EXAMEN EN COMMISSION

___________

Réunies le mercredi 8 juin 2022, sous la présidence de MM. Claude Raynal et Laurent Lafon, présidents, la commission des finances et la commission de la culture, de l'éducation et de la communication ont procédé à l'examen du rapport de MM. Roger Karoutchi et Jean-Raymond Hugonet, rapporteurs de la mission conjointe de contrôle sur le financement de l'audiovisuel public .

M. Claude Raynal , président de la commission des finances . - Nous avons le plaisir d'accueillir le président Laurent Lafon et nos collègues de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication pour une séance de restitution des travaux de nos deux rapporteurs sur le financement de l'audiovisuel public.

Comme vous le savez, notre rapporteur spécial des crédits du compte de concours financiers « Avances à l'audiovisuel public », M. Roger Karoutchi, et notre collègue rapporteur de la commission de la culture, M. Jean-Raymond Hugonet, ont conduit, à la demande de nos deux commissions, une mission conjointe de contrôle sur ce thème.

Ce type de travaux conjoints entre nos deux commissions n'est pas un exercice inédit, puisque, déjà, en 2015, notre ancien collègue Jean-Pierre Leleux et notre collègue André Gattolin s'étaient associés pour travailler ensemble et faire des propositions sur ce même sujet. Malheureusement, la question n'est toujours pas réglée et il nous revient de remettre l'ouvrage sur le métier.

La mission de nos rapporteurs est d'autant plus importante que le Gouvernement a annoncé vouloir inscrire dans le prochain projet de loi de finances rectificative (PLFR), que nous devrions examiner en juillet, la suppression de la redevance audiovisuelle. Cette suppression pose de très nombreuses questions auxquelles nos rapporteurs tenteront d'apporter des réponses.

Avant de leur donner la parole pour qu'ils nous fassent part de leurs analyses et recommandations, je laisse la parole au président Laurent Lafon.

M. Laurent Lafon , président de la commission de la culture . - Avant toute chose, je tiens à remercier le président Claude Raynal et le rapporteur général Jean-François Husson d'avoir accepté le principe de cette mission conjointe de contrôle consacrée au financement de l'audiovisuel.

Comme vient de le rappeler le président Raynal, il s'agit là d'une étape de plus dans la longue et fructueuse collaboration que nos deux commissions entretiennent depuis plusieurs années sur les sujets relevant de leurs domaines de compétences, et au sein desquels l'audiovisuel public tient une place de choix.

Ainsi, je rappellerai qu'en 2010 nos collègues Catherine Morin-Desailly et Claude Belot présentaient déjà, de concert, un rapport consacré aux comptes de France Télévisions.

Plus près de nous, ainsi que l'a souligné le président Raynal, André Gattolin et Jean-Pierre Leleux proposaient 27 mesures destinées à refonder un audiovisuel public dont ils jugeaient la gouvernance, l'organisation et le financement à bout de souffle. Ils recommandaient de remplacer la contribution à l'audiovisuel public (CAP) par une taxe universelle payée par chaque foyer, solution qui présentait l'avantage de moderniser l'assiette de la CAP en tenant compte des nouveaux modes d'accès aux services audiovisuels.

Après des années de réflexion, d'aucuns diraient de tergiversations, le Président de la République en a décidé autrement. Il a annoncé son intention de supprimer la redevance dès 2022 sans pour autant préciser la nature des ressources qui contribueraient, à l'avenir, à garantir un niveau de financement adéquat à l'audiovisuel public.

À l'issue du conseil des ministres officialisant cette suppression, Bruno Le Maire s'est contenté d'indiquer que « le financement de l'audiovisuel public serait assuré dans le respect de l'objectif à valeur constitutionnelle de pluralisme et d'indépendance des médias ».

Faute de précisions supplémentaires concernant les modalités de ce financement, il nous a semblé nécessaire de confier à nos rapporteurs respectifs, avant l'examen du prochain PLFR, le soin d'examiner les différentes possibilités qui s'ouvrent à nous en ce domaine et d'évaluer les marges de manoeuvre restant à notre disposition.

Je remercie par conséquent Roger Karoutchi et Jean-Raymond Hugonet d'avoir accepté cette mission conjointe et d'avoir travaillé aussi rapidement et efficacement sur ce sujet au cours des semaines écoulées.

