VIII. LE COÛT DE L'EAU PEUT-IL RESTER SUPPORTABLE ?

Le financement de l'action publique en faveur de l'eau repose sur trois principes forts faisant l'objet d'un vaste consensus :

- 1 er principe : « l'eau paie l'eau ». Les ressources financières collectées auprès des usagers de l'eau doivent servir à financer les investissements nécessaires pour améliorer la gestion de l'eau et pas autre chose. Ce circuit fermé financier se traduit par la perception de redevances dues par les usagers et non d'impôts répartis sur l'ensemble des contribuables qui seraient sans lien avec leur degré d'utilisation de l'eau.

- 2 ème principe : « pollueur-payeur ». Les atteintes à la ressource en eau doivent faire l'objet d'une prise en charge par leurs auteurs des mesures de restauration du bon état de celle-ci. Le principe est simple mais sa mise en oeuvre dépend de la capacité à quantifier les atteintes à l'environnement et à identifier les sources de celles-ci, ce qui est particulièrement difficile pour les pollutions diffuses.

- 3 ème principe : « solidarité amont-aval ». Cette solidarité financière est mise en oeuvre à l'échelle du district hydrographique, c'est-à-dire sur le périmètre de chaque Agence de l'eau.

La simplicité des principes énoncés n'empêche pas une certaine complexité des circuits de financement de la politique de l'eau, qui fait intervenir une multitude d'acteurs aux capacités financières parfois très disparates, dont les infrastructures de gestion de l'eau sont, pour des raisons historiques, à des niveaux forts variables, tout comme les besoins et les projets. Avec le changement climatique, les enjeux de gestion de l'eau se tendent. La crainte est de voir notre système de financement de l'eau, plutôt consensuel, ne pas pouvoir faire face aux nouveaux enjeux, en particulier si des aménagements lourds venaient à être programmés. Les ménages étant aujourd'hui les principaux financeurs de la politique de l'eau à travers les redevances qu'ils payent sur leur facture d'eau, le risque est alors fort de les mettre davantage à contribution, pour des actions relevant de moins en moins de l'eau potable et de l'assainissement.

A. L'ÉCONOMIE DE L'EAU REPOSE LARGEMENT SUR LES USAGERS DU PETIT CYCLE

1. La facture d'eau, socle du financement de la politique de l'eau
a) Un prix de l'eau raisonnable

Si nous bénéficions aujourd'hui de la fourniture d'eau potable et d'un traitement de nos eaux usées, ce service n'est pas gratuit. Il fait l'objet d'une facturation aux usagers devant couvrir les frais liés à cette prestation de services, c'est-à-dire à la fois les frais de fonctionnement mais aussi l'amortissement des investissements passés ainsi que le financement des investissements actuels et futurs.

Les modalités de délivrance de ces services sont mixtes, les régies publiques côtoyant des exploitants privés (les principaux étant Suez, Veolia ou encore la Saur) délégués par les collectivités pour assurer le service. La gestion directe pour la fourniture d'eau potable est plus répandue mais la taille des services étant plus petite, ce sont seulement 42 % des habitants qui sont couverts selon cette modalité, et 58 % desservis sous la forme de gestion déléguée. La gestion déléguée est moins répandue pour les services d'assainissement : 75 % d'entre eux, couvrant 60 % des habitants, fonctionnent en régie directe.

Le secteur de l'eau et de l'assainissement a un poids économique non négligeable sur le territoire. On estime qu'environ 100 000 personnes travaillent aujourd'hui dans les services d'eau et d'assainissement , sans compter les personnels affectés aux tâches de gestion de l'eau au sein des établissements industriels qui disposent de leur propre circuit interne de traitement de l'eau 89 ( * ) . Environ 40 % des emplois des services d'eau et d'assainissement relèvent de régies publiques. Sont comptabilisées dans le total des emplois du secteur les 40 000 personnes travaillant pour les canalisateurs, entreprises chargées de l'entretien et de la pose de l'infrastructure.

