N° 879

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 12 juillet 2023

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie,

Par MM. François-Noël BUFFET, Philippe BAS, Jean-Pierre SUEUR
et Hervé MARSEILLE,

Sénateurs

(1) Cette commission est composée de : M. François-Noël Buffet, président ; Mmes Catherine Di Folco, Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Christophe-André Frassa, Jérôme Durain, Marc-Philippe Daubresse, Philippe Bonnecarrère, Mme Nathalie Goulet, M. Thani Mohamed Soilihi, Mmes Cécile Cukierman, Maryse Carrère, MM. Alain Marc, Guy Benarroche, vice-présidents ; M. André Reichardt, Mmes Laurence Harribey, Muriel Jourda, Agnès Canayer, secrétaires ; Mme Éliane Assassi, MM. Philippe Bas, Arnaud de Belenet, Mmes Nadine Bellurot, Catherine Belrhiti, Esther Benbassa, MM. François Bonhomme, Hussein Bourgi, Mme Valérie Boyer, M. Mathieu Darnaud, Mmes Françoise Dumont, Jacqueline Eustache-Brinio, M. Pierre Frogier, Mme Françoise Gatel, MM. Loïc Hervé, Patrick Kanner, Éric Kerrouche, Jean-Yves Leconte, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Brigitte Lherbier, MM. Didier Marie, Hervé Marseille, Mme Marie Mercier, MM. Alain Richard, Jean-Yves Roux, Jean-Pierre Sueur, Mme Lana Tetuanui, M. Dominique Théophile, Mmes Claudine Thomas, Dominique Vérien, M. Dany Wattebled.

L'ESSENTIEL

L'achèvement des consultations prévues par l'accord de Nouméa a ouvert une nouvelle page de l'histoire de la Nouvelle-Calédonie, qui demeure à écrire.

Si la reprise des négociations, sur la base des préconisations développées en juillet 2022 par la commission des lois, doit être saluée, force est de constater que les actions, certes volontaristes, du Gouvernement n'ont pas encore produit les effets escomptés. Elles n'ont ni permis de renouer un dialogue direct entre les trois parties ni jeté les bases d'un accord quant à l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie, alors que l'échéance des élections provinciales approche.

Convaincue que le dialogue demeure le seul chemin viable, la commission des lois, nourrie des auditions et des échanges menés en Nouvelle-Calédonie comme au Sénat, formule de nouvelles préconisations afin de favoriser la conclusion d'un accord consensuel et global entre les trois parties, avant les prochaines élections provinciales, qui puisse, par la suite, être entériné par le Parlement. Elle souhaite que la prochaine visite du président de la République en Nouvelle-Calédonie permette la mise en oeuvre de ces recommandations.

I. LA NÉCESSITÉ D'UN BILAN OBJECTIF ET COMPLET DES RÉUSSITES ET DES ÉCHECS DE L'ACCORD DE NOUMÉA

Il apparaît essentiel, pour construire la nouvelle architecture institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie, de renforcer les acquis et de s'interroger sur le bilan de l'accord de Nouméa du 5 mai 1998, point d'orgue de ce processus, qui trouve sa traduction juridique dans la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie.

Face à cette difficulté méthodologique, les rapporteurs se sont attachés, sur trois points, à dresser un bilan objectif et complet des réussites et des échecs de cet accord :

· en reconnaissant les promesses tenues par chacune des parties, condition nécessaire à l'établissement d'un lien de confiance dans le cadre des négociations portant sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie ;

· en rappelant que ce processus a permis le retour durable de la paix sur le territoire et la construction d'un système institutionnel original qui a abouti à de nombreuses réussites pour la Nouvelle-Calédonie et l'ensemble des Calédoniens ;

· en déplorant, enfin, que ce cycle n'ait cependant pas permis de résoudre les difficultés politiques, économiques et sociales, qui ont justifié son engagement.

II. FIXER LES CONDITIONS D'UNE NÉGOCIATION AMBITIEUSE AU SERVICE DES CALÉDONIENS ET ACCEPTABLE PAR LES TROIS PARTIES ET LE PARLEMENT

A. PARVENIR, AU PLUS VITE, À UN CONSENSUS ACCEPTABLE POUR L'ENSEMBLE DES PARTIES PRENANTES COMME POUR LE PARLEMENT

1. La nécessité d'aboutir à un accord local avant les élections provinciales de 2024, entre contraintes juridiques et attentes d'évolutions

Sur le plan juridique, le caractère transitoire de l'accord de Nouméa a seul permis de justifier les dispositions constitutionnelles innovantes fondant le régime temporaire de la citoyenneté calédonienne dont elles ont autorisé la création et les dérogations aux principes d'égalité et d'universalité du suffrage qu'il comporte. Dès lors, compte tenu de l'achèvement du processus de Nouméa, l'organisation de nouvelles élections provinciales, prévues pour mai 2024, selon les principes définis par l'accord de Nouméa, soulèverait de sérieuses difficultés sur le plan constitutionnel. Or, il convient à l'évidence d'organiser les prochaines élections provinciales sur des fondements incontestables.

Sur le plan politique, les auditions menées par les rapporteurs ont révélé les fragilités du système institutionnel institué par les accords de Matignon et de Nouméa. Sans s'accorder sur les modalités de résolution des difficultés résultant du statut actuel de la Nouvelle-Calédonie, les acteurs calédoniens rencontrés ont en partage leur insatisfaction à son endroit, confirmant la nécessité d'une réforme du statut de la Nouvelle-Calédonie.

Ces contraintes plaident donc pour l'élaboration rapide d'un nouveau statut pour la Nouvelle-Calédonie. Si la mission ne peut que se féliciter qu'aient été renoués les fils du dialogue, elle relève que le calendrier de négociation demeure nimbé d'incertitudes en dépit des annonces gouvernementales et des premières rencontres bilatérales entre les parties. L'horizon des élections provinciales doit dès lors constituer un butoir autant qu'un aiguillon pour l'aboutissement aussi rapide que possible des négociations en vue d'un accord.

Toutefois, il ne serait pas réaliste de considérer cet horizon comme indépassable. Au regard de l'enjeu que représente l'aboutissement des discussions, on ne saurait exclure un éventuel report des élections s'il s'avérait impossible de procéder autrement, pour une durée nécessairement limitée par les impératifs de conformité à la Constitution.

2. Réaffirmer les grands principes devant guider les négociations afin de favoriser leur aboutissement et leur validation par le Parlement

Les rapporteurs prennent acte de la prise de conscience du Gouvernement de la nécessité de renouer les fils du dialogue entre les parties calédoniennes par des actes concrets et répétés, rejoignant ainsi leurs préconisations formulées dans leur précédent rapport d'étape1(*).

Néanmoins, ceux-ci n'ont pas encore produit les effets escomptés puisque le dialogue demeure séparé entre les trois parties prenantes, des aspérités persistent quant à la méthode employée et des sujets pourtant majeurs, n'ont toujours pas fait l'objet de discussions, même bilatérales, entre les parties calédoniennes et l'État.

Aussi les rapporteurs appellent-ils désormais à consolider et améliorer le dialogue entre les parties dans un format tripartite et sur l'ensemble des sujets intéressant l'avenir du territoire Calédonien, format de négociations qui a su faire la preuve de son efficacité dans le passé, qui est seul garant d'une réussite des négociations.

Par ailleurs, soulignant la pertinence de certaines critiques formulées par les parties indépendantistes à l'encontre de l'audit de la décolonisation, ils appellent à la plus grande vigilance pour l'avenir quant à la méthode mise en oeuvre par le Gouvernement dans la conduite de ce dossier. En effet, la production de rapports d'audit censés éclairer l'ensemble des acteurs du dossier doit être irréprochable sur le plan méthodologique. L'État doit être garant de leur impartialité et de leur sérieux.

Enfin, tout accord local nécessitant une évolution institutionnelle sera obligatoirement soumis au Parlement et, en conséquence, examiné par le Sénat. Par conséquent, ils rappellent que trois conditions cumulatives devront être réunies pour l'approbation d'un accord par le Parlement :

· la nécessité que chaque partie sorte des discussions en ayant obtenu la reconnaissance claire de demandes légitimes ;

· le refus de traiter isolément les différents sujets institutionnels, seul un accord global étant possible ;

· l'engagement clair et fort de l'État pour faire émerger un consensus tout en étant lui-même force de propositions.

Si l'ensemble de ces conditions sont réunies, l'accord pourra être équilibré entre les parties, source d'unité et de confiance dans l'avenir pour tous les Calédoniens, global dans les sujets qu'il traitera et crédible par l'implication de l'État.

B. LES CONDITIONS D'UNE NÉGOCIATION AMBITIEUSE AU SERVICE DE L'ENSEMBLE DES CALÉDONIENS

À l'issue des échanges conduits avec les parties prenantes de l'avenir calédonien, les rapporteurs proposent des points de méthode pour que les négociations unanimement demandées revêtent un caractère serein et fructueux pour définir l'avenir de la Nouvelle-Calédonie.

S'il n'apparaît pas souhaitable de préempter les débats devant se nouer entre les acteurs locaux, les rapporteurs estiment utile de fixer les « repères » des négociations, en identifiant sur chaque thématique le champ des possibles. S'inscrivant ainsi dans l'engagement permanent du Sénat pour contribuer à jeter les fondations d'un avenir commun à tous les Calédoniens, renvoyant, en tout état de cause, les acteurs à leurs responsabilités dans l'émergence d'un consensus, les rapporteurs souhaitent mettre en exergue trois lignes de force :

· La négociation en cours doit permettre d'approfondir la réflexion sur les sujets matriciels que sont la place de la Nouvelle-Calédonie dans la République, le droit à l'autodétermination et le processus de décolonisation.

Les rapporteurs réaffirment leur attachement aux principes, protégés par le droit constitutionnel comme par le droit international, qui ont inspiré les accords de Matignon puis de Nouméa : le maintien de la Nouvelle-Calédonie, avec un degré très élevé d'autonomie, dans la République tant que les Calédoniens le souhaiteront, la reconnaissance de leur droit à l'autodétermination selon des modalités déterminées d'un commun accord et la poursuite d'un processus de décolonisation culturelle en Nouvelle-Calédonie. Sur ce dernier point, les rapporteurs insistent sur la nécessité d'accomplir aussi un véritable geste symbolique de décolonisation par le président de la République, incarnation de l'État et dépositaire de son histoire. Ce geste pourrait, à leurs yeux, être utilement réalisé par le président de la République lors de son prochain déplacement en Nouvelle-Calédonie annoncé pour la fin du mois de juillet 2023.

Aussi, ils sont convaincus que la permanence des principes ne saurait justifier un statu quo qui n'est désormais ni politiquement ni juridiquement viable.

· La négociation doit permettre d'ajuster, à la lumière du bilan de l'accord de Nouméa, le fonctionnement institutionnel calédonien.

Aux yeux des rapporteurs, ces ajustements doivent, prioritairement, permettre :

- de procéder à des évolutions des « corps électoraux » calédoniens pour corriger des incohérences techniques dénoncées par l'ensemble des parties et, par suite, pour initier une réflexion sur des ajustements plus importants sur la base des propositions formulées par le ministre de l'intérieur et des outre-mer fin mai 2023 ;

- d'améliorer la répartition des compétences entre collectivités calédoniennes pour mettre fin à l'enchevêtrement de compétences et appliquer pleinement le principe de subsidiarité, et conforter les communes de Nouvelle-Calédonie dans leur rôle de proximité en leur confiant des moyens juridiques et financiers à la hauteur de celui-ci ;

- d'initier une réflexion quant au fonctionnement des institutions de la Nouvelle-Calédonie au regard des évolutions démographiques et de la recomposition politique survenues depuis la signature des accords.

Les rapporteurs souhaitent toutefois réaffirmer que les grands principes ayant présidé à la conclusion des accords de Matignon et de Nouméa doivent demeurer inchangés, l'équilibre institutionnel en résultant ayant fait la preuve de sa robustesse. Ils relèvent à cet égard qu'en Nouvelle-Calédonie, le principe majoritaire, qu'il tire sa légitimité d'un scrutin politique ou d'une réalité démographique, ne peut s'appliquer sans discernement et sans tempérament au risque d'une explosion des institutions et du contrat social que représente le « destin commun » promu par les accords de Matignon puis de Nouméa.

· Enfin, la négociation serait incomplète si elle ne permettait pas de traiter de l'ensemble des sujets non institutionnels indispensables au développement du territoire, qui touchent la vie quotidienne de l'ensemble des Calédoniens.

Les besoins de la Nouvelle-Calédonie ne se résument pas à la seule détermination de son avenir institutionnel. Des réformes non institutionnelles, indépendantes des futurs équilibres institutionnels et politiques, devront être menées par les acteurs locaux, en particulier celles visant à garantir la soutenabilité financière et budgétaire des collectivités calédoniennes et des comptes sociaux.

Les rapporteurs appellent les acteurs locaux et l'État, chacun dans leur domaine de compétences, à s'en saisir le plus rapidement possible pour garantir l'efficacité et la soutenabilité des politiques publiques locales. Un programme ambitieux de réformes doit, en effet, être mis en oeuvre pour offrir aux Calédoniens des services publics de qualité et développer l'économie du territoire, condition d'une confiance durablement renouvelée dans les institutions politiques calédoniennes.

AVANT-PROPOS DES RAPPORTEURS

La Nouvelle Calédonie présente de fortes singularités. Terre hospitalière, depuis longtemps ouverte à d'intenses courants d'échanges dans l'immense bassin de vie océanien, elle a accueilli depuis des millénaires de multiples apports de population dont témoignent aujourd'hui encore la multitude des langues et la variété des types humains qui donnent sa physionomie au peuple « premier » néo-calédonien, le peuple kanak. Ce peuple est profondément attaché à une culture imprégnée d'une spiritualité qui lui a permis de s'ouvrir naturellement à l'évangélisation chrétienne tout en demeurant fidèle à son propre héritage, dans lequel les valeurs d'humilité, de respect humain, d'échange et de partage sont fondamentales. La terre nourricière, avant d'être source de richesses et de vie, s'y inscrit comme le vecteur d'un lien vivant avec les générations précédentes, qui lui confère un caractère sacré.

L'observation de la coutume par l'étranger lui permet de se présenter et de demander à être accueilli sur la terre de ceux qui l'ont reçue en partage depuis des temps éloignés et y maintiennent vivante la tradition de leurs ancêtres. La coutume permet ainsi de se connaître et de se reconnaître l'un l'autre. L'individualisme et le matérialisme, alors qu'ils comptent parmi les ressorts du dynamisme économique, demeurent aujourd'hui encore des notions largement étrangères voire contraires aux valeurs mélanésiennes.

Combinée au fait colonial, la méconnaissance et l'incompréhension de cette culture a été et demeure à l'origine d'un « traumatisme durable pour la population d'origine et (...) d'atteinte[s] à la dignité du peuple kanak »2(*) qui n'ont longtemps pas été reconnus. Malgré les efforts déployés de part et d'autre pour se connaître, se comprendre et se respecter, des malentendus, jamais anodins, se répètent dans une grande variété de situations. Ils sont susceptibles de dégénérer en affrontements violents lorsqu'ils acquièrent une dimension collective ou par l'effet de leur accumulation.

Si les appréciations divergent quant au nombre de Kanaks résidant en Nouvelle-Calédonie avant la prise de possession française, cette population a été décimée par les épidémies, relayées par une spectaculaire décroissance de la natalité et elle ne comptait plus que 20 000 personnes au début du XXe siècle. La population kanak atteint aujourd'hui un effectif de plus de 110 000 personnes et s'élargit à une importante population métisse dont la tradition reconnaît l'appartenance au peuple kanak par filiation même incomplète. 11 % de la population calédonienne déclare ne pas se rattacher à une seule communauté tandis que 7,5 %, soit 20 000 personnes, se déclarent Calédoniens sans renseigner de communauté d'appartenance lors du dernier recensement3(*), ce qui donne la mesure approximative d'un métissage dont l'ampleur signifie le dépassement des clivages communautaires dans la vie de la société et constitue une promesse de réconciliation politique et un appel silencieux à la concorde civile. La communauté européenne est sensiblement moins nombreuse que la communauté kanak. Il faut aussi tenir compte de fortes communautés wallisienne, futunienne, ni-vanuataise, tahitienne, vietnamienne, japonaise, indonésienne et même chinoise.

Dans cette mosaïque humaine et culturelle, le dépassement des logiques communautaires est une nécessité absolue pour que la Nouvelle-Calédonie puisse vivre dans la paix et la stabilité en s'identifiant à un destin commun. C'est la condition même du développement économique et social néo-calédonien, le préalable à remplir avant de pouvoir espérer relever les défis de l'avenir.

Le refus des antagonismes s'exprime nettement au sein de la société calédonienne. Il se manifeste en particulier dans le monde du travail, au sein duquel ne semble pas se faire jour d'oppositions de nature ethnique exploitées par les forces syndicales. L'absence de préjugés ethniques est également apparue aux rapporteurs comme très nette parmi la jeunesse, favorisée par le brassage scolaire et périscolaire.

Il n'en reste pas moins vrai que des aspirations décolonisatrices continuent à être défendues fermement et avec constance, comme en témoignent les récents scrutins d'autodétermination et les résultats aux dernières élections provinciales comme législatives. Ces aspirations ne sont pas à la veille de disparaître du seul fait que l'accord de Nouméa auraient désormais épuisé tous leurs effets. Elles recouvrent l'exigence essentielle d'une émancipation culturelle à laquelle continue de s'ajouter, tout en étant distincte, la demande d'un accès de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté, sans exclure de l'organiser sur un modèle novateur qui n'impliquerait pas de rupture avec la République.

L'aspiration à un État unitaire indépendant ne peut sans doute pas trouver de source directe dans la tradition des sociétés mélanésiennes précoloniales, mais elle n'en est pas moins forte. Elle s'autorise d'un droit à l'autodétermination reconnu par la Charte des Nations unies, qui trouve aussi un fondement de principe et une protection dans la Constitution française. Ce droit ne peut être remis en cause. Il s'est déjà exercé à trois reprises au cours des années récentes, conformément aux lois constitutionnelles et organiques prises pour l'application de l'accord de Nouméa.

Aujourd'hui, la tentation existe parmi la population d'origine européenne de renvoyer au passé l'exercice de ce droit pour ouvrir la voie au développement calédonien dans un cadre rénové, stable et durable.

Il faut cependant être conscient qu'un accord sur le statut et les institutions de la Nouvelle-Calédonie pourra difficilement être trouvé sans imaginer pour l'avenir de nouvelles modalités d'exercice de ce droit. Mais comment éviter alors d'ouvrir une nouvelle période d'incertitudes, préjudiciable à tous, quel que soit l'avenir souhaité par les uns et les autres pour la Nouvelle-Calédonie ? Le dilemme ne trouvera pas de solution toute faite.

La voie est à l'évidence étroite. Elle ne pourra s'élargir que si la volonté de vivre ensemble et la recherche sincère des modalités de ce vivre ensemble l'emportent sur les considérations juridiques et sur la tentation du passage en force. Il est juste bien sûr de tenir compte des résultats démocratiquement acquis des consultations sur l'accession à la pleine souveraineté. Ils se sont déroulés dans des conditions dont la régularité juridique n'est pas contestée. L'État, qui n'a pas pris position lors des campagnes référendaires, doit cependant rester attentif à la nécessité de ne pas déséquilibrer le dialogue avec les deux autres parties. Il n'y aura pas de solution durable pour la Nouvelle Calédonie hors d'un cadre négocié et accepté par chaque partie. Une démarche unilatérale ne constituerait pas une méthode appropriée. Elle conduirait inévitablement à l'exacerbation des tensions. Ses conclusions risqueraient d'ailleurs de ne pas réunir les majorités nécessaires au sein de l'Assemblée Nationale et du Sénat puis du Congrès du Parlement français.

Après avoir recommandé au Gouvernement une méthode pour renouer les fils du dialogue par l'adoption d'un premier rapport d'étape, les rapporteurs ont poursuivi, par leurs travaux, l'objectif d'apporter des solutions permettant à la Nouvelle-Calédonie de construire pacifiquement et sereinement son avenir institutionnel et ses relations avec l'Hexagone.

À l'issue de travaux complémentaires, le présent rapport final s'attache, d'une part, à dresser le bilan de l'accord de Nouméa et ses enseignements pour l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie, et, d'autre part à fixer les conditions d'une négociation ambitieuse au bénéfice de l'ensemble des Calédoniens, laissant ainsi un large espace aux prochaines négociations entre acteurs calédoniens.

S'inscrivant dans la continuité de la mission d'accompagnateur des négociations que s'est donnée le Sénat, invitant les acteurs à prendre toutes leurs responsabilités dans l'émergence d'un consensus à travers ce processus, les rapporteurs n'ont pas voulu préempter les débats entre les acteurs indépendantistes et non-indépendantistes et l'État. Ils ont seulement souhaité préciser sous quelles conditions ces débats pourraient déboucher sur un accord entre les trois parties.

Les rapporteurs rappellent, toutefois, l'importance du maintien des élections provinciales en 2024 et n'envisagent un report de celles-ci que s'il était la conséquence nécessaire d'un accord spécifique préalable avalisé par le Parlement.

Ils exposent, enfin, les conditions qui pourraient permettre la validation par le Parlement d'un accord global, qui devra être équilibré et ne saurait donc être obtenu à n'importe quel prix pour aucune des trois parties au dossier calédonien.

PARTIE I :
LA NÉCESSITÉ D'UN BILAN OBJECTIF ET COMPLET DES RÉUSSITES ET DES ÉCHECS DE L'ACCORD DE NOUMÉA

Il existe un consensus sur la nécessité de dresser le bilan du cycle politique ouvert par la signature des accords de Matignon-Oudinot en 1988. Il apparaît essentiel, pour construire la nouvelle architecture institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie, de renforcer les acquis et de s'interroger sur le bilan de l'accord de Nouméa du 5 mai 1998, point d'orgue de ce processus qui trouve sa traduction juridique dans la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie.

Un groupe de travail, composé du haut-commissaire de la République et de représentants des groupes politiques au Congrès, a ainsi été créé pour définir le cahier des charges du bilan de l'accord de Nouméa confié au consortium CMI-DME. Les conclusions de ce rapport ont été rendues publiques le 30 mai 2023 et ont permis d'alimenter utilement ce nouveau cycle de négociations.

Si la nécessité de ce retour d'expérience ne fait pas débat, les rapporteurs regrettent, au regard du contenu du travail produit, que cette mission stratégique ait été confiée à des cabinets de conseil plutôt qu'aux services compétents de l'État et de la Nouvelle-Calédonie.

I. LES PROMESSES TENUES PAR CHACUNE DES PARTIES DOIVENT ÊTRE SALUÉES

Dresser le bilan de l'accord de Nouméa passe, en premier lieu, par la reconnaissance des promesses tenues depuis vingt-cinq ans par chacune des parties signataires, condition nécessaire à l'établissement d'un lien de confiance dans le cadre des négociations portant sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie.

A. L'ÉTAT A CONTINUÉ DE REMPLIR SES MISSIONS TOUT EN ACCOMPAGNANT LES ACTEURS LOCAUX DANS LEUR AUTONOMISATION

Comme il s'y était engagé, l'État a transféré de manière progressive, effective et irréversible de nombreuses compétences au territoire, telles que l'enseignement primaire (2000) et secondaire (2012), le commerce extérieur et les douanes (2000), le droit du travail (2000) ou encore la sécurité civile (2014).

Toutes les compétences dont le transfert était prévu par l'accord de Nouméa sont désormais effectivement exercées par les provinces ou la Nouvelle-Calédonie. L'État a mobilisé les moyens financiers, fourni l'assistance technique et humaine nécessaires pour garantir l'exercice effectif de ces compétences et accompagné les acteurs locaux dans la maîtrise de ce nouveau statut institutionnel.

Demeure la question du transfert optionnel des compétences mentionnées à l'article 27 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie : les règles relatives à l'administration, au contrôle de légalité et au régime comptable et financier des collectivités publiques et de leurs établissements publics, l'enseignement supérieur et la communication audiovisuelle. Comme l'ont relevé les rapporteurs lors de leurs auditions, le transfert de ces compétences ne fait pas l'objet d'un consensus entre les parties locales indépendantistes et non-indépendantistes. Toutefois, partageant une analyse déjà avancée par Ferdinand Mélin-Soucramanien et Édouard Courtial en 2018, ils considèrent que « dès lors qu'elles n'auraient pas été transférées, [les compétences de l'article 27] échapperaient donc au périmètre d'irréversibilité »4(*) prévu expressément par l'article 77 de la Constitution5(*).

En parallèle, l'État a continué de s'acquitter, de manière satisfaisante, de ses missions régaliennes sur le territoire, et ce, en associant étroitement les autorités calédoniennes à l'exercice de ces compétences régaliennes lorsque cela était prévu par l'accord.

Des compétences régaliennes exercées
en associant étroitement les autorités calédoniennes

De même que les institutions calédoniennes ont recours à lui pour
l'exercice de leurs propres compétences notamment en matière pénale6(*), l'État est aussi tenu d'associer les autorités calédoniennes à l'exercice de certaines de ses compétences. Le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie doit ainsi être :

- consulté sur la réglementation relative à l'entrée et au séjour des étrangers ;

- consulté et informé des décisions relatives à la délivrance des visas pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois ;

- informé des mesures prises en matière de maintien de l'ordre ;

- consulté en matière de communication audiovisuelle ;

- associé à l'élaboration des contrats d'établissement entre l'État et les établissements universitaires intervenant en Nouvelle-Calédonie et consulté sur les projets de contrat entre l'État et les organismes de recherche établis en Nouvelle-Calédonie ;

- consulté sur les programmes de l'enseignement du second degré, après le transfert effectif de cette compétence.

En outre, les institutions calédoniennes peuvent intervenir, avec l'accord de l'État, dans le domaine des relations extérieures pour favoriser la coopération régionale. Le président du gouvernement peut ainsi négocier et signer des accords internationaux ou être associé ou membre de la délégation française participant à ces négociations ou à la signature d'accords.

De manière volontaire, la Nouvelle-Calédonie a souhaité disposer d'agents auprès d'États voisins de l'archipel (Nouvelle-Zélande, Australie, Vanuatu, Papouasie Nouvelle-Guinée, Fidji). Cette décision a été formalisée dans une convention signée avec l'État en janvier 2012 : un délégué de la Nouvelle-Calédonie bénéficiant de la protection et des facilités du personnel inscrit sur la liste diplomatique est placé sous l'autorité de l'ambassadeur de France accrédité auprès des autorités de ces cinq pays.

En outre, le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie présidé par Louis Mapou a multiplié les échanges avec le Vanuatu et la Nouvelle-Zélande, allant jusqu'à signer ensemble des déclarations d'intention, préludes à de prochains accords de coopération, pour l'installation d'un second câble sous-marin entre les deux premiers archipels et pour développer les échanges économiques et commerciaux, invoquant dans la presse un premier pas vers un accord « de libre échange »7(*).

Enfin, comme l'y autorise l'article 32 de la loi organique du 19 mars 1999, la Nouvelle-Calédonie est membre, à côté de la France, de la Communauté du Pacifique, organisation internationale à vocation régionale qui a son siège à Nouméa. S'agissant du Forum des îles du Pacifique, autre organisation régionale créée en 1971, la Nouvelle-Calédonie a été intégrée comme membre associé sans parvenir à ce jour à accéder au statut de membre.

Corollaire de ces transferts, l'État a maintenu les services déconcentrés qui relèvent encore de sa responsabilité unique, pour les missions régaliennes, ou partagée, telles que les relations internationales et régionales, la réglementation relative à l'entrée et au séjour des étrangers, la réglementation minière.

L'État a également tenu sa promesse d'accompagner l'exercice du droit à l'autodétermination jusqu'au terme du processus politique défini par l'accord de Nouméa. Il a ainsi organisé les trois consultations d'autodétermination de 2018, 2020 et 2021 à la demande du Congrès. Afin de garantir la régularité et la sincérité du scrutin, il a dépêché sur place 270 délégués sous l'égide de la commission de contrôle de l'organisation et du déroulement de la consultation sur l'accession de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté. Lors du dernier référendum, il a également déployé plus de 1 400 gendarmes sur le territoire afin de garantir la sécurité de la population.

Au-delà de la réforme institutionnelle, l'accord de Nouméa prévoyait une meilleure prise en compte de l'identité kanak dans l'organisation politique et sociale de la Nouvelle-Calédonie. En signant cet accord, l'État a reconnu les « ombres de la période coloniale » et s'est engagé à « restituer au peuple kanak son identité confisquée »8(*). Cette mention marque un tournant dans l'attitude de l'État qui ne reconnaissait pas, jusqu'alors, l'existence juridique d'autres peuples que celle du peuple français9(*).

Sur la question de la gestion du nickel, l'État a également montré à de nombreuses reprises sa capacité à soutenir financièrement cette filière stratégique pour le développement économique de la Nouvelle-Calédonie et dont la rentabilité est mise à mal par la volatilité du cours des matières premières et les fragilités intrinsèques et structurelles du modèle économique de cette exploitation.

B. LES REPRÉSENTANTS INDÉPENDANTISTES ONT TROUVÉ LEUR PLACE DANS LA NOUVELLE ARCHITECTURE INSTITUTIONNELLE

La réussite de l'accord de Nouméa tient également à la capacité des représentants indépendantistes à respecter les engagements pris depuis 1988, au premier rang desquels se trouve le retour à la paix.

La violence avait en effet atteint son paroxysme avec la prise d'otage de gendarmes et l'assaut donné par le groupe d'intervention de la gendarmerie nationale le 5 mai 1988 sur l'île d'Ouvéa, qui s'est soldée par la mort de dix-neuf militants indépendantistes et de deux militaires. En renonçant à l'action violente après la signature des accords de Matignon-Oudinot du 26 juin 1988, les responsables indépendantistes ont rendu possible le dialogue et la co-construction de l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie. Cette concession, qui est aujourd'hui saluée par l'ensemble de la population calédonienne, ne faisait pas consensus parmi les militants indépendantistes au tournant des années 1990. Jean-Marie Tjibaou, signataire des accords de Matignon-Oudinot, et Yeiwéné Yeiwéné, membre du front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS), ont ainsi été assassinés le 4 mai 1989 par un militant leur reprochant d'avoir accepté de négocier l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie avec les responsables non-indépendantistes.

Dix ans après la fin des « évènements », les responsables indépendantistes ont non seulement accepté le retour à la paix mais ont également participé aux processus politiques électoraux communaux, provinciaux et calédoniens définis dans le cadre de l'accord de Nouméa. La configuration politique actuelle n'a jamais été aussi favorable aux indépendantistes qui contrôlent désormais deux des trois provinces
- la province Nord et la province des Iles -, et près de la moitié des communes. Ils président le gouvernement collégial et le Congrès. Les trois consultations d'autodétermination ont été déclenchées par les élus indépendantistes du Congrès dans le strict respect des conditions fixées par l'accord de Nouméa.

Les indépendantistes ont également consenti à partager le droit à l'autodétermination avec un corps électoral partiellement ouvert, tandis que les non-indépendantistes renonçaient à exiger que tous les électeurs de Nouvelle-Calédonie participent aux scrutins. Sans concerner l'ensemble des habitants de la Nouvelle-Calédonie, la liste électorale spéciale pour la consultation (LESC) ne regroupe pas seulement les Kanaks, ce qui témoigne de l'acceptation par les représentants indépendantistes de l'existence d'une identité calédonienne qui va au-delà des ethnies mélanésiennes. Les critères d'inscription sur la LESC, fixés à l'article 218 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999, n'ont pas été modifiés depuis leur mise en oeuvre, malgré les revendications des responsables non-indépendantistes qui considèrent qu'ils sont trop restrictifs compte tenu de l'évolution de la démographie calédonienne.

Les critères d'inscription sur la liste électorale spéciale
pour la consultation (LESC)

L'article 218 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 pose les conditions dérogatoires au droit commun d'inscription sur la liste électorale spéciale pour la consultation.

