N° 37

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024

Enregistré à la Présidence du Sénat le 18 octobre 2023

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur les plans de construction de quinze mille places de détention supplémentaires et de vingt centres éducatifs fermés,

Par M. Antoine LEFÈVRE,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Bruno Belin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Emmanuel Capus, Thierry Cozic, Bernard Delcros, Thomas Dossus, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Stéphane Sautarel, Pascal Savoldelli, vice-présidents ; M. Michel Canévet, Mmes Marie-Claire Carrère-Gée, Frédérique Espagnac, M. Marc Laménie, secrétaires ; MM. Arnaud Bazin, Grégory Blanc, Mme Florence Blatrix Contat, M. Éric Bocquet, Mme Isabelle Briquet, M. Vincent Capo-Canellas, Mme Marie-Carole Ciuntu, MM. Raphaël Daubet, Vincent Delahaye, Vincent Éblé, Rémi Féraud, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Raymond Hugonet, Éric Jeansannetas, Christian Klinger, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Olivier Paccaud, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Mme Ghislaine Senée, MM. Laurent Somon, Christopher Szczurek, Mme Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel.

L'ESSENTIEL

Reprenant une promesse de campagne du candidat Emmanuel Macron en 2017, le Gouvernement a présenté à l'automne 2018 un plan de création de 15 000 places supplémentaires en établissements pénitentiaires (« plan 15 000 »). Il avait au même moment annoncé le lancement d'un plan de création de 20 centres éducatifs fermés (CEF) dits de « deuxième génération », destinés à la prise en charge des mineurs.

Alors qu'une première tranche de 7 000 places devait être livrée en 2022 et que les premiers CEF devaient être opérationnels à partir de 2021, le rapporteur spécial des crédits de la mission « Justice », M. Antoine Lefèvre a souhaité dresser un bilan d'étape de la mise en oeuvre de ces deux plans d'investissement majeurs pour le ministère de la justice. Réunie le 18 octobre, la commission des finances a examiné les conclusions du rapporteur ainsi que ses propositions pour s'assurer qu'à défaut d'être achevés dans le calendrier et dans le budget initialement prévus, ces programmes immobiliers soient exécutés dans de meilleures conditions.

I. LES PROGRAMMES IMMOBILIERS, UN TRAITEMENT CHRONIQUE MAIS INSUFFISANT DE LA SURPOPULATION CARCÉRALE

La question de l'état et de l'extension du parc immobilier pénitentiaire se pose avec d'autant plus d'acuité que la population carcérale a atteint un niveau inédit en 2023, trois ans après l'actionnement de mécanismes pour limiter les entrées et favoriser les sorties en réponse à l'épidémie de covid-19 et à la crise sanitaire qui en a résulté.

Le nombre de personnes détenues a augmenté de

Au 1er juillet 2023,

Au 31 janvier 2022, le taux de densité carcérale1(*) atteignait

 
 
 

depuis 1980 et de près de 20 % par rapport à 2020.

personnes étaient détenues en France, un niveau inédit.

ce qui place la France au 3e rang européen, derrière la Roumanie et Chypre, mais devant la Grèce et la Turquie.

     

150 ans de dérogation au principe d'encellulement individuel

Le principe d'encellulement individuel, inscrit dans le code pénal depuis 1875, n'a jamais été respecté. Lors de l'examen de la loi de finances pour 2023, l'obligation d'atteindre un taux d'encellulement individuel de 80 % a une nouvelle fois été repoussé, à 20272(*). La clause dérogatoire au droit à l'encellulement individuel, introduite à titre temporaire « lorsque la distribution intérieure des locaux ou le nombre de personnes détenues présentes ne permet pas son application » (article L. 213-4 du code pénitentiaire), est devenue la norme.

Les taux agrégés d'occupation des établissements pénitentiaires varient selon le type d'établissement. Si, le taux d'encellulement individuel a atteint 78,6 % en 2022 dans les établissements pour peine, il n'était que de 20,1 % dans les maisons d'arrêt. Cette différence s'explique par la part importante du nombre de prévenus, c'est-à-dire de personnes non condamnées, dans le total de la population carcérale - environ 30 %. Les maisons d'arrêt sont de fait davantage confrontées à la problématique de la surpopulation carcérale, avec des taux d'occupation dépassant parfois 200 %.

Ne pas abandonner les détenus et les personnels de l'administration pénitentiaire

En plus de conduire à des conditions indignes de détention, pour lesquelles l'État a déjà été condamné en France comme par la Cour européenne des droits de l'homme, ainsi que de bafouer le droit des détenus à préparer leur réinsertion, la surpopulation carcérale et l'état du parc immobilier pénitentiaire conduisent à des conditions de travail elles aussi difficilement supportables pour les personnels de l'administration pénitentiaire.

Depuis les années 1980, quatre grands programmes immobiliers pénitentiaires ont été lancés par les gouvernements successifs pour tenter d'anticiper la croissance de la population carcérale et remédier à la surpopulation carcérale. Or, comme l'a récemment souligné la Cour des comptes, la population carcérale évolue au même rythme que la création de places nettes dans les établissements pénitentiaires. Surtout, aucun de ces programmes n'a permis d'aboutir dans le calendrier initial au nombre de places annoncées. Le plan 15 000 constitue une nouvelle et cinquième tentative, et l'une des plus ambitieuses de par son ampleur3(*).

Le plan 15 000 prévoit la création de

Le coût initial du plan 15 000 a été évalué à

Le plan 15 000
se compose de

 
 
 

places nettes d'ici 2027, avec une première tranche de 7 000 places en 2022.

en hausse d'un milliard d'euros par rapport aux premières estimations.

opérations de construction, de rénovation ou mixtes.

Dans la conception de leurs programmes immobiliers, l'administration pénitentiaire et la direction de la protection judiciaire de la jeunesse doivent concilier deux impératifs qui peuvent s'avérer contradictoires : la nécessité de créer un nombre de places suffisant pour remédier à la saturation des capacités d'accueil et l'innovation dans les modalités de prise en charge, dans l'objectif d'adapter les structures aux parcours des détenus et de favoriser leur réinsertion.

S'agissant des établissements pénitentiaires, le plan 15 000 comprend la construction de 142 places en quartier de semi-liberté, de 1 800 places en structures d'accompagnement vers la sortie (SAS) et de 380 places en structures expérimentales de responsabilisation et de réinsertion par l'emploi (InSERRE). Le rapporteur a également eu l'occasion de visiter, au sein du centre pénitentiaire de Mulhouse-Lutterbach, le premier « quartier de confiance ».

S'agissant du plan de création de 20 nouveaux centres éducatifs fermés (CEF), la logique d'adaptation est au coeur même du programme - le taux d'occupation est en effet en moyenne de 65 %, pour des centres pouvant accueillir 12 mineurs. Le plan présenté par le ministère vise donc à créer des CEF dits de « deuxième génération », avec un cahier des charges architectural révisé (aménagement des chambres, maison familiale, davantage d'espaces collectifs et extérieurs) et une localisation plus proche des villes et « bassins de vie ».

Le plan de création de 20 CEF prévoit la livraison de

L'investissement initial a été évalué à

Parmi les 20 CEF de deuxième génération,

 
 
 

places à compter de 2021, chaque CEF disposant de 12 places.

d'euros et rapidement réévalué à 76,5 millions d'euros.

relèveraient du secteur associatif habilité et 5 du secteur public.

     

II. D'INÉVITABLES ÉCARTS CALENDAIRES ET BUDGÉTAIRES DANS LA LIVRAISON DES 15 000 PLACES DE DÉTENTION SUPPLÉMENTAIRES ET DES 20 CENTRES ÉDUCATIFS FERMÉS DE DEUXIÈME GÉNÉRATION

Si l'engagement du plan 15 000 et du plan de création de 20 CEF est à saluer au regard de l'impératif d'améliorer la prise en charge des détenus et des mineurs ainsi que les conditions de travail des intervenants, la mise en oeuvre des précédents programmes immobiliers du ministère de la justice aurait certainement pu inciter le Gouvernement à faire preuve de prudence. Il a tout d'abord dû préciser que le plan 15 000 serait composé de deux tranches, et que 7 000 places seraient livrées en 2022, les 8 000 autres étant prévues pour 2027. Pour ces 7 000 places, il lui a ensuite fallu ajouter qu'il ne s'agissait pas de « places livrées », mais de places dont les travaux seraient « bien avancés ».

Au 1er juillet 2023, 2 771 nouvelles places ont été livrées. C'est 2,5 fois moins que l'objectif initial de 7 000 places en 2022

Pour les places supplémentaires en établissement pénitentiaire tout comme pour la création des 20 nouveaux CEF, d'importants décalages calendaires et budgétaires sont à attendre. La probabilité que l'ensemble des opérations soit livrée en 2027 apparaît extrêmement faible.

A. LE PLAN 15 000, POUR QUAND ET POUR QUEL COÛT ?

Les opérations du plan 15 000 sont placées, à l'instar de toutes les opérations de grande ampleur du ministère de la justice, sous le pilotage et le contrôle de l'Agence publique pour l'immobilier de la justice (APIJ).

· La livraison de la majorité des projets et des places interviendra en 2027...au mieux

Les données obtenues par le rapporteur montrent qu'au fur et à mesure que l'échéance du plan 15 000 se rapproche, le calendrier de livraison se décale, au détriment des personnels de l'administration pénitentiaire et des détenus.

Calendrier de livraison des projets

Calendrier de livraison des places

Source : commission des finances, d'après les données transmises au rapporteur par le ministère de la justice

Moins de la moitié des places du plan 15 000 sera livrée en 2024, avec un retard de plus de deux ans sur le calendrier initial. Les premières places livrées correspondent à des projets lancés avant l'annonce du plan 15 000 et « rattachées » au plan, tandis que certains projets connaissent des retards qui s'apparentent à de véritables dérapages : la livraison des travaux sur la maison d'arrêt de Basse-Terre devrait intervenir avec plus de sept ans de retard, celle du centre pénitentiaire de Bordeaux-Gradignan avec deux ans et demi de retard.

Par ailleurs, alors que 14 projets ont été livrés, sur les 36 restants, 13 sont encore en phase d'études préalables, laissant craindre que l'échéance de 2027 ne sera pas respectée.

· Le budget total alloué aux opérations sera rehaussé d'un milliard d'euros...au moins

Coût prévisionnel des projets en phase d'études préalables (en millions d'euros)

 

Source : commission des finances, d'après les données transmises au rapporteur par le ministère de la justice

Dès le lancement du plan 15 000, l'enveloppe budgétaire a été revue par rapport aux premières annonces du ministère de la justice, de 3,6 milliards d'euros à 4,3 milliards d'euros. En juin 2022, la direction du budget a procédé à une nouvelle évaluation : le coût total du plan 15 000 s'élèverait désormais à 5,4 milliards d'euros.

Une nouvelle réévaluation du coût total à 5,55 milliards d'euros

Les données analysées par le rapporteur porte cette estimation à 5,55 milliards d'euros (juin 2023), soit 30 % de plus que l'enveloppe initiale. Il est à cet égard frappant de constater que des réévaluations significatives concernent des projets dont les travaux n'ont même pas encore commencé, mais qui sont en phase d'études (cf. graphique supra).

B. L'ENLISEMENT DU PLAN DE CRÉATION DES 20 CEF DE DEUXIÈME GÉNÉRATION

État d'avancement du plan de création de 20 CEF

 

Source : commission des finances, d'après les données transmises au rapporteur par le ministère de la justice

En termes budgétaires, le coût total du plan a connu une forte révision, puisqu'il est passé de 30 millions d'euros (dossier de presse du Gouvernement) à 76,5 millions d'euros (coût initial révisé), et désormais à au moins 110 millions d'euros (coût tel qu'il ressort des données analysées par le rapporteur).

C. DES DÉRAPAGES CALENDAIRES ET BUDGÉTAIRES LIÉS À UNE CONJUGAISON DE FACTEURS STRUCTURELS ET D'ALÉAS CONJONCTURELS

· Des retards et des surcoûts inhérents au pilotage et au contenu des programmes

La volonté, énoncée dans la présentation du programme 15 000, de créer des établissements innovants et de renouveler le cahier des charges architectural, limite la possibilité de standardiser les constructions, même si des programmes « cadre » sont prévus. Le centre pénitentiaire de Mulhouse-Lutterbach, présenté comme une structure « innovante » par l'APIJ, se compose par exemple de 22 bâtiments, organisés autour de deux voies principales. Seuls deux autres centres pénitentiaires devraient s'inspirer de ce modèle, ceux de Caen et de Troyes. Pour le centre pénitentiaire de Bordeaux-Gradignan, une dizaine de bâtiments est construite sur une parcelle foncière appartenant au parc de l'établissement et plusieurs bâtiments existants seront détruits et reconstruits, lors de la seconde phase des travaux.

Surtout, au-delà des programmes cadre, l'une des difficultés mises en avant pour expliquer les écarts a trait au fait que les caractéristiques techniques des projets, peu fiabilisées au lancement du plan et en l'absence de retour d'expérience, évoluent constamment, d'année en année, tout comme les coûts réels par rapport aux coûts théoriques. Cette instabilité constitue la principale source des délais et des surcoûts, avant l'inflation et les tensions d'approvisionnement sur les matériaux. De même, pour les nouveaux CEF, les écarts budgétaires sont principalement liés à l'évolution des caractéristiques techniques en matière de sécurisation des bâtiments.

· La mise à disposition d'un foncier de bonne qualité, un enjeu majeur

Dès la présentation du plan 15 000, la contre-expertise effectuée sur ce programme et analysée par le Secrétariat général pour l'investissement public soulignait que l'enjeu foncier représentait un « risque réel » pour sa soutenabilité.

La majorité des opérations du plan 15 000 et les CEF de deuxième génération partagent en effet un objectif commun, privilégier une implantation plus proche des centres urbains afin de limiter les coûts de déplacement, faciliter les visites des familles et favoriser les partenariats favorables à la prise en charge des détenus ou des mineurs et de leur réinsertion. Cet objectif a conduit à d'importants retards dans la localisation des terrains et, surtout, dans la mise à disposition du foncier.

De l'identification du terrain à la livraison de l'établissement pénitentiaire, il faut environ

La détermination du site d'implantation du nouveau centre pénitentiaire du Gard a duré

Les travaux d'adaptation du foncier s'élèvent à

 
 
 

avec, dans certaines situations, des décalages supplémentaires liées à l'adaptation du foncier.

en raison de circonstances politiques et géographiques (relief accidenté, risques naturels, accessibilité, etc.)

d'euros pour six CEF. Trois projets de CEF ne disposent encore d'aucun terrain.

La mise à disposition du foncier ne constitue par ailleurs qu'une première étape ; il faut encore qu'il soit d'une qualité suffisante pour permettre l'implantation d'un établissement pénitentiaire ou d'un centre éducatif fermé. Les exigences du cahier des charges sont à la fois nombreuses et impératives, que ce soit concernant la surface du terrain, l'absence de surplomb, la proximité des réseaux de distribution, la préservation de la biodiversité ou encore l'accessibilité.

· L'inflation et la pénurie des matériaux ont accentué les fragilités structurelles des deux plans

Deux aléas conjoncturels ont accentué les difficultés rencontrées dans l'exécution du plan 15 000 et du plan de création de 20 CEF de deuxième génération : l'inflation, et la hausse du prix des matières premières qui en a découlé, et les tensions d'approvisionnement sur les matériaux.

Pour les marchés de conception-réalisation qui avaient déjà été notifiés, des révisions de prix étaient généralement prévues dans les contrats et certaines indemnisations spécifiques ont été octroyées aux contractants, en accord avec deux circulaires de la Première ministre des 30 mars et 29 septembre 2022. Pour les projets pour lesquels les marchés n'avaient pas encore été notifiés, la hausse des prix a conduit à réviser le montant des travaux. Si le rapporteur n'a pas pu obtenir, en dépit de ses demandes, une évaluation du coût supplémentaire lié à ces deux facteurs, il a eu la confirmation qu'ils n'avaient pas conduit à réviser à la baisse les objectifs des programmes ou les caractéristiques techniques des projets.

III. ANTICIPER, S'ADAPTER ET ÉVALUER, UN TRIPLE IMPÉRATIF POUR FINALISER CORRECTEMENT LES OPÉRATIONS ANNONCÉES EN 2018

À l'issue de ses travaux, le rapporteur spécial formule 12 recommandations.

1. Associer les organisations professionnelles et le secteur associatif habilité à l'élaboration des plans de construction ou de rénovation des établissements pénitentiaires et des centres éducatifs fermés (ministère de la justice).

Deux ans après la livraison du centre pénitentiaire de Mulhouse-Lutterbach, un devis de 600 000 euros pour changer les châssis des fenêtres

2. Installer des « équipes test » sur chacun des chantiers engagés dans le cadre du plan de création de 15 000 places de détention supplémentaires et de construction de 20 nouveaux centres éducatifs fermés (ministère de la justice).

