B. ...QUI NE SUFFIT PAS À COMPENSER LA DÉFAILLANCE D'UNE STRATÉGIE PUBLIQUE GLOBALE

1. Sans stratégie globale, les aides à l'export seront toujours insuffisantes

En février 2018, lors de la présentation, à Roubaix, de la stratégie nationale en matière de commerce extérieur, le Premier ministre avait ainsi résumé la situation : « Ma conviction, c'est que le déficit commercial français est le résultat d'un cumul de déficits français : déficit de compétitivité, déficit d'investissement, déficit de compétences, déficit de stratégie structurée par filières, déficit de vision, déficit d'accompagnement. J'ajouterais à cette liste, une cause plus culturelle, plus psychologique : exporter, c'est un métier, c'est un état d'esprit. Un métier qui s'apprend. Et qu'il faut donc enseigner. »

Force est de constater que ce bilan est malheureusement en grande partie toujours pertinent, car les différentes politiques publiques ayant un impact sur tous les éléments de compétitivité semblent encore être pilotées en silos, sans prise en considération des enjeux du commerce extérieur. La Délégation sénatoriale aux entreprises a eu l'occasion de mener des travaux sur plusieurs thèmes qui semblent effectivement déconnectés de la réflexion relative au commerce international : transmission d'entreprise, compétences et formation ou encore responsabilité sociétale des entreprises. Ces sujets devraient pourtant figurer dans les priorités nationales stratégiques du commerce extérieur, au même rang que la politique d'accompagnement des entreprises à l'export.

Comme le soulignait Patrick Martin, président délégué du MEDEF, devant la Délégation : « L'approche de ces sujets devrait être beaucoup plus systémique ». Les seuls exemples liés à la politique fiscale de la France mettent ainsi en évidence l'effet systémique des politiques publiques et leur impact sur l'évolution du commerce extérieur de la France.

a) Un suivi chiffré qui passe à côté du sujet essentiel des ETI

L'analyse annuelle des opérateurs du commerce extérieur, souvent citée en exemple de la performance de Team France Export, indique qu'en 2021, les exportations de biens depuis la France sont réalisées par 136 400 entreprises (unités légales). Ce nombre augmente fortement par rapport à 2020 (+ 68 000 sur un an) . La concentration de l'appareil exportateur français est stable : les 100 premiers opérateurs exportent 38 % des montants en 2021, comme l'année précédente. Les représentants de la TFE reprennent cette croissance du nombre d'entreprises exportatrices pour valoriser la dynamique de leur politique d'accompagnement à l'export et la résilience à la crise sanitaire.

Cependant, ainsi que cela a été rappelé au cours des auditions, seuls 30 % des entreprises primo exportatrices exportent à nouveau l'année suivante, et 25 % ont un taux d'export inférieur à 5 % de leur chiffre d'affaires .

En outre, cette approche chiffrée ne permet pas d'aborder le sujet essentiel du développement des entreprises de taille intermédiaire . En effet, si la France ne se distingue pas de ses voisins s'agissant de la part des PME au sein des entreprises exportatrices (95 % contre 97 % en Allemagne ou 98 % en Italie), elle accuse en revanche un retard important en nombre d'ETI exportatrices. Cette faiblesse provient non pas de la capacité d'exportation des ETI mais tout simplement de leur faible nombre en France : 5 400 contre 12 500 en Allemagne, 10 500 au Royaume-Uni ou plus de 8 000 en Italie.

Le graphique ci-après, issu de la publication annuelle de la DGDDI sur les opérateurs du commerce extérieur, montre la répartition en 2021 du nombre d'entreprises exportatrices et la répartition des montants exportés par catégorie. On y voit que bien que représentant seulement 4 % des entreprises exportatrices, les ETI sont à l'origine de 35 % des montants exportés.

Olivier Schiller, vice-président du METI (Mouvement des entreprises de taille intermédiaire) rappelait, lors d'une table ronde que « les ETI représentent 25 % de l'emploi salarié, 34 % de l'emploi industriel et 35 % du chiffre d'affaires à l'international ».

Guillaume Vanderheyden, sous-directeur au commerce international de la DGDDI, note que « d'un point de vue douanier, on constate une certaine fragilité des entreprises qui souhaitent exporter parce qu'on a affaire à beaucoup de PME et TPE, contrairement à l'Allemagne, qui a des ETI ».

Pour l'économiste Anne-Sophie Alsif, « l'Italie détient, comme l'Allemagne, un réseau d'entreprises de taille intermédiaire, très spécialisées et exportatrices créant un véritable tissu industriel. Ce réseau d'ETI est un atout notamment pour acquérir des parts de marché ce qui manque à la France caractérisée par, d'un côté de très grands groupes (CAC 40), et de l'autre, une grande majorité de très petites entreprises peu diversifiées. Il faudrait développer les entreprises de taille intermédiaire dans l'industrie . »

Le témoignage de la CPME, entendue lors d'une table ronde organisée par la Délégation aux entreprises, développe cette idée : « en Allemagne, il y a environ 13 000 ETI aujourd'hui, alors qu'en France on en compte environ 5 300. Outre-Rhin, ce tissu d'entreprises qu'on appelle le Mittelstand est à l'origine de 35 % du chiffre d'affaires total en Allemagne, il emploie 60 % de l'ensemble des salariés et 82 % des apprentis .

La rareté des entreprises françaises de taille moyenne ou intermédiaire est à chercher du côté de la fiscalité exorbitante sur la transmission du patrimoine, notamment par rapport à nos voisins européens. En Allemagne, les entreprises restent dans la famille, alors qu'en France, c'est très compliqué. Les PME françaises sont plutôt de petite taille, employant moins de 10 personnes, ce qui de facto induit des ressources financières et humaines limitées, contrairement aux PME allemandes. »

Les analyses recueillies tout au long des travaux de la présente mission d'information convergent toutes vers une même priorité économique : le développement du nombre d'ETI . C'est d'ailleurs l'un des sujets au coeur du rapport 15 ( * ) adopté à l'unanimité le 6 octobre 2022 par la Délégation aux entreprises « Reprendre pour mieux entreprendre dans les territoires ». Il y est rappelé que 52 % des ETI ont un actionnariat majoritairement familial ; si l'on compte également les participations minoritaires , alors ce sont 70 % des ETI françaises qui ont un actionnariat familial . Plusieurs études convergent pour montrer qu'un actionnariat familial favorise davantage les investissements à long terme et donc l'innovation .

Dès lors la question des transmissions d'entreprises familiales devient absolument essentielle au regard de l'urgence, pour la France, de redresser son commerce extérieur . C'est la raison pour laquelle la Délégation a adopté la proposition visant à sanctuariser le « Pacte Dutreil » , dispositif fiscal permettant une exonération des droits de mutation à titre gratuit à hauteur de 75 %. D'ailleurs ce dispositif, voté en 2003 et ayant connu plusieurs phases de modernisation depuis, ne fait que corriger partiellement le désavantage compétitif de la France par rapport à ses voisins, notamment l'Allemagne, dont la fiscalité est beaucoup favorable à la transmission d'entreprise. D'ailleurs, ainsi que le rappelait le vice-président précité du METI, « en 1980, il y avait autant d'ETI en France qu'en Allemagne, avant que des régions entières du territoire ne soient désindustrialisées . »

Pourtant, ainsi que le souligne le rapport précité de la Délégation aux entreprises, le « Pacte Dutreil » est régulièrement attaqué, notamment dans des publications officielles relevant de commandes gouvernementales (comme la note du Conseil d'analyse économique de décembre 2021 « Repenser l'héritage »), tandis que des amendements déposés par des députés de l'actuelle majorité gouvernementale ont tenté, fort heureusement en vain, de mettre fin au dispositif par voie d'amendement au projet de loi de finances pour 2023. La priorité de développement des ETI doit être mieux affirmée et soutenue, notamment en s'appuyant sur une véritable campagne de communication auprès des dirigeants d'entreprise dont 82 % ignorent l'existence du « Pacte Dutreil » (selon un sondage CCI-France - Opinion Way de l'automne 2022).

b) L'environnement fiscal et réglementaire : un facteur à mieux prendre en compte

La fiscalité sur la transmission n'est pas la seule dimension pesant sur notre commerce extérieur. Rappelons que la fiscalité sur la production a été historiquement bien plus défavorable en France qu'en Allemagne. En 2018, les impôts sur la production représentaient 3,6 % de la valeur ajoutée en France contre 0,5 % en Allemagne .

Depuis le début des années 2000, en raison du poids de la fiscalité et de la complexité administrative, les entreprises françaises ont privilégié les investissements à l'étranger plutôt que les exportations pour se développer à l'international. De nombreux témoignages ont été recueillis pour illustrer cet obstacle au développement des entreprises en France, avec, par exemple, un délai de 3 ans en Centre-Val de Loire pour obtenir un permis de construire, contre 3 mois en Allemagne.

À la complexité administrative s'ajoute une tendance française à ne pas soutenir les entreprises nationales dans le cadre de la commande publique. Dans les appels d'offres, le critère du moindre coût semble presque toujours primer sur les autres, alors que les considérations sociales ou environnementales (comme le coût carbone) ou la qualité des produits pourraient davantage peser. Lors de déplacements réalisés en Allemagne et en Italie, les rapporteurs ont pu constater à quel point cette question était culturelle et propre à la France. Les entreprises ne sentent pas soutenues et constatent la différence chez nos voisins européens.

Tous ces obstacles ont poussé les dirigeants français à privilégier le développement de filiales à l'étranger. Avec 46 488 filiales, la France est le pays européen qui compte le plus de filiales dans le monde, avec une concentration sur les activités financières et le secteur manufacturier (on dénombre seulement 29 000 filiales pour l'Allemagne). Le flux d'investissements directs étrangers (IDE) français sortants (1 364 milliards de stock) est supérieur au flux d'IDE entrants (773 milliards de stock).

Surtout, comme le rappelle Bpifrance, le poids des ventes réalisées par des filiales industrielles à l'étranger représente 2,5 à 3 fois la valeur ajoutée industrielle de la France, contre 1,3 fois pour l'Allemagne . Cette stratégie des entreprises françaises résulte directement, selon Bpifrance, d'un « contexte fiscal très différent : le poids élevé des impôts de production en France (parmi le plus élevé d'Europe), la fiscalité sur le capital, les droits de successions. »

Ces questions, pourtant cruciales, ne semblent pas figurer au rang des sujets abordés par le Conseil Stratégique de l'Export.

c) Un manque de vision stratégique

Comme l'indiquait l'économiste Anne-Sophie Alsif devant la Délégation : « Nous souffrons d'un manque de spécialisation sectorielle parce, à la différence des États-Unis et de la Chine, nous n'avons pas de cap. Qui peut dire où en sera l'industrie française dans 10 ou 20 ans ? L'absence de vision est un vrai problème puisque, dans ces secteurs, c'est vraiment l'investissement de long terme qui produit des résultats. Les succès de l'industrie allemande résultent d'une réflexion en amont, et d'un choix très clair en faveur de la machine-outil de très haut de gamme. Faute de cap, nous essayons à chaque fois de rattraper comme nous pouvons les difficultés qui se présentent . »

La Cour des comptes, dans son rapport d'octobre 2022, regrette également le manque de vision globale et de coordination entre les secteurs et filières : « La nécessité de soutenir spécifiquement certains secteurs et certaines filières a été unanimement reconnue par les parties prenantes rencontrées. Cependant, plusieurs organisations interrogées par la Cour ont fait part d'une articulation insuffisante , jusqu'à une période très récente , entre la stratégie nationale à l'export et les priorités de développement des différentes filières industrielles . Le choix de laisser aux entreprises (par l'intermédiaire du Conseil national de l'industrie dans sa formation « International » et au sein des comités stratégiques de filière) le soin de déterminer leurs priorités en matière d'export a rencontré plusieurs limites. La première tient aux degrés d'engagement très divers des 19 filières en matière d'export et la seconde est liée à une coordination insuffisante entre ces orientations et l'action des pouvoirs publics pour les soutenir . » La Cour dénonce également le manque de coordination entre acteurs de la TFE, des doublons et une concurrence entre acteurs publics ou encore une coordination perfectible à l'étranger.

Invité à une réunion du Conseil Stratégique de l'Export (CSE), le président de la Délégation aux entreprises a pu constater que l'agenda de cette instance consistait en un simple tour de table des acteurs résumant leur action passée et à venir. La Cour a confirmé cette impression en formulant ainsi son avis : « en dépit de son appellation ambitieuse, cette instance semble, depuis quelques années, être devenue un lieu essentiellement symbolique, sans réelle valeur ajoutée et largement en deçà des objectifs qui avaient pu lui être assignés ».

Pour les rapporteurs de la présente mission d'information, il n'y a « pas de pilote dans l'avion », et aucune instance ne permet d'appréhender les enjeux du commerce extérieur en associant les ministères ou acteurs dont l'action est déterminante pour la compétitivité des entreprises françaises . Comme le titre du CSE pouvait le faire craindre, la stratégie nationale s'est auto-limitée à la politique d'aide à l'export, sans qu'aucune réflexion n'y associe les politiques publiques contribuant à la compétitivité des entreprises françaises, ni les enjeux en matière de réduction des importations.

Cette carence de vision stratégique sera préjudiciable aux projets de réindustrialisation déjà annoncés car elle ne permettra pas d'orienter les choix en fonction des réels atouts de la France, ni de ses besoins les plus intrinsèquement liés à sa souveraineté, à son indépendance.

Enfin, il est tout à fait probable que les décisions soient prises sans avoir, au préalable, étudier la faisabilité des projets, par exemple en matière de compétences disponibles.

2. Les enjeux de compétitivité concernent de nombreux domaines
a) Les enjeux sous-évalués en matière de compétences

La question des compétences est un élément crucial en matière de commerce extérieur. Tout d'abord, l'internationalisation des entreprises doit pouvoir s'appuyer sur des facultés bien précises : maîtrise des langues, connaissance et appréhension des enjeux économiques, réflexes indispensables pour les projets d'internationalisation d'une entreprise tels que la bonne compréhension de la culture locale et des besoins de chaque pays, etc. Ces compétences ne s'improvisent pas et les représentants des entreprises auditionnés ont regretté les carences en matière de formation initiale et continue. L'accompagnement public des entreprises ne pourra en outre jamais compenser le déficit de culture et de compétences incontournables pour innover et réussir à l'export.

Comme le rappelait Anaïs Voy-Gillis, docteure en géographie et spécialiste des questions de réindustrialisation, « sur la diversification par l'offre, nous sommes confrontés au déficit d'innovation des entreprises françaises . La réduction des marges des entreprises dans une logique de maintien de la compétitivité prix a un impact sur la capacité d'investissement et donc sur les logiques d'innovation et d'internationalisation. Toutefois, la recherche d'une diversification par l'offre et donc du maintien d'avantages comparatifs ne répond pas toujours à des logiques coûteuses, notamment parce que l'innovation peut prendre différentes formes ». Les compétences en matière de commerce international peuvent effectivement prendre le relais de l'innovation : il s'agit alors d'adapter l'offre de production française aux attentes des marchés étrangers, ce qui est peu courant dans la culture française qui consiste trop souvent à proposer une offre trop « franco-française ». Le groupe Georges Monin, producteur de sirops dans le Cher, est un bel exemple de réussite à l'international. Ainsi que l'a rappelé Anaïs Voy-Gilis, l'entreprise s'est d'abord adressée aux professionnels car elle n'avait pas les moyens de rivaliser avec la grande distribution. Elle a réalisé pour cela des partenariats avec des cafés, brasseries, mais aussi de grands acteurs comme Pizza Hut et McDonald's. Elle a aussi développé une offre adaptée à chaque pays en proposant des saveurs nouvelles, ainsi qu'une offre de services répondant aux besoins des barmen du monde entier avec des recettes locales. Entre 75 et 80 % du chiffre d'affaires est aujourd'hui réalisé à l'export.

La question des compétences dépasse bien évidemment les enjeux internes des entreprises car elle conditionne la compétitivité hors prix d'un pays. Pour Isabelle Méjean, économiste, c'est un sujet au coeur du repositionnement vers le haut de gamme qui devrait être visé par la France : « Un pays où les coûts relatifs sont élevés est un pays qui va avoir tendance à se spécialiser plutôt dans des produits technologiques haut de gamme , high-tech etc. Le haut de gamme et la high-tech se font avec la R&D et des compétences. Or, le plan de relance français ignore quasiment la question de l'éducation et largement la question de la R&D, fondamentale. Nous avons déjà du retard sur ces postes et les performances françaises se dégradent très vite, les jeunes ne font pas assez de science et c'est vraiment l'enjeu de long terme, on ne peut pas faire de la montée de gamme si on n'a pas de la R&D et des compétences . »

Il est utile de rappeler qu'en matière de R&D (recherche et développement) l'écart s'est creusé continuellement entre la France et l'Allemagne depuis la fin des années 1990. En 1996, la part des dépenses en R&D était environ de 2,2 % en France et en Allemagne. En 2018, ce taux était quasi inchangé en France alors qu'en Allemagne il était de 3,1 %. Même au niveau sectoriel, qu'il s'agisse de l'industrie chimique et pharmaceutique ou de l'aéronautique, le constat est celui d'une intensité plus forte d'investissement en R&D en Allemagne. L'erreur française de spécialisation dans le milieu de gamme est l'une des causes du retard de la France par rapport à l'Allemagne.

Les compétences sont également indissociables du secteur des services, qui constitue aujourd'hui l'un des atouts de la France en matière de commerce extérieur . En effet, au contraire de ce qui se passe dans le commerce des biens, les échanges de services ont engendré un excédent commercial pour la France sur les vingt dernières années. Entre 2000 et 2021, les exportations de services ont crû de 142 %, soit plus que deux fois les exportations de biens (+ 64 %). Les avancées technologiques dans le domaine de l'information et des télécommunications, une plus grande externalisation des tâches de services par les entreprises et les efforts de libéralisation des secteurs de services dans le monde, ont accru la quantité d'activités commercialisables au-delà des frontières nationales.