Il dispose que « sont admis à participer à la consultation les électeurs inscrits sur la liste électorale à la date de celle-ci et qui remplissent l'une des conditions suivantes :

a) Avoir été admis à participer à la consultation du 8 novembre 1998 ;

b) N'étant pas inscrits sur la liste électorale pour la consultation du 8 novembre 1998, remplir néanmoins la condition de domicile requise pour être électeur à cette consultation ;

c) N'ayant pas pu être inscrits sur la liste électorale de la consultation du 8 novembre 1998 en raison du non-respect de la condition de domicile, justifier que leur absence était due à des raisons familiales, professionnelles ou médicales ;

d) Avoir eu le statut civil coutumier ou, nés en Nouvelle-Calédonie, y avoir eu le centre de leurs intérêts matériels et moraux ;

e) Avoir l'un de leurs parents né en Nouvelle-Calédonie et y avoir le centre de leurs intérêts matériels et moraux ;

f) Pouvoir justifier d'une durée de vingt ans de domicile continu en Nouvelle-Calédonie à la date de la consultation et au plus tard au 31 décembre 2014 ;

g) Être nés avant le 1er janvier 1989 et avoir eu son domicile en Nouvelle-Calédonie de 1988 à 1998 ;

h) Être nés à compter du 1er janvier 1989 et avoir atteint l'âge de la majorité à la date de la consultation et avoir eu un de leurs parents qui satisfaisait aux conditions pour participer à la consultation du 8 novembre 1998.

Les périodes passées en dehors de la Nouvelle-Calédonie pour accomplir le service national, pour suivre des études ou une formation ou pour des raisons familiales, professionnelles ou médicales ne sont pas, pour les personnes qui y étaient antérieurement domiciliées, interruptives du délai pris en considération pour apprécier la condition de domicile. »

C. LES REPRÉSENTANTS NON-INDÉPENDANTISTES ONT ACCEPTÉ LE PRINCIPE DE RÉÉQUILIBRAGE ET LES DÉROGATIONS AU PRINCIPE MAJORITAIRE POUR QUE TOUTES LES FORCES POLITIQUES PUISSENT S'EXPRIMER

Afin de garantir le succès de l'architecture institutionnelle dessinée par l'accord de Nouméa, les responsables non-indépendantistes ont également consenti des concessions dont le principe n'a pas été remis en cause depuis vingt-cinq ans.

Dans la continuité des accords de Matignon-Oudinot, l'accord de Nouméa consacre le principe de rééquilibrage entre l'État et la Nouvelle-Calédonie mais aussi entre les Kanaks et les autres Néo-Calédoniens. Son préambule affirme ainsi que « le présent est le temps du partage, par le rééquilibrage ». Au plan institutionnel, ce concept s'est traduit par une clef de répartition des ressources budgétaires entre les différentes provinces volontairement déséquilibrée au regard de leur poids démographique. L'article 181 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 a ainsi fixé la clef de répartition de la dotation de fonctionnement versée par la Nouvelle-Calédonie aux trois provinces : la province Nord et la province des Iles bénéficient respectivement de 32 % et de 18 % de cette dotation contre 50 % pour la province Sud qui concentrait pourtant déjà à l'époque plus des deux tiers de la population10(*), afin de permettre aux provinces Nord et des Iles, où se concentrait la majorité de la population kanak, de se développer.

Malgré la persistance du débat concernant la nécessité de réviser la clef de répartition pour prendre en compte les déséquilibres démographiques croissants entre les trois provinces11(*) qui posent un enjeu d'égalité devant le service public de tous les Néo-Calédoniens, aucune des parties de l'accord de Nouméa ne remet aujourd'hui en cause le principe même du rééquilibrage.

Les non-indépendantistes, comme les indépendantistes, ont également accepté de participer au jeu démocratique et de prendre part à la vie institutionnelle sans jamais remettre en cause les grands principes de celle-ci, qu'il s'agisse de la collégialité du gouvernement, de la répartition des sièges au Congrès ou de la répartition des compétences entre la Nouvelle-Calédonie, les provinces et les communes. Dans ce cadre, les responsables non-indépendantistes ont consenti des dérogations au principe majoritaire afin de permettre aux élus indépendantistes d'être pleinement associés à l'exercice du pouvoir politique. Les élus des provinces Nord et des Iles sont ainsi surreprésentés au Congrès par rapport au poids démographique de leur collectivité, ce qui leur a permis de déclencher, à trois reprises, l'organisation d'une consultation d'autodétermination12(*) et de faire élire un responsable indépendantiste, Roch Wamytam, à la tête de cette institution depuis 2019. Le principe d'un exécutif collégial élu par le Congrès, affirmé par l'accord de Nouméa, témoigne aussi de cette volonté d'associer responsables indépendantistes et non-indépendantistes à l'exercice du pouvoir. La collégialité a ainsi permis aux élus indépendantistes, longtemps minoritaires, de participer à l'exercice du pouvoir exécutif et d'en assumer la présidence, l'institution étant dirigée par Louis Mapou depuis 2021.

II. UN PROCESSUS QUI A PERMIS LE RETOUR DE LA PAIX SUR LE TERRITOIRE ET LA CONSTRUCTION D'UN SYSTÈME INSTITUTIONNEL ORIGINAL

Les rapporteurs saluent le respect des engagements pris par l'État et les acteurs locaux lors de l'accord de Nouméa qui a permis d'aboutir, au terme d'un processus politique complexe, à de nombreuses réussites pour la Nouvelle-Calédonie et l'ensemble des Calédoniens.

A. LE RETOUR ET LE MAINTIEN DURABLE DE LA PAIX

Au premier rang de ces réussites se trouvent le retour et le maintien durable de la paix sur le territoire après quatre années de guerre civile (1984-1988), conditions nécessaires à l'émergence d'une identité calédonienne unique et au développement économique et social du territoire.

Les craintes d'une résurgence de la violence au lendemain des trois consultations d'autodétermination se sont avérées infondées. Les élus locaux, de toutes formations politiques, n'ont jamais appelé à l'action violente et l'État a cherché, à chaque occasion, à sécuriser les processus électoraux et à favoriser le dialogue.

À titre d'exemple, les élus indépendantistes, s'ils ont contesté l'organisation de la troisième consultation d'autodétermination du 12 décembre 2021, ont privilégié sur la violence les appels à la non-participation au scrutin et multiplié les actions légales en déposant deux recours devant le Conseil d'État, tous deux rejetés13(*).

B. UNE ARCHITECTURE INSTITUTIONNELLE ÉPROUVÉE

1. La réussite tardive mais confirmée de l'alternance politique dans les institutions de la Nouvelle-Calédonie

La réussite de l'alternance politique est à mettre au crédit du processus de Nouméa.

Les provinces comme les communes sont dirigées de façon stable et équilibrée par toutes les sensibilités politiques également présentes au Congrès. Cette représentation politique diversifiée n'avait permis aux indépendantistes de présider ni le Congrès ni le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie après les quatre premières élections provinciales.

Néanmoins, l'élection de l'actuel président du gouvernement, Louis Mapou, en 2021, et du président du Congrès, Roch Wamytan, en 2019, ont permis de consacrer l'alternance politique comme l'un des acquis de l'accord de Nouméa et ont donné corps au principe de partage des pouvoirs à l'échelle de la Nouvelle-Calédonie.

2. L'affirmation des provinces comme échelon territorial de base de l'architecture institutionnelle calédonienne

La seconde innovation institutionnelle de ce processus politique inédit est la création d'un nouvel échelon territorial : les provinces, créées à la suite des accords de Matignon-Oudinot, devenues la pierre angulaire du système politique calédonien et incarnant le principe de partage du pouvoir.

Les provinces, élevées au rang de « collectivités territoriales de la République »14(*), disposent en effet d'une compétence de droit commun, les compétences dévolues à l'État et la Nouvelle-Calédonie et les communes étant limitativement énumérées par la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie. Elles interviennent dans de nombreux domaines tels que l'enseignement primaire, la protection de l'environnement et le développement économique. Les provinces jouent donc un rôle central dans l'administration du territoire, d'une part, et dans le jeu institutionnel, d'autre part, puisque les élections provinciales, organisées tous les cinq ans, permettent d'élire les membres du Congrès parmi les 76 conseillers de province.

À l'origine, le découpage du territoire calédonien en provinces devait permettre de définir l'échelon institutionnel pertinent pour mettre en oeuvre le rééquilibrage, le Nord et les Iles étant moins peuplés et moins développés que le Sud, et permettre aux responsables indépendantistes d'accéder à l'exercice du pouvoir politique. Si le succès du rééquilibrage reste à parfaire - les déséquilibres démographiques ont eu tendance à s'accroître au profit du Sud qui compte désormais 65 % de la population15(*) -, il ne fait aucun doute que la création des provinces a permis à l'ensemble des sensibilités politiques calédoniennes de participer à la vie démocratique du territoire et de donner corps au principe de partage du pouvoir.

3. Une gestion des crises politiques et sanitaires qui démontre les imperfections mais aussi la solidité du processus de Nouméa

La Nouvelle-Calédonie a été traversée par de nombreuses crises politiques depuis la mise en oeuvre de l'accord de Nouméa, dont aucune n'a abouti à la paralysie complète et durable du territoire. Cette situation de fait démontre à la fois les fragilités d'un système politique qui favorise la collégialité au détriment du principe majoritaire mais aussi sa résilience et la capacité des responsables politiques locaux à dialoguer pour résoudre les difficultés de manière consensuelle. Depuis 2009, le président du gouvernement a été remplacé par trois fois au cours de la mandature (en 2011, 2015 et 2021) du fait des changements de majorité au sein de cette institution collégiale.

Afin de limiter les périodes de blocage qui ont conduit, à quatre reprises16(*), à l'absence de gouvernement ou de président élu, pour des périodes de plusieurs mois, le législateur a modifié, par la loi organique n° 2011-870 du 25 juillet 2011, l'article 121 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie. Cette modification, qui n'a pas totalement résolu le problème de l'instabilité gouvernementale, a toutefois permis d'empêcher que le gouvernement ne soit renversé par des démissions collectives successives et démontré la résilience et la capacité d'adaptation des institutions calédoniennes.

En complément, la gestion de la crise sanitaire liée à la pandémie de covid-19 a démontré, d'une part, la capacité des institutions calédoniennes et de l'État de travailler ensemble, chacun dans le respect de ses compétences, à la résolution efficace d'une crise, et, d'autre part, la force des institutions calédoniennes pour résoudre les problèmes résultant de cette crise au niveau pertinent et en déployant des mesures adaptées des spécificités du territoire.

La gestion de la crise sanitaire liée à la pandémie de covid-19

Grâce à l'action volontariste du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie et au soutien de l'État, le territoire a réussi à se prémunir de l'arrivée durable du virus de la covid-19 durant dix-neuf mois. Considérant que ces mesures relevaient de la politique de la santé, transférée à la Nouvelle-Calédonie, et non des libertés publiques, de la responsabilité de l'État , le gouvernement a mis en place, dès le début de la pandémie, un sas sanitaire très strict qui a tari le flux de personnes entrant sur le territoire.

L'entrée en Nouvelle-Calédonie n'était possible que dans des cas extrêmement limités et à la condition d'effectuer un isolement obligatoire de quinze jours dans un lieu d'hébergement réquisitionné, la sortie définitive n'étant autorisée que sur présentation de tests sérologiques négatifs.

Ce dispositif, financé à hauteur de 82 millions d'euros par l'État, a permis de limiter considérablement l'impact du virus - qui ne s'est propagé sur le territoire qu'à partir de septembre 2021 - sur la population calédonienne pourtant frappée par une prévalence importante de facteurs aggravants (obésité, comorbidités, etc.). Le taux de mortalité lié à la covid-19 s'est ainsi élevé à 0,1 % en Nouvelle Calédonie soit deux fois moins que le taux constaté à l'échelle nationale.

La gestion de la crise sanitaire a démontré l'esprit de responsabilité des élus calédoniens et la capacité de l'État à accompagner les décisions prises localement.

C. UN TRANSFERT DES COMPÉTENCES NON-RÉGALIENNES RESPECTÉ ET ACCOMPAGNÉ

1. Le respect du calendrier de transfert des compétences de l'État vers la Nouvelle-Calédonie

Comme le prévoit le préambule de l'accord de Nouméa, « le partage de compétences entre l'État et la Nouvelle-Calédonie signifiera la souveraineté partagée [et] sera progressif », étant précisé que « les compétences transférées ne pourront revenir à l'État ».

L'accord de Nouméa prévoyait ainsi une redéfinition de la répartition des compétences entre l'État et la Nouvelle-Calédonie en plusieurs étapes qui ont toutes été mises en oeuvre, dans des conditions satisfaisantes, au terme de ce processus.

Le calendrier de transfert de ses compétences est détaillé par le point 3 de l'accord. Le législateur organique a ainsi distingué trois blocs de compétences ;

- celles transférées dans la foulée de l'accord et mentionnées au I de l'article 22 de la loi organique ;

- celles transférées au cours des second et troisième mandats du Congrès - soit entre 2004 et 2014 - pour les compétences énumérées au III de l'article 21 de la loi organique ;

- celles prévues à l'article 27 de la loi organique et à transférer sur demande du Congrès à partir de son troisième mandat, soit à partir de 2009.

L'article 77 de la Constitution traduit l'irréversibilité du transfert de compétences en prévoyant que les compétences transférées de l'État aux institutions de la Nouvelle-Calédonie le sont de « façon définitive ».

Les compétences immédiatement transférées à la Nouvelle-Calédonie
(à partir du 1er janvier 2000)

Les compétences transférées dans une seconde étape
(au cours des deuxième et troisième mandats du Congrès)

Les compétences partagées

Le droit à l'emploi

Les règles concernant l'état civil, dans le cadre des lois existantes

Les relations internationales et régionales

Le droit au travail des ressortissants étrangers

Les règles de police et de sécurité en matière de circulation aérienne et maritime intérieure

Les étrangers

Le commerce extérieur

L'élaboration des règles et la mise en oeuvre des mesures intéressant la sécurité civile

L'audiovisuel

Les communications extérieures en matière de postes et de télécommunications, à l'exclusion des communications gouvernementales et de la réglementation des fréquences radioélectriques

Le régime comptable et financier des collectivités publiques et de leurs établissements publics

Le maintien de l'ordre

La navigation et les dessertes maritimes internationales

Le droit civil et le droit commercial

La réglementation minière

Les communications extérieures en matière de desserte aérienne lorsqu'elles n'ont pour
escale en France que la Nouvelle-Calédonie et dans le respect des engagements internationaux de la France

Les principes directeurs de la propriété foncière et des droits réels

Les dessertes aériennes internationales

L'exploration, l'exploitation, la gestion et la conservation des ressources naturelles, biologiques et non biologiques de la zone économique

La législation relative à l'enfance délinquante et à l'enfance en danger

L'enseignement supérieur et la recherche scientifique

Les principes directeurs du droit du travail

Les règles relatives à l'administration communale

 

Les principes directeurs de la formation professionnelle

Le contrôle administratif des collectivités publiques et de leurs établissements publics

 

La médiation pénale coutumière

L'enseignement du second degré

 

La définition de peines contraventionnelles pour les infractions aux lois du pays

Les règles applicables aux maîtres de l'enseignement privé sous contrat

 

Les règles relatives à l'administration provinciale

   

Les programmes de l'enseignement primaire, la formation des maîtres et le contrôle pédagogique

   

Le domaine public maritime, transféré aux provinces

   

Source : mission d'information, d'après l'accord de Nouméa

Suivant les orientations de l'accord de Nouméa et en application de l'article 26 de la loi organique, parmi les compétences mentionnées au III de l'article 21, « les compétences transférées et l'échéancier des transferts font l'objet d'une loi du pays adoptée à la majorité des trois cinquièmes des membres du congrès ». Lors d'un déplacement d'une délégation de la commission des lois en Nouvelle-Calédonie en 2015, Jean-Pierre Sueur, Catherine Tasca et Sophie Joissains, alors rapporteurs, avaient constaté que « conformément à cette procédure, l'ensemble des compétences mentionnées au III de l'article 21 avait été transféré à la Nouvelle-Calédonie »17(*).

Parallèlement au transfert de compétences, les établissements publics placés sous la tutelle de l'État ont été transférés vers la Nouvelle-Calédonie en application de l'article 23 de la loi organique.

Il en va ainsi de l'agence de développement de la culture kanak (ADCK) qui a notamment pour mission de gérer le centre culturel Tjibaou, placée sous la tutelle du gouvernement calédonien depuis le 1er janvier 2012.

En revanche, l'agence de développement rural et d'aménagement foncier (ADRAF), dont le rôle est primordial pour la préservation et le retour des terres coutumières, relève toujours de la tutelle de l'État. Il n'existe cependant pas de demande locale pour ce transfert alors que le décret en Conseil d'État décidant du transfert ne peut être pris que sur proposition du Congrès.

L'attribution de ces nouvelles compétences a entraîné une production normative importante, puisque 273 lois du pays ont été promulguées et 15 codes publiés au 30 avril 202318(*). Si le bilan institutionnel, administratif et financier de l'accord de Nouméa du 30 mai 2023 fait état d'un exercice des compétences « limité dans leur pleine appropriation et leur adaptation aux enjeux du territoire » du fait du calendrier resserré de leur mise en oeuvre et du manque de ressources financières et humaines qualifiées, les rapporteurs saluent la capacité de l'État et de la Nouvelle-Calédonie à coopérer pour faire en sorte que ces transferts de compétences soient effectifs et contribuent à l'émancipation du territoire.

2. Une coopération en bonne intelligence entre les services déconcentrés de l'État et l'administration calédonienne

Malgré les nombreux transferts de compétences de l'État vers la Nouvelle-Calédonie, celui-ci demeure présent sur le territoire qui compte, pour une population totale de moins de 270 000 habitants, un haut-commissariat et des subdivisions administratives dans chacune des trois provinces.

L'État a continué à soutenir la Nouvelle-Calédonie, non seulement en finançant des dispositifs destinés à renforcer la formation des élites locales, mais également en maintenant, par le biais des services déconcentrés de l'État présents sur le territoire, des relations de travail pertinentes avec les collectivités calédoniennes. Sept directions mixtes19(*) ont ainsi été créées dans le but de garantir l'organisation administrative la plus efficace pour l'exercice des compétences partagées entre l'État et la Nouvelle-Calédonie ou transférées à la Nouvelle-Calédonie mais nécessitant un appui technique de la part de l'État.

Des conventions de transfert ont également été passées pour permettre à l'administration calédonienne de bénéficier de l'expertise de certains organismes de l'État. Cette coopération peut être ponctuelle, comme dans le cas de la mise à disposition de magistrats pour actualiser les règles de droit civil et commercial, ou permanente, à l'image de la convention signée avec la Commission de régulation de l'énergie (CRE).

D. LA RECONNAISSANCE DÉSORMAIS PRÉSERVÉE DE L'IDENTITÉ KANAK DANS LA VIE INSTITUTIONNELLE ET LA SOCIÉTÉ CALÉDONIENNE

Au-delà des changements institutionnels, la réussite du processus de Nouméa réside également dans une meilleure reconnaissance de l'identité kanak et la mise en oeuvre des premiers chantiers de réconciliation.

À cet égard, le préambule de l'accord de Nouméa, signé par l'État, pose la pleine reconnaissance de cette identité comme un « préalable à la refondation d'un contrat social entre toutes les communautés qui vivent en Nouvelle-Calédonie ». Cette reconnaissance s'est traduite par de nombreuses actions concrètes, parmi lesquelles : la définition du statut civil coutumier et de son articulation avec le statut civil des personnes de droit commun, la création du Sénat coutumier, obligatoirement saisi pour avis sur les projets de loi de pays et de délibérations qui intéressent l'identité kanak20(*), et la reconnaissance de quatre langues kanak comme matière d'enseignement au primaire et au secondaire.

Pour autant, certaines de ces mesures demeurent encore trop limitées. Le Sénat coutumier, créé par l'accord de Nouméa, a rencontré des difficultés l'empêchant d'occuper pleinement la place qui lui est dévolue par les accords dans le système institutionnel calédonien. Il a fallu attendre 2013 pour que cette institution se saisisse de sa compétence consultative. Entre 2013 et 2019, le Sénat coutumier, qui fait face à des difficultés internes, n'a rendu que cinq avis sur des projets ou propositions de lois du pays et quatre sur des projets de délibérations21(*).

En parallèle de ces mesures, de premiers chantiers de réconciliation ont été ouverts par l'État et les acteurs locaux afin d'ouvrir la voie de la construction d'un destin commun. En reconnaissant que « la colonisation a porté atteinte à la dignité du peuple kanak qu'elle a privé de son identité », le préambule de l'accord de Nouméa a marqué un tournant dans l'émergence d'une mémoire collective.

Depuis vingt-cinq ans, de nombreux gestes de réconciliation ont été effectués pour poursuivre ce processus : adaptation des programmes scolaires pour mieux prendre en compte l'histoire de la Nouvelle-Calédonie, instauration d'une fête de la citoyenneté célébrée le 24 septembre, restitution des reliques du chef Ataï par l'État en 2014, etc. De même, Emmanuel Macron est le premier président de la République à s'être rendu à Ouvéa, en 2018, pour participer aux cérémonies de commémoration du drame de la grotte de Gossanah. Soucieux de participer à cette démarche de réconciliation, les rapporteurs se sont également rendus sur ce lieu à l'occasion de leur déplacement en Nouvelle-Calédonie en juin dernier.

La réconciliation passe également par la prise de conscience d'une nécessaire évolution dans le partage des terres coutumières et leur première reconnaissance, puisque, comme l'a consacré le préambule de l'accord de Nouméa : « l'identité de chaque Kanak se définit d'abord en référence à une terre ». Le processus de Nouméa a ainsi permis de poursuivre la réforme foncière, sous l'égide de l'agence de développement rural et d'aménagement foncier (ADRAF), en rationalisant la distinction entre terres coutumières et terres de droit commun. Les terres coutumières couvrent aujourd'hui 17 % du foncier de la grande terre et les litiges sont de plus en plus rares, la plupart des acteurs locaux considérant que « la réforme a permis d'atteindre un équilibre dans la répartition foncière du territoire22(*) ».

E. UN PROCESSUS DE RÉÉQUILIBRAGE FRAGILE QUI APPORTE DE PREMIERS RÉSULTATS

Le principe du rééquilibrage devait se traduire par un rééquilibrage géographique entre les provinces calédoniennes mais également par la résorption des inégalités entre individus et entre populations.

Pour ce faire, plusieurs mécanismes ont été mis en oeuvre :

- en matière économique, avec l'institution d'une clé de répartition des richesses entre provinces ;

- en matière sociale, par la signature de contrats de développement et de programmes visant à l'amélioration de l'accès aux services publics sur l'ensemble du territoire ;

politiquement, à travers le développement d'une élite calédonienne faisant toute sa place aux Kanaks, destinée à accéder aux postes à responsabilités localement.

1. L'institution d'une solidarité entre provinces : l'exemple de la clé de répartition

Pour donner corps au principe de rééquilibrage, une clé de répartition financière entre provinces a été introduite dès les accords de Matignon et a été reconduite par l'accord de Nouméa. En effet, les ressources versées aux provinces, qui constituent l'essentiel de leurs ressources financières, sont réparties, non en fonction d'une pondération strictement fondée sur leurs poids démographiques respectifs, mais en fonction de pourcentages prenant en compte les retards de développement de chaque province.

Le mécanisme de la clé de répartition budgétaire entre provinces

Sur le plan budgétaire, la péréquation entre les trois provinces s'exerce à travers le budget de la Nouvelle-Calédonie qui assure le versement des dotations de fonctionnement et d'investissement aux trois provinces. Ces dernières ne disposent en complément que de recettes fiscales propres très limitées, se réduisant à 6 % de leurs recettes réelles de fonctionnement, et de dotations directement versées par l'État pour compenser des charges transférées (dotation globale de fonctionnement et dotation globale d'équipement et de construction des collèges).

L'essentiel des finances provinciales provient donc du budget de la Nouvelle-Calédonie. La part du budget territorial à destination des provinces est affectée selon une clé de répartition prévue par l'article 181 de la loi organique du 19 mars 1999 :

- pour la dotation de fonctionnement : 50 % pour la province Sud, 32 % pour la province Nord et 18 % pour la province des îles Loyauté ;

- pour la dotation d'équipement : 40 % pour la province Sud, 40 % pour la province Nord et 20 % pour la province des îles Loyauté.

Cette clé de répartition constitue une aide en faveur du rééquilibrage au bénéfice des provinces Nord et des îles Loyauté. En effet, si la répartition des dotations entre provinces s'opérait sur un critère purement démographique, elle conduirait à verser 74,5 % à la province Sud, 18,4 % à la province Nord et 7,1 % à la province des îles Loyauté.

Depuis 2004, elle peut être modifiée, outre par la loi organique, par une loi du pays votée à la majorité des trois cinquièmes des membres du Congrès de la Nouvelle-Calédonie.

Comme le montre le graphique ci-dessous, « les clés de répartition décidées par les signataires des accords ont été efficientes : la perte de revenu socialisé imposée aux habitants de la province Sud ayant été largement compensée par les gains obtenus pour les agents résidant dans les provinces Nord et Iles »23(*).

Évolution du revenu socialisé par habitant imputable aux clés de répartition entre 1998 et 2019 (moyenne annuelle en milliers de CFP)

Source : bilan de l'accord de Nouméa, mai 2023.24(*)

2. Un effort soutenu dans la résorption des inégalités sociales en particulier dans l'accès aux services publics

L'accord de Nouméa avait pour objectif le rééquilibrage social et y a contribué au travers des contrats de développement qui ont visé, depuis 1990, l'amélioration des conditions de vie des populations.

Le rattrapage des provinces des Iles et Nord par rapport à la province Sud sur le volet du développement humain illustre l'augmentation de la qualité de vie pour les habitants de ces provinces depuis la conclusion de l'accord de Nouméa et le déploiement des contrats de convergence afférents.

Indice de développement humain des provinces Nord (en haut)
et des Iles (en bas) en % de l'indice de développement humain
de la province Sud en 1996, 2009, 2014 et 2019

Source : bilan de l'accord de Nouméa, mai 202325(*).

En effet, le rééquilibrage est particulièrement satisfaisant s'agissant du niveau général de santé des trois provinces mais également en ce qui concerne le niveau de vie qui a connu une très forte progression dans les provinces des Iles et Nord : l'indice du niveau de vie en province des Iles correspondait à 28 % de celui de la province Sud en 1996 et a quasiment doublé, pour atteindre 49 % désormais.

Dès lors, bien que ces résultats témoignent de la persistance d'inégalités entre provinces, ils illustrent les effets encourageants et concrets de la promesse de rééquilibrage qui avait présidé à la conclusion de l'accord de Nouméa.

3. L'émergence d'une élite calédonienne

Le rééquilibrage s'appuie enfin sur la formation d'une « élite » calédonienne et kanak, corollaire du transfert des compétences de l'État vers la Nouvelle-Calédonie. Dans cette optique, de nombreux dispositifs ont été mis en oeuvre pour renforcer la formation initiale et continue tels que les bourses d'études accordées par les provinces ou la convention d'éducation prioritaire signée entre l'Institut d'études politiques de Paris, le gouvernement, les trois provinces et cinq lycées partenaires répartis sur l'ensemble du territoire.

Le programme « Cadres avenir »

L'article 4.1.2 de l'accord de Nouméa prévoit la création d'un « programme spécifique, qui prendra la suite du programme « 400 cadres », concernera les enseignements secondaire, supérieur et professionnel, et tendra à la poursuite du rééquilibrage et à l'accession des Kanaks aux responsabilités dans tous les secteurs d'activités ».

Le dispositif « Cadres avenir » a ainsi été mis en oeuvre, au lendemain de l'accord de Nouméa, pour permettre aux jeunes calédoniens - et en premier lieu aux Kanaks qui représentent 67 % des bénéficiaires - déjà titulaires d'un diplôme de l'enseignement supérieur de poursuivre ou de reprendre un cursus d'études supérieures dans l'hexagone afin d'accéder à des postes à responsabilités sur le territoire. Le périmètre du dispositif s'est élargi en 2016, à la demande des membres du comité de signataires, à l'accompagnement des étudiants préparant les concours nationaux de la haute fonction publique afin de les former à l'exercice des compétences régaliennes. Le programme « Cadres avenir » est financé à 90 % par l'État et à 10 % par la Nouvelle-Calédonie.

Les rapporteurs, qui ont rencontré des membres de l'association du programme « Cadres avenir » à l'occasion de leur déplacement en Nouvelle-Calédonie en juin 2022, ont pu constater à quel point ce dispositif était essentiel à la formation des cadres supérieurs calédoniens. En 2022, plus de 300 dossiers de candidatures avaient été déposés et 79 candidats ont pu bénéficier de ce programme dans des filières identifiées comme prioritaires pour le développement du territoire (santé, social, administration, etc.)26(*).

III. DES ÉCHECS QUI FREINENT LE DÉVELOPPEMENT POLITIQUE ET ÉCONOMIQUE DU TERRITOIRE

Alors qu'un cycle politique de trente-quatre ans semble se clore, les rapporteurs ne peuvent que constater qu'il n'aura pas apporté toutes les réponses espérées.

S'il est loin d'avoir été vain, en ce qu'il a contribué à apporter à ce territoire une paix civile dont la nécessité ne saurait jamais être rappelée avec suffisamment de force, ce cycle n'a cependant pas permis de résoudre les difficultés politiques, économiques et sociales, qui ont justifié son engagement.

A. L'ABSENCE DE FIN CONSENSUELLE AU TERME D'UN PROCESSUS OUVERT IL Y A 34 ANS

Long de plus de trente ans, le processus enclenché par les accords de Matignon et de Nouméa n'a pas connu une fin consensuelle.

Comme l'avait déjà relevé la mission dans son rapport d'étape : « malgré d'incontestables avancées, ce processus n'a pas permis de dégager de solution politique consensuelle et définitive quant à l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie. Les rapporteurs n'ont pu que le constater, les différents mécanismes mis en place par l'accord de Nouméa n'ont pas fait émerger une vision pleinement partagée au sein de la population calédonienne quant à l'avenir institutionnel de l'archipel »27(*).

Extraits du rapport d'étape de la mission, p. 18-22

«Premièrement, l'organisation de trois consultations relatives à l'autodétermination n'a pas permis de sortir d'un vote qualifié d'« identitaire » par les chercheurs. En effet, pour Alain Christnacht, « l'espoir exprimé dès les accords de Matignon et renouvelé avec l'accord de Nouméa, c'était précisément de sortir d'un déterminisme ethnique opposant les Kanaks, pour l'indépendance, et tous les autres, contre »28(*). Or, pour Sylvain Brouard et Samuel Gorohouna, chercheurs au CEVIPOF et au LARJE, « le premier déterminant du vote pour le « oui » est l'appartenance communautaire et singulièrement à la communauté Kanak puis Océanienne », et ce lors des trois consultations29(*).

Ainsi, comme le conclut Alain Christnacht, « au terme des trois référendums, le pari initial - à savoir sortir à terme du clivage ethnique - n'a pas vraiment été tenu ».

Plus encore, ce processus n'a pas épuisé les revendications de chacune des parties, et singulièrement celles des partis politiques indépendantistes en faveur de l'accession à la pleine souveraineté.

À l'issue du dernier scrutin, Roch Wamytan, président du congrès de la Nouvelle-Calédonie a déclaré que « les deux groupes sont renvoyés dos à dos » et confirmé sa vision politique selon laquelle « la Nouvelle-Calédonie conserve sa vocation à être indépendante, un jour »30(*).

À l'inverse, du côté non-indépendantiste, Sonia Backès, présidente de la province Sud, réagissait en affirmant que « la question de l'appartenance à la République ne se pose plus. Ce qui va se poser, c'est la construction d'un projet de société et il nous appartient de le construire tous ensemble »31(*).

(...)

Deuxièmement, l'organisation politique calédonienne demeure largement déterminée par les débats institutionnels. Le débat politique est ainsi polarisé par le positionnement vis-à-vis de l'indépendance, qui demeure un critère d'identification fort pour l'ensemble des formations et du personnel politiques calédoniens. Les principaux responsables politiques continuent de porter des visions antagonistes de l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie au cours des campagnes électorales locales mais également nationales.

