C. PRÉVOIR UN FINANCEMENT DURABLE ET CONTINU DES INVESTISSEMENTS HOSPITALIERS

1. Un plan d'investissement aux contours évolutifs dont la mise en oeuvre exigera un suivi très attentif
a) Un premier plan annoncé fin 2019 mais insuffisamment préparé

Le Ségur de la santé à l'été 2020 a quelque peu éclipsé le précédent plan d'urgence annoncé le 20 novembre 2019 en réponse à la crise de l'hôpital. Celui-ci comportait un volet de relance de l'investissement mettant largement en avant la reprise d'une partie de la dette des établissements hospitaliers .

Plan d'urgence pour l'hôpital (2019) - Réinvestir dans l'hôpital en lui donnant des moyens nouveaux et de la visibilité dans le temps

Mesure 13 : relancer l'investissement courant

L'investissement du quotidien sera une priorité. Il s'agit de permettre aux hôpitaux d'acheter le matériel indispensable pour le travail des soignants au quotidien. Sur les 3 prochaines années, 150 millions d'euros par an seront fléchés vers l'investissement courant pour répondre au besoin actuel d'investissement quotidien. Ces investissements devront être majoritairement à la main des chefs de service.

Mesure 14 : reprendre une partie de la dette hospitalière pour dégager les marges nécessaires pour les établissements

À partir de 2020, 10 milliards d'euros de dettes seront repris aux hôpitaux en 3 ans afin d'alléger les charges d'établissements, assainir leur structure financière et leur permettre d'investir et de se transformer.

C'est une décision de rupture, avec un plan de reprise de dettes attendu par les personnels eux-mêmes : l'investissement hospitalier a été divisé par 2 en 10 ans pendant que la dette des hôpitaux augmentait de 40 %.

Chaque hôpital qui souhaite s'engager dans une trajectoire de désendettement et/ou dans un plan de transformation pourra bénéficier d'une reprise de dette, qui lui permettra de réduire son endettement et de retrouver, le cas échéant, les moyens de conduire sa transformation tout en limitant son niveau d'endettement futur.

Source : Dossier de presse, présentation des mesures d'urgence pour l'hôpital par le Premier ministre et Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé, 20 novembre 2019.

Cependant, au-delà de cette annonce, les modalités concrètes de soutien à l'hôpital ne semblent pas réellement précisées avant le début de l'année 2020 au moins . La note de la direction générale de l'offre de soins datée du 7 janvier 2020 196 ( * ) relative à la reprise de dette est particulièrement éclairante sur ce point.

Elle précise que « la notion de « reprise de dette » entendue au sens strict correspond à une sortie du bilan des passifs financiers détenus auprès d'établissements bancaires, avec transfert des droits et responsabilités de ces dettes auprès du repreneur ». Elle souligne cependant que les réunions interministérielles tenues « posent en réalité un schéma qui prévoit des aides au remboursement des échéances au capital et frais financiers d'une partie de l'encours des EPS [...] , les passifs financiers n'étant pas sortis du bilan mais simplement “couverts” par des flux de financement émis par un organisme centralisateur ».

Surtout, la directrice générale signale « des impacts réels qui peuvent paraître mesurés par rapport à l'effet d'annonce d'un montant de 10 milliards d'euros sur 3 années ». Elle constate ainsi que « l'impact économique d'une telle reprise ne se traduira pas à court terme
- contrairement à ce qu'aurait pu produire une recapitalisation sur 3 ans
, car les flux de trésorerie vers les établissements seront calés sur leurs échéanciers des emprunts, soit potentiellement sur de très longues années, l'extinction de l'encours observé au 31 décembre 2019 s'étalant ainsi sur plus de 30 ans ». Ainsi, l'annonce d'un plan massif et immédiat, recouvre en réalité une mesure essentiellement comptable à l'effet économique somme toute incertain .

Dernière faiblesse soulignée, et non des moindres, « les impacts de ces apports de reprise de dette seront en outre, du fait de leur dilution dans le temps, difficiles à distinguer des autres impacts qui font varier par ailleurs annuellement les situations financières des établissements , et en premier lieu, des effets des campagnes tarifaires et de l'évolution de l'activité que connaît chaque établissement. Il n'est à ce titre pas possible de poser la situation contrefactuelle décrivant la trajectoire qui aurait été celle des établissements sans cette mesure, et il ne sera pas possible de discriminer les éléments qui ont le plus induit la trajectoire qui se réalisera in fine ». Autrement dit, aucun suivi n'est possible de la portée de la mesure sur le redressement ou non de la situation financière des établissements qui en bénéficieraient .