Concrètement, ce sont un peu plus de 13 milliards d'euros qui sont facturés chaque année aux utilisateurs de l'eau : les ménages, mais aussi les entreprises raccordées au réseau d'eau potable.

Outre une partie fixe correspondant à l'abonnement au service, la tarification est largement fondée sur les volumes consommés retracés par les compteurs d'eau. Compte tenu d'une consommation moyenne des Français de 148 litres par habitant et par jour, correspondant à environ 120 m 3 par an pour un ménage sans enfant et 150 m 3 par an pour un ménage avec enfant, le prix moyen de l'eau s'est établi à 4,3 €/m 3 en 2021 , avec une répartition à peu près équivalente entre la part correspondant au service d'eau potable et la part du service assainissement, selon les dernières données de l'Observatoire des services publics d'eau et d'assainissement.

Le prix de l'eau, qui a légèrement augmenté (de l'ordre de 2 % par an) sur la dernière décennie, essentiellement du fait d'une augmentation du coût des services d'assainissement collectif, reste à un niveau raisonnable. Il peut varier sur le territoire, avec des tarifs plus élevés en Bretagne (4,86 €/m), Normandie (4,81 €/m) et Hauts-de-France (4,68 €/m) et des prix plus bas en Provence-Alpes-Côte d'Azur (3,69 €/m), Occitanie (3,93 €/m) et Grand-Est (3,96 €/m). Ces écarts interrégionaux restent modestes mais derrière ces prix moyens, des écarts plus importants peuvent être constatés entre services voisins, du fait de différences de stratégie des collectivités ou tout simplement du fait de stratégies passées d'investissements totalement divergentes. Dans le dernier rapport de l'Observatoire des services publics d'eau et d'assainissement, il est indiqué que 80 % de la population bénéficie d'un prix du service de l'eau potable compris entre 1,60 €/m 3 et 2,72 €/m 3 et 80 % de la population bénéficie d'un prix du service de l'assainissement collectif compris entre 1,37 €/m 3 et 3,05 €/m 3 . Lorsque l'on croise ces données, on se rend compte que le prix de l'eau peut varier du simple au double , ce qui s'explique par la situation très variable des communes ou intercommunalités gérant ces services. Celles devant faire face à d'importantes dépenses d'investissement sont dans l'obligation d'appliquer des tarifs plus élevés. À l'inverse, avoir un prix de l'eau bas peut correspondre à du sous-investissement . Il faut noter qu'il n'y a pas de différence significative du coût du service que celui-ci soit rendu en gestion déléguée ou en gestion directe.

Au final, la facture moyenne des ménages pour payer l'eau et l'assainissement collectif s'échelonne, selon la composition du foyer, entre 516 et 645 € par an, soit autour d'une cinquantaine d'euros par mois. La part de la dépense relative à l'eau dans le budget des ménages est stable depuis au moins deux décennies, à un peu moins de 1 % des dépenses totales , soit deux fois moins que la facture de télécommunication, ce qui peut paraître raisonnable, pour garantir à tous l'accès à une ressource essentielle à la vie courante.

b) La perception de redevances affectées aux Agences de l'eau

La facture des usagers de l'eau couvre le coût du service rendu, mais comporte aussi une part de redevances destinées à financer la politique de l'eau menée par les Agences de l'eau et qui constituent leurs principales ressources.

En effet, sur un peu moins de 2,2 milliards d'euros de recettes totales encaissées chaque année par les Agences de l'eau, un peu plus d'1 milliard provient de la redevance pour pollution domestique et près de 530 millions proviennent des redevances pour modernisation des réseaux de collecte. Les usagers domestiques de l'eau payent aussi une large part pour le prélèvement sur la ressource en eau, puisque sur les 375 millions d'euros de redevances pour prélèvement dans le milieu de l'eau ensuite utilisée pour différents besoins (eau potable, irrigation, refroidissement d'installations d'énergie, alimentation des canaux), plus de 250 millions, soit les deux tiers, sont constitués des redevances pour alimentation en eau potable qui sont versées par les services communaux ou intercommunaux d'eau potable. La facture d'eau est aussi le support de taxes et redevances supplémentaires plus anecdotiques dans leur montant, destinées aux établissements publics territoriaux de bassin et à VNF.