Ainsi, toutes les strates de l'organisation politique calédonienne sont organisées selon ce clivage :

les maires de Nouvelle-Calédonie sont représentés par deux associations, l'association des maires de Nouvelle-Calédonie et l'association des maires français de Nouvelle-Calédonie, auxquels ils adhérent en fonction, à une exception près, de leur positionnement quant au maintien ou non de la Nouvelle-Calédonie dans la République française ;

- aucune des trois provinces de Nouvelle-Calédonie, qui ont été découpées afin de permettre une répartition du pouvoir politique entre les partis indépendantistes au Nord et dans les Iles Loyauté et non-indépendantistes au Sud de la Nouvelle-Calédonie, n'a connu d'alternance politique au cours des trente dernières années ;

le congrès de la Nouvelle-Calédonie est structuré autour de groupes politiques classés selon leur positionnement par rapport à la question de l'indépendance de la Nouvelle-Calédonie, à l'exception du parti de l'Éveil Océanien. Ce dernier, bien que refusant de se positionner sur cette question, ne s'extrait toutefois pas de cette summa divisio puisque, par la voix de son président, Milakulo Tukumuli, auditionné par les rapporteurs, il « prône un équilibre entre les deux forces qui ne peut se réaliser que par la répartition du pouvoir politique » entre les partis indépendantistes et non-indépendantistes au sein du congrès et du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie ;

le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, bien qu'il repose sur un fonctionnement collégial, est structuré selon les mêmes forces politiques.

(...)

Troisièmement, si la société civile aspire à ce que de nouveaux thèmes, principalement économiques, éducatifs et sociaux, prennent la place qui leur revient dans le débat politique calédonien, force est de constater que n'a pas émergé de celle-ci une solution spontanée - et indépendante des formations et du personnel politiques - aux divisions que connaît ce territoire. La période ouverte par les accords de Matignon et prolongée par l'accord de Nouméa n'a ainsi pas permis de dégager par elle-même une vision politique partagée au sein de la société calédonienne qui s'imposerait, le temps aidant, avec la force de l'évidence.

B. LES INSTITUTIONS POLITIQUES ET ADMINISTRATIVES ISSUES DES ACCORDS SOUFFRENT AUJOURD'HUI DE DÉFAUTS SOULIGNÉS PAR L'ENSEMBLE DES PARTIES

Les auditions menées par les rapporteurs ont révélé les fragilités du système institutionnel institué par les accords de Matignon et de Nouméa, détaillé par la loi organique du 19 mars 1999 précitée. Les institutions créées par l'accord de Nouméa font en effet l'objet de critiques nourries de la part tant des acteurs politiques que des représentants des acteurs économiques, sociaux, culturels, environnementaux, et de services de l'État en Nouvelle-Calédonie, illustrant la nécessité de réformes institutionnelles.

Trois types de critiques ont ainsi été systématiquement évoqués au cours des auditions.

Le premier concerne la répartition des compétences entre les institutions de Nouvelle-Calédonie, qui n'est pas jugée aujourd'hui pleinement satisfaisante.

Ainsi, l'ensemble des acteurs auditionnés a déploré l'enchevêtrement des compétences telles que réparties entre les différentes institutions de Nouvelle-Calédonie par la loi organique de 1999, source d'inefficacité des politiques publiques, de surcoûts et d'un défaut de lisibilité tant pour les citoyens que les acteurs politiques et économiques.

Il en va ainsi en particulier de la compétence urbanisme qui est répartie entre l'échelon communal et l'échelon provincial, de telle sorte que toute modification des documents d'urbanisme à un niveau communal doit être approuvée par la province dans laquelle il se situe. Particulièrement critiqué par Sonia Lagarde, maire de Nouméa, un tel enchevêtrement des compétences aboutit non seulement à un sentiment de dessaisissement de leur compétence par les maires mais également à une inefficacité de la politique de l'urbanisme et, par suite, du logement et de l'aménagement, dont les procédures sont particulièrement longues et coûteuses.

De la même manière, les difficultés rencontrées dans l'exercice par le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie de certaines compétences transférées, en particulier le droit civil et le droit commercial, sont reconnues par de nombreux acteurs politiques comme économiques.

Des difficultés d'appropriation des compétences juridiques rendant complexe l'émergence d'un corpus juridique comparable à celui de l'hexagone

S'il est indéniable que la procédure d'adoption de lois du pays par les institutions de la Nouvelle-Calédonie fonctionne puisque 15 codes ont été publiés et 273 lois de pays adoptées, il n'en demeure pas moins que, comme l'ont révélé les auditions des rapporteurs, de nombreux corpus juridiques transférés à la Nouvelle-Calédonie ne sont ni actualisés au regard des avancées juridiques existantes dans l'hexagone, ni adaptés aux spécificités du territoire calédonien comme l'exercice local de ces compétences l'y invite.

Ainsi, comme le relève le bilan de l'accord de Nouméa, cela s'illustre sur trois champs normatifs spécifiques :

- « en matière de procédure civile, la dématérialisation des notifications des actes n'est pas possible. Les mécanismes de saisie automatique sur salaire ou sur compte bancaire pour la mise en oeuvre de décisions (paiement de pension par un parent par exemple) sont également inexistants » ;

- « en droit du travail : la rupture conventionnelle (ou une adaptation) est absente du code du travail » ;

- « en matière d'aviation civile, certains référentiels normatifs n'ont pas évolué depuis le transfert. Le référentiel réglementaire est ainsi différent pour les pompiers de l'aéroport de Tontouta (État) et pour ceux de l'aéroport de Magenta (Nouvelle-Calédonie), pouvant créer incohérences et inefficience (les formations sont différenciées) »32(*).

Par ailleurs, la répartition actuelle des compétences entre les institutions calédoniennes est, selon certains acteurs auditionnés, source d'inefficacité et de difficultés concrètes pour les citoyens.

À titre d'exemple, les organisations syndicales ont unanimement dénoncé les difficultés à instituer une plateforme unique d'offres d'emplois publics abondée par l'ensemble des collectivités territoriales de Nouvelle-Calédonie, alors même que le territoire recense moins de 8 000 demandeurs d'emplois. Les acteurs économiques réunis dans le consortium NC Eco ont particulièrement insisté sur le morcellement du droit de l'environnement en Nouvelle-Calédonie qui, relevant d'une compétence provinciale, varie d'une province à l'autre et complexifie les activités économiques.

La deuxième série de critiques porte sur les difficultés
rencontrées dans le fonctionnement quotidien des institutions de la Nouvelle-Calédonie
, et en particulier l'inertie résultant du principe de collégialité présidant au processus décisionnel calédonien.

Un consensus semble exister localement sur la nécessité de leur rénovation afin, notamment, de garantir la continuité des institutions de la Nouvelle-Calédonie et de faciliter l'adoption de réformes visant à redresser la situation budgétaire et financière du territoire et de renforcer l'efficacité des dépenses publiques.

Il est, à cet égard, particulièrement éclairant de noter que la Nouvelle-Calédonie a connu, depuis 1999, dix-sept gouvernements et dix présidents de gouvernement alors que seules cinq élections provinciales et au Congrès ont été organisées. Aussi l'année 2011 est-elle l'exemple paroxystique de l'instabilité gouvernementale en Nouvelle-Calédonie : pas moins de cinq gouvernements se sont succédé en une seule année, notamment du fait de la faculté ouverte à toute liste issue d'un seul groupe au Congrès de faire tomber le gouvernement sous l'effet de démissions collectives.

De surcroit, la Nouvelle-Calédonie a connu plusieurs périodes significatives - entre trois et six mois - sans gouvernement et sans président élu du Congrès, tant après une victoire électorale des indépendantistes (entre le 17 février 2021, date des élections provinciales, et le 16 juillet 2021, date de la formation du gouvernement) qu'une victoire des non-indépendantistes (entre le 31 août 2017 et le 1er décembre 2017).

Enfin, comme l'avait déjà souligné une précédente mission de la commission des lois du Sénat en 2015, « les réformes appelées de ses voeux par la population n'aboutissent toutefois que difficilement au terme d'un marathon procédural en raison de la multiplication des oppositions et de l'absence d'accord permettant de dégager une majorité33(*) ». L'alternance politique qu'a représenté l'accession à la présidence du Congrès comme du gouvernement du FLNKS, n'a pas permis d'endiguer ces difficultés procédurales comme politiques résultant des règles, en particulier de collégialité et de majorités qualifiées, enserrant les décisions du Congrès.

En effet, l'exercice quotidien du processus collégial de décision, dans un contexte où l'exercice de compétences dévolues par l'État à la Nouvelle-Calédonie en vue de son autonomisation revêt des enjeux symboliques forts et est apprécié à l'aune d'un clivage politique plus large quant à l'avenir du territoire, est particulièrement source d'inertie, y compris sur des sujets techniques. Chaque projet de réforme, même technique, peut être source de désaccord tant il est apprécié politiquement à l'aune des conséquences réelles ou théoriques sur la nature du futur lien entre le territoire et la République.

À titre d'exemple, en application de la convention de transfert du droit civil et commercial à la Nouvelle-Calédonie, deux magistrats judiciaires ont été mis à la disposition des institutions calédoniennes afin de les accompagner, notamment, dans l'actualisation des corpus juridiques calédoniens. Si ces travaux ont abouti à des recommandations techniques d'actualisation et d'amélioration rédactionnelle du corpus juridique calédonien, aucun n'a été effectivement traduit dans ce corpus juridique, les débats au Congrès ayant été paralysés par des discussions politiques sur la pertinence de conserver l'exercice de ces compétences au niveau du territoire, entre les élus indépendantistes désireux de maintenir l'irréversibilité du transfert de ces compétences et les élus non-indépendantistes prônant une remontée de celles-ci au niveau national.

Enfin, la dernière série de critiques portait sur les faiblesses de l'institution communale, grande oubliée des accords de Matignon et de Nouméa.

Outre l'exemple de la compétence urbanisme, exercée en lien avec une autre collectivité, les maires rencontrés par la mission ont unanimement déploré leur manque de moyens pour exercer les compétences de proximité et du quotidien qu'ils sont pourtant les seuls capables d'exercer efficacement et en lien avec les besoins des citoyens.

Ils ont, à ce titre, particulièrement insisté sur le manque de moyens financiers et singulièrement fiscaux, à leur main, contrairement aux deux autres types de collectivités calédoniennes. Ainsi, les deux associations des maires présentes en Nouvelle-Calédonie ont convergé dans leur souhait de doter les communes de Nouvelle-Calédonie d'une autonomie financière mais aussi d'outils d'intercommunalité similaires à ceux dont peuvent bénéficier les communes de l'hexagone.

Dès lors, les rapporteurs constatent que, loin d'être des difficultés conjoncturelles ou imputables à une seule élection ou une seule majorité, les institutions issues de l'accord de Nouméa souffrent aujourd'hui de défauts soulignés par l'ensemble des parties qu'il conviendra de corriger dans un prochain statut.

C. DES INDICATEURS SOCIO-ÉCONOMIQUES ET BUDGÉTAIRES DÉGRADÉS

Au cours des auditions menées en Nouvelle-Calédonie, la quasi-totalité des personnes entendues ont évoqué l'évolution institutionnelle. Les rapporteurs ont cependant été frappés de constater à quel point la question institutionnelle et les controverses qu'elle suscite au coeur du débat public pouvaient occulter d'autres enjeux tels que le développement économique et social du territoire et la mise en place des conditions pour aboutir au destin commun qu'appelle de ses voeux le préambule de l'accord de Nouméa.

Lors de leur audition, les acteurs issus du monde économique comme les principaux syndicats ont unanimement estimé que la focalisation excessive sur les questions institutionnelles s'opérait au détriment du traitement des questions économiques et sociales.

Les rapporteurs ont donc souhaité s'arrêter sur les trois principales difficultés socio-économiques à l'échelle du territoire qui, quel que soit le futur statut institutionnel de la Nouvelle-Calédonie, doivent trouver des solutions politiques efficaces afin de maintenir la paix civile et favoriser le développement économique sur le territoire calédonien.

1. La baisse démographique et les départs volontaires de citoyens calédoniens

La mission a été, à plusieurs reprises, alertée par les acteurs politiques mais aussi économiques et sociaux sur l'inquiétante atonie de la croissance démographique sur le territoire calédonien et, en particulier, sur l'augmentation du nombre de départs volontaires de résidents ou citoyens calédoniens.

Ainsi, si au 1er septembre 2019, 271 407 personnes vivaient en Nouvelle-Calédonie, celle-ci a connu une diminution historique au 1er janvier 2022, s'établissant à niveau inférieur à 270 000 habitants, le plus bas niveau depuis 201534(*).

Depuis 2014, le nombre d'habitants augmente en moyenne de 0,2 % par an en Nouvelle-Calédonie. La Nouvelle-Calédonie enregistre ainsi son taux de croissance de population le plus bas depuis plus de cinquante ans et, plus préoccupant encore, celui-ci est plus faible qu'en France métropolitaine (une progression de 0,4 % par an entre 2012 et 2017), que dans les départements d'outre-mer ou qu'en Polynésie française (avec des progressions de 0,6 %).

Comme l'illustre le graphique ci-dessous, cette atonie de la croissance démographique calédonienne s'explique, à titre principal, par la conjonction de deux phénomènes : d'une part, la diminution du nombre de naissances pesant, à la baisse, sur le solde naturel et, d'autre part, un solde migratoire apparent devenu négatif depuis plusieurs années.

Évolution de la croissance démographique
et de ses différentes composantes en Nouvelle-Calédonie entre 1969 et 2019

Source : INSEE35(*)

En effet, depuis 2020, le nombre annuel de naissances s'est établi sous le seuil des 4 000 naissances par an, pour la première fois depuis trente-cinq ans. Il s'est établi à, respectivement, 3 339 et 3 930 naissances en 2020 et en 2021. Comme le notait l'institut de la statistique et des études économiques de Nouvelle-Calédonie, « la baisse tendancielle du nombre de naissances, observée depuis une dizaine d'années, se confirme [depuis 2020] et s'accentue »36(*).

En outre, le net fléchissement démographique s'explique par un solde migratoire apparent devenu négatif pour la première fois depuis près de quarante ans en 2014. Comme le souligne l'Insee dans son dernier recensement, « entre 2014 et 2019, 27 600 personnes qui vivaient en Nouvelle-Calédonie en 2014 ont quitté l'archipel, soit un habitant sur dix. Les trois quarts des départs concernent des personnes qui ne sont pas nées en Nouvelle-Calédonie, les autres correspondant souvent à des étudiants. Les départs sont deux fois plus nombreux qu'au cours des cinq années précédentes. Inversement, 17 300 personnes qui ne vivaient pas en Nouvelle-Calédonie en 2014 sont arrivées depuis »37(*). Ainsi, le solde migratoire apparent est déficitaire de 10 300 personnes entre 2014 et 2019, ce qui représente 2 000 départs nets par an.

Cette situation particulièrement inquiétante aux yeux des rapporteurs semble trouver une explication multifactorielle mais dont le contexte institutionnel revêt un part significative. Ainsi, d'un constat partagé avec l'Insee, il apparaît que « trois principaux motifs peuvent expliquer ce déficit migratoire : le faible dynamisme économique observé depuis la chute des prix du nickel en 2015 et la fin des phases de construction d'usines de transformation de nickel, les appréhensions suscitées par l'incertitude institutionnelle durant la période des trois référendums d'auto-détermination et la mise en place concrète de la loi sur la protection de l'emploi local attirant moins de main-d'oeuvre extérieure »38(*).

2. L'incertitude économique et le ralentissement de l'activité économique locale

Autre sujet d'inquiétude pour les acteurs rencontrés par les rapporteurs, le ralentissement de l'activité économique depuis plusieurs années en Nouvelle-Calédonie, couplé à l'incertitude liée aux discussions politiques relatives à l'avenir institutionnel.

En effet, comme l'avait fait valoir le consortium d'acteurs économiques NC Eco dès 2021, « à une croissance atone, installée sur un régime au ralenti, s'ajoute la fin d'un cycle politique : l'échéance des « Accords ». Les résultats du deuxième référendum ont plongé l'ensemble du monde économique calédonien dans un état de profonde inquiétude. L'inextricable clivage politique est aujourd'hui vécu comme un poids supplémentaire qui compromet toute reprise économique. L'attentisme lié à l'incertitude institutionnelle mine l'économie »39(*).

Cela se traduit directement par une forte volatilité de l'indicateur du climat des affaires qui ne s'est établi, depuis 2016, qu'une seule fois à hauteur de son niveau moyen entre 1999 et 2021, et ce, en 2022, à l'issue du cycle référendaire des accords. Toutefois, après cette embellie en 2022, le climat des affaires semble déjà, au premier trimestre de l'année 2023, s'essouffler et annoncer une nouvelle dégradation de ce dernier.

Évolution de l'indicateur du climat des affaires entre 2019 et 2023
(100 = moyenne de longue période, 1999 - 2021)

Source : IEOM40(*)

En parallèle, l'incertitude planant sur le monde économique a pour effet direct de limiter les investissements des entreprises privées, en particulier s'ils sont lourds et pluriannuels. Ainsi, comme le révélait l'IEOM, « en 2022, la majorité des entreprises reste toutefois très prudente sur les prévisions d'investissement à 12 mois. Ce solde d'opinion diminue au dernier trimestre de l'année pour la quatrième fois consécutive et se maintient sous sa moyenne de longue période »41(*).

3. La situation budgétaire et financière très dégradée de la Nouvelle-Calédonie et des comptes sociaux

Enfin, les rapporteurs ont été alertés par l'ensemble des acteurs de la classe politique comme de la société civile sur la situation budgétaire et financière particulièrement dégradée de la Nouvelle-Calédonie et des comptes sociaux calédoniens.

Comme le rappelle la chambre territoriale des comptes de Nouvelle-Calédonie, « la situation critique des comptes des régimes de protection sociale et de la collectivité de Nouvelle-Calédonie n'est pas récente »42(*) et remonte au moins à l'année 2017.

Toutefois, dans un récent rapport d'observations définitives, la chambre territoriale des comptes a relevé un nombre critique de difficultés budgétaires rencontrées par la Nouvelle-Calédonie et la Caisse de compensation des prestations familiales, des accidents du travail et de prévoyance des travailleurs de Nouvelle-Calédonie (CAFAT) qui agrège l'ensemble des régimes de protection sociale calédoniens.

Sans être exhaustifs, les rapporteurs relèvent que :

- en dépit d'un fonds de roulement global de l'ordre de 15 MdF CFP, la collectivité connaît en permanence des difficultés de trésorerie ;

- les dépenses sanitaires et sociales portées par le budget principal de la Nouvelle-Calédonie ont atteint 25,2 MdF CPF en 2020 et 2021, puis 11,6 Mdf CPF en 2022 ;

- le taux d'endettement de la Nouvelle-Calédonie est de 255 % et celle-ci doit faire prochainement face à d'importantes échéances de remboursement des deux prêts qu'elle a contractés auprès de l'Agence française de développement (AFD) et qui ont été garantis par l'État en 2020 puis 2022 ;

- le déficit global des comptes sociaux a été multiplié par 5,2 entre 2017 et 2020 ;

- certains régimes de protection sociale calédoniens sont proches de la rupture de paiement, notamment le Ruamm dont le déficit a dépassé les 11 MdF CPF en 202243(*).

D. LA PERSISTANCE D'INÉGALITÉS ENTRE INDIVIDUS ET COMMUNAUTÉS, SIGNE DES DIFFICULTÉS DU PROCESSUS DE RÉÉQUILIBRAGE TERRITORIAL

L'accord de Nouméa portait en lui la promesse d'un rééquilibrage entre provinces mais aussi entre individus et communautés en réponse aux retards de développement observés particulièrement en province Nord et des Iles, à forte majorité peuplées de Kanaks. S'il a incontestablement permis des avancées économiques, sociales, sanitaires et culturelles afin d'améliorer les conditions de vie des Calédoniens, en particulier des Kanaks, les rapporteurs constatent, avec regret, qu'il n'a pas tenu l'ensemble de ses promesses et, par suite, résorbé les inégalités entre les individus.

Sur le plan économique, comme l'a révélé le bilan de l'accord de Nouméa, « des progrès sensibles en matière de rééquilibrage économique » ont été opérés mais ils « demeurent à approfondir »44(*).

En effet, « les écarts de PIB par habitant se sont considérablement réduits entre 1996 et 2019 45(*)» puisque le PIB par habitant en province Nord, après avoir été inférieur de 54 % à celui de la province Sud, n'est plus inférieur que d'un tiers ; de la même manière, pour la province des Iles, après avoir été inférieur de 65 % au PIB par habitant moyen en Nouvelle-Calédonie, il a progressé jusqu'à être inférieur de 46 % en 2019.

Écarts de PIB par habitants par province par rapport
à la moyenne de la Nouvelle-Calédonie entre 1989 et 2019

Source : Bilan de l'accord de Nouméa, mai 202346(*)

Un processus de convergence économique est donc en marche, mais ses effets demeurent insuffisants.

Au niveau social, s'il est incontestable qu'un rattrapage de l'indice du développement humain observé en provinces des Iles et Nord par rapport à celui de la province Sud existe, celui-ci masque de fortes disparités dans l'accès à certains services publics tels que le numérique ou l'éducation comme le montrent les graphiques ci-dessous.

Indice de développement humain des provinces Nord (à gauche)
et des Iles (à droite) en % de l'indice de développement humain
de la province Sud en 1996, 2009, 2014 et 2019

Source : Bilan de l'accord de Nouméa, mai 202347(*)

Ainsi, les rapporteurs font leurs les constats avancés dans le bilan de l'accord de Nouméa, qui rappelle que : « l'effort d'investissement, porté par les contrats de développement, a favorisé le rééquilibrage social entre les provinces. Une réduction des écarts entre les provinces en matière d'accès aux services publics (soins, raccordement aux réseaux, éducation) est manifeste. Ces effets sont plus limités sur les écarts de niveau de vie, (...) les écarts demeurent importants et [le] rythme [de rattrapage] peut être perçu comme insuffisant ».

Enfin, sujet primordial en Nouvelle-Calédonie, le processus de rééquilibrage devait permettre une meilleure reconnaissance de l'identité kanak ainsi que l'émergence d'une culture calédonienne tenant compte de toutes les composantes de la société calédonienne.

Sur ces deux points, les rapporteurs constatent que, malgré des manifestations visibles et tangibles d'une meilleure reconnaissance de l'identité kanak - l'institution d'un sénat coutumier, la création d'un statut civil kanak, la répartition des terres, la restitution de l'acte de possession - comme d'une culture calédonienne commune - la levée des deux drapeaux et l'adoption d'un hymne calédonien -, les progrès en la matière ne peuvent être objectivement mesurés. En effet, à l'inverse, la faculté pour la Nouvelle-Calédonie de se doter d'un nouveau nom, pourtant prévue par l'article 5 de la loi organique de 1999 précitée, n'a pas été exercée, faute de consensus. De la même manière, les sénateurs coutumiers rencontrés par les rapporteurs ont unanimement déploré le chemin encore à parcourir pour assurer la pleine reconnaissance, par tous les individus et non plus seulement l'État, de l'identité kanak.

Ainsi, les rapporteurs rappellent que nombreux sont les responsables qu'ils ont rencontrés à leur avoir fait part d'un besoin non seulement de réconciliation mémorielle mais aussi d'émergence d'une culture calédonienne réellement commune, prenant racine dans une citoyenneté calédonienne pleinement affirmée et aboutie qui serait forte de sa diversité tout en postulant un destin commun.

La voie tracée par l'accord de Nouméa, dans le droit fil des accords de Matignon, est celle d'un avenir partagé par les nouvelles générations afin de couronner le processus de réconciliation de la société civile que la Nouvelle-Calédonie a entamé depuis plusieurs années. Au regard de situations comparables dans la région du Pacifique sud, ce processus est à certains égards exemplaire mais il n'est pas encore pleinement achevé.

En 2013 déjà, dans leur rapport, Ferdinand Mélin-Soucramanien et Jean Courtial soulevaient cette difficulté s'agissant de la citoyenneté calédonienne : « la constitution d'une citoyenneté infra-étatique n'est pas nécessairement le stade précurseur d'une nationalité et, vice-versa, la constitution d'une nationalité n'est en rien solide et durable si, dans l'un et l'autre cas, la citoyenneté ou la nationalité n'est pas assise sur une communauté réelle qui se ressent comme telle48(*) ».

C'est pourquoi, outre la nécessaire reconnaissance, à sa juste valeur, et protection de l'identité kanak qui doivent être assurément consolidées, les rapporteurs considèrent que la construction d'une identité calédonienne commune passe par la recherche de symboles, valeurs, et expériences communs, qui n'est pas, à ce jour, parachevée.

PARTIE II : FIXER LES CONDITIONS ET LES REPÈRES D'UNE NÉGOCIATION AMBITIEUSE AU SERVICE DES CALÉDONIENS ET ACCEPTABLE PAR LES TROIS PARTIES ET LE PARLEMENT

Après avoir formulé des recommandations quant à la méthode devant présider à la reprise des négociations, les rapporteurs souhaitent rappeler la nécessité d'une réforme du statut de la Nouvelle-Calédonie. Cette réforme devrait intervenir le plus tôt possible et, en tout état de cause, avant la tenue des élections provinciales.

Les rapporteurs formulent des recommandations quant aux principes pouvant conduire à la conclusion d'un nouvel accord. Ils rappellent que tout accord entre les parties devra trouver une traduction législative, précédée le cas échéant d'une révision constitutionnelle, par exemple si des dérogations au principe de l'égalité de tous les citoyens devant le suffrage universel étaient de nouveau consenties au bénéfice de la citoyenneté calédonienne. Le Sénat, représentant des territoires, s'y prépare à travers les travaux de la commission des lois.

I. PARVENIR, AU PLUS VITE, À UN CONSENSUS ACCEPTABLE POUR L'ENSEMBLE DES PARTIES PRENANTES COMME POUR LE PARLEMENT

A. LA NÉCESSITÉ DE RÉVISER LE STATUT DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE SUR LA BASE D'UN ACCORD AVANT LA TENUE DES PROCHAINES ÉLECTIONS PROVINCIALES

1. La nécessité partagée d'un changement du statut, entre contraintes juridiques et attentes d'évolution
a) Les fragilités juridiques affectant les fondements du statut actuel de la Nouvelle-Calédonie plaident pour l'adoption d'un nouveau statut

Des incertitudes quant au statut juridique actuel de l'accord de Nouméa dont le caractère transitoire avait permis de justifier des dérogations aux exigences constitutionnelles perdurent à l'issue du cycle de consultations achevé en 2021.

Comme l'avaient déjà souligné les rapporteurs dans leur précédent rapport, ces incertitudes sont de deux ordres :

- d'une part, l'accord de Nouméa continue à s'appliquer juridiquement ;

Extraits du rapport d'étape de la mission d'information

« Initialement prévu pour une durée de vingt ans et susceptible de se terminer après trois consultations relatives à l'autodétermination, l'accord de Nouméa continue aujourd'hui à s'appliquer.

Ainsi qu'énoncé dans son préambule, « cette solution définit pour vingt années l'organisation politique de la Nouvelle-Calédonie et les modalités de son émancipation ». Dès lors, l'application de l'accord de Nouméa, signé en 1998, a déjà dépassé de plus de quatre ans la durée initialement envisagée par ses signataires.

Pour autant, l'accord de Nouméa ne prévoit pas de limite formelle à la durée de son application s'agissant des institutions dont il a prévu la mise en place et des compétences dont il a convenu du transfert.

Au contraire, il comporte des garanties destinées à éviter tout risque de vide juridique quant à la situation institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie, sources d'incertitudes juridiques supplémentaires. En effet, comme le stipule son point 5, « si la réponse [à la troisième consultation] est encore négative, les partenaires politiques se réuniront pour examiner la situation ainsi créée ». Et, soucieux de ne pas créer de vide juridique, les signataires de l'accord ont assorti cette affirmation d'une garantie ainsi rédigée « tant que les consultations n'auront pas abouti à la nouvelle organisation politique proposée, l'organisation politique mise en place par l'accord de 1998 restera en vigueur, à son dernier stade d'évolution, sans possibilité de retour en arrière, cette « irréversibilité » étant constitutionnellement garantie ».

- d'autre part, le caractère transitoire de l'accord de Nouméa a seul permis de justifier les dispositions constitutionnelles innovantes fondant le régime temporaire de la citoyenneté calédonienne dont elles ont autorisé la création et les dérogations aux principes d'égalité et d'universalité du suffrage que ce régime comporte ;

Il est vrai cependant que le caractère transitoire des dispositifs prévus par l'accord a été consacré dans l'intitulé du titre XIII de la Constitution, introduit en 1998 dans le but d'assurer la conformité à la Constitution des mesures prévues par l'accord et d'en organiser les modalités d'approbation.49(*) On relèvera néanmoins que ce caractère « transitoire » renvoie à une période de transition dont les bornes n'ont été fixées par aucun texte.

Par ailleurs, si l'application prolongée dans le temps de ce texte semblait se justifier aux fins d'organiser les trois consultations prévues par ledit accord à son point 5, cette prolongation n'est pas sans conséquence.

L'accord de Nouméa ainsi que la loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie contiennent nombre d'innovations juridiques qui constituent autant de dérogations à des principes constitutionnellement protégés, qui ont justifié la révision constitutionnelle de 1998.

À titre d'exemple, la création d'une citoyenneté calédonienne ouvrant des droits en matière électorale et instituant une préférence pour l'accès à l'emploi et au foncier à ses seuls détenteurs déroge aux principes d'égalité et d'universalité du suffrage, de droit à la propriété privée et d'égal accès au travail.

Ces dérogations aux principes constitutionnels n'ont été jugées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel qu'en raison de leur caractère « limité et temporaire »50(*).

De la même manière, la Cour européenne des droits de l'homme a jugé conformes au protocole n° 1 de la Convention européenne les « restrictions mises pour pouvoir participer aux élections du Congrès et des assemblées de province en Nouvelle-Calédonie » en raison notamment du caractère « inachevé et transitoire » du statut de la Nouvelle-Calédonie51(*).

Dès lors, en raison de ce caractère transitoire, l'organisation de nouvelles élections provinciales selon les principes définis par l'accord de Nouméa et la loi organique précitée soulèverait de sérieuses difficultés sur le plan constitutionnel. Or, il convient à l'évidence d'organiser les prochaines élections provinciales sur des fondements incontestables.

Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, tant le caractère transitoire de l'accord que les dispositions constitutionnelles relatives à la Nouvelle-Calédonie rendent incontournables des évolutions constitutionnelles et organiques mettant en place un nouveau cadre constitutionnel pour l'archipel si des dérogations au principe de l'égalité devant le suffrage étaient de nouveau adoptées ou si d'autres principes constitutionnels étaient affectés par l'accord.

Ces contraintes juridiques plaident donc pour l'élaboration rapide d'un nouveau statut pour la Nouvelle-Calédonie.

b) Les critiques formulées à l'encontre du statut actuel appellent une réforme du statut de la Nouvelle-Calédonie

Les constats formulés supra mettent au jour les principaux points de blocage qui entravent le fonctionnement des institutions de la Nouvelle-Calédonie et obèrent sa capacité à se développer et à construire un « destin commun », missions qui leur ont été confiées par le Parlement.

Ils confirment la nécessité d'une réforme du statut de la Nouvelle-Calédonie, en dehors même des considérations juridiques liées à la pérennisation, de fait, d'un statut provisoire.

Les auditions menées par les rapporteurs ont en effet révélé les fragilités du système institutionnel institué par les accords de Matignon et de Nouméa, détaillé par la loi organique du 19 mars 1999 précitée. Les institutions créées par l'accord de Nouméa font l'objet de critiques tant de la part des acteurs politiques que de la part des représentants des acteurs économiques, sociaux, culturels, environnementaux, ainsi que des représentants de l'État en Nouvelle-Calédonie, illustrant la nécessité de réformes institutionnelles.

Sans s'accorder sur les modalités de résolution des difficultés résultant du statut actuel de la Nouvelle-Calédonie, les acteurs calédoniens rencontrés ont en partage leur insatisfaction à son endroit. Concernant le statut et l'organisation politique actuels, les principales critiques sont les suivantes, déjà évoquées dans le rapport d'étape de la mission d'information :

Extraits du rapport d'étape de la mission d'information

« Le premier concerne la répartition des compétences entre les institutions de Nouvelle-Calédonie, qui n'est pas jugée aujourd'hui pleinement satisfaisante.

