B. UNE FLOTTE PERFORMANTE, MAIS DONT LA MOBILISATION CROISSANTE ET LE VIEILLISSEMENT CONSTITUENT UN FACTEUR DE PRÉOCCUPATION

1. L'efficacité de la flotte repose sur la doctrine d'attaque des feux naissants

La doctrine d'emploi des aéronefs de la sécurité civile repose sur une stratégie d'attaque des feux naissants. La DGSCG estime en effet que, pour qu'un feu puisse être maîtrisé, il doit être efficacement traité avant d'avoir parcouru 1 hectare. Les aéronefs bombardiers d'eau tiennent une place déterminante dans la poursuite de cet objectif, compte tenu de l'étendue du territoire exposé au risque et des difficultés d'accès de certains espaces.

Cette stratégie s'appuie sur la méthode du guet aérien armé (GAAr), qui présente un triple intérêt :

- il permet la détection précoce des incendies sur des secteurs à risque élevé ;

- il garantit une première intervention rapide en supprimant les délais de décollage ;

- il permet aux pilotes de communiquer des informations essentielles sur le contexte opérationnel de l'incendie et son évolution.

S'il peut être consommateur en heures de vol, le GAAr est indiscutablement à l'origine de la maîtrise des surfaces brulées en période estivale. Cette stratégie permet actuellement, selon les données transmises par la DGSCGC, de maitriser près de 89,5 % des feux.

Incendies ne dépassant pas 5 hectares

(en pourcentage)

2015

2016

2017

2018

2019

2020

2021

2022

93,5

92,9

88,26

95,8

91,46

93,39

93,31

89,53

Source : rapporteur spécial, d'après les documents annexés aux projets de loi de règlement

La définition de la doctrine d'intervention des appareils de lutte contre les feux conditionne largement la stratégie de dimensionnement de la flotte. Comme l'a souligné Laurent Ferlay, chef de l'inspection générale de la sécurité civile (IGSC), lors de son audition par le rapporteur spécial, « cela n'a pas de sens d'affirmer que le dimensionnement flotte est suffisant ou insuffisant, sans se poser la question de la réponse opérationnelle que l'on souhaite apporter ». De fait, la doctrine d'attaque sur les feux naissants, dont l'efficacité fait aujourd'hui l'unanimité auprès des principaux acteurs de la sécurité civile, implique de se doter d'une flotte suffisamment conséquente pour couvrir l'ensemble des zones à risque, par des prépositionnements d'appareils notamment. Dans un contexte d'extension du risque incendie sur l'ensemble du territoire, cette ambition d'attaque des feux naissants impliquera donc nécessairement de redimensionner la flotte de bombardiers d'eau à l'avenir.

2. La flotte de bombardiers d'eau est de plus en plus sollicitée en raison notamment de l'extension et de l'intensification du risque incendie

Dans son rapport de 2019, « Les feux de forêts : l'impérieuse nécessité de renforcer les moyens de lutte face à un risque susceptible de s'aggraver », le rapporteur spécial avait souligné un phénomène d'intensification et d'extension géographique et chronologique du risque incendie, provoqué par le réchauffement climatique5(*). Les feux de forêt de l'été 2022 constituent l'exemple le plus récent de ce phénomène. Ces feux d'une intensité exceptionnelle, qui concernent habituellement davantage la moitié sud-est du pays, ont cette année eu la particularité de s'étendre concomitamment à plusieurs parties du territoire, dont la Gironde, particulièrement touchée cette année. Près de 72 000 hectares de forêt ont été brûlés, soit un total près de six fois supérieur à la moyenne décennale.

Cette extension géographique du risque incendie implique donc une mobilisation croissante de la flotte d'aéronefs, comme l'illustre le tableau ci-après, qui détaille le nombre d'heures de vol réalisées pour chaque appareil sur les trois dernières années.