Au total, les usagers de l'eau, particuliers comme entreprises raccordées au réseau d'eau potable et au réseau d'assainissement, assurent donc 80 % des ressources financières des Agences de l'eau. L'application du principe « l'eau paye l'eau » repose donc essentiellement sur la contribution financière des consommateurs.

On peut par ailleurs constater que, la facture d'eau étant soumise à la TVA (au taux de 5,5 % pour la partie eau potable et 10 % sur la partie assainissement et eaux usées), le budget de l'État est destinataire de recettes provenant de l'activité des services d'eau et d'assainissement, à hauteur d'un peu moins d'1 milliard d'euros par an.

Le schéma reproduit ci-après, basé sur des chiffres anciens mais donnant les bons ordres de grandeur extrait du rapport de 2019 sur les services publics d'eau et d'assainissement en France de la FP2E et du BIPE retrace l'ensemble de ces flux :

2. Les Agences de l'eau, pivot financier de la politique de l'eau
a) L'investissement en faveur de l'eau porté par les aides des Agences de l'eau

À l'échelle de chaque bassin, les Agences de l'eau sont les plaques tournantes du financement des actions en faveur de l'eau et des milieux aquatiques. Elles perçoivent les redevances et les redistribuent sous forme d'aides diverses.

Outre les redevances sur les usagers des services d'eau et d'assainissement, qui apportent la majeure part des recettes des Agences, celles-ci perçoivent d'autres produits : les redevances dues par les professionnels pour pollution d'origine non domestique (56 millions d'euros par an), les redevances pour pollution diffuse, en particulier la taxe sur les produits phytopharmaceutiques (150 millions d'euros par an), les redevances pour prélèvements de la ressource en eau payées par les utilisateurs directs de l'eau (125 millions d'euro par an hors redevance pour prélèvement des services d'eau potable mentionnés plus haut) et depuis 2020 la redevance cynégétique (50 millions d'euros par an).

L'ensemble de ces recettes contribue à financer le programme d'intervention des agences, qui représente de l'ordre de 2 milliards d'euros par an . Le soutien financier apporté par le programme d'intervention pluriannuel des Agences concerne toute une série d'investissements nécessaires pour mieux gérer et mieux protéger la ressource.

Les Agences assurent ainsi, sur chaque bassin, une solidarité financière forte en orientant les financements vers les secteurs qui en ont le plus besoin.

Le 11 ème programme d'intervention couvre la période 2019-2024 et prévoit la mobilisation de 12,6 milliards d'€ sur la période 90 ( * ) , soit moins que le 10 ème programme 2013-2018, qui avait été doté de 13,6 milliards d'euros mais plus que le 9 ème programme sur la période 2007-2012, qui disposait de 11,4 milliards d'euros. Le cadre pluriannuel permet une gestion souple des crédits pour des projets qui, souvent, ne peuvent être réalisés que sur plusieurs exercices.

Ces financements sont indispensables à la réalisation de travaux lourds ou à l'engagement de procédés permettant de préserver la ressource en eau. En pratique, ce sont près de 5,3 milliards d'euros sur la période 2019-2024 qui devraient être consacrés à soutenir l'investissement des services d'eau portable et d'assainissement (en comptant les primes de performance épuratoire, en cours de disparition) et 5,2 milliards d'euros qui seront destinés à soutenir des mesures territoriales de gestion de l'eau et de la biodiversité , le reste du programme d'intervention finançant les actions de connaissance et d'expertise et couvrant les frais de fonctionnement des agences (en tout : 2 milliards d'euros environ sur la période).

