III. AU-DELÀ DE LA QUESTION DU DIMENSIONNEMENT DE LA FLOTTE, UN ENJEU D'OPTIMISATION DES MOYENS EXISTANTS

Si les débats en marge des incendies de l'été 2022 ont, à juste titre, porté sur le dimensionnement de la flotte, ils ont bien souvent éludé d'autres facteurs tout aussi décisifs dans la stratégie de lutte contre ces incendies. La lutte contre les feux de forêt ne peut en effet être envisagée sous le seul prisme capacitaire. Les réflexions relatives au dimensionnement des moyens aériens de lutte contre ces incendies doivent donc s'inscrire dans le cadre d'une stratégie beaucoup plus large de gestion de la flotte.

A. LE RECRUTEMENT ET LA FIDÉLISATION DES PILOTES DE LA SÉCURITÉ CIVILE : UN PRÉALABLE À L'EXTENSION DE LA FLOTTE

1. Les pilotes de bombardiers d'eau de la sécurité civile sont une ressource rare dont le recrutement, la formation et la fidélisation suscitent aujourd'hui des difficultés
a) Les spécificités des missions des pilotes de bombardiers d'eau impliquent des formations longues et exigeantes, nécessitant une mobilisation importante de moyens humains

L'enjeu du dimensionnement de la flotte est étroitement lié à la question des moyens humains nécessaires au fonctionnement du dispositif opérationnel, et plus particulièrement, au recrutement et à la formation des pilotes du groupement d'avions de la sécurité civile (GASC).

D'après Laurent Ferlay, chef de l'inspection générale de la sécurité civile (IGSC), « les pilotes de la sécurité civile sont une ressource rare dans la mesure où la dangerosité de leurs missions nécessite une technicité particulière ». Les pilotes de la sécurité civile sont donc le plus souvent recrutés en deuxième partie de carrière professionnelle, avec une première expérience solide de vol, principalement dans l'Armée de l'Air.

Pour le groupement d'avions, l'effectif cible est composé de 102 équivalents temps pleins (ETP) de personnels navigants. Toutefois, dans la mesure où 10 pilotes bénéficieraient actuellement de dispositifs de soldes de congés en vue d'un départ à la retraite, 92 pilotes seraient aujourd'hui opérationnels.

Répartition des pilotes du groupement d'avions de la sécurité civile

Commandants de bord et copilotes Canadair

Commandants de bord et copilotes Dash

Pilotes de Beechcraft

Personnel sécurité cabine - Opérateur caméra

Total

44

32

10

6

92

Source : commission des finances, d'après la DGSCGC

Le commandement du GASC indique cibler un ratio d'1,5 commandant de bord par avion. Cette cible s'explique notamment par les contraintes en termes d'heures de vol et d'organisation du temps de travail des pilotes, parfaitement justifiées au regard des spécificités de leurs missions et des exigences qu'elles impliquent en matière de sécurité, mais qui leur imposent notamment une journée de repos après deux jours consécutifs de vol.

Le commandement du GASC a fait état d'un léger déficit de commandants de bord pour la flotte de Canadair. Il dispose aujourd'hui de 19 commandants de bords pour 12 Canadair. Dans un contexte de multiplication des détachements et des opérations des renforts à l'étranger, ce nombre devrait idéalement être porté à 21, pour garantir le fonctionnement optimal de la flotte. Le redimensionnement à venir de la flotte de Canadair devra par ailleurs impliquer de nouveaux recrutements. Il est ainsi indiqué, dans le rapport annexé à la LOPMI, que 12 postes de personnels navigants devraient être créés pour accompagner l'acquisition à venir des quatre prochains appareils. Concernant les Dash, le nombre des commandants de bord apparait satisfaisant du point de vue du GASC. Les livraisons successives de Dash depuis 2018 ont impliqué des difficultés à maintenir un nombre suffisant de pilotes, mais dans la mesure où cette livraison est désormais achevée, ce manque a de bonnes chances d'être durablement comblé.

Toutefois, d'après le GASC, la multiplication des détachements d'aéronefs réalisés sur des sites distincts de la base aérienne des Nîmes, comme c'est le cas à Ajaccio depuis plusieurs années, implique de revoir à la hausse ce ratio de 1,5 commandant de bord par avion. En situation de détachement, il est en effet préférable, pour assurer la continuité opérationnelle de la flotte, de disposer de 2 commandants de bord par appareil. Cette distinction repose sur le fait que, en situation de détachement, un faible nombre de pilotes ne permet pas de pallier les éventuels aléas, alors que la concentration des équipages au sein de la base de Nîmes facilite au contraire la réorganisation du dispositif en cas de nécessité opérationnelle.