Comme le rappelait Timothée Gigout Magiorani, économiste à la Banque de France, « en 2018, on compte 88 000 entreprises exportatrices, dont environ 29 000 exportent à la fois des biens et des services. Pour chaque euro que ces entreprises vendent à l'étranger, elles vendent 36 centimes de services . Ces entreprises appartiennent surtout à des secteurs industriels, en particulier au secteur pharmaceutique, où 66 % des entreprises exportent des biens et des services, ainsi qu'au secteur de la fabrication de matériel de transport, de machines et d'équipements électriques, où ce taux est de l'ordre de 50 %. Une bonne partie des excédents de services s'explique donc en réalité par l'activité d'entreprises classées comme industrielles, qui sont les véritables gagnantes du commerce international.(...) Les entreprises qui exportent à la fois des biens et des services sont souvent deux fois plus grosses que leurs concurrentes, génèrent 40 % de valeur ajoutée supplémentaire et versent des salaires en moyenne 25 % plus élevés . » Les services constituent ainsi une « prime à l'exportation » et sont de plus en plus indissociables des biens industriels à l'export , ce dont on peut tirer deux enseignements : si la base industrielle se réduisait excessivement, la capacité des entreprises françaises à exporter leurs services se réduirait également ; inversement, les services constituent une entrée vers la réindustrialisation, à l'image de l'entreprise Nervures, l'un des leaders mondiaux du marché des voiles de parapente. Grâce à un partenariat avec le département de mathématiques appliquées de l'Université de Pau, Nervures a su développer de nouvelles technologies et monter en gamme avec des produits destinés au ministère des Armées ou à Airbus. Elle a également su s'adapter pendant la crise sanitaire et a produit des masques. Mais tout ceci n'est possible que grâce au développement des compétences.

Or il existe un risque non négligeable, de « télémigration » selon la formule de l'économiste Richard Baldwin, c'est-à-dire de fuite des compétences à l'étranger et donc de délocalisation des services , ainsi que l'a souligné la direction générale du Trésor. La carence de vision stratégique évoquée plus haut se révèle ainsi à travers les pénuries de compétences, notamment dans le secteur des services.

b) Le handicap des normes et règles plus contraignantes

Comme le notait Patrick Martin, président délégué du MEDEF, devant la Délégation aux entreprises, « la France a aussi cette singulière propension à surtransposer des directives européennes, particulièrement dans le domaine de l'agriculture et l'agroalimentaire. Mon propos n'est pas dire qu'on doit s'extraire de considérations essentielles sur la défense de l'environnement ou la défense des consommateurs, mais l'évolution de notre balance commerciale dans les secteurs de l'agriculture et de l'agroalimentaire est la démonstration flagrante du fait que nous nous sommes créés des contraintes que nos compétiteurs directs n'ont pas. Il en va de même pour l'industrie, où l'on assiste à un empilage de réglementation et de législation bien au-delà de ce que l'Union européenne elle-même prévoit, empilage qui impacte directement l'efficacité de l'appareil productif français. Paradoxalement, certaines lois, la loi ASAP 16 ( * ) notamment, organisent de nombreuses dérogations. Ainsi, l'État fait lui-même la démonstration que le système de droit commun est pénalisant ! »

La question de la surtransposition a été largement analysée par la Délégation aux entreprises avec le rapport 17 ( * ) réalisé conjointement avec la commission des Affaires européennes du Sénat en 2018 sur « La surtransposition du droit européen en droit français : un frein pour la compétitivité des entreprises » . La surtransposition des textes européens en droit français est régulièrement dénoncée par les entreprises qui estiment qu'elle les place dans une position concurrentielle défavorable en leur imposant des charges que les autres entreprises européennes n'ont pas à supporter . Dans le domaine agricole, les conséquences de la surtransposition et de l'absence de réciprocité avec les pays tiers sont régulièrement dénoncées, à l'instar de l'interdiction du diméthoate pour les cerises produites en France ou les normes bio s'appliquant aux bananes des Antilles françaises.

Ce handicap n'est pas seulement le fait d'une tendance française à la surtransposition, elle résulte aussi de la politique européenne consistant à imposer aux entreprises locales des normes et règles dont sont exonérées les acteurs économiques de pays tiers, par exemple en matière de responsabilité sociétale des entreprises . C'est pour réagir à cette distorsion de concurrence « auto-réalisatrice » que la Délégation aux entreprises a, dans son récent rapport « Faire de la RSE une ambition et un atout pour chaque entreprise » adopté à l'unanimité le 27 octobre 2022, souligné qu' « il apparaît important, afin de garantir la compétitivité des entreprises européennes par rapport à leurs concurrents non européens, de veiller à une équivalence d'exigences relatives à la publication d'informations en matière de durabilité ». Il s'agit en effet de permettre aux entreprises européennes de se battre à armes égales.

Par ailleurs, il semblerait que l'Union Européenne ait « surtransposé » l'accord plurilatéral sur les marchés publics (1994). Ainsi, près de 95 % des marchés passés au sein de l'Union sont concernés par les stipulations de l'accord, alors que le taux de marchés couverts n'est que de 32 % aux États-Unis,28 % au Japon et 16 % au Canada. Les autres pays tiers (Chine, Inde, Russie, Brésil, Turquie), n'ont pris aucun engagement, accentuant ainsi cette distorsion de réciprocité en matière d'accès aux marchés publics.

En outre, une étude de 2019 18 ( * ) de la Fondation pour l'innovation politique (Fondapol) a observé une baisse tendancielle de recours aux instruments de défense commerciale (IDC) de l'Union européenne (mesures antidumping et antisubventions) de près de 11 % entre 2000 et 2018, contre une hausse des mesures américaines de 82 % sur la même période. Cette même étude constate que l'UE « surtranspose » les règles multilatérales de l'OMC, se privant ainsi de marges de manoeuvre. L'absence de « clauses miroir » constitue une véritable difficulté pointée par de nombreux commentateurs.

Interrogés par les rapporteurs de la présente mission d'information, plusieurs fonctionnaires de la Commission européenne en charge du marché intérieur et des PME ont laissé entendre que l'Union européenne était entrée dans l'ère de « la fin de la naïveté » , notamment avec l'adoption d'un nouvel instrument visant à décourager la discrimination envers les entreprises de l'Union dans les marchés publics des pays tiers . L'IPI ( International Procurement Instrument ) permettrait à la Commission d'ouvrir des enquêtes publiques en cas d'allégation de discrimination à l'égard des entreprises de l'Union dans les marchés publics . Si l'existence de restrictions discriminatoires à l'encontre de produits, services et/ou fournisseurs de l'Union venait à être établie au cours d'une telle enquête, la Commission inviterait le pays concerné à des consultations sur l'ouverture de son marché public., Après cette médiation et en cas de refus de réciprocité, l'outil permet de prendre des mesures qui limitent l'accès aux appels d'offres ouverts de l'UE pour les entreprises non européennes issues de pays n'offrant pas de conditions similaires à leurs marchés publics aux entreprises de l'UE. Il s'agit donc d'encourager la réciprocité pour mettre fin à la discrimination pour les entreprises de l'UE dans les pays tiers.

L'intégration du coût carbone dans les échanges internationaux constituera également un élément déterminant pour rétablir un meilleur équilibre. Or, en mars 2022, le Conseil de l'Union européenne est parvenu à un accord sur le règlement établissant le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF) . Il s'agit de l'un des éléments clés du paquet « Ajustement à l'objectif 55 » de l'UE.

Ainsi que l'a rappelé la Commission européenne, l'objectif principal de cette mesure environnementale est de prévenir les « fuites de carbone » , c'est-à-dire des situations où des entreprises établies dans l'Union Européenne pourraient déplacer leur production à forte intensité de carbone à l'étranger afin de profiter de normes moins exigeantes, ou celles où des produits de l'UE seraient remplacés par des importations à plus forte intensité de carbone. Il s'agit d'inciter les pays partenaires à mettre en place des politiques de tarification du carbone pour lutter contre le changement climatique.

La mise en place du MACF se fera de manière progressive et ne s'appliquera au départ qu'à un nombre limité de marchandises qui présentent un risque élevé de fuite de carbone, à savoir le fer et l'acier, le ciment, les engrais, l'aluminium et la production d'électricité. Le MACF ne s'appliquera qu'à la part des émissions qui ne bénéficient pas de quotas gratuits au titre du SEQE (système d'échange de quotas d'émission) de l'UE, permettant ainsi un traitement équitable des importateurs par rapport aux producteurs de l'UE. À terme, le MACF remplacera le SEQE.

c) Les bonnes pratiques de nos partenaires européens qui doivent nous inspirer

Au cours de déplacements en Allemagne, en Italie et au Royaume-Uni, les rapporteurs de la présente mission ont pu observer ce qui pouvait faire le succès de leurs performances à l'export et ce qui est apprécié dans l'accompagnement des entreprises.

Si l'Italie et plus encore l'Allemagne enregistrent des résultats bien supérieurs à ceux de la France dont elles sont les principaux partenaires, le Royaume-Uni, désormais hors de l'Union européenne, enregistrait en 2021 un important déficit de sa balance commerciale (150 milliards d'euros environ avec un déficit courant de 34 milliards seulement en raison du solde excédentaire des services).

En annexe figure une présentation détaillée des informations recueillies au cours des rencontres organisées dans ces pays. Les principaux enseignements à retenir sont les suivants :

- en Italie et en Allemagne :

• une compétitivité-prix longtemps supérieure à celle des entreprises françaises ;

• une fiscalité encourageant les transmissions, notamment familiales ;

• une forte culture d'entreprenariat au sein de la population ;

• une véritable culture du « chasser en meute » pour la conquête des marchés à l'étranger. Les grandes entreprises associent systématiquement les ETI et PME de leur écosystème à leur stratégie à l'export . Les entreprises françaises entendues ont toutes souligné cette différence culturelle regrettable qui les pénalise . C'est également l'analyse de nombreux experts tels qu'Anaïs Voy-Gillis : « sûrement en raison de son organisation industrielle reposant principalement sur des grands groupes, il semble moins naturel pour les entreprises françaises de coopérer avec leurs pairs qu'en Allemagne ou en Italie. La coopération en Italie est presque une nécessité puisque l'organisation productive dans les districts industriels repose sur une forte division du travail et une spécialisation des entreprises » ;

• un grand respect de la « valeur travail » et un système de formation professionnelle qui valorise l'apprentissage et les métiers industriels ;

• une très forte activité d'organisation de foires et salons internationaux : l'Allemagne occupe la première place en Europe avec 50 % de parts de marché, l'Italie la deuxième place avec 23 %, la France n'ayant que 16 % ;

- en Allemagne, une culture bancaire d'accompagnement de proximité des entreprises sur le long terme ;

- en Italie, la culture entrepreneuriale est depuis longtemps tournée vers l'international, dans un contexte de marché domestique peu dynamique. Par ailleurs, le pays a très fortement accompagné financièrement la reprise post-crise sanitaire (+224 % des aides financières entre 2020 et 2021, +58 % des crédits export). Les missions d'accompagnement de l'agence ICE , homologue de Business France, sont devenues gratuites à 95 %, permettant notamment aux entreprises italiennes de participer à des salons à l'étranger sans frais (l'entreprise ne payant que le transport et l'hébergement). Cette « force de frappe » italienne fait écho au témoignage de l'ancien directeur du Palais des Congrès de Tours, rencontré lors d'un déplacement de la Délégation aux entreprises en septembre 2021 : il avait alors indiqué que l'aide consentie par le gouvernement italien avait créé un réel déséquilibre et que les entreprises françaises en ressentaient les conséquences ;

- le Royaume-Uni a débuté la mise en oeuvre d'une véritable stratégie de « data et intelligence économique » qui s'appuie sur la collecte et l'utilisation de données sensibles des entreprises, notamment les PME, pour les orienter le plus finement possible vers les opportunités d'export . Le ministère du commerce a dit agir dans une « logique d'entreprise » au sein de l'écosystème formé par les acteurs publics et privés, en vue de proposer une approche segmentée des marchés à l'étranger. L'objectif est de changer la situation dans laquelle 1 entreprise sur 7 produit un bien qui pourrait être exporté mais ne le fait pas.

3. Des propositions pour une réelle stratégie publique
a) La définition d'une stratégie réunissant l'ensemble des pouvoirs publics

Les travaux effectués dans le cadre de la présente mission d'information, dont les enseignements sont détaillés dans les chapitres précédents, mettent en évidence un défaut cruel de vision stratégique pour redresser le commerce extérieur de la France .

L'approche et la réflexion doivent absolument être transversales et relever d'une action coordonnée des différents ministères pouvant influer sur les paramètres de la compétitivité (coût ou hors coût).

Il convient d'intégrer urgemment des objectifs en matière de protection de notre souveraineté et donc d'indépendance vis-à-vis de certaines importations. L'action des acteurs de la TFE , dont l'action est appréciée sur le terrain, est centrée sur le développement de l'export, et non sur la question des importations. Or, diminuer ces dernières est évidemment l'un des leviers non seulement pour réduire le déficit de la balance commerciale mais aussi pour construire une stratégie nationale de protection de la souveraineté et de l'indépendance de la France . Les décisions de relocalisation ne peuvent réussir que si les conditions de définition d'une stratégie globale sont réunies. Cette stratégie doit impérativement intégrer la nouvelle donne pour la France et l'Europe que constitue la transition écologique. Il s'agit de se projeter en tenant compte d'un environnement mouvant, où les règles ne seront plus les mêmes, par exemple en matière de transports.

C'est la raison pour laquelle il convient en premier lieu de confier au Parlement le soin de voter une loi d'orientation économique pour la France (proposition n°1) , pour que cette stratégie soit débattue et adoptée par le législateur. Afin qu'elle soit efficace, cette stratégie nécessite de fixer des objectifs à une échéance lointaine (de 15 à 20 ans a minima ) et d'identifier les secteurs, les compétences et les entreprises à soutenir. Au sein des objectifs stratégiques, la question des services devrait faire l'objet d'une attention toute particulière (proposition n°4) , tant le danger de « télémigration » est important pour la compétitivité de la France dans les années à venir.

Ensuite le Conseil Stratégique de l'Export doit être rénové (proposition n°2) , avec une gouvernance plus adaptée aux besoins réels en matière de commerce extérieur. Ainsi doivent être associés tous les ministères en charge des politiques publiques ayant un impact sur la compétitivité des entreprises françaises (fiscalité, éducation nationale, formation professionnelle, recherche, etc.). En outre, le rattachement du CSE à Business France ne paraît pas pertinent.

Un rapport annuel de la Cour des comptes sur la balance commerciale précisant le suivi des importations et des exportations serait utile pour que le CSE rénové puisse utilement coordonner les actions des divers ministères.

Les résultats de la Team France Export devraient être reportés devant ce CSE rénové (proposition n°3).

b) Des propositions opérationnelles pragmatiques

Comme évoqué précédemment, la transformation des PME en ETI constitue l'un des défis pour l'amélioration des performances françaises en matière de commerce extérieur (proposition n°5). Ce développement va également conditionner la réussite des projets de relocalisations et réindustrialisation à venir. Cela nécessite un cadre législatif et réglementaire favorable à la transmission d'entreprise .

Par ailleurs, les grandes entreprises françaises doivent être davantage incitées à « chasser en meute » (proposition n°6) à la conquête des marchés étrangers, comme en Allemagne ou en Italie. Une incitation fiscale et/ou un label spécifique Made in France pourraient aider à opérer ce changement culturel important.

Compte tenu du déficit de communication des mesures d'accompagnement à l'export des entreprises françaises, il convient d'organiser une campagne d'information sur les offres d'accompagnement des PME et ETI proposées par les membres de la Team France Export (proposition n°7) et rendre gratuite pour les entreprises françaises la participation aux salons internationaux afin de tenir compte de la concurrence des entreprises européennes, notamment italiennes, sur les foires et salons étrangers.

Renforcer l'apprentissage des langues et les connaissances en économie, mathématiques, technologies et commerce international dans l`enseignement secondaire et supérieur : telle est la priorité (proposition n°8) devant figurer dans les objectifs des ministères concernés pour que les compétences utiles à la compétitivité des entreprises françaises ne demeurent pas un obstacle au redressement du commerce extérieur.

Une autre proposition opérationnelle concerne les outils devant être à la disposition des décideurs politiques. En effet, ainsi que cela est évoqué dans le présent rapport, la granularité des données analysées par la Direction générale des Douanes françaises ne permet pas une analyse fine des véritables risques d'approvisionnement. Or, pour accompagner une stratégie de long terme en matière de spécialisation dans des secteurs compétitifs et de relocalisation de productions contribuant à la souveraineté économique de la France , il convient de disposer de tous les éléments pertinents. Aussi est-il important de mieux évaluer les risques de vulnérabilité d'approvisionnement en utilisant les données douanières européennes, ce qui se fera avec l'aide de la Commission européenne (proposition n°9).

Un autre outil doit être mis en place, au service des membres de la TFE, dont le partage des données n'est pas optimal selon la Cour des comptes. En s'inspirant de l'expérience britannique présentée par le ministère du commerce à Londres, il paraît pertinent de proposer la constitution d'une base de données française qui permettra, avec l'intelligence artificielle, d'accompagner finement les PME françaises à l'export (proposition n°10) . Cette base serait constituée de données publiques gratuites ( open data ) mais aussi d'études réalisées par des acteurs privés permettant de capter les opportunités des marchés étrangers. À cela devrait s'ajouter l'analyse des réseaux sociaux dont l'intelligence artificielle pourrait, en temps réel, analyser le contenu (nouvelles tendances, effets de mode, développement de nouvelles technologies, etc.) pour déceler des besoins locaux susceptibles d'offrir des débouchés à des productions françaises. Une telle base pourrait être gérée par l'un des membres de la TFE (Business France par exemple), qui alerterait ainsi les entreprises françaises capables d'exporter les produits ou services ainsi identifiés . Tout ce processus devrait bien évidemment être exécuté dans un cadre défini par des règles strictes définies en matière d'intelligence économique, d'éthique et de droit.