Ainsi, l'ensemble des acteurs auditionnés a déploré l'enchevêtrement des compétences telles que réparties entre les différentes institutions de Nouvelle-Calédonie par la loi organique de 1999, source d'inefficacité des politiques publiques, de surcoûts et d'un défaut de lisibilité tant pour les citoyens que les acteurs politiques et économiques.

Concernant les transferts de compétences, comme l'ont rappelé toutes les personnes interrogées sur ce sujet, le transfert de l'État à la Nouvelle-Calédonie de la compétence du contrôle de légalité, alors même qu'il est rendu possible par l'article 27 de la loi organique de 1999, n'est pas souhaité tant les garanties nécessaires à l'exercice d'un contrôle respectueux de l'État de droit sont difficiles à mettre en oeuvre.

De la même manière, les difficultés rencontrées dans l'exercice par le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie de certaines compétences transférées, en particulier le droit civil et le droit commercial, semblent justifier, en particulier pour les acteurs économiques, une recentralisation de ces compétences.

Par ailleurs, la répartition actuelle des compétences entre les institutions calédoniennes est, selon certains acteurs auditionnés, source d'inefficacité et de difficultés concrètes pour les citoyens.

À titre d'exemple, les organisations syndicales ont unanimement dénoncé les difficultés à instituer une plateforme unique d'offres d'emplois publics abondée par l'ensemble des collectivités territoriales de Nouvelle-Calédonie. Les acteurs économiques réunis dans le consortium NC Eco ont particulièrement insisté sur le morcellement du droit de l'environnement en Nouvelle-Calédonie qui, relevant d'une compétence provinciale, varie d'une province à l'autre et complexifie les activités économiques.

La deuxième série de critiques porte sur les règles financières, budgétaires et comptables, et en particulier la clé de répartition, applicables en Nouvelle-Calédonie. Un consensus semble exister localement sur la nécessité de leur rénovation afin, notamment, de renforcer l'efficacité des dépenses publiques et de redresser la situation financière et budgétaire de la Nouvelle-Calédonie.

En outre, les deux associations des maires présentes en Nouvelle-Calédonie ont convergé dans leur souhait de doter les communes de Nouvelle-Calédonie d'une autonomie financière et d'outils d'intercommunalité similaires à ceux dont peuvent bénéficier les communes de l'hexagone. »

2. La nécessité d'aboutir à un accord local avant les élections provinciales de 2024

Les négociations entamées cette année demeurent malheureusement dans leur phase préliminaire. Si la mission ne peut que se féliciter qu'aient été renoués les fils du dialogue, elle relève que le calendrier de négociation demeure nimbé d'incertitudes en dépit des annonces gouvernementales et des premières rencontres bilatérales entre les parties. Il semble que les discussions peinent à se concrétiser enfin dans un format tripartite (État, loyalistes, indépendantistes).

Ce flou paraît particulièrement préjudiciable à la conduite efficace du dialogue. En effet, le facteur temporel est déterminant dans la mise en oeuvre de toute négociation et, en l'absence d'échéances claires, certains des acteurs pourraient être tentés d'adopter une attitude attentiste dans le cas où l'orientation prise par la négociation leur semblerait défavorable.

Si, pour l'heure, le climat demeure constructif, il convient de se prémunir contre le risque d'un enlisement qui serait synonyme de report, de facto, des élections provinciales.

Le calendrier des négociations devra au surplus être partagé, afin que les parties ne puissent mettre d'éventuelles difficultés rencontrées à l'issue de celles-ci sur le compte de ce calendrier.

Dans ces conditions, l'horizon temporel dictant les échéances de négociation paraît naturellement se trouver dans la date-limite à partir de laquelle les prochaines élections provinciales de 2024 ne pourraient plus être matériellement organisées. On peut se demander si ce calendrier est encore réaliste, mais il a le mérite d'être volontariste.

Si l'inscription sur les listes électorales demeure soumise à des dispositions spécifiques, il convient de tenir compte d'un délai raisonnable pour permettre aux citoyens calédoniens qui se verraient reconnaître la qualité d'électeurs de s'inscrire sur celles-ci et aux commissions électorales chargées d'évaluer leurs demandes de se réunir pour les examiner. Au surplus, doit également être pris en compte un nécessaire délai de recours effectif pour les citoyens qui en auraient été déboutés ou pour contester des inscriptions erronées. La période devant s'écouler entre l'adoption d'un nouveau statut et la tenue des prochaines échéances électorales ne saurait donc être inférieure à six mois.

Sans préjuger du résultat des négociations quant aux éventuelles dispositions électorales spécifiques applicables aux élections provinciales, les rapporteurs souhaitent aussi alerter les parties sur les délais enserrant toute procédure de révision constitutionnelle, s'il apparaissait nécessaire d'introduire une disposition constitutionnelle spécifique pour l'organisation de cette consultation en raison de modalités particulières d'établissement de la liste électorale.

Le principe de la tenue de ces élections provinciales n'a, jusqu'à récemment, fait l'objet d'aucune remise en cause par les parties prenantes, indépendantistes comme non-indépendantistes. La détermination de la durée du mandat, fixée à cinq ans, faisait partie intégrante de l'accord de Nouméa52(*) et le législateur s'est en la matière fait le greffier d'un accord conclu librement par les trois parties53(*). L'organisation d'élections provinciales en 2024 constitue dès lors une échéance démocratique normale et attendue par tous. Par ailleurs, l'ensemble des responsables politiques calédoniens a pris part aux dernières élections provinciales de 2019 sans exprimer de réserves quant à la tenue du scrutin suivant. Si les modalités du vote peuvent, sous certaines conditions, être adaptées en raison du contexte particulier propre à la Nouvelle-Calédonie et de la reconnaissance d'une citoyenneté calédonienne spécifique au sein de la nationalité française, elles ne sauraient conduire à priver les Calédoniens de l'exercice de leurs droits civiques pour les élections provinciales. Il apparaît donc, en tout état de cause, nécessaire de maintenir des échéances électorales régulières et prévisibles pour garantir le fonctionnement démocratique des institutions calédoniennes et permettre la participation des citoyens aux échéances démocratiques prévues.

Le maintien d'une incertitude institutionnelle prolongée nuit aussi à la formulation d'un nouveau projet pour la Nouvelle-Calédonie, obère les perspectives économiques du territoire et contribue jour après jour au sentiment de lassitude des Calédoniens quant à une situation qui, en particulier pour la jeune génération, n'a que trop duré.

L'horizon des élections provinciales doit ainsi constituer un butoir autant qu'un aiguillon pour l'aboutissement aussi rapide que possible des négociations en vue d'un accord. Toutefois, il ne serait pas réaliste de considérer cet horizon comme indépassable. Au regard de l'enjeu que représente l'aboutissement des discussions, on ne saurait exclure un éventuel report des élections s'il s'avérait impossible de procéder autrement, pour une durée nécessairement limitée par les impératifs de conformité à la Constitution.

Il n'est en effet envisageable de reporter ces élections que pour une courte durée et seulement si un tel report devait finalement constituer une condition sine qua non de la réussite des négociations. Ce report exigerait alors l'adoption d'une loi et impliquerait que le Sénat et l'Assemblée nationale se prononcent par un mandat clair sur la conduite des négociations à l'occasion de l'examen de ce texte.

Il serait donc indispensable que l'ensemble des parties prenantes à la négociation, qu'il s'agisse du Gouvernement ou des parties locales indépendantistes et non-indépendantistes, soient en mesure de justifier un tel report par un premier bilan de la négociation en cours et par la conclusion d'un accord préliminaire sur les principaux points de négociation qu'il ne resterait qu'à finaliser et à traduire juridiquement. En l'absence d'un tel accord préliminaire, l'adoption par le Parlement d'un projet de loi portant report des élections provinciales ne peut être assurée.

B. RÉAFFIRMER LES GRANDS PRINCIPES DEVANT GUIDER LES NÉGOCIATIONS AFIN DE FAVORISER LEUR ABOUTISSEMENT ET LEUR VALIDATION PAR LE PARLEMENT

Les rapporteurs saluent la reprise des négociations, sur la base des préconisations qu'ils ont développées en juillet 2022. Ils appellent à la poursuite de leur mise en oeuvre et souhaitent désormais en formuler de nouvelles permettant de favoriser l'avènement d'un accord consensuel et global entre les parties qui puisse, par la suite et en temps utile, être entériné par le Parlement.

Pour ce faire, les rapporteurs appellent, en premier lieu, à la tenue d'un dialogue trilatéral officiel exigeant, format de négociations qui a su faire la preuve de son efficacité dans le passé, qui est seul garant d'une réussite des négociations entre parties calédoniennes et État.

Ils souhaitent, en second lieu, exposer dès à présent, les conditions qui devront être réunies non seulement afin de garantir l'aboutissement des négociations, mais aussi, de permettre au Parlement d'entériner un tel accord.

1. Les conclusions du précédent rapport, qui semblent avoir contribué au changement de méthode du Gouvernement, doivent continuer à être mises en oeuvre

Par son déplacement en Nouvelle-Calédonie et la publication d'un rapport d'étape en traduisant les conclusions, la mission a souhaité interroger les acteurs calédoniens sur les évolutions qu'ils estimaient souhaitables quant à l'avenir institutionnel de leur territoire. Sur cette base, ils ont entendu contribuer à renouer les fils d'un dialogue distendu entre les parties.

Les rapporteurs avaient ainsi formulé six propositions sur la méthode qui doit « guider l'action des différentes parties afin de renouer les fils du dialogue dans « l'après-Nouméa » et ainsi permettre à la Nouvelle-Calédonie de construire pacifiquement et sereinement son avenir institutionnel et ses relations avec l'Hexagone ».

Liste des propositions du rapport d'étape

Proposition n° 1 : Garantir l'impartialité de l'État et consolider son rôle de proposition sur le dossier calédonien.

Proposition n° 2 : Élargir les discussions à la diversité des défis auxquels devra répondre la Nouvelle-Calédonie (économie, société, santé, école, culture, environnement, finances, contexte régional).

Proposition n° 3 : Écouter et consulter les acteurs économiques, sociaux, environnementaux, culturels, coutumiers, religieux ainsi que la jeunesse calédonienne.

Proposition n° 4 : S'appuyer davantage sur les maires de Nouvelle-Calédonie, forces de propositions pragmatiques et concrètes.

Proposition n° 5 : Associer pleinement le Parlement aux discussions sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie.

Proposition n° 6 : Conduire des discussions politiques éclairées par des considérations juridiques.

Certaines des revendications et préoccupations soulevées à cette occasion paraissent avoir reçu une première réponse dans les actions menées depuis par la Première ministre, le ministre de l'intérieur et des outre-mer et le ministre délégué aux outre-mer. Ainsi en est-il de l'organisation de réunions bilatérales avec l'État, à la demande des responsables indépendantistes, ou encore de la réalisation d'un audit de la décolonisation et, à la demande des responsables non-indépendantistes, d'un bilan de l'accord de Nouméa. La mission s'en félicite.

Soucieux de renouer les fils du dialogue, le Gouvernement a multiplié les actions en ce sens et plusieurs de ses membres se sont rendus en Nouvelle-Calédonie54(*), à quatre reprises entre septembre 2022 et juin 2023. En complément, la Première ministre a invité, le 28 octobre 2022, l'ensemble des parties à une réunion sous un nouveau format, une « convention des partenaires » devant réunir les forces politiques, économiques et sociales calédoniennes.

À l'issue de cette « convention », la mission a auditionné, le 2 novembre 2022, le ministre de l'intérieur et des outre-mer, Gérald Darmanin, pour un premier bilan de l'action du Gouvernement en Nouvelle-Calédonie. En réponse aux questions des rapporteurs s'agissant de l'annonce faite en 2021 par le gouvernement, puis réitérée en 2022, de la tenue d'un « référendum de projet » avant la fin du premier semestre 2023, le ministre Gérald Darmanin a annoncé son report sine die55(*).

En parallèle, le Gouvernement a, en accord avec les participants à la « convention des partenaires » et avec les représentants indépendantistes, réuni des groupes de travail sur huit thématiques relatives à l'avenir de la Nouvelle-Calédonie : les questions institutionnelles, l'égalité des chances et la cohésion sociale, le développement économique, le nickel, la souveraineté énergétique, la souveraineté alimentaire et le foncier, les valeurs, l'identité commune et la réconciliation ainsi que le rayonnement régional.

La présentation par le ministre de l'intérieur et des outre-mer, lors de son dernier déplacement en Nouvelle-Calédonie, d'un audit de la décolonisation et d'un bilan de l'accord de Nouméa procède d'une logique similaire.

Les rapporteurs prennent acte de cette prise de conscience du Gouvernement de la nécessité de renouer les fils du dialogue entre les parties calédoniennes par des actes concrets et répétés, rejoignant ainsi leurs préconisations. À cet égard, l'élargissement des discussions aux sujets non-institutionnels et la consultation des acteurs économiques, sociaux, environnementaux, culturels, coutumiers, religieux ainsi que la jeunesse calédonienne, sont particulièrement bienvenus.

Néanmoins, si elles vont dans le bon sens, ces actions du Gouvernement n'ont pas encore produit les effets escomptés puisqu'elles n'ont ni permis de renouer un dialogue direct entre les parties au dossier calédonien ni jeté les bases d'un accord quant à l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie : le dialogue demeure séparé entre les trois parties prenantes et des aspérités perdurent quant à la méthode employée.

En effet, aucun dialogue trilatéral réunissant l'ensemble des parties calédoniennes et l'État ne s'est engagé à ce jour, en dépit des invitations répétées du Gouvernement adressées à l'ensemble des parties.

Par ailleurs, les conditions dans lesquelles a été mené l'audit de la décolonisation ont conduit au rejet de ses conclusions par les responsables indépendantistes. S'il a mobilisé les services de deux personnalités qualifiées, force est de constater que cet audit, confié à un cabinet de conseil privé, n'a pas présenté l'ensemble des garanties attendues des parties locales, singulièrement les responsables indépendantistes.

Les rapporteurs relèvent que plusieurs des critiques formulées à l'égard du rapport sont pertinentes : les auditions menées par les consultants n'ont pas été suffisantes - notamment s'agissant de la société civile et des représentants des acteurs consulaires. Ils appellent en conséquence à la plus grande vigilance pour l'avenir quant à la méthode mise en oeuvre par le Gouvernement dans la conduite de ce dossier. La production de rapports d'audit censés éclairer l'ensemble des acteurs du dossier doit être irréprochable sur le plan méthodologique. L'État doit être garant de leur impartialité et de leur sérieux. Leur réalisation ne devrait pas être déléguée à un cabinet d'audit.

Enfin, certains sujets, pourtant majeurs, n'ont toujours pas fait l'objet de discussions, même bilatérales, entre les parties calédoniennes et l'État. Il en va ainsi du fonctionnement des institutions calédoniennes et de la répartition entre elles des compétences, mais aussi de l'ensemble des sujets non-institutionnels tels que les finances des collectivités et les comptes sociaux calédoniens.

Aussi les rapporteurs appellent-ils désormais à consolider et améliorer le dialogue entre les parties.

Dans cette perspective, ils estiment que les conditions de la tenue d'un dialogue trilatéral, pour la première fois depuis la fin du processus de l'accord de Nouméa, semblent aujourd'hui réunies.

D'une part, le Gouvernement a accédé aux demandes formulées par la partie indépendantiste de tenir des réunions bilatérales avec l'État avant d'envisager la reprise d'un dialogue trilatéral.

D'autre part, si la nomination de Sonia Backès au Gouvernement en qualité de secrétaire d'État rattachée au ministre de l'intérieur et des outre-mer a pu susciter des doutes légitimes sur l'impartialité de l'État, les rapporteurs constatent que la situation a depuis été clarifiée.

Aujourd'hui, les ministres Gérald Darmanin et Jean-François Carenco sont les seuls acteurs gouvernementaux, sous l'autorité de la Première ministre, Élisabeth Borne, à s'exprimer sur ce dossier et à conduire les discussions préalables aux négociations à venir. La conduite par l'État de réunions bilatérales et l'implication du Gouvernement dans celles-ci constituent de premiers gages de confiance, sur lesquels il importe de faire fond. Les rapporteurs demeureront vigilants à ce que l'équilibre ainsi trouvé soit maintenu afin de préserver la confiance des parties comme de la population dans l'issue des négociations.

Comme l'observait Jean-François Merle56(*), « ce processus repose depuis toujours sur un trilogue entre les indépendantistes, les non-indépendantistes et l'État, dans un rôle à la fois d'arbitre et d'acteur ». Il est souhaitable que toutes les parties s'y montrent prêtes.

2. Une triple exigence pour accepter, par la suite, toute modification législative ou constitutionnelle

Tout accord local nécessitant une évolution institutionnelle sera obligatoirement soumis au Parlement et en conséquence examiné par le Sénat.

Une fois saisie d'un projet de texte, la commission des lois pourra proposer au Sénat de l'adopter s'il traduit un accord équilibré. Elle ne manquera pas de le faire dès lors que l'accord ne se sera pas réalisé au détriment de l'une des parties, y compris l'État.

Trois conditions cumulatives devraient être réunies pour l'approbation d'un accord par le Parlement :

- En premier lieu, que chaque partie sorte des discussions en ayant obtenu la reconnaissance claire de demandes légitimes :

La négociation en cours doit rester, jusqu'à son terme, un exercice de compromis sincère et aboutir à la conclusion d'un accord répondant aux attentes les plus légitimes de chacune des parties dans l'intérêt général des Calédoniens. Les rapporteurs appellent l'ensemble des parties et singulièrement le Gouvernement, chargé de conduire les négociations, à prêter une attention particulière à l'acceptabilité sociale des équilibres qui seront issus des discussions, et ce dans le respect de la diversité des composantes de la société calédonienne ;

- En deuxième lieu, le refus de traiter isolément les différents sujets institutionnels, seul un accord global étant possible.

Un futur accord sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie ne saurait être découpé en plusieurs textes disparates, qui rendraient illisible le projet d'ensemble nécessaire pour que les Calédoniens puissent construire ensemble un avenir commun. L'équilibre de l'accord en dépend. Il doit constituer un accord global, fondement de nouveaux équilibres institutionnels, politiques, économiques, sociaux et culturels calédoniens ;

- En troisième lieu, un engagement clair et fort de l'État pour faire émerger un consensus tout en étant lui-même force de propositions.

L'État ne saurait être un garant légitime de la crédibilité du processus s'il n'adopte pas une attitude proactive, conjuguant écoute des acteurs et capacité d'initiative dans la formulation de propositions de compromis sur l'ensemble des thématiques restant en discussion.

Comme les rapporteurs l'avaient rappelé dans le cadre du rapport d'étape, « tout en permettant aux Calédoniens de s'accorder sur leur avenir, l'État ne saurait se résigner à la position attentiste de n'être que le simple greffier d'accords politiques préexistants localement ». Il doit au contraire « prendre toute sa part à la création des conditions indispensables à l'émergence, par le dialogue et la reconnaissance mutuelle, d'une solution politique équilibrée, consensuelle et durable ».

À cette condition, fort des moyens d'aide à la décision dont il dispose et de la place centrale dont il doit faire usage, l'État pourra garantir la crédibilité de l'accord et, ce faisant, favoriser son acceptabilité par les Calédoniens.

Si l'ensemble de ces conditions sont réunies, l'accord pourra être équilibré entre les parties, source d'unité et de confiance dans l'avenir pour tous les Calédoniens, global dans les sujets qu'il traitera et crédible par l'implication de l'État.

II. LES REPÈRES D'UNE NÉGOCIATION AMBITIEUSE AU SERVICE DE L'ENSEMBLE DES CALÉDONIENS

S'il n'apparaît pas souhaitable de préempter les débats devant se nouer entre les acteurs locaux, les rapporteurs estiment utile de fixer les « repères » des négociations, en identifiant sur chaque thématique le champ des possibles. S'inscrivant ainsi dans la cohérence de l'engagement permanent du Sénat pour contribuer à jeter les fondations d'un avenir commun à tous les Calédoniens, renvoyant, en tout état de cause, les acteurs à leurs responsabilités dans l'émergence d'un consensus, les rapporteurs souhaitent souligner trois lignes de force :

- la négociation en cours doit permettre d'approfondir la réflexion sur les sujets matriciels que sont la place de la Nouvelle-Calédonie dans la République, le droit à l'autodétermination et le processus de décolonisation ;

- elle doit permettre d'ajuster, à la lumière du bilan de l'accord de Nouméa, le fonctionnement institutionnel calédonien ;

- elle serait incomplète si elle ne permettait pas de traiter de l'ensemble des sujets non-institutionnels indispensables au développement du territoire dont les conséquences sur la vie quotidienne de l'ensemble des calédoniens sont importantes.

A. APPROFONDIR LA RÉFLEXION SUR LES SUJETS MATRICIELS : PLACE DANS LA RÉPUBLIQUE, AUTODÉTERMINATION ET DÉCOLONISATION

Les rapporteurs réaffirment leur attachement aux principes, protégés par le droit constitutionnel comme par le droit international, qui ont inspiré les accords de Matignon puis de Nouméa : le maintien de la Nouvelle-Calédonie, avec un degré très élevé d'autonomie, dans la France tant que les Calédoniens le souhaiteront, la reconnaissance de leur droit à l'autodétermination selon des modalités déterminées d'un commun accord et la poursuite d'un processus de décolonisation culturelle en Nouvelle-Calédonie.

La permanence des principes ne saurait cependant justifier un statu quo qui n'est désormais ni politiquement ni juridiquement viable.

1. Une affectio societatis renouvelée, condition du maintien dans la République

Dans la conduite de ses travaux, en Nouvelle-Calédonie comme à Paris, la mission a été confrontée à la question matricielle de la place de la Nouvelle-Calédonie dans la République.

En la matière, la mission ne saurait se substituer aux Calédoniens eux-mêmes. La décision sur ce sujet est dans les mains des Calédoniens.

À cet égard, le cycle consultatif prévu par l'accord de Nouméa, qui s'est conclu par une troisième consultation, communément désignée par une facilité de langage de « référendum », le 12 décembre 2021, se traduit par le maintien de la Nouvelle-Calédonie dans la République. Bien que l'expression d'une majorité se soit érodée au fil des trois consultations57(*), le principe majoritaire est de règle dans une société démocratique et doit être respecté.

En conséquence, la mission prend acte du souhait majoritaire des Calédoniens.

Trois consultations sur l'autodétermination
ont été organisées en Nouvelle-Calédonie entre 2018 et 2021

Conformément à la lettre de l'accord de Nouméa, les trois consultations ont été organisées en moins de quatre années, à des dates fixées par l'État faute d'accord d'une majorité des trois cinquièmes des membres du congrès de la Nouvelle-Calédonie quant à la date de la première consultation.

Les scrutins se sont ainsi déroulés58(*) les :

- 4 novembre 2018 ;

- 4 octobre 2020 ;

- 12 décembre 2021.

Le corps électoral admis à participer à ces scrutins était restreint. Le nombre d'électeurs inscrits à ces scrutins s'est établi à : 174 165 personnes en 2018, 180 799 en 2020 et 184 364 en 2021.

La question posée, fruit d'un accord du XVIIe comité des signataires de l'accord de Nouméa le 27 mars 2018 à Paris, a été à chaque fois la suivante : « Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ? »59(*).

Si la voie du maintien dans la République doit dès lors être poursuivie dans toutes ses dimensions, elle ne doit pas s'apparenter à une fin de non-recevoir définitive pour les revendications des élus indépendantistes, d'autant qu'une part significative des responsables politiques calédoniens et de la population calédonienne ne reconnaît pas la pleine légitimité du processus consultatif qui vient de s'achever. La construction d'un avenir institutionnel apaisé ne peut écarter la prise en compte d'aspirations à l'indépendance qui demeurent fortes.

La mission estime dès lors que le maintien de la Nouvelle-Calédonie dans la République ne peut se traduire par un retour à un statu quo ante qui ne convient manifestement pas à l'ensemble des Calédoniens.

Il implique au contraire la formulation d'un nouveau projet susceptible de susciter une adhésion raisonnée de l'ensemble des Calédoniens sur des projets et un avenir commun, une affectio societatis qui fait encore défaut aujourd'hui. Il peut à cet égard être relevé qu'une telle appréciation est valable, au-delà du seul exemple calédonien, pour l'ensemble des outre-mer : l'État s'est ainsi montré incapable depuis quinze ans de porter une vision pour les outre-mer et de prendre pleinement en compte les spécificités de ces territoires dans un projet républicain d'ensemble.

Ce projet devrait en particulier mieux reconnaître les spécificités politiques, sociales, culturelles et même spirituelles de la Nouvelle-Calédonie. Les principaux marqueurs de l'identité calédonienne devraient ainsi être confortés. De façon analogue, la définition de la citoyenneté calédonienne devrait trouver sa place dans un tel projet.

La formulation de ce projet nouveau n'exclut pas la conclusion d'un nouvel accord transitoire, sans pour autant privilégier cette éventualité car il est temps pour la Nouvelle-Calédonie de viser le long terme pour permettre son développement dans la stabilité. Sauf à priver d'une grande partie de son intérêt un accord, son horizon temporel ne saurait donc être réduit à moins de vingt ans. Une telle étape pourrait alors éventuellement présenter l'avantage de doter la Nouvelle-Calédonie, sur la période concernée, d'un cadre institutionnel renouvelé et relativement stable.

2. Sans revenir sur le principe du droit à l'autodétermination, réfléchir aux conditions de son exercice

Conformément au point 5 de l'accord de Nouméa, trois consultations à l'autodétermination ont été organisées en Nouvelle-Calédonie, entre novembre 2018 et décembre 2021.

Le processus d'autodétermination prévu par l'accord de Nouméa

Le point 5 de l'accord de Nouméa a prévu un processus inédit d'autodétermination d'un territoire au sein de la République française : trois consultations relatives à l'indépendance peuvent, sous réserve qu'elles soient demandées par le tiers des membres du congrès de Nouvelle-Calédonie, être organisées.

Il prévoit qu'« au cours du quatrième mandat (de cinq ans) du Congrès, une consultation électorale sera organisée. (...) La consultation portera sur le transfert à la Nouvelle-Calédonie des compétences régaliennes, l'accès à un statut international de pleine responsabilité et l'organisation de la citoyenneté en nationalité ».

Par ailleurs, « si la réponse des électeurs à ces propositions est négative, le tiers des membres du Congrès pourra provoquer l'organisation d'une nouvelle consultation qui interviendra dans la deuxième année suivant la première consultation. Si la réponse est à nouveau négative, une nouvelle consultation pourra être organisée selon la même procédure et dans les mêmes délais ».

Afin d'éviter toute partition du territoire, des garanties ont été prévues par l'avant-dernier paragraphe du point 5 de l'accord. Ainsi, « le résultat de cette consultation s'appliquera globalement pour l'ensemble de la Nouvelle-Calédonie. Une partie de la Nouvelle-Calédonie ne pourra accéder seule à la pleine souveraineté ou conserver seule des liens différents avec la France, au motif que les résultats de la consultation électorale y auraient été différents du résultat global ».

Le dernier paragraphe du même point 5 de l'accord prévoit par ailleurs la reconnaissance par l'État de « la vocation de la Nouvelle-Calédonie à bénéficier, à la fin de cette période, d'une complète émancipation ».

Enfin, cet accord est inscrit aux articles 76 et 77 de la Constitution. Ce dernier dispose notamment qu'« une loi organique (...) détermine (...) les conditions et les délais dans lesquels les populations intéressées de la Nouvelle-Calédonie seront amenées à se prononcer sur l'accession à la pleine souveraineté ».

Organisés à la demande des élus indépendantistes du congrès de la Nouvelle-Calédonie, ces scrutins ont vu par trois fois une majorité des « populations intéressées de la Nouvelle-Calédonie » - c'est-à-dire les Calédoniens inscrits sur la liste électorale spéciale pour la consultation - répondre « non » à la question de savoir si la Nouvelle-Calédonie devait accéder à la pleine souveraineté et devenir indépendante.

Contrairement aux inquiétudes exprimées par la mission lors de son précédent rapport, il semble que le débat sur la légitimité du troisième scrutin d'autodétermination - déjà clos sur le plan juridique60(*) - ne soit plus d'actualité, étant donné que toutes les parties ont accepté de dialoguer avec l'État sans demander, lors des dernières réunions bilatérales, la tenue d'une nouvelle consultation en lieu et place de celle qui s'est déroulée le 12 décembre 2021.

Les rapporteurs considèrent donc qu'aujourd'hui un consensus existe pour affirmer que le droit à l'autodétermination devra s'exercer à l'avenir selon de nouvelles modalités.

Comme l'ont, en effet, fait valoir l'audit de la décolonisation comme le bilan de l'accord de Nouméa, présentés par les ministres Gérald Darmanin et Jean-François Carenco aux parties le 1er juin 2023, « ces trois consultations correspondent (...) à l'exercice d'un choix d'autodétermination libre et démocratique, tel que défini par la résolution 1514 de l'ONU »61(*).

La résolution 1514 de l'ONU :
texte fondateur du droit onusien de la décolonisation

S'appuyant, à titre principal, sur le « principe de l'égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d'eux-mêmes » inscrit au paragraphe 2 de l'Article premier de la Charte des Nations Unies, l'Assemblée générale a adopté, par sa résolution 1514 (XV) du 15 décembre 1960, la Déclaration sur l'octroi de l'indépendance aux pays et aux peuples coloniaux.

Dans cette résolution, considérant le rôle important de l'Organisation des Nations Unies comme moyen d'aider le mouvement vers l'indépendance dans les territoires sous tutelle et les territoires non autonomes, l'Assemblée a proclamé solennellement la nécessité de mettre rapidement et inconditionnellement fin au colonialisme sous toutes ses formes et dans toutes ses manifestations et déclaré entre autres principes que tous les peuples avaient le droit de libre détermination.

Aux termes de la résolution 1541 (XV) de l'Assemblée générale, adoptée en 1960 et intitulée « Principes qui doivent guider les États Membres pour déterminer si l'obligation de communiquer des renseignements, prévue à l'alinéa de l'Article 73 de la Charte, leur est applicable ou non », « on peut dire qu'un territoire non autonome a atteint la pleine autonomie quand il :

- est devenu État indépendant et souverain ;

- s'est librement associé à un État indépendant ;

- s'est intégré à un État indépendant. »

Source : résolution 1514 de l'Assemblée générale de l'ONU62(*)

Le droit à l'autodétermination des Calédoniens, inscrit et protégé en droit international comme national, demeure cependant entier.

Au-delà des garanties dont il bénéficie en droit international, le droit à l'autodétermination des collectivités ultramarines, indépendamment de leur statut constitutionnel, est garanti par la Constitution. Cette garantie résulte tant d'une jurisprudence constante du juge constitutionnel depuis 1975 que par une intention claire du Constituant, telle qu'elle transparaît des travaux parlementaires.

En effet, malgré l'affirmation constitutionnelle du caractère indivisible de la République et du rôle du président de la République de garant de l'intégrité du territoire, le droit de libre détermination des peuples est affirmé à deux reprises par le préambule de la Constitution du 4 octobre 1958 :

en premier lieu, indirectement, comme l'a rappelé Marcel Prélot alors rapporteur du projet de loi organisant une consultation sur l'autodétermination de la Côte française des Somalis en 1966, « par la référence que contient la Constitution de 1958 "aux droits de l'homme et aux principes de la souveraineté nationale, tels qu'ils ont été définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946". Le préambule de la Constitution de 1946 contenait, on s'en souvient, cette déclaration : « Fidèle à sa mission traditionnelle, la France entend conduire les peuples dont elle a pris la charge à la liberté de s'administrer eux-mêmes et de gérer démocratiquement leurs propres affaires" ». L'on peut considérer que ce principe proclamé par un régime républicain antérieur a été repris à son compte par la Constitution de 1958 ;

en second lieu, directement, par le deuxième alinéa du Préambule de la Constitution, qui prévoit qu'« en vertu de ces principes et de celui de la libre détermination des peuples, la République offre aux territoires d'outre-mer qui manifestent la volonté d'y adhérer des institutions nouvelles fondées sur l'idéal commun de liberté, d'égalité et de fraternité et conçues en vue de leur évolution démocratique ».

