B. FAIRE DE L'INCLUSION NUMÉRIQUE UNE VÉRITABLE POLITIQUE PUBLIQUE NATIONALE, DOTÉE D'UN PILOTAGE ET DE FINANCEMENTS RENFORCÉS

1. Un pilotage insuffisant qui nuit à l'émergence d'une véritable stratégie nationale en matière d'inclusion numérique
a) Clarifier la gouvernance de la politique nationale d'inclusion numérique

En France, la politique d'inclusion numérique a émergé dès le début des années 2000, en s'appuyant principalement sur la création de lieux de médiation numérique tels que les Espaces Publics Numériques (EPN), les Cyber-bases de la Caisse des dépôts et de nombreux programmes régionaux. Ainsi que l'indique le rapport du Sénat de 2020, elle s'est soldée par un « échec paradoxal » : bien qu'implantés dans les territoires, les lieux de médiation ont peiné à attirer les publics en difficulté. Parmi les raisons invoquées, « l'atomisation des initiatives, l'absence de coordination entre les différents acteurs de la médiation numérique et, surtout, l'absence de qualification de l'offre [qui ne permettait] pas d'atteindre les populations exclues du numérique, qui demeurent peu identifiables » .

En conséquence, l'État a cessé de piloter le réseau des espaces publics numériques en 2014.

En 2018, l'élaboration de la Stratégie nationale pour un numérique inclusif a permis de donner un nouvel élan à cette politique publique. Au mois de janvier, le Conseil d'orientation de l'édition publique et de l'information administrative a publié « trente recommandations pour n'oublier personne dans la transformation numérique des services publics » , déclinées selon quatre axes :

- la conception de parcours numériques adaptés ;

- l'accompagnement des usagers ;

- la mise en place d'indicateurs d'accompagnement ;

- la formation et l'implication des agents numériques.

Depuis 2018, la politique nationale de lutte contre l'exclusion numérique repose principalement sur deux dispositifs.

D'une part, le pass numérique qui constitue un chèque-formation d'une valeur faciale de 10 euros remis aux personnes en difficulté numérique, ouvrant droit à un atelier de formation réalisé par une structure locale de médiation numérique. Les pass sont remis sous la forme d'un chéquier d'une valeur de 50 à 100 euros, correspondant à 5 à 10 ateliers de formation. Une société coopérative d'intérêt collectif dénommée « APTIC » a été créée afin de conduire ce dispositif et de labelliser les lieux de médiation numérique. Le déploiement du pass fait par ailleurs l'objet d'un suivi par l'Agence nationale de cohésion des territoires (ANCT).

D'autre part, la Banque des territoires, en association avec l'ANCT, déploie depuis 2018 les Hubs territoriaux pour un numérique inclusif . Ces structures recouvrant plusieurs départements ont vocation à devenir les interlocuteurs privilégiés des collectivités territoriales en matière d'inclusion numérique et à animer les réseaux locaux de l'inclusion numérique.

Au total, une multitude d'acteurs publics contribue à la mise en oeuvre de la Stratégie nationale, notamment :

• l'ANCT, à travers la mission Société numérique, créée en 2016, qui vise à faire changer d'échelle la politique d'inclusion numérique et de nombreux programmes proposés aux collectivités territoriales (conseillers numériques France Services, AMI « Outiller la médiation numérique », programme « Nouveaux lieux, nouveaux liens » pour accélérer le déploiement de tiers-lieux...) ;

• la Banque des territoires, filiale de la Caisse des dépôts ;

• ou encore la MedNum (plateforme « fragilité.numérique », programme Solidarité numérique d'aide aux usages numériques quotidiens...).

À cela, il faut ajouter de nombreux opérateurs parapublics, tels que La Poste, et les opérateurs privés, comme les opérateurs de télécommunication.