Rappel des 10 propositions de la Délégation aux Entreprises du Sénat

Propositions stratégiques :

1. Définir, via une loi d'orientation économique pour la France, une stratégie à long terme (2040 a minima ) pour établir les objectifs en matière de commerce extérieur - et de souveraineté économique - et identifier les secteurs, les compétences et les entreprises à soutenir.

2. Rénover la gouvernance du Conseil stratégique de l'export - CSE -- afin de piloter efficacement la stratégie nationale, en intégrant les objectifs du commerce extérieur dans les différentes politiques publiques ayant un impact sur la balance commerciale, et en assurant la bonne coordination entre ces politiques.

3. Renforcer la coordination entre les membres de la Team France Export -- TFE --et présenter les résultats de son action devant le Conseil stratégique de l'export rénové.

4. Mieux intégrer la question des services dans la lutte contre les délocalisations.

Propositions opérationnelles :

5. Faciliter la transmission d'entreprise et soutenir les PME et ETI pour encourager les relocalisations et réindustrialiser la France.

6. Inciter les entreprises à « chasser en meute ».

7. Organiser une campagne d'information sur les offres d'accompagnement des PME et ETI proposées par les membres de la Team France Export et rendre gratuite pour les entreprises françaises la participation aux salons internationaux.

8. Renforcer l'apprentissage des langues et les connaissances en économie, mathématiques, technologies et commerce international dans l`enseignement secondaire et supérieur.

9. Mieux identifier les risques de vulnérabilités d'approvisionnement en utilisant les données douanières européennes.

10. Définir le contenu, le cadre et les règles éthiques de constitution et de fonctionnement d'une base de données française qui permettra, avec l'intelligence artificielle, d'accompagner finement les PME françaises à l'export. Confier à l'un des acteurs de la TFE la gestion de cette base dans le respect des règles en matière d'intelligence économique.

EXAMEN EN DÉLÉGATION

La Délégation aux entreprises s'est réunie le jeudi 8 décembre 2022 pour l'examen du présent rapport.

M. Vincent Segouin, co-rapporteur . - Monsieur le président, chers collègues, nous sommes heureux de revenir vers vous pour la troisième fois pour évoquer le sujet du commerce extérieur de la France. La première présentation était un bilan d'étape et la deuxième le compte rendu de nos déplacements en Italie, en Allemagne et au Royaume-Uni. Le temps des conclusions est venu. On pourrait aisément se sentir découragé face à l'ampleur du problème ; mais cela n'est pas dans nos gènes de sénateurs et en particulier à la Délégation aux entreprises.

La question du commerce extérieur et du déficit de la balance commerciale en particulier pourrait paraître insurmontable tant l'évolution de la situation française est catastrophique.

Cette situation résulte d'une erreur stratégique que fut le choix, assumé par les gouvernements successifs, de la désindustrialisation. Tous les économistes entendus nous l'ont confirmé. La Cour des comptes le rappelle également, dans un rapport publié il y a deux mois. Elle y précise que parmi les grands pays industrialisés, la France est celui qui a connu la désindustrialisation la plus marquée au cours de ces 40 dernières années. La part de l'industrie dans le PIB a diminué de 10 points depuis 1980 pour atteindre 13,5 % en 2019, contre 24,2 % en Allemagne et 19,6 % en Italie ou 15,8 % en Espagne. Le classement de ces pays selon la part de l'industrie dans le PIB est exactement celui du classement des mêmes pays par la balance commerciale. Ce phénomène de désindustrialisation s'est accompagné de nombreuses délocalisations. Les entreprises françaises se sont délocalisées pour produire moins cher, ce qui a limité la baisse du pouvoir d'achat des Français sans nécessairement conquérir des marchés locaux. Seuls 3,2 millions d'emplois industriels sont recensés en France, contre 7 millions en Allemagne. Logiquement, la diminution du nombre d'entreprises industrielles, plus portées vers l'export que les autres, a entraîné un ralentissement des exportations industrielles : entre 2002 et 2020, elles n'ont augmenté, en valeur, que de 1 % contre 3,6 % en Allemagne.

Le résultat de cette désindustrialisation vous le connaissez. Nous avions déjà évoqué les chiffres devant vous, mais il n'est pas inutile de les rappeler brièvement :

L'année 2021 a été marquée par un déficit record de 84,7 milliards d'euros, contre 64,7 milliards en 2020 et 58 milliards en 2019. Soit moins 26,7 milliards en deux ans. Cette accélération de la dégradation, que l'on pourrait imputer à la crise sanitaire, n'est malheureusement pas la première depuis 2002, dernière année où la France a connu un solde commercial positif. La dégradation se poursuit en 2021, même si elle est moins forte qu'en 2020. Elle est en partie liée à un alourdissement de 17,9 milliards d'euros de la facture énergétique qui s'explique par la hausse des prix mondiaux de l'énergie. Et à la lecture des chiffres des trois premiers trimestres de l'année 2022 qui annoncent d'ores et déjà un déficit de 149,9 milliards d'euros. Certains commentateurs estiment que « la France a touché le fond », en soulignant l'impact des importations énergétiques.

On peut souligner l'importance du déficit dans le secteur de l'énergie pour l'année 2021. Mais considérer que la balance commerciale est en majorité dégradée par le coût des importations énergétiques, c'est ignorer les maux réels de la désindustrialisation.

Les conséquences sont également désastreuses lorsque l'on se compare aux autres membres de l'Union européenne. Les chiffres d'Eurostat, dont les méthodes de calcul diffèrent de ceux des douanes françaises puisqu'ils ne prennent pas en compte les mouvements commerciaux au sein des États membres, offrent néanmoins une comparaison européenne qui nous place au dernier rang. La France est très loin derrière la Grèce, la Roumanie et l'Espagne avec 109 milliards de déficit ! Je rappelle que les trois principaux clients de la France sont l'Allemagne, l'Italie et la Belgique, ayant tous trois une balance commerciale excédentaire.

Le déficit calculé par Eurostat montre notre dépendance à l'étranger ; il n'est dès lors pas étonnant de constater que la Chine est notre deuxième fournisseur, pour 63,8  milliards d'euros, après l'Allemagne, 81,4 milliards, et avant l'Italie, 46,3 milliards. Nous l'avons vu avec la crise sanitaire, cette dépendance soulève la question de notre souveraineté, mais nous y reviendrons plus tard.

Le drame de la désindustrialisation, au-delà des chiffres, se traduit à plusieurs niveaux.

L'économiste Thomas Grjébine parlait du « cercle vicieux » entraîné par la désindustrialisation : chômage endémique, affaiblissement de l'innovation et des compétences, fragilisation de l'économie et moindre résistance de notre pays aux chocs, tels qu'une crise sanitaire.

Pour Patrick Artus, la France doit faire face à un « triptyque infernal » découlant de la désindustrialisation et constituant des obstacles à toute décision de relocalisation. Pour l'économiste, ce triptyque se caractérise par :

1- la faiblesse des compétences de la population active : l'enquête PIAAC (programme international pour l'évaluation des compétences des adultes) de l'OCDE sur les faiblesses des compétences des adultes place la France en 21 ème position sur 24 pays étudiés ;

2- les surcoûts salariaux : même si l'on a vu que l'écart avec l'Allemagne n'est plus aussi fort qu'à la fin des années 1990, on observe néanmoins un surcoût de 20 % pour le salaire horaire -- cotisations sociales incluses -- par rapport à la zone euro hors France et une multiplication par 3,7 par rapport aux pays d'Europe centrale et orientale (PECO) ;

3- Enfin, la pression fiscale pèse sur les entreprises : prise au sens large, elle représente 19 % du PIB contre 12 % dans la zone euro hors France. Il faudrait, selon Patrick Artus, une baisse des impôts de production trois fois plus importante que celle annoncée par le Gouvernement pour ramener la France au niveau des autres pays européens. Je me permets de rappeler que les aides aux entreprises représentent par ailleurs 8,4 % du PIB, ce qui fait d'ailleurs réfléchir à la cohérence et à la complexité d'un système qui taxe pour ensuite aider. La mission que notre Délégation a décidé de lancer sur la simplification est bienvenue pour appréhender cette situation.

J'ajouterais bien volontiers au « triptyque » le recours systématique à la dette, que l'économiste Jean-Marc Daniel avait résumé dans cette formule lors de notre table ronde : « Puisque nous n'arrivons pas à vendre, nous nous vendons ». Ainsi notre position extérieure nette, qui reflète l'endettement de la France vis-à-vis du reste du monde, atteint 32,3 % du PIB, se rapprochant du seuil d'alerte européen de 35 %. Ce constat nous inquiète, contrairement au Gouvernement qui se flatte d'attirer des capitaux étrangers pour racheter et investir en France.

N'oublions pas l'impact des normes franco-européennes qui, en l'absence de contrôle, ne s'appliquent pas aux importations qui concurrencent ainsi nos productions. Je pense par exemple à l'interdiction de diméthoate pour les cerises produites en France, aux exigences du bien-être animal pour nos poulets, aux normes bio s'appliquant aux bananes des Antilles françaises.

Enfin, je dois préciser que la difficulté du sujet que nous avons traité tient au fait qu'il n'y a pas de solution miracle, pas de mesure phare qui réglerait une grande partie du problème. En effet, la balance commerciale résulte de plusieurs politiques publiques trop souvent pensées en silos : fiscalité, recherche et innovation, formation et amélioration des compétences, etc. Toute approche doit donc être transversale et écosystémique.

Or, la Cour des Comptes, dont nous avons rencontré les représentants, ont confirmé ce que nous avions perçu des différentes auditions et tables rondes : la politique de soutien à l'exportation ne suit aucune stratégie, ni sectorielle ni géographique en dehors de l'Afrique ; comme la politique de relance et de réindustrialisation qui répond aux projets sans stratégie sectorielle. Rééquilibrer la balance commerciale se fera en accélérant les exportations, mais aussi en diminuant les importations.

Mme Florence Blatrix Contat, co-rapporteure . - Vincent Segouin a exposé quelques éléments sur le déficit abyssal lié à des choix stratégiques de la France ces quarante dernières années.

Nous allons voir maintenant la multitude des risques et des politiques publiques qui ont un impact sur le commerce extérieur.

En effet, la transversalité et la définition d'une stratégie sont indispensables tant les risques sont divers, impliquant de considérer l'objectif du commerce extérieur à travers le prisme de nombreuses politiques publiques. La question des services notamment permet d'illustrer cette nécessité.

Si le constat concernant la balance commerciale des biens est alarmant, il doit néanmoins être nuancé par la performance du secteur des services, dont la balance est, elle, excédentaire. Ce niveau est même très haut en 2021 avec un solde positif de 36,2 milliards d'euros. Ce chiffre est, outre le tourisme bien entendu, principalement le fait des services de transports, notamment les sociétés de transport maritime, mais également des services aux entreprises, services techniques, services professionnels, services de conseil en gestion.

Entre 2000 et 2021, les exportations de services ont augmenté de 140 % soit deux fois plus que les exportations de biens, et elles sont passées de 24 à 33 % des exportations totales. Donc la part des services augmente significativement. Par ailleurs, en 2021, les exportations de services ont représenté 25 % des crédits des transactions courantes pour la France, contre 16 % pour l'Allemagne et 13 % pour l'Italie. Dès lors, notre faiblesse en matière de biens est en partie compensée par notre excédent en matière de services. Et la place prépondérante des services dans l'économie française se perçoit également au sein des investissements à l'étranger. En effet, ils représentent 55 % du stock total d'investissements, contre 36 % pour l'industrie et le secteur manufacturier.

La question des services doit être centrale dans notre approche du commerce extérieur, tout d'abord parce que les bonnes performances des services en matière d'export compensent le très lourd déficit de la balance commerciale des biens, avec, en plus, l'excédent des revenus primaires, qui s'élevait à 81 milliards d'euros pour obtenir un solde des transactions courantes légèrement excédentaire, à hauteur de 9 milliards en 2021. Donc globalement, on peut dire que pour 2021, cela ne va pas si mal, puisque le solde de la balance des transactions courantes est excédentaire. Mais sur les 10 dernières années, il n'a été excédentaire que 2 ans et il sera à nouveau très largement déficitaire en 2022. Mais les services sont surtout essentiels parce qu'ils sont intrinsèquement liés aux biens exportés, dont ils sont souvent complémentaires. D'ailleurs, 40 % de la valeur ajoutée incorporée dans les exportations de biens est constituée en réalité de services.

Comme le rappelait Timothée Gigout Magiorani, économiste à la direction des paiements de la Banque de France, un bon nombre d'entreprises exportent à la fois des biens et des services, notamment dans le secteur industriel. Ainsi sont-elles 66 % dans le secteur pharmaceutique. Les entreprises qui exportent à la fois des biens et des services sont, en général, deux fois plus grosses que leurs concurrentes. Elles génèrent 40 % de valeur ajoutée supplémentaire et versent des salaires en moyenne 25 % plus élevés. Si la base industrielle se réduisait excessivement, bien entendu la capacité des entreprises françaises à exporter des services se réduirait, elle aussi, significativement. Donc ce n'est pas parce que nous avons un excédent en services qu'il faut négliger la balance commerciale.

Et comme l'a souligné la représentante de la direction générale du Trésor devant la délégation, la délocalisation des services représente, elle aussi, un risque, notamment avec le développement des technologies numériques. Aussi la formation, on y reviendra, est-elle essentielle, tout comme l'investissement dans les infrastructures numériques.

Or, si l'on entend souvent parler de personnes hautement qualifiées pour soutenir les projets de recherche de pointe développés en France, c'est moins vrai du plus grand nombre. Le rapport de 2020 de notre collègue Michel Canévet sur les compétences avait d'ailleurs déjà mis en évidence le niveau insuffisant de compétences disponibles, et l'impact négatif en matière de compétitivité hors-prix pour la France. En effet, les retombées de l'innovation, de la robotisation dans l'industrie sont limitées par le manque de compétences de la population active. Banque européenne d'investissement, France Stratégie, OCDE : toutes les études tirent la sonnette d'alarme sur ce sujet depuis un moment. Il constitue un véritable défi en matière de commerce extérieur. En négligeant cette politique publique de formation, nous pourrions être confrontés au phénomène de « télé migration » au profit des travailleurs des pays en développement, décrit par l'économiste Richard Baldwin. C'est pourquoi la lutte contre les délocalisations doit impérativement intégrer une stratégie relative aux services.

Un autre risque : celui de la propriété intellectuelle, notamment, en raison de notre dépendance à des data centers situés à l'étranger. On sait maintenant, après des expériences parfois douloureuses, que même si nos entreprises pensent avoir la complète propriété et maîtrise de leurs données, ce n'est pas le cas. D'ailleurs même sur les biens, le risque de dépendance est sous-estimé. Nous l'avions déjà évoqué devant vous. Nous connaissons en réalité mal nos véritables vulnérabilités en raison de l'insuffisante précision de l'origine des biens importés et comptabilisés par la direction des douanes.

Cette dimension est souvent négligée dans la réflexion relative au commerce extérieur et dans la définition des politiques publiques en France. C'est également le cas de la concurrence. Évidemment les notions de compétitivité prix et hors prix sont toujours rappelées, mais sans en tirer toutes les conséquences. C'est particulièrement vrai pour la compétitivité hors-prix qui dépend de nombreux facteurs dont l'environnement normatif, et le positionnement -- on a vu par exemple que la France a délaissé le haut de gamme dans des secteurs tels que l'automobile. Cela dépend aussi des caractéristiques des entreprises exportatrices, leur taille, leur management, et d'autres facteurs structurels tels que la qualification, les compétences ou la R&D.

Or sur tous ces aspects, nous avons le sentiment qu'il n'y a aucun pilotage stratégique pour la France. Nous évoquions tout à l'heure la question de la planification, elle nous semble essentielle. Les formations semblent toujours trop déconnectées des besoins de compétences, ce qui empêche d'ailleurs de concevoir aisément un nouveau positionnement plus haut de gamme de nombreuses productions comme en Allemagne par exemple. Nos collègues ont également montré dans leur rapport sur la transmission d'entreprise que nous manquons cruellement d'ETI, en majorité familiales, et que le cadre fiscal et législatif, au lieu de faciliter le développement de ces « championnes » à l'export, les contraint. Sur ce point, nous avons constaté, lors de nos déplacements, une différence essentielle avec l'Allemagne et l'Italie, qui explique en partie notre faiblesse du commerce extérieur. Les tentations sont même grandes de remettre en cause les dispositifs les soutenant, alors que les seules 5 400 ETI françaises représentent, quand même, 34 % de nos exportations ! Par ailleurs, la Cour des comptes l'a souligné, il semble exister une obsession française pour le nombre d'entreprises qui exportent. On se focalise sur le nombre d'entreprises exportatrices, quitte à aider en priorité des petites entreprises primo-exportatrices lesquelles, en réalité, n'ont pas un potentiel important. Nous devrions plutôt nous focaliser sur l'accompagnement des entreprises qui peuvent réaliser des chiffres d'affaires importants à l'étranger. En outre, le modèle économique de Business France pousse ses personnels à passer plus de temps à des missions commerciales payantes, comme les VIE (Volontariat international en entreprise) -- qui représentent une partie importante des recettes de Business France -- plutôt que de privilégier le conseil gratuit au profit des entreprises les mieux armées pour s'internationaliser. Or, on le voit bien, ce n'est pas un modèle gagnant comme nous l'avons constaté en Italie. L'agence homologue de Business France, ICE, propose des accompagnements gratuits, comme par exemple la participation non payante à des salons à l'étranger. Bref, le constat est celui d'un accompagnement des PME et des ETI ne suivant aucune logique, aucune stratégie réellement favorable au commerce extérieur sur le long terme.

