C. FAVORISER L'APPROPRIATION DES DISPOSITIFS EXISTANTS PAR LES ACTEURS LOCAUX EN RENFORÇANT LEUR LISIBILITÉ

1. Des dispositifs d'inclusion numérique appréhendés de façon inégale par les collectivités territoriales

Afin de mieux appréhender la manière dont les territoires s'approprient les enjeux et les dispositifs nationaux liés à l'inclusion numérique, la rapporteure a réalisé une consultation en ligne des élus locaux.

Résultats de la consultation en ligne des élus locaux (février 2022)

La consultation en ligne a permis de rassembler les témoignages de 1 668 élus locaux.

L'échantillon interrogé comprend uniquement des élus ayant répondu au questionnaire, sur la base du volontariat, et ne peut être vu comme représentatif de l'ensemble des élus locaux.

97 % des élus ayant répondu sont issus du bloc communal (80 % sont élus communaux et 17 % sont intercommunaux), tandis que près de 3 % sont issus de l'échelon départemental et moins de 1 % de l'échelon régional. Par ailleurs, plus de 70 % des élus ayant répondu au sondage ont déclaré être issus d'un territoire rural ou à dominante rurale .

Les questions avaient pour objet principal d' identifier les difficultés rencontrées par les élus dans l'élaboration et la mise en oeuvre de stratégies d'inclusion numérique au niveau local, et d'identifier des pistes pour y remédier.

Outre les données quantitatives issues des questions fermées (telles que « disposez-vous de lieux de médiation numérique sur votre territoire ou à proximité », « quelles difficultés identifiez-vous pour mettre en place une politique d'inclusion numérique sur votre territoire » ou encore « avez-vous déjà commandé des pass numériques »), la consultation a donné lieu à des réponses écrites intéressantes permettant d'exprimer le point de vue des répondants et leurs suggestions. La rapporteure se réjouit de la richesse de ces contributions - parfois « tranchées » - qui ont permis d'étayer ses travaux et d'appuyer certaines de ses propositions.

Voici une courte sélection de ces contributions :

« Aujourd'hui, nous assistons à une véritable fracture numérique. Des pans entiers de services publics sont dématérialisés, alors qu'une très grande partie de la population n'a pas accès au numérique, soit en connexion, soit en équipement. Les communes ne disposent pas de point numérique, et de personnel formé pour accompagner ce changement, notamment vers nos aînés. La France se fracture, laissant pour compte une grande partie de la population déjà fragile. Sensation que la charrue a été placée avant les boeufs , sur l'autel des économies. Pas ou peu d'accompagnement de l'État. Cet isolement numérique devrait être repris par une collectivité de proximité, comme le département. »

« Le numérique n'est pas une priorité pour les gens qui sont en difficulté dans leur quotidien, il faudrait donc les inciter à aller vers le numérique : proposition d'équiper les gens à domicile d'une tablette ou d'un ordinateur, pour les inciter à aller vers le conseiller numérique par exemple. Installer des "guichets" avec un interlocuteur qui est dans l'échange et l'explication, ce qui permet d'aller au-delà des peurs de l'inconnu, de ce que l'on ne maîtrise pas. L'administration elle-même est-elle prête ? Combien de connexions non abouties, de demandes rejetées avant même d'être étudiées ? »

« Sans accompagnement humain de proximité, l'inclusion numérique risque de rester imparfaite . L'outil numérique ne résout pas tout. Il nous faut aussi des politiques de prévention territoriales plus affirmées pour accroître la pédagogie sur le danger des écrans chez les jeunes ; pour évoquer les impacts écologiques et énergétiques des usages excessifs du numérique. Sur tous ces sujets, nos concitoyens demandent toujours du lien direct. Un rappel : 1 personne sur 3 reste éloignée ou très éloignée des usages et de la culture digitale, même si elle possède un smartphone... »

« L'inclusion numérique sur notre territoire a permis, depuis un certain temps et surtout en cette période de crise sanitaire, de lutter contre la fracture numérique et de rendre le meilleur service public possible à nos administrés. Un chiffre depuis 2019 : la fréquentation de l'espace dédié à la médiation numérique a pratiquement triplé depuis cette date, ce qui prouve l'efficacité de la création d'un tel service et notre volonté de renforcer encore plus les missions qui lui sont dévolues. »

Le détail des résultats de cette consultation figurent en annexe au présent rapport.

Il ressort que les dispositifs nationaux d'inclusion numérique sont parfois largement méconnus des élus ayant répondu au sondage, qui sont majoritairement des élus communaux issus de la ruralité.

À titre d'illustration, un nombre non négligeable d'élus a répondu n'avoir aucune connaissance de l'existence même du pass numérique ( « je n'ai jamais entendu parler de ce dispositif » , « je ne sais pas en quoi consiste cette procédure » ou encore « je n'ai pas connaissance de l'existence de ce pass » ), dispositif qui se veut pourtant la clé de voûte de la politique nationale à l'heure actuelle !