Preuve encore des lacunes patentes de la construction de ce plan, l'arbitrage présenté pour la traçabilité de ces impacts dans les comptes : « deux grandes hypothèses sont ouvertes, selon que l'on souhaite privilégier l'affichage de l'engagement de l'État dans les comptes de l'établissement à court terme ou refléter la réalité économique des flux ». La priorité gouvernementale entre efficacité pour le redressement de l'hôpital et affichage politique devait donc, en creux, être tranchée.

Enfin, deux risques juridiques étaient identifiés, le premier concernant le champ des établissements éligibles, seulement publics ou non , le second relatif à la conformité au droit de l'Union européenne et à la question de la non surcompensation des charges par l'État.

Force est de constater qu'un effort se voulant majeur visait surtout, à travers une annonce marquante , à calmer un mouvement de protestation , la mesure restant caractérisée par son impréparation et sa précipitation .

b) Un nouveau plan massif annoncé après la crise sanitaire

La crise sanitaire a suspendu toute mise en oeuvre du plan d'urgence de la fin 2019, avant de conduire, concernant l'investissement, à l'actualiser dans le cadre du Ségur de la santé.

Ainsi, la reprise de dette hospitalière a pu être une nouvelle fois annoncée et un nouveau plan dédié à l'investissement courant a été dévoilé. Nouveau plan, nouveau nom, nouvelles annonces donc, mais pour une bonne partie, reprise du plan précédent ne datant que de sept mois et dont la mise en oeuvre n'avait pas débuté.

Ségur de la santé (2020) - Pilier 2 définir une nouvelle politique d'investissement et de financement au service de la qualité des soins

Mesure 9 : 19 milliards d'euros d'investissements nouveaux dans la santé (ville-hôpital-médico-social)

-- Reprendre 13 milliards d'euros de dette des établissements participant au service public hospitalier pour leur redonner les marges financières nécessaires à l'investissement du quotidien et améliorer les conditions de travail (pose de rails d'hôpital, achat de petit matériel...).

-- Déployer un plan massif d'investissement de 6 milliards d'euros répartis entre :

• la transformation, la rénovation et l'équipement dans les établissements médico-sociaux : 2,1 milliards d'euros sur 5 ans dont 0,6 milliard d'euros pour le numérique ;

• projets hospitaliers prioritaires et investissements ville-hôpital : 2,5 milliards d'euros engagés sur 5 ans ;

• rattrapage du retard sur le numérique en santé : 1,4 milliard d'euros sur 3 ans.

Source : Dossier de presse - Ségur de la santé, Les conclusions, juillet 2020.

• Mise à jour du plan d'urgence de 2019, le Ségur « investissement » témoigne d'une toute aussi grande impréparation.

Les ajustements notables et successifs réalisés en moins de dix-huit mois sur le dispositif de « reprise de dette » en sont l'illustration.

La vocation évolutive de l'enveloppe exceptionnelle de 13 milliards d'euros à destination des établissements du service public hospitalier témoigne d'une telle plasticité que la sincérité des dispositions soumises au Parlement apparaît très discutable.

Ainsi, l'article 4 de l'ordonnance n° 96-50 du 24 janvier 1996 relative au remboursement de la dette sociale dans sa version résultant de la loi « dette sociale et autonomie » prévoyait la couverture « des échéances des emprunts contractés au 31 décembre 2019 par les établissements de santé relevant du service public hospitalier », la version proposée dans le PLFSS pour 2021 évoquait « un soutien exceptionnel [...] au titre du désendettement pour favoriser les investissements dans les établissements de santé assurant le service public hospitalier » avant que la loi de financement pour 2021 ne retienne finalement comme rédaction le concours « à la compensation des charges nécessaires à la continuité, la qualité et la sécurité du service public hospitalier et à la transformation de celui-ci ».

Cette évolution a été justifiée par le Gouvernement comme une mise en conformité du dispositif au regard du droit européen qui, s'il tolère le soutien à des investissements futurs, aurait regardé la reprise de dette initialement prévue comme une aide d'État contraire aux traités européens.

Source : Commission d'enquête, d'après les rapports de la commission des affaires sociales sur le PLFSS 2021 et le PLFSS 2022 197 ( * )

Ainsi, les 13 milliards de « reprise de dette » annoncés fin 2019 puis en 2020 ont-ils depuis lors été finalement scindés en deux enveloppes de 6,5 milliards d'euros : la première (« volet 1 ») a bien pour finalité l'assainissement financier des établissements - sans s'afficher ostensiblement en reprise de dette ; la seconde (« volet 2 ») a pour objet le financement d'investissements structurant s.

Dans le même temps, le « nouveau » fonds pour la modernisation et l'investissement en santé et le plan de 6 milliards d'euros , initialement présentés comme devant soutenir les investissements structurants, ont été réorientés sur un financement de l'investissement du quotidien.