Autre sujet négligé, la concurrence avec les entreprises des pays tiers ne semble pas non plus être un sujet pour les acheteurs publics qui privilégient trop souvent le moins disant, au détriment de nos entreprises françaises, alors que le ministère de l'Économie et des Finances a rappelé que le droit de la commande publique permettait l'utilisation de critères de choix des offres tels que le développement des approvisionnements directs, les performances en matière de protection de l'environnement, notamment l'impact écologique du transport des fournitures ou des personnels, ou encore les délais d'intervention d'un prestataire s'il est justifié par l'objet du marché public. Nos voisins européens, eux, n'hésitent pas à soutenir leurs entreprises nationales.

Enfin, la concurrence internationale ne nous a pas semblé suffisamment anticipée et prise en compte dans l'évaluation nationale de l'impact des décisions européennes. Le récent rapport que nous avons présenté avec nos collègues Martine Berthet et Jacques Le Nay a montré que les obligations de reporting en matière de RSE vont peser davantage sur les PME et ETI européennes. En outre, l'Union européenne n'utilise presque pas les instruments de défense commerciale, alors que les États-Unis y ont massivement recours. Nous avons souvent l'impression que l'Europe se tire une balle dans le pied et ne pose jamais, ou en tout cas très insuffisamment, les conditions de la réciprocité avec les États tiers.

Vous l'aurez compris, nous sommes encore loin de la prise de conscience de l'impact de nos décisions en matière de compétitivité hors-prix. Et cela se ressent dans l'accompagnement des PME et ETI à l'internationalisation.

M. Jean Hingray, co-rapporteur . - Florence Blatrix Contat et Vincent Segouin l'ont rappelé, à travers leurs deux interventions, il n'y a pas de solution miracle, mais une nouvelle stratégie à définir.

S'il n'y a pas de solution miracle pour redresser la balance commerciale et rendre nos PME et ETI plus compétitives, nous estimons que nous avons, collectivement, l'obligation de définir et mettre en oeuvre une véritable stratégie pour le commerce extérieur de la France.

C'est le fil conducteur de nos 10 propositions qui s'articulent autour d'objectifs stratégiques et d'objectifs opérationnels.

Tout d'abord, je tiens à rappeler que le Conseil stratégique de l'export, CSE, et la Team France Export, TFE, existent et constituent un indéniable progrès depuis la réforme issue de la stratégie dite « de Roubaix », présentée en 2018. Cependant, il ressort de nos auditions une carence de stratégie à long terme pour la France, et le besoin de renforcer la gouvernance de la Team France Export, ce que confirme l'analyse récente de la Cour des comptes.

Aussi notre proposition n° 1 vise-t-elle à définir une stratégie à long terme du commerce extérieur de la France, a minima, jusqu'à 2040, pour en définir les objectifs - notamment en matière de souveraineté économique - en identifiant les secteurs et compétences clés à soutenir. La définition de cette stratégie relève à la fois du Gouvernement et du Parlement ; elle pourrait s'appuyer sur une loi d'orientation économique pour la France. Mes collègues viennent de démontrer les terribles conséquences de choix stratégiques passés, ainsi que l'absolue nécessité de penser le commerce extérieur de manière écosystémique. Les pouvoirs exécutif et législatif doivent aujourd'hui assumer le rôle éminemment politique d'orientation de la politique globale du commerce extérieur, qui concerne tant les importations que les exportations.

La proposition n° 2 vise à rénover la gouvernance du Conseil stratégique de l'export, afin de piloter efficacement la stratégie nationale définie préalablement en intégrant les objectifs du commerce extérieur dans les différentes politiques publiques ayant un impact sur la balance des biens et des services tout en assurant la bonne coordination entre ces politiques. Le CSE ainsi rénové devrait sortir de l'enceinte de Business France dont il sert à conseiller le conseil d'administration, et devenir une instance à vocation interministérielle, en plus d'être multisectoriel, et coordonner les acteurs publics et privés. La proposition de résolution que nous proposerons pourra recommander au Gouvernement de demander un rapport annuel à la Cour des comptes sur la balance commerciale de la France, avec un suivi non seulement des exportations mais également des importations.

Déclinaison logique des précédentes propositions, la troisième d'entre elles concerne la Team France Export, qui doit traduire les orientations stratégiques sur le terrain et auprès des TPE, PME et ETI ayant un réel potentiel à l'international. Faisant écho aux recommandations de la Cour des comptes, nous estimons que l'unité d'action entre les différentes composantes de la TFE doit être renforcée et les résultats de son action dans les territoires, formellement présentés devant le Conseil stratégique de l'export.

Quatrième et dernière recommandation relevant des objectifs stratégiques, la proposition n° 4 vise à mieux intégrer la question des services dans la lutte contre les délocalisations. Cette proposition pourrait sembler redondante avec les précédentes, dans la mesure où elle devrait en tout logique en découler. Cependant, la leçon de l'erreur stratégique de la désindustrialisation nous pousse à insister sur la dimension des services, qui constitue aujourd'hui un atout pour la France, mais également un risque non négligeable si rien n'est fait pour en préserver la force. Cet objectif met donc l'accent sur les questions de formation, de compétences, et d'infrastructures numériques dans les territoires, comme outils de lutte contre les délocalisations.

Je passe maintenant aux objectifs opérationnels. La proposition n° 5 concerne les relocalisations et la réindustrialisation de la France, en facilitant la transmission d'entreprise et en soutenant les PME et ETI. Elle s'inscrit dans la suite logique du rapport de nos collègues Michel Canévet, Rémi Cardon et Olivier Rietmann, et serait notamment mise en oeuvre à travers la proposition de loi qui reprendra toutes les propositions.

La proposition n° 6 vise à inciter les entreprises à « chasser en meute », puisque nous retenons de nos déplacements qu'il s'agit de l'une des grandes faiblesses de la culture française dans la conquête des marchés étrangers. Cette incitation peut s'appuyer sur une fiscalité ciblée et / ou la valorisation d'un label Made in France spécifique à l'export.

La proposition n° 7 a pour objectif d'organiser une campagne d'information sur les offres d'accompagnement des PME et ETI proposées par la Team France Export. Il s'agit également de s'inspirer de l'exemple italien en rendant gratuite la participation à des salons internationaux pour les entreprises françaises.

Parce que nous ne répéterons jamais assez l'importance des compétences en matière de compétitivité hors-prix, la proposition n° 8 vise à renforcer l'apprentissage des langues et les connaissances en économie, mathématiques, technologies ainsi qu'en matière de commerce international dans l'enseignement secondaire et dans l'enseignement supérieur.

La proposition n° 9 vise les vulnérabilités d'approvisionnement, qu'il s'agit de mieux identifier grâce aux données douanières que la Commission européenne pourrait mettre à disposition de la France.

Enfin, la proposition n° 10 vise à définir le contenu, le cadre et les règles éthiques de la constitution de fonctionnement d'une base de données française qui permettra, avec l'intelligence artificielle, d'accompagner finement les PME françaises à l'export. Une telle base serait constituée de données publiques, en open data , de données payantes, avec des études de cabinets notamment, des données des entreprises elles-mêmes, mais aussi des informations des réseaux sociaux dont l'activité pourrait être étudiée, via l'intelligence artificielle, et mise à profit pour orienter utilement les entreprises vers les marchés à l'export en quasi temps réel. Cette proposition fait à la fois écho au projet de base de données en cours de réalisation au ministère du commerce international britannique mais aussi aux travaux récents de la Cour des comptes, qui regrette le manque de partage d'informations utiles entre les membres de la Team France Export. La gestion de cette base pourra être confiée à un membre de la TFE dans le respect des règles en matière d'intelligence économique.

Voilà chers collègues le fruit de nos travaux qui, nous l'espérons, permettront au Sénat de mieux prendre en compte toutes les composantes du commerce extérieur. Nous proposons d'ailleurs d'assurer un suivi informel de ce sujet au long cours. Nous vous remercions pour votre écoute et votre patience.

À l'issue de la présentation, le débat suivant s'est engagé :

M. Serge Babary, président. - Bravo. Merci beaucoup, Madame, Messieurs les Rapporteurs, pour ce travail de grande qualité, très intéressant, et qui je pense a été apprécié par nos collègues. Il y aura une suite assez rapide puisque nous avons fait une demande d'inscription pour un débat en séance publique sur ce sujet en février. Je vous annonce par la même occasion que nous avons également demandé de débat en séance pour janvier, sur le thème de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE). Cela nous permettra d'assurer un suivi de nos travaux et que ce ne soit pas simplement des travaux de grande qualité, comme vous l'avez constaté, mais qui resteraient sans suites. Par ailleurs, nous allons essayer de rencontrer le ministre du Commerce extérieur, pour lui présenter les différents points que Jean Hingray vient de d'égrainer, et qui sont les propositions de nos rapporteurs. Il y a-t-il des questions ?

M. Michel Canévet, sénateur . - Je tiens à remercier vivement les trois rapporteurs et l'équipe de la délégation aux entreprises pour la qualité du travail qui vient d'être présenté sur un sujet d'actualité extrêmement important et préoccupant. Comme cela a été dit par mes collègues, nous arrivons à un niveau de déficit de la balance commerciale française tout à fait exceptionnel, et je crois qu'il convient de bien en identifier les raisons. Ils l'ont fait bien sûr, avec tact et compétences, mais ce que je voudrais leur demander, tout d'abord, concerne le déficit : si l'on en extrait les questions énergétiques, dont on voit bien qu'elles sont conjoncturelles, a-t-on pu identifier l'origine géographique essentielle des raisons de notre déficit s'agissant des importations ? Sait-on d'où viennent essentiellement les marchandises qui contribuent à ce déficit important de la balance commerciale française ? C'est mon premier point.

Ensuite, les rapporteurs ont évoqué la question du Conseil stratégique à l'export. Je suis allé au salon nautique mardi soir et j''ai visité le groupe Beneteau, premier opérateur mondial en matière de plaisance. Il représente 10 000 emplois, avec son siège en Vendée, et 85 % de sa production part à l'export. Cela veut dire qu'il y a quand même des entreprises qui sont compétentes. De même, il y a quelques années, nous étions allés à Cognac avec la délégation aux entreprises, pour constater que 97 % de la production de cognac en France était exportée, ce qui est tout à fait extraordinaire et contribue donc à l'amélioration des chiffres de la balance commerciale.

Avons-nous une idée claire du travail réalisé par ces conseillers stratégiques auprès de la DGE, donc à Bercy ? Existe-t-il bien un lien entre le Conseil stratégique à l'export et les conseils stratégiques par filière ? Il y a aussi un autre dispositif qui existe dans notre pays, qui s'appelle les conseillers du commerce extérieur, est-ce que ce dispositif est efficace ? Ce dispositif existe depuis longtemps, mais est-ce que nos rapporteurs considèrent qu'il produit effectivement des résultats intéressants ?

De plus, ils ont fort opportunément évoqué l'idée de l'identification des approvisionnements pour nos entreprises. Je sais qu'en Bretagne, par exemple, le Conseil régional a mené une étude intitulée « Reloc en Bretagne », pour essayer d'identifier tout ce qui vient de l'extérieur de la Bretagne et qui pourrait être éventuellement réinternalisé en faisant appel aux entreprises ou en créant des activités localement.

M. Vincent Segouin, co-rapporteur . - Pour répondre à la première question, quels sont les secteurs en déficit et quels sont ceux en excédent ? Vous le verrez dans le rapport, l'énergie représente 43 milliards d'euros de notre déficit total en 2021. Hors énergie, nous sommes les grands perdants sur le matériel de transport, le textile, l'habillement, l'automobile, les autres biens d'équipement, les produits informatiques, électroniques et puis les autres produits industriels et divers. Là où nous sommes excédentaires pour 2,6 milliards d'euros, c'est la pharmacie -- peut-être pas pour très longtemps -- et les produits agricoles et agroalimentaires. Dans le cadre de mes travaux à la commission des Finances, j'ai travaillé sur le sujet des produits agricoles et agroalimentaires et, encore récemment, cet excédent était porté par les vins et spiritueux. Cependant, pour l'ensemble des autres marchés nous étions perdants et l'excédent était en baisse constante. Pour le reste des secteurs excédentaires, il s'agit de la chimie, des parfums et cosmétiques, puis de l'aéronautique et du spatial. Nous avons vraiment perdu de grands secteurs de l'industrie.

Mme Florence Blatrix Contat, co-rapporteure . - Pour compléter sur le déficit par pays, nous avons bien entendu un déficit avec la Chine, ce qui est bien connu, mais, y compris au sein de l'Union européenne avec nos principaux partenaires, nous avons un déficit : il est de 13 milliards d'euros avec l'Allemagne, 7 milliards avec l'Italie, 8 milliards avec la Belgique. Nous avons également un déficit avec l'Espagne. En somme, nous avons aussi, avec nos partenaires européens, des déficits que nous n'avions pas avant, et qui se sont creusés. Et pour compléter ce que disait Vincent Segouin, nous sommes spécialisés dans le luxe, dans l'aéronautique mais aussi dans la pharmacie, une spécialité que nous avons perdue, et nous ne parvenons pas à recréer de nouvelles spécialités. Pourtant, tout l'enjeu est d'en créer dans les secteurs d'avenir. Comment construire des spécialités dans ces secteurs ? Nous avons déjà pris beaucoup de retard dans le numérique par exemple, avec beaucoup de nos start-up françaises qui sont rachetées par des entreprises américaines. Il nous faut donc nous projeter aussi sur les secteurs d'avenir et savoir reconstruire des spécialités, des formes de compétitivité, et je crois que c'est cela que nous avons le plus perdu. Finalement, par rapport à d'autres pays, nos spécialités sont moins porteuses. Nous avons mal su les conserver et aujourd'hui, nous sommes un peu incapables d'en construire de nouvelles. Il y a donc un vrai enjeu sur la construction de nouveaux avantages comparatifs avec de nouvelles spécialités.

M. Vincent Segouin, co-rapporteur . - Sur la question des conseillers à l'export, nous sommes un peu dubitatifs, voire pessimistes, parce qu'il est vrai qu'il s'agit là davantage d'une action verticale par branche et par secteur géographique, qu'une action transversale avec une véritable stratégie. C'est cela que nous voulions surtout souligner dans nos propos. Une des personnes auditionnées nous a dit que sur un ou deux secteurs cela marchait plutôt bien, mais sur le reste, notre avis est plutôt pessimiste, dubitatif, voire négatif.

M. Serge Babary, président. - Je peux compléter sur le Conseil stratégique à l'export. J'ai assisté, le 14 juin dernier, à un tel Conseil, à la demande de la Délégation. J'y ai indiqué que nous faisions un travail sur le commerce extérieur. Mon témoignage est également assez pessimiste pour ce genre d'instance puisqu'en réalité -- c'était Franck Riester qui était ministre à l'époque -- il y avait une quarantaine de personnes autour de la table, et la réunion s'est limitée à un tour de table individuel où chacun a indiqué où il en était, ce qu'il faisait, etc. Il faut avoir en tête qu'aujourd'hui la stratégie, s'il y en a une, c'est ce que souhaite, veut ou décide le ministre. Il n'y a rien d'autre. Le roi est nu. Nous avons, depuis, un nouveau ministre. Pour ceux qui ne connaissent pas son nom, il s'agit de M. Olivier Becht. Nous l'avons récemment entendu mais ne l'avions pas rencontré jusqu'alors. Dès lors je vous propose que nous allions lui présenter notre rapport. En résumé, pour la stratégie, en effet, il faut que la proposition n° 2 du rapport s'applique, c'est-à-dire qu'il y ait une vraie stratégie, que ce ne soit pas uniquement l'idée d'un ministre et que tout s'arrête quand le ministre s'en va. Je ne sais pas du tout quelle est la stratégie du commerce extérieur de la France, et il serait intéressant de le demander à M. Olivier Becht.

M. Vincent Segouin, co-rapporteur . - Pour compléter les propos du président, je pense qu'il nous faudrait aussi aller voir le ministre de l'Économie, Bruno Le Maire, parce que vous l'avez bien compris, nous avons un problème à l'extérieur, mais aussi et surtout un problème à l'intérieur. Je rebondis sur la question de Michel Canévet sur l'initiative « Reloc en Bretagne » : heureusement que les régions lancent des initiatives pour relocaliser ! Selon moi, l'avantage des régions, et la Bretagne est un modèle sur le sujet, c'est qu'elles s'intéressent aux entreprises. En Normandie aussi, on s'intéresse aux entreprises en particulier à celles qui vont être rentables en dépit des normes et aux contraintes franco-françaises. En effet, relocaliser une entreprise ayant une faible marge, qui va être handicapée, ce n'est pas soutenable. On sait pertinemment que produire en France coûte plus cher, donc il faut une plus-value dans le produit, que l'on puisse reporter le coût supérieur, et donc, forcément on privilégie des produits qui peuvent avoir de la marge. J'ai beaucoup de craintes pour la relocalisation de produits à faible marge. J'évoque les masques anti-covid, qui ont coûté beaucoup d'argent public. On se réjouissait de la relocalisation, sans connaître son caractère pérenne. L'utilisation de l'argent public en France est une catastrophe sans nom ! Le second point c'est l'administration française. On l'a bien vu par rapport aux pays visités, notre administration cherche à punir nos entreprises, plutôt qu'à les aider à conquérir d'autres marchés. Cette attitude n'existe nulle part ailleurs qu'en France.

Mme Florence Blatrix Contat, co-rapporteure . - Je voudrais revenir sur la question des régions. Certes, les régions peuvent jouer un rôle intéressant, mais il faut en entrevoir les limites. On ne peut pas comparer, en termes de moyens, de force de frappe, nos régions françaises avec les Länder allemands. Nos régions disposent de budgets très limités et leurs interventions en termes économiques sont très faibles par rapport à l'intervention que peut avoir l'État. C'est la limite de leur intervention.

