISSEMENTS

1. Un « mix » de financement aujourd'hui nécessaire

Il ressort des auditions menées par la commission d'enquête que le financement basé principalement sur l'activité n'est plus adapté et qu'un nouveau modèle de financement doit désormais émerger.

C'est le constat que dresse d'ailleurs le président de la sixième chambre de la Cour des comptes Denis Morin 186 ( * ) , qui considérait devant la commission d'enquête que « c'est ce que l'on observe dans les pays voisins ; ils sont sortis de ces grands débats un peu philosophiques entre tarification à l'acte et tarification globale , et ils ont fait un mix ». De même, l'Académie de médecine 187 ( * ) invitait à dépasser la vision médicale et la vision managériale du financement avec un modèle en trois parties : une subvention de base, une tarification à l'activité et une contribution à la qualité des soins et au résultat .

Cette évolution est également soutenue par le directeur général de la CNAM, Thomas Fatôme, qui expliquait 188 ( * ) : « c'est donc bien au travers d'un mix de financements que l'on peut répondre aux différents défis . C'est ce que produit notre système aujourd'hui. C'est d'ailleurs ce qui est à l'oeuvre dans les réformes du financement qui sont mises en oeuvre cette année pour la psychiatrie et l'année prochaine pour le SSR, avec un mix de financements qui conjugue des dotations liées à une forme d'activité, à la population et à la qualité. C'est un tel financement, comptant différents leviers, qui répondra aux différentes exigences. »

Mesure 11 Accélérer la réduction de la part de T2A

-- Poursuivre et amplifier les réformes visant à diversifier et simplifier les modes de financement des activités hospitalières.

-- Mieux prendre en compte la qualité et la pertinence des soins et des parcours des patients dans les modes de financement des activités de soins.

-- Mettre en oeuvre sur les territoires et pour les établissements qui le souhaitent une expérimentation d'un modèle mixte de financement des activités hospitalières de médecine une part fondée sur les besoins de santé des populations du territoire (dotation populationnelle) complétée d'une part à l'activité et à la qualité des soins

Source : Dossier de presse du Ségur de la santé, ministère des solidarités et de la santé

L'idée d'un nouveau modèle pluriel de financement a été retenue dans le cadre du Ségur de la santé, la mesure 11 proposant notamment une expérimentation d'un modèle « mixte ». Les trois piliers activité/ population /qualité semblent là aussi être consacrés comme un objectif vers lequel tendre.

Le nouveau modèle de financement qui doit être trouvé pour l'hôpital n'a pas vocation à être uniforme selon les catégories d'établissements . Ainsi, les différences déjà évoquées dans la structure des ressources entre les CHU et les CH ou établissements de proximité peut tout à fait être justifiée. C'est d'ailleurs précisément l'enjeu d'une réforme du financement : trouver un modèle approprié aux missions et aux particularités des différentes catégories d'établissements . Ainsi, selon Denis Morin, « Le mix peut évidemment être différent selon les strates hospitalières. Je ne suis pas étonné que le poids de la T2A soit moindre dans les CHU, qui remplissent des missions d'intérêt général. Je ne suis pas étonné non plus que les petits établissements de proximité [...] soient sortis du régime de la T2A voilà maintenant quelques années. Pour eux, cette formule n'était pas adaptée. »

2. Une rénovation nécessaire de la tarification à l'activité

Lors de son audition, le ministre des solidarités et de la santé a souligné qu'« en 2017, l'engagement du candidat Macron était ainsi de réduire à 50 % la part du financement par la T2A ». Pourtant, cette législature, même ébranlée par la crise sanitaire, n'aura pas été cellle d'une évolution majeure dans la structure des financements.

Ainsi, si l'objectif d'une réduction de la part de ressources liées à l'activité est aujourd'hui unanimement partagé, il convient de le concrétiser. Alors qu'Olivier Véran précisait que l'« on tend donc à réduire à 50 % la part de la T2A et à développer la dotation populationnelle et le financement de la qualité », l'heure est aujourd'hui aux évolutions profondes et rapides.

Recommandation : réduire la part des ressources liées à la valorisation des activités pour les centres hospitaliers.

Mais la rénovation de la tarification à l'activité ne peut se résumer à une question de proportion dans le mix de financement de l'hôpital . Comme l'ont souligné différents acteurs hospitaliers, la nomenclature tarifaire apparaît aujourd'hui excessivement complexe. Il convient donc d'en proposer une rationalisation .

Le système de tarification à l'activité apparaît particulièrement complexe en reposant sur plus de 2 400 groupes homogènes de malades . Si, à titre de comparaison, entre 2003 et 2010, tous les pays européens utilisant une tarification forfaitaire ont accru le nombre de groupes (ou diagnosis related groups - DRG) de moins de 1 000 à moins de 1 200, à l'exception de l'Allemagne (1 200) et de la Grande-Bretagne (1 389), le nombre de GHM de la France s'élevait déjà à 2 297 à l'époque 189 ( * ) .