Nous sommes impatients, chers collègues, de connaître votre diagnostic sur cette question stratégique, tant pour le financement de l'audiovisuel que pour l'état de nos finances publiques.

M. Jean-Raymond Hugonet , rapporteur . - Nous sommes exceptionnellement rassemblés aujourd'hui pour examiner les conclusions d'un rapport conjoint de contrôle sur le financement de l'audiovisuel public. Ce rapport arrive à point nommé après que le Président de la République a annoncé pendant la campagne électorale son intention de supprimer la contribution à l'audiovisuel public au nom de la défense du pouvoir d'achat.

Une réforme de la CAP était certes nécessaire, le Sénat l'a dit régulièrement depuis 2015, notamment par le biais du rapport de nos collègues Jean-Pierre Leleux et André Gattolin. L'évolution des usages a, en effet, tendance à réduire la possession de téléviseurs qui sert de base au paiement de la CAP. La suppression complète de la taxe d'habitation en 2023 condamnait cette ressource et nécessitait d'en trouver une autre. Je rappelle que le Sénat avait fait part de sa préférence pour la création d'une taxe universelle sur le modèle allemand. Cette taxe aurait permis d'assurer la prévisibilité des ressources dans la durée et d'éviter les ajustements intempestifs. Par ailleurs, il me semble que le fait de devoir payer pour bénéficier d'un service ne constitue pas un mauvais principe tant on peut considérer que « ce qui n'a pas de prix n'a pas de valeur ». En supprimant la CAP, c'est le lien entre les Français et l'audiovisuel public qui risque de s'affaiblir.

Nous prenons acte de la décision du Président de la République, qui a fait de la suppression de la CAP un engagement devant les Français. Cette suppression aura lieu dans la prochaine loi de finances rectificative (LFR) et l'enjeu est moins de savoir si nous y sommes ou non favorables que de déterminer les garanties qui pourront entourer la nouvelle ressource publique appelée à financer l'audiovisuel public.

Mais au-delà de la nature et du montant de cette ressource, nous pensons également que la question des missions et de l'organisation du service public de l'audiovisuel doit être à nouveau posée : quels moyens pour quelles missions ?

Face à la révolution numérique en cours dans le secteur des médias, à la « plateformisation » et aux rapprochements engagés entre les médias privés, c'est l'avenir de l'audiovisuel public qui est en jeu. Ses programmes doivent rester attractifs et accessibles.

Pour différentes raisons, la réforme de l'audiovisuel public n'a pu aboutir lors du précédent quinquennat, alors même que le projet de loi Riester promettait des avancées importantes. Le temps perdu ne se rattrape pas, le retard de l'audiovisuel public ne s'est pas réduit au cours des dernières années, bien au contraire. Si Radio France et Arte ont fait preuve d'initiatives pertinentes dans le numérique, on ne saurait en dire autant de France Télévisions avec Salto. Par ailleurs, les mutualisations menées « par le bas » ont très vite trouvé leurs limites. Comme l'ont indiqué plusieurs de nos interlocuteurs, il est difficile pour l'État d'arbitrer lorsque les entreprises n'ont pas envie de travailler ensemble.

C'est la raison pour laquelle nous considérons que la question de la réforme de la gouvernance de l'audiovisuel public constitue un aspect incontournable de son avenir et des moyens qui lui seront consacrés. Alors que le regroupement de l'audiovisuel public semblait utopique en 2015 lorsque le Sénat a proposé la création d'une holding publique, il est aujourd'hui considéré comme inéluctable par la plupart des acteurs. Nous proposerons d'avancer dans cette direction de manière plus déterminée, car il n'est plus temps de tergiverser.

Je laisse la parole à Roger Karoutchi pour présenter les aspects budgétaires et financiers de nos conclusions.

M. Roger Karoutchi , rapporteur . - Je dirai les choses sans détour : nous sommes mis brutalement devant le fait accompli et sans négociation préalable. Lors de la campagne électorale, le Président de la République a annoncé la suppression de la redevance audiovisuelle dès cette année. On imaginait qu'elle aurait lieu à l'horizon d'un an, après un débat parlementaire sur une éventuelle réforme de l'audiovisuel. Or la suppression est prévue dès l'adoption de la loi de finances rectificative au mois de juillet, avec le remboursement des versements effectués depuis le mois de janvier par les contribuables mensualisés.