Le cadre constitutionnel actuel garantit un droit à l'autodétermination,
y compris des territoires ultramarins

Ces principes, inscrits dans le préambule de la Constitution de 1958, sont mis en oeuvre par trois procédures distinctes prévues dans le corps même de celle-ci :

- la première, utilisée lors de l'entrée en vigueur de la Constitution, pour un délai limité et enserré dans le temps, permettait à tous les territoires dits « d'outre-mer », anciennement sous domination coloniale, d'accéder à l'indépendance en rejetant cette nouvelle constitution, soumise au référendum du 28 septembre 1958. Utilisée par un seul territoire, la Guinée, cette procédure avait pour objectif de régir la manière dont les territoires d'outre-mer étaient appelés à entrer dans le nouveau régime constitutionnel français ;

- la deuxième, prévue à l'ancien article 76 de la Constitution, applicable dans un délai de quatre mois suivant la promulgation de la Constitution - soit entre le 4 octobre 1958 et le 4 février 1959 - a offert la possibilité aux mêmes territoires dits « d'outre-mer » de choisir le statut d'État membre de la Communauté française63(*), qui était alors une première étape avant l'indépendance. Cette procédure a été suivie par l'ensemble des territoires qui ont ensuite été considérés comme des États membres de la Communauté. Si ces dispositions ont, depuis, été abrogées par la révision constitutionnelle du 4 aout 1995, il n'en demeure pas moins clair que ce mécanisme n'avait vocation à n'ouvrir que de ponctuelles et limitées possibilités d'exercer un droit à l'autodétermination comme l'avait alors rappelé Michel Debré, Premier ministre, en réponse à une question écrite du député Jean-Marie Le Pen :

« La transformation des territoires d'outre-mer en États de la Communauté ne pouvait avoir lieu que dans les quatre mois qui ont suivi l'entrée en vigueur de la Constitution. Aucune transformation en État de la Communauté, aucune sécession de la République ne sont donc constitutionnellement possibles » (JOAN, 29 avril 1959, p. 351) ;

- enfin, la troisième, inscrite sans limite de durée à l'article 53 de la Constitution, prévoit les modalités de sortie de la République de territoires qui après y être entrés souhaiteraient en sortir. Inscrit dans le titre VI intitulé « des traités internationaux », cet article dispose, en l'occurrence, que « les traités (...) qui comportent cession, échange ou adjonction de territoire ne peuvent être ratifiés ou approuvés qu'en vertu d'une loi. (...) Nulle cession, nul échange, nulle adjonction de territoire n'est valable sans le consentement des populations intéressées ».

Si les deux premières procédures ont disparu par suite de la forclusion des délais prévus, l'article 53 de la Constitution demeure et a été, avec constance, interprété, tant par le juge constitutionnel que par les travaux parlementaires, comme applicable à un cas de sécession d'un territoire de la République.

Les travaux parlementaires, conduits par René Capitant et Marcel Prélot, sur le projet de loi organisant une consultation sur l'autodétermination de la Côte française des Somalis, ont permis d'exposer la « doctrine Capitant » comme l'a résumé Marcel Prélot : « l'application de ses dispositions à l'hypothèse historique où la France céderait à un État étranger ou bien acquerrait de celui-ci un territoire ne saurait être limitée. Selon l'esprit du préambule, l'article 53 s'applique tout aussi bien à l'hypothèse généralisée par la décolonisation du territoire cessant d'appartenir à la République française pour constituer un État indépendant. (...) En bref, l'article 53 de la Constitution s'applique non seulement dans le cas de cession mais dans celui de sécession »64(*).

Cette interprétation a été suivie par le Conseil constitutionnel qui, appelé à apprécier la validité de la loi précitée, a « par une lecture assurément constructive du texte constitutionnel »65(*) affirmé que « les dispositions de cet article doivent être interprétées comme étant applicables, non seulement dans l'hypothèse où la France céderait à un État étranger ou bien acquerrait de celui-ci un territoire, mais aussi dans l'hypothèse où un territoire cesserait d'appartenir à la République pour constituer un État indépendant ou y être rattaché »66(*).

Cette reconnaissance de la constitutionnalité du processus d'autodétermination menant la République à reconnaître l'indépendance d'une partie de son propre territoire, fondée sur l'alinéa 3 de l'article 53 de la Constitution, a été confirmée une première fois en 197567(*), puis davantage étayée par le juge constitutionnel dans une décision de 198768(*). Il s'est, pour ce faire, appuyé explicitement sur l'alinéa 2 du préambule de la Constitution et la mention qui y est faite du principe de libre détermination69(*).

S'agissant du cas particulier de la Nouvelle-Calédonie, le Conseil constitutionnel a déjà affirmé que la possibilité de recourir à cette procédure n'était pas limitée aux seuls territoires d'outre-mer et l'a étendue à toute collectivité ultramarine, qu'il s'agisse d'un département d'outre-mer ou d'une collectivité à statut particulier70(*).

Dès lors, les rapporteurs, qui partagent cette lecture du texte constitutionnel et son applicabilité à la Nouvelle-Calédonie, réaffirment que le droit à un processus d'autodétermination d'un territoire de la République est constitutionnellement garanti. Ils rappellent, toutefois, qu'un tel processus serait soumis aux garanties prévues à l'article 53 de la Constitution. Sans y être totalement identique, cette procédure peut d'ailleurs être assimilée au processus inscrit, à titre transitoire, dans la Constitution à la suite l'accord de Nouméa aux articles 76 et 77 et appliqué selon une procédure sui generis.

Il présente des garanties identiques quant à la consultation des seules populations intéressées et au caractère non unilatéral d'une telle consultation.

En effet, en dehors de la « double exigence de loyauté et de clarté de la question posée »71(*) consacrée par le juge constitutionnel pour l'ensemble de ces scrutins, le caractère non directement décisoire de la consultation, comme pour les consultations prévues par l'accord de Nouméa72(*), est explicitement posé par l'article 53 de la Constitution, qui dispose qu'« ils ne prennent effet qu'après avoir été ratifiés ou approuvés »73(*).

Parallèlement, le principe de la consultation des seules « populations intéressées », tolérant des restrictions tenant à la durée de résidence sur le territoire pour pouvoir participer aux consultations organisées est applicable en vertu des deux procédures.

Ainsi, le juge constitutionnel a admis, déjà s'agissant de la Nouvelle-Calédonie, la fixation d'une condition de résidence de trois ans, bien supérieure aux conditions de droit commun prévues par le code électoral, pour participer à la consultation d'autodétermination de la Nouvelle-Calédonie en 1987, assise sur le fondement de l'article 53 de la Constitution74(*). Il a donc reconnu au législateur une marge d'appréciation, initialement aux fins d'exclure du scrutin les fonctionnaires d'État présents sur le territoire pour un séjour limité, afin de tempérer l'égalité devant le suffrage dans l'objectif d'écarter d'une consultation à l'autodétermination une partie des résidents d'un territoire alors considérés comme n'étant pas « des populations intéressées » au sens de l'article 53 de la Constitution.

La seule réelle différence, aux yeux des rapporteurs, entre la procédure prévue à l'article 53 de la Constitution et celle prévue spécifiquement par l'accord de Nouméa tient à la fixation des modalités de déclenchement de la consultation des populations qui ne sont ni définies ni encadrées dans le temps dans la procédure d'autodétermination de droit commun.

C'est pourquoi, davantage que sur l'existence d'un droit à l'autodétermination, déjà garanti, les rapporteurs rappellent qu'il importe d'aboutir à un accord entre les parties sur les modalités de déclenchement de ce droit et sur l'horizon temporel d'une prochaine consultation.

En ce sens, les récentes déclarations du ministre Gérald Darmanin, devant le comité spécial de l'ONU en charge de la décolonisation, qui a « voulu garantir aux Nations unies que nous en discutons » et s'est, par la même occasion, demandé « comment on pourra déclencher ce droit à l'autodétermination à l'échelle d'une ou deux générations », posent les questions pertinentes qu'il appartiendra à la négociation tripartite de trancher, les autres questions ayant déjà reçu une réponse constitutionnelle claire75(*).

De la même manière, la proposition faite par le ministre d'explorer « de nouvelles approches comme la réalisation d'un bilan des dispositions régissant le statut de la Nouvelle-Calédonie, qui serait obligatoire pour que les autorités politiques, ainsi qu'un seuil minimal de citoyens ou d'élus, puissent solliciter une évolution statutaire concernant le niveau d'émancipation » est favorablement accueillie par les rapporteurs. Elle témoigne, d'une part, de ce que l'État peut être une force de propositions pour faire avancer les négociations et, d'autre part, de la nécessité de promouvoir des innovations juridiques spécifiques afin de s'adapter aux réalités et spécificités calédoniennes.

Aussi les rapporteurs constatent-ils, pour s'en réjouir, qu'au-delà des divergences qu'entretiennent certains acteurs, les discussions sur les paramètres du droit à l'autodétermination se sont ouvertes. Ils appellent à ce qu'elles permettent d'aboutir à une conciliation équilibrée entre le besoin de stabilité institutionnelle exprimé par certains acteurs, en particulier issus du monde économique, et la nécessaire considération des revendications indépendantistes portées par une large minorité de responsables politiques calédoniens soutenus par de nombreux citoyens calédoniens.

3. Poursuivre le processus de décolonisation culturelle, économique, sociale et juridique entamé par l'État et consolider ses acquis

La République ne demande pas que la Nouvelle-Calédonie cesse de figurer sur la liste des territoires à décoloniser. Cette position réitérée comme la restitution aux Calédoniens des actes de possession par le président de la République Emmanuel Macron le 6 mai 201876(*) et la remise d'un audit de la décolonisation aux partenaires le 1er juin 202377(*) constituent des marques visibles et symboliques de la volonté de l'État de s'inscrire dans un processus de décolonisation culturelle, économique, sociale et juridique.

À cet égard, les rapporteurs rappellent que, si le processus politique et institutionnel initié par l'accord de Nouméa n'a pas débouché sur l'indépendance de la Nouvelle-Calédonie, celui-ci ne saurait emporter la fin du processus de décolonisation culturelle économique et sociale, qui est distinct. Il convient, dans ce contexte, de consolider les acquis de ce processus et de le poursuivre.

En effet, comme le rappelle l'audit sur la décolonisation, ce processus s'est fondé sur le cadre défini par le comité spécial pour la décolonisation de l'Organisation des Nations unies (ONU) qui pose comme principe premier celui de « favoriser un environnement propice à l'évolution pacifique de la Nouvelle-Calédonie vers l'autodétermination ».

Un tel objectif a, en particulier, été poursuivi par la reconnaissance spécifique et la protection particulière des droits du peuple kanak qui, prenant appui sur une reconnaissance juridique sui generis, a suivi plusieurs voies :

- la participation au comité spécial de la décolonisation de l'ONU et la transparence sur le processus de décolonisation78(*) ;

- la reconnaissance des structures coutumières et des droits associés. La meilleure illustration de cette considération apportée à l'identité kanak est la consécration d'une institution spécifique chargée, pour la Nouvelle-Calédonie, de la représentation des aires coutumières calédoniennes et des structures coutumières, disposant de prérogatives propres : le sénat coutumier79(*).

En complément, certaines compétences, bien que régaliennes, connaissent des adaptations juridiques relatives aux spécificités kanak : il en va ainsi de la reconnaissance d'un statut civil coutumier80(*) mais également de la participation d'assesseurs coutumiers pour assister les magistrats dans l'exercice de la politique pénale81(*) ou encore du développement de la médiation pénale coutumière82(*).

Enfin, la consécration de terres coutumières et leur réattribution, pour un total de 17 % des terres de la grande terre, aux tribus kanak représente assurément un élément de rééquilibrage et de décolonisation dans la répartition foncière du territoire ;

- la consécration de signes identitaires propres à la Nouvelle-Calédonie et représentant l'identité kanak.

À titre d'exemple, la levée en 2010, en présence du Premier ministre d'alors François Fillon, des deux drapeaux, tricolore et indépendantiste, à l'initiative de Pierre Frogier et Charly Pidjot, pour représenter la Nouvelle-Calédonie, a assurément marqué un signe de reconnaissance de l'identité kanak83(*). Comme l'avait exprimé le président du sénat coutumier, Julien Boanemoa, le 17 juillet 2010, cette première levée de drapeaux est « un symbole fort de reconnaissance et d'espoir » ;

- l'édiction d'une charte du peuple kanak, instituant « un cadre juridique pour la reconnaissance du peuple kanak » 84(*);

- le transfert à la Nouvelle-Calédonie de la compétence « enseignement scolaire » qui a permis l'adaptation des programmes scolaires aux spécificités culturelles et linguistiques locales.

Toutefois, certains acteurs rencontrés par la mission ont fait état de maladresses ou manquements de l'État dans les actions menées en faveur de la décolonisation du territoire.

Ainsi, comme évoqué ci-avant, la méthodologie retenue pour conduire l'audit de la décolonisation constitue une action manquée en faveur de ce processus. Il semble dès lors nécessaire de laisser les populations kanak, par la voix de leurs représentants politiques et coutumiers, proposer à tout le moins des compléments voire une nouvelle version de ce document.

De la même manière, plusieurs représentants indépendantistes rencontrés ont interpellé les rapporteurs sur l'occasion manquée qu'a constitué la remise des actes de prise de possession au gouvernement collégial de la Nouvelle-Calédonie par le président de la République le 5 mai 2018, qui, malgré leurs alertes multiples, n'a pas été conforme aux traditions et coutumes du peuple kanak faute que ces documents aient été remis à leurs destinataires légitimes aux yeux de la population.

La mission d'information estime, dès lors, qu'une dernière étape devrait être franchie, celle de l'accomplissement par le président de la République d'un vrai geste de réconciliation aux tribus kanak, comme l'ont demandé certains interlocuteurs de la mission, et dont la forme la plus appropriée reste à déterminer avec les populations concernées.

Comme l'ont évoqué les sénateurs coutumiers lors de leur rencontre avec les rapporteurs, il importe désormais de passer d'une décolonisation des institutions à une décolonisation des esprits, ce qui ne peut se réaliser que par des actions symboliques comme concrètes répétées de l'État et des institutions vis-à-vis des Kanaks et de leurs tribus.

Lors de l'audition par la mission du Comité des Sages, Elie Poigoune, ancien président de la Ligue des droits de l'Homme de Nouvelle-Calédonie, a plaidé pour la réalisation de gestes coutumiers de pardon dans chacune des tribus kanak, qui serait réalisés par un représentant de l'État et du Gouvernement afin de marquer les esprits et d'avancer concrètement dans le processus de décolonisation.

Sans se prononcer sur la forme que devraient prendre ces gestes qu'il appartient aux principaux concernés de définir avec l'État, les rapporteurs insistent sur la nécessité d'accomplir aussi un véritable geste symbolique de décolonisation par le président de la République, incarnation de l'État et dépositaire de son histoire. Ce geste pourrait, à leurs yeux, être utilement réalisé par le président de la République lors de son prochain déplacement en Nouvelle-Calédonie annoncé pour la fin du mois de juillet 2023.

B. AJUSTER LE FONCTIONNEMENT INSTITUTIONNEL CALÉDONIEN

La transcription de l'Accord de Nouméa par la loi constitutionnelle n° 98-610 du 20 juillet 1998 relative à la Nouvelle-Calédonie a doté ce territoire d'une autonomie sans équivalent au sein de la République qui ne saurait aujourd'hui être remise en cause dans ses grands principes, lesquels sont traduits dans l'organisation et le fonctionnement des institutions de la Nouvelle-Calédonie et des collectivités calédoniennes.

De la même manière que cette évolution avait alors conduit à modifier l'architecture institutionnelle et son fonctionnement tel qu'il résultait des accords de Matignon signés en 1988, il est indispensable d'ajuster le fonctionnement institutionnel calédonien pour ouvrir une nouvelle phase statutaire pour le territoire.

1. Procéder à des évolutions des « corps électoraux » calédoniens

Le principe de la restriction du droit de vote et la portée de cette restriction fait l'objet d'une vive controverse85(*), qu'il s'agisse de la participation aux élections provinciales ou de la participation aux consultations d'autodétermination.

En effet, le corps électoral appelé à participer à la consultation sur l'accession à la pleine souveraineté comme celui appelé à participer à l'élection du congrès et des assemblées provinciales ne comprennent pas l'ensemble des électeurs inscrits sur les listes électorales de Nouvelle-Calédonie. Il existe ainsi trois listes électorales en Nouvelle-Calédonie :

- la liste électorale générale, établie suivant les règles de droit commun pour les élections nationales, européennes et municipales, ainsi que pour les référendums nationaux ;

- la liste électorale spéciale pour l'élection du congrès et des assemblées de province, qui définit les contours de la citoyenneté calédonienne, définie par l'article 4 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 précité ;

- la liste électorale spéciale pour la consultation sur l'accession à la pleine souveraineté, où étaient susceptibles d'être inscrites l'ensemble des « populations intéressées » à l'avenir du territoire, au sens de l'Accord de Nouméa et de l'article 77, et non 53, de la Constitution. Elle est définie à l'article 218 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 précitée, conformément au point 2.2.1 du document d'orientation de l'Accord de Nouméa.

Le principe d'un corps électoral plus restreint que le corps électoral de droit commun pour les consultations référendaires répond aux principes constitutionnels développés ci-avant et devrait être maintenu, comme pour l'ensemble des consultations d'autodétermination de collectivités d'outre-mer.

Toutefois, la situation est éminemment différente s'agissant du corps électoral convoqué lors des élections du congrès et des assemblées de province, considérées par les responsables politiques non-indépendantistes comme des élections locales intéressant le quotidien des Calédoniens, qu'ils bénéficient ou non du statut de citoyens calédoniens.

Comme rappelé ci-avant, de telles restrictions aux principes d'égalité et d'universalité devant le suffrage, protégés constitutionnellement et conventionnellement, n'ont été possibles qu'en raison du caractère transitoire des dérogations constitutionnelles admises.

Certes, comme l'a rappelé le ministre Gérald Darmanin dans un courrier adressé aux parties locales avant son dernier déplacement en Nouvelle-Calédonie, « ni le Gouvernement, ni aucune formation politique calédonienne ne sollicite le retour à la liste électorale générale pour les élections au congrès et aux assemblées de province. Le maintien ou non d'une citoyenneté calédonienne distincte de la citoyenneté française n'est donc pas en question : il s'agit d'une évolution irréversible ». Il n'en demeure pas moins que de fortes revendications pour l'ouverture de ce corps électoral persistent.

Cette ouverture du corps électoral provincial reste en effet au centre des revendications des partis non-indépendantistes depuis plusieurs années et a été réaffirmée par l'ensemble des représentants rencontrés par les rapporteurs. Ils ont remis une déclaration commune au ministre de l'intérieur et des outre-mer lors d'une réunion bilatérale précédant la convention des partenaires dans laquelle figure une telle demande86(*).

Ils s'appuient, en particulier, sur le fait que le corps électoral référendaire, plus restreint que le corps électoral de droit commun, est, paradoxalement, sensiblement plus large que le corps électoral pour l'élection du congrès et des assemblées de province, comme le présente le tableau ci-dessous, alors même qu'il a vocation à désigner les représentants politiques des institutions locales qui ont un effet direct sur le quotidien des Calédoniens.

Nombre d'inscrits sur les listes électorales
en Nouvelle-Calédonie, au 1er juillet 2023

Liste électorale

Nombre d'inscrits

Liste électorale générale

219 154

Liste électorale provinciale

178 374

Liste électorale spéciale à la consultation

185 004

Source : commission des lois d'après les données
du Haut-Commissariat de la République en Nouvelle-Calédonie

Face à ces revendications, les représentants des partis indépendantistes partagent, avec le Gouvernement et les partis non-indépendantistes, « un certain nombre de constats sur le fonctionnement actuel des listes électorales, notamment des incohérences dans les règles actuelles »87(*) et tous semblent convenir de la nécessité d'y remédier.

Les rapporteurs appellent donc à ce que, forts ces constats partagés, les différentes parties entérinent le plus rapidement possible la nécessité de résoudre trois difficultés identifiées :

- les écarts entre le nombre d'inscriptions sur la liste électorale spéciale à la consultation et celle pour les élections provinciales, chiffrés par le Gouvernement à 11 000 personnes natives de Nouvelle-Calédonie ;

- le vide juridique entourant la situation des petits-enfants d'un électeur inscrit en 1998 sur la liste pour les élections provinciales, alors que celle des enfants des mêmes électeurs est prévue ;

- la question des conjoints de citoyens calédoniens qui ne disposent pas, contrairement au droit commun de la nationalité, d'une faculté, même conditionnée à une durée de mariage, d'accéder au bénéfice de la citoyenneté calédonienne et de participer aux élections provinciales.

La résolution de ces problèmes permettrait, aux yeux des rapporteurs, de rétablir clarté, équité et cohérence dans l'établissement des listes électorales, même restreintes pour les élections provinciales de Nouvelle-Calédonie. Ces principes devraient inspirer les discussions car ils déterminent l'acceptabilité des évolutions et l'exercice effectif de leurs droits par les Calédoniens.

Il convient d'établir des procédures simples et efficaces d'inscription sur les listes électorales sur la base de critères clairs et intelligibles pour tous afin de garantir l'adhésion la plus large aux choix politiques opérés et de rendre effectif l'exercice des droits des Calédoniens, qu'ils soient non-indépendantistes ou indépendantistes. Les rapporteurs soulignent à cet égard, qu'en 2018, il avait été nécessaire de procéder à des évolutions des procédures d'inscription sur les listes électorales référendaires, en particulier le recours à une inscription d'office sur les listes, face à la non-inscription de plusieurs milliers d'électeurs qui remplissaient pourtant les critères nécessaires à leur participation à ces scrutins88(*).

En sus de ces évolutions qui visent à corriger des incohérences dénuées de fondement juridique et qui ne sont plus tolérables localement, les rapporteurs estiment nécessaire de réfléchir aux conditions d'ajustements plus importants que ces réglages techniques sur la base de la proposition formulée par le ministre de l'intérieur et des outre-mer dans le courrier précité : « la réouverture du corps électoral aux personnes installées durablement en Nouvelle-Calédonie, avec une durée de résidence qui pourrait être de 7 ans ».

À ce titre, les rapporteurs se félicitent que les partis indépendantistes aient accepté d'ouvrir un débat sur ces points89(*) et appellent à la tenue d'une négociation franche et exigeante, mais surtout éclairée par des simulations chiffrées précises, sur les conditions d'accès à la citoyenneté calédonienne en ce qu'elle permet la participation aux élections du congrès et des assemblées provinciales.

À cette condition, le calendrier récemment évoqué par la Première ministre devant le Sénat, qui prévoyait le maintien en 2024 des élections provinciales, pourra être tenu.

La position de la Première ministre au Sénat le 5 juillet 2023

« Je l'affirme devant vous, comme je l'ai indiqué à la délégation du FLNKS, je crois qu'un gel indéfini du corps électoral provincial questionnerait nos principes démocratiques comme nos engagements internationaux. Aujourd'hui, les discussions avancent, et je mesure la sensibilité de cette question. Le ministre de l'intérieur et des outre-mer a fait des propositions sur une durée de résidence minimale. Des échanges techniques sont actuellement organisés par le Haut-commissaire à Nouméa, et je suis persuadée qu'une solution consensuelle peut être trouvée sur ce point comme sur les autres. Je suis prête à inviter l'ensemble des partenaires à partir de la fin du mois d'août pour conclure l'accord que les Calédoniens attendent. Quant aux élections provinciales, elles auront lieu en tout état de cause en 2024 : c'est un enjeu démocratique »90(*).

2. Réfléchir à des évolutions de l'architecture institutionnelle et de la répartition des compétences entre collectivités locales

Si les accords de Matignon ont institué une logique de partage territorial des pouvoirs entre forces politiques, grâce à la définition de trois provinces aux compétences élargies, l'accord de Nouméa a ajouté celle d'un exercice partagé du pouvoir au niveau du territoire, symbolisé par un gouvernement collégial et pluraliste.

Institutions provinciales et territoriales sont néanmoins imbriquées puisque les membres du congrès de la Nouvelle-Calédonie, duquel procède le gouvernement calédonien, sont élus en même temps que les membres des assemblées de province.

Au niveau local, trente-trois communes complètent cette architecture institutionnelle. Cependant, les communes sont des collectivités territoriales de droit commun, régies par les règles fixées au niveau national. Bien que leurs conseils municipaux soient renouvelés tous les six ans en même temps que leurs homologues hexagonaux, les communes calédoniennes disposent de compétences et de budgets réduits au regard des autres collectivités calédoniennes. Généralement vastes par comparaison avec les communes hexagonales, elles jouent néanmoins le même rôle de proximité qu'on leur connaît sur l'ensemble du territoire de la République.

Convaincus que l'architecture institutionnelle calédonienne est aujourd'hui, dans ses logiques et ses grands principes, éprouvée, les rapporteurs n'estiment pas souhaitable de procéder à une modification substantielle de celle-ci.

Ils rappellent leur attachement à la conciliation équilibrée des deux logiques procédant des accords de Matignon, puis de Nouméa, qui se matérialisent dans l'existence d'un gouvernement collégial et d'un congrès pluraliste à la tête d'une collectivité unique à l'échelle de la Nouvelle-Calédonie, qui exerce effectivement les compétences qui intéressent tout le territoire et, en parallèle, la création d'un échelon intermédiaire permettant le partage des pouvoirs et doté de compétences propres étendues, à savoir les trois provinces calédoniennes.

Par ailleurs, l'irréversibilité des transferts de compétences de l'État vers les collectivités calédoniennes n'est aujourd'hui remise en cause par aucun partenaire des discussions.

Toutefois, la répartition des compétences entre les trois échelons de collectivités en Nouvelle-Calédonie et les moyens dont disposent, tout particulièrement, les communes calédoniennes n'apparaissent pas pleinement satisfaisants, à la lumière du bilan dressé après trente ans d'application du statut.

En premier lieu, la répartition des compétences pose encore question. Comme l'avait déjà fait valoir la mission dans son rapport d'étape, certaines compétences sont soit enchevêtrées - rendant leur exercice et l'efficacité des politiques publiques difficiles -, soit attribuées à un échelon qui ne semble pas pertinent. Les rapporteurs réaffirment l'importance du principe de subsidiarité qui, comme pour les collectivités hexagonales, doit guider la répartition et l'exercice des compétences entre les différents niveaux de collectivités afin de garantir l'efficacité des politiques publiques et la plus grande proximité possible du service public local.

À titre d'exemple, la compétence en matière d'urbanisme apparaît très largement enchevêtrée entre les provinces et les communes, aboutissant, chez les maires, à un sentiment de dessaisissement et de découragement dans l'exercice d'une compétence structurante pour le territoire communal et au coeur de leurs compétences de proximité.

De la même manière, l'attribution aux provinces calédoniennes de la compétence en matière d'emploi aboutit au développement de trois plateformes différentes de diffusion des offres d'emploi et d'emplois vacants pour un territoire ne regroupant qu'environ 6 000 demandeurs d'emplois répartis entre les trois provinces. L'on peut ainsi formuler l'hypothèse que l'échelon provincial n'est pas nécessairement le plus efficace pour l'exercice de cette compétence.

En second lieu, les maires de Nouvelle-Calédonie n'ont, de toute évidence, pas été suffisamment dotés en moyens juridiques et financiers pour exercer l'ensemble des compétences de proximité, qui ne sauraient être mieux exercées qu'à un niveau communal. Les rapporteurs appellent donc à un renforcement de l'institution communale, échelon de proximité et de pragmatisme, quasiment préservée des clivages politiques structurant la vie politique à l'échelle du territoire.

En effet, comme l'ont fait valoir l'ensemble des maires rencontrés par la mission et leurs deux associations représentatives, les communes calédoniennes ont été les grandes oubliées des accords de Matignon, puis de Nouméa, et ne disposent pas aujourd'hui des moyens d'exercer correctement leurs missions de producteurs efficaces des services publics locaux de proximité et d'échelons de base de la démocratie locale. En particulier, il apparaît souhaitable que le Gouvernement accepte de renforcer les moyens budgétaires et singulièrement fiscaux des communes de Nouvelle-Calédonie, qui sont les seules collectivités calédoniennes à être privées de marges de manoeuvre fiscales.

Le président de l'association des maires de Nouvelle-Calédonie, Robert Xowie, a rappelé lors de son audition que les maires étaient « sans arrêt à la recherche permanente de solutions du quotidien pour leurs concitoyens », et ce indépendamment de tout clivage politique. Cette position avait déjà été affirmée avec force par l'association des maires français de Nouvelle-Calédonie en mars 2021 : « fortes de leur enracinement territorial, [les communes de Nouvelle-Calédonie] sont devenues et restent le lieu irremplaçable de concertation et de décision permettant, sur le terrain, de répondre à la satisfaction des besoins essentiels et spécifiques d'une population pluriethnique aspirant à construire, au quotidien, ce destin commun voulu par une grande majorité de nos concitoyens »91(*).

Si un premier geste a été consenti par la Première ministre, Élisabeth Borne, en conviant les représentants des deux associations de maires à la convention des partenaires de novembre 2022, les maires n'ont toujours pas, à ce jour, été pleinement associés aux réflexions et discussions sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie alors qu'il apparaît indispensable de renforcer leur rôle dans l'architecture institutionnelle calédonienne.

3. Initier une réflexion sur le fonctionnement des institutions de la Nouvelle-Calédonie

De manière générale, le fonctionnement des institutions de la Nouvelle-Calédonie est régi, contrairement au droit commun, par deux principes directeurs qui sont :

- d'une part, des mécanismes de désignation et de décisions échappant à l'application stricte du principe majoritaire, afin de rendre tangible le principe d'exercice en commun du pouvoir ;

- d'autre part, un fonctionnement institutionnel fortement péréquateur pour donner corps à l'objectif de rééquilibrage entre les populations.

S'agissant du principe d'exercice en commun du pouvoir, celui-ci structure et irrigue le système institutionnel calédonien par cinq éléments principaux :

le mode de scrutin proportionnel et la clé de répartition entre provinces tendent à assurer une surreprésentation des Kanaks au Congrès puis au Gouvernement du fait de la surreprésentation, par rapport aux seuls critères démographiques, des provinces Nord et des Iles au sein du Congrès.

En effet, du fait de l'existence de dispositions particulières pour participer aux scrutins provinciaux et en raison de la clé de répartition des sièges au congrès de la Nouvelle-Calédonie - qui attribue 7 sièges à la province des Iles, 15 à celle du Nord et 32 au Sud - les provinces à population majoritaire kanak sont surreprésentées ;

Nombre d'habitants
pour un siège au congrès
(moyenne à l'échelle de
la Nouvelle-Calédonie = 100)

Nombre d'électeurs inscrits
sur la LESP pour un siège au congrès
(moyenne à l'échelle de
la Nouvelle-Calédonie = 100)

 
 

Source : bilan de l'accord de Nouméa

le recours à des majorités qualifiées au Congrès pour l'exercice de certaines dispositions, notamment ayant trait à l'avenir institutionnel ou aux attributions des membres du Gouvernement.

Sont, par exemple, prises à la majorité qualifiée les décisions relatives à la détermination des signes identitaires (article 5), la définition des compétences à transférer et leur échéancier (article 26), la nomination des membres d'une autorité administrative indépendante (article 93-1), l'autorisation de délégation par le président du gouvernement de certaines de ses attributions à des membres du gouvernement (article 135), la modification de la clé de répartition des dotations de fonctionnement et d'investissement entre provinces (article 181), la fixation de la date de la consultation sur l'accession à la pleine souveraineté (article 217) ;

la composition du gouvernement, qui doit refléter l'ensemble des groupes politiques représentés au congrès et dont le mode de désignation est le scrutin de liste à la représentation proportionnelle. Cette caractéristique a pour effet d'obliger à une gestion conjointe entre indépendantistes et non-indépendantistes ;

le principe de collégialité gouvernementale, qui implique une recherche permanente du consensus ;

la responsabilité du gouvernement devant le congrès, qui le désigne, celle-ci pouvant être engagée, en application de l'article 96 de la loi organique du 19 mars 1999, et par un mécanisme, aujourd'hui modifié, qui permettait à une liste de mettre fin au gouvernement par des démissions collectives successives.