Si Denis Morin 190 ( * ) , soulignait devant la commission d'enquête qu' « il est également clair que la grille tarifaire est beaucoup plus complexe que dans les pays voisins et que sa simplification pourrait déjà être, je crois, utile », cette recommandation est d'ailleurs avancée par les régulateurs eux-mêmes.

Ainsi, Thomas Fatôme 191 ( * ) considérait que « nous disposons d'un système de tarification à l'activité dont la nomenclature est extrêmement fine et assez notoirement plus détaillée que dans d'autres pays », celle-ci méritant sans doute selon lui « d'être un peu simplifiée », le directeur général de la CNAM concédant qu'il s'agit ici d'un « chantier compliqué ». Constat partagé par Katia Julienne, directrice générale de l'offre de soins au ministère des solidarités et de la santé, qui estimait 192 ( * ) que « les réformes de financement doivent donc conduire à la simplification , d'où l'importance de celle concernant la maternité ».

Recommandation : moderniser et simplifier la nomenclature tarifaire des actes.

Concernant encore la modernisation, le directeur général de la CNAM évoquait également des expérimentations menées sur la tarification à l'épisode de soins pour certaines prises en charge , « en particulier le cas en chirurgie (la chirurgie orthopédique et la chirurgie viscérale et digestive), pour construire un mode de financement qui englobe un épisode de soins ». Thomas Fatôme estimait ainsi ce financement « assez prometteur » car tenant mieux compte selon lui des soins apportés tant à l'hôpital qu'en ville, avec une appréciation plus adaptée des séquences de soins. Cette expérimentation est entrée en phase 2, avec une quarantaine d'établissements de santé qui ont commencé à s'engager en octobre 2021 sur un financement effectif à l'épisode de soins.

Enfin, la modernisation de la tarification à l'activité doit passer par une meilleure justification des grilles tarifaires . Il apparaît plus que nécessaire de renforcer la transparence dans la fixation des tarifs hospitaliers et la bonne correspondance de ces derniers aux coûts estimés et constatés.

La commission estime ainsi que cette évaluation publique doit correspondre en outre aux périodes d'engagements pluriannuels et être un préalable aux négociations entre l'État, l'assurance maladie et les fédérations hospitalières.

Recommandation : justifier par période de trois ans de l'évolution des tarifs au regard des coûts réels constatés.

3. Une nécessaire montée en puissance des dotations liées au profil des populations du bassin de vie

Le deuxième pilier de la réforme du financement des établissements de santé réside dans la montée en charge d'une dotation populationnelle .

Cette dotation, qui est d'ailleurs au coeur des modèles retenus pour le financement de la psychiatrie et des soins de suite et de réadaptation, a vocation à constituer un socle de financement adapté à la situation de l'établissement , à ses contraintes et aux missions dont il a la charge dans le territoire où il est situé.

Recommandation : accélérer l'expérimentation d'un nouveau modèle de financement avec une part relevant d'une dotation populationnelle et anticiper la transformation nécessaire du modèle de financement pour l'ensemble des hôpitaux.

Alors que cette dotation populationnelle doit devenir un pilier du futur financement, il convient d' approfondir rapidement les expérimentations lancées sur le modèle mixte de financement et d'inciter les hôpitaux à basculer vers ce modèle qui doit pouvoir être généralisé dans les prochaines années .

Enfin, là encore, l'un des enjeux sera d'aboutir à une grille transparente pour pondérer la dotation populationnelle selon les établissements. Celle-ci devra notamment permettre d'analyser les enjeux et d'évaluer les besoins liés au profil de la population selon son âge, la prévalence de certaines pathologies , les enjeux particuliers de santé publique mais aussi l'o ffre de soins disponible sur le territoire , tant en ville qu'en établissements de santé, quand les lacunes de celles-ci se répercutent souvent sur l'hôpital.

À cette fin, une approche territoriale doit être retenue pour faire correspondre le diagnostic des besoins, les documents de planification et les dotations attribuées aux établissements. Il apparaît que le pilotage des agences régionales de santé doit être favorisé, sur la base de critères objectifs .

Recommandation : clarifier les priorités et les modalités d'attribution des crédits dédiés aux hôpitaux et arbitrés par les agences régionales de santé.

4. Une prise en compte plus aboutie de la qualité des soins

Dernier volet du triptyque, le financement à la qualité, doit lui aussi voir sa part accrue dans le nouveau modèle et ses modalités d'attribution revues.

Cette valorisation de la qualité des soins n'est pas nouvelle, et constitue une montée en puissance de l'incitation financière pour l'amélioration de la qualité (IFAQ) expérimentée à partir de 2012 avant sa généralisation depuis 2016.