J'aurais de loin préféré un projet de réforme audiovisuelle, examiné dans le cadre d'un débat parlementaire sur les missions et le périmètre du service public. C'était le minimum. Mais la messe est dite...

Nous avons auditionné presque tous les présidents de chaînes de radio et de télévision publiques. Ils nous ont demandé non pas de s'arc-bouter sur la taxe universelle, mais de préserver la prévisibilité et le niveau des crédits publics, ainsi que les moyens de travailler ensemble.

Sur le plan financier, on nous annonce de manière inédite que l'État se dispensera des 3,1 milliards d'euros - 3,7 milliards avec les dégrèvements - que rapportait la redevance. Mais par quoi tout cela sera-t-il compensé ? Pour l'heure, ce sera seulement par le déficit et la dette. Le Président de la République a très clairement évoqué une mesure de pouvoir d'achat. C'est humiliant pour l'audiovisuel public, qui avait besoin de soutiens et de financements.

À la place de la suppression pure et simple de la redevance, plusieurs options étaient possibles ; mais elles ont toutes été refusées par le Gouvernement. Nous les avons également étudiées. Ainsi, la mise en place d'une taxe sur les 12,5 milliards d'euros de ventes de téléviseurs, portables ou autres supports électroniques, imposerait l'application d'un taux de 30 %. Cette mesure ne serait évidemment pas favorable au pouvoir d'achat.

Certains rêveraient que l'audiovisuel public bénéficie d'un prélèvement sur recettes et soit ainsi placé au niveau de l'Union européenne ou des collectivités locales. La dotation accordée serait ainsi garantie sans aucune remise en cause ultérieure par des gels ou réductions de crédits. Cette solution nous paraît impossible, sous peine d'entraîner dans son sillage l'hôpital, l'éducation ou l'armée.

Comment peut-on trouver des garanties pour le financement ? La mission budgétaire détaillera chacun des budgets des différentes chaînes concernées. L'intégration des crédits dédiés à l'audiovisuel public au sein d'une mission budgétaire permettra, en outre, d'inclure ce financement dans la trajectoire pluriannuelle des finances publiques et de répondre ainsi à un impératif de prévisibilité. S'agissant de la garantie, je le rappelle, la contribution actuelle n'en était pas une, et le Parlement avait en théorie la main sur son niveau. D'ailleurs, la diminution d'un euro de la contribution a donné lieu à un vrai débat dans l'hémicycle. Néanmoins, aucune modification substantielle n'a été enregistrée depuis un certain temps, nonobstant, sur la période 2018-2022, les économies de 190 millions d'euros, dont l'essentiel a été réclamé à France Télévisions. Cet objectif a été respecté par les chaînes publiques.

Pour renforcer la garantie de financement, nous proposons également de créer une autorité habilitée, indépendante de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom). Cette autorité supérieure de l'audiovisuel public - ASAP -, présidée par un magistrat de la Cour des comptes, compterait quatre personnalités qualifiées nommées par les commissions des finances et de la culture de l'Assemblée nationale et du Sénat. L'autorité supérieure devra donner au Parlement un avis éclairé pour les votes futurs, en présentant les défis en matière de financement, les évolutions nécessaires sur le montant du financement permettant à l'audiovisuel public d'accomplir ses missions de service public. Les moyens alloués doivent pour le moment être maintenus au niveau existant. Ils seront ajustés en cas de modification du périmètre.

Un débat parallèle s'est tenu sur la ressource complémentaire que représente la publicité. Celle-ci oblige à des efforts d'audimat, parfois étrangers au service public. Pour y remédier, d'aucuns suggèrent d'augmenter la contribution étatique. Nous proposons raisonnablement de maintenir la publicité dans la journée, pour une recette à hauteur d'environ 350 millions d'euros, d'engager les programmes dès 20 h 30, et non pas 21 h 10, et de supprimer tous les parrainages sur France Télévisions et Radio France, qui atteignent environ 100 millions d'euros. Quoi qu'il en soit, un dialogue devra être engagé avec les chaînes publiques. Leurs patrons sont prêts à une redéfinition du service public.