Le fonds pour la modernisation et l'investissement en santé

À la suite des conclusions du Ségur de la santé en 2020, l'article 49 de la loi de financement de la sécurité sociale a transformé le fonds pour la modernisation des établissements de santé publics et privés (FMESPP) en un nouveau fonds pour la modernisation et l'investissement en santé, avec une vocation d'investissement plus transversale entre les établissements sanitaires et médico-sociaux.

Les ressources du fonds sont principalement constituées de dotations de l'assurance maladie et de la branche autonomie.

Le fonds est géré par la Caisse des dépôts et consignations, les délégations de crédits étant opérées par le ministère des solidarités et de la santé.

Comme présenté lors de l'examen du PLFSS pour 2021, le fonds pour la modernisation et l'investissement en santé (FMIS) est le vecteur financier des 6 milliards d'euros du plan de relance de l'investissement. Trois grands axes ont été retenus par le Gouvernement en 2020 :

- les projets hospitaliers prioritaires et projets ville-hôpital : 2,5 milliards d'euros engagés sur 5 ans ;

- le rattrapage du retard sur le numérique en santé : 1,4 milliard d'euros sur 3 ans ;

- la transformation, la rénovation et l'équipement dans les établissements médico-sociaux : 2,1 milliards d'euros sur 5 ans.

Répartition du plan d'investissement de 19 milliards d'euros « Pilier 2 du Ségur »

Source : Commission d'enquête

La multiplication des enveloppes, leur redécoupage, leur redéfinition et leurs réorientations successives traduisent un certain manque de cohérence et entretiennent le doute sur la capacité du Gouvernement à définir et à soutenir une trajectoire claire pour l'investissement hospitalier, à en garantir la lisibilité et à en permettre le contrôle .

c) Des finalités et une trajectoire du Ségur encore à clarifier
(1) Un échéancier qui se précise pour une montée en puissance encore à venir

En réponse aux demandes de précision de la commission d'enquête, le ministère des solidarités et de la santé lui a fait parvenir des indications sur les conditions de mise en oeuvre, assez complexes, du plan annoncé.

• S'agissant du plan de relance de l'investissement, sur un total de 6 milliards d'euros annoncés, n'a été communiqué à la commission d'enquête que l'échéancier des crédits du FMIS destinés à soutenir les projets prioritaires d'un montant total de 2,5 milliards d'euros. Ils doivent être délégués aux ARS en cinq tranches annuelles de 500 millions d'euros, de 2021 à 2025 .

Concernant cette enveloppe de 2,5 milliards d'euros, le ministère des solidarités et de la santé souligne qu'une première répartition prévisionnelle par région a été publiée en annexe de la circulaire Premier ministre du 10 mars 2021 relative à la relance de l'investissement dans le système de santé, répartition revue après la présentation des stratégies régionales d'investissement en octobre 2021 .

Le ministère souligne que « ce sont donc les ARS qui ont aujourd'hui toute visibilité sur cette enveloppe, et doivent l'allouer aux projets prioritaires en contractualisant ces crédits avec les établissements à mesure qu'ils instruisent ces projets ». Ces crédits seront ensuite versés aux établissements sur présentation de factures et donc en fonction des décaissements de ces projets.

Aussi, en termes de consommation des crédits , le ministère constate que « l'échéancier prévisionnel d'utilisation de ces crédits et la part des établissements publics et privés non lucratifs ne sont pas connus à ce jour ».

Imputation comptable des crédits FMIS

Le plan comptable comprend plusieurs comptes d'imputation possibles pour ces crédits FMIS (libellés comme tels).

Concernant les crédits FMIS investissement du quotidien, c'est l'ARS qui décide lors de l'allocation des crédits du caractère amortissable ou non de ces aides, mais par nature elles sont davantage non amortissables.

En effet il s'agit d'investissement courant, et avec l'objectif que les établissements puissent à terme financer ces investissements sans aide ad hoc donc en couvrant les dotations aux amortissements correspondantes sans transfert de quote-part.

Pour les projets prioritaires, les subventions peuvent être considérées comme amortissables, en cohérence avec la méthode retenue pour les crédits du volet 2 de l'article 50.

Source : Réponses du ministère des solidarités et de la santé au questionnaire de la rapporteure

Les tableaux fournis par le ministère mentionnent également au titre des crédits délégués trois versements annuels d'un montant total de près de 300 millions d'euros pour le rattrapage numérique en établissements de santé , de 2021 à 2023, alors que le plan de relance prévoyait un total de 1,4 milliard d'euros sur trois ans. Les documents transmis à la commission d'enquête ne comportent aucune explication sur les modalités d'imputation budgétaire et de versement pour le restant de cette enveloppe.