L'incitation financière pour l'amélioration de la qualité

Les grands principes du programme IFAQ sont :

- une logique uniquement incitative, sans pénalité pour les établissements les moins bien classés ;

- l'utilisation de tout ou partie des résultats issus des démarches nationales de mesure de la qualité (indicateurs de qualité, de sécurité des soins et de satisfaction des patients proposés par la DGOS et la HAS, certification des établissements pilotée par la HAS...) sans recueil supplémentaire ;

- une rémunération qui est fonction du score de qualité et des recettes T2A (tarification à l'activité) des établissements.

Source : Haute Autorité de santé

Alors que ce financement demeure marginal à l'échelle des ressources des hôpitaux, trois évolutions ont été conduites par le ministère des solidarités et de la santé en 2019 à ce financement emblématique de la stratégie « Ma santé 2022 » :

- l'enveloppe totale du dispositif IFAQ a été multipliée par quatre, portée de 50 millions d'euros à 200 millions d'euros ;

- la rémunération se fait désormais indicateur par indicateur et non plus sur la base d'un score global ;

- le taux d'établissements bénéficiaires passe de 30 % au global à 70 % par indicateur.

IFAQ 2019 : les indicateurs pris en compte

Les indicateurs intégrés au dispositif IFAQ pour « scorer » les établissements de santé sont revus chaque année par arrêté. Ils appartiennent à des catégories définies, elles, par décret :

- qualité des prises en charge perçue par les patients ;

- qualité des prises en charge cliniques ;

- qualité des pratiques dans la prévention des infections associées aux soins ;

- qualité de la coordination des prises en charge ;

- performance de l'organisation des soins ;

- qualité de vie au travail ;

- certification.

Source : Ministère des solidarités et de la santé

Cependant, si l'intention semble unanimement partagée, la mise en oeuvre n'est pas exempte de risques. Ainsi, Jacques Léglise, président de la conférence des directeurs d'établissements privés non lucratifs, considère ainsi 193 ( * ) que le financement à la qualité est « louable sur le papier », mais que ses « mécanismes sont très complexes à mettre en oeuvre et risquent un jour d'être encore plus rejetés par les soignants que la tarification à l'activité tant ils sont technocratiques et illisibles ». Il serait selon lui plus aisé de travailler sur la pertinence des soins .

Cette crainte est partagée par la présidente de la HAS, le professeur Dominique Le Guludec 194 ( * ) : « Il faudra faire attention. Le financement à la qualité reposait dans un premier temps sur un nombre d'indicateurs assez faible. Il s'élargit et c'est une bonne chose que le financement ne dépende pas uniquement du volume d'actes. Encore faut-il qu'il repose sur des indicateurs solides, valides et suffisamment nombreux pour couvrir les champs concernés et justifier des sommes de financement. »

C'est là le coeur du financement à la qualité mais aussi sa principale fragilité : les indicateurs retenus et leur évaluation doivent être suffisamment nombreux, mais aussi facilement vérifiables et correspondre à des enjeux identifiés. « Il n'y a rien de pire qu'un indicateur qui ne serait pas juste. On est dans une période avec des injonctions contradictoires : on a besoin d'outils qu'on n'a pas encore et qu'il faut construire », expliquait encore Dominique Le Guludec 195 ( * ) . À cette fin, la Haute Autorité de santé a constitué cette année une équipe data chargée d'une simplification mais aussi de trouver des solutions , pour avoir ces données sans demander de temps aux professionnels.

Recommandation : en vue d'une montée en puissance du financement à la qualité, faire un bilan des indicateurs existants, de leur adéquation aux différentes catégories d'établissements et, avec la Haute Autorité de santé, mettre à jour les procédures d'évaluation de la qualité.


* 186 Audition du 3 février 2022.

* 187 Académie de médecine, L'hôpital public en crise : origines et propositions , 2019.

* 188 Audition du 16 février 2022.

* 189 C. Kobel, J. Thuillez, M. Bellanger et K.P. Pfeiffer, 2011 : DRG System and Similar Patient Classification System in Europe, in R. Busse, A. Geissler, W. Quentin et M. Wiley (eds), Diagnosis- Related Group in Europe : Moving Towards Transparency, Efficiency and Quality in Hospitals , McGraw Hill, cités par Michel Mougeot et Florence Naegelen, « La tarification à l'activité : une réforme dénaturée du financement des hôpitaux », Revue française d'économie , 2014/3 Volume XXIX, pages 111 à 141.

* 190 Audition du 3 février 2022.

* 191 Audition du 16 février 2022.

* 192 Audition du 17 février 2022.

* 193 Audition du 18 janvier 2022.

* 194 Audition du 17 février 2022.

* 195 Audition du 3 février 2022.

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