Parallèlement, pour donner corps au principe de rééquilibrage, une clé de répartition financière entre provinces a été introduite dès les accords de Matignon et a été reconduite par l'accord de Nouméa. En effet, les ressources versées aux provinces, qui constituent l'essentiel de leurs ressources financières, sont réparties, non en fonction d'une pondération strictement fondée sur leurs poids démographiques respectifs, mais en fonction de pourcentages prenant en compte les retards.

Le mécanisme de la clé de répartition budgétaire entre provinces

Sur le plan budgétaire, la péréquation entre les trois provinces s'exerce à travers le budget de la Nouvelle-Calédonie qui assure le versement des dotations de fonctionnement et d'investissement aux trois provinces. Ces dernières ne disposent en complément que de recettes fiscales propres très limitées, se réduisant à 6 % de leurs recettes réelles de fonctionnement, et de dotations directement versées par l'État pour compenser des charges transférées (dotation globale de fonctionnement et dotation globale d'équipement et de construction des collèges).

L'essentiel des finances provinciales provient donc du budget de la Nouvelle-Calédonie. La part du budget territorial à destination des provinces est affectée selon une clé de répartition prévue par l'article 181 de la loi organique du 19 mars 1999 :

- pour la dotation de fonctionnement : 50 % pour la province Sud, 32 % pour la province Nord et 18 % pour la province des îles Loyauté ;

- pour la dotation d'équipement : 40 % pour la province Sud, 40 % pour la province Nord et 20 % pour la province des îles Loyauté.

Cette clé de répartition constitue une aide en faveur du rééquilibrage au bénéfice des provinces Nord et des îles Loyauté. En effet, si la répartition des dotations entre provinces s'opérait sur un critère purement démographique, elle conduirait à verser 74,5 % à la province Sud, 18,4 % à la province Nord et 7,1 % à la province des îles Loyauté.

Depuis 2004, elle peut être modifiée, outre par la loi organique, par une loi du pays votée à la majorité des trois cinquièmes des membres du Congrès de la Nouvelle-Calédonie.

Le besoin d'actualisation du système est, aux yeux des rapporteurs, objectif et résulte de deux principales évolutions :

- à titre principal, les évolutions démographiques ayant conduit à un équilibre démographique renouvelé qui emportent d'importantes évolutions quant à la répartition des populations entre les provinces calédoniennes.

En effet, si lors de la conclusion des accords de Matignon puis de Nouméa, la majorité des Kanaks vivaient dans les provinces Nord et des Iles
- seulement 39 % résidaient en province Sud en 1996 -, aujourd'hui, la majorité des Kanaks - 52 % plus précisément - vivent en province Sud.92(*)

Au surplus, l'évolution démographique calédonienne est, depuis la signature des accords, principalement portée par les trois villes qui forment le Grand Nouméa, et par suite, la province Sud qui, entre 1989 et 2014, a connu une évolution moyenne annuelle de sa population de 2,3 % contre 1,5 % en province Nord et 0,1 % en province des Iles93(*) ;

- la recomposition politique qui s'est faite jour, passant d'une logique d'opposition politique entre deux blocs unis politiquement à une décomposition des blocs avec en leur sein plusieurs partis aux lignes politiques parfois divergentes et l'apparition d'un parti n'obéissant pas à cette logique, l'Éveil océanien.

Le Congrès compte désormais cinq groupes politiques répartis entre les deux familles politiques qui structurent l'espace politique calédonien : les indépendantistes et les non-indépendantistes. Cette présentation ne doit cependant pas masquer la diversité de la classe politique locale. Les blocs indépendantistes et non-indépendantistes abritent en fait une myriade de partis ou courants, essentiellement structurés autour de figures politiques historiques ou montantes. Ce fractionnement du paysage politique local, combiné à la volatilité des alliances politiques, est un facteur d'instabilité au sein du Congrès et, par prolongement, du gouvernement.

De surcroit, l'apparition d'un parti politique, qui n'est pas en mesure de former un groupe politique au congrès faute d'un nombre suffisant de sièges et qui se positionne politiquement comme n'obéissant pas à cette logique de blocs, constitue un fait politique nouveau dans le système institutionnel calédonien. Depuis son apparition aux provinciales de 2019, l'Éveil Océanien s'est présenté comme « faiseur de démocratie », autrement dit de majorités, non seulement au sein du Congrès mais également du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, alors qu'il ne dispose que de trois sièges parmi les cinquante-quatre du Congrès, soit moins de 5,6 % des sièges. Fait notable, l'ensemble des élus de ce parti, positionné comme représentant de la communauté wallisienne et futunienne, sont issus de la Province Sud.

Cette recomposition semble être la cause principale, en dehors des alternances politiques, de l'instabilité gouvernementale en Nouvelle-Calédonie marquée, d'une part, par la succession de 17 gouvernements et de 10 présidents de gouvernement pour seulement cinq élections provinciales en trente ans et, d'autre part, par des périodes significatives (plus de trois mois) sans gouvernement ou président, faute d'accord politique.

Dès lors, les aménagements apportés au principe majoritaire en Nouvelle-Calédonie, nécessaires au partage du pouvoir et au rééquilibrage, apparaissent devoir être actualisés au regard des évolutions démographiques, sociales et économiques survenues depuis la signature des accords.

Toutefois, les rapporteurs souhaitent réaffirmer que ces grands principes doivent demeurer inchangés, convaincus qu'en Nouvelle-Calédonie, le principe majoritaire, qu'il tire sa légitimité d'un scrutin politique ou d'une réalité démographique, ne peut s'appliquer sans discernement et sans tempérament au risque d'une explosion des institutions et du contrat social que représente le « destin commun » promu par les accords de Matignon puis de Nouméa.

C. LA NÉCESSAIRE PRISE EN COMPTE DE SUJETS NON-INSTITUTIONNELS

Les besoins de la Nouvelle-Calédonie ne se résument pas aujourd'hui à la seule détermination de son avenir institutionnel.

Des réformes non-institutionnelles, indépendamment des futurs équilibres institutionnels et politiques, devront être menées par les acteurs locaux, en particulier celles visant à garantir la soutenabilité financière et budgétaire des collectivités calédoniennes et des comptes sociaux.

Les rapporteurs appellent les acteurs locaux comme l'État, chacun dans leur domaine de compétences, à s'en saisir le plus rapidement possible pour garantir l'efficacité et la soutenabilité des politiques publiques locales. Un programme ambitieux de réformes doit, en effet, être mis en oeuvre pour offrir aux Calédoniens des services publics de qualité et développer l'économie du territoire.

1. Apporter une réponse durable au sujet stratégique du nickel

Le secteur du nickel constitue, outre son poids dans l'économie calédonienne, un sujet stratégique.

Naturellement, le secteur du nickel « occupe une part prépondérante94(*) » dans l'économie calédonienne. Il représente ainsi environ 14 % du PIB, effets directs et indirects compris, bien que cette part soit variable en fonction des cours du nickel.

Néanmoins, le secteur du nickel ne parvient pas à constituer un moteur de croissance pérenne de l'économie calédonienne.

Des raisons conjoncturelles contribuent à expliquer ce phénomène : les blocages de la production, récurrents sur certains sites, les problèmes d'alimentation énergétique - dont l'extraction du nickel est particulièrement dépendante -, de même que les conditions climatiques compliquent régulièrement les conditions de production. Elles se couplent à des facteurs structurels qui nuisent à la capacité du secteur à jouer un rôle moteur.

Évolution des résultats d'exploitation
des trois principaux exploitants de nickel

Source : IEDOM

Le premier d'entre eux et la rentabilité même de ce secteur économique. Le dernier exercice bénéficiaire remontant à 2007, le secteur du nickel demeure particulièrement dépendant des décisions prises par les sociétés mères des sociétés calédoniennes exploitantes ou d'investissements publics.

Pour autant, le nickel ne constitue pas un sujet uniquement économique. Enjeu symbolique fort, perçu pour certains comme une ressource issue de la terre kanak et pour d'autres comme la clé de l'avenir économique de la Nouvelle-Calédonie, le nickel constitue l'un des principaux sujets devant être traité par le cycle de négociations en cours. L'accord de Nouméa a, en effet, partagé cette ressource entre les différentes provinces et acteurs politiques locaux, selon un équilibre qui semble aujourd'hui devoir être actualisé au regard des réalités économiques et budgétaires.

Enfin, nul ne saurait ignorer qu'il constitue également un enjeu stratégique majeur. Comme l'a toutefois justement rappelé la mission de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat dans un rapport sur la stratégie française en Indopacifique : compte tenu de « la dépendance alarmante de l'Europe » et du fait que « la Nouvelle-Calédonie détient 20 % des réserves mondiales de nickel », « la question de la sécurisation des gisements, de la transformation et du transport de ces matières premières »95(*) se pose, dans un contexte indopacifique marqué par les rivalités entre puissances étrangères, avec une acuité renouvelée.

Les rapporteurs rappellent donc l'importance d'ouvrir des discussions sur la gestion de cette ressource naturelle majeure qu'est le nickel, au sein du territoire calédonien, sans perdre de vue l'environnement régional si particulier de l'Indopacifique et les intérêts nationaux, au sens large.

2. Achever le partage des terres

La question de la terre et de son partage est primordiale en Nouvelle-Calédonie et a constitué l'une des grandes avancées vers la décolonisation comme le rééquilibrage entre communautés.

Toutefois, plusieurs acteurs politiques kanak et indépendantistes rencontrés ont fait valoir aux rapporteurs l'importance d'achever ce partage et de purger les conflits de répartition persistants, qui empêchent aujourd'hui les réattributions. En effet, si les terres coutumières représentent aujourd'hui 17 % du total des terres de la grande terre, des revendications demeurent sur près de 9 000 hectares.

En outre, contrairement à ce qui était prévu par la loi organique de 1999, l'Agence de développement rural et d'aménagement foncier (ADRAF), établissement public d'État à caractère industriel et commercial, n'a pas été transférée à la Nouvelle-Calédonie, faute de demande en ce sens du Congrès.

Les rapporteurs appellent donc à parachever ce partage de la terre, élément symbolique dans la culture kanak et outil concret tant du processus de décolonisation que du rééquilibrage dans la répartition foncière du territoire.

3. Garantir la soutenabilité financière et budgétaire des collectivités calédoniennes et des comptes sociaux

En premier lieu, la gestion budgétaire de l'ensemble des collectivités publiques gagnerait à être rendue plus performante. À cet égard, la chambre territoriale des comptes relevait dans un récent rapport que la « recherche d'une meilleure performance dans la gestion publique concerne donc toutes les collectivités du territoire, Nouvelle-Calédonie, provinces et communes », soulignant que « des gains sont possibles par une revue des services rendus et du niveau de participation des usagers96(*). »

La mission appelle l'attention sur le nécessaire respect des conditions posées dans le cadre de la convention conclue entre l'agence française de développement (AFD), l'État et le gouvernement de Nouvelle-Calédonie pour un nouveau prêt de 20,88 milliards de francs CFP, soit 175 millions d'euros. La crédibilité de la gestion par le gouvernement de Nouvelle-Calédonie ne doit pas être entamée.

Il est primordial que les comptes sociaux retrouvent un équilibre. Leur déficit a été multiplié par 5,2 entre 2017 et 2020, comme le rappelle le rapport de la chambre régionale des comptes97(*). Le même rapport soulignait qu'un « retour à l'équilibre des comptes sociaux nécessite une réforme de la fiscalité adossée à ces régimes et une modification des paramètres de cotisation qui portent tant sur les assiettes que sur les taux ». En d'autres termes, un rétablissement pérenne de la situation financière de la Nouvelle-Calédonie exigera un ensemble de mesures fortes, dont toutes ne seront pas aisées.

Autre observateur avisé de la situation économique du territoire, l'institut d'émission outre-mer98(*) (IEOM) faisait un constat identique, estimant dans sa synthèse annuelle qu'avec « un taux d'endettement estimé à plus de 255 % des recettes réelles de fonctionnement en 2022, la Nouvelle-Calédonie a vu ses marges de manoeuvre budgétaires se réduire considérablement. Si des réformes structurelles sont actuellement en discussion, elles peinent encore à être l'objet d'un large consensus (projets de réforme fiscale, de modification des taux de cotisation à l'assurance maladie...)99(*). »

Les rapporteurs insistent sur la nécessité, indépendamment des prochains équilibres politiques et institutionnels calédoniens, de déployer un programme ambitieux de réformes pour offrir aux Calédoniens des services publics de qualité et rétablir l'efficacité de la dépense publique nationale comme locale sur ce territoire.

Ils invitent, à ce titre, non seulement les acteurs politiques locaux mais aussi l'État à prendre toute leur part, dans leurs domaines de compétences respectifs, à la réussite de réformes ambitieuses au service des Calédoniens.

4. Assurer le développement économique du territoire

Plus largement, si « un nouveau cadre institutionnel paraît indispensable pour restaurer la confiance des agents économiques et l'attractivité du territoire »100(*), l'économie calédonienne doit également trouver des relais de croissance afin de satisfaire le besoin de développement exprimé par sa population.

Or, comme l'a estimé le président du gouvernement Louis Mapou lors du forum « Perspectives » qui s'est tenu à Nouméa en juin 2023, le modèle économique calédonien semble « à bout de souffle ».

Le constat fait par le gouvernement de Nouvelle-Calédonie est le suivant : portée par deux moteurs exogènes, les transferts de fonds publics en provenance de l'hexagone - qui représentent 17 % du produit intérieur brut calédonien - et l'extraction et l'exportation de nickel - qui représentent 7 % environ du PIB -, l'économie calédonienne est particulièrement dépendante de ces deux sources de financement.

Évolution des transferts de l'hexagone
et du PIB entre 2000 et 2017

Source : gouvernement de Nouvelle-Calédonie101(*)

L'économie calédonienne, dans laquelle le secteur public représente une part écrasante du PIB - environ 54 % -, ne bénéficie pas de relais de croissance robustes, en raison d'une compétitivité en berne, ainsi que d'une demande intérieure insuffisante, grevée par des inégalités de revenu marquées.

Si les rapporteurs n'ont pas conduit de travaux spécifiquement dédiés à l'économie calédonienne, qui n'entraient pas en tant que tels dans le champ de la mission, ils notent que le constat dressé par le gouvernement de Nouvelle-Calédonie rejoint celui qu'ils ont dressé lors de leur déplacement sur le territoire et lors des auditions conduites à Paris.

Ils ont, en particulier, au cours de leur rencontre avec les représentants du monde économique calédonien réunis sous la bannière NC Eco, mesuré l'importance pour les acteurs économiques d'un cadre normatif stable, prévisible et durable afin de favoriser des investissements pluriannuels privés au sein du territoire.

EXAMEN EN COMMISSION

__________

MERCREDI 12 JUILLET 2023

M. François-Noël Buffet, président, rapporteur. - Nous vous avions présenté en juillet 2022 un rapport d'étape sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie. Nous vous soumettons aujourd'hui un rapport d'information définitif sur le sujet, qui s'inscrit assez bien dans l'actualité, le président de la République ayant annoncé un déplacement en Nouvelle-Calédonie à la fin du mois de juillet.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Je vais vous parler du bilan de l'accord de Nouméa, puis Philippe Bas traitera des conditions devant être remplies pour que les élections provinciales de 2024 aient lieu. Enfin, le président Buffet reprendra son propos pour parler du droit à l'autodétermination, de la décolonisation et des perspectives de réformes institutionnelles.

La nécessité de dresser le bilan du cycle politique ouvert en 1988 par la signature des accords de Matignon-Oudinot, et qui s'achève aujourd'hui, fait consensus. De même, tous s'accordent à reconnaître le besoin d'une nouvelle architecture institutionnelle pour la Nouvelle-Calédonie, doublée d'un renforcement des acquis, et la nécessité de s'interroger sur les échecs de l'accord de Nouméa du 5 mai 1998.

Il a été décidé de mener un bilan de cet accord. Nous regrettons que cette mission stratégique ait été confiée à des cabinets de conseil alors que les ressources de l'État républicain auraient pu, en lien avec des forces locales, se charger de ce travail dans de meilleures conditions.

Dresser le bilan de l'accord de Nouméa passe en premier lieu par la reconnaissance des promesses tenues par chacune des parties signataires. L'État a continué de remplir ses missions tout en accompagnant les acteurs locaux dans leur autonomisation, comme il s'y était engagé. Il a transféré, de manière progressive, irréversible et effective, de nombreuses compétences au territoire, telles que l'enseignement primaire et secondaire, le commerce extérieur et les douanes, le droit du travail et la sécurité civile. Demeure la question du transfert optionnel des compétences mentionnées à l'article 27 de la loi du 19 mars 1999, relatives à l'administration, au contrôle de légalité des provinces et au régime comptable et financier des collectivités publiques.

En parallèle, l'État a continué de s'acquitter de manière satisfaisante de ses missions régaliennes sur l'ensemble du territoire. Corollaire des transferts qui ont eu lieu, l'État a maintenu des services déconcentrés dans de nombreux domaines, et ils ont assumé leurs tâches avec clarté.

L'État a également tenu sa promesse d'accompagner l'exercice du droit à l'autodétermination jusqu'au terme du processus politique défini par l'accord de Nouméa. Il a ainsi organisé trois consultations, qui ont produit le résultat que vous savez. Au-delà de la réforme institutionnelle, l'accord de Nouméa prévoyait une meilleure prise en compte de l'identité kanak dans l'organisation politique et sociale de la Nouvelle-Calédonie. En signant cet accord, l'État a reconnu « les ombres de la période coloniale » et s'est engagé à restituer au peuple Kanak son identité.

Concernant la gestion du nickel, l'État a également montré à de nombreuses reprises sa capacité à soutenir financièrement cette filière stratégique pour le développement économique de la Nouvelle-Calédonie.

Les représentants indépendantistes ont trouvé leur place dans la nouvelle architecture institutionnelle et concédé un partage limité du droit à l'autodétermination.

Le principal acquis des accords de Matignon et de Nouméa est la paix, et cela n'a pas de prix. Lors du voyage que Philippe Bas, François-Noël Buffet et moi-même avons effectué sur place, c'est avec beaucoup d'émotion que nous sommes allés nous recueillir sur les tombes des deux gendarmes et des dix-neuf Kanak qui ont péri à Ouvéa. Je crois d'ailleurs que cet acte a été très remarqué par les populations locales.

Les Kanak ont donc renoncé à l'action violente : dix ans après la fin de ces événements, les responsables indépendantistes ont non seulement accepté le retour à la paix, mais ils ont aussi participé pleinement aux processus politiques électoraux communaux, provinciaux et calédoniens définis dans le cadre de l'accord de Nouméa.

Les indépendantistes ont également consenti à partager le droit à l'autodétermination, au moyen d'un corps électoral partiellement ouvert. Les représentants loyalistes ou non indépendantistes ont accepté le principe de rééquilibrage et des dérogations au principe majoritaire, pour que toutes les forces politiques puissent s'exprimer. Il en a résulté un processus permettant aux uns et aux autres de vivre ensemble.

Il y a donc une reconnaissance, désormais préservée, de l'identité Kanak. Des alternances ont eu lieu, ce qui a montré que le jeu démocratique fonctionnait. Des difficultés sont toutefois apparues en cas de carence du pouvoir, ou de problème dans la mise en oeuvre des institutions. Le territoire de Nouvelle-Calédonie se compose en effet de trois provinces, auxquelles les populations locales sont attachées. Un congrès, élu par les provinces, se charge d'élire un gouvernement. Ce dernier ressemble donc à un parlement, avec toutes les difficultés que cela entraîne.

En dépit de ces difficultés, les choses ont avancé. Nous voyons aujourd'hui, toutefois, les limites du dispositif issu des accords de Nouméa. Une sorte de vacuité s'observe notamment à l'issue des trois référendums. Il faudrait construire une solution législative et constitutionnelle nouvelle, ce qui suppose un consensus local et de réunir une majorité dans chacune des assemblées parlementaires puis au Congrès.

M. Philippe Bas, rapporteur. - Nous vous avons rendu compte de notre déplacement en Nouvelle-Calédonie il y a un an. À l'époque, la situation politique était mauvaise. L'impartialité de l'État était remise en cause et personne ne prenait le chemin de la négociation. Déjà se profilait la perspective des élections provinciales en mai ou juin 2024.

Un an après, nous constatons heureusement que la paix civile n'est pas entamée. La Nouvelle-Calédonie est calme. En revanche, son développement économique et social est suspendu à des négociations et à la recherche d'un accord, et ses collectivités se trouvent dans une situation financière critique.

Le Gouvernement a pris des mesures pour faciliter l'ouverture de négociations. Un « référendum de projet » avait été annoncé, dont le ministre de l'intérieur a acté devant nous le report sine die. Or ce « référendum de projet » était interprété par les indépendantistes comme un moyen pour l'État de « forcer le passage » pour tirer les bénéfices de la troisième consultation, et constituait donc un obstacle à l'ouverture de négociations.

Un dialogue bilatéral a été ouvert par l'État avec les forces indépendantistes, à l'image de celui qui existait avec les forces non indépendantistes, ce qu'il convient de saluer.

Plusieurs critiques avaient par ailleurs été formulées sur la nomination au Gouvernement, au sein du ministère de l'intérieur et des outre-mer, de la présidente de la province Sud de Nouvelle-Calédonie, Sonia Backès. Le Gouvernement a toutefois pris soin de ne pas la faire participer aux délibérations relatives à la Nouvelle-Calédonie, et ses attributions ont été strictement définies.

Des préalables avaient été exigés par les indépendantistes, en lien avec les promesses gouvernementales. Des groupes de travail spécifiques ont donc été mis en place. Ils ne concernent pas seulement les problèmes statutaires et institutionnels, mais aussi des problèmes économiques, sociaux et culturels.

L'audit de la décolonisation promis par l'État a été réalisé - dans des conditions certes contestables, mais il y a eu une volonté de tenir cette promesse.

Ces points sont positifs dans l'ensemble, malgré les réserves que je viens d'émettre. Néanmoins, à ce jour, aucune négociation tripartite n'est en cours. Indépendantistes et non-indépendantistes ne se sont pas réunis à l'invitation de l'État. Or il faudra que cette rencontre ait lieu si nous voulons parvenir à un accord, chacun jouant pleinement son rôle, à commencer par l'État.

Nous considérons qu'un accord global doit être trouvé, embrassant toutes les questions déterminant l'avenir de la Nouvelle-Calédonie, et non un simple accord institutionnel, encore moins un simple accord sur l'organisation du scrutin de 2024 et l'éventualité de son report.

Nous espérons que le prochain déplacement du président de la République à Nouméa sera utile pour franchir une nouvelle étape dans l'engagement de discussions tripartites.

Une difficulté importante se présente : peut-on tenir l'échéance de 2024 pour les élections provinciales qui déterminent la composition du gouvernement néo-calédonien, celui-ci étant constitué à la proportionnelle des groupes du congrès de Nouvelle-Calédonie ? L'absence d'accord avant ces élections les prive de sens, car le destin commun aux Néo-Calédoniens n'aurait pas été défini préalablement, mais pose en outre un problème pour l'organisation même de ces élections.

Il y a une liste électorale restreinte, tous les électeurs habitant la Nouvelle-Calédonie ne peuvent pas voter. Or ce système n'a été possible que pour deux raisons : une révision constitutionnelle approuvant les accords de Nouméa, et une décision du Conseil constitutionnel admettant que les accords de Nouméa étaient destinés, sur vingt ans, à permettre une transition vers un nouveau régime pour la Nouvelle-Calédonie. Une fois la mise en oeuvre de ces accords arrivée à son terme, la justification de la liste électorale restreinte disparaissait donc.

En conséquence, trois possibilités se présentent : organiser les élections de 2024 avec tous les électeurs de Nouvelle-Calédonie, et non seulement ceux qui ont eu accès à la citoyenneté calédonienne, conserver la liste électorale actuelle, ou rechercher une troisième voie intermédiaire. Cependant, seule la première voie n'impose pas de révision constitutionnelle. Le maintien de la liste électorale actuelle comme la création d'une nouvelle liste électorale demandent en effet une telle révision.

Pour tenir ces élections à la bonne date, il y a donc tout un compte à rebours à respecter. Quel que soit le choix qui sera fait, s'il ne consiste pas à reconnaître la qualité d'électeur pour les élections provinciales de tous les électeurs de Nouvelle-Calédonie, un travail considérable sera nécessaire au Parlement français : réunion des deux chambres, puis du Congrès en l'absence de référendum national, tout cela devant être précédé d'un accord local. En effet, mettre en avant l'unilatéralisme de la République pour déterminer la composition de la liste électorale pour les élections provinciales reviendrait à mettre le feu aux poudres.

Nous sommes donc à la croisée des chemins. Il est d'autant plus difficile d'imaginer de tenir ces élections à la bonne date qu'il faudra aussi prendre quelques mois pour établir la liste électorale compte tenu de son éventuel caractère dérogatoire aux principes d'universalité et d'égalité devant le scrutin. C'est un tour de force qui suppose un accord en septembre prochain !

Nous doutons que nous puissions parvenir à cet accord, d'autant que, s'il s'agissait d'un accord pour les seules élections, il empêcherait d'apporter des contreparties aux concessions que pourraient faire les indépendantistes en acceptant une ouverture plus grande de la liste électorale que la liste actuelle. Les indépendantistes réclameront naturellement que les modalités d'un futur exercice du droit à l'autodétermination soient définies dans l'accord, en échange de quoi il leur serait plus facile de consentir certaines concessions.

Démarrer des négociations sur les seules élections provinciales reviendrait donc à se priver de la possibilité, en reportant l'accord global, d'obtenir un accord partiel.

Nous vous rendons compte de nos interrogations en ce domaine. Après de longues délibérations, nous pensons qu'il faut inciter le Gouvernement à privilégier la réalisation d'un accord en temps utile pour pouvoir établir la liste électorale à temps et maintenir les élections à la date prévue, mais nous ne pouvons exclure la possibilité qu'il en aille autrement.

Je rappelle cependant que le report d'élections aussi importantes que celles-ci remet en cause une règle démocratique élémentaire, selon laquelle les élections doivent se tenir à date régulière. Il n'est pas démocratique de reporter indéfiniment des élections. S'il fallait reporter les élections de juin 2024, cela ne pourrait donc se faire que pour quelques mois.

Si les parties prenaient conscience de cette nécessité, il faudrait tout de même qu'elles aient conclu un accord de principe sur l'ensemble, doublé d'un accord précis sur les élections, pour qu'à tout le moins les élections, si elles sont reportées, puissent se tenir dans un délai proche. Il faudrait également que chacune des parties calédoniennes ait trouvé dans les négociations des motifs de satisfaction.

M. François-Noël Buffet, président, rapporteur. - En dehors de l'horizon temporel et de la méthode de négociation que Philippe Bas vous a présentés, nous avons souhaité fixer les repères des négociations en identifiant, sur chaque thématique restant en discussion et intéressant l'avenir du territoire calédonien, le champ des possibles.

Que les choses soient claires : notre rôle n'est pas d'arriver à une solution toute faite et de préempter les débats locaux. C'est pourquoi, en nous inscrivant dans la lignée du positionnement du Sénat sur ce dossier, qui est celui d'être un tiers de confiance dans la négociation et de contrôler l'action du Gouvernement, nous avons simplement souhaité poser des repères sur trois champs principaux restant en négociation. Il appartiendra donc - et nous y tenons - aux acteurs locaux de prendre leurs responsabilités et de s'en saisir ensuite.

Premièrement, il est indispensable que la négociation en cours permette d'approfondir la réflexion sur les sujets matriciels que sont la place de la Nouvelle-Calédonie dans la République, le droit à l'autodétermination et le processus de décolonisation, sur lequel nous apporterons des précisions.

Sur ces trois sujets, nous sommes profondément attachés aux principes, protégés par le droit constitutionnel comme par le droit international, qui ont inspiré les accords de Matignon puis ceux de Nouméa : le maintien de la Nouvelle-Calédonie, moyennant un degré très élevé d'autonomie, dans la France tant que les Calédoniens le souhaiteront, la reconnaissance de leur droit à l'autodétermination selon des modalités déterminées d'un commun accord et la poursuite d'un processus de décolonisation culturelle en Nouvelle-Calédonie. La permanence des principes ne saurait cependant justifier un statu quo qui n'est désormais ni politiquement ni juridiquement viable.

Dès lors, si nous prenons acte du souhait majoritaire des Calédoniens, exprimé à trois reprises, de rester dans la République, ce maintien ne doit ni s'apparenter à une fin de non-recevoir définitive opposée aux revendications indépendantistes ni se traduire par un retour au statu quo ante. Dès lors, il nous paraît souhaitable que soit formulé un nouveau projet susceptible de susciter une adhésion raisonnée de l'ensemble des Calédoniens à un avenir commun. Ce projet devra donc, quels que soient les paramètres retenus, mieux reconnaître les spécificités calédoniennes.

Enfin, nous n'excluons pas, par principe, la conclusion d'un nouvel accord transitoire, sans pour autant privilégier cette option, car il est temps pour la Nouvelle-Calédonie de viser le long terme pour permettre son développement et sa stabilité. Ces éléments nous paraissent essentiels.

Par ailleurs, nous avons constaté qu'un consensus existait aujourd'hui, en Nouvelle-Calédonie, pour affirmer que le droit à l'autodétermination, qui s'est déjà juridiquement exercé par trois fois, devrait pouvoir s'exercer à l'avenir selon de nouvelles modalités.

J'ajouterai que le droit à l'autodétermination est expressément prévu à l'article 53 de la Constitution. Sa garantie résulte tant d'une jurisprudence constante du juge constitutionnel depuis 1975 que d'une intention claire du Constituant, telle qu'elle ressort des travaux parlementaires.

Aucun accord global n'interviendra sans que le sujet de la révision du corps électoral pour les élections provinciales de 2024 ne soit abordé. Les discussions sont, semble-t-il, ouvertes entre le Gouvernement et les autres parties prenantes. Je répète qu'il faut avancer rapidement dans la conduite des entretiens tripartites qui devront aborder cette question.

Un autre point doit être abordé, celui de la répartition des compétences entre les collectivités calédoniennes. Lors de notre déplacement sur place, nous nous sommes rendu compte de la nécessité de la clarifier pour plus d'efficacité. La compétence en matière d'emploi nous est, de ce point de vue, apparue comme révélatrice de certains dysfonctionnements actuels. Les provinces se partagent cette compétence et l'exercent individuellement, sans communiquer entre elles, sur un territoire qui compte pourtant moins de 300 000 habitants.

En revanche, les maires jouent pleinement leur rôle, les conseils municipaux sont des enceintes de collaboration étroite entre élus indépendamment de leurs convictions. Il importe d'accorder à cet échelon institutionnel davantage de reconnaissance et de moyens.

Au-delà des aspects institutionnels, de la question de l'autodétermination, de la stabilité absolument nécessaire à ce territoire et des perspectives politiques de long terme, les sujets relatifs au développement économique et démographique nous apparaissent fondamentaux. Nous sommes inquiets pour la Nouvelle-Calédonie qui a perdu beaucoup d'habitants en quelques années et voit son tissu économique se réduire. Le projet qui sortira des discussions ne saurait faire l'impasse sur la nécessité de redonner des perspectives de développement, et singulièrement de développement économique, à ce territoire.

Notre attachement particulier à la Nouvelle-Calédonie vient de ce que nous percevons les enjeux fondamentaux qui la traversent. L'effort actuel du Gouvernement a été rendu possible par le travail que le Sénat, et singulièrement la commission des lois, a effectué en 2022, au plus fort de la crise, pour retisser des liens. Aujourd'hui, nous ne vous proposons pas de solution miracle. Nous répétons les principes qui sont les nôtres, car, à notre niveau, nous voulons rester le tiers de confiance de ces négociations pour offrir le lieu d'une discussion toujours possible, en vue de faire aboutir sereinement et rapidement le processus en cours.