M. Vincent Segouin, co-rapporteur . - Je vous rejoins sur cette limite à l'intervention des régions. Ce que je voulais dire, c'est que les régions créent un sens, montrent une direction, que l'État devrait suivre. Si l'on veut regagner la conquête de l'électronique, il faut que ce soit porté par les régions, et que l'État soit derrière pour porter des projets de grande envergure. Mais aujourd'hui, on ne le ressent pas, l'État est là pour distribuer de l'argent plus qu'autre chose.

M. Daniel Laurent, sénateur . - Je souhaiterais juste confirmer ce que disent Vincent Segouin comme l'ensemble des rapporteurs. C'est un constat que nous faisons au niveau local également. Nous avons parlé des produits d'exportation qui sont excédentaires, comme l'aéronautique, les vins et spiritueux, les produits pharmaceutiques, etc. mais ce ne sont que des produits de luxe avec des marges importantes, très importantes ! Donc je ne vois pas comment nous allons nous en sortir, avec les charges, les normes et les difficultés administratives qui contraignent les entreprises. J'ai fondé une entreprise, que ma famille dirige encore aujourd'hui, et nous constatons ces contraintes tous les jours. C'est de plus en plus difficile. Il est certain que de plus en plus d'entreprises vont tomber, car elles n'y arrivent plus. Je peux aussi vous donner l'exemple des entreprises de construction navale à La Rochelle, qui ont des carnets de commandes très fournis. Il n'y a donc que les produits de luxe qui arrivent à tirer leur épingle du jeu. Mais dans tous les autres secteurs, nous voyons bien un déficit prégnant, qui se creuse de plus en plus.

M. Jean-Pierre Moga, sénateur . - Je souhaiterais remercier mes collègues pour cet excellent rapport, et je partage également ce qui a été dit par Vincent Segouin. Premièrement, pour pouvoir exporter, il faut fabriquer. Si nous ne fabriquons rien, nous n'exporterons rien. Nous avons externalisé pendant des années -- et pas par hasard ! -- car fabriquer en France c'est le parcours du combattant. Relocaliser, c'est difficile. Il faut trois à quatre ans pour construire une usine en France, avec les déclarations, les permis, les études d'impact, etc. nous sommes l'un des pays où cela demande le plus de temps. À l'inverse, partout dans le monde, on construit beaucoup plus vite. Dans l'entreprise dans laquelle je travaillais, nous avions voulu mettre en place un processus industriel américain, et nous nous étions heurtés aux normes françaises. Je suis certain que les américains ont des normes tout à fait acceptables, pourtant, il a fallu un ou deux ans pour que nous puissions mettre en place ce processus, car nous avons été contraints d'en changer de nombreuses sections pour nous conformer aux strictes normes françaises.

Ensuite, je souhaiterais rappeler qu'il y a certaines choses que nous ne faisons plus du tout en France. Hier, à l'occasion d'une rencontre autour de l'art de la table, nous évoquions l'argenterie. À cause du risque de migration des métaux lourds, nous ne fabriquons plus d'argenterie en France, et en plus nous n'avons plus de chromeurs. Dès lors, nous faisons chromer nos produits hors de France, dans des pays sans normes où les effluents sont contaminés aux métaux lourds et se jettent ensuite dans les fleuves. Nous pourrions avoir en France des normes qui permettent de limiter ce type de pollution, pour permettre à cette industrie de se relancer, mais pour cela il faudrait aller beaucoup plus vite sur le plan administratif. Il nous faut des normes bien sûr, mais il faut qu'elles soient acceptables et qu'elles permettent de maintenir une qualité convenable de fabrication, et de l'environnement.

Aussi, je souhaiterais rappeler, comme cela a été mentionné par mon collègue, le problème des charges. Nous sommes le pays champion du monde du montant des charges appliquées aux salaires, et cela aussi fait obstacle à la revitalisation de certaines activités.

Enfin, nous avons parlé de la production de produits pharmaceutiques qui contribue aux exportations, mais pour une usine chimique classée SEVESO, il devient difficile de trouver un endroit où s'implanter rapidement.

Tous ces obstacles rendent les choses très difficiles et votre rapport le souligne.

Mme Martine Berthet, sénatrice . - Je m'associe aux remerciements de mes collègues. C'est un rapport très intéressant qui établit bien l'impact de ce déficit crucial pour notre économie. C'est un rapport qui relie différents sujets que nous avons traités ou que nous allons traiter au sein de la Délégation aux entreprises, tout débouche sur le déficit de notre commerce extérieur, et cela rappelle l'importance des travaux menés dans le cadre de la Délégation.

Sur les propositions du rapport, elles sont toutes intéressantes mais je souhaiterais revenir sur la proposition n°6, « Inciter les entreprises à chasser en meute ». Je souhaiterais donner l'exemple du cluster Montagne qui existe en Savoie et se déplace « en meute », avec des entreprises spécialisée dans la technologie et d'autres dans les services. S'il y a des Jeux Olympiques d'hiver, elles vont s'y rendre ensemble pour évaluer ce qu'il est nécessaire de créer et d'installer pour le bon déroulement de ces Jeux, et permettre à l'ensemble des entreprises du cluster de tisser des liens avec des partenaires, ce qui leur donne beaucoup de force à l'export.

J'ai aussi une remarque sur la question du matériel. Avec le groupe d'études « Métiers d'art », nous sommes allés dans le Gard à la rencontre d'entrepreneurs qui veulent recréer des filatures -- notamment pour la fabrication de bas collants qui était une force en France -- mais ils sont confrontés à des difficultés de matériel. Il est très difficile de retrouver le matériel nécessaire à la filature, car ces filières n'existent presque plus en France. Il faut donc retrouver de l'ingénierie, il faut re-fabriquer ce que nous avons perdu, car nous avons tout laissé partir.

M. Daniel Salmon, sénateur . - Merci pour ce rapport très éclairant. La situation est en effet assez dramatique depuis plusieurs décennies. Cependant, nous ne devons pas succomber à la tentation d'imputer ce résultat à notre société qui serait trop normative. Il y a sans doute des normes à revoir, mais au-delà des normes, ce qui pose surtout problème c'est l'absence de clauses miroirs. Effectivement, ce que l'on s'impose nous-même, nous devons l'imposer et empêcher l'importation de produits étrangers qui n'ont pas respecté ces normes. Je pense surtout aux normes environnementales, mais également aux normes sociales. Je pense donc qu'il nous faut être vigilants à ce propos, et rester armés face aux défis de protection de la biodiversité et de lutte contre le réchauffement climatique.

Pour revenir sur le déficit de notre balance commerciale, il faut exporter, oui, mais pas à n'importe quel prix. L'une des solutions pour réduire ce déséquilibre est de reconquérir le marché intérieur et limiter les importations. Cela me semble essentiel.

Sur la question de la valeur ajoutée, je pense également qu'il n'est pas forcément utile de se focaliser sur cette question, mais plutôt se poser la question de la souveraineté. Pour reprendre l'exemple des masques, ce n'était pas par hasard. Nous nous sommes retrouvés prisonniers de nos importations étrangères de masques. Il me paraît donc important d'inclure également des produits à faible valeur ajoutée, s'ils répondent à des questions de souveraineté, comme c'était le cas des masques. Mais dans ce cas, il faut assurer la commande publique. Or, on s'aperçoit que nos hôpitaux n'achètent pas forcément les masques qui sont produits dans des usines françaises que l'on a relocalisées à grand coup d'argent public. On parle souvent de patriotisme mais il semble souvent absent sur ces questions. On ne peut pas se contenter de gagner deux ou trois centimes sur un masque et faire couler les entreprises locales. Il y a donc un certain nombre de points à revoir en gardant en tête l'idée de conserver notre modèle. En revanche, nous perdons des marchés face à d'autres pays européens. Cette question m'interroge davantage car nous devrions avoir à peu près le même cadre normatif au sein de l'Europe.

M. Vincent Segouin, co-rapporteur . - J'aime bien la formule de Daniel Laurent « On vit dans le luxe », et je la partage à 200 %.

Pour répondre à Jean-Pierre Moga, oui, le temps pour construire en France est démesuré. Cela rejoint notre constat d'une administration qui n'est pas partenaire des entreprises.

Je suis mille fois d'accord avec la remarque de Daniel Salmon sur l'application des clauses miroirs. Dans mon rapport dans le cadre des travaux de la commission des Finances, nous faisions remarquer que nous augmentons les effectifs pour contrôler le respect des normes françaises dans les productions agricoles, pour les produits français, sans voir ni contrôler si les mêmes normes sont appliquées sur les produits importés. L'exemple le plus flagrant est le cas du diméthoate , qui a été interdit en France. Pour les agriculteurs, cela signifie une production de cerises qui peut varier de 100 à 20 : jamais un jeune ne s'installera avec des conditions pareilles ! Le consommateur veut de la cerise sans diméthoate pour la protection de la santé publique. Mais pendant ce temps-là, on importe des cerises de Turquie qui contiennent du diméthoate, sans même vérifier s'il y a des résidus, des traces ou pas. Les pays s'entretuent. Ni plus ni moins. Donc pour l'application des clauses miroirs, je suis mille fois d'accord.

Sur la souveraineté, l'argent public prélevé sur des entreprises ultra bénéficiaires doit soutenir des entreprises qui ne trouvent pas forcément de rentabilité. C'est le cas par exemple de l'agriculture : on apporte des aides pour maintenir notre agriculture car on en a besoin pour assurer notre sécurité alimentaire en cas de problème climatique dans le monde. On ne veut pas vivre que des importations. Je n'ai aucun problème avec ce constat, et je considère que c'est de la bonne utilisation de l'argent public. En revanche, taxer fortement les entreprises pour ensuite saupoudrer l'argent public et distribuer des chèques, je trouve cela ridicule et je pense qu'il faut arrêter cette gabegie. Choisissons les bonnes entreprises, assumons d'apporter du soutien à des entreprises parce qu'elles nous assurent la sécurité ou l'alimentation.

Mme Florence Blatrix Contat, co-rapporteure . - Pour répondre à Daniel Salmon sur les clauses miroirs, nous partageons tous la nécessité de réduire les dépendances également. L'économie mondiale doit aussi réduire sa dépendance au commerce extérieur. Il faut se mettre dans la perspective du changement climatique qui va imposer de réduire les transports individuels, nécessiter de travailler sur des relocalisations, et nous interroger sur le fait de vouloir toujours plus de commerce extérieur ou non. Ce sont des questions qu'il faudra poser aujourd'hui, car dans dix ans, quand on payera le vrai prix du transport, avec le vrai prix du carbone, cela creusera notre déficit commercial. Notre stratégie, indispensable, doit également être décidée à l'aune de ces nouvelles données, qu'il ne faut pas négliger, ce qui nécessitera d'ailleurs des investigations complémentaires de la part de notre Délégation.

Mme Marie-Christine Chauvin, sénateur . - Un grand merci aux rapporteurs pour la qualité de leur rapport, qui n'est pas rassurant, car il met le doigt sur des choses certes douloureuses mais devant être soulignées. Je souhaiterais insister sur le fait que l'État ne doit pas se désengager des régions, au risque de créer de grandes disparités entre elles. Je ne parle pas uniquement des choix politiques, mais surtout des capacités financières des régions, qui sont très différentes. Je vais prendre deux régions proches, et que je connais bien : la Bourgogne-France-Comté, où les moyens sont vraiment réduits, et la région Rhône-Alpes où les moyens sont énormes. Il n'y a qu'un kilomètre à franchir mais cela peut-être très différent pour une entreprise d'être d'un côté ou de l'autre. Alors non, l'État n'a pas le droit de se désengager totalement des régions.

Je souhaiterais également revenir sur les freins à l'installation. Nous avons déjà évoqué les normes, les lourdeurs administratives qui prennent beaucoup de temps, mais je souhaiterais mentionner l'acceptation des contraintes d'une activité économique. En effet, si l'on relocalise, et Jean-Pierre Moga en a parlé en creux, il faut accepter qu'une usine, parfois, s'installe avec certaines nuisances, du bruit, parfois du trafic de camions. Aujourd'hui cela n'est plus possible pour certaines personnes. Pour ceux de mes collègues qui viendront en déplacement dans le Jura, vous verrez dans le bourg où vous serez ce soir, il n'y a pas d'usine. Or, il y a une usine de fabrication de pellets qui souhaiterait s'installer, ce qui représenterait 35 emplois, dans la zone artisanale donc pas directement en centre-ville. Mais quelques voisins s'y sont opposés en raison du passage de camions. Je crois que si l'on veut relocaliser, si on veut de l'emploi, certes cela fera de la circulation, mais cela fera aussi de la vie. Le jour où nous n'aurons plus de bruit, plus d'odeurs, plus de circulation, et bien il n'y aura plus de vie, et cela il faut oser le souligner.

M. Gilbert-Luc Devinaz, sénateur . - Je souhaiterais à mon tour vous remercier pour votre rapport que je trouve fort éclairant et fort intéressant. Je pense que l'on paye une situation qui part de loin. Lorsque j'étais en quatrième, le professeur de géographie nous expliquait comment allait se développer l'industrie sur le territoire national, et que nous allions garder l'ingénierie en France et développer des usines, non pas en Chine comme aujourd'hui, mais en Afrique et en Afrique du Nord. Il concluait en disant qu'il fallait qu'on travaille bien à l'école, pas pour faire Sciences Po, mais plutôt une école d'ingénieur. Je pense que cela s'est mis effectivement en place et qu'on le paye fortement aujourd'hui. Je souhaiterais appuyer ce qu'a dit Vincent Segouin : si l'État accorde des aides à des entreprises, il faut contrôler ces aides. On est en droit d'attendre un « retour sur investissement » et de chercher à comprendre pourquoi quand il n'y a pas.

Mme Florence Blatrix Contat, co-rapporteure . - Pour compléter, je souhaiterais revenir sur une proposition que nous avons peut-être un peu moins développée, et qui concerne la dimension pédagogique, le fait de renforcer l'acculturation à l'économie. En effet, en dehors des élèves des cursus en économie, il y a peu d'enseignement de l'économie, sous toutes ses formes : l'économie traditionnelle, l'économie sociale et solidaire qui a un autre rôle à jouer. Globalement, cet enseignement est à renforcer. L'enseignement des langues aussi doit être priorisé, car dans certaines auditions cela revenait parmi nos faiblesses. Lors de nos déplacements à l'étranger, nous avons rencontré beaucoup de francophones, mais je ne suis pas certaine que l'inverse soit vrai. De même, il faudra mettre l'accent sur certains enseignements clés pour notre compétitivité à l'avenir. Nous sommes très inquiets face à la baisse du niveau en mathématiques, face au fait que de moins en moins d'élèves choisissent ces spécialités, face à la chute du nombre de filles parmi ces élèves. Cela concerne également le numérique. La dimension éducative est donc primordiale, à travers la culture à l'économie mais aussi dans l'orientation, qui doit évoluer pour orienter les élèves vers les métiers de demain. C'est une dimension essentielle qu'il ne faut pas négliger et que nous avions assez peu évoquée jusqu'à maintenant dans nos échanges.

M. Vincent Segouin, co-rapporteur . - Il faudrait également renforcer l'apprentissage de la finance. Cela rejoint la question de l'acceptation par la population soulevée par Marie-Christine Chauvin. Aujourd'hui on hésite entre confort et inconfort, on met en balance les nuisances et l'absence de nuisance, et on choisira plutôt « pas de nuisance », sans penser qu'elles accompagnent l'emploi. Nous avons une civilisation qui va de plus en plus vers l'entre soi, vers l'égoïsme. Cela est mortifère et il faut à tout prix inverser cette tendance. Il faut que l'on comprenne que si on installe une entreprise, c'est de l'emploi. S'il y a de l'emploi, ce seront des enfants à scolariser et une vie économique.

Je souhaiterais rebondir sur ce qu'a dit Gilbert-Luc Devinaz. En effet, tout ça vient de loin. C'est vrai qu'à une certaine période on annonçait aux enfants qu'on allait délocaliser les ateliers. Le Royaume-Uni assume complètement ce choix stratégique. Les Britanniques estiment -- je caricature peu -- qu'ils sont un pays civilisé, disposant de matière grise, et qu'il faut profiter d'avoir des relations commerciales étroites avec certains pays qui peuvent un travail manuel et polluant, pour délocaliser ces activités chez eux et produire moins cher. C'est clairement assumé a transparu de nos échanges à l'occasion de notre déplacement à Londres. En France aussi on a suivi cette stratégie, mais sans vraiment l'assumer, ce qui est encore pire. On a transféré une partie des activités en conservant la recherche, mais aussi les entreprises produisant une forte valeur ajoutée. Mais on n'assume pas clairement nos choix. Si on en est là, c'est à cause de cette horrible stratégie. Il nous faut à tout prix rebondir et inverser le curseur. Investir de l'argent public d'accord, mais pour quel résultat ? Presque tous les membres de notre Délégation viennent du monde de l'entreprise ; lorsqu'on investit c'est pour obtenir un résultat. Or, on investit de l'argent public sans savoir, sans vérifier les résultats. Arrêtons ! Il faut des indicateurs. J'ai été choqué d'entendre ce matin que des agences de cotation françaises allaient être rachetées par des sociétés américaines. Pourquoi l'État n'empêche-t-il pas cela ?

M. Jean Hingray, co-rapporteur . - Pour finir sur une note optimiste, ces dernières interventions me font penser à un vosgien célèbre qui était président sous la IIIe République. Je pense qu'il faudrait remettre au goût du jour et à l'honneur Jules Méline, ancien ministre de l'agriculture, qui avait, à l'époque où la France avait fait des choix stratégiques en défaveur de nos agriculteurs, mis en place des barrières douanières pour aider nos agriculteurs. Nous serions bien à même d'être éclairés par cet exemple où, à une période en France où notre agriculture était au bord du gouffre, il y a un homme qui a relevé la situation, et cela devrait nous servir d'exemple pour faire la même chose pour l'industrie.