Il est difficilement admissible qu'un établissement pénitentiaire tout juste livré nécessite de lourds travaux d'aménagement pour remédier à des failles de sécurité ou de fonctionnement, telles que l'installation de fenêtres pouvant être ouvertes en moins de deux minutes à l'aide d'un coupe ongles acheté au supermarché. La possibilité de tester et de vérifier les équipements et les aménagements d'un centre pénitentiaire au fur et à mesure de sa construction est donc essentielle pour éviter des travaux coûteux a posteriori.

Pas d'établissements pénitentiaires pleinement opérationnels sans le recrutement du personnel pénitentiaire adéquat

Taux de vacance des emplois de surveillants pénitentiaires

 

Source : commission des finances, d'après les données transmises au rapporteur par le ministère de la justice

Les nouveaux établissements ne pourront pas fonctionner sans personnels supplémentaires : alors que le ministère de la justice s'est engagé, avec le soutien du Parlement, dans une trajectoire de revalorisation des métiers de la pénitentiaire et de hausse des recrutements, pour accompagner le plan 15 000, le taux de vacance demeure alarmant.

3. Développer le recrutement d'agents pénitentiaires contractuels en appui des surveillants pénitentiaires, en prévoyant la possibilité d'un recrutement au niveau local (direction de l'administration pénitentiaire).

4. Créer une voie réservée aux agents pénitentiaires pour le concours de surveillants pénitentiaires (École nationale d'administration pénitentiaire).

5. Calculer le nombre de personnels de l'administration pénitentiaire requis par établissement pénitentiaire non plus en fonction de son occupation théorique mais de son occupation réelle, en tenant également compte de sa configuration (direction de l'administration pénitentiaire).

Pour le foncier, convaincre plutôt que contraindre

6. Inclure, dans chacune des évaluations socio-économiques des projets immobiliers pénitentiaires, une estimation des effets attendus en matière de création d'emplois directs et indirects, de flux financiers, de développement économique et commercial local ainsi que d'urbanisme et de sécurité. Produire le même type d'études sur des établissements existants (ministère de la justice, secrétariat général pour l'investissement).

7. Produire un schéma directeur immobilier centré sur le pénitentiaire et lancer les travaux préparatoires à la mise en oeuvre du futur programme immobilier pénitentiaire, sur la base des hypothèses hautes en matière d'évolution de la population carcérale et en tenant compte des évolutions démographiques, de l'objectif d'encellulement individuel, de la diversification des modalités de prise en charge des détenus et des besoins de rénovation des établissements les plus vétustes. Intégrer, dans l'identification des terrains, les contraintes de desserte de transport et d'offre de logement (ministère de la justice et APIJ, en lien avec les collectivités territoriales pour l'identification du foncier potentiellement disponible).

Exemples d'erreurs de conception : des boutons « sécurité incendie » ouvrant toutes les portes et accessibles à tous dans un CEF ; l'absence de barreaux aux fenêtres des parloirs d'un centre pénitentiaire avec un accès direct au toit

8. Accélérer le traitement par l'APIJ des demandes « hors programme » lorsqu'il s'agit de remédier à des défauts de conception majeurs. Prévoir, dans le cadre des estimations actualisées du coût total de chacun des projets immobiliers, des « poches de réserves » à allouer à ces demandes (Agence pour l'immobilier de la justice).

Auditer et évaluer, deux impératifs pour des programmes d'investissement de grande ampleur

9. Mettre en place un comité d'audit auprès de l'APIJ ainsi qu'un comité de suivi des investissements du ministère de la justice, composé de membres des directions du budget, de l'immobilier de l'État, de l'administration pénitentiaire ainsi que de professionnels de l'immobilier (ministère de la justice).

10. Transmettre, dans les documents budgétaires, un tableau permettant, pour chacun des projets du plan de construction de 15 000 places de détention supplémentaires et du plan de création de 20 nouveaux centres éducatifs fermés, de disposer du calendrier initial et actualisé du projet ainsi que du coût initial et actualisé des travaux, depuis la phase d'études (ministère de la justice et direction du budget).

11. Avancer la clause de revoyure des crédits budgétaires alloués au plan de construction de 15 000 places de détention supplémentaires de 2026 à 2025, afin de disposer d'une prévision actualisée du coût total permettant plus spécifiquement de tenir compte de l'inflation et intégrant des réserves pour répondre aux demandes hors programme (ministère de la justice et direction du budget).

12. Finaliser l'outil de suivi du parcours des mineurs d'ici 2024, en le rendant accessible au secteur associatif habilité, et produire des évaluations sur la récidive et la réitération des mineurs pour mesurer l'efficacité des mesures de placement (ministère de la justice).

Le rapporteur conclut de ses travaux qu'à l'instar des précédents programmes immobiliers, et en dépit de son ambition initiale, le plan 15 000 ne permettra pas seul de remédier durablement à la dégradation des conditions de détention et de travail pour les personnels de l'administration pénitentiaire. Même si le plan venait à être achevé en 2027, ce qui apparaît peu probable, les capacités du parc pénitentiaire seraient déjà saturées : alors qu'il a été conçu sur la base d'une projection d'une population carcérale de 75 000 personnes en 2027, ce seuil a déjà été atteint en 2023. La politique pénitentiaire ne peut pas se résumer à une politique immobilière.

LES RECOMMANDATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL

AXE 1 : ANTICIPER, POUR L'IMMOBILIER COMME POUR LES RESSOURCES HUMAINES

1. Associer les organisations professionnelles et le secteur associatif habilité à l'élaboration des plans de construction ou de rénovation des établissements pénitentiaires et des centres éducatifs fermés (ministère de la justice).

2. Installer des « équipes test » sur chacun des chantiers engagés dans le cadre du plan de création de 15 000 places de détention supplémentaires et de création de 20 nouveaux centres éducatifs fermés (ministère de la justice).

3. Développer le recrutement d'agents pénitentiaires contractuels en appui des surveillants pénitentiaires, en prévoyant la possibilité d'un recrutement au niveau du département, voire de l'établissement (direction de l'administration pénitentiaire).

4. Créer une voie réservée aux agents pénitentiaires (contractuels) pour le concours de surveillants pénitentiaires (École nationale d'administration pénitentiaire).

5. Calculer le nombre de personnels de l'administration pénitentiaire requis par établissement pénitentiaire non plus en fonction de son occupation théorique mais de son occupation réelle, en tenant compte également de sa configuration (direction de l'administration pénitentiaire).

6. Inclure, dans chacune des évaluations socio-économiques des projets immobiliers pénitentiaires, une estimation des effets attendus en matière de création d'emplois directs et indirects, de flux financiers, de développement économique et commercial local ainsi que d'urbanisme et de sécurité. Produire le même type d'études sur des établissements existants (ministère de la justice, en lien avec le secrétariat général pour l'investissement).

7. Produire un schéma directeur immobilier centré sur le pénitentiaire et lancer les travaux préparatoires à la mise en oeuvre du futur programme immobilier pénitentiaire, sur la base d'hypothèses hautes en matière d'évolution de la population carcérale et en tenant compte des évolutions démographiques, de l'objectif d'encellulement individuel, de la diversification des modalités de prise en charge des détenus et des besoins de rénovation des établissements les plus vétustes. Intégrer, dans l'identification des terrains, les contraintes de desserte de transport et d'offre de logement (ministère de la justice et APIJ, en lien avec les collectivités territoriales pour l'identification du foncier potentiellement disponible).

AXE 2 : S'ADAPTER AUX SPÉCIFICITÉS DE L'IMMOBILIER PÉNITENTIAIRE

8. Permettre à l'Agence pour l'immobilier de la justice de pouvoir traiter plus rapidement les demandes « hors programme » lorsqu'il s'agit de remédier à des défauts de conception majeurs. Prévoir, dans le cadre des estimations actualisées du coût total de chacun des projets immobiliers, des « poches de réserves » à allouer à ces demandes (Agence pour l'immobilier de la justice).

AXE 3 : AUDITER ET ÉVALUER, POUR PLUS DE TRANSPARENCE

9. Mettre en place un comité d'audit auprès de l'Agence publique pour l'immobilier de la justice ainsi qu'un comité de suivi des investissements du ministère de la justice, composé de membres des directions du budget, de l'immobilier de l'État, de l'administration pénitentiaire ainsi que de professionnels de l'immobilier (ministère de la justice).

10. Transmettre, dans les documents budgétaires, un tableau permettant, pour chacun des projets du plan de construction de 15 000 places de détention supplémentaires et du plan de création de 20 nouveaux centres éducatifs fermés, de disposer du calendrier initial et actualisé du projet ainsi que du coût initial et actualisé des travaux, depuis la phase d'études (ministère de la justice et direction du budget).

11. Avancer la clause de revoyure des crédits budgétaires alloués au plan de construction de 15 000 places de détention supplémentaires de 2026 à 2025, afin de disposer d'une prévision actualisée du coût total permettant plus spécifiquement de tenir compte de l'inflation et intégrant des réserves pour répondre aux demandes hors programme (ministère de la justice et direction du budget).

12. Finaliser l'outil de suivi du parcours des mineurs d'ici 2024, en le rendant accessible au secteur associatif habilité, et produire des évaluations sur la récidive et la réitération des mineurs pour mesurer l'efficacité des mesures de placement (ministère de la justice).

INTRODUCTION

Traduisant une promesse de campagne du candidat Emmanuel Macron en 2017, le Gouvernement a présenté à l'automne 2018 un plan de création de 15 000 places supplémentaires en établissements pénitentiaires (« plan 15 000 »). Au même moment, il annonçait également le lancement d'un plan de création de 20 centres éducatifs fermés (CEF) dits de « deuxième génération », destinés à la prise en charge des mineurs. Cinq ans plus tard, à mi-parcours, le rapporteur spécial des crédits de la mission « Justice » a estimé nécessaire de dresser un premier bilan de la mise en oeuvre de ces deux plans d'investissement, majeurs pour le ministère de la justice.

I. LES PROGRAMMES IMMOBILIERS, UN PALLIATIF POUR LA PRISE EN CHARGE DES DÉTENUS ET DES MINEURS

A. L'ÉVOLUTION DU PARC IMMOBILIER PÉNITENTIAIRE, UNE RÉPONSE D'URGENCE À LA SURPOPULATION CARCÉRALE

Au 31 janvier 2022, selon les statistiques pénales annuelles publiées par le Conseil de l'Europe, la France comptait 107 détenus pour 100 000 personnes, un taux inférieur à la moyenne européenne (117), à l'Espagne (118) ou au Royaume-Uni (132), mais supérieur à l'Italie (90) et l'Allemagne (67)4(*). La mobilisation de statistiques, si elle ne peut suffire à appréhender les débats autour de la politique publique pénitentiaire, permet néanmoins de prendre la mesure du niveau et de l'évolution de la population carcérale en France.

1. La population carcérale a atteint un niveau inédit en 2023

La question de l'état et de l'extension du parc immobilier pénitentiaire se pose avec d'autant plus d'acuité que la population carcérale a atteint un niveau inédit en 2023, trois ans après l'actionnement de mécanismes exceptionnels de régulation carcérale en réponse à l'épidémie de covid-19 et à la crise sanitaire qui en a résulté. Les réductions de peine, les autorisations de sortie sous escorte et les permissions de sortir ont pu être ordonnées sans consultation de la commission de l'application des peines lorsque le parquet y était favorable tandis que les mécanismes de fractionnement et de suspension de peine ont été simplifiés et que de nouvelles mesures ont été créées (réductions de peines pour circonstances exceptionnelles, assignation à domicile avec suivi par le service pénitentiaire d'insertion et de probation)5(*).

Ainsi, si la nette diminution du nombre de personnes détenues en 2020 avait pu sembler reléguer au second rang des priorités la mise en oeuvre du plan de construction de 15 000 places de détention supplémentaires, depuis, la hausse constante de la population carcérale et les niveaux de surpopulation qui en ont découlé dans plusieurs établissements pénitentiaires ont conduit à une multiplication des alertes sur la dégradation des conditions de détention. Au 1er juillet 2023, 74 513 personnes étaient écrouées et détenues en France, soit plus de deux fois plus qu'il y a quarante ans et 20 % de plus qu'au 1er janvier 2021.

Évolution du nombre de personnes détenues en France

(au 1er janvier de chaque année)

Source : commission des finances, d'après les données transmises par le ministère de la justice

Au 31 janvier 2022, le taux de densité carcérale6(*) de la France - c'est-à-dire le nombre de détenus pour 100 places de détention - s'élevait à 115 %, plaçant la France au troisième rang des pays membres du Conseil de l'Europe, derrière Chypre et la Roumanie, mais devant la Belgique, la Turquie et la Grèce.

Taux de densité carcérale au 31 janvier 2022

(en %)

Source : commission des finances, d'après les statistiques pénales annuelles du Conseil de l'Europe

Le ratio de personnes prévenues, c'est-à-dire non encore condamnées, sur le total des personnes détenues est resté stable ces dernières années, les prévenus représentant environ 30 % des personnes incarcérées en France, un niveau proche de la moyenne européenne. Les maisons d'arrêt, qui accueillent les prévenus, sont de fait davantage confrontées à la problématique de la surpopulation carcérale, avec des taux d'occupation dépassant parfois 200 %, ce qui signifie concrètement que des cellules individuelles accueillent trois personnes, avec un matelas au sol.

En 2022, le taux d'occupation moyen des places en centre de détention et quartiers7(*) centre de détention a atteint 93 %, avec une projection à 95 % en 2024, tandis qu'il a atteint 137,7 % pour les places en maison d'arrêt et quartiers maison d'arrêt, avec une projection de 141,1 % en 20248(*).

2. 150 ans de dérogation au principe d'encellulement individuel

Le principe de l'encellulement individuel, inscrit dans le code pénal depuis 1875, n'a jamais été respecté. Lors de l'examen de la loi de finances pour 2023, l'obligation d'atteindre un taux d'encellulement individuel de 80 % en 2022 a une nouvelle fois été repoussé, à 20279(*). La clause dérogatoire au droit à l'encellulement individuel, introduite à titre temporaire « lorsque la distribution intérieure des locaux ou le nombre de personnes détenues présentes ne permet pas son application » (article L. 213-4 du code pénitentiaire), est devenue la norme. Il convient toutefois de noter que ce principe est globalement respecté pour les centres de détention, la situation dans les maisons d'arrêt ayant un effet très défavorable sur le taux moyen d'encellulement individuel dans l'ensemble des établissements pénitentiaires.

Évolution du taux d'encellulement individuel
depuis le 1er janvier 2018

(en %)

Source : commission des finances, d'après les données transmises par le ministère de la justice

La pertinence de l'objectif de 80 % d'encellulement individuel comme seul horizon de la politique pénitentiaire fait cependant l'objet d'interrogations. Comme l'ont relevé les personnes entendues par le rapporteur, ce « sésame » ne correspond pas nécessairement au souhait de l'ensemble des personnes détenues, dont certaines peuvent privilégier une détention à deux, dans une cellule adaptée. Critiquer les programmes de construction à l'aune de cet objectif n'apparait donc pas pleinement satisfaisant : le système carcéral doit être en mesure de proposer aux personnes détenues qui le souhaitent une cellule individuelle et aux autres des cellules adaptées à la cohabitation de deux personnes.

Il est en revanche inadmissible et difficilement concevable que des maisons d'arrêt ne soient aujourd'hui plus en mesure de proposer de solution d'encellulement individuel. Ainsi, les maisons d'arrêt de Rochefort, Saintes, Montbéliard, Arras, Dunkerque, Aurillac, Privas, Coutances, La Roche-sur-Yon, Vannes, Carcassonne, Uturoa et Saint-Pierre présentaient au 1er juillet 2023 un taux d'encellulement individuel de moins de 2 %10(*).

B. À CHAQUE GOUVERNEMENT SON PROGRAMME IMMOBILIER, À CHAQUE PROGRAMME, SES RÉSULTATS DÉCEVANTS POUR L'AMÉLIORATION DES CONDITIONS DE DÉTENTION

1. La gestion du parc immobilier pénitentiaire, un équilibre à trouver entre des bâtiments d'âge, d'usage et de configuration très différents

Le parc immobilier pénitentiaire présente plusieurs particularités qu'il faut parvenir à prendre en compte dans un contexte contraint, la population des établissements pénitentiaires n'étant par définition pas mobile.

L'une des caractéristiques les plus importantes et les plus contraignantes du parc immobilier pénitentiaire réside dans son hétérogénéité : des bâtiments neufs côtoient des bâtiments vétustes, des centres construits sur un modèle « traditionnel » côtoient des centres innovants, axés sur une meilleure prise en charge de la réinsertion, et des centres de détention côtoient des maisons d'arrêt, des maisons centrales ou encore des structures d'accompagnement vers la sortie. Cette diversité du bâti implique des arbitrages sur les opérations à mener sur le parc, et donc des renoncements. Or, le contexte de surpopulation carcérale ne fait qu'accélérer le vieillissement et la dégradation des établissements, même pour les plus récents d'entre eux.