Notre conviction est qu'un accord doit nécessairement être local et venir du terrain si nous voulons obtenir une révision constitutionnelle rapidement qui permette ainsi l'organisation d'élections provinciales en 2024.

L'étape s'avère importante, certes pour la Nouvelle-Calédonie et ses habitants, mais aussi pour la France tout entière. Les nouvelles générations de Calédoniens aspirent, en grande majorité, à tourner la page de cet accord, sans pour autant en renier les principes, et à embrasser des perspectives d'avenir positives.

Mme Cécile Cukierman. - Je salue l'humilité de vos propos dans une situation qui demeure très compliquée. À la différence d'autres États, la France n'a peut-être pas parfaitement assuré sa transition de l'ère coloniale à l'ère moderne. Nous le constatons quotidiennement dans le rapport ambigu - entre domination, accompagnement et promotion des principes républicains - qu'elle entretient avec des territoires qui ont acquis leur indépendance.

Les enjeux de la Nouvelle-Calédonie sont aussi ceux de la région Pacifique. Il ne s'agit pas de savoir ce que la France gagnera ou perdra, mais ce que les Calédoniens auraient à gagner ou à perdre en quittant l'espace de la République française. Sans doute, la volonté d'autonomie et d'indépendance se comprend-elle et doit-elle être respectée. Mais, le risque existe que d'autres dominations économiques, à forte connotation capitaliste, se fassent jour, et des États ne cachent pas leur ambition dans cette région.

Avec pragmatisme, vous dites que l'échéance de 2024 n'est pas tenable. Jusqu'à quand pensez-vous possible de la reporter sans fragiliser la parole de la République à l'égard du peuple calédonien ?

Si, dans la décennie qui vient, la République se montre à la hauteur de la tâche qui lui incombe à l'égard de ce peuple, ne circonscrira-t-elle pas, par ce fait même, les aspirations indépendantistes qui s'y expriment ?

Ne faut-il enfin pas entreprendre de réincarner résolument les principes de la République dans ce territoire, ces principes étant susceptibles, peut-être plus sûrement que le choix de la rupture, de lui apporter les conditions d'une vie meilleure ?

M. François-Noël Buffet, président, rapporteur. - Nous avons pris acte de la fin du processus des accords de Matignon et de Nouméa et du résultat des trois consultations. La Nouvelle-Calédonie a majoritairement décidé de rester dans la République. Nous avons aussi pris acte du maintien des revendications indépendantistes dans une large minorité de la population, d'un discours local apaisé et de la volonté de reprendre les discussions avec l'Etat. La question d'un surcroît d'autonomie continue de se poser, mais elle se pose dans le cadre de la République.

Il n'est pas non plus question de remettre en cause le principe constitutionnel d'autodétermination. Pour l'heure, l'idée consiste à dire que nous ne savons pas quand le moment sera opportun. Il appartiendra aux habitants de Nouvelle-Calédonie d'en décider. Ce que nous constatons, c'est la nécessité de régler le problème de la fin des accords de Matignon et de Nouméa et de donner une perspective au territoire calédonien. Multifactorielle, la discussion portera tant sur la réaffirmation du principe de l'autodétermination que sur une modification du corps électoral en prévision des élections provinciales de 2024. Chacun devra consentir à des concessions, ce que je crois possible.

Reste l'aspect du développement économique du territoire, qui conditionne la suite des événements. Il est permis de s'interroger à son sujet, quand on voit à quel point l'État soutient financièrement la Nouvelle-Calédonie et son gouvernement en accordant des dotations et prêts importants, y compris dans le secteur du nickel. Incontestablement, il y a une dépendance financière très nette de la Nouvelle-Calédonie à l'égard de l'État. Nous lui ouvrirons difficilement de nouvelles perspectives sans au préalable résoudre cette difficulté. C'est pourquoi nous évoquons le développement économique de l'île, sa capacité à recréer de la richesse et à retrouver une dynamique démographique.

Nous pensons que l'hypothèse, même éloignée, du choix de l'autodétermination ne doit pas bloquer la recherche immédiate de solutions. Nous croyons à une volonté réelle des indépendantistes et des loyalistes d'y travailler ensemble. Chaque partie a besoin de l'autre et chacune doit ressortir avec des gains. Des pistes de solutions existent et il revient au Gouvernement d'aider à les dégager.

Enfin, quoiqu'on puisse en dire, que la République soit présente dans la région indopacifique revêt un intérêt majeur pour la France et l'Europe. Vous le voyez, les problématiques se conjuguent entre elles et nous devons néanmoins parvenir à définir un projet qui soit viable.

Nous proposons le titre suivant : Nouvelle-Calédonie : renouer avec la promesse d'un destin commun pour tous les Calédoniens.

La commission adopte à l'unanimité le rapport d'information et en autorise la publication.

PROGRAMME GÉNÉRAL DU DÉPLACEMENT

Vendredi 24 juin 2022

Horaires

Séquence

SÉQUENCE À NOUMÉA

Matin

Entretien avec Louis MAPOU,
président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie

Visite du Sénat coutumier
et rencontre avec les présidents des aires coutumières

Entretien avec des représentants du groupe Union nationale pour l'indépendance (UNI) au congrès de Nouvelle-Calédonie

SÉQUENCE À LA PROVINCE DES ÎLES LOYAUTÉS - OUVÉA

Après-midi

Recueillement et dépôt d'une gerbe à la gendarmerie puis à Wadrilla

Visite de la Fête du Lagon

Entretien avec Jacques LALIÉ,
président de l'Assemblée de la province des Îles Loyauté

Entretien avec Maurice TILLEWA, maire d'Ouvéa

Samedi 25 juin 2022

Horaires

Séquence

SÉQUENCE À NOUMÉA

Matinée

Entretien avec Roch WAMYTAN,
président du Congrès de la Nouvelle-Calédonie

Entretien avec Sonia LAGARDE, en qualité de
présidente de l'association française des maires de Nouvelle-Calédonie
en présence de Georges NATUREL, ancien président

Entretien avec Sonia BACKÈS,
présidente de la province Sud

Déjeuner avec le comité des sages

Après-midi

Table-ronde avec les conseillers commerce extérieur

Entretien avec Robert XOWIE,
président de l'association des maires de Nouvelle-Calédonie,
en présence de Maryline SINEMAMI, présidente-adjointe

Entretien avec des représentants du groupe UC-FLNKS et nationalistes au congrès de Nouvelle-Calédonie

Entretien avec des représentants
du groupe L'Avenir en Confiance au congrès de Nouvelle-Calédonie

Entretien avec les représentants
de la confédération Ensemble ! en Nouvelle-Calédonie

Dimanche 26 juin 2022

Horaires

Séquence

SÉQUENCE À NOUMÉA

Matinée

Visite du marché de Nouméa

Inauguration de la place de la Paix à Nouméa

Après-midi

Table ronde des maires de la province Sud

Entretien successifs avec les signataires de l'Accord de Nouméa

Entretien avec Ismet KURTOVITCH et Luc STEINMETZ

Lundi 27 juin 2022

Horaires

Séquence

SÉQUENCE À LA PROVINCE NORD - KONÉ ET ZONE VKP

Matin

Entretien avec Paul NÉAOUTYINE,
président de l'Assemblée de la province Nord

Après-midi

Table ronde avec les maires de la province Nord

Visite de l'usine du Nord

Mardi 28 juin 2022

Horaires

Séquence

SÉQUENCE À NOUMÉA

Matin

Rencontre avec des membres de l'Association des Cadres avenir

Table ronde des organisations syndicales

Rencontre avec le Congrès des jeunes de Nouvelle-Calédonie

Entretien avec Milakulo TUKUMULI,
président de la commission permanente,
président du parti de l'Éveil océanien

Après-midi

Entretien avec le Conseil économique,
social et environnemental (CESE) de Nouvelle-Calédonie

Table ronde des chambres consulaires et organisations professionnelles

Rencontre avec les représentants des églises catholique,
protestantes et évangéliques de Nouvelle-Calédonie

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
PAR LA COMMISSION

Mardi 7 juin 2022

M. Ferdinand Mélin-Soucramanien, professeur des universités, Université de Bordeaux, co-auteur du rapport public Réflexions sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie

Mercredi 8 juin 2022

M. Mathias Chauchat, professeur des universités en droit public, Université de la Nouvelle-Calédonie

M. Étienne Cornut, professeur des universités en droit privé, directeur du Centre de recherches critiques sur le droit, Université de Saint-Étienne

M. Jean Courtial, conseiller d'État honoraire, ancien chef de la mission de réflexion sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie, co-auteur du rapport public Réflexions sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie

Mme Géraldine Giraudeau, professeure des universités en droit public, Université de Perpignan

Mercredi 15 juin 2022

M. Alain Christnacht, conseiller d'État honoraire, co-auteur du rapport de la mission d'écoute et de conseil sur l'avenir de la Nouvelle-Calédonie

M. Jean-François Merle, conseiller d'État honoraire, co-auteur du rapport de la mission d'écoute et de conseil sur l'avenir de la Nouvelle-Calédonie

Mercredi 2 novembre 2022

M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des outre-mer

M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l'intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
PAR LES RAPPORTEURS

M. Philippe Dunoyer, député de Nouvelle-Calédonie (1ère circonscription)

M. Nicolas Metzdorf, député de Nouvelle-Calédonie (2e circonscription)

M. Philippe Gomès, ancien député de Nouvelle-Calédonie (2e circonscription)

Table ronde sur les enjeux financiers en Nouvelle-Calédonie

Chambre territoriale des comptes de Nouvelle-Calédonie

Mme Florence Bonnafoux, présidente

Direction des finances publiques de Nouvelle-Calédonie

M. David Litvan, directeur

Agence française du développement (AFD)

M. Charles Trottmann, directeur des trois Océans

Mme Virginie Bleitrach, directrice de l'agence AFD de Nouméa

Tribunal administratif de Nouméa

M. Christophe Ciréfice, président du tribunal administratif de Nouméa

Table-ronde des acteurs judiciaires

Tribunal de première instance de Nouméa

M. Éric L'helgoualc'h, président du tribunal de première instance de Nouméa

M. Hervé Ansquer, vice-procureur près le tribunal de première instance de Nouméa

M. Yves Ravallec, vice-président au tribunal de première instance de Nouméa chargé de la présidence de la section détachée de Koné

M. Yves Couroux, vice-président au tribunal de première instance de Nouméa en charge de la section détachée de Lifou

Cour d'appel de Nouméa

M. Gilles Rosati, premier président près la Cour d'appel de Nouméa

M. James Juan, procureur général près la Cour d'appel de Nouméa

M. Jean-Michel Stoltz, magistrat honoraire exerçant des fonctions non-juridictionnelles à la cour d'appel de Nouméa

LISTE DES CONTRIBUTIONS ÉCRITES

Un coeur, une voix

COMPTE RENDU
DE L'AUDITION EN COMMISSION

Audition de M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des outre-mer, et M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l'intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer

Mercredi 2 novembre 2022

M. François-Noël Buffet, président. - Mes chers collègues, nous auditionnons les ministres Gérald Darmanin et Jean-François Carenco sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie.

Vous n'êtes pas sans savoir qu'avec Philippe Bas et Jean-Pierre Sueur, nous nous sommes rendus en Nouvelle-Calédonie avant l'été et que nous avons présenté un rapport d'étape. La Première ministre a reçu la semaine dernière une délégation calédonienne dans le cadre d'une convention des partenaires, les ministres aujourd'hui auditionnés étaient présents : il nous a paru utile de faire un point de situation.

M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des outre-mer. - Concernant la Nouvelle-Calédonie, je souhaiterais revenir sur les quelques mois écoulés depuis notre nomination et notamment sur la réunion sous l'autorité de Mme la Première ministre qui s'est tenue la semaine dernière. La réunion de la semaine passée est conforme à parole de l'État et à l'envie des calédoniens de voir avancer les dossiers qui les concernent. Mais elle était incomplète car une partie des acteurs, notamment une partie des indépendantistes, ne s'est pas rendue à notre invitation à Paris, alors que le ministre délégué avait, lors de son déplacement, reçu publiquement les différentes parties et entendu leur envie de venir pour des réunions bilatérales puis trilatérales et une suite des accords à Paris. Nous avons avancé grâce à cette réunion que je qualifie de constructive, elle a notamment permis à la fois de répondre à la demande des représentants de Nouvelle-Calédonie que nous nous rendions à la fin du mois de novembre en Nouvelle-Calédonie pour un déplacement qui devrait permettre justement aux représentants des indépendantistes absents de continuer le dialogue avec l'État, et en particulier pour lancer les groupes de travail définis lors de cette journée autour de la Première ministre, qui vont être mis en place dans les jours qui viennent par le Haut-commissaire et que nous allons concrétiser par notre déplacement et par nos réunions en Nouvelle-Calédonie. Nous avons noté le sentiment positif de l'ensemble des présents à cette réunion, y compris donc une partie des indépendantistes, de nous voir donner suite aux demandes d'un bilan des accords de Nouméa et d'un audit de décolonisation. Le Haut-commissaire en a présenté le cahier des charges, qu'il a discuté avec l'ensemble des partenaires.

Il s'agit, après les trois référendums qui ont été organisés conformément aux accords de Matignon et de Nouméa, de pouvoir désormais inscrire la Nouvelle-Calédonie dans un avenir qui n'est pas celui de savoir si elle doit, ou pas, rester française. La question a été tranchée par le peuple souverain, et singulièrement les Calédoniens eux-mêmes, les trois référendums se sont d'ailleurs déroulés sous le quinquennat du président de la République actuel, y compris le dernier à quelques mois de l'élection présidentielle. Je souligne le courage qu'il a fallu au président de la République et à Sébastien Lecornu pour organiser ces trois consultations qui se sont passées dans les meilleures conditions démocratiques et de sécurité possibles, toutes les parties le reconnaissent.

La prochaine étape, pour pouvoir construire ce chemin avec nos amis Calédoniens, est celle de notre déplacement en Nouvelle-Calédonie, je tiens à dire que notre porte est toujours ouverte. Nous regrettons, évidemment, l'absence d'une partie des indépendantistes mais nous les associerons, bien sûr, à l'ensemble des discussions que nous pourrons avoir. Avec le ministre délégué, nous avons reçu M. Mapou, par exemple, et continuons à avoir des échanges téléphoniques avec lui en attendant de se voir sur place. Désormais notre sujet est de voir comment nous construisons les choses ensemble. Ces sujets institutionnels sont évidemment extrêmement importants, mais au lendemain peut-être d'une révision constitutionnelle puisqu'il faudra bien tirer les conclusions de dispositions constitutionnelles qui aujourd'hui s'arrêtent bien évidemment au troisième référendum, sans ignorer qu'il y a une nouvelle situation créée par ce troisième référendum qui confirme l'attachement de la Nouvelle Calédonie à l'unité de la République. Il y a aussi les autres sujets d'importance, le nickel en premier lieu mais pas uniquement, pour mettre la Nouvelle-Calédonie dans l'avenir.

M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l'intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer. - J'ai noté la bonne ambiance de notre réunion avec la Première ministre, son atmosphère détendue, les tours de table ont été très sérieux. Chacun reconnaissait que le choix du président de la République et du Gouvernement de tenir le référendum au mois de décembre était un choix courageux et déterminant. Que se passerait-il si on faisait le référendum maintenant ? Chacun se posait la question. Tout le monde a ressenti que ce qui a été fait avait été bien fait. Ensuite, sur le nickel, nous avons un problème de fiscalité et des problèmes de recettes pour le territoire. Vous vous êtes rendus là-bas, la situation n'est pas bonne, ni dans le sud, - l'usine de Yaté - ni à Nouméa, ni dans le nord. Il nous faut y réfléchir. Le ministère des finances, le ministère de l'intérieur et des Outre-mer et moi-même essayons de trouver la bonne formule de travail à Paris sur ce point. Bien évidemment, il faut que le ministère des finances soit impliqué, et qu'il accompagne tout ça, parce qu'il y a à la fois des questions techniques et des questions capitalistiques et qu'il s'agit finalement d'une question politique. Prenons un peu de temps mais le sujet est tout à fait essentiel.

Le dernier point que je voudrais mettre en avant c'est que tout le monde a bien dit qu'il y a les questions institutionnelles à régler d'une certaine manière et il y a le reste. Profitons de ce moment pour que l'État aide cette société calédonienne à se mettre en route après ces référendums une fois qu'a été confirmée l'appartenance à la République. Il y a un certain nombre de sujets : les questions institutionnelles, l'égalité des chances et la cohésion sociale, le développement économique, l'emploi et les grands investissements, le nickel, la souveraineté énergétique - qui vont un peu ensemble -, la souveraineté alimentaire, le foncier, les valeurs, l'identité commune et régionale. Le calendrier démarrera après préparation par le Haut-Commissaire, en ce moment même, du voyage du ministre de l'intérieur et de moi-même. Les ministres sont là pour lancer les groupes de travail, après un nouveau contact, bien sûr, avec les parties qui n'étaient pas là à Paris. J'ai bon espoir que le voyage, de huit jours, soit productif. Et qu'il enclenche un processus que nous espérons voir aboutir à la mi 2023, ce sur quoi tout le monde convergeait. Cela fait huit à dix mois nécessaires.

M. Philippe Bas. - Nous sommes tous dédiés à la recherche d'un accord en Nouvelle-Calédonie, et nous serions très heureux de pouvoir y contribuer. J'espère qu'après la rencontre informelle de Paris la semaine dernière, sans les indépendantistes, votre déplacement à Nouméa permettra de renouer le dialogue, car pour l'instant, c'est une situation où l'une des parties n'est pas présente dans les discussions. Je crois que nous partageons la même conviction : il n'y a pas de solution durable en Nouvelle-Calédonie sans un accord. Il ne peut pas y avoir une solution de l'État, une solution unilatérale qui soit une solution durable. Cela n'assurerait pas la coexistence des Calédoniens entre eux. Il n'y a pas non plus de majorité à Paris, au Parlement, sans un accord, et notamment pas de majorité au Congrès, possible, pour une révision constitutionnelle. Donc l'enjeu est bien là : réussir, - et c'est votre défi - à nouer d'abord ce dialogue, et ensuite ce trilogue, État, non-indépendantistes, indépendantistes pour créer des solutions durables. Les solutions ne sont jamais définitives, car nous sommes dans l'ordre du politique, mais au moins qu'elles puissent durer aussi longtemps que les accords de Matignon et de Nouméa pour assurer la stabilité et le développement de la Nouvelle-Calédonie.

Il y a un paradoxe, et c'est ce sur quoi portera mon unique question. Vous avez donné, depuis l'élection présidentielle, le sentiment de vous hâter avec lenteur. J'espère que cela permettra tout de même comme dans la fable d'atteindre la ligne d'arrivée d'un accord que nous souhaitons tous. Mais cette lenteur, qu'elle soit voulue ou liée à un certain nombre de péripéties, est-elle réellement compatible avec le calendrier que vous avez en tête ? C'est un calendrier très serré. M. le ministre délégué, après avoir paru hésiter, a confirmé en Nouvelle-Calédonie depuis Nouméa, le référendum annoncé M. Sébastien Lecornu, votre prédécesseur sur cette partie de vos compétences, d'ici la fin du premier semestre 2023. Il y a quand même un compte à rebours...

M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des outre-mer. - Non, il n'y aura pas de nouveau référendum...

M. Philippe Bas. - Ah ? J'ai mal compris. Il n'y aura pas de référendum en Nouvelle-Calédonie ? Vous n'avez pas prévu cela ? En tout cas, un référendum suppose qu'on soit parvenu à un accord, suivi d'une révision constitutionnelle : la mi-2023, c'est un peu court dans le contexte actuel... Ensuite, après la mi-2023, pensez-vous tenir le calendrier pour les élections en Nouvelle Calédonie ? Au fond, on met la pression sur le calendrier, on pose des espèces d'ultimatums. Et tout le monde n'est pas réuni à la table des négociations.

M. Jean-Pierre Sueur. - Je dois vous dire que je garde un excellent souvenir de la délégation que nous avons conduite avec François-Noël Buffet et Philippe Bas en Nouvelle-Calédonie, avant l'été. Nous y avons mené 42 auditions pour entendre, avec une certaine humilité comme l'on dit là-bas dans la coutume, ce qui était dit. Nous avons eu le sentiment, comme le souligne notre rapport d'étape, qu'en dépit des oppositions, il y avait des possibilités de rapprochement : les différents leaders de la Nouvelle-Calédonie se connaissent très bien - et finalement il y a le discours, les postures, et puis il y a aussi ces fils mystérieux qui font que petit à petit les choses peuvent évoluer. À cet égard, je suis en total accord, ce n'est pas un hasard, avec ce que vient de dire Philippe Bas, et je dois dire que nous avons connu des moments difficiles au mois de juillet et encore récemment. Jean-François Carenco, nous vous connaissons depuis longtemps et nous connaissons votre sens du dialogue et même votre empathie avec les personnes avec lesquelles vous parlez. Mais vous avez quand même dit lors de votre dernier déplacement, - j'ai là le verbatim - devant une délégation, le matin : « il n'y aura pas de référendum de projet en juillet ou septembre 2023 ». Les gens ont alors compris qu'il n'y aurait pas de référendum. Puis, l'après-midi, devant d'autres interlocuteurs, vous avez dit : « Ce référendum de projet, il a toujours été question qu'il ait lieu, il n'y a aucun sujet là-dessus, le référendum de projet c'est une évidence. » Je vois votre sens du dialogue, je ne le conteste pas, simplement la réalité, c'est que, comme l'a dit d'ailleurs Philippe Bas, il n'est pas possible qu'il y ait un référendum à court terme. Il ne peut y avoir de référendum spécifique à ce territoire que si nous changeons la Constitution. Or, si vous pensez que les conditions politiques sont réunies pour que le Sénat et l'Assemblée nationale votent dans les mêmes termes un texte qui serait soumis au Congrès d'ici la fin 2023, je crois que c'est quelque peu utopique.

Ensuite, et il faut « parler vrai », comme le disait Michel Rocard. Un événement pèse lourd dans ce dossier : la nomination au Gouvernement de Mme Sonia Backès. Nous pensons, nous avons dit et écrit, encore récemment, qu'il nous paraissait que, pour avancer, le Gouvernement devait être impartial. C'est une position ; on peut considérer que le Gouvernement doit être partial. Mais jusque-là, et notamment pour le troisième référendum, le Gouvernement a tenu à une certaine impartialité. C'est nécessaire si l'on veut que les points de vue se rapprochent. Or, vous avez dans le Gouvernement, à vos côtés, une personne tout à fait estimable, mais qui est le fer de lance de l'une des parties et qui déclare, notamment dans la presse, que naturellement être membre du Gouvernement ne l'empêchera pas, s'il y a deux parties qui dialoguent, d'être clairement dans l'une des parties. Alors là, on ne comprend pas très bien. Et vous savez très bien, je ne vous l'apprends pas, que les indépendantistes n'ont pas été insensibles à la situation ainsi créée.

Je ne demande rien à votre collègue du Gouvernement, je ne demande même pas qu'elle démissionne de son poste de présidente de la province sud, conformément à ce qu'ont fait certains de vos collègues du Gouvernement, c'est son libre choix. Mais il me semble que si le Gouvernement est impartial, veut être impartial, se dit impartial, il faut peut-être régler cette question. Peut-être que l'intéressée peut faire des déclarations en disant qu'elle se retire du dossier ou qu'elle fait preuve d'impartialité ? Nous avons vu comment les choses se sont passées lors de la réunion à Paris où les indépendantistes n'étaient pas représentés puisque M. Lalié, que nous avons-nous-mêmes reçu, comme tous les interlocuteurs présents à Paris, nous a dit qu'il n'était là qu'en tant que président de la province des îles. Nous pensons qu'il y a là peut-être un préalable à lever de manière à ce que, lorsque vous vous rendrez à nouveau en Nouvelle-Calédonie les groupes de travail soient acceptés par les deux parties, et que par un dialogue bilatéral puis, je l'espère, par un dialogue trilatéral, on puisse avancer.

Comment avancer ? La question du référendum « de projet » est un chiffon rouge qui ne sert à rien, puisqu'il est impossible de le mettre en place à court terme. Il me semble, en revanche, que la question du régime électoral est une vraie question, mais elle demande du temps, de la précaution pour arriver à avancer parce qu'on ne peut pas rester dans cette situation. On a pu critiquer les accords de Paris et les accords de Nouméa, mais ils ont permis une certaine paix, un vivre-ensemble. Je crois qu'il faut repartir sur un chemin pour vivre ensemble en partant des réalités économiques, sociales et culturelles, coutumières, en avançant petit à petit sur ces sujets, peut-être en s'appuyant sur les maires dont nous avons pu comprendre là-bas à quel point ils étaient des hommes et des femmes de dialogue. Il y a un chemin mais il y a deux écueils. Une chose est impossible : c'est dire qu'il n'y aura plus de rapport culturel extrêmement fort entre la Nouvelle-Calédonie et la France. Je pense que personne, y compris parmi les indépendantistes, ne demande que le lien soit coupé. Et en même temps, il faudra des signes pour marquer l'autonomie et la spécificité de la Nouvelle-Calédonie. Par exemple, la question de l'autodétermination a toujours été présente dans le processus. Il me semble qu'entre ces deux points, il y a un chemin, sans doute étroit, mais je souhaite de tout coeur que vous puissiez avancer sur ce chemin.

M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des outre-mer. - Sur la question de M. le président Bas, je ne vois pas très bien comment nous aurions pu nous hâter autrement, sauf si vous considérez que nous aurions pu à organiser un déplacement du ministre ou de moi-même entre les élections présidentielles et législatives. Je rappelle que l'élection présidentielle a eu lieu au mois de mai, que le Gouvernement a été formé une semaine après, ce qui est bien logique, puis qu'il y a eu la campagne des législatives. Il aurait été bizarre d'entreprendre des discussions alors même que les Calédoniens choisissaient leurs représentants à l'Assemblée nationale. Nous avons décidé d'envoyer le ministre Jean-François Carenco au tout début du mois de septembre après deux conseils de défense organisés par le chef de l'État sur la question calédonienne. Nous avons-nous-mêmes reçu, à Paris, un certain nombre d'interlocuteurs calédoniens dès le début du mois de septembre. Nous avons organisé, après les invitations lancées lors du déplacement du ministre, ces deux journées de travail au mois d'octobre. Je ne vois pas comment nous aurions pu aller plus vite, sauf à bousculer les demandes même des Calédoniens, qu'ils soient indépendantistes ou non-indépendantistes, d'attendre la fin de la campagne des élections législatives et qui ne souhaitaient surtout pas d'accélération du calendrier.

Vous incluez peut-être le moment entre le référendum de décembre et l'élection présidentielle ? C'est une autre question qui se pose. Je rappelle qu'à l'époque le FLNKS, en premier, avait dit qu'il ne discuterait pas avec des représentants de l'État tant que le président de la République n'était pas connu. C'est une position assez logique, il faut bien l'avouer, puisque la fin de la période des accords de Matignon et de Nouméa - trois référendums étaient prévus et nous avons mené ces trois référendums - crée une nouvelle situation à étudier, une discussion ne pouvait pas s'engager avec un président de la République qui n'était pas à coup sûr Emmanuel Macron. Chacun aurait très certainement contesté que M. le président de la République préempte des arbitrages qui engageaient bien au-delà de son quinquennat. Je ne vois pas très bien ce que nous aurions pu faire de plus rapide compte tenu du calendrier qui nous était imposé et d'ailleurs, le fait que nous retournions dès la fin du mois de novembre en Nouvelle-Calédonie démontre, me semble-t-il que l'on considère que chaque mois est une avancée. Au sujet de l'absence des indépendantistes, je veux aussi souligner que le FLNKS est incontestablement divisé. Son congrès politique arrive, et il a souhaité ne pas régler ses problèmes avant. Pour notre part, nous avons justement fait le choix de ne pas procrastiner et de ne pas encore attendre, trouvant une excuse pour ne pas avancer. Par ailleurs, une partie du FLNKS conteste la validité du troisième référendum, partant du principe qu'il pourrait demander à l'Assemblée générale des Nations-unies de saisir un tribunal qui pourrait remettre en cause la validité de ce référendum. Une partie des conseils de ceux qui contestent la possibilité de valider totalement ce référendum disent : « Si vous allez à Paris, alors vous validerez le fait que vous rendez légitime ce troisième référendum. ». Et ils nous disent : « Tant qu'on n'est pas sûrs que les Nations-unies ne valident pas ce référendum, on ne veut pas discuter. ». Ça nous amène à fin 2023, pour faire très vite. Pour nous, ce n'est évidemment pas un calendrier acceptable, parce que les Calédoniens, par trois fois, ont choisi de rester dans la République, après des élections, me semble-t-il, clairement disputées, démocratiques. D'ailleurs, je crois que les Nations Unies n'ont rien eu à redire ; le Comité spécial des Vingt-Quatre a même considéré que nous avons tenu tous les engagements internationaux de la France, dont en premier lieu le droit à l'autodétermination qui reste toujours dans notre droit.

Je crois qu'il y a un sujet, qui est un sujet difficile pour les indépendantistes : c'est la première fois depuis très longtemps qu'ils ne sont pas dans une situation où il y a un référendum d'autodétermination certain à quelques mois ou quelques années près. Je pense que cela crée une difficulté dans le camp indépendantiste. Nous devons le respecter. Nous devons l'accompagner. Nous devons montrer que notre porte est toujours ouverte. Il ne s'agit d'humilier personne. Nous sommes prêts à discuter de plein de sujets qui concernent la Nouvelle-Calédonie : sa forme institutionnelle, la façon dont fonctionne son corps électoral, la façon dont on voit l'avenir. Mais on ne peut pas faire comme si ces trois référendums n'avaient pas exprimé par trois fois que les Calédoniens voulaient rester dans la République française. Du reste, si nous n'avions pas organisé ces réunions, ces déplacements, vous nous diriez à juste titre, en tout cas pour une partie de l'hémicycle du Sénat, que nous ne respecterions pas la voix des Calédoniens qui ont choisi la France, qui souhaitent un avenir et qui se posent désormais des questions sur le logement, la santé, l'énergie, le nickel, le travail, et leur environnement géopolitique. Chacun sait d'ailleurs que d'autres grandes puissances nous regardent pour savoir si nous sommes capables de pouvoir être forts dans ce territoire français.

Messieurs, cette audition va peut-être permettre de lever cette ambiguïté : il n'est pas prévu de nouveau référendum, et d'ailleurs pourquoi aurait-il lieu ?

M. Jean-Pierre Sueur. - Le ministre a parlé d'un référendum de projet.

M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des outre-mer. - Il n'y a pas de nouveau référendum prévu dans les mois qui viennent, dans les années qui viennent. On peut discuter de tout, mais la Nouvelle-Calédonie a fait le choix de la République. Des questions se posent effectivement pour savoir si nous avons la possibilité de le faire dans le cadre constitutionnel actuel. Vous avez parfaitement raison, le changement constitutionnel et notamment de l'article 77 alinéa 4 de la Constitution, c'est-à-dire la question du corps électoral, va se poser puisque nous avons les élections provinciales à organiser en 2024. Mais il est évident que l'année de travail qu'évoquait le ministre délégué ne comprend pas de référendum. Elle comprend, me semble-t-il, le rendu des groupes de travail et, nous l'espérons tous et toutes, des discussions bilatérales et trilatérales conclusives ce qui nous permettra de faire un chemin, et pourquoi pas, Monsieur le Président Sueur, vous avez parfaitement raison, de voir quels sont les symboles, quelles sont les politiques que nous pouvons imaginer être soit des compétences partagées, soit des compétences entières de la Nouvelle-Calédonie.

Vous savez que c'est l'endroit le plus décentralisé qui existe dans la République, puisque hormis les affaires régaliennes, nous ne voyons pas très bien ce que nous pourrions décentraliser davantage. Mais nous pourrions ouvrir des voies et des chemins, et c'est d'ailleurs pour cela que nous continuons à discuter ainsi. L'axe indopacifique évoqué par le président de la République montre peut-être un de ces chemins : définir ce que nous voulons pour la Nouvelle-Calédonie et sa grande place dans la République française.