Nombre d'heures de vol par appareil sur les trois dernières années

 

2020

2021

2022

Canadair

2 642

2 964

3 616

Dash 8

1 777

2 003

3 262

Beechcraft

664

840,5

902

Total

5082

5807,5

7781

Source : commission des finances, d'après la DGSCGC

La saison des feux pour 2022 a par ailleurs nécessité la mobilisation exceptionnelle de moyens aériens dans le cadre de contrats de location ou de procédures de réquisitions. Outre la location de deux hélicoptères lourds bombardiers d'eau, déjà prévue dans la budgétisation initiale pour l'année 2022, la DGSCGC a été contrainte de recourir en urgence à la location de deux hélicoptères lourds supplémentaires et à la réquisition de huit autres appareils de ce type. Au total, l'ensemble des hélicoptères lourds bombardiers d'eau mobilisés par la sécurité civile a effectué 5 737 largages en 752 heures de vol.

La réquisition de plusieurs aéronefs par la DGSCG pour répondre
à l'ampleur de la saison « feux de forêt » 2022

Dans le cadre de la saison feux de forêt 2022, le déploiement de tous les moyens aériens de la DGSCGC ne permettait pas de soutenir une réponse opérationnelle suffisante pour répondre à l'intensité des incendies. Dans ce contexte, et malgré les dispositions dérogatoires offertes par le code de la commande publique, les délais de procédure de passation, même en urgence impérieuse6(*) s'avéraient incompatibles avec l'urgence de la situation.

La DGSCGC s'est donc appuyée sur la disposition du code de la défense7(*) pour procéder à la réquisition de ces appareils, après approbation de la direction des libertés publiques et des affaires juridiques (DLPAJ) du ministère de l'intérieur. Le décret du 21 juillet 2022 a ainsi ouvert le droit pour le ministère de l'intérieur de réquisitionner, sans délai, des hélicoptères bombardiers d'eau auprès de sociétés privées françaises afin de renforcer la flotte aérienne de la sécurité civile.

La célérité de la procédure a rendu possible la réquisition du premier hélicoptère lourd dès la publication du décret le 21 juillet 2022 pour prendre part aux missions de lutte contre les incendies à compter du 22 juillet. L'intervention de moyens héliportés immatriculés à l'étranger n'a pu se faire, malgré l'urgence, qu'après vérifications des conditions de sécurité aérienne et l'approbation de la Direction générale de l'aviation civile (DGAC).

Source : DGSCGC

3.  La suractivité de la flotte de bombardiers d'eau entraine des surcoûts importants et un risque de rupture opérationnelle
a) Une sur-sollicitation de la flotte qui entraine des surcoûts qui doivent désormais être pris en compte dans la programmation budgétaire

La sollicitation plus importante de la flotte en période de forte intensité du risque incendie implique nécessairement des surcoûts importants, le coût de l'heure de vol s'élevant à 15 929 euros pour un Canadair, 12 686 euros pour un Dash et 5 288 euros pour un Beechcraft King 200.

Coût d'une heure de vol par appareil

(en euros)

Avions Canadair C415

Avions Dash

Avions Beechcraft King 200


15 929

12 686

5 288

Source : réponses de la DGSCGC au questionnaire du rapporteur spécial

En 2022, les dépenses supplémentaires induites par la saison « feux de forêt » ont par exemple entrainé un surcoût qui s'est finalement élevé à près du 33 millions d'euros, soit 4,8 % des crédits de paiement (CP) ouverts en loi de finances initiale, alors que la Cour des comptes avait estimé en 2021 qu'une saison de feux de haute intensité entraînerait un surcoût d'environ 10 millions d'euros. Or, si les évènements de l'été 2022 étaient de nature quasi-inédite, il est malheureusement probable que la saison des feux 2022 devienne à l'avenir une saison de référence, compte tenu de l'intensification et de l'extension géographique du risque incendie induit par le réchauffement climatique. Cette situation pourrait conduire à une augmentation chronique de certaines dépenses de fonctionnement, et mettre sous tension la soutenabilité du programme « Sécurité civile », comme l'a souligné le rapporteur spécial dans son rapport sur l'exécution des crédits de ce programme pour l'année 2022.