M. Jean-Raymond Hugonet , rapporteur . - J'en viens maintenant à la question des structures et de la gouvernance.

Les différentes sociétés de l'audiovisuel public ont des identités fortes et leurs publics ne se confondent pas nécessairement. L'objectif n'est donc pas de fusionner les offres et d'imposer une seule ligne éditoriale. L'intérêt d'un regroupement est de rassembler les moyens pour être plus efficace, plus innovant et plus puissant, en particulier sur le numérique. Les coopérations entre les entreprises de l'audiovisuel public n'avancent pas, car elles nécessitent de trancher des différends entre les diverses directions et de faire arbitrer les différentes tutelles. Il aura fallu quatre ans pour mettre en place les matinales communes à France 3 et à France Bleu ; plus de cinq ans après sa création, France Info ne dispose toujours pas d'une rédaction commune, tandis qu'en matière d'éducation France Télévisions et Arte ont lancé des offres concurrentes faute de pouvoir se mettre d'accord.

Le temps est venu de mettre un terme à une exception française. Seules la France et la Suède disposent aujourd'hui d'un audiovisuel aussi dispersé entre radio d'un côté et télévision de l'autre.

Depuis 2015, les coopérations menées ont eu pour mérite de rapprocher les équipes et d'inscrire dans les esprits l'horizon du rapprochement. Il n'est donc plus indispensable de passer par l'étape transitoire que constituait la holding que nous proposions en 2015. C'est une fusion de France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et de l'Institut national de l'audiovisuel (INA) que nous proposons aujourd'hui : un seul dirigeant, un seul conseil d'administration, une seule stratégie déclinée sur différents supports pour atteindre tous les publics.

La création d'une entreprise unique doit permettre de concentrer les moyens et de supprimer les nombreux doublons. Elle devra certes s'accompagner d'une convergence des statuts des personnels, mais celle-ci pourra se faire dans la durée, notamment en proposant un nouveau statut commun pour les nouveaux embauchés. Nous proposons que cette entreprise unique soit créée au 1 er janvier 2025, ce qui laisserait deux années pour voter un texte de loi et préparer le rapprochement des structures.

La création de cette société unique de l'audiovisuel public national, qui pourrait reprendre le nom de « France Médias », n'aurait pas de conséquences sur le statut d'Arte France et de TV5 Monde, qui conserveraient leur spécificité et leur autonomie.

Trois chantiers prioritaires pourraient être lancés par cette nouvelle société concernant le numérique, l'information et l'offre locale.

Concernant tout d'abord le numérique, nous pensons essentiel de mieux positionner l'offre de programmes publics sur les interfaces des distributeurs et sur les télécommandes des téléviseurs avec une touche spécifique qui donnerait accès à l'univers des programmes publics. L'objectif ne serait pas nécessairement de créer une offre unique, mais il s'agirait de mieux coordonner l'accès aux offres publiques à travers un portail commun.

La création de la société unique permettrait cependant à France Télévisions de créer une nouvelle offre numérique à la suite de la sortie de Salto en agrégeant des programmes du groupe de télévision, de l'INA et des captations de Radio France.

Concernant l'information, nous préconisons d'inverser la logique qui existe aujourd'hui. Au lieu de conserver des structures séparées et exceptionnellement de réunir des moyens pour poursuivre des objectifs communs, il s'agirait de créer une véritable newsroom , c'est-à-dire une structure commune réunissant l'ensemble des journalistes de France Télévisions, de Radio France et de France Médias Monde, qui pourrait être organisée en trois pôles distincts couvrant respectivement l'international, le national et le local. Ces pôles seraient chargés d'alimenter les différents supports et antennes qui pourraient conserver leur identité. L'existence d'une telle newsroom francophone permettrait de supprimer les doublons, de renforcer l'expertise et de favoriser la réactivité. Les rédactions en langues étrangères seraient maintenues et développées au sein du pôle international, tandis que le pôle local aurait pour mission de développer le maillage régional et ultramarin sur l'ensemble des supports.

