II. UNE PAUSE DOIT DÉSORMAIS ÊTRE ENVISAGÉE AU PROFIT DU DÉVELOPPEMENT DES CAPACITÉS DE FIABILISATION DES URSSAF

A. LES CONDITIONS D'UN TRANSFERT DU RECOUVREMENT DES COTISATIONS DE RETRAITE COMPLÉMENTAIRE EN 2023 NE SONT PAS RÉUNIES

1. Un modèle de recouvrement et de fiabilisation très différent de celui des Urssaf

Le plus important des transferts restant à mettre en oeuvre est celui du recouvrement des cotisations Agirc-Arrco, qui représentaient 83 milliards d'euros en 2021. Dans le cadre de ce régime, fondé sur un système par points, 20 % des salariés bénéficient d'un taux de cotisation supérieur au taux standard, tandis que 17 % des entreprises appliquent une répartition plus favorable aux salariés de la charge entre parts salariale et patronale.

Les taux spécifiques du régime Agirc-Arrco

des salariés bénéficient
d'un taux de cotisation supérieur au taux standard

des entreprises appliquent
une répartition plus favorable aux salariés entre parts salariale et patronale

de salariés bénéficient
d'une répartition dérogatoire entre parts salariale
et patronale

Afin de préserver le lien cotisations-droits, l'Agirc-Arrco procède au recalcul systématique des cotisations déclarées, à la maille individuelle et au fil de l'eau - depuis 2017, dans un souci de simplification, l'Agirc-Arrco ne sollicite plus des employeurs que les données individuelles relatives à la retraite complémentaire et reconstitue elle-même les données agrégées.

Les anomalies détectées sont signifiées à l'employeur, à qui incombe la charge de régulariser la DSN. La correction des DSN représente 850 millions d'euros de régularisations chaque année et profite aux autres organismes utilisant la DSN pour l'attribution des droits à prestations.

L'Agirc-Arrco fiabilise les données DSN à la maille individuelle et au fil de l'eau

Ni l'Agirc-Arrco ni les Urssaf ne peuvent corriger la DSN en cas de défaillance de l'employeur ; dans un tel scénario, les droits calculés par le collecteur sont alors recouvrés sans modification de la déclaration, ce qui conduit à des discordances entre les données du régime général et du régime de retraite complémentaire. La LFSS pour 2020 a prévu la possibilité d'émettre une DSN de substitution , qui assurera la transmission des corrections aux destinataires de la DSN.

2. La réforme serait théoriquement porteuse d'avancées importantes

Le transfert aux Urssaf de l'activité de recouvrement de l'Agirc-Arrco, recommandé par la Cour des comptes depuis plusieurs années mais reporté à 2023 du fait de la crise sanitaire , est censé présenter trois avantages essentiels :

• L'amélioration globale de la performance du recouvrement 3 ( * ) , notamment par le biais de l'extension des contrôles Urssaf aux cotisations de retraite complémentaire 4 ( * ) ;

• La réalisation d'économies de gestion par la mutualisation des moyens ;

• La simplification des démarches des entreprises par la constitution d'un interlocuteur unique et la suppression d'un flux de paiement vers l'Agirc-Arrco.

3. En l'état, le transfert présente toutefois plus d'inconvénients que d'avantages
a) Les bénéfices pouvant être tirés de la réforme semblent bien moindres qu'escomptés

Les performances des Urssaf semblent bel et bien supérieures à celles de l'Agirc-Arrco, dont le TRAR à M+12 s'élevait à 0,79 % en 2018 (contre 0,67 % pour les Urssaf) et à 0,96 % en 2019 (contre 0,55 % pour les Urssaf) 5 ( * ) . Toutefois, l'Agirc-Arrco appelle à la prudence :

• Ces taux sont calculés sur la base des cotisations fiabilisées. Or, l'efficacité du dispositif de fiabilisation de l'Agirc-Arrco est supérieure à celle des outils des Urssaf ;

• Les risques emportés par le transfert en matière de fiabilisation des données DSN surpassent le bénéfice potentiel d'une amélioration des taux de recouvrement .

Par ailleurs, le niveau des économies pouvant être envisagées est relativement limité :

• Seuls 7,6 % des 2 534 salariés affectés au recouvrement et à la fiabilisation seraient transférés aux Urssaf, les autres devant être repositionnés en interne ;

• Le développement par les Urssaf de capacités de fiabilisation des données individuelles constitue une charge importante pour les finances publiques .

