C. MIEUX FORMER LES CITOYENS

1. Par la précision des messages de prévention sanitaire
a) Les messages de promotion des recommandations nutritionnelles :

Le PNNS 4 prévoit, sur la base de l'avis du HCSP de juillet 2018 155 ( * ) , de « renouveler les messages sanitaires sur la promotion des aliments » : « sur la base de ces expertises et de travaux scientifiques préalables testant divers messages et modes de diffusion, de nouveaux messages seront élaborés tenant compte de l'actualisation des recommandations nutritionnelles. La réglementation sera révisée en conséquence ». Parmi les nouveautés du PNNS figurent la place nouvellement accordée aux légumes secs, fruits à coques et féculents complets, la prise en compte de l'impact de l'alimentation sur l'environnement et le Nutri-Score.

Source : PNNS 4

Les messages sanitaires de promotion des recommandations nutritionnelles sont aujourd'hui au nombre de quatre , dont la modulation est possible lorsqu'ils sont insérés dans des bandeaux publicitaires, notamment ceux destinés aux enfants :

- « pour votre santé, mangez au moins cinq fruits et légumes par jour » ;

- « pour votre santé, pratiquez une activité physique régulière » ;

- « pour votre santé, évitez de manger trop gras, trop sucré, trop salé » ;

- « pour votre santé, évitez de grignoter entre les repas » 156 ( * ) .

La connaissance des recommandations semble, pour partie au moins, satisfaisante, notamment chez les jeunes, qui sont près des trois quarts à connaître les repères sur les fruits et légumes.

Connaissance des repères du PNNS chez les adolescents et les adultes

Source : Étude INCA 3, traitement Anses.

L'IGAS a toutefois déjà rappelé lors de son évaluation des précédents PNNS l'impossibilité de mesurer l'efficacité des messages de prévention. La Cour des comptes a repris ce constat à son compte dans son rapport de 2019, et le faisait d'ailleurs déjà elle-même en 2011 157 ( * ) . D'abord car la distinction entre différents niveaux de prévention n'est pas toujours possible ; ensuite car l'impact des actions d'information sur les facteurs de risque à l'origine de pathologies qui se développent après plusieurs années n'est mesurable qu'à long terme ; car isoler les causalités est quasiment impossible dans ce domaine, de même que la mesure de changements de comportement.

Se pose d'une manière plus générale la question de savoir ce que peuvent les campagnes d'information et de marketing social de Santé publique France, qui y consacrait jusqu'au PNNS 3 environ 4 millions d'euros par an, quand le budget publicitaire de l'industrie agroalimentaire s'élève à environ 1,9 milliard d'euros, ce qui en fait, avec 18 % des investissements totaux, le premier secteur en termes d'investissement devant l'hygiène-beauté, l'automobile ou la distribution 158 ( * ) . Le rapport de Valérie Boyer évaluait en 2008 à un facteur 400 l'écart entre les deux montants financiers 159 ( * ) .

Quoi qu'il en soit, Santé publique France a renforcé et systématisé l'évaluation de ses actions en marketing social. L'Agence met désormais en oeuvre deux types d'évaluation : l'évaluation de processus et l'évaluation d'efficacité. La première décrit le déroulement de la diffusion du dispositif de communication et la seconde mesure de l'impact de la campagne de communication. Plus complexes à mettre en oeuvre, les évaluations d'efficacité ne sont pas menées systématiquement.

Santé publique France a par exemple mis en place un suivi longitudinal de 4 000 Français âgés de 18 ans et plus, afin de suivre leurs connaissances, opinions et comportements déclarés en matière d'alimentation avant, juste après et six mois après la diffusion de la campagne 2019 « Commencez par améliorer un plat que vous aimez déjà », qui visait à promouvoir la consommation de légumes secs et de féculents complets. Sur la totalité de l'échantillon, la campagne n'est pas associée à un changement de comportement ou de connaissances mais l'augmentation de la consommation de légumes secs chez les petits consommateurs, et l'acquisition de connaissances sur la richesse en fibres des féculents complets chez les personnes n'ayant pas le baccalauréat ont été constatés.

b) Adapter les messages généralistes pour combattre les inégalités sociales

La critique adressée le plus fréquemment aux messages de santé publique porte sur leur caractère trop universel : « La communication publique s'adresse surtout à un type de consommateur extrait de la société dans laquelle il vit et isolé de ses déterminants économiques, sociaux et culturels et l'exhorte à adopter une conduite désignée comme bonne et saine. » 160 ( * ) Aussi cet universalisme gagnerait-il à être davantage proportionné, comme disent les sociologues.