Ces surcoûts se répercutent tout d'abord sur les dépenses de carburant des appareils. En 2022, ces dépenses se sont élevées à 17 millions d'euros en CP, soit une augmentation de 48 % par rapport aux prévisions de la LFI pour 2022. Toutefois, cette hausse n'est pas uniquement imputable à ce regain d'activité, puisqu'elle résulte en grande partie de l'inflation du coût des hydrocarbures.

Cette hausse des dépenses se répercute également, en période de forte tension opérationnelle, sur les dépenses de produit retardant des avions, mécaniquement amenés à réaliser davantage d'opérations de largage. Ainsi, les dépenses de produit retardant se sont par exemple élevées à 5,8 millions d'euros en 2022, ce qui représentait ainsi le double du montant initialement prévu.

Nombre de largages de produit retardant réalisés
par les bombardiers de la sécurité civile

 

2020

2021

2022

Dash

350

456

1 335

Canadair

445

507

1 626

Dont retardant court-terme

436

498

1 572

Total

795

963

2 961

Source : commission des finances, d'après la DGSCGC

Ce constat est également valable pour le recours à la location d'hélicoptères bombardiers d'eau en période de forte intensité opérationnelle. En 2022, le montant des dépenses engagées pour ces locations pour répondre à la saison « feux de forêt » 2022 s'est élevé à 14,3 millions d'euros. Par ailleurs, 4 300 tonnes de produit retardant ont été larguées par ces appareils. Les coûts importants impliqués par la location de ces appareils doivent aujourd'hui inviter la DGSCGC à accélérer le processus d'acquisition en propre d'appareils de ce type (voir infra).

Par ailleurs l'intensité de l'activité opérationnelle des bombardiers d'eau de la sécurité civile a un impact sur les dépenses de maintien en condition opérationnelle (MCO) des appareils. En effet, le nombre d'opérations de maintenance est en grande partie corrélé au temps de vol. Après sept heures de vol, les Canadair sont dans l'obligation d'aller en révision du fait de pièces usées par l'écopage.

L'ensemble du MCO des avions et des hélicoptères est externalisé. Le MCO des avions bombardiers d'eau de la sécurité civile fait l'objet d'un marché avec la société Sabena Technics, conclu en 2015 pour sept ans avec une clause permettant de le prolonger pour une période complémentaire de 5 ans. La reconduction du marché a été transmise en juillet 2021 et est effective depuis 2022, pour un montant total estimé à 169,1 millions d'euros en AE sur l'ensemble de la période. Le contrat définit, par période de l'année, le nombre et le type d'avions devant être disponibles pour tenir l'alerte et pour assurer le maintien des compétences des équipages. Il comporte un régime dit standard et un régime renforcé, en fonction des conditions météorologiques. L'objet de la prestation est la « mise à disposition d'heures de vol ».

Les périodes de forte tension opérationnelle pour la flotte sont susceptibles d'entrainer des opérations de maintenance plus nombreuses et, par conséquent, des surcoûts importants. Lors de l'année 2022, la forte activité liée à la saison « feux de forêt » a impliqué des opérations de maintenance nombreuses, générant un surcoût de 11 millions d'euros par rapport à la programmation budgétaire initiale. Cette situation n'était pas inédite, puisque la DGSCGC a, ces dernières années, plusieurs fois été amenée à surconsommer les crédits de maintenance initialement budgétés. Ainsi, sur les huit derniers exercices budgétaires, les dépenses de maintenance ont été supérieures à la prévision à six reprises.

Crédits consacrés à la maintenance des appareils

(en millions d'euros et en crédits de paiement)

Source : commission des finances, d'après la DGSCGC

b) La tension opérationnelle pesant sur la flotte aérienne fragilise le taux de disponibilité des appareils

La sur-sollicitation de flotte et la multiplication des opérations de maintenance qui en résulte sont susceptibles d'entrainer une immobilisation plus importante des appareils, alors même que l'intensification du risque incendie requiert des besoins d'intervention plus importants. Cette difficulté est amplifiée par la dynamique de vieillissement de certains appareils, et plus particulièrement des Canadair, qui impliquent des visites de MCO plus régulières.