Le transfert ne permettrait ni de générer d'économies substantielles, ni de simplifier considérablement des démarches des employeurs

Enfin, le projet de transfert ne devrait pas entraîner de simplification majeure pour les entreprises :

• La DSN ayant permis une simplification substantielle du processus déclaratif, l'existence de deux flux de paiement ne présente plus aucune difficulté particulière ;

• Une double interlocution doit impérativement subsister compte tenu du savoir-faire de l'Agirc-Arrco en matière de calcul des cotisations de retraite complémentaire ;

• Compte tenu de la nature du système d'information des Urssaf, le transfert requiert de solliciter des employeurs les données agrégées relatives à la retraite complémentaire.

b) Des risques majeurs se profilent dans un contexte particulièrement tendu

La Cour des comptes a plusieurs fois pointé du doigt les défaillances des Urssaf en matière de fiabilisation des données individuelles . Pour l'heure, les contrôles embarqués des DSN menés par les Urssaf ne portent que sur les données agrégées, tandis que la cohérence entre données individuelles et agrégées n'est contrôlée qu'au travers de campagnes thématiques a posteriori .

Les capacités de fiabilisation des données individuelles des Urssaf, récemment développées, ne peuvent être appréciées avec le recul nécessaire

L'influence des cotisations déclarées sur les droits acquis à l'Agirc-Arrco ne permet pas de transposer en l'état les méthodes de fiabilisation des Urssaf aux cotisations Agirc-Arrco.

L'Urssaf CN a donc récemment développé une nouvelle cinématique déclarative, actuellement en cours d'expérimentation par deux Urssaf régionales, qui doit permettre un contrôle au fil de l'eau des données DSN via une série d'échanges avec le déclarant, mais sur lequel l'Agirc-Arrco ne dispose pas encore d'un recul suffisant .

Par conséquent, cette dernière continuera d'assurer après le transfert la fiabilisation des données relatives à la retraite complémentaire à partir de son propre système d'information, tandis que l'Urssaf CN s'est engagée à lui reverser les sommes recalculées par ses soins.

Toutefois, l'Agirc-Arrco ne s'estime pas certaine de conserver à terme la capacité de contrôler les données d'assiette et de quotité, mais uniquement l'application des taux dérogatoires. En outre, les conditions de l'extension des contrôles Urssaf aux cotisations Agirc-Arrco ne font pas consensus, l'Agirc-Arrco souhaitant pouvoir calculer elle-même les cotisations qui lui sont dues.

Pour l'heure, les garanties apportées à l'Agirc-Arrco ne s'avèrent pas suffisantes

Au surplus, un risque de « catastrophe industrielle » résulte de la conjonction de trois facteurs :

• Le maintien d'une double interlocution égalitaire risquant de susciter une forte illisibilité, l'Agirc-Arrco serait privée de son rôle de « point de contact » pour les entreprises , qui devront s'adresser aux Urssaf, lesquelles pourront faire remonter les sollicitations à l'Agirc-Arrco ;

• La phase pilote menée avec les éditeurs afin de tester les modalités de contrôle retenues en vue du transfert est encore trop peu représentative de la diversité des cas particuliers ;

• L'alignement des dates d'appel des cotisations sur celles des Urssaf, soit une anticipation de 10 ou 20 jours, représenterait un impact de 6 milliards d'euros sur la trésorerie des entreprises .

Les risques induits par le transfert excédant ses bénéfices, il serait préférable de décréter un moratoire sur ce transfert , le temps pour les Urssaf de faire la preuve de solides avancées en matière de fiabilisation des données individuelles et de convaincre les partenaires sociaux.


* 3 D'après l'étude d'impact du PLFSS pour 2020, dans l'hypothèse d'un taux global net de 1,45 % incluant les frais de gestion et de non-recouvrement, le transfert devrait générer un gain global d'au moins 350 millions d'euros.

* 4 280 millions d'euros de rendement supplémentaire environ, d'après l'Urssaf CN.

* 5 L'Urssaf CN a calculé ses TRAR selon une méthode la plus proche possible de celle de l'Agirc-Arrco. Toutefois, il ne lui a pas été possible de s'aligner totalement, en excluant de ses taux le produit de ses contrôles (l'Agirc-Arrco ne dispose pas de prérogatives de contrôle) et les dettes non recouvrables (comme le fait l'Agirc-Arrco) ; les taux Agirc-Arrco ici présentés sont donc calculés selon une méthode plus favorable que celle retenue par les Urssaf.

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