Enfin, concernant précisément l'offre locale, l'enjeu aujourd'hui est de créer un véritable média de service public territorialisé qui puisse décliner son offre éditoriale sur tous les supports. C'est la raison pour laquelle nous proposons de réunir France 3 et France Bleu dans une même filiale de la société unique qui pourrait être dénommée « France Médias Régions ». Cette structure aurait pour mission de réorganiser à la fois l'offre et la présence territoriale de France 3 et de France Bleu pour proposer des programmes conçus au plus près des territoires en partenariat avec les collectivités territoriales. Cette fusion de France 3 et de France Bleu devrait également permettre de repenser les méthodes de travail en adoptant des modes de production plus souples et réactifs.

Voilà, brièvement, les contours du projet d'avenir que nous proposons pour un audiovisuel public regroupé, conforté et repensé. La suppression de la CAP crée une incertitude, voire des craintes de la part des responsables de l'audiovisuel public. Nous proposons donc de changer de cap pour mettre fin à l'éparpillement des moyens et des initiatives.

Un projet ambitieux tourné vers l'avenir et le numérique avec une offre éditoriale recentrée sur les valeurs du service public constituera, à notre sens, la meilleure façon d'obtenir de la part de l'autorité indépendante dont nous proposons la création - l'ASAP - un niveau de financement suffisant.

M. Claude Raynal , président de la commission des finances . - Merci, messieurs les rapporteurs, pour cette synthèse de votre mission conjointe. Nous passons à la séquence des questions-réponses.

M. Jean-François Husson , rapporteur général de la commission des finances . - À mon tour de remercier les deux rapporteurs spéciaux. Nos débats d'aujourd'hui anticipent ceux que nous aurons lors du prochain PLFR. Indépendamment du bien-fondé de la contribution à l'audiovisuel public, la suppression brutale de cette contribution représentera 3 milliards d'euros en moins pour les finances de l'État. Ce n'est pas négligeable, d'autant que ce sujet n'a fait l'objet d'aucun travail préparatoire. Comme l'a signalé Roger Karoutchi, c'est la politique du fait accompli.

Faute de recettes nouvelles, pourrait-on réaliser des économies en supprimant des doublons et, si oui, dans quelles proportions ?

M. David Assouline . - Comme l'a dit Roger Karoutchi, la suppression de cette redevance est une décision historique, et non un simple ajustement. Celle-ci conforte notre exception française, puisque ce mode de financement est dominant dans tous les grands pays démocratiques européens. Non seulement nous ne l'avons pas modernisé comme l'ont fait nos voisins, mais il va être supprimé ! Conséquence : le lien qui existe entre les Français et l'audiovisuel public - « l'actionnariat populaire », selon les termes de Jack Ralite - sera rompu, entraînant inéluctablement une perte de visibilité. Je connais cette pente : c'est le premier pas vers la privatisation de l'audiovisuel public ou de certaines de ses composantes.

Une telle suppression exige un vrai débat parlementaire, une réelle concertation. Elle est sortie du chapeau durant la campagne présidentielle, et selon M. Karoutchi, on ne pourrait pas faire autrement. Auriez-vous déjà abdiqué ? Nous avons la main sur les questions budgétaires, et même si le combat paraît perdu d'avance, le Parlement exercera au moins son devoir de débat et de remise en cause de cette décision qui est tout sauf anodine.

J'appelle l'ensemble de mes collègues à continuer à défendre la redevance, en vertu de notre consensus sénatorial et du rapport de M. Leleux, qui préconisait de créer une contribution universelle à l'instar de l'Allemagne.

Enfin, une inflation de 5 % représente 125 millions d'euros, qui devront être ajoutés pour que l'audiovisuel dispose des mêmes moyens qu'avant. Sinon, bien que masquée, la baisse sera nette. Compte tenu des difficultés financières déjà existantes, les prévisions concernant le financement du secteur ne sont plus garanties. De « bonnes âmes » invoqueront la privatisation, qui ne coûterait rien aux contribuables. En réalité, les 3,7 milliards d'euros seront payés d'une autre façon. Mais cela fragilisera un édifice ancien garant de notre audiovisuel public de qualité !

M. Philippe Dominati . - Je remercie les rapporteurs de ce coup d'éclairage sur l'audiovisuel public. Sachant que notre pays est le deuxième le plus fiscalisé d'Europe, la suppression d'une redevance ou d'une taxe ne me chagrine pas. J'avais d'ailleurs proposé à plusieurs reprises des amendements en ce sens.