S'agissant des Hubs territoriaux pour un numérique inclusif , on observe également un écart entre les élus ayant connaissance du dispositif et travaillant avec un Hub et ceux qui en semblent très éloignés ( « C'est la première fois que j'entends parler de hub, ce mot ne figure pas dans mon Larousse » « Les notions de "pass numérique" et "APTIC" me sont étrangères ainsi que "Hub pour l'inclusion numérique" ! » ). De nombreux élus ont critiqué l'utilisation d'anglicismes et de termes jugés « complexes » ou « opaques » ( « Une commune rurale comme la nôtre a le sentiment d'entendre parler chinois avec l'inclusion numérique [...] il serait peut-être pertinent d'éviter les anglicismes » ).

Par ailleurs, les sondés sont nombreux à appeler à davantage d'efforts de pédagogie de la part de l'État pour présenter les enjeux de l'inclusion numérique aux acteurs locaux et des solutions à mettre en oeuvre. À titre d'exemple, un élu indique que le sujet de l'inclusion numérique « ne fait pas du tout l'objet d'une communication claire et détaillée de la part de l'État notamment auprès des petites communes rurales » et qu'il n'y a « pas de définition claire de l'inclusion numérique et des objectifs poursuivis » . Un autre appelle à davantage de communication vis-à-vis des élus locaux sur les dispositifs disponibles et à la délivrance d'une « information synthétique » sur le sujet. À la question « quelles pistes permettraient de mieux outiller les collectivités face à l'inclusion numérique » , plusieurs citent le besoin de davantage de pédagogie et d'information et de centraliser les dispositifs existants et les expériences menées ou en cours, afin de favoriser leur diffusion.

Afin de répondre à ces demandes récurrentes émanant en particulier des territoires ruraux, la rapporteure recommande l'élaboration d'un guide national recensant de manière simple et pédagogique l'ensemble des dispositifs d'inclusion numérique mis à disposition des collectivités territoriales.

Par ailleurs, afin de mieux sensibiliser les collectivités territoriales aux enjeux de l'inclusion numérique et aux dispositifs mis à leur disposition dans le cadre de la politique nationale d'inclusion numérique, la rapporteure jugerait opportun que les préfectures de département, qui sont des interlocuteurs facilement identifiables des élus locaux, en particulier dans les territoires ruraux, assurent un travail d'information et de communication plus important sur ces questions.

2. Des « fenêtres de financements » difficiles à anticiper pour les collectivités territoriales

Lors des auditions, des représentants de collectivités territoriales engagées en matière d'inclusion numérique ont fait état de difficultés à anticiper les divers appels à projets (AAP) et appels à manifestation d'intérêt (AMI) lancés par l'État et ses opérateurs (ANCT, Banque des territoires, ou encore l'APTIC). La métropole du Grand Lyon a ainsi évoqué « des annonces parfois trop tardives pour permettre aux collectivités territoriales de s'en saisir au mieux » tandis que le département des Pyrénées-Atlantiques appelle à « donner de la visibilité sur les appels à projets à venir, pour que les collectivités puissent s'inscrire dans ces fenêtres de tirs de financement » .

Sensible à ces observations, la rapporteure préconise l'élaboration d'un calendrier prévisionnel des principaux AAP et AMI de l'État, faisant si possible l'objet d'une concertation avec les associations d'élus locaux au préalable et d'une forte publicité . À défaut de disposer de perspectives de financement pérennes de l'inclusion numérique, une telle mesure permettrait de renforcer le recours aux financements existants par les collectivités territoriales.

Interrogée à ce sujet, l'ADF s'est dite favorable à l'idée d'une telle démarche, estimant qu'elle devrait permettre aux collectivités « de prévoir à l'avance la programmation de réserves budgétaires correspondantes et d'envisager des réponses plus structurées, avec une mutualisation accrue » .

PROPOSITION N° 5 : Renforcer la lisibilité des outils en matière d'inclusion numérique mis à disposition des collectivités territoriales :

À l'échelle nationale, élaborer un guide national annuel présentant les principaux outils et appels à projets et appels à manifestation d'intérêt en matière d'inclusion numérique, intégrant un calendrier prévisionnel de ces appels à projets et appels à manifestation d'intérêt ;

À l'échelle départementale, afin de mieux informer et accompagner les collectivités territoriales, créer sur le site de la préfecture une rubrique « Boîte à outils de l'inclusion numérique pour les collectivités territoriales » comportant notamment des liens vers :

- la Stratégie nationale pour un numérique inclusif et sa feuille de route ;

- le guide national présentant les principaux outils existant en matière d'inclusion numérique et le calendrier prévisionnel des appels à projets et à manifestation d'intérêt ;

- la « plateforme ressource pour les collectivités territoriales » mise à disposition par l'ANCT ;

- les outils existant pour diagnostiquer les difficultés numériques des usagers (Pix, LesBonsClics...) et les orienter vers des acteurs de l'inclusion numérique ;

- le site internet du Hub territorial pour un numérique inclusif dont relève le département.

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