Ainsi, pour ne pas fragiliser les opérations d'entretien lourd et de rénovation sur le parc existant, la réalisation de programmes immobiliers de grande ampleur tels que le plan 15 000 ne doit pas conduire à une captation de l'ensemble des crédits alloués aux dépenses immobilières de l'administration pénitentiaire. En effet, plus ces travaux d'entretien sont décalés dans le temps, plus ils deviennent onéreux et complexes à mener.

Il est à cet égard positif, mais insuffisant, que le budget alloué à l'entretien des établissements pénitentiaires existants ait doublé depuis 2018, pour atteindre 142 millions d'euros en loi de finances initiale pour 2023 et 140 millions d'euros demandés dans le projet de loi de finances 202411(*). Selon le rapport annexé au projet de loi d'orientation et programmation du ministère de la justice 2023-2027, et concernant plus particulièrement les enjeux de rénovation énergétique du patrimoine pénitentiaire, 25 établissements ont été ciblés en priorité pour bénéficier des crédits qui seraient ouverts par le projet de loi de finances pour 2024. Conçus dans le cadre du « plan 13 000 »12(*) et mis en service entre 1990 et 1992, ces établissements n'ont pas encore fait l'objet de travaux de gros entretien ou de renouvellement.

Le montant alloué à ces dépenses immobilières « courantes », plus élevé que la moyenne de 110 millions d'euros par an observée sur la période 2018-2022, est salué par le rapporteur : la sous-dotation de cette action jusqu'en 2016 (40 à 60 millions d'euros) n'a conduit qu'à accroître la vétusté des établissements pénitentiaires, au détriment des conditions de vie des détenus, des relations avec les surveillants pénitentiaires et, in fine, de l'État, condamné à plusieurs reprises à cause de conditions de détention indignes.

2. Les programmes immobiliers pénitentiaires, une course après le temps

Quatre programmes immobiliers pénitentiaires ont été lancés depuis la fin des années 198013(*). Tous ont connu des retards d'exécution ainsi qu'une révision à la baisse du nombre de places nettes créées :

- en 1986, alors que le ministre de la justice Albin Chalandon avait souhaité obtenir la création de 25 000 places de prison supplémentaires « privées »14(*), le Premier ministre Jacques Chirac ramena cet objectif à 15 000 places, puis à 13 000 (« plan 13 000 ») et 11 000 places furent finalement créées entre 1990 et 1992, soit moins de la moitié de l'objectif initial ;

- lancé en 1995, le plan « 4 000 » a permis la construction d'un peu plus de 3 600 places, réparties dans six établissements livrés entre 2003 et 2005 ;

- la loi de programmation et d'orientation pour la justice du 9 septembre 200215(*) comprenait le lancement d'un plan de création de 13 200 nouvelles places. En 2012, quatre opérations n'étaient pas encore achevées et ont été intégrées au programme « 63 500 » ;

- enfin, le nouveau programme immobilier (NPI), présenté en 2010, prévoyait la construction de 26 établissements, l'extension de sept centres existants et la rénovation de 15 sites. Il a été largement modifié en 2012, avec des abandons d'opérations, un financement non assuré et deux phases : le programme « 63 500 », avec la construction de six établissements, l'extension de deux sites et la rénovation de deux centres pénitentiaires d'ici 2017, et le programme « 3 200 », avec la construction de 13 établissements et la rénovation de deux centres à horizon 2027. Les objectifs avaient donc été nettement revus à la baisse.

Au final, sur la période 1988-2016, ce sont 33 300 places qui ont été livrées, mais seulement 28 000 places nettes créées, du fait de la fermeture concomitante des établissements les plus vétustes.

De fait, comme l'a très récemment rappelé la Cour des comptes, en reprenant un constat régulièrement présenté par le rapporteur dans ses travaux budgétaires sur la mission » Justice », « la construction de nouveaux établissements n'a jamais permis de faire face à un besoin qui dépasse rapidement les capacités nouvelles »16(*). Entre 1990 et 2020, le nombre de places en établissement pénitentiaire et le nombre de détenus ont évolué au même rythme (+ 25 000). Le comité des États généraux de la justice a lui aussi souligné les limites des programmes immobiliers, en rappelant que si le nombre de places avait augmenté de 4,3 % entre 2015 et 2021, la population carcérale avait, elle, augmenté de 4,4 %17(*).

Les États généraux de la Justice

Lancés le 18 octobre 2021 par le président de la République, les États généraux de la Justice se sont traduits par l'organisation pendant deux mois de consultations en ligne et sur le terrain ainsi que par la constitution d'ateliers thématiques placés sous l'égide de professionnels de la justice et chargés de formuler des propositions d'évolution. Le comité des États généraux de la Justice, présidé par Jean-Marc Sauvé, a réalisé une synthèse de ces contributions qu'il a ensuite remise au ministre de la justice.

C. TRAITER LE NOMBRE OU TRAITER LES PARCOURS ? L'ADMINISTRATION PÉNITENTIAIRE ET LA PROTECTION JUDICIAIRE DE LA JEUNESSE FACE À LA CONCILIATION DE PRIORITÉS CONTRADICTOIRES

Dans la conception de leurs programmes immobiliers, l'administration pénitentiaire et la direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ) doivent concilier deux impératifs qui peuvent s'avérer contradictoires : la nécessité de créer un nombre de places suffisant pour remédier à la saturation des capacités d'accueil et la nécessité d'innover dans les modalités de prise en charge, dans l'objectif d'adapter les structures aux parcours des détenus et de favoriser leur réinsertion.

Les choix opérés par le Gouvernement pour le plan 15 000 ont conduit à retenir cinquante projets, pour un coût prévisionnel initial de 3,6 milliards d'euros, rehaussé à 4,287 milliards dès la présentation du programme. Ce dernier devait s'articuler autour de deux phases, avec la livraison d'une première tranche de 7 000 places en 2022 et la livraison d'une seconde tranche de 8 000 places en 2027.

Les 50 opérations du « plan 15 000 » avec leur localisation
ainsi que leurs calendrier et coût initiaux

Première tranche

Localisation

Type d'établissement

Coût initial
(en millions d'euros)

Calendrier initial

Nombre de places nettes

Baumettes 2

Centre pénitentiaire

170,4

2017

- 572

Papéari

Centre de détention

118,4

2017

410

Saint-Martin- Boulogne

Quartier de semi-liberté

6,4

2017

50

Aix 2

Centre pénitentiaire

131,5

2018

735

Draguignan

Maison d'arrêt

97,7

2018

504

La Santé

Maison d'arrêt

7,7

2019

707

Nanterre

Quartier de semi-liberté

13,8

2019

92

Lutterbach

Centre pénitentiaire

110,2

2021

155

Koné

Centre de détention

40,0

2022

120

Caen

Centre pénitentiaire

127,1

2022

282

Le Mans - Coulaines

Structure d'accompagnement vers la sortie

21,1

2022

90

Caen

Structure d'accompagnement vers la sortie

20,8

2022

90

Montpellier

Structure d'accompagnement vers la sortie

27,6

2022

150

Troyes-Lavau

Maison d'arrêt

108,3

2023

278

Osny

Structure d'accompagnement vers la sortie

63,8

2023

180

Meaux

Structure d'accompagnement vers la sortie

2023

180

Toulon

Structure d'accompagnement vers la sortie

83,2

2023

180

Avignon

Structure d'accompagnement vers la sortie

2023

120

Valence

Structure d'accompagnement vers la sortie

2023

120

Fleury

Centre pénitentiaire

75,4

2023

408

Bordeaux-Gradignan

Centre pénitentiaire

149,1

2023

251

Noisy le Grand

Structure d'accompagnement vers la sortie

29,5

2023

120

Colmar

Structure d'accompagnement vers la sortie

20,4

2023

120

Orléans

Structure d'accompagnement vers la sortie

22,8

2023

120

Nîmes

Maison d'arrêt

35,2

2024

150

Wallis-et-Futuna

Centre pénitentiaire

6,0

2024

10

Ducos

Structure d'accompagnement vers la sortie

40,8

2024

120

Baie-Mahault

Centre pénitentiaire

57,3

2025

300

Lille - Loos

Centre pénitentiaire

128,9

2025

720

Lille

Structure d'accompagnement vers la sortie

2025

120

Basse-Terre

Maison d'arrêt

63,0

2025

71

Baumettes 3

Centre pénitentiaire

110,4

2025

740

Châlons

Structure d'accompagnement vers la sortie

35,3

2027

90

Total

33 projets

1 921,6

-

7 211

Seconde tranche

Localisation

Type d'établissement

Coût initial
(en millions d'euros)

Calendrier initial

Nombre de places nettes

Arras

InSERRE

39,0

2025

180

Saint Laurent du Maroni

Centre pénitentiaire

187,2

2026

495

Tremblay en France

Centre pénitentiaire

195,7

2026

705

Rivesaltes (Perpignan)

Centre pénitentiaire

152,7

2026

515

Toul

InSERRE

50,0

2026

100

Donchéry

InSERRE

50,0

2026

100

Toulouse Muret

Centre pénitentiaire

149,6

2026

615

Entraigues (Avignon)

Centre de détention

112,5

2027

400

Trélazé (Angers)

Centre pénitentiaire

115,0

2027

584

Pau

Centre pénitentiaire

88,3

2027

3

Noiseau (Val de Marne)

Centre pénitentiaire

203,6

2027

800

Le Muy

Centre pénitentiaire

152,7

2027

650

Vannes

Centre pénitentiaire

125,6

2027

498

Bernes sur Oise

Centre pénitentiaire

179,0

2027

600

Crisenoy

Centre pénitentiaire

235,7

2027

1 000

Magnanville

Centre pénitentiaire

195,0

2027

700

Nîmes

Centre pénitentiaire

133,4

2027

700

Total

17 projets

2 364,9

-

8 645

Source : commission des finances, d'après les données transmises en réponse au questionnaire du rapporteur

Au total, le plan 15 000 devrait conduire à la création de 15 856 places nettes, réparties dans 50 établissements (construction et/ou rénovation). Les opérations ont été sélectionnées en s'appuyant sur les projections d'évolution de la population carcérale par département et du nombre de places dans les établissements existants.

Le plan de construction des 20 nouveaux centres éducatifs fermés, dits de « deuxième génération », a également été présenté à l'automne 2018. D'un coût prévisionnel initial de 30 millions d'euros, il devait conduire à l'ouverture de 240 places nettes, chaque CEF ne pouvant accueillir que 12 mineurs maximum. Ces 20 centres doivent s'ajouter aux 51 établissements existants.

Les 20 opérations du plan de création de CEF de deuxième génération,
avec leur localisation ainsi que leurs calendrier et coût initiaux

Localisation

Gestion

Coût initial
(en millions d'euros)

Calendrier initial

Nombre de places nettes

Épernay

Secteur associatif habilité

4,5

2021

12

Bergerac

Secteur public

4,5

2022

12

Saint-Nazaire

Secteur associatif habilité

4,5

2022

12

Montsinéry-Tonnegrande

Secteur associatif habilité

4,5

2024

12

Rochefort

Secteur public

4,5

2024

12

Le Vernet

Secteur associatif habilité

4,5

2024

12

Amillis

Secteur associatif habilité

4,5

2024

12

Digne

Secteur associatif habilité

4,5

2025

12

Bléré

Secteur associatif habilité

4,5

2025

12

Bellengreville

Secteur associatif habilité

4,5

2025

12

Apt

Secteur associatif habilité

4,5

2025

12

Lure

Secteur public

4,5

2026

12

Liancourt

Secteur public

Pas d'estimation

2027

12

Malamani

Secteur public

Pas d'estimation

2026

12

Varennes-le-Grand

Secteur associatif habilité

Pas d'estimation

2027

12

Saint-Omer

Secteur public

4,5

Pas de date

12

Mérignies

Secteur associatif habilité

4,5

Pas de date

12

Andrézieux-Bouthéon

Secteur associatif habilité

Pas d'estimation

Pas de date

12

Yvelines (en attente d'un lieu)

Secteur associatif habilité

4,5

Pas de date

12

Savoie (en attente d'un lieu)

Secteur public

4,5

Pas de date

12

Total

76,5

-

252

Source : commission des finances, d'après les données transmises en réponse au questionnaire du rapporteur

À noter, les données transmises au rapporteur indiquent qu'un 21e centre serait envisagé, à Villeneuve-Loubet. Il aurait été ajouté au programme en 2021 et confirmé par la municipalité au printemps 2023.

1. La politique immobilière pénitentiaire doit répondre à deux impératifs, traiter le volume des détenus et personnaliser les parcours

Illustrant la volonté initiale du ministère de la justice de ne pas résumer le plan 15 000 à la seule question du traitement de la surpopulation carcérale, ce nouveau programme de politique publique immobilière inclut la construction d'établissements aux mesures de sécurité allégées et d'établissements « innovants », notamment en matière de réinsertion.

Les établissements pénitentiaires

Le terme générique d'établissements pénitentiaires recouvre plusieurs types d'établissements :

- les centres pénitentiaires, qui sont des établissements mixtes comprenant au moins deux quartiers à régime de détention différents ;

- les maisons d'arrêts, qui reçoivent les prévenus et les condamnés dont le reliquat de peine est inférieur à deux ans ;

- les centres de détention, qui reçoivent les détenus condamnés à des peines de détention de plus de deux ans et considérés comme présentant les perspectives de réinsertion les meilleures ;

- les maisons centrales, qui sont des établissements mixtes recevant des condamnés à de longues peines, avec un régime de détention essentiellement axé sur la sécurité ;

- les centres de semi-liberté, qui reçoivent les condamnés admis au régime de la semi-liberté ou du placement à l'extérieur sans surveillance ;

- les structures d'accompagnement vers la sortie (SAS), qui sont des quartiers rattachés à des établissements existants et qui ont vocation à accueillir des personnes détenues ayant une condamnation ou un reliquat de peine inférieur ou égal à deux ans, afin que celles-ci se concentrent sur la préparation à la sortie (recherche de logement et d'emploi, régularisation de la situation administrative, prise en charge sociale ou médicale destinée à se poursuivre à l'extérieur). Le niveau de sûreté est allégé et les SAS se situent généralement à proximité d'une agglomération.

- les établissements InSERRE (Innover par des structures expérimentales de responsabilisation et de réinsertion par l'emploi), qui sont des établissements à visée expérimentale centrés sur la formation et le travail. Ils ont vocation à accueillir des personnes détenues avec un reliquat de peine allant d'un an à trois ans.

Source : ministère de la justice

Le plan 15 000 comprend ainsi la construction de 142 places en quartier de semi-liberté, de 1 800 places en structures d'accompagnement vers la sortie (SAS) et de 380 places en structures expérimentales de responsabilisation et de réinsertion par l'emploi (InSERRE). 1 710 places devaient également être construites en maisons d'arrêt ou dans des quartiers maison d'arrêt. Il s'agit d'un impératif au regard des conditions de détention et de travail dans la plupart de ces établissements, avec des taux de surpopulation inédits.

Classification des opérations du plan 15 000 
par nature d'établissement

(par nombre de projets et de places)

Source : commission des finances, d'après les données transmises au rapporteur par le ministère de la justice

Les centres pénitentiaires sont des structures mixtes, qui accueillent au moins deux quartiers aux modalités de détention différentes. Ils sont donc, en nombre d'opérations comme en nombre de places, prépondérants dans le plan 15 000. Par ailleurs, le fait que la part des structures de détention plus « souples » dans le nombre des opérations ne se reflète pas dans le nombre de places créées résulte du fait que ces structures accueillent moins de détenus, avec des exigences de suivi renforcées, s'agissant par exemple de la prise en charge médicale ou de la réinsertion.

Ainsi, à l'instar des annonces qui ont accompagné la présentation des plans de création de nouvelles places de détention supplémentaires depuis 20 ans, le plan 15 000 a été présenté comme une politique publique immobilière répondant à des enjeux à la fois quantitatifs et qualitatifs : traiter une population carcérale exponentielle et mieux adapter les établissements aux profils et aux parcours des détenus.

Le rapporteur a par exemple visité le centre pénitentiaire de Mulhouse-Lutterbach, mis en service au mois de nombre 2021. Dit à « sûreté adaptée », cet établissement accueille des détenus ne présentant pas un haut niveau de dangerosité. Composé de 22 bâtiments, le centre pénitentiaire accueille un « quartier de confiance », inspiré des « modules de respect » espagnols. Les locaux sont aménagés pour favoriser l'autonomie, la responsabilité et l'interaction des personnes détenues, à l'intérieur comme à l'extérieur et les détenus disposent de leur clef de cellule en journée. D'après les informations qui ont été transmises au rapporteur, les centres pénitentiaires de Troyes-Lavau et de Caen-Ifs se sont inspirés de ce modèle. Le premier a été inauguré le 25 octobre par le garde des Sceaux tandis que le second devrait être livré d'ici la fin de l'année.