La perception des messages de santé en matière d'alimentation dépend des appartenances sociales. Faustine Régnier distingue par exemple quatre formes de réceptions des recommandations :

- dans les catégories aisées, les messages sont connus, intégrés, facilement mis en pratique ;

- dans les catégories modestes, les messages sont connus, mais suscitent des résistances et des rejets plus fréquents, car ils sont perçus comme une injonction extérieure ;

- dans les catégories intermédiaires, le souci de conformité aux messages, qui sont connus, s'accompagne d'une conscience de la distance entre les recommandations et les pratiques, parfois vécue comme de la culpabilité ;

- dans les foyers précaires enfin, les messages ne sont pas mentionnés, et la priorité est donnée à la gestion de la pénurie.

Les messages conseillant de manger plus de fruits et légumes, moins de produits gras et sucrés, et de bouger plus se heurtent dans les catégories modestes à des freins financiers, aux goûts et au style de vie, à la représentation de ce qu'est une bonne alimentation, et aux symboliques du corps et de la maladie. En effet, « les recommandations nutritionnelles ne valent que pour celui qui a un problème de santé (surpoids, obésité, diabète par exemple) par élimination ou contrôle de l'ingestion de certains aliments, mais elles ne modifient pas l'ensemble de l'alimentation familiale ».

D'une manière générale, comme l'a expliqué Faustine Régnier à la mission, l'alimentation est « un support de l'identité familiale et sociale » : par conséquent, « les changements promus peuvent être vécus comme une remise en question de ce qui constitue une part de l'identité d'un individu, en particulier une femme : ses pratiques alimentaires, mais aussi l'éducation de ses enfants, la maternité, et même son corps ». Les messages sont perçus comme d'autant plus normatifs qu'ils se situent loin des pratiques quotidiennes. L'enjeu consiste donc à adapter un message général aux populations modestes, en tenant compte de leurs spécificités.

De plus, « il ne suffit en effet pas qu'une information soit diffusée par les médias ou le corps médical, ou qu'elle soit disponible. Pour qu'elle soit prise en compte et qu'elle ait une audience, il faut encore qu'elle soit relayée par des guides d'opinion . » En la matière, les jeunes jouent un rôle ambigu. Il est tentant de les considérer comme une courroie de transmission des recommandations distillées à l'école, mais les études montrent que, même lorsqu'ils reprennent à leur compte les indications du PNNS et jouent au « bon élève », leur transmission dans une famille dont les codes alimentaires en sont très éloignés n'a rien d'évident 161 ( * ) .

Une intéressante étude 162 ( * ) de 2011 montre que les messages sanitaires tels que « Pour bien grandir, mange 5 fruits et légumes par jour ! » sont bien intériorisés par les enfants mais font apparaître une tension entre leurs représentations d'une alimentation saine et leurs pratiques alimentaires conduisant à une forme de culpabilisation ou à des comportements transgressifs. Or il importe « de véhiculer des messages sanitaires conciliant la nutrition et le plaisir de façon à contribuer à la formation du goût au travers de la variété des produits ».

Les auteurs observent en outre que, si les enfants ont un rôle prescripteur de pratiques alimentaires dans leur famille, les bandeaux sanitaires s'adressent de fait « à l'ensemble des familles sans distinction des pratiques alimentaires ayant cours dans chaque foyer. Or, si cette communication de masse a fourni un référentiel nutritionnel, elle ne produit pas les mêmes effets selon les familles dans lesquelles sont importés ces messages. [...] Dans les familles moins favorisées ou moins averties sur le plan nutritionnel, les normes familiales sont trop éloignées des préconisations sanitaires et sont donc écartées au profit des routines en vigueur dans la cellule familiale ». Les rapporteures veulent croire que le renforcement de l'enseignement alimentaire à l'école jouerait un rôle plus sûr dans la diffusion des messages de prévention au sein de la famille.