M. Serge Babary, président. - Merci pour cet échange qui montre l'intérêt de chacun pour ces sujets qui sont considérables : il y va, en réalité, de l'avenir de notre économie, de la place de notre pays dans le monde et de notre souveraineté. Nous allons assurer un suivi politique du rapport, au sens noble du terme, c'est-à-dire dans la pédagogie, dans la communication et auprès des responsables. Je pense que c'est le meilleur travail que nous puissions faire maintenant à partir de ces travaux. Je remercie à nouveau les rapporteurs, au nom de chacun, et je vais mettre ce rapport aux voix pour son adoption. Y-a-t-il des oppositions ? Des abstentions ?

Le rapport d'information sur les difficultés des ETI et PME en matière de commerce extérieur est approuvé à l'unanimité.

ANNEXE 1 - LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

Mardi 4 janvier 2022

- La Fabrique de l'exportation : M. Etienne VAUCHEZ, président.

Jeudi 6 janvier 2022

- Haut-Commissariat au Plan : M. François BAYROU, haut-commissaire.

Mardi 11 janvier 2022

- Conseil d'analyse économique : M. Xavier JARAVEL, membre.

- Chambre Franco-Allemande de Commerce et d'Industrie en France : M. Guy MAUGIS, président.

Mardi 18 janvier 2022

- DG Trésor : M. Christophe BONNEAU, adjoint au service économique de Séoul, M. Édouard CHRÉTIEN, chargé de l'intérim de la sous-direction Politiques macroéconomiques.

- Comité national des conseillers du commerce extérieur de la France : M. Alain BENTEJAC, président, M. Emmanuel MONTANIÉ, directeur général.

Jeudi 20 janvier 2022 à 9 heures

Table ronde sur l'analyse économique du déficit commercial français, avec :

- M. Jean-Marc DANIEL, économiste, professeur émérite de l'ESCP Europe ;

- M. Pedro NOVO, directeur exécutif de Bpifrance en charge de l'export ;

- M. Guillaume VANDERHEYDEN, sous-directeur au commerce international de la Direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI).

Mardi 25 janvier 2022

- Association française des banques (AFB) : M. Etienne BAREL, directeur général délégué, M. Eve ASSAYAG, chargée de mission international, M. Adrien VAN DE WALLE, chargé de Stratégie, Communication, Adhérents, Relations institutionnelles France.

Mardi 1 février 2022

- June Partners : Mme Anaïs VOY-GILLIS, docteure en géographie, spécialiste des questions industrielles.

- Global Sovereign Advisory : M. Julien MARCILLY, chef économiste et ancien chef économiste de la COFACE.

Jeudi 10 février 2022

Table ronde avec des représentants des entreprises

- CPME : M. Pierre KUCHLY, vice-président de la CPME nationale, chargé de la coordination des unions territoriales de la CPME ;

- MEDEF : M. Patrick MARTIN, président délégué ;

- METI : M. Olivier SCHILLER, vice-président et « Ambassadeur ETI », et président de Septodont.

Mercredi 2 mars 2022

Table ronde avec les économistes suivants :

- Mme Anne-Sophie ALSIF, cheffe économiste au cabinet d'audit et conseil BDO France ;

- M. Thomas GRJEBINE, responsable du programme « Macroéconomie et finance internationales » au CEPII - Recherche et expertise sur l'économie mondiale ;

- Mme Sarah GUILLOU, directrice du Département de Recherche Innovation et Concurrence (DRIC) à l'OFCE- SciencesPo ;

- Mme Isabelle MÉJEAN, professeure, Sciences Po Paris, département d'économie.

Mardi 7 juin 2022

- Ambassade du Royaume-Uni en France : M. Thomas BARRY, ministre-conseiller aux affaires Économiques et Politiques, M. Paul TAYLOR, directeur opérationnel du Service Commercial de l'Ambassade, M. Irini HAJIROUSSOU, responsable du pôle Politique Commerciale et Accès au Marche, Mme Anne-Claire DESEILLIGNY, conseillère au service politique.

Mercredi 29 juin 2022

Tables rondes  sur le commerce extérieur des services :

1. Panorama chiffré et analyse des différentes composantes des services

- Banque de France : Mme Barbara CASTELLETTI-FONT, chef du service de la Balance des paiements et M. Timothée GIGOUT MAGIORANI, économiste à la direction de la Balance des paiements, chercheur associé au laboratoire d'économie de l'innovation du Collège de France

- Direction générale du Trésor (DGT) : Mme Nathalie GEORGES, sous-directrice des politiques macroéconomiques au sein du service des politiques macroéconomiques et des affaires européennes

2. Les enjeux concrets pour les entreprises des secteurs des services à forte valeur ajoutée

- Fédération bancaire française (FBF) : M. Etienne BAREL, directeur général délégué de la Fédération bancaire française (FBF)

- France Assureurs (FA) : M. Alexis MERKLING, sous-directeur Assurances de dommages et responsabilité

- Numeum : M. Christophe DEPEUX, administrateur en charge du Programme International.

PERSONNES ENTENDUES
DANS LE CADRE DES DÉPLACEMENTS

Lundi 9 mai 2022

- Service économique de l'ambassade de France : Mme Laura TORREBRUNO, conseillère économique, Mme Capucine LOUIS, chargée de mission Économie d'entreprises et Attractivité, M. Jean-Pascal FAYOLLE, conseiller agricole.

Mardi 10 mai 2022

- Ambassade de France en Italie : S.E.M. Christian MASSET, ambassadeur de France.

- Agenzia per la promozione all'estero e l'internazionalizzazione delle imprese italiane (ICE) : M. Roberto LUONGO, directeur général, M. Maurizio FORTE, directeur.

- Crédit Agricole Italie : M. Carlo PIANA, directeur général, Mme Lilly BARBARO-BOUR, directrice de cabinet du PDG.

- Servizi Assicurativi del Commercio Estero (SACE) : Mme Christiana PORTALE, directrice des relations institutionnelles, Mme Maria Luisa MICCOLIS, responsable PME, Mme Paola VALERIO, cheffe des relations internationales, M. Alessandro TERZULLI, chef économiste.

- Consulat de France à Milan : M. François REVARDEAUX, consul général de France, Mme Rachel CARUHEL, consule générale adjointe.

Mercredi 11 mai 2022

- Camera di Commercio Milano Monzabrianza Lodi : M. Alvise Carlo Francesco BIFFI, conseiller de la chambre de commerce, Mme Federica VILLA, responsable des relations internationales.

- Regione Lombardia : M. Alan RIZZI, sous-secrétaire aux relations internationales.

- Business France Italie : M. Michel LODOLO, responsable.

- Société Piatti Freschi Italia (Beretta) : M. Marco RIVA, directeur des opérations.

Jeudi 12 mai 2022

- Consulat de France à Düsseldorf : Mme Olivia BERKELEY-CHRISTMANN, consule générale, Mme Lucie PETIT, chargée de mission Industrie, Numérique et Start-up du service économique régional.

- Business France Allemagne : M. Jean-Philippe ARVERT, directeur zone rhénane.

- Association allemande des Petites et moyennes entreprises (Bvmw) : M. Andreas JAHN, directeur du département politique et commerce extérieur, Mme Daniela DE RIDDER, directrice.

- Germany Trade and Invest (GTAI) : M. Peter BUERSTEDDE.

- Industrie und Handelskammer Düsseldorf (IHK) : M. Ralf SCHLINDWEIN, directeur général international, M. Robert BUTSCHEN, chargé de mission pays et marchés.

- Nordrhein-Westfalen Global (NRW Global) : M. Félix NEUGART, directeur général.

Vendredi 13 mai 2022

- Stadtsparkasse Düsseldorf : Mme Karin-Brigitte GÖBEL, présidente du conseil d'administration.

- Conseillers du commerce extérieur de la France (CCEF) : M. Dominique CHERPIN, conseiller, M. Laurent GUIGUEN, conseiller, M. Ghislain FERNANDEZ, conseiller.

Jeudi 9 juin 2022

- Department for International Trade (DIT) M. Andrew MITCHELL, director general, Exports and UK Trade .

- UK Export Finance (UKEF) : M. Carl WILLIAMSON, Head of Trade Finance.

- British Chamber of Commerce : Mme Hannah ESSEX, co-executive director , M. William BAIN, head of Trade Policy .

- Ambassade de France au Royaume- Uni : M. Gerrit VAN ROSSUM, chargé d'affaires a.i., M. Thomas ERNOULT, conseiller financier au Service Économique Régional (SER).

- Flint : M. Sam LOWE, directeur du Commerce.

ANNEXE 2 - ENSEIGNEMENTS DES DÉPLACEMENTS AU ROYAUME-UNI, EN ITALIE ET EN ALLEMAGNE

La Délégation aux entreprises s'est déplacée, dans le cadre de la mission sur le commerce extérieur, au Royaume-Uni, en Italie et en Allemagne, afin de comprendre et mieux appréhender les différences profondes avec les principaux partenaires commerciaux de la France.

I. LE ROYAUME-UNI

A. UN POSITIONNEMENT COMPARABLE À LA FRANCE SUR LES SERVICES

Désormais hors de l'Union européenne, la Grande-Bretagne connaît également un déficit commercial des biens structurel, représentant 6,7 % de son PIB , soit 185 milliards d'euros de déficit, mais un solde des échanges de services largement excédentaire avec 150 milliards d'euros. En incluant les services, le déficit est de 29 milliards de livres en 2021, soit 34 milliards d'euros.

La structure déficitaire étant similaire à celle de la France, il était intéressant de comprendre comment les acteurs britanniques appréhendent le défi du commerce extérieur, notamment dans un contexte très particulier qui les a contraints à subir à la fois les effets de la crise sanitaire et ceux du Brexit , avec la négociation de nouvelles conditions commerciales.

Le Royaume-Uni a connu en 2020 et en 2021 une forte contraction de ses échanges commerciaux avec l'Union européenne, qui demeure cependant son premier partenaire commercial. C'est vrai également pour la France, dont la balance des biens avec le Royaume-Uni, tout en restant excédentaire, est passée de 9,8 à 6,9 milliards d'euros.

La France est le cinquième client du Royaume-Uni et n'est plus qu'à la septième place de ses fournisseurs.

Le Royaume-Uni s'est spécialisé dans l'export de services . Il assume totalement cette position. La réindustrialisation n'a pas de sens sans avantages comparatifs purs et un déficit n'est pas en soi un handicap pour les britanniques. Leur seul objectif est d'assurer le maintien des approvisionnements, quel que soit le fournisseur. La dépendance économique pour certains biens n'est donc pas structurellement problématique.

Le pragmatisme britannique s'est ressenti lors des échanges avec les différents interlocuteurs. Tout d'abord, en termes de stratégie commerciale, le pays s'est tourné vers d'autres partenaires que les partenaires européens pour sceller des accords après la sortie de l'Union européenne . Ainsi, un accord de libre-échange a été conclu avec l'Australie en décembre 2021. Si les bénéfices économiques directs attendus paraissent pour l'instant minimes (0,08 % du PIB en 2035), le Royaume-Uni considère que cet accord favorisera son accès au partenariat transpacifique, qui réunit onze pays, dont le Vietnam, le Canada, le Japon et la Malaisie.

Le gouvernement britannique a amorcé une réflexion sur le dispositif d'aide à l'internationalisation des entreprises. En janvier 2018, il a lancé une consultation qui porte notamment sur la promotion des exportations et de l'investissement, les barrières non-tarifaires et l'attitude des entrepreneurs face au commerce international. Cette réflexion s'insère dans le projet de « Global Britain », versant international du processus de retrait de l'UE qui renvoie aux priorités britanniques post-Brexit en matière de politique étrangère et commerciale 19 ( * ) . Le Department for International Trade a multiplié les prises de contact avec les pays de l'OCDE, y compris au niveau ministériel, et créé un forum bimestriel rassemblant les chefs de missions économiques à Londres afin de promouvoir ses réformes et d'échanger des bonnes pratiques.

Quelque peu délaissée ces dernières années, la politique de soutien aux exports et de promotion de l'investissement pourrait donc évoluer de manière significative à l'occasion de cette réflexion, qui n'a pas pour l'heure totalement abouti en raison du Brexit et de la crise sanitaire qui ont pleinement mobilisé les autorités britanniques depuis trois ans.

B. UN OUTIL DE SOUTIEN À L'EXPORT PROCHE DE BUSINESS FRANCE

Au Royaume-Uni, la politique de soutien aux exports et de promotion de l'investissement est conduite par le Department for International Trade (DIT) qui a absorbé l'ancienne agence UK Trade & Investment (UKTI). Doté de 4 400 agents environ et d'un budget annuel de plus de 696,5 millions de livres (£), le DIT propose plusieurs prestations évolutives dont un package dédié aux entreprises répondant à des appels d'offres supérieurs à 250 millions de livres. À l'instar de la transformation entamée par Business France, le DIT travaille depuis plusieurs années avec les chambres de commerce en région et à l'étranger.

Le gouvernement a annoncé à l'automne dernier la création d'un groupe de travail interministériel placé sous l'autorité du DIT, l' Office for Investment . Sa mission est de stimuler les investissements étrangers dans des secteurs prioritaires : neutralité carbone, infrastructures, R&D. Le gouvernement avait indiqué que cette unité serait composée d'individus « très expérimentés, ayant une expérience à la fois dans le secteur privé et dans les administrations publiques » et aurait pour tâche, entre autres, d'aider à la levée des barrières potentielles (contraintes réglementaires, problèmes de planification, etc.) à la réalisation d'investissements de premier plan.

1. Une diplomatie économique proactive

Le soutien aux exports et la promotion de l'investissement sont désormais exclusivement menés par une direction du DIT, le Global Trade and Investment Directorate (GTI). Durant la période 2020-20220 ( * ), le GTI disposait d'un budget annuel de 207,4 millions de livres.

Le DIT propose plusieurs prestations évolutives proches de la gamme de Business France. Autrefois gratuite, la majeure partie des produits du DIT en matière de soutien aux exports est désormais payante afin d'effectuer une première sélection parmi les entreprises candidates. Ces prestations s'articulent autour des trois produits phares que sont le Growth Gateway et le Overseas Market Introduction Service , qui peuvent être complétés par différents services de communication et de networking . Le DIT propose également un produit original, le High Value Opportunities programme (HVO), qui est réservé aux entreprises candidatant à des appels d'offres supérieurs à 250 millions de livres, principalement dans la construction. Le HVO est conduit par un pôle du GTI qui identifie les appels d'offres, contactent les entreprises britanniques et font du lobbying auprès des donneurs d'ordre étrangers.

Le DIT, présent dans 113 pays, emploie plus de 1 460 personnes à l'étranger. Le DIT est au travers du réseau diplomatique britannique, qui compte plus de 80 ambassades et plus de 35 consulats, présent dans un total de 113 pays. Il s'appuie sur le réseau international des British Chambers of Commerce (BCC 21 ( * ) ). Cette architecture autorise une certaine flexibilité dans les modalités de réalisation des services, qui présentent une même tarification mais peuvent adopter des formes diverses. En outre, il permet de créer des synergies entre le DIT, les BCC et les 38 Local Entreprise Partnerships 22 ( * ) qui sont parfois associées aux actions des chambres de commerce, notamment en matière de promotion de l'investissement étranger.

Une grande partie des prestations du DIT en région est réalisée par des partenaires privés. Les antennes régionales du DIT comprennent en effet 350 conseillers export pour seulement quelques dizaines de titulaires chargés des fonctions d'encadrement. Hormis pour la région de Londres, la plupart des contractuels sont issus des 53 British Chambers of Commerce (BCC).

Dans certains pays, les services destinés aux PME ont été délégués aux chambres de commerce qui se sont longtemps plaintes de la concurrence déloyale exercée par le DIT, en particulier en Chine. Désormais, les BCC réalisent des prestations de coaching , d'hébergement, de découverte et de prospection pour le compte du DIT dans plus de vingt marchés 23 ( * ) . La prise en charge financière du DIT ne peut excéder 20 % du coût de la prestation délivrée par les chambres. Une fois la délégation effective, les équipes du DIT se concentrent sur les grands contrats et les relations stratégiques tout en veillant à ce que la qualité et le prix des services délégués soient préservés. Ce partenariat devrait à terme couvrir d'autres pays grâce aux actions de capacity building du DIT qui visent à fédérer les associations d'entreprises déjà existantes, à l'image de l'expérience allemande en Afrique de l'Ouest.

Le numérique revêt une importance croissante dans la stratégie du DIT qui a fusionné dans le site internet great.gov.uk l'ensemble des plateformes publiques à l'attention des exportateurs. Outre une offre plus lisible, ce guichet unique permet de proposer un service plus efficace grâce à des outils interactifs qui renseignent les entrepreneurs peu expérimentés sur les opportunités à l'export et les démarches à effectuer. Il aide en outre les conseillers export à identifier des entreprises susceptibles d'être intéressées par un soutien à l'exportation. Par ailleurs, le DIT a mis en place un programme visant à promouvoir le commerce électronique en offrant un accès à tarif réduit à plusieurs sites de vente en ligne, dont Amazon et eBay. Le DIT a également recruté en 2018 un Chief Technological Officer en vue de définir une stratégie informatique pour le département, « développer une culture numérique », et assurer la fourniture de services informatiques pour les entreprises exportatrices. Le DIT propose enfin aux exportateurs de s'inscrire à une liste de diffusion leur permettant d'être alertés en temps réel des appels d'offres à l'étranger. En 2020-2021, le budget alloué à la direction en charge du numérique s'élève à 39 M£.

Le réseau du DIT est articulé autour de neuf commissaires au Commerce postés à l'étranger. Les commissaires au Commerce coopèrent étroitement avec les ambassadeurs et les hauts commissaires britanniques (en poste dans les pays du Commonwealth), le réseau diplomatique et les administrations basés dans les pays de leur région, et ont pour mission de stimuler les exportations, les importations avec leur région ainsi que de promouvoir la politique commerciale du gouvernement. La création de ces neuf zones géographiques doit aller de pair avec l'adoption d'une approche par le bas permettant de prêter davantage attention aux spécificités des marchés considérés, la stratégie du DIT pouvant varier d'une zone à une autre. En outre, ces 9 commissaires sont dorénavant placés sous l'autorité du Foreign Commonwealth Office , qui a également fusionné avec le Department for International Development , afin de permettre une intégration et une plus grande cohérence entre la politique étrangère et la politique commerciale et de développement.