Les Agences subventionnent ainsi les agriculteurs qui s'engagent dans des actions de réduction des pollutions diffuses agricoles ou qui luttent contre l'érosion des sols (l'aide aux agriculteurs en 2021 a représenté 150 millions d'euros). Elles subventionnent aussi la réduction des rejets industriels et la réhabilitation des réseaux d'assainissement. Lors des Assises de l'eau, une enveloppe de 2 milliards d'euros a été fléchée sur les territoires ruraux pour aider les collectivités à renouveler les installations vétustes d'eau potable et d'assainissement. Les Agences financent aussi la restauration des zones humides, la renaturation des cours d'eau ou encore la restauration des continuités écologiques des cours d'eau. Elles soutiennent les mesures de gestion quantitative de l'eau se traduisant par des économies d'eau et davantage de résilience face au changement climatique.

b) Le rôle financier des collectivités territoriales

Mais le financement public des investissements en faveur de l'eau passe aussi par la mobilisation de crédits des collectivités territoriales , qui s'intéressent tant au petit cycle, qui est un peu leur « coeur de métier » qu'au grand cycle de l'eau.

Concernant le petit cycle, les collectivités doivent maintenir un certain niveau d'investissement pour améliorer les réseaux d'approvisionnement en eau potable ou d'assainissement. Les factures d'eau des particuliers prennent en charge une partie importante des coûts correspondants, puisqu'elles intègrent à la fois la couverture des frais de fonctionnement et les dépenses d'investissement de ces services, qui sont de l'ordre de 6 milliards d'euros par an. Lors des Assises de l'eau, en 2018-2019, l'objectif d'accélérer le renouvellement des usines d'eau potable et d'assainissement ainsi que des canalisations a été mis en avant, avec l'ambition de porter les sommes qui y sont consacrées de 36 à 41 milliards d'euros pour la période 2019-2024.

Les collectivités interviennent aussi de plus en plus, soit directement, soit au travers des syndicats mixtes qu'elles ont créés, pour améliorer la gestion de la ressource en eau, gérer des retenues, aménager les cours d'eau ou encore prévenir les inondations par des travaux adaptés. Leurs ressources budgétaires sont ainsi sollicitées pour cofinancer des projets voire pour les porter lorsqu'elles en ont la maîtrise d'ouvrage. Il n'existe pas de données consolidées permettant d'apprécier les volumes financiers moyens annuels qui sont consacrés à l'ensemble de ces actions et qui sont supportés par les crédits budgétaires des régions, départements, communes ou intercommunalités.

Le bloc communal s'est vu doté d'une ressource dédiée à travers la taxe GEMAPI (gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations) qui est une taxe locale facultative qui s'additionne à la taxe foncière, plafonnée à 40 € par habitant. Mise en place par 55 % des intercommunalités en 2020, elle permet de mobiliser des sommes croissantes au fur et à mesure de son adoption par les différents EPCI : 154 millions d'euros en 2018, 190 en 2019, 204 en 2020 et 275 millions d'euros en 2021 91 ( * ) pour un prélèvement moyen qui s'établit aujourd'hui à 6 € par habitant. C'est là une ressource nouvelle affectée qui pourra être mobilisée pour la prise en charge des travaux pour l'aménagement des bassins versants, l'entretien et l'aménagement des cours d'eau, canaux, lacs et plans d'eau, pour la défense contre les inondations et les submersions marines ou encore pour la protection et la restauration des zones humides. Mais à, elle seule, cette ressource ne suffit pas à financer les projets, souvent coûteux en génie civil. Elle permet souvent tout juste de financer des études.


* 89 Source : rapport de 2019 du pôle interministériel de prospective et d'anticipation des mutations économiques (PIPAME) : https://www.entreprises.gouv.fr/files/2019-06-25-eaudufutur-rapport.pdf & rapport de 2019 FP2E/BIPE : https://economiev2.eaufrance.fr/sites/default/files/2020-10/doc408-fp2e-bipe-2019-eau-assainissement-.pdf

* 90 Source : document budgétaire annexé au projet de loi de finances pour 2023 (jaune budgétaire).

* 91 Source : Observatoire des finances et de la gestion publique locale.

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