Le prérequis est de savoir quel est le domaine de l'audiovisuel public ? Actuellement, il y a sur la mosaïque plus de chaînes de télévision que de boulangeries. Faut-il pour autant des redevances pour financer les commerces traditionnels ? Je ne le pense pas. Mais il faut redimensionner le périmètre, qui est beaucoup trop large. Le fait de supprimer la redevance au lieu de provoquer la réforme n'est pas nécessairement négatif.

Nous n'avons pas évoqué la concentration. En défenseur de la concurrence, je ne suis pas favorable à une grande société. Or ce débat semble masquer la fusion problématique de deux chaînes privées. Effectuée dans l'indifférence générale, elle est destinée à obtenir 75 % des recettes publicitaires.

M. Pierre Ouzoulias . - Merci aux deux rapporteurs pour leur important travail, réalisé à chaud. Depuis longtemps, la culture finance essentiellement ses nouvelles missions par de la fiscalité affectée. Avec la suppression de la redevance, le Gouvernement fait machine arrière afin de remettre dans le budget général le financement d'un service public. Il aurait fallu qu'il expliquât sa doctrine budgétaire en la matière.

Comment financer le service public de la culture ? Jusqu'à présent, on considérait que la solution provenait des utilisateurs. Un autre moyen de financement pourrait émaner du budget général de la Nation. Avant tout, il faut s'interroger sur la nature du service public de l'audiovisuel. À quoi sert-il ? Je regrette que la question ait été abordée ainsi ; l'audiovisuel méritait mieux...

M. Marc Laménie . - Merci aux présidents, aux rapporteurs, et à tous ceux de nos collègues qui participent à ce débat complexe. Quel est le rôle du Parlement ? Nous avons le sentiment d'être mis devant le fait accompli ; n'oublions pas l'histoire de l'audiovisuel public. Comment compenser les 3,7 milliards d'euros de moindres recettes fiscales ? Que faire pour remédier à ce nombre pléthorique de chaînes ? Quid du rapport de nos collègues de 2015 ? Comment faire pour qu'il ne reste pas lettre morte ?

Mme Sylvie Robert . - Merci à nos rapporteurs pour cette mission de contrôle. Je vois dans ce rapport une question de forme et de fond. Le fait d'acter la suppression de la CAP entraînera des conséquences très importantes. Plusieurs hypothèses auraient pu être envisagées, et le rapport de M. Leleux de 2015 appelait une réflexion approfondie.

Nous serons le premier pays européen à supprimer le dispositif, bien que sa fragilité ait été encadrée. L'Allemagne a au contraire augmenté la taxe - fixée à 220 euros - et l'a modernisée. La suppression de la CAP pose aussi la question de l'avenir d'Arte France ; c'est un travail commun très performant, notamment sur sa plateforme numérique. Cette décision historique interroge sur la capacité de la France à maintenir le financement de l'audiovisuel public et de Arte. Elle est extrêmement dangereuse en termes de concentration et risque d'appauvrir toute la filière, notamment le cinéma.

M. Jérôme Bascher . - Merci aux rapporteurs. Je n'ai pas du tout le même ressenti sur le rapport. Il s'agit selon moi d'un travail prospectif en cas de suppression de la CAP. Il n'est nullement question « d'acter », et nous avons tous à coeur que le Parlement vote les recettes et les dépenses.

On peut s'interroger tous les ans sur le montant de la redevance ou sur la dépense publique au profit de l'audiovisuel public, mais cela ne change rien au résultat dans la loi de finances. Certes, nous n'avons pas eu le courage de moderniser les choses depuis vingt ans, mais Bercy n'est pas le seul responsable. L'influence des grands promoteurs de l'internet a aussi joué un rôle.

Les gains de productivité résultant de la fusion ont-ils été chiffrés ? L'objectif est-il juste de prélever des recettes sur le dos du privé ?

M. Michel Laugier . - Je remercie les présidents et les rapporteurs. Cette suppression est inattendue, mais nous commençons à être habitués à cette pratique depuis la disparition de la taxe d'habitation, dont les 24 milliards d'euros n'ont jamais été compensés.