Pendant le déplacement de la Délégation aux entreprises en Grande-Bretagne, le Directeur général en charge de l'export au ministère du Commerce international a présenté l'impressionnante stratégie de datas et d'intelligence économique mise en oeuvre. Un processus de collecte et d'utilisation de données confidentielles de toutes les entreprises britanniques a été mis en place, avec pour objectif d'orienter plus finement chaque PME vers les marchés étrangers les plus pertinents. Le gouvernement se place ainsi dans une logique d'entreprise au sein de l'écosystème formé par tous les acteurs publics et privés. Seul l'accès aux informations les plus fines sur les PME permet de proposer une approche segmentée des marchés, individualisée et un ciblage des opportunités correspondant à la diversité des entreprises. Aujourd'hui, une entreprise sur sept produit un bien qui pourrait être exporté et ne le fait pas. Ces entreprises sont ciblées par le ministère du commerce extérieur.

Cette stratégie data complète les dispositifs de soutien financier à l'export, comme ceux de UK Export Finance , qui gère les garanties publiques à l'exportation.

2. Une politique d'assurance-crédit dynamique

Au Royaume-Uni, la gestion des garanties publiques à l'export est assurée depuis 1919 par UK Export Finance (UKEF) , qui propose un large éventail de produits, y compris une facilité de prêt direct.

Cette agence est dotée d'un budget opérationnel d'environ 285 millions de livres et dispose de 403 agents. Elle est intégralement responsable des garanties publiques à l'exportation, hors aide au développement, et soutient principalement des PME (79 % des aides accordés en 2020-21).

Les aides accordées par UKEF ne doivent pas dépasser un montant d'exposition au risque de crédit de 50 milliards de livres. Ce plafond est décliné pour chaque pays et peut aller jusqu'à 5 milliards. L'exposition au risque de crédit pour un marché donné peut néanmoins aller au-delà du plafond initialement prévu si le Treasury donne son approbation.

Durant l'exercice 2020-21, les aides accordées par UKEF se sont élevées à 12 milliards de livres, soit près du triple comparé aux 4,4 milliards de l'année précédente 24 ( * ) .

Au total, UKEF a aidé 549 entreprises, employant près de 107 000 emplois au Royaume-Uni. Le portefeuille de UKEF pour 2020-21 se présente de la manière suivante : 52,1 % de l'exposition au risque crédit pour l'industrie ; 13 % pour les activités spécialisées, scientifiques et techniques 25 ( * ) ; 11,2 % pour le secteur du détail et de la grande distribution ; et 6,5 % pour la construction.

Au total, et selon le classement 2019-2020 de la British Exporters Association , la gamme de produits proposées par UKEF pour aider les entreprises à exporter est la meilleure d'Europe (score de 9/10) bien qu'elle ne contienne pas de couverture de change.

II. L'ITALIE

A. UN PARTENAIRE EUROPÉEN DYNAMIQUE

En 2021, le taux de couverture 26 ( * ) de l'Italie a poursuivi sa remontée à 116,6 % (après 112,6 % en 2019) et, hors énergie, atteint même 125,4 %. L'Italie a gagné une place et est devenue le 8 ème exportateur mondial (2,9 % des exportations mondiales en 2020 27 ( * ) et le 3 ème européen, après l'Allemagne (1 er ; 7,9 %) et les Pays-Bas (2 ème ; 3,9 %), devant la France (4 ème ; 2,8 %). L'Italie gagne les deux rangs pour devenir 11 ème importateur mondial (2,4 % des importations mondiales) ; derrière l'Allemagne (3 ème avec une part de 6,7  %), les Pays Bas (5 ème avec 3,4 %) et la France (6 ème avec 3,3 %).

L'Italie est notre troisième partenaire commercial et notre troisième déficit commercial . La France est le troisième pays d'implantation de filiales italiennes. Plus de la moitié des investissements concernent le secteur manufacturier. L'Italie compte des participations dans plus de 2 000 entreprises françaises, représentant plus de 100 000 emplois. La France dispose d'un stock d'investissements direct deux fois supérieur à cette dernière. Notre solde commercial avec l'Italie était déficitaire en faveur de ce pays à hauteur de 13,3 milliards en 2020, en baisse par rapport à 2019 en raison de la crise du COVID (15,7 milliards).

Levier essentiel de l'économie italienne (30 % du PIB), l'exportation bénéficie d'un fort consensus politique . Les gouvernements successifs y ont toujours apporté une attention particulière, prévoyant de doter les politiques de soutien de ressources significatives et de promouvoir la diplomatie marchande et les accords de libre-échange.

L'Italie, qui en 2021 a atteint son objectif de dépasser 500 milliards d'euros de volume d'exportations ( 516 milliards d'euros, avec une hausse des exportations de +18,2 % par rapport à l'année 2019), ne raisonne pas en termes de balance commerciale mais de volume, de nombre d'entreprises exportatrices régulières (chiffre stable à 90 000 selon la Confindustria sur 137 000) et de parts de marché. Plutôt qu'un groupement d'entreprises d'un même secteur (districts industriels), ce sont désormais les filières qui sont majoritairement aidées , avec une représentation multiniveaux. C'est toute une filière derrière le produit qui est donc soutenue.

L'économie transalpine fonde son excellence sur son industrie manufacturière . Les exportations de services ne sont pas la priorité. Les secteurs prioritaires (en raison de leur contribution au PIB) sont la mécanique (30 %), la mode (17 %) et l'agroalimentaire (15-20 %). Le dualisme Nord-Sud se traduit également dans les résultats du commerce extérieur : les 8 régions du Sud exportent moins de 10 % du total. Les exportations y sont essentiellement agroalimentaires.

B. UN SOUTIEN PUBLIC PERFORMANT

Si l'Italie réussit en matière de commerce extérieur, c'est en raison d'une forte volonté politique consciente de cet atout majeur pour toute l'économie transalpine.

1. Les acteurs du financement de l'exportation sont multiples

Plusieurs entités publiques interviennent :

- la Caisse des dépôts des prêts (CDP, sous tutelle du ministère de l'Économie et des Finances) finance (en général en cofinancement avec des banques) directement ou refinance les grands contrats de plus de 25 millions d'euros ;

- la SIMEST (filiale de la CDP, sous la tutelle du ministère des Affaires étrangères) finance (prêts à taux bonifié) les exportations et l'investissement à l'étranger (participations minoritaires au capital de sociétés mixtes à l'étranger) ;

- l'assureur public SACE (contrôlée par le MEF depuis le 22 mars 2022) garantit les opérations d'exportation ;

- les régions (compétence partagée) soutiennent financièrement leurs entreprises (entre 80 et 120 millions d'euros par an) ;

- Invitalia (contrôlé par le ministère du Développement économique) octroie les subventions aux PME pour la numérisation à des fins d'internationalisation.

La loi de finances fixe le budget dédié au soutien à l'exportation sur 3 ans (qui change à chaque loi de finances).

Depuis le 1 er janvier 2020, les compétences et une partie du personnel dédiée du ministère du Développement économique ont été transférées au ministère des Affaires étrangères et de la Coopération internationale - MAECI (« direction pour la promotion du Sistema Paese »), tout comme la tutelle de l'agence ICE et les crédits de la promotion du commerce extérieur. La politique commerciale est passée à la direction de l'Union européenne et le soutien à l'internationalisation des entreprises à la direction générale pour la promotion du Sistema Paese (« système pays »). Les chambres de commerce, dont celles à l'étranger, restent de la compétence du ministère du Développement économique.

L' Italian Trade Agency (ITA, ou agence ICE), organisme sous tutelle du MAECI aux missions équivalentes à celles de Business France, est compétente pour la promotion à l'étranger du « Made in Italy » et l'attraction des investissements en Italie. Il compte 500 employés en Italie et 120 expatriés à l'étranger, auxquels il faut ajouter 500 salariés en contrat local. Le budget annuel de promotion est de 170 millions d'euros et celui de fonctionnement de 130 millions d'euros (ils ne sont pas fongibles). Son réseau à l'étranger a été réduit et intégré au sein des ambassades.

Depuis la crise du Covid-19, 95 % des activités de l'ICE sont devenues gratuites (donc financées sur le budget de l'agence) , notamment les participations aux salons à l'étranger (les entreprises ne paient que l'hébergement et le transport). Il n'existe pas de limitation aux nombres de participants ou en fonction de la taille de l'entreprise. Des accords ont été passés avec des plateformes numériques (33) et des universités.

L'ICE prépare la stratégie triennale, qui est ensuite adoptée par un comité interministériel ( cabina di regia ) qui réunit une fois par an (fin d'année) les ministères compétents, les parties concernées 28 ( * ) et la conférence État-Régions afin d'adopter des conclusions opérationnelles pour l'année à venir.

Le rôle de l'agence ICE en matière de soutien à l'export a été renforcé durant la crise notamment par la centralisation de la compétence auparavant dévolue aux CCI, souvent de taille réduite et comparables à de simples clubs d'entreprises, et l'ICE centralise aujourd'hui toutes les actions .

Les régions , qui partagent avec l'État la compétence sur le commerce extérieur, sont en général très actives en matière de soutien aux exportations, notamment par le biais de missions institutionnelles, de participation aux foires internationales ou d'organisation d'évènements et séminaires ou encore de soutien financier aux entreprises.

2. Une politique volontariste de soutien au commerce extérieur

Elle repose sur six axes :

1. Une grande campagne de promotion de décembre 2021 à août 2022 « Italy is simply extraordinary: beIT » , pour un montant de 104 millions d'euros, qui a eu un très fort impact notamment dans les réseaux sociaux ;

2. Un renforcement de la formation a avec la création de la smart export academy qui propose à 10 000 inscrits des cours en ligne avec les plus grandes universités et écoles de commerce italiennes. Le personnel diplomatique est formé aux instruments par les différents opérateurs ;

3. Un guichet unique export.gov.it lancé en septembre 2020 qui réunit les instruments de formation et d'information du MAE, ICE, Sace, Simest, CCI et Régions, et recense, en février 2022, plus de 85 000 usagers ;

4. Une aide publique à la numérisation du commerce électronique : 2 200 PME ont bénéficié d'une subvention de 20 000 € pour l'emploi d'un « digital temporary export manager » et 7 000 micro-entreprises (moins de 10 salariés) d'une subvention de 4 000 € pour des investissements liés à la numérisation et à l'e-commerce. 32 contrats ont été souscrits en 2020-2021 avec des plateformes internationales pour la création de vitrines du « Made in Italy », dont Amazon, Alibaba, WeChat, Flipkart et Walmart et 4 000 entreprises ont participé à des initiatives avec la grande distribution à l'étranger. 4 520 entreprises ont été admises sur les plateformes e-commerce promues par l'ICE (7 376 sur la période 2019-21) ;

5. Un savoir-faire pour l'organisation de foires et salons. L'Italie est le deuxième marché européen des foires et salons après l'Allemagne 30 ( * ) . Selon l'association de secteur AEFI, chaque année 50 % des exportations est le fruit de contacts pendant des foires ou salons ;

6. Un financement public massif des exportations. La loi de finances 2022 dote de 1,5 milliard d'euros le fonds rotatif (1,2 milliard pour SIMEST 31 ( * ) ) et de 150 millions d'euros le fonds de promotion intégrée (du ministère des Affaires étrangères) pour des subventions (transformation d'un partie du prêts aidé octroyé par SIMEST en subvention).

Ce financement public concerne :

- des prises de participation au capital : 143 millions d'euros (+64 %) dont
36 millions de taux bonifiés et 43 millions du fonds de venture capital. 100 millions ont été alloués pour refinancer le fonds de Venture capital géré par la Simest, qui atteint une dotation totale de 160 millions d'euros. Simest prend des participations minoritaires au capital de startups early stage (49 % maximum). Un accord a été passé avec CDP Venture (fonds national pour l'innovation) pour l'identification des startups qui ont des besoins d'internationalisation ;

- plus de 5 milliards de crédits export (+58 %), dont 4,6 milliards de crédits acheteurs et 406 millions de crédits fournisseurs ;

- un système assurantiel en faveur de l'internationalisation des entreprises performant, à hauteur de 27 milliards d'euros qui aurait permis de réaliser 13,8 milliards de chiffre d'affaires supplémentaire et de créer ou maintenir plus 40 000 emplois en 2019, 75 % des bénéficiaires de cette assurance en forte progression (500 en 2018 contre plus de 1 300 en 2019) étant des PME. Les machines-outils représentent 30 % du nombre des opérations, lequel a doublé en dix ans (1 000 en 2008 à 2 000 en 2019), en particulier celles pour les secteurs de la mode, de la construction et l'agroalimentaire. Les principaux autres secteurs bénéficiaires sont ceux à haute intensité technologique et des moyens de transport.

Au total, de 2010 à 2019, le nombre d'entreprises exportatrices a augmenté de 3,4 % sur toute l'Italie.

L'Italie met l'accent sur la formation des entrepreneurs à l'export , et se montre particulièrement agile pour aider ses entreprises à traverser les crises et conquérir de nouveaux marchés .

Pendant la crise COVID, le Plan national pour la reprise et la résilience (PNRR) de l'Italie a été mis en place, avec un montant de 68,9 milliards d'euros sous forme de subventions et 122,6 milliards d'euros sous forme de prêts au titre de la facilité pour la reprise et la résilience (FRR). Ce plan a prévu le refinancement du fonds d'aide aux exportations géré par la SIMEST à hauteur de 1,2 Md€, dont 40 % en faveur des entreprises du Mezzogiorno. La SIMEST a dû doubler son personnel pour répondre être en mesure de répondre aux demandes de financement ciblées sur la transition numérique et écologique, le développement commercial des PME à l'étranger et la participation à des foires et salons à l'étranger.

À noter que l'Italie a ouvert pendant l'été 2021 un premier centre italien d'innovation et culture ( Italian innovation and culture hub - IICH) en Californie, dans la Silicon Valley . Le centre, qui réunit l'institut culturel, l'ICE pour l'attraction des investissements et le centre d'innovation, a pour objectif de promouvoir les produits technologiques italiens. Si elle fonctionne, cette initiative sera répliquée dans d'autres pays.

III. L'ALLEMAGNE

Même si en mai 2022 l'Allemagne connaissait, pour la première fois depuis 1991, un creusement de sa balance commerciale laissant certains commentateurs parler de « modèle à bout de souffle », elle a néanmoins enregistré, depuis l'an 2000, des excédents d'environ 10 milliards d'euros par mois en moyenne. Contrairement à la France, elle est donc en mesure d'absorber des chocs. En 2021, les excédents du commerce extérieur ont encore contribué à plus de 5 % à la croissance économique allemande . Aussi les nouvelles difficultés sont-elles davantage un test de la capacité à rebondir de l'économie allemande.

A. NOTRE PREMIER PARTENAIRE COMMERCIAL

1. Un partenaire incontournable

En 2021, avec un volume total d'échanges de 164 milliards d'euros (+12 % par rapport à l'année précédente), l'Allemagne est restée de loin le premier partenaire commercial de la France, son premier client (62 milliards d'euros d'importations en provenance de France, soit + 11 %) et son premier fournisseur (102 milliards d'euros d'exportations vers la France, soit +12 %).

Les quelque 4 500 entreprises allemandes implantées en France y emploient 325 000 personnes, ce qui représente un poids économique considérable.

En 2021 toujours, l'Allemagne a été le premier investisseur en France au niveau européen mais aussi mondial, détrônant ainsi les États-Unis.

5 700 entreprises françaises sont présentes en Allemagne où elles ont créé plus de 400 000 emplois et génèrent un chiffre d'affaires de 86 milliards d'euros.

Les échanges commerciaux de l'Allemagne ont fortement ralenti en 2020 par rapport à 2019. La Chine conforte sa place de premier partenaire commercial de l'Allemagne. L'excédent commercial allemand se dégrade en raison notamment d'un net repli des exportations automobiles et de machines. Dans le contexte spécifique à la crise sanitaire et à ses impacts économiques différenciés, les échanges avec la France reculent. Si la France reste le quatrième partenaire commercial de l'Allemagne, la Pologne lui ravit la place de quatrième pays fournisseur.

2. Des problématiques parfois similaires

En dépit d'un système très favorable, l'Allemagne doit faire face à un problème de transmission d'entreprises, pour des raisons notamment démographiques. Un dirigeant sur huit devra bientôt partir à la retraite en Allemagne.

Comme nous, elle se heurte à une forte pénurie de main-d'oeuvre qualifiée, en particulier dans le secteur des soins, de la gastronomie, de l'ingénierie et de l'informatique.

Certains Länder , comme celui de la Rhénanie Nord Westphalie, abritent une industrie lourde ancienne (charbon et acier). Celle-ci doit être accompagnée dans sa transformation.

B. UN DISPOSITIF D'AIDE À L'EXPORTATION PROCHE DE CELUI DE LA FRANCE

Le déplacement de la Délégation aux entreprises en Allemagne a mis en lumière un système qui n'est pas nécessairement plus éclaté que le système français . Il pourrait l'être plus, en raison de la tradition fédérale de l'Allemagne.

Trois éléments peuvent expliquer sa force :

- des moyens alloués plus importants que ceux observés en France,

- une répartition des tâches peut-être plus claire entre des acteurs habitués à une décomposition de la décision en Allemagne, avec des processus de coordination peut-être plus réguliers,

- une structure économique tournée vers l'industrie et l'exportation, habituée à la mise en commun de certaines informations et à des échanges réguliers entre ses acteurs , notamment grâce au réseau des chambres de commerce.