La complexité et la dangerosité des missions des pilotes impliquent en outre des formations longues et exigeantes. En effet, le temps de formation d'un commandant de bord s'élève à 5 ans pour les Dash et 3 ans pour les Canadair. Le GASC doit dès lors disposer d'un nombre suffisant d'instructeurs TRI (Type rating intructor) pour assurer un volume suffisant de formations dans un contexte d'extension de la flotte, mais aussi pour faire face au turn-over régulier des personnels.

Or, la DGSCGC est aujourd'hui confrontée à une pénurie d'instructeurs. Une des principales explications de ce phénomène réside dans la rigidité des conditions d'accès à cette fonction, dont l'attribution est uniquement validée par la direction générale de l'aviation civile (DGAC). La fonction d'instructeur nécessite un nombre d'heures de vol important, conduisant à en exclure certains pilotes d'expérience, qui seraient pourtant en capacité, du point de vue du GASC, à contribuer à la formation de leurs collègues.

b) Un manque d'attractivité de la profession par rapport à l'aviation civile qui implique des difficultés de recrutement

Le rapporteur spécial avait relevé, dans le cadre de son déplacement à la base aérienne de la sécurité civile (BASC) du 13 octobre 2022, les importantes difficultés de recrutement de ces pilotes, en grande partie dues à un manque d'attractivité de la profession en comparaison avec l'aviation civile. Il s'avère en effet que la rémunération des pilotes de la sécurité civile, qui s'élève en moyenne à 6 786 euros bruts par mois pour les pilotes d'avions, est environ trois fois moins élevée que celle des pilotes de l'aviation commerciale. Une dynamique de recrutement aurait en outre été engagée au sein des principales compagnies d'aviation civile dans le contexte de sortie de la crise sanitaire et de reprise de leur activité, ce qui aurait conduit, selon les représentants du GASC à une vague de départs de certains pilotes vers ces compagnies.

La rémunération des personnels navigants de la sécurité civile

Les rémunérations des personnels navigants sont définies dans leur composition par deux décrets n° 2018-951 et 2018-952 du 31 octobre 2018, spécifiques au groupement hélicoptères et au groupement d'avions et, par deux arrêtés du 31 octobre 2018 fixant précisément les montants des différents éléments de rémunération.

Les principaux éléments de rémunérations des pilotes se décomposent en trois blocs :

- une rémunération indiciaire, sur la base d'une grille de 8 échelons au 1er janvier 2023 dont la durée des échelons est de trois années, à l'expression du premier échelon fixé à un an ;

- une prime de vol, qui est basée sur une grille de 5 à 6 niveaux techniques ;

- des primes de fonctions spécifiques, liées à l'exercice de fonctions particulières, telles les fonctions d'instructeurs notamment. Il en existe une quinzaine par catégorie de navigant, tous n'en exerçant pas, et certaines n'étant par ailleurs pas cumulables.

Le salaire brut médian des pilotes s'élève :

pour les pilotes d'avion, à 6 786 euros bruts par mois, soit 81 450 euros annuels ;

pour les pilotes d'hélicoptères, à 7 494 euros bruts par mois soit 89 927 euros annuels ;

pour les mécaniciens opérateurs de bord, uniquement mobilisés dans la flotte d'hélicoptères, à 5 529 euros bruts par mois, soit 66 351 annuels.

Source : DGSCGC

Les pilotes sont par ailleurs soumis à des contraintes inhérentes à leur poste, rendant particulièrement délicate la conciliation de leur activité avec leur vie personnelle, comme par exemple l'absence de vacances d'été, résultant de la concentration de la période de forte activité entre juin et septembre. Ces sujétions particulières, sont susceptibles, selon la DGSCGC, de rebuter certains candidats potentiels.

En tout état de cause, ces difficultés de recrutement sont préoccupantes dans un contexte où le redimensionnement à venir de la flotte nécessitera mécaniquement davantage de pilotes afin d'assurer son fonctionnement opérationnel.

2. La concrétisation d'un protocole entre le ministère de l'intérieur et les organisations syndicales afin de revaloriser la fonction de pilote de la sécurité civile

Toutefois, la signature d'un protocole entre les représentants des pilotes et le ministère de l'intérieur le 11 avril 2023 a permis de lever certaines inquiétudes. Cet accord constitue la traduction budgétaire d'un premier protocole signé entre la DGSCGC et les syndicats des personnels navigants de la sécurité civile en juillet 2022, en réaction à un mouvement de grève engagé au mois de mars de la même année.