Ces travaux semblent pointer vers l'idée qu'il conviendrait d'adapter les messages généraux aux pratiques effectives des populations et aux réalités locales . Le PNNS 4 prévoit certes d'adapter les nouvelles campagnes aux enfants, aux femmes enceintes, aux femmes allaitantes et aux personnes âgées. De telles adaptations locales devraient être envisagées plus systématiquement. Pourraient être davantage pris en compte, par exemple, les spécificités alimentaires locales, la sociologie du territoire, ou encore la saisonnalité des produits. D'après la direction générale de l'outre-mer, les messages ne sont pas toujours bien compris par tous compte tenu de la pratique de langues locales ou de l'illettrisme. L'ARS de la Martinique abonde en ce sens en indiquant que le recours au créole pourrait faciliter la diffusion des messages de santé publique.

2. Pour une lutte plus ambitieuse contre la sédentarité

Les constats frappants de l'augmentation de la sédentarité et du déséquilibre énergétique de la population, exposés en première partie de ce présent rapport, appellent des mesures fortes en distinguant l'encouragement à la pratique sportive et celui en faveur de l'activité physique.

Si la pratique régulière d'un sport est une recommandation importante, il ressort des auditions menées par les rapporteures qu'elle peut être redoutée par une partie de la population, dont celle qui, justement, en raison du surpoids ou de l'obésité, se trouve la plus éloignée de l'activité sportive. Encourager le sport ne doit donc pas éclipser la nécessité première et plus accessible de réduire les temps quotidiens de passivité. Le quatrième volet du PNNS prévoit de nombreuses actions pour lutter contre la sédentarité dont toutes n'ont pas encore abouti.

a) Construire un environnement favorable à l'activité physique

Les travaux de l'Anses insistent sur la nécessité de construire un environnement global favorable à la réduction de la sédentarité 163 ( * ) . La promotion de l'activité physique doit donc être menée dans tous les contextes : travail, trajets, lieu de vie, loisirs.

Les entreprises ont toute leur part à prendre pour réduire les comportements sédentaires en diffusant à tout le moins les bonnes pratiques pour augmenter la fréquence des pauses actives de leurs employés voire en organisant ces temps d'activité physique. Aymeric Dopter, adjoint à la chef d'unité d'évaluation des risques liés à la nutrition de l'Anses, a souligné que l'organisation spatiale des locaux professionnels peut être conçue de telle sorte que les individus ne demeurent pas dans des périodes sédentaires prolongées. Les entreprises peuvent d'ailleurs contractualiser avec les ARS leurs engagements en signant et en mettant en place la charte « entreprise active du PNNS » prévu dans le PNNS 4.

Les collectivités territoriales ont un rôle prépondérant à jouer par l'aménagement urbain , comme il est exposé plus loin dans ce rapport 164 ( * ) . L'organisation de l'espace public détermine l'usage des mobilités actives (cyclisme, marche). Des initiatives en coopération entre les services déconcentrés de l'État et les collectivités sont également à noter. En 2022, l'ARS et l'Ireps de Martinique lancent le programme « La Martinique bouge » relayé par les collectivités locales appelant à une mobilisation de la société civile. Dans le cadre de ce dispositif original, un concours grand public de slogans ou éléments visuels de promotion de l'activité physique, un concours de création musicale et enfin des défis chorégraphiques entre structures (écoles, associations, administrations publiques...) sur la musique lauréate seront organisés.

b) Agir spécifiquement en milieu scolaire

Conformément aux annonces du Gouvernement, une circulaire du ministère de l'éducation nationale de la jeunesse et des sports de janvier 2022 à destination des recteurs d'académie et des chefs d'établissements scolaires prévoit trente minutes d'activité physique quotidienne (30' APQ) dans les écoles 165 ( * ) . Le Gouvernement souhaite ainsi mettre à profit l'enthousiasme entourant l'organisation en France des Jeux olympiques de 2024 pour inciter les élèves à se dépenser physiquement. Un objectif intermédiaire de 50 % d'écoles mobilisées a été fixé pour la rentrée 2022 pour atteindre la généralisation de 30' APQ d'ici à la rentrée 2024.