2. Un plan de création de centres éducatifs fermés destinés à accompagner la mise en place de centres dits « de deuxième génération »18(*)

Particularité de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), la gestion des modalités de prise en charge des mineurs relève soit du secteur public (direction de la PJJ), soit du secteur associatif habilité (SAH).

Le rapporteur a pu constater que la gestion par l'un ou par l'autre n'était pas source de différences de traitement. Pour reprendre les termes de la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté, il existe « le pire comme le meilleur » dans les CEF gérés par le secteur public comme dans les CEF gérés par le SAH.

La prise en charge des mineurs
par la protection judiciaire de la jeunesse

La protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) coordonne les mesures de placement mais également de milieu ouvert et d'insertion pour les mineurs qu'elle prend en charge.

Parmi les mesures de milieu ouvert, les professionnels de la PJJ interviennent dans :

- les services territoriaux éducatifs de milieu ouvert (STEMO), à partir du lieu de vie du mineur. Ces services comprennent les unités éducatives de milieu ouvert ;

- les services territoriaux éducatifs et d'insertion (STEI), avec une prise en charge permanente autour d'activités de jour mises en oeuvre par les unités éducatives d'activités de jour (UEAJ).

D'autres mesures relèvent du placement dans les établissements de la PJJ :

- les établissements de placement éducatifs (EPE) ou foyers, qui comprennent au moins deux unités parmi lesquelles une unité éducative d'hébergement collectif, qui accueille les mineurs sous mandat judiciaire ; une unité éducative d'hébergement diversifié, qui regroupe des situations aussi diverses que l'hébergement en foyers de jeunes travailleurs, en résidence sociale, en famille d'accueil ou en logement autonome ; une unité centre éducatif renforcé, qui a vocation à accueillir au maximum huit adolescents pour des sessions de trois à six mois. Le centre éducatif renforcé doit préparer à l'insertion sociale et professionnelle, avec des activités intensives ;

- les centres éducatifs fermés, qui constituent une alternative à l'incarcération. Les mineurs bénéficient d'un accompagnement éducatif et médico-psychologique renforcé. Ces centres accueillent au maximum 12 jeunes âgés de 13 ans à 18 ans ayant commis des crimes ou des délits, multi-récidivistes ou réitérants, pour une durée de six mois renouvelable une fois.

Enfin, certains jeunes peuvent être placés en détention. Ils représentent environ 1 % de la population carcérale et doivent être suivis par le service éducatif de l'établissement pénitentiaire pour mineurs ou un service de milieu ouvert s'ils sont dans le quartier mineur d'une maison d'arrêt.

Source : ministère de la justice, dossier de presse «  Création de 20 centres éducatifs fermés », septembre 2018

Les CEF de deuxième génération se distinguent par un cahier des charges architectural entièrement révisé, que ce soit s'agissant de l'aménagement des chambres, de la création de maisons familiales19(*) ou de l'accroissement des espaces collectifs et extérieurs, ainsi que par une localisation plus proche des villes et des « bassins de vie ».

Le cahier des charges des CEF « nouvelle génération »

Les CEF de deuxième génération ont vocation à intégrer plusieurs éléments architecturaux nouveaux :

- un espace parental pour accueillir temporairement les familles ;

- des dispositifs de protection et de sécurité intégrés dès la conception du bâtiment (mur d'enceinte, entrée unique, interphone, caméras) ;

- une construction à proximité des centres urbains et économiques pour favoriser le maintien des liens familiaux et l'insertion des mineurs.

Ce cahier des charges « architectural » doit s'accompagner de mesures destinées à faciliter la transition entre le CEF et l'extérieur, avec la possibilité de mettre en place un accueil dans un autre type de placement ou d'accompagner le retour en famille.

Source : ministère de la justice, dossier de presse «  Création de 20 centres éducatifs fermés », septembre 2018

Pour les CEF, il convient toutefois de noter que les niveaux d'occupation sont bien moindres que ceux observés dans le parc immobilier pénitentiaire : ils oscillent entre 65 % et 75 %, avec une cible fixée à 85 % en 2024. C'est donc davantage la logique qualitative « d'adaptation » qui a présidé à l'élaboration de ce programme immobilier.

II. 15 000 PLACES SUPPLÉMENTAIRES EN DÉTENTION ET 20 NOUVEAUX CENTRES ÉDUCATIFS FERMÉS EN 2027, MISSION IMPOSSIBLE ?

Si l'engagement des deux plans de 15 000 places de détention supplémentaires et de 20 nouveaux CEF est à saluer au regard de l'impératif d'améliorer la prise en charge des détenus et des mineurs ainsi que des conditions de travail des intervenants, la mise en oeuvre des précédents programmes immobiliers pénitentiaires aurait certainement pu inciter le Gouvernement à limiter ses effets d'annonce et à faire preuve de davantage de prudence.

Dès le lancement de ces programmes, une communication malheureuse et malencontreuse a conduit la plupart des observateurs à considérer que le président de la République s'était engagé à créer 15 000 places de détention supplémentaires d'ici 2022. Les plus informés savaient que c'était impossible, tant les contraintes à surmonter sont élevées, les délais de passation de marché et de livraison longs et l'inertie forte pour les grands projets d'investissement. Une plus grande prudence avait été de mise pour l'annonce de la construction des 20 nouveaux centres éducatifs fermés (CEF), qui devaient être livrés à compter de 2021, sur un calendrier échelonné.

Ce n'est donc pas au prisme de ces annonces ambitieuses que doivent être évalués les progrès du plan 15 000 et de la création des 20 CEF, mais bien à celui des engagements pris par le Gouvernement dans le cadre de la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice20(*). 7 000 places nettes de détention devaient être créées en 2022 et 8 000 ensuite d'ici 2027, pour un coût total initial de 4,3 milliards d'euros.

Le programme comprenait 50 opérations de construction, de rénovation ou mixtes. À l'issue du plan 15 000, la France devrait disposer de 75 000 places de détention, une capacité probablement insuffisante au regard de la forte croissance de la population carcérale ces dernières années.

A. UN IMPÉRATIF POUR LA POLITIQUE PUBLIQUE PÉNITENTIAIRE, NE PAS ABANDONNER LES PERSONNELS ET LES DÉTENUS

Dans son rapport d'activité 202221(*), la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté, Mme Dominique Simonnot, a durement critiqué l'inertie de l'État dans la prise en charge des « enfants enfermés » et des détenus, tirant le constat d'un « sentiment d'un abandon de l'État ». Ce rapport intervient 22 ans après que le Sénat a qualifié l'état des prisons « d'humiliation pour la République »22(*).

« Réservées aux « courtes peines » et aux prévenus, présumés innocents jusqu'au jugement - [les maisons d'arrêt] affichent un surpeuplement jusqu'à 250 %, infligent aux prisonniers de vivre à trois par cellule, 21 heures sur 24 - dans moins d'1 m² d'espace vital par personne - d'être grignotés par les punaises, envahis par les cafards et les rats. Contraints, pour 2 100 d'entre eux à dormir sur un matelas au sol. Tous les efforts pour améliorer quoique ce soit s'y avèrent vains. Tout est contraint par le nombre et par le temps. [...] Sans cesse et sans souci est bafouée la loi imposant un emprisonnement visant à préparer l'insertion ou la réinsertion de la personne condamnée afin de lui permettre d'agir en personne responsable, respectueuse des règles et des intérêts de la société et d'éviter la commission de nouvelles infractions »23(*).

En plus de conduire à des conditions indignes de détention, pour lesquelles l'État a déjà été condamné en France comme par la Cour européenne des droits de l'homme, la surpopulation carcérale et l'état du parc immobilier pénitentiaire conduisent à des conditions de travail elles aussi indignes pour les personnels de l'administration pénitentiaire. Comme l'ont indiqué plusieurs surveillants pénitentiaires au rapporteur lors de la visite du centre de Bordeaux-Gradignan, « comment voulez-vous qu'on en veuille aux détenus qui se battent alors qu'il fait plus de 36 °C dans les cellules du 6e étage et qu'ils passent quasiment toute leur journée dans une cellule insalubre de 9m² à deux voire à trois ? » Dans ce contexte, même les actes du quotidien deviennent des prises de risque : « au regard du nombre de détenus et du nombre de surveillants pénitentiaires, il faut environ 45 minutes pour amener les détenus du 6e étage à la cour de promenade ».

Ces éléments sont loin d'être anecdotiques. Dans son avis sur le plan 15 000 et dans le cadre de la contre-expertise du dossier d'évaluation socio-économique du programme24(*), le secrétariat général pour l'investissement (SGPI) avait retenu, en bénéfices attendus, une estimation financière liée au nombre de suicides évités parmi les détenus (« gain » d'1,793 milliard d'euros) ainsi qu'à la réduction des violences et des arrêts de travail du personnel pénitentiaire, avec un gain estimé respectivement à 1,1 milliard d'euros et 100 millions d'euros. Sur ce dernier aspect, il est frappant de noter qu'entre 2018 et 2022, les absences des surveillants pénitentiaires pour motif médical ont augmenté de 2,46 points, le taux d'absence passant de 7,52 % à 9,98 %25(*).

C'est donc également à l'aune de l'ensemble de ces données que le rapporteur entend analyser et apprécier la mise en oeuvre du plan 15 000 et du plan de création des 20 nouveaux CEF.

B. UNE LENTE MONTÉE EN CHARGE, QUI DEVRAIT SE TRADUIRE PAR D'INÉVITABLES DÉRAPAGES CALENDAIRES ET BUDGÉTAIRES

Le plan 15 000 et le plan CEF, bien qu'ils soient à l'opposé en termes d'ampleur et de coût, partagent deux points communs : leur calendrier et leur coût prévisionnel initial apparaissent caducs, en dépit des efforts engagés par les parties prenantes. Le garde des Sceaux a ainsi rappelé au début de l'année que ces deux programmes étaient prioritaires, sans que cela ne se traduise nécessairement par de nouveaux crédits ou par une évaluation et une révision des procédures mises en oeuvre pour accompagner l'exécution de ces deux plans.

1. Un rôle prépondérant confié à l'APIJ pour la mise en oeuvre du plan 15 000

La gestion du plan 15 000, l'un des plus grands programmes immobiliers menés par le ministère de la justice, a été confiée à l'Agence publique pour l'immobilier de la justice, l'APIJ. Créée au début des années 2000, cette agence exerce plusieurs missions : elle doit à la fois réaliser les études et les analyses préalables aux investissements immobiliers, gérer les opérations de construction, de réhabilitation ou de maintenance du parc immobilier judiciaire et pénitentiaire et mener toute mission d'assistance en matière de gestion et de valorisation de ce patrimoine immobilier26(*). Elle est placée sous la tutelle du ministre de la justice, le ministre chargé des comptes publics y étant associé.

L'APIJ exerce donc pour le compte de sa tutelle un rôle d'opérateur immobilier et de maître d'ouvrage de plein exercice, forte de son expérience et des compétences qu'elle a su développer en interne pour mener des projets de grande ampleur. Concernant les marchés, il n'y a eu qu'un seul partenariat public-privé dans le cadre du plan 15 000, sur un projet amorcé avant 2018. Le ministère s'est détourné de ce mode de portage, jugé trop coûteux et pas forcément rentable à long terme, pour se tourner vers les marchés de conception-réalisation, qui permettent de préserver le rôle de maître d'ouvrage de l'APIJ.

Sur le choix de ces modalités de dévolution, le rapporteur se range à l'analyse de Jean-René Lecerf, président de la commission du Livre blanc sur l'immobilier pénitentiaire en 2017 : il n'est pas possible « de conclure de façon catégorique à la supériorité d'un mode de dévolution sur les autres. Au surcroît, une étude au cas par cas des différents projets tend à montrer que, plus que le mode de dévolution lui-même, c'est bien plutôt la nature du projet et les difficultés occasionnellement rencontrées qui permettent de rendre compte le mieux des variations de délais »27(*). Le type de marchés est un facteur d'explication ni suffisant ni satisfaisant pour expliquer les décalages calendaires et budgétaires observés sur ces deux programmes.

2. Comment compter jusqu'à 15 000 et à quel prix ?

S'il a pu procéder à diverses analyses du calendrier et du coût des projets sélectionnés dans le cadre du plan 15 000 et du plan de 20 CEF, le rapporteur s'est heurté à certaines difficultés pour obtenir des données précises sur les crédits budgétaires ouverts et consommés sur chacune de ces opérations, sur la révision de leur coût comme de leur calendrier.

De plus, la documentation budgétaire n'est que partielle sur cet aspect. L'indicateur 1.2 « Respect des coûts et des délais des grands projets immobiliers », attaché au programme 310 « Conduite et pilotage de la politique de la justice » permet certes de disposer de premières informations, notamment sur le calendrier, mais elles ne sont pas exhaustives. Toutes les opérations des plans 15 000 et de 20 nouveaux CEF ne sont en effet pas couvertes. Seules sont retenues les plus grandes opérations d'un point de vue financier, dont le montant excède 10 millions d'euros et, parmi elles, les projets de construction neuve ou de restructuration en phase opérationnelle.

En dépit de ces lacunes, cet indicateur permet toutefois de constater que les écarts calendaires et budgétaires ont tendance à s'accroître pour l'immobilier pénitentiaire :

- le taux d'écart budgétaire agrégé s'élèverait à 33,9 % en 2024, contre 8,1 % initialement en 2023. Cette progression s'expliquerait par la prise en compte de nouvelles révisions de prix et le versement d'indemnités pour les projets de Bordeaux-Gradignan, Troyes-Lavau et Basse-Terre ;

- le taux d'écart calendaire agrégé passerait quant à lui de 13,8 % en 2023 à 20,7 % en 2024. Le Gouvernement justifie cette augmentation par les tensions d'approvisionnement des matériaux en 2021 et en 2022, qui ont conduit à des retards de livraison en fin d'opérations.

Évolution des prévisions des taux d'écart calendaire et budgétaire
agrégé sur le périmètre de l'immobilier pénitentiaire

(en %)

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires

Le rapporteur s'est quant à lui attaché, dans le cadre de ses travaux, à obtenir une granularité plus fine, avec un suivi projet par projet. Ce sera le cas pour les ajustements calendaires, des éléments complémentaires à la documentation budgétaire ayant été transmis par le projet de loi.

a) Alors que moins d'un cinquième des places ont été livrées, la crainte d'importants dérapages calendaires

Aux termes des annonces du Gouvernement, 7 000 places devaient être livrées en 2022, sur les 15 000 places nettes créées d'ici 2027. La réalité s'est avérée bien décevante : au 1er juillet 2023, soit déjà plus de six mois après cette échéance, seules 2 711 places nettes ont été ouvertes, pour 14 opérations achevées et 4 281 places brutes créées. Le Gouvernement ne parle d'ailleurs désormais plus de 7 000 places livrées, mais de 7 000 places dont les travaux sont « bien avancés ».

D'ici la fin de l'année 2023, cinq nouveaux établissements devraient être finalisés, pour 1 328 places nettes livrées dans les structures d'accompagnement vers la sortie d'Osny et de Meaux (180 places chacune), le centre pénitentiaire de Caen-Ifs (282 places nettes), le quartier centre de détention de Fleury-Mérogis (408 places) et le centre pénitentiaire de Troyes-Lavau (278 places nettes après la fermeture de la maison centrale de Clairvaux et de la maison d'arrêt de Troyes).

Au début de l'année 2024, il restera donc encore plus 12 000 places nettes à créer - le Gouvernement ayant toutefois défendu l'idée que la majeure partie du plan 15 000 serait livrée dans le courant de l'année 2024. Les données analysées par le rapporteur montrent qu'il est permis de douter de cet optimisme d'autant plus que, et il s'agit là de l'un des constats les plus alarmants du rapporteur, les délais de livraison s'allongent au fur et à mesure que l'échéance du plan 15 000 se rapproche. Le nombre de places devant être livrées non plus en année n mais en 2027 s'accroît d'année en année, faisant peser un risque très fort de soutenabilité sur l'année 2027.

Calendrier initial et actualisé de livraison des programmes
dans le cadre du plan 15 000

Nombre de projets devant être livrés par année :

Nombre de places devant être livrées par année :

Source : commission des finances, d'après les données transmises au rapporteur et les documents budgétaires

Ainsi, le calendrier révisé prévoit la livraison de 19 projets et de près de 9 115 places en 2027, alors qu'il était initialement prévu que 11 opérations s'achèvent en 2027, pour un peu plus de 5 900 places. Ce report vers 2027 ne laisse absolument plus aucune marge de manoeuvre pour achever la mise en oeuvre du plan 15 000 dans le calendrier initial, en dépit des efforts et du suivi au quotidien de ces projets par le maître d'ouvrage, l'APIJ.