• Concernant la restauration des capacités de financement (« volet 1 »), sa trajectoire a été conçue comme linéaire et déclinée sur 9 ans , avec une double échéance en 2021 destinée à donner une impulsion au dispositif 198 ( * ) .

La possibilité a néanmoins été laissée aux ARS qui le souhaitaient de condenser sur les premières années l'échéancier des établissements bénéficiant d'une dotation totale inférieure à 1 million d'euros. Par ailleurs, à titre exceptionnel, et sur accord des services du ministère, le rythme de certains échéanciers a pu être adapté en dégressivité (par exemple pour accompagner les besoins de financement des investissements courants complémentaires qui peuvent être générés par un effort de sortie d'emprunts toxiques) ou en progressivité (dans le cas d'extinction d'aides à l'investissement notamment).

Échéancier de versements des crédits relatifs au rétablissement des capacités de financement

(en millions d'euros)

2021

2022

2023

2024

2025

2026

2027

2028

2029

1 380

646

648

650

641

638

638

638

638

Source : Réponses du ministère des solidarités et de la santé au questionnaire de la rapporteure

Le ministre des solidarités et de la santé a annoncé à la mi-mars 2022 199 ( * ) que l'ensemble des établissements de santé éligibles au volet « restauration des capacités financières », au nombre de 997, ont signé avec les ARS concernées le contrat prévu par la loi et permettant d'engager le versement des financements. Ainsi, 1,4 milliard d'euros a été versé en janvier 2022 aux établissements de santé assurant le service public hospitalier au titre du dispositif prévu à l'article 50 de la LFSS pour 2021 , première tranche du plan doté de 6,5 milliards d'euros au total jusqu'en 2029 200 ( * ) .

Le ministre précise que « la conséquence immédiate de la signature de ces contrats est l'amélioration, dès 2021, de la situation comptable des établissements concernés , pour la totalité de la mesure, soit 6,5 milliards d'euros », quand bien même seule la première des neuf tranches prévues leur a été versée.

• Le rythme de versements des dotations relatives à l'accompagnement des projets d'investissement structurants (« volet 2 ») est dépendant du rythme de l'opération elle-même et répond aux besoins de décaissement identifiés.

Le ministère précise que ces crédits seront notifiés en deux temps par le ministère aux agences régionales de santé qui devront les déléguer aux établissements avant le 31 décembre 2030 , avec deux tranches de versements :

- tranche 2021-2025 : 70 % des crédits soit 3,85 milliards d'euros ;

- tranche 2026-2030 : 30 % des crédits soit 1,65 milliard d'euros .

Le ministère précise que seront prévues sur ces deux tranches des mises en réserve de l'ordre de 5 % « qui limiteront le niveau d'engagement que les ARS peuvent contractualiser avec les établissements », mais demeurent conservées au sein des enveloppes régionales. Il sera statué sur leur traitement à l'occasion de points d'étape intermédiaires.

Comptabilisation des crédits art 50 LFSS 2021 par les établissements publics

Le dispositif devait initialement reposer sur un seul mode de comptabilisation au bilan, décrit dans la M21. Au regard du poids des dotations aux amortissements à prévoir dans le cadre d'investissements d'ampleur et de leur impact sur les comptes de résultat des établissements concernés, le principe d'une séparation des modalités comptables pour les investissements structurants a été introduit dans le PLFSS 2022.

Schéma comptable prévu par les textes :

- Volet 1 relatifs à l'assainissement financier : inscription au bilan en capital au 1026 ;

- Volet 2 relatifs aux investissements structurants : inscription au compte 13186 « Subvention d'investissement structurant article 50 (modifié par LFSS 2022) ». La quote-part amortissable des subventions d'investissement ainsi fléchée sera amortie annuellement par la reprise au compte de résultat.

Source : Réponses du ministère des solidarités et de la santé au questionnaire de la rapporteure

Les notifications aux agences régionales de santé par arrêté ministériel en 2021 201 ( * ) et 2026 constitueront la limite de la somme des engagements contractuels que pourra prendre l'ARS sur les deux périodes citées.