Au niveau de l'administration centrale, le numérique relève de la compétence du secrétariat d'État chargé de la transition numérique et des communications électroniques depuis juillet 2020, placé sous la double tutelle des ministères de la cohésion des territoires et de l'économie, des finances et de la relance. En pratique, les enjeux liés au numérique sont fragmentés parmi les dispositifs mis en oeuvre par divers ministères, à commencer par le ministère de l'économie, des finances et de la relance, le ministère de la cohésion des territoires, le ministère de la transition écologique ou encore celui de l'éducation et celui des solidarités et de la santé. Cet émiettement ne favorise pas l'émergence d'une stratégie nationale à la fois claire et ambitieuse . Aussi, la rapporteure salue l'idée récemment mise en avant par InfraNum 8 ( * ) de créer un ministère du numérique de plein exercice afin, d'une part, d'aborder le sujet du numérique comme un tout et non comme une somme de mesures sectorielles et, d'autre part, de clarifier le pilotage de l'ensemble des politiques numériques, y compris s'agissant de la politique d'inclusion numérique.

b) Refonder et clarifier la Stratégie nationale pour un numérique inclusif

La rapporteure estimerait opportun que la Stratégie nationale pour un numérique inclusif définie en 2018 soit refondée.

D'une part, ce document gagnerait à être révisé, afin notamment de tenir compte des bouleversements induits par la crise sanitaire sur les usages numériques des Français.

Le département des Pyrénées-Atlantiques a souligné ce point, mentionnant qu'une « mise à jour et une démarche en continu seraient un plus pour montrer que l'État donne l'exemple et s'engage aux côtés des territoires pour lutter contre la fracture numérique à laquelle il contribue à travers l'objectif de dématérialisation totale en 2022 » . Cette collectivité rappelle par ailleurs la nécessité d'une déclinaison territoriale de cette stratégie, comme l'avait préconisé le Sénat dès 2020 (proposition n° 33 du rapport d'information).

D'autre part, afin de rendre plus robuste le pilotage de la politique d'inclusion numérique pour l'ensemble des acteurs du secteur, l'élaboration d'une feuille de route serait pertinente. Plusieurs acteurs entendus par la rapporteure ont souligné cet aspect, notamment le Hub Rhinocc qui indique qu'il « faudrait une feuille de route nationale avec des objectifs précis , par exemple par type d'activités ou par publics » ou encore la métropole du Grand Lyon qui souligne la nécessité de disposer d'une feuille de route nationale « avec des objectifs nationaux, des échéances précises et suffisamment lointaines pour les atteindre » , qui pourrait être déclinée au niveau local.

Enfin, la révision de la stratégie nationale devrait avoir pour préalable un bilan au moins quantitatif de la mise en oeuvre de ses principaux outils, en particulier le pass numérique, les Hubs territoriaux pour un numérique inclusif, mais aussi les dispositifs institués dans le cadre du Plan de relance (conseillers numériques France Services, kits d'inclusion numérique et Aidants Connect).

PROPOSITION N° 3 : Rendre la politique nationale d'inclusion numérique plus lisible pour les usagers et les acteurs, en :

- dressant le bilan des actions mises en oeuvre depuis le lancement de la Stratégie nationale pour un numérique inclusif en 2018 (nombre de personnes ayant bénéficié d'une formation numérique, nombre de pass numériques utilisés, nombre de formations assurées par des Conseillers numériques France Services, nombre de personnes accompagnées via l'outil Aidants Connect...) ;

- refondant la stratégie nationale définie en 2018, qui devra notamment tenir compte des nouvelles pratiques numériques apparues avec la crise sanitaire. Associer à cette nouvelle stratégie une feuille de route fixant des objectifs clairs en matière d'inclusion numérique et un calendrier pour les atteindre.

2. Des moyens financiers largement sous-dimensionnés, qui s'inscrivent dans une logique de court terme

En 2020, le Sénat regrettait l' « inadéquation totale » des montants publics alloués à la politique publique de lutte contre l'exclusion numérique avec les enjeux et le diagnostic posé par les acteurs et les diverses études menées sur le sujet.