(1) La comptabilisation d'opérations lancées avant l'annonce du plan 15 000, une mesure de périmètre flatteuse

En plus de ce report sur 2027, qui laisse de fait présumer que toutes les places ne seront pas livrées d'ici cette échéance, un autre facteur est de nature à dégrader encore plus le bilan comptable du Gouvernement sur le plan 15 000 : certaines des opérations réalisées dans ce cadre, avec la livraison de places nettes, ont été décidées et mêmes lancées bien avant l'annonce du plan 15 000. Ce n'est donc qu'après qu'elles ont été effectivement rattachées à ce plan, le Gouvernement bénéficiant d'une mesure comptable favorable pour pouvoir afficher un taux de livraison relativement satisfaisant sur la période 2019-2023.

Or, d'après les données analysées par le rapporteur, ce seraient 1 926 places qui seraient concernées, pour sept projets : au total, 12 % des places livrées dans le cadre du plan 15 000 correspondent à des opérations qui lui sont bien antérieures :

- la rénovation du centre pénitentiaire La Santé a duré près de 13 ans, les travaux lancés en 2006 ayant été finalisés en 2019 (707 places) ;

- la première tranche de travaux sur le centre pénitentiaire des Baumettes a été lancée en 2013 et achevée en 2017 (- 572 places28(*)), tout comme la construction du centre de Papéari à Tahiti (410 places) ;

- commencées en 2015, les opérations sur le centre pénitentiaire d'Aix (735 places), la maison d'arrêt de Draguignan (504 places) et le centre de Saint-Martin-les-Boulogne (50 places) ont abouti en 2017 et 2018 ;

- enfin, la construction du quartier de semi-liberté du centre pénitentiaire de Nanterre, qui a permis la livraison de 92 nouvelles places en 2019, avait été lancée en 2016.

(2) Sur les 36 opérations restantes, 13 sont encore en phase d'études préalables

Alors que la majorité des livraisons de places nettes a été décalée à 2027, l'avancement des 36 opérations restant à finaliser n'est pas de nature à inciter le rapporteur à faire preuve de plus d'optimisme quant au respect du calendrier initial. Sur ces 36 opérations, 13 sont en effet encore en phase d'études préalables, à quatre ans de l'échéance. Dans le contexte actuel, et au regard du retour d'expérience des 14 premières opérations achevées sur le plan 15 000, il est plus que probable que la suite des travaux excède quatre ans.

Un dépassement du calendrier doit donc être acté, même si l'APIJ et le ministre continuent de défendre l'impératif de tenir l'échéance de 2027 et se sont organisées en conséquence. Ils reconnaissent toutefois qu'ils n'ont plus de marge, en cas par exemple de délais dans les procédures d'instruction administrative.

État d'avancement du plan 15 000

Source : commission des finances, d'après les données transmises au rapporteur et les documents budgétaires

Ces retards portent autant sur les établissements traditionnels que sur les structures plus innovantes que devait favoriser le plan 15 000. Par exemple, sur les 14 SAS prévues dans le cadre du plan 15 000, trois projets étaient encore en phase d'études au printemps 2023, soit plus de cinq ans après le lancement du plan. De même, pour les trois structures InSERRE, présentées comme de véritables innovations par le ministère, aucune n'a été livrée : la première devrait l'être à Arras en 2025 (180 places), tandis que les deux autres sont encore en phase d'études.

Aucun des 36 projets dont la livraison est prévue à compter de 2024 ne devrait s'achever dans le calendrier prévu, avec des dépassements plus ou moins importants.

Durée initiale et actualisée des opérations du plan 15 000
dont la livraison est prévue à compter du 1er juillet 202329(*)

(en mois)

CP : centre pénitentiaire ; CD : centre de détention ; MA : maison d'arrêt ; SAS : structure d'accompagnement vers la sortie ; InSERRE : innover par des structures expérimentales de responsabilisation et de réinsertion par l'emploi.

Les projets dits de la « première tranche » (7 000 places en 2022) sont en violet tandis que ceux relevant de la « seconde tranche » (8 000 places en 2027) sont en bleu.

Source : commission des finances, d'après les données transmises au rapporteur et les documents budgétaires

Parmi les projets ayant connu les plus importants dérapages calendaires, celui du centre pénitentiaire de Basse-Terre a vu sa durée être plus que doublée : alors que la reconstruction aurait dû durer 73 mois, pour s'achever en 2017 - elle ne devrait finalement s'achever qu'au bout de 157 mois (13 ans), à la fin de l'année 2024. La révision du calendrier du projet de Baie-Mahault s'est quant à elle traduite par un allongement de deux ans et demi, pour atteindre huit ans et trois mois30(*).

Il est donc à craindre que l'échéance de 2027 ne soit pas respectée.

b) Une projection budgétaire plusieurs fois révisée à la hausse
(1) Un surcoût d'au minimum 20 %

Dès le lancement du plan 15 000, l'enveloppe budgétaire nécessaire à la bonne conduite des opérations a été rehaussée. Le coût initial total estimé à 4,5 milliards d'euros par le ministère de la justice était déjà un milliard d'euros plus élevé que l'estimation retenue dans l'avis du secrétariat général pour l'investissement31(*). En juin 2022, la direction du budget a de nouveau réévalué le coût total du projet, désormais estimé à 5,4 milliards d'euros, soit 20 % de plus que le coût prévisionnel initial.

Les données analysées par le rapporteur, pour chacun des projets du plan 15 000, montrent que quasiment toutes les opérations ont connu des dépassements budgétaires, d'une ampleur plus ou moins forte.

Coût prévisionnel initial et actualisé des opérations du plan 15 000

(en millions d'euros)

Projets livrés avant le 1er juillet 2023

Projets livrés après le 1er juillet 2023 et d'ici la fin de l'année

Projets en phase de travaux

Projets en phase d'études de conception

Projets en phase d'appel d'offres

Projets en phase d'études préalables

CP : centre pénitentiaire ; CD : centre de détention ; MA : maison d'arrêt ; SAS : structure d'accompagnement vers la sortie ; InSERRE : innover par des structures expérimentales de responsabilisation et de réinsertion par l'emploi.

Les projets dits de la « première tranche » (7 000 places en 2022) sont en violet tandis que ceux relevant de la « seconde tranche » (8 000 places en 2027) sont en bleu.

Source : commission des finances, d'après les données transmises au rapporteur

D'après ces données, au mois de juin 2023, le coût prévisionnel révisé atteignait désormais 5,55 milliards d'euros. À ce rythme, et alors même que le coût des projets encore en phase d'études a connu une nette réévaluation, avant donc l'engagement des travaux et la prise en compte des aléas qui ne manqueront pas de survenir lors de l'exécution du contrat, le coût total du plan 15 000 pourrait excéder les 6 milliards d'euros.

Certains écarts budgétaires sont tout à fait considérables : le coût prévisionnel des opérations sur le centre pénitentiaire des Baumettes 3 a augmenté de 45 %, pour atteindre 160 millions d'euros, tandis que celui du centre de Saint-Laurent du Maroni a doublé pour atteindre au moins 370 millions d'euros. Alors qu'ils sont tout juste en phase d'études préalables, les projets du centre pénitentiaire de Trélazé et de Lille, avec un changement de site pour ce dernier, ont vu leurs coûts être révisés de respectivement 118 % et 124 %. Ces écarts s'expliquent tant par la conduite du programme (modification du projet en cours d'exécution, retards) que par des aléas extérieurs (inflation, pénurie de matériaux).

Le budget total alloué au plan 15 000 devrait donc être révisé d'1,7 milliard d'euros au moins par rapport au coût prévisionnel initial de 4,3 milliards d'euros.

(2) Des difficultés en gestion

En gestion, 80 % de l'enveloppe budgétaire initiale, soit 3,6 milliards d'euros, ont été délégués à l'APIJ, en tant qu'opérateur chargé des opérations du plan 15 000. L'Agence a quant à elle décaissé environ 1,6 milliard d'euros, sachant que les opérations les plus volumineuses, avec les décaissements les plus élevés, devraient avoir lieu sur la période 2024-2027.

En termes d'exécution budgétaire, les choix opérés sur le plan 15 000 se traduisent par d'importants et dynamiques restes à payer sur le programme 107 « Administration pénitentiaire » de la mission « Justice ».

En outre, la progression de la part de l'administration pénitentiaire dans les restes à payer de la mission illustre l'ampleur de son programme immobilier : les restes à payer relatifs aux opérations immobilières devraient ainsi s'élever à 4,41 milliards d'euros au 31 décembre 2023, ils représentent 73 % du total des restes à payer de la mission.

Évolution des restes à payer sur la mission « Justice »

(en milliards d'euros et en %)

Source : commission des finances, d'après la document budgétaire

Souhaitant illustrer sa volonté « d'aller vite », le Gouvernement avait fait le choix d'ouvrir la quasi-totalité des autorisations d'engagement (AE) dès les premières années du programme immobilier, sans de fait ouvrir les crédits de paiement (CP) correspondant, puisque les opérations n'étaient même pas encore lancées. Or, tous les éléments présentés jusqu'ici montrent que ne serait-ce que de parvenir à la phase des travaux nécessite le plus souvent plusieurs années de discussion et d'études préalables.

Cette décision a eu plusieurs conséquences, dont tout d'abord la nécessité de reporter un volume important d'autorisations d'engagement, faute d'avoir pu les utiliser dans le délai annuel imparti. L'écart croissant entre l'engagement des AE et le décaissement des CP, une fois les contrats signés, s'est également traduit par un accroissement du montant des restes à payer de l'administration pénitentiaire. Les AE ont enfin été ouvertes avant même que les cahiers techniques ne soient finalisés, avec un engagement « à l'aveugle » sur les crédits de paiement qui y sont liés. La volonté « d'aller vite », sans doute également pour matérialiser le plan 15 000 et afficher son caractère irréversible, a pris le dessus sur la définition de caractéristiques techniques précises et stabilisées ainsi que sur la fiabilité de la budgétisation.

3. L'enlisement du plan de création des 20 CEF de deuxième génération ?
a) À mi-parcours du programme des 20 nouveaux CEF, un taux de livraison de 15 % particulièrement alarmant

Les retards pourraient être encore plus importants sur le plan de création de 20 CEF de deuxième génération que sur le plan 15 000 puisque cinq projets - soit un quart des CEF envisagés - ne disposent pas encore du foncier nécessaire32(*). Trois CEF seulement ont été livrés, à Épernay, Bergerac et Saint-Nazaire. Un seul devrait être livré au printemps 2024, celui de Rochefort, actuellement en travaux, le prochain devant être le CEF de Mayotte pour la fin de l'année 2025.

État d'avancement du plan de création
de 20 centres éducatifs fermés

Source : commission des finances, d'après les données transmises au rapporteur

Pour trois projets, en dépit d'un accord sur la localisation du centre, le foncier est toujours indisponible : pour le premier, le propriétaire du terrain n'a pas répondu à la demande d'acquisition, pour le deuxième, les élus locaux sont réticents à l'implantation du centre et, pour le troisième, le terrain communal proposé par la collectivité a été jugé trop coûteux à adapter à la suite de l'expertise. Enfin, pour les deux autres projets, il n'y a toujours aucune emprise identifiée.

Se retrouve ici le double enjeu de la disponibilité et de la qualité du foncier, une problématique commune aux établissements pénitentiaires et aux centres éducatifs fermés. Pourtant, et d'autant plus pour les CEF qui accueillent des mineurs, la proximité avec une ville est essentielle, ne serait-ce que pour favoriser l'éducation de ces jeunes et leur réinsertion sociale.

b) Les phases d'études et de travaux ont conduit à rehausser le coût budgétaire de la plupart des nouveaux CEF

À l'origine, dans le cadre du dossier de presse accompagnant la présentation par le Gouvernement de son plan de création de 20 nouveaux centres éducatifs fermés33(*), le coût total de l'investissement était estimé à 30 millions d'euros. À celui-ci s'ajoutait une estimation du coût de fonctionnement annuel, de 42 millions d'euros, ce qui équivalait alors à 5 % du budget de la DPJJ.

Dès la publication de la liste des projets retenus, l'enveloppe initiale, correspondant aux seuls coûts de construction et de rénovation, avait été réévaluée à 76,5 millions d'euros, soit une révision de 155 %.

Budget prévisionnel initial et actualisé des opérations
du plan de construction des 20 nouveaux CEF de deuxième génération

(en millions d'euros)

Source : commission des finances, d'après les données transmises au rapporteur

Les données analysées par le rapporteur font désormais état d'un coût prévisionnel actualisé de 110 millions d'euros, c'est-à-dire quasiment trois fois plus que le budget initialement prévu. Or, la plupart de ces CEF sont encore en phase d'études, voire de recherche foncière. Ce montant devrait donc encore connaître d'importantes évolutions.

*

S'il a été question ici, pour les établissements pénitentiaires comme pour les CEF, du coût budgétaire - toute analyse d'un projet d'investissement immobilier ne peut faire l'économie d'une prise en compte des coûts et gains socio-économiques. Le rapporteur a par exemple rappelé les estimations produites par la contre-expertise sur le plan 15 000 en matière de réduction de la violence dans les établissements, de réduction des arrêts maladie du personnel pénitentiaire et de prévention des suicides des détenus.

Le coût budgétaire permet d'apprécier l'efficacité de la gestion pluriannuelle, de la conduite des travaux et des réponses apportées aux aléas extérieurs - ce qui est absolument majeur dans un contexte de finances publiques contraint et d'engagement de sommes massives d'argent public. L'analyse budgétaire ne peut toutefois seule servir à valider ou à remettre en cause la pertinence d'un programme d'investissement de grande ampleur.

C. DES FACTEURS STRUCTURELS ET CONJONCTURELS À L'ORIGINE DES ÉCARTS CALENDAIRES ET BUDGÉTAIRES CONSTATÉS SUR LE PLAN 15 000 ET LES NOUVEAUX CENTRES ÉDUCATIFS FERMÉS

Si l'engagement du plan 15 000 et du plan de création de 20 CEF est à saluer au regard de l'impératif d'améliorer la prise en charge des détenus et des mineurs ainsi que les conditions de travail des intervenants, la mise en oeuvre des précédents programmes immobiliers du ministère de la justice aurait certainement pu inciter le Gouvernement à faire preuve de prudence.

1. Des retards et des surcoûts inhérents au pilotage et au contenu du plan 15 000 et du plan des 20 CEF de deuxième génération
a) L'absence de standardisation des constructions

La volonté, énoncée dans la présentation du programme 15 000, de créer des établissements innovants et de renouveler le cahier des charges architectural, limite la possibilité de standardiser les constructions, même si des programmes « cadre » sont prévus. Le centre pénitentiaire de Mulhouse-Lutterbach, présenté comme une structure « innovante » par l'APIJ, se compose par exemple de 22 bâtiments, organisés autour de deux voies principales. Seuls deux autres centres pénitentiaires devraient s'inspirer de ce modèle, ceux de Caen et de Troyes. Pour le centre pénitentiaire de Bordeaux-Gradignan, une dizaine de bâtiments sont construits sur une parcelle foncière appartenant au parc de l'établissement et plusieurs bâtiments existants seront détruits et reconstruits, lors de la seconde phase des travaux.

Surtout, au-delà des programmes cadre, l'une des difficultés mises en avant pour expliquer les écarts a trait au fait que les caractéristiques techniques des projets, peu fiabilisées au lancement du plan et en l'absence de retour d'expérience, évoluent constamment, d'année en année, tout comme les coûts réels par rapport aux coûts théoriques. C'est encore une fois lié à la volonté du Gouvernement de faire primer la communication sur le pragmatisme : il a fallu aller vite pour définir des programmes cadres et des cahiers de charge, au risque de les fragiliser : le court-terme l'a emporté sur la vision de long-terme, au détriment de la bonne exécution du plan 15 000.

L'instabilité des caractéristiques techniques constitue ainsi la principale source des délais et des surcoûts, avant l'inflation et les tensions d'approvisionnement sur les matériaux. De même, pour les nouveaux CEF, les écarts budgétaires sont principalement liés à l'évolution des caractéristiques techniques en matière de sécurisation des bâtiments.

Il convient toutefois de souligner qu'il ne s'agit pas ici de remettre en cause le travail mené par l'APIJ, même si des améliorations peuvent être envisagées, en particulier en matière de suivi et d'audit (cf. infra). L'APIJ n'est pas responsable de la fluctuation des caractéristiques techniques et suit, pour toutes les questions de sécurité des établissements, l'avis de la direction de l'administration pénitentiaire. L'Agence a ainsi su démontrer qu'elle était capable de répondre à la matérialisation d'aléas de grande ampleur, qu'il s'agisse de blocages sur la mise à disposition du foncier, de la hausse soutenue des prix des matières premières ou des tensions sur l'approvisionnement des matériaux, ces deux derniers événements ayant durablement affecté le secteur du BTP.

b) La disponibilité du foncier

Le plan 15 000 et les CEF de deuxième génération partagent un objectif commun : privilégier une implantation plus proche des centres urbains afin de faciliter les partenariats avec les services publics et les professionnels concernés (emploi, santé, éducation, culture, sport). Pour les centres de détention, il s'agit également de limiter les coûts de déplacement vers les juridictions et de faciliter les visites des familles.