La signature d'un protocole entre le ministère de l'intérieur
et les syndicats des personnels navigants de la sécurité civile

Les pilotes de la base de la Sécurité civile ont déposé en mars 2022 un préavis de grève qui devait commencer le 1er juillet 2022. Cette grève a finalement été annulée le 28 juin, les négociations ayant finalement abouti à la signature, le 1er juillet, d'un protocole entre le ministre de l'intérieur et les représentants syndicaux des personnels navigants de la sécurité civile, à l'issue de plusieurs mois de discussions.

Les revendications des syndicats portaient sur des mesures de revalorisation, mais aussi sur des mesures visant à développer les capacités de formation à destination des pilotes, ou la reconnaissance de la pénibilité et du caractère risqué du métier. Le protocole signé a permis de définir le contour des demandes de revalorisations exprimées par les organisations syndicales des personnels navigants. Il prévoyait une clause de revoyure à l'issue des arbitrages budgétaires de la LOPMI et de la loi de finances pour 2023, qui a finalement prévu une enveloppe d'1,5 million d'euros visant à financer diverses mesures de revalorisation à destination des pilotes de la sécurité civile.

Source : réponses au questionnaire budgétaire et auditions du rapporteur spécial

Le protocole du 11 avril 2023 contient ainsi plusieurs mesures visant à revaloriser certaines fonctions du personnel navigant de la sécurité civile, et à augmenter la capacité de formation.

Il créé tout d'abord des fonctions d'instructeurs spécifiques au métier de bombardier d'eau, dont les critères d'attribution seront plus souples que le statut d'instructeur TRI validé par la DGAC. D'après le commandement du GASC, cette mesure permettra :

- de fidéliser les pilotes expérimentés en les employant dans des fonctions d'instructeur ;

- d'assurer la répartition de la charge de la formation sur davantage de pilotes, et d'augmenter ainsi la capacité de formation annuelle de nouvelles recrues.

Le protocole prévoit par ailleurs la création des mesures de revalorisation salariale qui bénéficieront à l'ensemble des pilotes, mais plus particulièrement, à certaines fonctions à forte responsabilité, telles que celle de commandant de bord. Il prévoit enfin des dispositifs de cumul d'activités, de cumul-emploi retraites et de temps alterné.

Cet accord impliquera la révision des textes réglementaires applicables à la rémunération de ces personnels, qui devrait être réalisée d'ici la fin de l'année 2023.

Par ailleurs, dans le cadre de l'examen au Sénat de la proposition de loi visant à renforcer la prévention et à la lutte contre l'intensification et l'extension du risque incendie, le 4 avril 2023, l'adoption d'un amendement du Gouvernement a permis de consacrer au niveau législatif le caractère dangereux du métier et des missions exercés par les personnels navigants de la sécurité civile, conformément aux revendications formulées par le pilotes du GASC.

Le rapporteur spécial se félicite de ces avancées, et sera attentif à ce que celles-ci permettent de combler effectivement les besoins de recrutement impliqués par l'extension à venir de la flotte et la multiplication des détachements d'appareils dans les zones à risque en période estivale.

À cet égard, la signature du protocole se serait déjà traduite, d'après les pilotes du GASC, par une augmentation des candidatures. Cette dynamique positive doit désormais être prolongée par un renforcement des actions de communication à destination du principal vivier de recrutement du GASC que constitue l'Armée de l'air. D'après Benoit Quennepoix, pilote de Dash et représentant du syndicat national du personnel navigant de l'aviation civile (SNPNAC), les pilotes du GASC se rendaient auparavant systématiquement à différents meetings aériens afin d'y rencontrer des anciens militaires. Cette pratique aurait été abandonnée depuis plusieurs années, en raison notamment du climat de tension lié au manque d'attractivité de la profession. Compte tenu de l'apaisement du climat social au sein du GASC, il serait pertinent de réactiver ce type d'action de communication, susceptible de susciter des vocations et d'avoir un impact positif sur la politique de recrutement des pilotes de la sécurité civile.

Recommandation n° 5 : afin de dynamiser le recrutement des pilotes de bombardiers d'eau, renforcer les actions de communication visant à promouvoir le métier de pilote de la sécurité civile auprès de l'Armée de l'air (DGSCGC).