Avant 2021, l'investissement public en faveur de l'inclusion numérique reposait principalement sur le pass numérique (plus de 10 M€ mobilisés pour le premier appel à projets de 2019, par l'État et les collectivités territoriales) et les Hubs territoriaux pour un numérique inclusif (7,8 M€ versés depuis 2018 pour l'amorçage de ces structures).

Le Plan de relance a permis d'abonder la politique d'inclusion numérique de 250 M€ supplémentaires sur la période 2021-2022, afin de financer trois nouveaux dispositifs :

• le recrutement de 4 000 conseillers numériques France Services , afin de former les personnes rencontrant des difficultés avec les outils numériques ;

• l'équipement de structures et lieux de proximité à travers des kits d'inclusion numérique ;

• le déploiement d'un outil Aidants Connect , afin d'accompagner les personnes nécessitant une aide particulière pour réaliser des démarches administratives en ligne.

Si cette évolution est positive, les acteurs locaux ne disposent pas de visibilité sur ces financements au-delà de 2022.

D'autre part, l'engagement financier de l'État demeure largement insuffisant au regard des besoins et de l'objectif annoncé en 2018 par Mounir Mahjoubi, alors secrétaire d'État chargé du numérique, de « former 1,5 million de Français par an au numérique » et de garantir l'accès aux droits des Français.

De l'avis des acteurs entendus par la rapporteure, le financement par appels à projets, sur lequel repose en grande partie la politique d'inclusion numérique nationale, ne permet pas de lutter contre l'exclusion numérique de manière adéquate et suffisante. Comme l'a souligné l' assemblée des communautés de France (AdCF) en audition, « les appels à projets apportent une réponse morcelée et de court terme, avec un phénomène de stop & go peu compatible avec une démarche de structuration de réseau d'acteurs qui, par définition, se fait sur le moyen terme et le long terme. »

Plus encore, ce mode de financement aurait pour effet d'accroître les disparités entre les territoires les plus « matures » en matière d'inclusion numérique, capables de répondre aux appels à projets, et les autres.

Ainsi que l'a par exemple souligné l'APTIC, ce système de financement « creuse l'écart » entre les territoires. L' assemblée des départements de France (ADF) partage ce constat, se disant « réticente à une politique qui se fonderait sur des appels à projets (AAP) ou des appels à manifestation d'intérêt (AMI), car leur mise en oeuvre favorise de fait les acteurs les plus structurés, aboutissant à « arroser là où c'est déjà mouillé », au détriment de politiques de généralisation des actions publiques. »

La rapporteure juge urgente l'attribution de moyens pérennes au financement de l'inclusion numérique .

À cette fin, elle appelle l'attention du Gouvernement sur deux propositions formulées par le Sénat en 2020, qui n'ont pas encore été mises en oeuvre : instituer un fonds dédié à l'inclusion numérique à hauteur de 1 Md€ 9 ( * ) (proposition n° 14) et faciliter le financement de l'inclusion numérique en lui reconnaissant le statut de service d'intérêt économique général, afin de favoriser le versement de subventions à des associations ou entreprises.

PROPOSITION N° 4 : Prévoir des sources de financement pérennes au niveau national pour combattre l'exclusion numérique sur le long terme au regard des enjeux de ce phénomène pour l'accès aux droits des usagers, en s'appuyant notamment sur les recommandations formulées par le Sénat dans son rapport d'information sur l'illectronisme en 2020 (institution d'un fonds de lutte contre l'exclusion numérique).


* 8 https://infranum.fr/wp-content/uploads/2022/03/Plateforme-pre %CC %81sidentielle-InfraNum-2022.pdf

* 9 Ces moyens devaient être mobilisables d'ici 2022. Le rapport préconisait ensuite un maintien du fonds, alimenté de manière pérenne.

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