Ventilation régionale des crédits « accompagnement des projets d'investissement structurants », pour les deux tranches 2021 et 2026

(en millions d'euros)

Région

Tranche 2021-2025

Tranche 2026-2030

Auvergne-Rhône-Alpes

290

124

Bourgogne-Franche-Comté

112

48

Bretagne

256

110

Centre

147

63

Corse

50

21

Grand Est

155

67

Guadeloupe

45

19

Guyane

66

28

Hauts de France

275

118

Île-de-France

684

293

Martinique

251

108

Mayotte

20

9

Normandie

139

59

Nouvelle Aquitaine

416

178

Occitanie

413

177

Pays de la Loire

250

107

Provence-Alpes-Côte d'Azur

180

77

La Réunion

68

29

Saint-Pierre-et-Miquelon

3,6

1,6

Total général

3 821

1 638

Source : Réponses du ministère des solidarités et de la santé au questionnaire de la rapporteure

Si les stratégies territoriales ont pu commencer à être présentées par les agences régionales de santé, il convient désormais d'avoir une vision claire et transversale de l'utilisation de l'enveloppe globale de 19 milliards d'euros, par territoire mais aussi et surtout par finalité.

Ainsi, alors que les crédits du FMIS ont commencé à être imputés et que les contrats relatifs aux deux enveloppes distinctes de 6,5 milliards d'euros ont été pour partie au moins signés, un point d'étape apparaît nécessaire pour donner de la visibilité sur la consommation des crédits et, surtout, sur les projets soutenus .

Recommandation : d'ici à l'été 2022, proposer une liste stabilisée des projets retenus par territoire et un échéancier d'utilisation des crédits.

(2) Un suivi à encore affiner

• Concernant le suivi de l'utilisation des crédits, le ministère souligne que la régionalisation de la mesure implique un reporting annuel et précis, à travers le niveau d'engagement pluriannuel et le calendrier prévisionnel des versements issus des contrats et avenants consolidés.

À cette fin, les ARS ont fait parvenir à la DGOS et à la direction de la sécurité sociale (DSS) avant 31 décembre 2021 leurs échéanciers pour la répartition de l'enveloppe telle que retenue au sein de leur région pour les crédits du volet 1 « restauration des capacités financières » et inscrite dans les échéanciers prévisionnels annexés aux contrats. Concernant le volet 2 « investissements structurants », les ARS doivent mettre en place des revues régulières de projet et faire parvenir au plus tard le 31 janvier de chaque année les informations relatives aux engagements cumulés pris au 31 décembre de l'exercice antérieur, afin de permettre un suivi pluriannuel des crédits engagés et décaissés, par le ministère des solidarités et de la santé et les caisses primaires d'assurance maladie.

Concernant l'évaluation du dispositif, le ministère souligne qu'un suivi annuel des contrats est organisé entre les ARS et les établissements co-contractants, afin de garantir l'adéquation entre les montants versés et les charges compensées, ainsi que l'atteinte des objectifs fixés dans le contrat conclu avec l'établissement.

Le ministère indique également qu'un suivi national annuel sera établi sur la base d'indicateurs et de cibles relatifs à la situation financière et notamment l'endettement, afin d'évaluer l'impact de la mesure.

Si beaucoup d'établissements font face à des besoins importants, compte tenu de la diminution continue des investissements au cours des dix dernières années, la commission d'enquête souhaite qu'une attention particulière soit apportée aux établissements publics de santé des départements d'outre-mer . Aux Antilles, l'équipement hospitalier est vieillissant et mérite d'être modernisé. Le chantier du nouveau CHU de Pointe-à-Pitre, engagé après l'incendie survenu en 2017, devrait être achevé fin 2023. En Guyane, le plan santé annoncé par le Gouvernement en mars 2021 prévoit la création d'un CHU à l'horizon 2025, le renforcement des 17 centres délocalisés de prévention santé (CDPS), la transformation d'ici 2022 de trois d'entre eux en hôpitaux de proximité aménagés, le doublement des capacités d'hospitalisation en soins critiques d'ici 2024. À Mayotte, la décision de construire un second site hospitalier, nécessaire en raison de l'augmentation rapide de la population, a été annoncée en 2019, mais cette réalisation n'est pas prévue avant la fin de la décennie.

Comme l'a souligné le rapport du Sénat précité, « l'insularité ou l'isolement et l'éloignement des territoires ultramarins , qui les privent de possibilités géographiques alternatives de prise en charge, justifient un dimensionnement de l'offre de soins au moins équivalent à celui de l'hexagone . Il est donc important que les moyens en investissement prévus à la suite du Ségur de la santé soient rapidement engagés sur les projets les plus pertinents. » 202 ( * )

S'agissant du volet « restauration des capacités financières » , qui constituait initialement la totalité des 13 milliards d'euros de « reprise de dette », la commission d'enquête estime qu'il doit faire l'objet d'un suivi particulièrement rigoureux. L'enjeu est bien de ne pas masquer la persistance éventuelle de problèmes majeurs dans les capacités d'auto-financement de certains établissements qu'il s'agissait déjà d'aider en priorité dès 2019, lors de l'annonce initiale des mesures de soutien.