Cependant, tout projet de cette nature suscite très souvent une forte opposition des riverains, qui craignent tant pour leur sécurité que pour l'image de leur commune ou la valorisation de leur bien immobilier. De multiples recours ont pu être exercés contre certains projets auprès du juge administratif. La question du foncier doit donc être anticipée et traitée le plus en amont possible du lancement du programme immobilier.

Or, si une grande partie du foncier était disponible et avait été mis à disposition pour la première tranche du plan 15 000, tel n'était pas le cas pour la seconde partie du programme34(*) : l'enjeu foncier est dès lors devenu un « risque réel »35(*) pour la soutenabilité du plan et un facteur proéminent pour apprécier sa mise en oeuvre.

Surtout, une fois résolue la question de la mise à disposition du foncier, se pose celle de sa qualité. En effet, comme l'a récemment rappelé le garde des Sceaux36(*), « un site d'implantation d'établissement pénitentiaire doit répondre à un cahier des charges de recherches foncières très contraint, notamment en matière de caractéristiques physiques du terrain. Voici quelques-uns de ses critères : surface ; topographie plane ; absence de surplomb ; proximité de réseaux d'électricité, d'eau et de gaz pour sa viabilisation ; cartographie des risques naturels et technologiques ; compatibilité avec le plan d'urbanisme ; absence de servitude incompatible avec l'implantation d'une prison ; desserte ; accessibilité ; proximité de transports en commun ; contraintes environnementales telles que le zonage Natura 2 000 et la présence d'une zone naturelle d'intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF). »

La détermination du site d'implantation du nouveau centre pénitentiaire du Gard a ainsi duré cinq ans, en raison de circonstances politiques et géographiques (relief accidenté, risques naturels, accessibilité, etc.).

S'ajoutent en effet aux contraintes géographiques des circonstances politiques, l'année 2020 ayant été marquée par les élections municipales. À titre d'exemple, les travaux de la structure d'accompagnement vers la sortie (SAS) d'Orléans comptent déjà trois ans de retard : si le terrain appartient bien à l'État, les travaux ne peuvent pas débuter tant que la mairie ne réalise pas les travaux de voirie nécessaires au lancement de chantier. Le président de la métropole avait donné son accord au mois de juin 2020, le président nouvellement élu a considéré ne pas être lié par les engagements contractés par son prédécesseur. Les trois recours déposés par l'État ont été rejetés, les juridictions saisies s'étant déclarées incompétentes au fond.

Pour les centres éducatifs fermés (CEF), outre le fait que deux d'entre eux ne disposent toujours pas d'un foncier définitivement établi, les travaux d'adaptation qui ont dû être engagés sur six autres parcelles ont conduit à un coût total d'1,2 million d'euros, soit 4 % du budget initialement prévu dans le dossier de presse. Il s'est notamment agi, par ces travaux, d'aménager le terrain rocheux d'Apt, de déconstruire des bâtiments situés sur la parcelle de Rochefort ou encore de créer toute la voirie à Amillis.

2. Des fragilités structurelles accentuées par l'inflation et la pénurie des matériaux

Deux aléas conjoncturels ont accentué les difficultés rencontrées dans l'exécution du plan 15 000 et du plan de création de 20 CEF de deuxième génération : l'inflation, en particulier sur les prix des matières premières, et les tensions d'approvisionnement sur les matériaux. Le rapporteur n'a toutefois pas pu obtenir d'estimation précise du montant du surcoût lié à ces deux phénomènes.

Le ministère de la justice et la direction du budget ont cependant confirmé que l'inflation n'avait entraîné ni d'ajustements matériels dans les projets en cours ni de retards dans l'exécution des programmes de construction, le Gouvernement ayant fait le choix de couvrir ces surcoûts par un rehaussement de l'enveloppe budgétaire consacrée au plan 15 000, et non à moyens constants.

S'agissant des projets pour lesquels les marchés de conception-réalisation avaient été notifiés avant l'inflation et la pénurie des matériaux, des révisions de prix étaient prévues dans la plupart des contrats. Pour les autres, deux circulaires de la Première ministre37(*) ont permis de clarifier les modalités de prise en compte de l'inflation dans les contrats publics. D'une part, des indemnisations spécifiques ont été octroyées en application de la théorie de l'imprévision38(*) aux contrats administratifs39(*). Le montant de ces indemnités a été déterminé au cas par cas, en fonction des circonstances et des diligences mises en oeuvre par l'entreprise pour se prémunir contre ces risques, inhérents à son activité économique. D'autre part, une clause de révision des prix a été insérée dans tous les contrats à venir alors que les provisions avaient déjà été augmentées pour tenir compte du contexte inflationniste.

Si le rapporteur souligne les efforts engagés par le Gouvernement pour éviter que le contexte inflationniste ne se traduise par de nouveaux retards dans l'exécution du plan 15 000 ou par une révision à la baisse de ses ambitions, il estime que ces aléas conjoncturels ne sauraient être présentés par le ministère de la justice comme les principaux facteurs d'explication des décalages constatés, qu'ils soient calendaires ou budgétaires. Faut-il le rappeler, les premières tensions inflationnistes sont apparues à l'été 2021 et se sont durablement installées en 2022 : à mi-parcours du plan 15 000, 7 000 places nettes auraient dû être livrées. Il y en a eu 2 771.

3. Avant de faire plus, faire bien

Au regard de l'ensemble de ces constats, le rapporteur insiste sur le fait qu'à court terme, l'urgence n'est pas de construire encore davantage de places mais d'au moins parvenir à mener à bien le plan 15 000 et à le faire correctement, tant pour les futures personnes qui y seront détenues que pour l'ensemble des personnels de l'administration pénitentiaire et des intervenants extérieurs (santé, éducateurs sportifs, enseignants, entreprises).

Pour autant, les capacités du parc carcéral français apparaissent d'ores et déjà sous-dimensionnées au regard de l'évolution de la population carcérale. Il est donc certain que les travaux préparatoires à l'agrandissement du parc immobilier pénitentiaire devront être lancés avant l'achèvement du plan 15 000. Pour les CEF, la problématique est différente puisque les taux d'occupation moyens sont plus proches de 70 %, contre une cible théorique de 85 %40(*) - laissant de fait davantage de marges à la direction de la protection judiciaire de la jeunesse.

III. ANTICIPER, S'ADAPTER ET ÉVALUER, TROIS MODALITÉS D'ACTION POUR ACCOMPAGNER LA FINALISATION DU PLAN 15 000 ET DE LA CRÉATION DE 20 CENTRES ÉDUCATIFS FERMÉS DE DEUXIÈME GÉNÉRATION

A. ANTICIPER, POUR L'IMMOBILIER COMME POUR LES RESSOURCES HUMAINES

1. Associer les professionnels techniques pour éviter des défauts majeurs de conception ou de sécurité

Alors que certains choix de construction et d'aménagement de l'espace peuvent paraître étonnants - s'agissant par exemple d'organiser un centre de détention en 22 bâtiments distincts - et donc autant de déplacements à organiser, y compris sous la pluie ou par grand froid - ou de prévoir un mur d'enceinte qui suppose la destruction d'une structure existante récente - il est surtout regrettable que le retour d'expérience sur les opérations livrées ne soit pas davantage formalisé.

Si la volonté de revoir l'architecture extérieure comme intérieure des établissements pénitentiaires pour y améliorer les conditions de détention comme de travail est parfaitement louable, l'excès inverse serait de vouloir innover à chaque nouvelle construction, sans s'appuyer sur l'existant. L'absence de standardisation ne signifie pas que l'APIJ doit être contrainte, en tant que maître d'ouvrage, à repartir du début pour chacun des projets qu'elle doit mener. Certaines caractéristiques techniques, notamment pour les projets les plus anciens, ont pu être entièrement revues, quasiment à l'inverse de ce qui avait été initialement décidé, sous une impulsion politique, avant de revenir au projet initial. Il doit y avoir une plus grande stabilité des caractéristiques techniques des projets, alors que 14 opérations ont déjà été livrées dans le cadre du plan 15 000 et trois pour les CEF.

Au-delà de cette stabilité « en amont », l'APIJ et l'administration pénitentiaire doivent en parallèle conserver la possibilité de réagir quasiment en temps réel aux éventuels défauts repérés sur les chantiers : plus une malfaçon est repérée tôt, plus il peut y être remédié à moindres frais et moindre temps.

Il n'est en effet pas concevable qu'un établissement pénitentiaire livré depuis un an et demi nécessite de lourds travaux d'aménagement pour remédier à des failles de sécurité ou de fonctionnement. Ainsi, les châssis des fenêtres de plusieurs bâtiments d'un centre pénitentiaire peuvent être démontés en moins de deux minutes avec un coupe-ongles acheté au supermarché. Les membres du personnel reconnaissent ne pas pouvoir blâmer les détenus : les fenêtres ont été conçues de telle façon qu'elles ne laissaient pas passer suffisamment d'air pour aérer les cellules ou pour les rafraîchir en période de forte chaleur et de surpopulation. Derrière cette anecdote, se cache une facture de 600 000 euros pour l'État pour procéder à leur remplacement.

La possibilité, pour les personnels de l'administration pénitentiaire, de tester les équipements et les aménagements d'un centre pénitentiaire au fur et à mesure de sa construction apparaît dès lors essentielle pour éviter des travaux coûteux a posteriori. S'il est parfaitement concevable que le maître d'oeuvre ne puisse pas avoir en tête l'ensemble des impératifs du monde pénitentiaire, il est en revanche inconcevable que les professionnels ne soient pas formellement associés aux travaux.

Il en va de même pour les associations pour les centres éducatifs fermés : dans le cadre de la livraison du centre d'Épernay, qui relève du secteur associatif habilité, les associations et fédérations de la protection de la jeunesse n'ont pas été consultées en amont ni lors de la phase de travaux. Or, lorsqu'ils ont pris possession des locaux, les personnels de l'association habilitée ont remarqué, parmi d'autres défauts de conception, que les boutons de sécurité incendie, qui permettaient d'ouvrir toutes les portes, étaient accessibles à tous et que les systèmes de fermeture des portes n'étaient pas conformes aux exigences de sécurité d'un centre fermé.

Le rapporteur a pu apprécier la pertinence d'une approche plus concertée et d'un suivi quotidien des chantiers lors de sa visite au centre pénitentiaire de Bordeaux-Gradignan. Une équipe de l'établissement existant est spécifiquement en charge du suivi du chantier des nouveaux bâtiments : ils ont pu, en phase de travaux, signaler des défauts de conception aussi majeurs que l'absence de barreaux aux fenêtres des parloirs avocat, qui donnaient pourtant directement sur le toit terrasse du 1er étage, ou encore l'isolation en cours du bâtiment par l'intérieur - au risque que cela soit ensuite utilisé comme caches par les détenus. À Mulhouse, outre le problème des fenêtres précédemment évoqué, certains interphones de commande et systèmes d'ouverture des portes extérieures sont susceptibles de se bloquer en deçà d'une certaine température - ce qu'aurait très bien pu signaler des personnels testant quotidiennement les installations du centre.

Le dispositif mis en place à Bordeaux-Gradignan, avec une petite équipe associée au chantier, bien en amont de la « marche à blanc »41(*), doit pouvoir être répliqué sur tous les chantiers engagés dans le plan 15 000 mais également dans le cadre de la construction des 20 CEF de deuxième génération. Certes, le chantier de Bordeaux-Gradignan présente l'avantage de la proximité, puisqu'il se situe à quelques centaines de mètres des bâtiments existants. Il apparaît néanmoins, pour les centres pénitentiaires qui seraient construits sur de nouvelles parcelles, que le coût de la prise en charge des frais de transport de deux à trois personnes depuis le centre pénitentiaire le plus proche du chantier serait bien moins élevé que celui engendré par des réparations ou par des remédiations a posteriori de défauts de conception majeurs, qui seront sources ensuite de risques sécuritaires ou de difficultés de gestion au quotidien.

Cette équipe interviendrait donc dès le début du chantier, avec une validation à chaque étape. Les connaissances techniques des architectes et des maîtres d'oeuvre seront utilement complétées par les connaissances de terrain des personnels de l'administration pénitentiaire.

Recommandation n° 1: associer les organisations professionnelles et le secteur associatif habilité à l'élaboration des plans de construction ou de rénovation des établissements pénitentiaires et des centres éducatifs fermés (ministère de la justice).

Recommandation n° 2 : installer des « équipes test » sur chacun des chantiers engagés dans le cadre du plan de création de 15 000 places de détention supplémentaires et de création de 20 nouveaux centres éducatifs fermés (ministère de la justice).

2. Déployer une politique de ressources humaines centrée sur la revalorisation des métiers de l'administration pénitentiaire, en parallèle du recrutement de contractuels

Il ne peut y avoir de promesses de places de détention supplémentaires sans ressources humaines supplémentaires à due concurrence. Dans le projet de loi de finances pour 2024, sur les 450 emplois supplémentaires créés sur le programme 107 « Administration pénitentiaire », 208 le seraient au titre des nouveaux établissements pénitentiaires relevant du programme 15 000. Ils s'ajouteraient aux 1 500 recrutements effectués au total d'ici la fin de l'année 2023 dans le cadre de la mise en oeuvre de ce plan.

La formation de ces nouveaux personnels suppose qu'ils soient pris en charge par l'École nationale de l'administration pénitentiaire (ENAP), dont les efforts pour absorber la hausse du nombre d'élèves surveillants pénitentiaires doivent être soulignés et soutenus. Le rapporteur réitère à cet égard les recommandations énoncées dans le cadre de son rapport d'information sur l'ENAP42(*), et plus spécifiquement celles concernant la définition du plan de charge de l'école, l'amélioration de la gestion prévisionnelle des effectifs par une planification pluriannuelle des besoins en recrutement ou encore la valorisation des compétences acquises par les formateurs de l'ENAP pour la poursuite de leur carrière.

a) Symptomatiques d'une perte d'attractivité des métiers de la pénitentiaire, l'impossibilité de résorber les taux de vacance et d'emplois non pourvus en progression

À l'instar des autres métiers du ministère de la justice, les emplois de surveillants pénitentiaires présentent un taux de vacance élevé, avec des difficultés de plus en plus prononcées en matière de recrutement.

En 2022, alors que le schéma d'emplois du programme 107 « Administration pénitentiaire » devait se traduire par le recrutement de 179 équivalents temps plein (ETP) supplémentaires parmi les surveillants pénitentiaires, les entrées n'ont pas pu suffisamment compenser les sorties, ce qui s'est traduit par une diminution de 126,4 ETP. Le même écart risque de se reproduire en 2023, d'autant plus que le schéma d'emplois fixé en loi de finances initiale était particulièrement ambitieux, avec le recrutement prévisionnel de 628 nouveaux surveillants pénitentiaires, dont 395 dans le cadre du plan 15 000.

Évolution du taux de vacance parmi les surveillants pénitentiaires,
mesuré au mois de décembre de chaque année

(en nombre d'emplois)

Source : commission des finances, d'après les données transmises au rapporteur

Alors qu'il y avait eu une première amorce de réduction du taux de vacance entre 2018 et 2021, ce dernier s'est stabilisé en 2022 avant de connaître une forte hausse en prévision pour 2023.

b) À court et moyen terme, mesurer l'impact des mesures de revalorisation et ouvrir le recrutement aux contractuels

Dès lors, l'attractivité des métiers de la justice, et plus particulièrement des métiers de l'administration pénitentiaire, est certainement le plus grand enjeu de la politique de ressources humaines du ministère. L'amélioration des conditions de détention, et donc des conditions de travail des personnels pénitentiaires, aura un rôle à jouer, comme le soulignait déjà Jean-René Lecerf dans le Livre blanc sur l'immobilier pénitentiaire en 2017 : « le premier gage d'une attractivité retrouvée passe par l'amélioration des conditions de travail des personnels, au premier rang desquelles la diminution de la sur-occupation des détentions »43(*). Elle ne sera toutefois pas suffisante.

Les inquiétudes sur le taux de vacance des emplois de surveillants pénitentiaires ne peuvent qu'être renforcées par les données disponibles sur le concours de surveillants. Si, dès le concours, l'ensemble des postes ouverts ne sont pas pourvus, alors l'écart ne peut que s'accroître jusqu'au terme de la formation et l'entrée en poste.