Le Sénat a toujours été proactif dans ce domaine - je citerai à mon tour le rapport de Jean-Pierre Leleux. Devant le fait accompli, le Sénat vient encore en première ligne pour formuler des propositions intéressantes sur la réforme de l'audiovisuel public. À l'ère du numérique, la réforme est indispensable. Comment financer cette nouvelle organisation du secteur ? Et pour quel montant ?

M. Éric Bocquet . - Je n'ai pas bien compris l'origine de la ressource qui financerait cette nouvelle mission budgétaire. Cette annonce de suppression de la redevance au détour d'une campagne électorale témoigne d'un véritable mépris des missions de service public. À ce propos, je partage l'appel de David Assouline à se mobiliser.

Dans les années 1980, la privatisation de TF1 avait été engagée au nom du « mieux-disant culturel ». Peut-on s'en remettre à la loi du marché pour réguler la situation ? L'enjeu est politique. Il est urgent de résister, de porter une autre ambition pour le service public. Et le lien indéfectible entre la Nation et son service public octroie un droit de regard. Souvenons-nous des questions posées dans le rapport de la commission d'enquête relative à la concentration dans les médias au sujet de la crédibilité de l'information et de la déontologie.

M. David Assouline . - Une question a surgi dans l'actualité concernant le sport, qui est de plus en plus rare à la télévision publique du fait des coûts élevés des droits de retransmission et de la disparition de la publicité sur le service public de l'audiovisuel après 20 heures. Ce phénomène touche particulièrement le football, le Tour de France et Roland Garros, où un match important a été diffusé le soir sur Amazon. Avez-vous envisagé la possibilité d'autoriser la publicité tardive pour des retransmissions sportives importantes ?

M. Claude Raynal , président de la commission des finances . - À titre personnel, je pense que le présent rapport reste prudent, à une époque où un certain nombre de budgets sont soumis à des baisses régulières. En définitive, comme on l'a vu à d'autres occasions, les diminutions d'impôts se répercutent sur la dette. Le gouverneur de la Banque de France a lui-même déclaré qu'il fallait arrêter de diminuer les impôts. Quant à la mission des inspections, il faudrait disposer de ses analyses pour adopter une position. À cet égard, il me semble que notre mission se prononce un peu tôt dans le débat politique qui doit s'ouvrir sur ce sujet.

M. Laurent Lafon , président de la commission de la culture . - Je tiens à signaler la qualité des travaux réalisés et le bien-fondé du calendrier des propositions. Nous sommes le 10 juin, le processus de suppression de la CAP sera achevé à la fin du mois de juillet. Il fait partie d'un ensemble de mesures populaires en ce qu'elles portent sur le pouvoir d'achat. Le risque est de remplacer le débat par une approbation pure et simple et d'affaiblir le levier public. C'est pourquoi j'approuve les propositions de nos deux rapporteurs, qui abordent aussi la question sous l'angle structurel. La proposition de fusion vise en effet à réorienter le débat vers une réflexion plus stratégique. C'est peut-être autour de ces notions que pourrait se dégager le consensus sénatorial.

M. Roger Karoutchi , rapporteur . - Les déclarations du Président de la République lui appartiennent, et je ne suis pas celui qui a annoncé que la suppression de la redevance audiovisuelle passerait en conseil des ministres ce mois de juin, puis devant le Parlement au mois de juillet. J'entends que les législatives puissent changer la donne, mais tant que ce gouvernement est là et fait des propositions, nous nous devons de réagir et d'agir. Le débat sur la taxe universelle, évoqué par le président Lafon, est bien sûr légitime et nous pouvons nous faire plaisir en faisant valoir notre position, mais ce n'est pas ce que propose le Gouvernement. Or, jusqu'à preuve du contraire, il dispose d'une majorité à l'Assemblée nationale...

Tous les présidents de chaînes nous ont mis en garde : « Si vous vous arc-boutez sur la défense de la redevance alors qu'elle sera de toute façon supprimée, vous ne nous protégerez pas par ailleurs. » Nous devons donc avancer et profiter du débat qui aura lieu au mois de juillet pour demander des garanties et des ajustements tenant compte de l'inflation. Tant qu'une réforme d'ampleur de l'audiovisuel redéfinissant le périmètre des missions de service public ne sera pas sur la table, les moyens actuels dont dispose l'audiovisuel public doivent être assurés.