Recommandation : suivre l'évolution de la situation financière des établissements particulièrement endettés et le redressement de celle-ci du fait du plan « Ségur ».

Concernant le volet 2, le ministère précise que des dialogues de gestion seront réalisés en 2025 et 2028 entre les ARS et le niveau national sur les projets structurants, lui-même nourri d'un dialogue que l'ARS aura mené avec les établissements contractants afin de :

- faire le bilan intermédiaire des niveaux d'engagements par région et des résultats atteints en matière d'assainissement financier et d'investissements ;

- procéder, en fonction du bilan des engagements, soit au maintien soit à la restitution des reliquats non-consommés et des mises en réserve dans le cadre de réévaluation des besoins à l'échelle nationale qui pourrait prendre la forme d'une fongibilité entre les volets assainissement et investissements au sein d'une même région, ou entre régions ; la réserve nationale d'aléas pourrait aussi être mobilisée à cette occasion ;

- procéder le cas échéant à une réévaluation des enveloppes régionales de la deuxième tranche.

Ces points d'étape seront complémentaires du suivi annuel des niveaux de contractualisation et de l'évolution des indicateurs clés.

Là aussi, devant une enveloppe budgétaire de 6,5 milliards d'euros qui ne fait pas l'objet d'un suivi et d'une approbation parlementaire annuelle au moment du PLFSS, un suivi de l'emploi de cette ressource devra être réalisé régulièrement et précisément.

Recommandation : dresser annuellement un état de la consommation des crédits par projet ou établissement à l'échelon régional.

2. La nécessité d'un outil pérenne de financement des investissements structurants

La question des modalités de financement des investissements hospitaliers n'a jamais trouvé de réponse satisfaisante, notamment depuis la mise en oeuvre de la tarification à l'activité.

En 2012, la Mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale du Sénat avait préconisé une distinction claire : aux tarifs, et donc à l'assurance maladie, le financement de l'activité et des équipements ; à l'État le financement des investissements structurants, particulièrement les investissements immobiliers .

La prise en charge des investissements immobiliers des hôpitaux selon la Mecss du Sénat 203 ( * )

La Mecss estime illégitime que les tarifs les financent, comme aujourd'hui, et juge nécessaire de s'orienter vers un financement qui ne soit pas directement lié à l'activité, en privilégiant une logique de contrat de projet pluriannuel et en faisant appel à des ressources du type « Grand emprunt ».

S'il ne semble pas illégitime de financer les équipements, y compris le cas échéant certains matériels lourds, par les recettes courantes d'exploitation (tarifs, Migac...), la question des investissements immobiliers devrait être mieux prise en compte car leur cycle de vie est nettement plus long que celui de la seule activité.

En outre, on peut estimer que les tarifs n'ont pas à financer l'immobilier et que les écarts parfois importants dans la qualité des bâtiments et leur possible valorisation physique ou budgétaire sont à prendre en compte dans le choix que doit nécessairement opérer la solidarité nationale.

Source : Extraits du rapport de la Mecss de 2012

La commission des affaires sociales du Sénat a suivi cette position à l'occasion de l'examen du projet de loi relatif à la dette sociale et à l'autonomie 204 ( * ) . Elle avait en effet considéré que faire assumer la reprise de dette des hôpitaux par la Caisse d'amortissement de la dette sociale n'était pas fondé , en cela que cette reprise visait à couvrir des emprunts liés aux investissements immobiliers liés aux plans Hôpital 2007 et Hôpital 2012. La commission avait ainsi appelé l'État à assumer sa responsabilité financière à l'égard des hôpitaux , alors que le déficit de l'assurance maladie était particulièrement préoccupant.

La commission d'enquête considère pour sa part que les investissements structurants des hôpitaux doivent être assurés par une ressource budgétaire dédiée, bien identifiée et non assimilée à ce qui relèverait d'une assurance sociale. Aussi, la commission réaffirme la position du Sénat attribuant à l'État la charge budgétaire du financement de ces investissements .

En outre, face aux défis structurels que doit affronter l'hôpital dans les décennies à venir, les politiques par « à-coups » au rythme de plans successifs (plans Hôpital, Ségur) ne sont pas adaptées. Elle propose ainsi la création d'une structure pérenne ou d'un fonds dédié au financement des investissements structurants des hôpitaux, avec un financement annuel et des capacités d'engagements.

La logique voudrait que des crédits budgétaires au sein de la mission santé soient chaque année dédiés à alimenter un fonds d'investissement propre aux hôpitaux . Si le Gouvernement devait persister, pour des raisons discutables, à vouloir faire porter cette charge par l'assurance maladie, la commission estime que ce transfert au sein du PLFSS ne pourrait être pérennisé que sous deux conditions :

- une ressource fiscale nouvelle doit compenser ce qui a historiquement relevé du budget de l'État ;

- l'autorisation de la dépense, son contrôle et le suivi de son emploi doivent répondre à des règles renforcées, comparables aux pouvoirs dont dispose le Parlement dans le cadre du budget de l'État .