Évolution de l'écart entre les emplois offerts et pourvus
aux sessions de concours de surveillants pénitentiaires

Source : commission des finances, d'après les données transmises au rapporteur

Les efforts menés pour enrayer la dynamique constatée depuis plusieurs années, à savoir un écart de plus en plus élevé entre les emplois offerts et les emplois pourvus au concours, ne semblent pas avoir produit les effets escomptés. L'écart reste élevé et a même progressé entre 2021 et 2022, passant de 31,5 % à 37 %. Pourtant, pour tenter de convaincre davantage de candidats, un arrêté du ministre de la justice44(*) a permis l'ouverture de concours nationaux à affectation locale, avec identification du territoire de destination, en parallèle des concours à affectation nationale. L'objectif était simple, remédier aux freins que sont les déménagements potentiellement coûteux pour les futurs surveillants (situation personnelle et familiale, coût de la vie dans la région d'affectation, etc.).

Or, les régions qui ont les taux de vacance les plus élevés ne sont pas forcément celles qui attirent le plus les élèves surveillants, du fait par exemple de leur éloignement géographique ou du niveau de vie. L'Île-de-France apparaît ainsi comme la première bénéficiaire des concours à affectation locale - 700 postes proposés en 2021 et 532 en 2022 - mais c'est aussi l'une des régions peu prisées par les surveillants titulaires. Les affectations avaient été davantage diversifiées en 2020, pour la première année, avec 90 postes en Auvergne-Rhône-Alpes, 42 en Provence-Alpes-Côte d'Azur et 18 dans le Grand Ouest. S'ajoutaient à ces postes 83 ouverts dans le cadre du concours déconcentré, pour la Nouvelle-Calédonie45(*).

Face au constat partagé d'un manque d'attractivité du métier de surveillant pénitentiaire, et, plus largement, des métiers de l'administration pénitentiaire et du ministère de la justice, plusieurs mesures ont été prises par le Gouvernement pour tenter d'y remédier :

- l'instauration d'une prime de fidélisation en 2018 ;

- la création en 2019 des concours nationaux à affectation régionale ;

- la révision catégorielle des emplois au 1er janvier 2024, 47,2 millions d'euros étant demandés à ce titre dans le projet de loi de finances pour 2024. Les officiers seront reclassés de la catégorie B à la catégorie A et les corps des surveillants de la catégorie C à la catégorie B . Ce changement est particulièrement important pour les personnels puisqu'il permet non seulement de bénéficier d'une grille de rémunération plus élevée, mais également d'un avancement de carrière dû à l'ancienneté plus rapide46(*) ;

- la revalorisation indiciaire des directeurs des services pénitentiaires ainsi que des directeurs pénitentiaires d'insertion et de probation, entrée en vigueur au second semestre 2023 ;

- le doublement de la prime d'indemnisation pour charges pénitentiaires d'ici 2026.

Si l'ensemble de ces mesures sont bienvenues, elles constituent un pansement et non un traitement : elles ne sont pas suffisantes, à court et à moyen terme, pour combler les vacances dans les établissements les plus difficiles ou dans les régions les plus affectées par le manque de personnels. Par ailleurs, force est de constater qu'elles ne produiront leurs effets au mieux qu'à moyen terme, alors même que les besoins dans les établissements pénitentiaires sont urgents et criants.

Le recrutement de contractuels, sous le statut d'agents pénitentiaires47(*), apparaît, dans ce contexte contraint, comme étant l'un des moyens les plus efficaces à court terme pour pallier les vacances et le manque d'attractivité du concours de surveillants pénitentiaires. Ces agents contractuels bénéficieraient d'une formation de 18 semaines comprenant une période de 16 semaines dans un établissement de formation et une période de deux semaines dans un établissement pénitentiaire dans le département du lieu d'affectation de l'intéressé. Les agents pénitentiaires pourraient utilement venir seconder les surveillants pénitentiaires, et non les remplacer, leur formation n'étant pas comparable.

Missions des surveillants adjoints contractuels

Les principales missions sur lesquelles seraient amenés à intervenir les surveillants adjoints contractuels, en présence et en complémentarité des surveillants titulaires, seraient :

- le « binômage » en détention (faute d'effectifs suffisants, les agents sont régulièrement seuls sur la coursive, ce qui pose, notamment en période de surencombrement chronique, d'évidents problèmes de sécurité)

- les opérations de fouilles, sectorielle et de cellule, sous la responsabilité d'un surveillant titulaire ;

- la garde des murs (lors d'opérations de travaux, à l'occasion de la fermeture d'établissements ou après la livraison d'un nouvel établissement, avant l'accueil des premiers détenus) ;

- les écoutes téléphoniques légales ;

- l'accueil des familles ;

- la conduite de véhicules ;

- la surveillance des parloirs ;

- la surveillance vidéo ;

- le soutien dans les greffes pénitentiaires.

Source : étude d'impact de l'article 14 du projet de loi d'orientation et programmation du ministère de la justice 2023-2027

L'ouverture de postes sous le statut de contractuel présente également deux avantages.

D'une part, elle permet d'attirer des profils qui ne se seraient pas nécessairement présentés au concours national de surveillant pénitentiaire mais qui sont intéressés par les missions qui sont confiées à ces personnels. Par exemple, des agents de sécurité ou des vigiles peuvent vouloir donner davantage de sens à leur métier en rejoignant l'administration pénitentiaire. Parmi la 215e promotion de surveillants pénitentiaires de l'ENAP (avril 2023), 64 % sont titulaires d'un baccalauréat et 33 % ont eu au moins une expérience dans le domaine de la sécurité48(*), une proportion qui a atteint 43 % lors d'une session de concours en 2021. Les métiers concernés, par ordre décroissant de prévalence, sont ceux d'agents de prévention et de sécurité, de militaires, d'agents de sécurité incendie, de policiers et gardiens de la paix, de gendarmes et de sapeurs-pompiers.

D'autre part, le statut de contractuels permet de répondre aux aspirations d'une partie de la population active qui ne souhaite plus s'engager dans un même métier ou dans une même administration pour toute sa vie professionnelle mais qui veut garder une certaine flexibilité et mobilité. L'engagement de ces contractuels doit toutefois être valorisé. Au cours de leur contrat, ces agents pourraient souhaiter rejoindre à titre plus pérenne l'administration pénitentiaire. Afin de les soutenir, il convient de leur créer et de leur réserver une voie spécifique d'accès au concours de l'école nationale d'administration pénitentiaire.

Le recrutement sur une base locale, et non nationale, des surveillants adjoints est une condition impérative pour pouvoir attirer les profils recherchés : peu seraient prêts à déménager potentiellement à l'autre bout de la France pour trois ans. Les établissements pourraient également à terme développer leurs propres modalités de recrutement, en se tournant vers la population de leur bassin de vie.

Recommandation n° 3 : développer le recrutement d'agents pénitentiaires contractuels en appui des surveillants pénitentiaires, en prévoyant la possibilité d'un recrutement au niveau du département, voire de l'établissement (direction de l'administration pénitentiaire).

Recommandation n° 4 : créer une voie réservée aux agents pénitentiaires (contractuels) pour le concours de surveillants pénitentiaires (École nationale d'administration pénitentiaire).

Par ailleurs, si le rapporteur dispose de moins de données sur le traitement et les mesures salariales à destination des personnels de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse et du secteur associatif habilité, il n'en demeure pas moins qu'ils sont eux aussi confrontés à des problématiques d'attractivité de leurs métiers. Si de premières revalorisations ont été engagées, elles ne sont pas suffisantes pour parvenir à combler l'ensemble des postes vacants. Or, des structures comme les centres éducatifs fermés sont très consommatrices de ressources humaines, avec un taux d'encadrement de plus de deux équivalents temps plein (ETP) par jeune accueilli.

Le personnel du centre éducatif fermé d'Épernay

Le centre éducatif fermé d'Épernay, dans lequel le rapporteur s'est rendu au mois de juin 2023, relève du secteur associatif habilité (Association Sauvegarde de la Marne). Il comptait 26,5 équivalents temps plein (ETP), dont un directeur, deux chefs de service éducatif, un secrétaire, un psychologue, un infirmier, sept éducateurs spécialisés, deux monteurs éducateurs ou éducateurs scolaires, trois éducateurs sportifs, quatre éducateurs techniques, un maître de maison, 2,8 surveillants de nuit, 0,7 agent d'entretien, un enseignant en mise à disponibilité de l'éducation nationale, 0,5 formateur GRETA (groupements d'établissements publics locaux d'enseignements), 0,2 pédopsychiatre et une astreinte cadre 7/7 et 24/24.

Source : informations transmises au rapporteur lors de son déplacement

c) Revoir les modalités de calcul des besoins en ressources humaines des établissements pénitentiaires

Par ailleurs, concernant cette fois-ci l'affectation des agents, il apparaît plus que nécessaire, au regard des taux d'occupation de certains établissements et de leurs effets négatifs en matière de sécurité, de dialogue social et de bien-être au travail, de calculer l'effectif requis par établissement en fonction de son occupation réelle et de sa configuration. Par exemple, alors qu'il est déjà admis et su de tous qu'un centre dédoublera toutes ses cellules - puisque des cellules individuelles sont pourtant construites avec, par exemple, des prises électriques et des tables de chevet correspondant à un lit superposé - il n'est pas logique que l'effectif nécessaire soit toujours calculé en fonction de son occupation théorique et sur la base de l'objectif de 80 % d'encellulement individuel.

Le rapporteur partage ici la « surprise » de la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté49(*), qui s'étonne également que les effectifs pénitentiaires et médicaux soient calculés en fonction du nombre de places théoriques du centre de détention et non selon le nombre réel de personnes prises en charge. Les syndicats de surveillants pénitentiaires rencontrés par le rapporteur font état, partout, du même constat : le ratio de surveillant par détenus peut atteindre 1 pour 100, tandis que certains établissements ne tiennent que par l'engagement de leurs personnels, au détriment de l'équilibre entre leur vie personnelle et professionnelle.

Recommandation n° 5 : calculer le nombre de personnels de l'administration pénitentiaire requis par établissement pénitentiaire non plus en fonction de son occupation théorique mais de son occupation réelle, en tenant compte également de sa configuration (direction de l'administration pénitentiaire).

3. Sur le foncier, convaincre plutôt que contraindre

Traiter la question du foncier est incontournable pour réussir à mener à leur terme, dans des délais raisonnables, les programmes de construction de nouveaux établissements pénitentiaires ou de nouveaux centres pour mineurs.

Au regard des difficultés précédemment relevées concernant la mise à disposition du foncier et sa qualité, le rapporteur juge peu opportun de se lancer dans un « bras de fer » avec les collectivités, et en particulier les communes, qui cherchent aussi à préserver l'intérêt de leur population
- rares sont les riverains qui accueillent de prime abord positivement la construction ou l'extension d'un centre pénitentiaire dans leur commune. Ils craignent une dégradation de leur sécurité quotidienne mais aussi un effet réputationnel et une dépréciation de la valeur de leur bien immobilier, même si ce lien n'a jamais pu être démontré.

Le rapporteur est en revanche convaincu que les difficultés constatées et les réticences parfois très fortes des populations et des exécutifs locaux s'expliquent pour partie par les informations incomplètes dont ils disposent pour apprécier la portée de ces projets. Une prison, ce n'est pas seulement des bâtiments et des détenus, ce sont aussi des agents publics et leurs familles, des partenariats avec les commerces locaux, des petites et moyennes entreprises (PME) engagées dans les chantiers de construction et de rénovation.

L'approche par le coût socio-économique d'une prison, qui inclut les craintes des populations locales, doit disposer d'un volet sur les gains socio-économiques de l'installation d'un tel établissement. Ces derniers sont potentiellement nombreux.

Il y a tout d'abord un impact sur la population des communes alentours et sur l'emploi, à l'échelle du bassin de vie. Doivent donc être comptabilisés la création d'emplois directs du fait de la construction ou de l'extension d'un centre pénitentiaire (personnel pénitentiaire, personnel de santé, enseignants, etc.) mais également la création d'emplois indirects (au sein des administrations et entreprises partenaires de l'établissement).

Ensuite, la plupart des marchés de conception-réalisation conclus dans le cadre du plan 15 000 prévoit qu'une part minimale des travaux est réservée par le groupement aux PME et artisans ainsi qu'à des publics éloignés de l'emploi. L'impact sur la vitalité économique du territoire est donc direct et il convient également d'y inclure les relations commerciales et d'approvisionnement dans le cadre de la « vie quotidienne » de l'établissement (fourniture d'énergie, alimentation, cigarettes). À titre d'exemple, le contrat conclu par le centre de Mulhouse-Lutterbach avec les débitants de tabac de la commune est de l'ordre de 200 000 euros à 300 000 euros.

Par ailleurs, l'installation du personnel pénitentiaire, outre qu'elle conduit à augmenter le niveau de population d'une commune, se traduit le plus souvent par l'installation de sa famille : les enfants vont à l'école, les conjoints occupent un nouvel emploi dans le bassin de vie. Dans le sens « inverse », des partenariats peuvent se nouer entre le tissu économique et social local et les détenus : ateliers de réinsertion, partenariats avec les associations, installation d'ateliers d'entreprises dans les centres pénitentiaires.

Enfin, la présence d'un centre pénitentiaire sur le territoire d'une commune se traduit le plus souvent par une présence policière ou de gendarmerie accrue, et donc un effet dissuasif décuplé. L'ouverture d'un tel établissement peut donc, paradoxalement, se traduire par un renforcement du sentiment de sécurité de la population locale.

Bien entendu, ces effets doivent être dûment évalués. Certains projets ont ainsi fait l'objet, à l'instar de celui de Lille-Loos et de Bordeaux-Gradignan, d'une évaluation socio-économique par le secrétariat général pour l'investissement (SGPI) ainsi que d'une contre-expertise indépendante. Or, ces évaluations se concentrent sur le coût financier du projet ainsi que sur la monétisation des gains associés à l'amélioration des conditions de détention, des conditions de travail et de l'accessibilité de l'établissement. Elles ne sont donc pas suffisantes, faute de données - comme l'admettent par exemple les auteurs de l'évaluation sur Loos : « le dossier ne nous permettant pas de renseigner les indicateurs associés à ces effets [création d'emplois directs et indirects, flux financiers directs, évolution du paysage urbain autour de la prison, effet d'image], nous n'intégrons pas ces effets dans le calcul de la VAN [valeur ajoutée nette] socio-économique ». Ce ne peut être que regretté : une telle évaluation ne devrait pas être un exercice ponctuel mais un élément incontournable.

Lors de sa visite du centre pénitentiaire de Mulhouse-Lutterbach, le rapporteur a par exemple appris que si l'exécutif local s'était montré plus que réticent à la construction de ce nouveau centre pénitentiaire, il était désormais particulièrement actif pour proposer des partenariats avec la direction du centre. Les personnes rencontrées lors de cette visite lui ont également parlé du cas de la maison centrale de Clairvaux, une ancienne abbaye du XIIe siècle qui a fermé au mois de juin dernier. Depuis, des classes ont été fermées dans une école pour la rentrée 2023, un restaurant aussi, la compagnie de gendarmerie a réduit sa présence et les 250 logements de fonction sont vides, tandis que le ministère de la culture, qui doit reprendre la gestion de ce monument historique, ne dispose pas nécessairement des moyens pour assurer sa valorisation.

Cette démonstration s'applique également aux centres éducatifs fermés : dans le cadre du lancement du plan de création de 20 CEF, le ministère de la justice avait estimé que 530 emplois directs seraient créés par ce plan, dont 133 dans le secteur public. À cette évaluation initiale s'ajoutent les emplois indirects ainsi que les recettes générées par la présence, dans le centre urbain, des membres du personnel et de leur famille.

Recommandation n° 6 : inclure, dans chacune des évaluations socio-économiques des projets immobiliers pénitentiaires, une estimation des effets attendus en matière de création d'emplois directs et indirects, de flux financiers, de développement économique et commercial local ainsi que d'urbanisme et de sécurité. Produire le même type d'études sur des établissements existants (ministère de la justice, en lien avec le secrétariat général pour l'investissement).

4. Préparer le prochain plan de construction de nouvelles places en établissements pénitentiaires

Il est certain, et le rapporteur n'a eu de cesse de le réaffirmer lors de ses travaux budgétaires, que la politique pénitentiaire menée par le Gouvernement ne peut pas et ne doit pas se résumer à une politique immobilière. Aucun programme immobilier n'a jamais permis de « prendre de l'avance » sur l'évolution de la population carcérale ou de remédier durablement aux problématiques de surpopulation. Lorsqu'il s'est rendu au centre de Mulhouse-Lutterbach, livré au mois de novembre 2021, le taux d'occupation atteignait déjà 130,8 % sur le premier semestre 2023, avec un pic à 141,74 % au mois de février, dans une région pourtant caractérisée par des taux d'occupation moins élevés que la moyenne nationale.