Des conventions entre le ministère et les fédérations sportives devraient aider aux déploiements de cette mesure. La démarche « Une école
- Un club » 166 ( * ) doit permettre à chaque école de nouer un partenariat avec une association sportive de proximité. Les rapporteures prennent acte avec satisfaction de cette mesure et encouragent son extension au plus vite dans toutes les écoles. En outre, le développement de cette mesure doit être accompagné de communication ou de formation auprès des enseignants sur les méfaits de la sédentarité des enfants. C'est ainsi le cas du programme des « écoles caramboles » déployé dans les Antilles et en Guyane qui mêle action en faveur de la qualité nutritionnelle des repas et promotion de l'activité physique.

Les « écoles Carambole » pour réduire l'obésité infantile en outre-mer

En Guadeloupe, Martinique et en Guyane, les « écoles Carambole » sont un exemple de programme de prévention du surpoids et de l'obésité infantiles, coordonné depuis 2005 par les Ireps des collectivités. Il présente comme objectif une réduction de 20 % de la consommation de produits riches en glucides simples ajoutés et une augmentation de l'activité physique des enfants . Le programme prévoit plusieurs actions comme une session de 6 heures à 12 heures de formation des enseignants aux repères nutritionnels et d'activité physique, une rencontre des parents avec des professionnels de la nutrition et de l'activité physique mais aussi un état des lieux pour chaque école engagée sur « l'offre alimentaire (points d'eau accessibles, offre en fruits, études et affichage des menus, des collations...) et l'offre en activité physique (espaces disponibles, équipements et matériels d'activité physique, possibilité de se rafraîchir sur place...) ». Le programme permet aussi de financer l'achat de petits équipements sportifs.

En Martinique, de 2016 à 2019, le programme a pu se déployer dans quatre écoles maternelles touchant 800 enfants de 3 à 5 ans. Au cours de la période 2020-2023, le programme devrait être étendu à 16 écoles, maternelles et élémentaires.


* 155 Haut Conseil de la santé publique, « relatif à l'évolution des messages sanitaires apposés sur les actions de promotion des acteurs économiques dans le cadre du PNNS 4 », 3 juillet 2018.

* 156 Arrêté du 27 février 2007 fixant les conditions relatives aux informations à caractère sanitaire devant accompagner les messages publicitaires ou promotionnels en faveur de certains aliments et boissons.

* 157 Cour des comptes, La prévention sanitaire , 2011.

* 158 Classement des secteurs annonceurs en télévision en France en 2018, par investissements publicitaires bruts, Statista 2020, cité par UFC-Que choisir, étude précitée.

* 159 Voir le rapport de Valérie Boyer précité.

* 160 Marie Berthoud, « L'éducation alimentaire dans les écoles : diffusion, circulation et réappropriation des normes nutritionnelles », Les Enjeux de l'information et de la communication, 2020/S1 (N° 20/3A), pp. 131 143.

* 161 Aurélie Maurice, « Des adolescents vecteurs de messages nutritionnels au sein de leur famille. L'éducation alimentaire au collège » , Revue des politiques sociales et familiales , n°129-130, 4 ème trimestre 2018 - 1 er trimestre 2019, pp. 51-62.

* 162 Kafia Ayadi et Pascale Ezan, « Pour bien grandir, mange au moins 5 fruits et légumes par jour !... Impact des bandeaux sanitaires sur les pratiques alimentaires des enfants », Management et avenir , 2011/8 n° 48, pp. 57-75.

* 163 Anses, avis du 18 janvier 2022 relatif à l'évaluation des risques liés aux niveaux d'activité physique et de sédentarité des adultes de 18 à 64 ans.

* 164 Cf . Partie III. C. 3. du présent rapport.

* 165 Circulaire du 12 janvier 2022 n° MENE2201330C relative à « 30 minutes d'activité physique quotidienne ».

* 166 Circulaire du 12 janvier 2022 n° MENE2201334C relative à « Une école - Un club ».

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