Je tiens par ailleurs à rassurer mes collègues en ce qui concerne Arte et TV5 Monde, qui sont protégées par des traités internationaux. Elles disposent de plusieurs actionnaires européens et ne sont pas tributaires d'une simple réforme budgétaire à l'échelle de la France. Nous souhaitons que ces chaînes bénéficient d'un effort budgétaire, notamment en direction de la plateforme numérique d'Arte, qui constitue un réel succès. TV5 et l'ensemble des chaînes de France Médias Monde ont également besoin de moyens supplémentaires, car la présence de la France dans la francophonie et dans le monde est une nécessité de service public. Je suis un ferme défenseur du service public. Nous pouvons discuter des missions et du périmètre de l'audiovisuel public, mais il n'est pas question de le remettre en cause ; nous devons au contraire le protéger. Si nous souhaitons la création d'une autorité, qui serait en réalité à la main du Parlement, lequel nommera quatre des cinq membres qui la composent, c'est bien pour qu'il soit amené à jouer un rôle essentiel dans la définition des moyens actuels et futurs accordés à l'audiovisuel public.

Si on se contente d'afficher notre désaccord sur la suppression de la CAP, la position du Gouvernement ne changera pas et nous n'obtiendrons aucune garantie lorsque le texte sera examiné. La mission budgétaire doit être garantie, en liaison avec l'ensemble des responsables de chaînes publiques.

S'agissant de la fusion des différentes chaînes, qui pourrait aboutir à terme à des économies comprises entre 5 % et 10 %, même les présidents de chaînes qui y sont très favorables estiment que dans l'immédiat, il y aura un coût.

Notre position est simple : nous n'avalisons pas la suppression de la redevance par plaisir, mais nous souhaitons que le Parlement ne soit pas mis devant le fait accompli en juillet. Pour ne pas perdre la main et pour éviter que les gels et réductions de crédits soient décidés sans contrôle, nous devons définir des seuils et mettre en place une autorité indépendante qui protégera l'audiovisuel public.

M. Jean-Raymond Hugonet , rapporteur . - Je souscris aux propos de mon collègue.

En réponse à Sylvie Robert, concernant la situation d'Arte France, je tiens à rappeler que son rythme budgétaire est par nature différent de celui des autres chaînes de l'audiovisuel public, car il s'agit d'une chaîne franco-allemande. À ce titre, Arte France est davantage tributaire d'une vraie relation d'État à État entre la France et l'Allemagne que de la redevance audiovisuelle. Bruno Patino, son président, estime avoir besoin de 30 millions d'euros pour le développement de la plateforme numérique, dont le succès est avéré. Les Allemands sont prêts à abonder, la France est à la traîne.

Notre collègue David Assouline a mis l'accent sur le sport. Le sport est rare, et donc cher... C'est une responsabilité de l'État, qui accorde une délégation de service public aux fédérations sportives, d'imposer que des matches soient diffusés sur des chaînes gratuites. À partir du moment où des lots sont affectés à l'issue d'appels d'offres avec l'assentiment de l'État, c'est le plus offrant qui emporte la mise. Mais il est scandaleux qu'Amazon ait récupéré gratuitement des données par milliers à l'occasion de la diffusion d'un match de tennis.

Enfin, pour répondre au président Raynal, qui jugeait notre rapport plutôt prudent, disons qu'il s'agit d'une sagesse sénatoriale. Quant à l'attente des rapports d'inspection, sincèrement, de qui se moque-t-on ? Depuis 2017, nous savons que la taxe d'habitation sera supprimée et que la contribution à l'audiovisuel public, qui y est adossée, le sera par conséquent également. Nous disposons d'excellentes administrations, à Bercy ou ailleurs, pour réfléchir à ces sujets. Le fait de créer deux missions d'inspection n'a convaincu personne ; la décision sera validée.

Marc Laménie l'a dit tout à l'heure, nous devons à nos prédécesseurs, notamment André Gattolin et Jean-Pierre Leleux, un historique et une compétence particulière sur l'audiovisuel. Nous avons donc un rôle moteur à jouer au Sénat, en nous montrant à la fois prudents et avant-coureurs.

Les recommandations des rapporteurs sont adoptées.

La commission des finances et la commission de la culture autorisent la publication du rapport d'information .

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page