Ce que j'ai moins compris, Monsieur le Président Sueur, c'est votre assertion : « L'État doit être neutre. ». Si l'État devait avoir une impartialité particulière dans l'organisation des référendums, une fois que ces référendums sont établis et qu'ils ont eu lieu, lors d'élections disputées. L'État ne peut pas rester indéfiniment indifférent au sort de la Nouvelle-Calédonie et nous pouvons constater tous ensemble que la question a été désormais tranchée. J'ai d'ailleurs constaté que vous ne les remettiez pas en cause ni lors de votre prise de parole, ni dans le rapport d'étape que vous avez fourni et que j'ai lu attentivement ; et j'attends avec le ministre délégué votre rapport définitif et nous nous inspirerons bien évidemment de vos constats et de vos recommandations.

M. Jean-Pierre Sueur. - J'ai parlé d'État impartial...

M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des outre-mer. - Le troisième référendum a été organisé et, pour la troisième fois en quelques années, les Calédoniens ont dit qu'ils souhaitaient rester français. On ne va pas interdire à tout Calédonien de participer au gouvernement de son pays parce qu'il faudrait que nous ayons une position ad vitam d'impartialité ! Ce serait de drôles de citoyens que ceux de Nouvelle-Calédonie si nous disions que tout le monde peut être membre du gouvernement sauf les citoyens calédoniens. Ce ne serait pas être pleinement dans la République française. Donc s'agissant de votre remarque sur Sonia Backès, qui n'est pas en charge des outre-mer ni de la Nouvelle-Calédonie, il s'agit de la place d'une citoyenne française qui, à la demande du président de la République sur proposition de la Première ministre, a accepté de servir son pays. Il n'y a pas de contestation sur ce point. Les indépendantistes ne le contestent d'ailleurs pas, je le dis pour les avoir entendus, pour avoir lu leurs tracs et leurs communiqués de presse. Notre porte est ouverte, et si notre porte est toujours ouverte, la parole donnée compte énormément partout, et singulièrement en Nouvelle-Calédonie. Nous avons été un peu étonnés, avec le ministre délégué, que cette parole donnée de pouvoir venir à Paris, n'ait pas été tenue, de pouvoir venir à Paris. Je crois qu'il faut prendre en compte la peur, car par le passé ceux qui sont venus discuter ont pu subir les affres de la violence, nous devons rassurer. Une fois donc le troisième référendum organisé, la question n'est plus de savoir s'il y en aura un quatrième sur une potentielle indépendance, mais de considérer que l'État n'a plus de neutralité à avoir et de se mettre en ordre de marche pour aider la Nouvelle-Calédonie à avancer sur son chemin.

Vous dites, encore, que l'autodétermination était partie intégrante des accords de Matignon et de Nouméa, mais elle l'est de tout temps dans notre fonctionnement constitutionnel, et nous ne disons pas que la question ne se posera plus jamais : elle se posera peut-être encore, mais pas à court ou moyen terme, car ce serait, par définition, ne pas respecter le vote et le processus de Matignon.

Donc pour me résumer, il n'y aura pas, dans notre calendrier, un référendum à organiser dans les mois qui viennent. Ça ne veut pas dire qu'il n'y en n'aura pas, un jour, sur le projet pour la Nouvelle-Calédonie, mais ce n'est pas dans l'année qu'évoquait le ministre délégué. Et oui, il faudrait faire, vous le savez tous, une réforme constitutionnelle pour adapter notamment la question du corps électoral, qui est posée par le Conseil d'État, par les juristes européens, et par nous-mêmes. On voit bien que la finalité pour laquelle on a fait ces dispositions exorbitantes du droit commun était conditionnée par le juge constitutionnel lui- même à des buts qui sont maintenant atteints. On sait tous que c'est une question extrêmement délicate par ailleurs. Elle ne mérite pas d'être traitée d'un revers de la main.

Peut-on espérer une majorité des trois cinquièmes au Congrès pour cette réforme électorale ? N'étant pas président de la République ni parlementaire, ce n'est pas à moi de le dire et mon travail, c'est plutôt de trouver le chemin, il n'est pas facile - en tout cas nous voulons le trouver, dans l'écoute des citoyens de Nouvelle-Calédonie, des indépendantistes comme de ceux qui n'ont pas choisi l'indépendance et qui ont été majoritaires dans les trois référendums. Je constate que tous les maires ont organisé les opérations électorales lors du troisième référendum, y compris par ceux qui, pourtant, et vous le savez bien, revendiquent l'indépendance, ce qui est leur droit le plus strict, que nous respectons profondément, en vertu des anciens et de leur engagement.

M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l'intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer. - Peut-être deux compléments. Tout d'abord, un témoignage : lors de la réunion à Paris, Sonia Backès a clairement dit qu'elle participait non comme ministre, mais comme présidente de l'Assemblée de la Province Sud de la Nouvelle-Calédonie.

D'autre part, sur le calendrier, les élections provinciales requièrent effectivement une révision constitutionnelle, et cela suppose l'accord des trois cinquièmes du Parlement : nous avons donc besoin de vous. Ce qu'on entend partout en Nouvelle-Calédonie, c'est une demande d'approfondissement du rôle de l'État, avec l'appartenance à la République comme ligne rouge, je crois que c'est un gage qu'il y a une solution consensuelle. 

Ne nous pressons pas. Ne disons pas des choses trop brutales. On verra là-bas comment les choses se déroulent. Je me suis assuré d'une seule chose avant le 28 octobre, c'est qu'ils nous accueilleraient tous. Au-delà, laissons se nouer les choses.

M. Philippe Bas. - Merci de vos réponses très complètes, nous voulons tous avancer vers un accord et il est très important d'avoir un dialogue clair et complet, et que nous nous parlions avec franchise. Cependant, Monsieur le ministre, par la réponse que vous avez apportée sur le référendum de projet, vous ne pouvez ignorer que vous avez fait une annonce qui, de fait, était la plus importante de ce Gouvernement sur le dossier calédonien. Je trouve que ce renoncement est sage, qu'il eut été extrêmement difficile de forcer le passage pour organiser ce référendum de projet à la date où il avait été initialement prévu. Vous donnez un petit peu d'oxygène ; ce qui ne vous empêche pas d'envisager à l'issue d'un accord que celui-ci soit consacré par un vote des Calédoniens.

Vous ne répondez toutefois pas sur le calendrier des élections provinciales prévues en 2024, et vous avez raison, car tant qu'on peut espérer tenir le calendrier, autant ne pas envisager de le changer. Mais j'insiste simplement sur un point : s'il était possible de lever la difficulté du calendrier liée au référendum de projet, qui avait été annoncé et confirmé par le Gouvernement, il est en revanche beaucoup plus difficile de reculer cette échéance des élections provinciales. Cela crée tout de même, pour la négociation, une exigence parce qu'elles pourront difficilement se tenir tant que la question du corps électoral ne sera pas tranchée.

M. Jean-Pierre Sueur. - Cette date du 2 novembre est importante. Il y a eu trois référendum, dont nous ne contestons ni l'existence, ni les résultats, et il y a l'annonce par le ministre Sébastien Lecornu qu'un référendum de projet interviendrait d'ici fin 2023. Vous nous dites qu'il n'aura pas lieu, je vous en félicite : ce n'est pas la peine de maintenir, comme ça en l'air, une espèce de chose dont on sait tous qu'elle ne pourra pas arriver. Cela dégage l'horizon pour reprendre les discussions sur une pluralité de sujets, de manière à recréer un climat qui permette d'aborder, sans fixer d'échéance particulière, cette question du corps électoral qui est difficile et qui ne pourra être réglée que si l'on crée un climat favorable.

M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des outre-mer. - Je dois dire les choses très clairement. S'il doit y avoir un référendum, il ne sera pas d'autodétermination. Le ministre Lecornu a évoqué un référendum de projet. Il est tout à fait possible que ce référendum de projet, pour savoir quel est le nouveau statut, quelle est la nouvelle politique de la Nouvelle-Calédonie dans la République, puisse se tenir. Nous disons, avec le ministre Carenco, tout comme vous, que ce serait difficile de constater qu'il peut se tenir dans l'année qui vient. Car le mode de consensus qui prévaut en Nouvelle-Calédonie et qui demande du temps, doit être recherché par l'État, à travers des bilatérales, des trilatérales, des déplacements, de l'écoute et de l'envie de travailler en commun pour la Nouvelle-Calédonie. Plus on pourra se rapprocher d'une méthode consensuelle, moins on fera des choses clivées dans un temps trop court, qui ne feraient que séparer les uns des autres. En d'autres termes, mieux on se portera si on arrive à aller vers le consensus. Et il ne nous apparaît pas possible aujourd'hui de se mettre d'accord sur tous les sujets qui concerneraient ce projet pour la Nouvelle-Calédonie, dans un temps aussi court.

Dernier point : la réforme constitutionnelle : elle est obligatoire, au regard de notre Constitution, et mon travail est de parvenir à une formulation acceptable par toutes et tous. Cela pose plusieurs questions : faut-il donner des compétences supplémentaires à la Nouvelle-Calédonie ? Si oui, lesquelles et dans quelles conditions ? Cela répond-il aux attentes des Calédoniens de tous bords ? Et enfin, doit-on revenir sur le corps électoral ? Vous n'êtes pas sans savoir que le corps électoral varie selon les élections, selon qu'elles soient présidentielles, provinciales ou référendaires. La situation est difficile, en particulier parce que les indépendantistes demandent à ne pas toucher à cette distribution, alors que d'autres veulent le faire. Les élections provinciales doivent se tenir, mais avec quel corps électoral ?

On a un petit peu de temps avant de devoir décider de tout cela. Il y a tout d'abord les élections sénatoriales qui vont se dérouler en Nouvelle-Calédonie, et, de plus, on ne va pas faire le voyage avant d'y aller. Ils ont accepté de nous recevoir et, si j'ose dire, de faire la suite, en Nouvelle-Calédonie, de la réunion qu'a tenue la Première ministre à Paris. Nous sommes toujours dans la même philosophie : des bilatérales, puis des trilatérales, puis une avancée vers le consensus. Cela s'inscrira dans un avenir dans la République. Je ne veux pas nous lier les mains avant d'y aller. Cependant, il faudra bien que ces provinciales se tiennent et il faudra bien que nous nous mettions d'accord sur ce corps électoral et ces élections locales, qui sont importantes car, vous le savez, les provinces ont des compétences fortes en Nouvelle-Calédonie.

Nous ne sommes pas contre le référendum de projet annoncé par les ministres des outre-mer précédents. Mais ne nous engageons pas sur une date. Il faudra qu'il se tienne une fois qu'on aura fait ce travail. La méthodologie, c'est des groupes de travail sur tous les sujets, institutionnels mais pas seulement : le nickel, notamment, qui est un sujet complexe, tout aussi capitalistique qu'identitaire, et qui attise des convoitises étrangères. Et quand nous serons prêts, nous l'espérons le plus rapidement possible, a priori un an, nous reviendrons devant l'opinion publique, devant les assemblées parlementaires et devant le président de la République pour lui proposer le consensus que nous espérons avoir trouvé dans les jours et les semaines qui viennent.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

RAPPORT D'ÉTAPE

LISTE DES PROPOSITIONS DU RAPPORT D'ÉTAPE


Proposition n° 
: Garantir l'impartialité de l'État et consolider son rôle de proposition sur le dossier calédonien

Proposition n° 2 : Élargir les discussions à la diversité des défis auxquels devra répondre la Nouvelle-Calédonie (économie, société, santé, école, culture, environnement, finances, contexte régional)

Proposition n° 3 : Écouter et consulter les acteurs économiques, sociaux, environnementaux, culturels, coutumiers, religieux ainsi que la jeunesse calédonienne

Proposition n° 4 : S'appuyer davantage sur les maires de Nouvelle-Calédonie, forces de propositions pragmatiques et concrètes

Proposition n° 5 : Associer pleinement le Parlement aux discussions sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie

Proposition n° 6 : Conduire des discussions politiques éclairées par des considérations juridiques

POUR CONSULTER LE RAPPORT D'ÉTAPE

https://www.senat.fr/rap/r21-831/r21-8311.pdf

LE CONTRÔLE EN CLAIR

POUR CONSULTER LA PAGE DE LA MISSION D'INFORMATION

https://www.senat.fr/travaux-parlementaires/commissions/commission-des-lois/avenir-institutionnel-de-la-nouvelle-caledonie.html


* 1 Le rapport d'étape de la mission d'information, déposé le 27 juillet 2022, est consultable à l'adresse suivante : https://www.senat.fr/rap/r21-831/r21-831.html.

* 2 Préambule de l'accord de Nouméa, signé le 5 mai 1998.

* 3 Sources : Insee-Isee, recensements de la population, 2019.

* 4 Rapport au Premier ministre de Jean Courtial et Ferdinand Mélin-Soucamanien, « Réflexions sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie », remis le 11 octobre 2013 et publié avec la contribution du ministère des outre-mer, p. 24, consultable à l'adresse suivante : https://www.vie-publique.fr/rapport/33578-reflexions-sur-lavenir-institutionnel-de-la-nouvelle-caledonie.

* 5 L'article 77 de la Constitution prévoit expressément que les transferts de compétence de l'État vers la Nouvelle-Calédonie sont effectués « de façon définitive ».

* 6 Le dispositif d'homologation des peines applicable en Nouvelle-Calédonie est, sur ce point, éclairant.

* 7 « Premier acte d'une coopération renforcée avec le Vanuatu », communiqué de presse du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie du 4 août 2022, consultable à l'adresse suivante : https://gouv.nc/actualites/04-08-2022/premier-acte-dune-cooperation-renforcee-avec-le-vanuatu.

* 8 Préambule de l'accord de Nouméa.

* 9 Dans sa décision n° 91-290 DC du 9 mai 1991, le Conseil constitutionnel a déclaré non conformes à la Constitution les dispositions de l'article 1er de la loi portant statut de la collectivité territoriale de Corse au motif que celles-ci mentionnaient le « peuple corse » alors que le peuple français doit être considéré comme « une catégorie unitaire insusceptible de toute subdivision en vertu de la loi ».

* 10  https://www.insee.fr/fr/statistiques/1560282

* 11 Cette clef de répartition n'a pas été modifiée alors que la province Sud concentre aujourd'hui
65 % de la population, dont la majorité des Kanaks (52 % en 2019). Source : 
https://www.insee.fr/fr/statistiques/4464927?sommaire=2122859

* 12 L'article 5 de l'accord de Nouméa prévoit qu'au cours du quatrième mandat du Congrès, celui-ci détermine, à la majorité qualifiée des trois cinquièmes, la date de la première consultation d'autodétermination. Si la réponse des électeurs à ces propositions est négative, le tiers des membres du Congrès peut provoquer l'organisation d'une nouvelle consultation. Si la réponse est à nouveau négative, une nouvelle consultation peut être organisée selon la même procédure.

* 13 Conseil d'État, 10 novembre 2021, req. n° 456139 et Conseil d'État, 3 juin 2022, req. n°s 459711, 459753.

* 14 Article 3 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie

* 15  https://www.insee.fr/fr/statistiques/4464927?sommaire=2122859

* 16 En 2011, 2015, 2017 et 2021.

* 17 Rapport d'information n° 104 (2014-2015) de Sophie Joissains, Jean-Pierre Sueur et Catherine Tasca, fait au nom de la commission des lois, déposé le 19 novembre 2014, pp. 24, consultable à l'adresse suivante : https://www.senat.fr/rap/r14-104/r14-104.html.

* 18 Source : Bilan institutionnel, administratif et financier de l'accord de Nouméa (30 mai 2023).

* 19 La direction de l'aviation civile, la direction de l'agriculture, de la forêt et de l'environnement, la direction des affaires maritimes, la direction de la jeunesse et des sports, la direction régionale des douanes, le service de la météo et du climat et le vice-rectorat.

* 20 L'article 142 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie prévoit la transmission obligatoire au Sénat coutumier de « tout projet ou proposition de loi du pays relatif aux signes identitaires tels que définis à l'article 5, au statut civil coutumier, au régime des terres coutumières et, notamment, à la définition des baux destinés à régir les relations entre les propriétaires coutumiers et exploitants sur ces terres et au régime des palabres coutumiers, aux limites des aires coutumières ainsi qu'aux modalités d'élection au sénat coutumier et aux conseils coutumiers ».

* 21 Bilan institutionnel, administratif et financier de l'accord de Nouméa (30 mai 2023).

* 22 Bilan institutionnel, administratif et financier de l'accord de Nouméa (30 mai 2023).

* 23 Bilan institutionnel, administratif et financier de l'accord de Nouméa (30 mai 2023), précité, p. 51.

* 24 Ibidem.

* 25 Op. cit., p. 53.

* 26 https://www.outremers360.com/bassin-pacifique-appli/nouvelle-caledonie-la-33e-promotion-du-programme-cadre-avenir-sur-le-depart-vers-lhexagone

* 27 Rapport d'étape de la mission précité, p. 24.

* 28 Audition par la commission des lois du Sénat le 7 juin 2022, le compte rendu est disponible à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20220613/lois.html#toc5.

* 29 Sylvain Brouard et Samuel Gorohouna, « Comportements référendaires en Nouvelle-Calédonie : Régularités et changements lors des scrutins des 4 novembre 2018 et 4 octobre 2020 », Cahiers du LARJE, n° 2021-2, décembre 2021. L'article est consultable à l'adresse suivante : https://larje.unc.nc/wp-content/uploads/sites/2/2021/12/2021-2-S-Gorouhan-et-S-Brouard-B.pdf.

* 30 Op. cit., p. 11.

* 31 Réactions recueillies par NC la 1ère, « les loyalistes se félicitent de la victoire du non et les indépendantistes restent discrets mais contestent le scrutin », 13 décembre 2021. L'article est consultable à l'adresse suivante : https://la1ere.francetvinfo.fr/nouvellecaledonie/référendum-les-loyalistes-se-felicitent-de-la-victoire-du-non-les-independantistes-restent-discrets-mais-contestent-le-scrutin-1179166.html

* 32 Source : bilan de l'accord de Nouméa (mai 2023), p. 30.

* 33 Rapport de la commission des lois précité, p. 26.

* 34 Source : dernier recensement de l'Insee, 2019, consultable dans son intégralité à l'adresse suivante : https://www.insee.fr/fr/statistiques/4924021#titre-bloc-4.

* 35 Op. cit.

* 36 Insee, « Bilan démographique 2020-2021: une dynamique démographique en berne dans un contexte atypique », étude annuelle de 2021 consultable à l'adresse suivante : https://www.isee.nc/population/demographie.

* 37 Op. cit.

* 38 Ibidem.

* 39 NC Eco, « la contribution des acteurs économiques de Nouvelle-Calédonie aux débats institutionnels », avril 2021. Ce document est consultable à l'adresse suivante : https://www.nouvelle-caledonie.gouv.fr/content/download/7875/61358/file/Contribution%20NC%20eco.pdf

* 40 IEOM, étude annuelle de 2022, consultable à l'adresse :
https://www.ieom.fr/IMG/pdf/synthese_annuelle_nc_2022_etudes.pdf.

* 41 Ibidem.

* 42 « La collectivité de Nouvelle-Calédonie », Rapport d'observations définitives, Chambre territoriale des comptes de Nouvelle-Calédonie, p. 9.

* 43 Sources : rapport précité de la chambre territoriale des comptes de la Nouvelle-Calédonie.

* 44 Op. cit., bilan sur l'accord de Nouméa, mai 2023, p. 42.

* 45 Ibidem, p. 43.

* 46 Op. cit., p. 47.

* 47 Op. cit., p. 49.

* 48 Rapport de Jean Courtial et Ferdinand Mélin-Soucramanien précité, p. 25.

* 49 Lequel s'intitule : « Dispositions transitoires à la Nouvelle-Calédonie ».

* 50 Conseil constitutionnel, décision n°99-410 DC du 15 mars 1999 sur la loi organique du 19 mars 1999.

* 51 Cour EDH, 11 janvier 2005, Py c. France, req. n° 66289/01.

* 52 Le point 2.1.2. de l'accord prévoit ainsi que « le mandat des membres du Congrès et des assemblées de province sera de cinq ans. »

* 53 Le rapport n° 180 (1998-1999) de Jean-Jacques Hyest sur le projet de loi organique relatif à la Nouvelle-Calédonie l'exprimait en des termes clairs : « Faisant application du point 2.1.2. du document d'orientation de l'accord de Nouméa, cet article fixe à cinq ans la durée du mandat des membres du congrès et des assemblées de province. » Ceci correspondait alors à une réduction d'une durée d'une année du mandat provincial alors existant.

* 54 Réponse de la Première ministre à la question d'actualité au gouvernement posée par Pierre Frogier le 21 juin 2023, publiée au JO Sénat du 22 juin 2023, p. 5530 : « En moins d'un an, le ministre de l'intérieur et des outre-mer et le ministre chargé des outre-mer se sont rendus sur place à quatre reprises pour échanger avec l'ensemble des acteurs calédoniens. J'ai également réuni une convention des partenaires à Paris au mois d'octobre 2022 et rencontré la délégation du Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS), et les représentants non-indépendantistes le 11 avril dernier ».

* 55 Audition des ministres Gérald Darmanin et Jean-François Carenco le 2 novembre 2022 par la commission des lois. Le compte rendu est consultable à l'adresse suivante : https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20221031/lois.html

* 56 Audition d'Alain Christnacht et de Jean-François Merle, co-auteurs du rapport de la mission d'écoute et de conseil sur l'avenir de la Nouvelle-Calédonie, le 15 juin 2022. Le compte rendu de cette audition peut être consulté dans le rapport d'étape : https://www.senat.fr/rap/r21-831/r21-8311.pdf.

* 57 Selon les résultats officiels et définitifs, cette majorité a été de 56,67 % en 2018, 53,26 % en 2020 et 96,5 % en 2021

* 58 Décrets n° 2018-457 du 6 juin 2018, n° 2020-776 du 24 juin 2020 et n° 2021-866 du 30 juin 2021 portant convocation des électeurs et organisation de la consultation sur l'accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie.

* 59 Relevé de conclusions du XVIIe comité des signataires de l'accord de Nouméa, 27 mars 2018, Premier ministre. Le document est consultable à l'adresse suivante : https://documentation.outre-mer.gouv.fr/Record.htm?idlist=2&record=19137487124919556699.

* 60 Sur le plan juridique, le débat semble aujourd'hui clos, le Conseil d'État ayant jugé par deux fois que la tenue de la consultation relative à l'autodétermination au mois de décembre 2021 était juridiquement valide ; une première fois au mois de novembre 2021, lorsque le Conseil d'État a rejeté un recours contre le décret du 30 juin 2021 convoquant les électeurs pour la troisième consultation sur l'accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie (Conseil d'État, 10 novembre 2021, req. n° 456139) ; une seconde fois, au mois de juin 2022, en rejetant le recours formé - entre autres - par le Parti de libération kanak (Palika) demandant l'annulation des opérations référendaires tenues en décembre 2021 au motif que l'épidémie de covid-19 et la déclaration d'une période de deuil coutumier d'un an faisaient obstacle au bon déroulement à de telles opérations et, partant, portaient atteinte à la sincérité de ce scrutin (Conseil d'État, 3 juin 2022, req. n°s 459711, 459753).

* 61  https://www.nouvelle-caledonie.gouv.fr/contenu/telechargement/10908/94991/file/Rapport+Roland+Berger+-+Audit+de+la+d%C3%A9colonisation.pdf p. 14.

* 62 Résolution 1514 (XV) du 15 décembre 1960 de l'Assemblée générale de l'ONU consultable en intégralité à l'adresse suivante :
https://documents-dds-ny.un.org/doc/RESOLUTION/GEN/NR0/154/33/PDF/NR015433.pdf?OpenElement.

* 63 Qui remplaçait l'Union française existant sous la Quatrième République.

* 64 Rapport n° 108 (1966-1967) de Marcel Prélot fait au nom de la commission des lois du Sénat sur le projet de loi organisant une consultation de la population de la Côte française des Somalis, déposé le 13 décembre 1966 et consultable à l'adresse suivante : https://www.senat.fr/rap/1966-1967/i1966_1967_0108.pdf.

* 65 Félicien Lemaire, « L'outre-mer, l'unité et l'indivisibilité de la République », les Nouveaux Cahiers du Conseil Constitutionnel, n° 35, avril 2012, consultable à l'adresse suivante : https://www.conseil-constitutionnel.fr/nouveaux-cahiers-du-conseil-constitutionnel/l-outre-mer-l-unite-et-l-indivisibilite-de-la-republique.

* 66 Considérant n° 2 de la décision n° 75-59 DC du 30 décembre 1975 du Conseil constitutionnel examinant la loi relative aux conséquences de l'autodétermination des îles des Comores et consultable à l'adresse suivante : https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/1975/7559DC.htm.

* 67 Ibid.

* 68 Décision n° 87-226 DC du 2 juin 1987 du Conseil constitutionnel examinant la loi organisant la consultation des populations intéressées de la Nouvelle-Calédonie et dépendances prévue par l'alinéa premier de l'article 1er de la loi n° 86-844 du 17 juillet 1986 relative à la Nouvelle-Calédonie et consultable à l'adresse suivante :

https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/1987/87226DC.htm.

* 69 Le considérant n° 5 de la décision précitée énonce que : « ces dispositions font application aux traités et accords internationaux relevant du titre VI de la Constitution des principes de libre détermination des peuples et de libre manifestation de leur volonté, spécifiquement prévus pour les territoires d'outre-mer par l'alinéa 2 du préambule ».

* 70 Voir les décisions n 2000-428 DC du 4 mai 2000 du Conseil constitutionnel sur la loi organisant une consultation de la population de Mayotte consultable à l'adresse suivante : https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2000/2000428DC.htm ; et n° 2000-435 DC du 7 décembre 2000 sur la loi d'orientation pour l'outre-mer consultable à l'adresse suivante : https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2000/2000435DC.htm.

* 71 Voir en particulier le considérant n° 7 de la décision n° 87-226 DC du 2 juin 1987 du Conseil constitutionnel précitée.

* 72 Comme le rappelait le document sur les conséquences du « oui » et du « non » : « L'accord de Nouméa prévoit des « consultations d'autodétermination » et non des « référendums d'autodétermination ». Dès lors, le résultat du scrutin n'emporte pas l'accession à la pleine souveraineté du pays de manière immédiate. C'est une loi du Parlement français qui devra déclarer la souveraineté pleine et entière de la Nouvelle-Calédonie », p. 5, précité.

* 73 À la différence des procédures prévues originellement dans la Constitution, les territoires d'outre-mer n'ont plus la faculté de décider unilatéralement s'ils se maintiendront dans la République française ou en sortiront. Ainsi, le « consentement des populations intéressées » ne constitue pas un référendum décisoire, la décision exige un concours de la volonté de la population du territoire et du Parlement français : le territoire ne pouvant sortir de la République sans l'approbation, par la loi, du législateur ; et réciproquement, la loi ne pouvant, sans le consentement des populations intéressées, rejeter un territoire hors de la République.

* 74 Voir en particulier le considérant n° 6 de la décision n° 87-226 DC du 2 juin 1987 précitée.

* 75 NC la 1ère, « Gérald Darmanin évoque la Nouvelle-Calédonie devant le Comité spécial de la décolonisation à New-York », 20 mai 2023, consultable à l'adresse suivante https://la1ere.francetvinfo.fr/gerald-darmanin-evoque-la-nouvelle-caledonie-devant-le-comite-special-de-la-decolonisation-a-new-york-1397534.html.

* 76  https://gouv.nc/actualites/06-05-2018/les-actes-de-possession-remis-aux-caledoniens.

* 77 Présentation de l'audit de la décolonisation :
https://www.nouvelle-caledonie.gouv.fr/Actualites/Presentation-de-l-audit-de-la-decolonisation-et-du-bilan-de-l-accord-de-Noumea.

* 78 Voir la partie I du présent rapport.

* 79 À titre d'exemple, les articles 141 et 149 de la loi organique prévoient que chaque aire coutumière désigne un conseil coutumier dont la composition est fixée selon les usages propres à l'aire.

* 80 Hérité de la IVème République, l'article 75 de la Constitution précise toujours que « les citoyens de la République qui n'ont pas le statut civil de droit commun [...] conservent leur statut personnel tant qu'ils n'y ont pas renoncé ». La loi organique du 19 mars 1999 a facilité la conservation et l'accès au statut coutumier en permettant le retour au statut civil coutumier pour les personnes y ayant renoncé ou dont les ascendants y avaient renoncé. Enfin, l'Accord de Nouméa a consacré la spécificité du statut coutumier en établissant un principe d'égalité entre statut civil et statut coutumier (point 1.1. du document d'orientation).

* 81 Le point 1.4 du document d'orientation prévoit que « Les juridictions statuant sur les litiges seront les juridictions de droit commun avec des assesseurs coutumiers ».

* 82 Voir la circulaire du 18 mars 2013 de la politique pénale pour la Nouvelle-Calédonie du garde des sceaux.

* 83  https://la1ere.francetvinfo.fr/nouvellecaledonie/il-y-dix-ans-nouvelle-caledonie-levee-conjointe-deux-drapeaux-854086.html.

* 84 Sénat coutumier, "Charte du Peuple Kanak - socle commun des valeurs et principes fondamentaux de la civilisation Kanak", consultable à l'adresse suivante :  https://www.senat-coutumier.nc/phocadownload/userupload/nos_publications/charte.pdf

* 85 L'on pense en particulier à l'affrontement des différentes acceptions du corps électoral « gelé » ou « glissant ».

* 86  https://www.lnc.nc/article/nouvelle-caledonie/politique/les-loyalistes-ensemble-devant-l-etat-mais-des-differences-sont-marquees.

* 87 Ces courriers ont été rendus publics et son disponibles à l'adresse suivante : https://la1ere.francetvinfo.fr/nouvellecaledonie/discussions-institutionnelles-dans-une-missive-gerald-darmanin-affiche-ses-priorites-1401462.html.

* 88 Voir l'article 1er de la loi organique n° 2018-280 du 19 avril 2018 relative à l'organisation de la consultation sur l'accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie.

* 89 S'exprimant par voie de presse, l'entourage du ministre de l'intérieur a indiqué que « le FLNKS a répondu oui pour les natifs et `dix ans minimum' (de résidence), sous réserve de travaux techniques à mener dans les prochaines semaines », pour plus de précision voir l'article du

journal Le Figaro suivant : https://www.lefigaro.fr/politique/nouvelle-caledonie-les-independantistes-acceptent-un-elargissement-du-corps-electoral-20230604.

* 90 Réponse de la Première ministre à la question d'actualité au gouvernement posée par Pierre Frogier le 21 juin 2023, publiée au JO Sénat du 22 juin 2023, p. 5530.

* 91  https://www.nouvelle-caledonie.gouv.fr/content/download/8086/62359/file/Contribution%20asso%20AFM%20NC.pdf.

* 92 Données du recensement de l'ISEE, 2021.

* 93 Recensement de la population en Nouvelle-Calédonie en 2014, Insee, https://www.insee.fr/fr/statistiques/1560282.

* 94 IEOM, présentation faite lors du forum Perspectives en juin 2023.

* 95 Rapport d'information n° 285 (2022-2023), « La stratégie française pour l'Indopacifique : des ambitions à la réalité », de. Cédric Perrin , Rachid Temal , Hugues Saury , Jacques Le Nay , André Gattolin et Joël Guerriau, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, déposé le 25 janvier 2023, pp. 24, et consultable à l'adresse suivante : https://www.senat.fr/rap/r22-285/r22-285.html.

* 96 « La collectivité de Nouvelle-Calédonie », Rapport d'observations définitives, Chambre territoriale des comptes de Nouvelle-Calédonie, p. 23.

* 97 Ibidem.

* 98 Il assure le rôle de banque centrale dans les collectivités ayant pour monnaie le franc Pacifique.

* 99 IEOM, « L'économie de la Nouvelle-Calédonie en 2022 », synthèse annuelle, consultable à l'adresse suivante : https://www.ieom.fr/nouvelle-caledonie/publications/publications-economiques-et-financieres/conjoncture-economique/panoramas-et-notes-de-synthese-annuelles/article/l-economie-de-la-nouvelle-caledonie-en-2022.

* 100 Ibidem.

* 101 Source : présentation du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie lors du forum « Perspectives » de juin 2023.