Vieillissement des appareils de la flotte de lutte contre les feux de la DGSCGC

Type

Âge moyen

Observations

Canadair C415

25 ans
et 4 mois

Premier appareil livré en 1994, dernier appareil livré le 15 mai 2007, aucune limite de vie fixée par le constructeur

Dash 8 MR

22 ans

Appareils achetés d'occasion et livrés le 9 juillet 2005,
la DGSCGC envisage actuellement d'engager
la rénovation avionique de ces appareils

Dash 8 MRBet

2 ans
et 5mois

Appareils livrés entre 2019 et 2023

Beechcraft
King 200

38 ans
et 6 mois

Appareils achetés d'occasion, premier appareil livré
le 18 mars 1991 et dernier livré le 25 juillet 2001,
rénovation avionique réalisée en 2019

Source : commission des finances, d'après la DGSCGC

Plus indirectement, le vieillissement des avions implique parfois des difficultés de réapprovisionnement en pièces détachées pour le prestataire de maintenance, ces pièces n'étant plus forcément fabriquées en quantité suffisante, ce qui implique des retards dans les opérations de maintenance et une baisse du taux de disponibilité des appareils.

Les taux de disponibilité hors visite annuelle, qui correspond à la grande visite de maintenance réalisée durant la saison hivernale, sont indiqués dans le tableau ci-après. Le taux de disponibilité de la flotte d'avions apparait satisfaisant depuis 2016. Toutefois, comme le soulignait le rapporteur spécial dans son rapport de 2019 sur les feux de forêt, ces taux de disponibilité doivent être nuancés, dans la mesure où ils ne prennent pas en compte les immobilisations du fait d'une dégradation survenue en opération. Dès lors, la notion de disponibilité « opérationnelle » est ambiguë, puisque des avions non opérationnels sont comptés comme disponibles. Il s'agit donc davantage d'une disponibilité « contractuelle », permettant d'évaluer la performance du prestataire de maintenance. Par ailleurs, bon nombre d'opérations d'entraînement ou d'alerte nécessitent deux avions. Cela signifie donc que si un seul avion sur quatre est indisponible, seuls deux sur quatre pourront effectivement réaliser leur mission8(*).

Taux de disponibilité des avions de la sécurité civile

 

2016

2017

2018

2019

2020

2021

2022

Canadair

83,0 %

88,9 %

100,0 %

95,2 %

97,4 %

96,6 %

89,2 %

Dash

87,2 %

81,7 %

90,7 %

85,6 %

91,7 %

91,9 %

87,9 %

Beechcraft

93,7 %

84,0 %

93,7 %

90,9 %

94,6 %

96,4 %

95,7 %

Source : commission des finances, d'après la DGCGC

On constate que le taux de disponibilité a tendance à baisser significativement en période de forte tension opérationnelle. Ainsi, lors de l'année 2017, particulièrement intense en matière de lutte contre les feux de forêt, le taux de disponibilité s'est élevé à 88,9 % pour les Canadair et à 81,7 % pour les Dash. L'intensité de la saison « feux de forêt » 2022 s'est traduite par une baisse importante de la disponibilité des Canadair, principalement liée à des difficultés d'approvisionnement en pièces détachées du prestataire de maintenance, Sabena Technics (voir infra sur ce point). Pour les trois Beechcraft King 200, l'amélioration du taux de disponibilité depuis trois ans s'expliquerait, selon la DGSCGC, par la rénovation technique de ces avions réalisée en 2019.

À l'inverse, l'année 2018, particulièrement épargnée par les incendies de forêt, a été marquée par un taux de disponibilité exceptionnel de 100 % pour Canadair, et de 90 % pour les Dash.


* 5 Rapport d'information n° 739 (2018-2019) de M. Jean Pierre VOGEL, fait au nom de la commission des finances, déposé le 25 septembre 2019.

* 6 Article R. 2122-1 du code de la commande publique.

* 7 Article L. 1111-1 du code de la défense.

* 8 Rapport d'information n° 739 (2018-2019) de M. Jean Pierre VOGEL, fait au nom de la commission des finances, déposé le 25 septembre 2019.