En résumé, l'enjeu est trop important pour que l'effort de la Nation envers la modernisation de l'hôpital ne se résume qu'à un gonflement de l'Ondam en affichage et à une politique de stop-and-go de l'investissement.

Recommandation : éviter les plans successifs et pérenniser un réel outil de financement de la modernisation et des investissements hospitaliers.

3. Des réserves quant au rôle des collectivités locales dans le financement des établissements de santé
a) Un souhait des collectivités locales dans un cadre juridique a priori très restrictif

La participation des collectivités à la gestion et au financement des établissements de santé est une demande constante des élus locaux. En effet, si les hôpitaux sont un enjeu important d'aménagement du territoire, ils sont surtout un élément structurant et déterminant de l'offre de soins d'un bassin de vie.

Au-delà de la seule présidence du conseil de surveillance des hôpitaux publics par le maire de la commune d'implantation, les collectivités locales ont ainsi régulièrement souhaité s'engager dans le développement des établissements de leur territoire.

L'intervention des collectivités territoriales dans le champ de la santé est cependant historiquement restreinte.

Au-delà des actions que peuvent traditionnellement assumer les communes au titre de leur compétence général, la seule disposition légale prise jusqu'à la loi 3DS comme référence pour permettre des soutiens financiers des collectivités aux établissements de santé est l'article L. 1511-8 du code général des collectivités territoriales (CGCT).

Cet article, qui porte essentiellement sur les aides à l'installation et au maintien des professionnels de santé, prévoit également que « les collectivités territoriales et leurs groupements peuvent aussi attribuer des aides visant à financer des structures participant à la permanence des soins, notamment des maisons médicales ».

La jurisprudence administrative a précisé ce que pouvait couvrir la permanence des soins, précisant notamment « l'organisation de la régulation des appels des patients et de l'accès à ceux-ci à un médecin de permanence, qui peut être libéral, la continuité des soins devant être assurée par la mise à disposition de moyens ». Dans les faits, les financements des collectivités, quand ils existent, prennent accroche sur ce motif de permanence des soins, avec la mise en évidence d'un impact des projets soutenus sur les services d'urgence des établissements. C'est d'ailleurs cette justification qui avait permis de sécuriser le soutien financier de trois intercommunalités de Savoie aux hôpitaux du Léman en 2019.

Source : Avis de la commission des affaires sociales

L'article 32 du projet de loi « 3DS » visait à donner une base légale à des interventions au fondement juridique fragile et, surtout, à ouvrir la voie à une plus grande participation des collectivités au financement de la santé. Le Gouvernement considérait ainsi dans l'étude d'impact du projet de loi que, s'il y a d'une part une incertitude sur la présence des établissements de santé dans le champ de l'article L. 1511-8 du CGCT, il n'y a d'autre part aucune base légale permettant aux collectivités de participer aux programmes d'investissement de ces derniers .

Cependant, des initiatives ont pu être revendiquées par les collectivités territoriales en soutien aux hôpitaux, en complément ou parallèlement au Ségur, sans visiblement tenir compte de ces limitations ou en anticipant l'évolution juridique qui était alors à venir.

b) Une ouverture avec prudence dans le cadre de la loi 3DS

Toujours enclin à encourager la territorialisation des politiques publiques et une plus forte implication des collectivités territoriales, le Sénat n'a pas repoussé l'évolution proposée dans le cadre de la loi « 3DS » sur la participation financière des collectivités territoriales au plan d'investissement des établissements de santé.

La commission des affaires sociales 205 ( * ) avait alors formulé des craintes quant à cette nouvelle faculté donnée aux collectivités territoriales, redoutant que cette participation aujourd'hui présentée comme volontaire et facultative devienne rapidement une attente systématique et soit requise par l'État pour le maintien d'établissements dans certains territoires.

Mesure 10 du Ségur de la santé

Donner le pouvoir aux territoires en matière d'investissement en santé

Ainsi, le rapporteur avait souligné le discours ambigu sur la territorialisation de la politique d'investissements en santé, qui semblait davantage être un appel à ce que les collectivités contribuent au financement plutôt qu'à un réel pouvoir nouveau de coconstruction de la politique d'investissements avec les élus locaux .

Surtout, la commission voyait dans cette ouverture un risque de renforcer les inégalités de santé avec, à terme, une offre de soins liée aux capacités financières des collectivités locales. Le niveau de qualité, de modernisation ou les capacités des établissements ne peuvent dépendre de la richesse des collectivités.