Néanmoins, les outils développés semblent se heurter aux nécessités d'adapter un modèle allemand en perte de vitesse, face à une concurrence internationale accrue et au développement de nouveaux modes de production et d'internationalisation (numérique, plateformes, e-commerce).

1. Un dispositif de garantie des investissements répondant à un besoin de sécurisation des investissements des entreprises allemandes à l'étranger

La garantie des investissements est un instrument utilisé depuis déjà plusieurs décennies par le gouvernement allemand afin de promouvoir les investissements extérieurs allemands. Il s'agit de soutenir les entreprises allemandes lorsqu'elles souhaitent investir sur des marchés étrangers prometteurs, en leur ôtant certains risques politiques « extrêmes » 32 ( * ) . Le principe est relativement simple : la garantie des investissements consiste à assurer les investissements des entreprises contre les risques politiques dans les pays-cibles ; ces investissements permettent en retour de renforcer la croissance et l'emploi en Allemagne.

En 2018, ce sont 1,2 milliards d'euros de garanties qui ont été octroyées par l'État aux entreprises allemandes. La demande de la part des entreprises était largement supérieure (3,97 milliards d'euros). En 2018, l'encours global des investissements garantis s'élevait à 33,8 milliards d'euros. Les projets qui ont bénéficié d'une protection des investissements ont entraîné des investissements de 3,3 milliards d'euros dans le monde. 26 % des utilisateurs sont nouveaux, traduisant le dynamisme du dispositif. Le fonctionnement de la garantie est légèrement flexible en ce qui concerne la couverture (fonds propres, quasi-fonds propres, ...) et le bénéficiaire (banque, entreprises, ...).

Au total, ces garanties d'investissement ont permis de financer 51 projets dans 17 pays ; 37 % des projets acceptés correspondent à des projets mis en oeuvre par des PME.

96 % des entreprises ayant eu recours à ces dispositifs affirment sauvegarder des postes et 90 % en créer en Allemagne. 11 500 postes ont été créés dans les pays d'investissement. Au total, 96 % des entreprises ayant bénéficié du dispositif se disent satisfaites.

Pour obtenir cette garantie, une protection juridique suffisante dans le pays d'accueil, par exemple la signature d'un accord bilatéral de protection des investissements ou un accord similaire du pays en question avec l'Union européenne sont en principe nécessaires.

La décision de financer ou non tel projet revient à un comité interministériel mais PwC - PricewaterhouseCoopers GmbH -- cabinet d'audit auquel a été déléguée la gestion opérationnel du dispositif, a également un droit de regard.

La garantie des investissements ne passe en réalité pas seulement par une assurance financière. Le gouvernement allemand, dans le but d'inciter les investissements directs à l'étranger, met en oeuvre d'autres outils, plus politiques et diplomatiques, dans le but notamment de réduire les risques dans les pays d'accueil avec une politique de garantie des investisseurs directs à l'étranger.

L'Allemagne dispose également d'un dispositif de garanties de financement destiné à faciliter l'approvisionnement en matières premières stratégiques des entreprises allemandes (3,8 milliards d'euros d'encours).

2. Des moyens financiers plus conséquents

L'Allemagne a mis en place un dispositif conséquent de soutien à l'export qui s'appuie sur un réseau dense . Le ministère fédéral de l'Économie et de l'Énergie (BMWi) participe au soutien des organismes en charge de la promotion à l'export et de l'attractivité.

En 2021, le budget total du dispositif de soutien aux entreprises tournées vers l'export (hors promotion du tourisme et participation au budget des organisations internationales) de l'État fédéral était de 733,5 millions d'euros, soit une hausse majeure (multiplication par 3,5). Elle s'explique cependant par l'adoption d'une stratégie spécifique sur la coopération internationale dans l'hydrogène (qui représente à elle seule 390 millions d'euros).

Les sommes restantes sont allouées à la promotion du commerce extérieur à travers deux organismes, décrits ci-après, et à hauteur de 45,1 millions pour l'organisation de « pavillons  Allemagne » sur les salons à l'étranger. Cette somme est gérée par la BAFA, agence du ministère fédéral de l'Économie avec le concours de l'AUMA, la fédération allemande des Salons et des Foires. S'ajoutent à cela 8 millions de soutien spécifique pour les PME et 2,5 millions, pour les jeunes entreprises innovantes, chiffres stables par rapport à 2020, et des crédits destinés à des actions spécifiques 33 ( * ) .

En plus des subventions au niveau fédéral, de nombreux Länder ont également leur propre dispositif de soutien à l'internationalisation , par exemple en Rhénanie du Nord Westphalie avec NRW Invest et NRW International , chargées respectivement de la promotion de l'investissement, et du soutien à l'internationalisation des entreprises. Les budgets les plus importants sont généralement consacrés à la promotion de l'attractivité des Länder concernés. Parmi les Länder qui consacrent des financements importants à l'internationalisation de leurs entreprises, on peut citer, outre la Rhénanie du Nord Westphalie, la Bavière ou le Bade-Wurtemberg. Par ailleurs au niveau régional, les PME allemandes disposent d'une palette de produits financiers mise en place par les autorités des Länder , pour assurer leur développement.

Les AHK ( Chambres de commerce et d'industrie à l'étranger) ont un rôle triple, de lobby pour les entreprises allemandes, de prestataires de services pour l'accès au marché et de mise en relation des entreprises étrangères et des entreprises allemandes. Elles se concentrent ainsi sur l'assistance technique, les informations économiques, la recherche de partenaires, l'accompagnement d'entreprises, l'appui à la participation aux foires et salons, ainsi que sur la formation professionnelle. Elles sont le pendant des chambres de commerce et d'industrie françaises à l'étranger (CCIFE). Le réseau des AHK compte plus de 47 000 entreprises dans le monde entier.

La GTAI ( Agence Germany Trade & Invest ) assure la mise à disposition d'informations sur les marchés étrangers par la publication de revues, la réalisation d'études de marché, la tenue de séminaires et des services d'informations en ligne. Ces prestations sont gratuites, sauf demande particulière d'une entreprise. Elle n'opère pas une sélection des entreprises auxquelles elle transmet des informations. La promotion de l'exportation pour les entreprises allemandes passe de plus en plus par l'identification de secteurs prometteurs et de tendances, réalisée par un comité consultatif regroupant les membres du GTAI dont les fédérations professionnelles. Cet avis du comité consultatif ne constitue cependant pas une feuille de route obligatoire, les entreprises restant responsables de leur choix. En matière d'accompagnement des entreprises à l'étranger, la GTAI est le pendant de Business France sur la gamme de produits d'information et complète ainsi l'activité des AHK à l'étranger. Il est toutefois à noter qu'une séparation des tâches entre les différentes agences de promotion, imposée par le Parlement, empêche la GTAI de s'occuper de la promotion des salons et des foires. La GTAI gère également iXpos, un site de mise en relation des entreprises avec des contacts au sein de l'ensemble des organismes de promotion de l'économie allemande à l'étranger.

Il faut également souligner le rôle joué en Allemagne et à l'étranger par la fédération allemande des Salons et des Foires (AUMA ), l'Allemagne étant le leader mondial des salons professionnels destinés aux entreprises 34 ( * ) . Elle représente les intérêts du secteur vis-à-vis des ministères, du parlement et des autorités publiques. Elle informe les exposants et visiteurs sur les différentes activités et offres. Elle soutient particulièrement les PME allemandes dans leur participation à des salons étrangers. Elle coordonne, avec le BMWi et le ministère fédéral de l'Alimentation et de l'Agriculture, les activités de l'Allemagne lors de sa participation aux salons à l'étranger. L'organisation des pavillons nationaux sur les salons étrangers (300 par an) est la résultante d'un partenariat étroit entre l'AUMA, les organisations professionnelles ( Verbände ) et le BMWi. Ce partenariat constitue un outil efficace pour la promotion des entreprises allemandes à l'étranger. La participation collective des entreprises allemandes sur les salons étrangers est sous-traitée aux opérateurs du marché. L'organisation des deux tiers des pavillons allemands est confiée aux grandes sociétés de foires et salons allemands qui sont la propriété des villes et des Länder , le tiers restant à des sociétés privées et consultants. Les grandes foires sont souvent les organisatrices de leurs propres salons à l'étranger : au cours des vingt dernières années, elles ont créé des « répliques » de leurs salons dans le monde entier mais surtout dans les pays émergents. Les exposants les suivent naturellement.

L'AUMA dispose d'une banque de données fournissant des informations sur près de 5 800 manifestations, salons et expositions en Allemagne et dans le monde. Un programme spécifique pour la participation des jeunes entreprises innovantes sur les salons nationaux existe également.

La KfW IPEX-Bank , filiale du groupe KfW, principale banque publique allemande, soutient les exportations allemandes à travers des financements pour l'internationalisation des entreprises, des exportations et des projets d'aménagement ou de développement. Elle intervient sur de nombreux projets et a pour mandat de soutenir les exportations allemandes et européennes au sens large. La banque intervient dans des conditions commerciales, et elle doit présenter un niveau de rentabilité similaire au marché.

Ses nouveaux crédits représentaient, en 2020, près de 16 milliards pour un volume de crédit global de 38,1 milliards.

Les garanties publiques destinées à soutenir et à sécuriser les exportations allemandes sont gérées depuis 1949 par deux entreprises de droit privé, aujourd'hui Euler Hermes (assurance-crédit) et PwC (garanties d'investissement), Euler Hermes étant primo-responsable. Ces deux entités privées sont mandatés par le BMWi pour préparer les décisions d'octroi de garanties publiques. Suivant le volume de la garantie, la décision d'octroi de garantie est prise directement par Euler Hermes ou par la commission interministérielle IMA composée de représentants des différents ministères concernés.

Au total, en 2020, l 'État allemand a octroyé près de 16,7 milliards de garanties, dont près de 75 % dans des pays en dehors de l'OCDE 35 ( * ) , la crise de la COVID ayant également engendré une hausse de 35 % des demandes, principalement pour des produits destinés aux PME.

ANNEXE 3 - GLOSSAIRE ET MÉTHODOLOGIE

La balance des paiements est un état statistique qui rassemble et ordonne sous une forme comptable l'ensemble des transactions économiques et financières d'une économie avec le reste du monde au cours d'une période donnée . Les rubriques de la balance des paiements, définies par le 6e manuel de balance des paiements (BPM6) en cohérence avec le système de comptabilité nationale, sont réparties entre le compte de transactions courantes, le compte de capital et le compte financier.

La balance des paiements technologique est un indicateur développé par l'OCDE pour mieux appréhender le processus de mondialisation, à travers la mesure des transferts internationaux de technologie entre pays . Elle mesure les importations et les exportations de services ayant une forte composante technologique : Recherche et développement, droits d'utilisation de la propriété intellectuelle et services scientifiques et informatiques. Ces transferts donnent une indication sur la capacité d'un pays à vendre sa technologie à l'étranger et à utiliser les technologies étrangères. Ils indiquent la position concurrentielle de la France sur le marché international de la connaissance technologique.

Le compte de transactions courantes comprend les biens, les services, les revenus primaires, les revenus secondaires. Les revenus primaires représentent les flux qui reviennent aux agents économiques pour leur participation au processus de production (rémunération des salariés), pour la fourniture d'actifs financiers (revenus d'investissement). Les revenus secondaires retracent les transferts courants entre résidents et non-résidents.

Le compte de capital regroupe les transferts en capital (remises de dettes, pertes sur créances, aides à l'investissement et les acquisitions et cessions d'actifs non financiers non produits).

La somme du solde de transactions courantes et du compte de capital correspond à la capacité de financement de la Nation dans les comptes nationaux.

Le compte financier se décompose entre investissements directs, investissements de portefeuille, instruments financiers dérivés, autres investissements et avoirs de réserve. Enfin, le poste des « erreurs et omissions nettes » est un poste d'ajustement, traduisant des décalages statistiques issus d'incertitudes dans le taux de couverture de certaines enquêtes ou des différences de méthode.

Au niveau méthodologique et, en concordance avec les manuels internationaux dans la matière (notamment le BPM6 du FMI), les transactions courantes reposent sur des sources internes et externes à la Banque de France. Pour les biens, la source principale est l'information fournie par les douanes. Néanmoins, dans la balance des paiements le solde de biens couvre un spectre plus large. Par exemple, le négoce international (revente des biens qui ne passent pas par la frontière française) est une ligne excédentaire qui limite le déficit des biens douaniers (solde de 11 milliards en 2021).

Pour la construction du commerce de services en France, deux enquêtes de la Banque de France auprès des entreprises sont notamment utilisées :

- l'enquête de suivi des Déclarants Directs Généraux (DDG), pour les entreprises avec des opérations à l'étranger qui dépassent le 30 millions d'euros par an ;

- l'enquête complémentaire sur les échanges internationaux des services (ECEIS), qui complémente l'information obtenue auprès des DDG.

Enfin, la ligne voyages est mesurée par plusieurs enquêtes spécifiques réalisées par la Banque de France auprès des ménages et complétées par des données des dépenses des visiteurs étrangers par carte bancaire.


* 15 https://www.senat.fr/notice-rapport/2022/r22-033-notice.html

* 16 LOI n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 d'accélération et de simplification de l'action publique.

* 17 http://www.senat.fr/notice-rapport/2017/r17-614-notice.html

* 18 Fondation pour l'innovation politique, novembre 2019, « L'Europe face aux nationalismes économiques américain et chinois (1) - Politique de concurrence et industrie européenne », par Emmanuel Combe, Paul-Adrien Hyppolite et Antoine Michon.

* 19 Écho au célèbre discours de Churchill de 1948, dans lequel il exposait sa théorie des « trois cercles » autour desquels devait s'organiser la politique britannique : l'Europe, l'Atlantique (avec les États-Unis) et l'empire, devenu par la suite le Commonwealth.

* 20 Au Royaume-Uni, l'année budgétaire débute au 1er avril de l'année N et prend fin au 31 mars de l'année N+1.

* 21 Les BCC sont des organismes privés ayant pour vocation de représenter leurs membres et de proposer des services à ces derniers, en particulier de networking. Les BCC rassemblent 75 000 entreprises environ et constituent l'une des principales organisations patronales au Royaume-Uni.

* 22 Les Local Entreprise Partnerships ont été créés en 2012 en remplacement des 6 agences de développement régional anglaises.

* 23 Afrique du Sud, Arabie saoudite, Brésil, Chine, Colombie, Corée du Sud, Égypte, Émirats arabes unis, Hong Kong, Inde, Indonésie, Malaisie, Mexique, Pologne, Qatar, Russie, Singapour, Taïwan, Turquie et Vietnam.

* 24 Toutefois, une grande partie des aides ont été accordés dans le cadre du Temporary Covid Risk Framework (7,3Md£).

* 25 Selon la nomenclature NACE Rév.2, celles-ci incluent entre autres les activités juridiques, comptables, d'architecture, d'ingénierie, d'analyse technique, de R&D.

* 26 Rapport entre la valeur des exportations de biens et celle des importations de biens.

* 27 Source MAECI, rapport sur l'export du 12 août 2021 : Preleva tutto l'aggiornamento_1628772167.pdf (infomercatiesteri.it)

* 28 À noter que la Confindustria (équivalent du Medef avec une couverture beaucoup plus large des PME/ETI) a peu de contact avec les entreprises. Il n'existe pas d'équivalent du Medef international 29 , mais une direction des affaires internationales (dont le directeur est un ambassadeur détaché). Pour ses activités de promotion à l'étranger, le patronat s'appuie exclusivement sur l'ICE. Outre le gouvernement, elle est le partenaire principal de l'ICE pour les missions à l'étranger et l'oriente dans le choix de ses opérations collectives et salons. La Confindustria est l'opérateur de référence du gouvernement pour la définition des politiques de soutien au commerce extérieur. L'association cherche à renforcer sa présence à l'étranger, en partenariat avec les autres opérateurs.

* 30 L'Allemagne représente 50% du marché en termes de m 2 utilisés et de nombre d'exposants, l'Italie 23%, la France 16% et l'Espagne 12%.

* 31 SIMEST est la filiale du groupe CDP - la Caisse des dépôts italienne -- qui, depuis 1991, accompagne les entreprises italiennes dans leur croissance à travers l'internationalisation. Les actionnaires de SIMEST sont Cassa Depositi e Prestiti , avec une participation de 76 %, et un grand groupe de banques italiennes et d'associations professionnelles. La mission de SIMEST est d'accompagner les entreprises à chaque étape du processus d'internationalisation, de la décision initiale d'entrer sur un nouveau marché à l'expansion par des investissements directs. Elle opère par le biais de prêts à l'internationalisation, d'aide au crédit à l'exportation et de prises de participation dans des entreprises. SIMEST est membre du réseau EDFI - European Development Financial Institutions -- et est partenaire des plus grandes institutions financières internationales.

* 32 Les risques que la garantie des investissements permet d'assurer sont précisément définis : il s'agit des risques de nationalisation, d'expropriation, d'émeutes, de guerres, de problèmes de conversion ou de transfert, d'interdictions de paiement et de moratoires.

* 33 Soutien à l'export des industries des énergies renouvelables, promotion de l'export vers de nouveaux marchés et notamment vers l'Afrique, soutien au tourisme, enveloppe dédiée aux études de faisabilité de projets stratégiques à l'étranger.

* 34 L'Allemagne a accueilli 178 foires et salons nationaux/ internationaux, qui accueillent 180 000 exposants, dont près de 120 000 exposants étrangers, et environ 9,5 millions de visiteurs. L'Allemagne dispose de 25 parcs des expositions (appartenant souvent à la ville et/ou au Land), soit environ 3 millions de m² de surface d'exposition. Cette activité génère 28 milliards d'euros par an et représente 231 000 emplois. Les organisateurs allemands enregistrent un CA annuel d'environ 4 milliards. Les exposants regroupés au sein de l'AUMA organisent 320 foires et salons dans le monde (majoritairement en Asie et en Europe).

* 35 Chiffre en baisse après plusieurs années de croissance (20 Md€ engagés en 2018) en raison de la pandémie.

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