Aussi, sur ce constat, la commission des affaires sociales avait souligné le caractère strictement volontaire du soutien financier des collectivités territoriales ainsi que la nature de ce financement : un concours et non une contribution au même rang que les financeurs classiques que sont l'État et l'assurance maladie.

Elle avait également souhaité inscrire que les soutiens aux investissements s'inscrivent bien dans les objectifs du schéma régional de santé et orienter la finalité de ces derniers et la catégorie d'établissements concernés selon l'échelon de collectivité. L'essentiel de ces modifications a été préservé par le texte issu de la commission paritaire.

Nouvelle compétence donnée aux collectivités territoriales

Ainsi, aux termes de l'article 126 de la loi 206 ( * ) « 3DS », les articles L. 1422-3, 1423-3 et 1424-4 du code de la santé publique :

« Les [collectivités] peuvent concourir volontairement au financement du programme d'investissement des établissements de santé publics, privés d'intérêt collectif et privés. Les opérations financées dans le cadre du programme d'investissement respectent les objectifs du schéma régional ou interrégional de santé. Les opérations mentionnées au deuxième alinéa peuvent néanmoins être réalisées en cas de décision des [collectivités] concernées de ne pas concourir à leur financement. »

Entendu par la commission d'enquête, Frédéric Chéreau, représentant de l'Association des maires de France, résumait d'ailleurs les risques d'une montée en charge attendue des collectivités dans le domaine de la santé : « s'agissant de la question de la participation des collectivités aux investissements hospitaliers, les élus locaux sont certes favorables à l'association de leurs collectivités à l'ensemble des échelons de décision du système de santé . En revanche, ils restent convaincus que la santé est une compétence régalienne. Le même niveau de santé doit être proposé d'une vallée des Alpes à la région parisienne ou de la côte à l'intérieur du pays » 207 ( * ) .

• Les modifications apportées par la loi 3DS ne remettent pas en cause les fondamentaux de la gestion de la politique de santé dans notre pays : la santé demeure bien une compétence de l'État. La commission d'enquête estime qu' un équilibre entre responsabilité de l'État et juste participation des collectivités doit être préservé, au risque sinon d'accroître les inégalités territoriales en matière d'accès et de qualité des soins.

Le rôle des collectivités territoriales en la matière doit ainsi être strictement défini, suivant la position affirmée en 2021 par la commission des affaires sociales. L'implication financière des collectivités ne peut être que volontaire, en appui complémentaire à des projets d'équipements, et s'inscrire en cohérence avec la planification territoriale.

Recommandation : maintenir le caractère volontaire et complémentaire de l'implication des collectivités locales dans les projets d'équipements hospitaliers et assurer la bonne coordination de ces participations aux investissements et leur correspondance aux priorités du schéma régional.


* 196 Note à l'attention de Raymond Le Moign, directeur du cabinet de la ministre des solidarités et de la santé. Document transmis sur demande de la commission d'enquête.

* 197 Rapport n° 107, tome II (2020-2021) de M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général, Mme Corinne Imbert, M. René-Paul Savary, Mmes Élisabeth Doineau, Pascale Gruny et M. Philippe Mouiller, déposé le 4 novembre 2020 : Examen des articles et rapport n° 130, tome II (2021-2022) de Mmes Élisabeth Doineau, rapporteure générale, Corinne Imbert, MM. René-Paul Savary, Olivier Henno, Mme Pascale Gruny et M. Philippe Mouiller, déposé le 3 novembre 2021 : Examen des articles.

* 198 Notification aux agences régionales de santé en juillet 2021.

* 199 Communiqué de presse d'Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé, 17 mars 2022, « Établissements de santé : Olivier Véran annonce 1,5 milliard d'euros supplémentaires pour soutenir les établissements de santé ».

* 200 La première année a ainsi été finalement légèrement supérieure à une double annuité du fait de quelques demandes de dérogations argumentées par les ARS et acceptées par le ministère et à la concentration des échéanciers inférieurs à 1 million d'euros.

* 201 Notification en décembre 2021.

* 202 Rapport d'information n° 177 (2021-2022), 18 novembre 2021.

* 203 Rapport d'information n° 703 (2011-2012) de MM. Jacky Le Menn et Alain Milon, fait au nom de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale et de la commission des affaires sociales, déposé le 25 juillet 2012.

* 204 Rapport n° 556 (2019-2020) de M. Jean-Marie Vanlerenberghe, déposé le 24 juin 2020.

* 205 Avis n° 721 (2020-2021) de M. Alain Milon, fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 30 juin 2021.

* 206 Loi n° 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale.

* 207 Audition du 18 janvier 2022.

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