Plusieurs acteurs se sont ainsi prononcés en faveur de la mise en place de mécanismes de régulation carcérale, à l'instar de la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté, qui souhaite qu'un mécanisme législatif et contraignant soit instauré. Le comité des États généraux de la Justice a également repris, dans son rapport, la proposition n° 15 du groupe de travail sur la justice pénitentiaire et de réinsertion, consacrée à la lutte contre la surpopulation carcérale. Il appelle ainsi à envisager la mise en place de mesures de régulation lorsque le seuil de criticité d'occupation des établissements serait atteint50(*). Ces mesures incluraient par exemple le recensement des personnes susceptibles de faire l'objet d'une libération anticipée, l'examen anticipé des réductions de peine, le placement sous contrôle judiciaire ou encore le recours accru à la libération sous contrainte.

Sans se prononcer sur de tels mécanismes, qui ne sont pas l'objet de ses travaux, le rapporteur souligne les initiatives qui ont pu être mises en place au niveau local, à la faveur de la mobilisation et de la grande implication des magistrats et des directeurs d'établissements pénitentiaires. Ces protocoles « locaux » permettent de tenir compte des spécificités de la population carcérale dans un territoire et apportent de la souplesse dans la gestion des détenus.

Il est toutefois probable qu'à moyen et long terme, il soit impossible de pouvoir répondre à la saturation des capacités d'occupation des établissements pénitentiaires et à la dégradation des conditions de vie et de travail qui en découle sans un nouveau programme immobilier. Son élaboration doit intégrer dès l'origine la question sensible du foncier ainsi que les exigences qui s'y attachent, notamment en matière d'accessibilité et de logement. Pour reprendre les termes utilisés dans le Livre blanc précité, il est impératif d'accompagner ce plan d'un « diagnostic des potentialités du territoire »51(*). Les phases d'identification et d'acquisition du foncier sont celles qui ont conduit aux décalages les plus importants dans le lancement des travaux ; un travail préventif sur cet aspect, bien en amont du lancement du programme immobilier, apparaît dès lors particulièrement opportun pour limiter au maximum les écarts calendaires, hors aléas conjoncturels.

En plus du foncier, ces travaux, en amont de l'élaboration du plan, devront reposer sur des hypothèses démographiques hautes - pour éviter la situation actuelle dans laquelle la cible de population carcérale anticipée pour 2027 est quasiment atteinte à l'été 2023 - ainsi que s'attacher à évaluer la faisabilité de prévoir davantage d'opérations de rénovation que de construction, sauf circonstances démographiques particulières sur un territoire. Une telle approche permettrait de ne pas exclure de ces programmes les établissements « entre deux », c'est-à-dire ni neufs ni vétustes au point de devoir être démolis.

Recommandation n° 7 : produire un schéma directeur immobilier centré sur le pénitentiaire et lancer les travaux préparatoires à la mise en oeuvre du futur programme immobilier pénitentiaire, sur la base d'hypothèses hautes en matière d'évolution de la population carcérale et en tenant compte des évolutions démographiques, de l'objectif d'encellulement individuel, de la diversification des modalités de prise en charge des détenus et des besoins de rénovation des établissements les plus vétustes. Intégrer, dans l'identification des terrains, les contraintes de desserte de transport et d'offre de logement (ministère de la justice et APIJ, en lien avec les collectivités territoriales pour l'identification du foncier potentiellement disponible).

B. S'ADAPTER AUX SPÉCIFICITÉS DE L'IMMOBILIER PÉNITENTIAIRE ET DES STRUCTURES DE PRISE EN CHARGE DES MINEURS

1. Répondre, après évaluation et dans des délais plus courts, aux demandes dites « hors programme »

Les exemples de défauts de conception précédemment cités par le rapporteur illustrent la nécessité, même dans les programmes cadres, de conserver une certaine souplesse pour pouvoir traiter rapidement les demandes « hors cadre » mais qui répondent pourtant à des impératifs de terrain. À titre d'exemple, un centre pénitentiaire a dû attendre de longs mois avant d'obtenir un accord pour faire installer un filet de protection entre deux étages d'un quartier de détention, ce dispositif n'étant pas compris dans le programme cadre. Le risque de bousculade, et donc de chutes depuis le 1er et/ou le 2e étage était pourtant réel et source d'inquiétudes pour les personnels sur place.

Il est impératif de corriger ces défauts le plus en amont possible, pour éviter des travaux d'aménagement trop lourds et, partant, des coûts encore plus élevés. De plus, au regard de la récurrence de ce type d'événements, il pourrait être tout à fait envisageable d'isoler dans le cadre de la gestion de l'opération une poche de crédits alloués à la correction de ces malfaçons en cours de chantier et hors du programme cadre.

Il ne s'agit donc pas ici de modifier les cahiers des charges fonctionnels, qui doivent tendre vers une plus grande standardisation, mais d'être en mesure de répondre aux défauts de conception, dont une partie s'explique justement par les fréquentes modifications du cahier des charges.

Recommandation n° 8 : permettre à l'Agence pour l'immobilier de la justice de pouvoir traiter plus rapidement les demandes « hors programme » lorsqu'il s'agit de remédier à des défauts de conception majeurs. Prévoir, dans le cadre des estimations actualisées du coût total de chacun des projets immobiliers, des « poches de réserves » à allouer à ces demandes (Agence pour l'immobilier de la justice).

2. La performance énergétique, un impondérable à adapter aux particularités du parc pénitentiaire

La performance énergétique des bâtiments n'a été que peu abordée par les personnes entendues par le rapporteur dans le cadre de ses travaux, alors même qu'elle est au coeur des réflexions sur l'usage des bâtiments du secteur tertiaire et sur les obligations qui sont imposées, y compris à l'État, en termes de réduction de la consommation énergétique.

Le dispositif éco énergie tertiaire (EET)

Éco Énergie Tertiaire (EET) est une obligation réglementaire qui engage tous les acteurs du tertiaire vers la sobriété énergétique. Issue de l'article 175 de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, elle impose une réduction progressive de la consommation d'énergie dans les bâtiments à usage tertiaire afin de lutter contre le changement climatique. Cette réduction doit être de l'ordre de - 40 % en 2030 par rapport à 2010, puis de - 50 % en 2040 et de - 60 % en 2050.

Tous les bâtiments dont la surface de plancher excède 1 000 mètres carrés sont concernés, avec une obligation de reporting annuelle. Quelques exceptions concernent les constructions provisoires (permis de construire précaires), les lieux de culte, les activités à usage opérationnel à des fins de défense, de sécurité civile ou de sûreté intérieure du territoire. Le parc immobilier pénitentiaire ne rentre pas dans ces exceptions et est donc soumis aux obligations du décret.

Source : ministère de la transition énergétique

Tout en partageant pleinement ces objectifs, le rapporteur souligne que l'immobilier pénitentiaire fait face à des contraintes spécifiques, au regard notamment de la vétusté de son parc ainsi que des obligations de prise en charge de personnes 24h/24h.

Surtout, il existe encore un décalage entre les objectifs affichés par le Gouvernement et les réalisations concrètes, dans le cadre des opérations les plus récentes comme celles comprises dans le plan 15 000. Par exemple, à Mulhouse-Lutterbach, le choix a été fait d'un chauffage par granulés à bois, ce qu'ont découvert les services financiers de la direction interrégionale des services pénitentiaires Grand-Est, suscitant d'importantes difficultés d'approvisionnement, d'abord pour trouver un prestataire, ensuite pour la bonne exécution du contrat. Les chaudières à bois ont notamment été arrêtées pendant six mois, de mai 2022 à novembre 2022, du fait d'un problème sur le marché de fourniture en granulés à bois52(*), et ils ont donc dû recourir davantage au chauffage à gaz... Une source d'énergie plus pertinente aurait pu être choisie s'il avait été tenu compte des particularités de la région d'implantation du centre pénitentiaire - en l'occurrence la géothermie.

Le rapporteur regrette par ailleurs que des données plus fines ne soient pas transmises sur la performance énergétique du parc immobilier pénitentiaire, au-delà de l'indicateur agrégé transmis dans la documentation budgétaire53(*). Le périmètre de calcul de l'indicateur 1.1 « Performance énergétique du parc occupé en année n- 1 », attaché au programme 310 « Conduite et pilotage de la politique de la justice », ne comprend en effet ni les établissements pénitentiaires en contrat de partenariat ni ceux en gestion déléguée54(*). Le ministère de la justice a en outre admis que l'outil de suivi des fluides interministériel (OSFI), sur lequel repose cet indicateur, devait encore être fiabilisé et complété.

C. ÉVALUER ET AUDITER, POUR LIMITER LES RISQUES ET L'AMPLEUR DES DÉCALAGES CALENDAIRES ET BUDGÉTAIRES

1. Développer une véritable capacité d'audit auprès de l'APIJ

Le plan de création de 15 000 places de détention supplémentaires constitue un effort d'une ampleur inédite ces dernières années et un plan d'investissement immobilier assurément colossal et d'une grande complexité à suivre et à mettre en oeuvre. Ces contraintes doivent être prises en compte dans l'appréciation du pilotage de ce chantier par l'APIJ et par le ministère de la justice. Certaines personnes entendues par le rapporteur n'ont pas hésité à qualifier le ministère de la justice de « sous-administré ». Sans vouloir reprendre ce qualificatif, le rapporteur est néanmoins convaincu que le pilotage par le ministère, appuyé sur le secrétariat général, doit s'affirmer et les dispositifs d'audit être renforcés.

Ainsi, si le modèle d'agence choisi par le ministère de la justice pour conduire ses projets immobiliers d'ampleur, avec l'Agence pour l'immobilier de la justice (APIJ), fonctionne bien, cette dernière doit pouvoir s'appuyer sur des procédures d'audit et d'évaluation plus avancées, cruciales lorsqu'il s'agit de suivre la mise en oeuvre de programmes mobilisant plusieurs milliards d'euros sur une période de plus de 10 ans.

Il est vrai que l'APIJ dispose déjà d'un conseil d'administration, chargé d'approuver les délibérations sur les opérations immobilières judiciaires comme pénitentiaires, sur la gestion des comptes, sur les avenants aux opérations ainsi que sur des sujets transversaux tels que le fonctionnement de l'établissement ou son rapport d'activité.

La composition du conseil d'administration de l'APIJ

Le conseil d'administration de l'APIJ est présidé depuis le 1er juin 2023 par M. Frédéric Chastenet de Géry, conseiller maître à la Cour des comptes.

Le conseil se compose de sept membres de droit : la secrétaire générale du ministère de la justice, le directeur de l'administration pénitentiaire, le directeur des services judiciaires, la directrice de la protection judiciaire de la jeunesse, la directrice du budget, le directeur général de l'aménagement, du logement et de la nature et le directeur de l'immobilier de l'État. Il comprend également huit personnalités désignées par arrêté du garde des Sceaux (ex. directeur départemental des finances publiques, directeur interrégional des services pénitentiaires, procureur général, chef d'établissement pénitentiaire) et quatre représentants du personnel.

Source : APIJ, rapport d'activité pour l'année 2022, août 2023

La présence d'un conseil d'administration n'est toutefois pas suffisante : la principale source des décalages calendaires et budgétaires provient de l'instabilité des caractéristiques techniques, de l'absence de données détaillées sur le passage des coûts prévisionnels théoriques aux coûts réels mais aussi de l'obligation de devoir remédier à certains défauts de conception en cours de chantier.

Un comité d'audit apparaîtrait dès lors adapté à ces enjeux, en complément du conseil d'administration : il pourrait suivre de manière beaucoup plus fine chacun des projets, à l'instar de ce qui a été mis en place pour les chantiers menés dans le cadre des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024. Les rapports discutés en conseil d'administration ne permettent pas d'entrer dans ce niveau de détails, alors qu'un comité d'audit serait en mesure de regarder précisément la manière dont on passe des coûts théoriques aux coûts réels, de documenter le coût des modifications techniques et donc in fine de faciliter la prise de décisions.

Ce comité serait composé à la fois de représentants des administrations (secrétariat général du ministère de la justice, direction du budget, contrôleur budgétaire et comptable ministériel) et de professionnels de l'immobilier (direction de l'immobilier de l'État et experts extérieurs). Ce sont ces professionnels qui seraient en mesure d'évaluer les contrats et les évolutions proposées, en interrogeant les hypothèses, les choix du maître d'ouvrage comme du maître d'oeuvre ainsi que les demandes de l'administration pénitentiaire, avec l'objectif d'aboutir au dossier le plus fiable et le plus stable possible.

À cet égard, le rapporteur relève que, déjà, dans le Livre blanc sur l'immobilier pénitentiaire, Jean-René Lecerf regrettait que la direction de l'immobilier de l'État ne fût pas davantage associée aux opérations immobilières, dès la recherche et l'acquisition du foncier55(*). Sur cet aspect, il est également nécessaire de disposer de données précises sur les coûts d'acquisition et de réhabilitation des terrains, pour les centres pénitentiaires comme pour les centres éducatifs fermés.

En parallèle, un comité de suivi des investissements pourrait être mis en place en regroupant des acteurs interministériels, comme il en existe pour le suivi des projets d'ampleur des ministères de la défense et de la culture. Le ministère de la justice s'est en effet lancé depuis ces cinq dernières années dans de très importants projets, qu'ils soient immobiliers ou informatiques, très consommateurs de crédits budgétaires et de ressources humaines. Le comité de suivi mis en place sous l'impulsion du ministre de la justice, M. Dupond-Moretti, et qui se réunit mensuellement, ne regroupe que les administrations du ministère de la justice - il pourrait utilement s'élargir à d'autres, telles que la direction du budget ou la direction de l'immobilier de l'État.

Il ne s'agit donc absolument pas d'alourdir les processus mais de disposer d'un suivi et d'un audit davantage professionnalisés, au service des projets menés par l'APIJ, dans un ministère qui a longtemps souffert et qui souffre encore d'un manque d'évaluation.

Recommandation n° 9 : mettre en place un comité d'audit auprès de l'Agence publique pour l'immobilier de la justice ainsi qu'un comité de suivi des investissements du ministère de la justice, composé de membres des directions du budget, de l'immobilier de l'État, de l'administration pénitentiaire ainsi que de professionnels de l'immobilier (ministère de la justice).

2. Disposer d'outils de suivi plus fin du calendrier et des coûts des projets immobiliers de l'administration pénitentiaire et de la protection judiciaire de la jeunesse

La plus grande difficulté à laquelle s'est heurté le rapporteur dans ses travaux de contrôle budgétaire réside dans la mise à disposition d'informations détaillées sur les calendriers et coûts initiaux et actualisés de chacun des projets compris dans le plan 15 000 ainsi que dans le plan de création de 20 CEF de nouvelle génération.

Or, s'agissant d'un programme d'investissements d'ampleur, avec un coût minimal de 5,6 milliards d'euros pour l'administration pénitentiaire et de 110 millions d'euros pour la protection judiciaire de la jeunesse, il est primordial que ces données soient mises à disposition des parlementaires et des citoyens.

En effet, comme rappelé précédemment, le seul indicateur disponible aujourd'hui dans les documents budgétaires est l'indicateur 1.2 « Respect des coûts et des délais des grands projets immobiliers », attaché au programme 310 « Conduite et pilotage de la politique de la justice ». Il regroupe les opérations en maîtrise d'ouvrage publique, conception-réalisation ou en partenariat public-privé dont l'estimation du coût final excède 10 millions d'euros (construction, restructuration lourde). Le tableau transmis dans la documentation budgétaire reprend ainsi l'ensemble des opérations respectant ces critères et relevant du parc immobilier pénitentiaire, sans identifier celles relevant du plan 15 000. Aucun CEF n'est par définition non plus compris dans cet indicateur, qui ne permet pas non plus de suivre les réévaluations successives, d'année en année, des calendriers et des coûts prévisionnels.

L'absence de ces données conduit de fait à ce que le ministère de la justice n'ait pas besoin de justifier précisément les écarts constatés, ce qui est préjudiciable à toute évaluation de la mise en oeuvre de ces programmes.

Recommandation n° 10 : transmettre, dans les documents budgétaires, un tableau permettant, pour chacun des projets du plan de construction de 15 000 places de détention supplémentaires et du plan de création de 20 nouveaux centres éducatifs fermés, de disposer du calendrier initial et actualisé du projet ainsi que du coût initial et actualisé des travaux, depuis la phase d'études (ministère de la justice et direction du budget).

Recommandation n° 11 : avancer la clause de revoyure des crédits budgétaires alloués au plan de construction de 15 000 places de détention supplémentaires de 2026 à 2025, afin de disposer d'une prévision actualisée du coût total permettant plus spécifiquement de tenir compte de l'inflation et intégrant des réserves pour répondre aux demandes hors programme (ministère de la justice et direction du budget).

3. Mieux évaluer les nouveaux modes de prise en charge des détenus et des mineurs

Les programmes immobiliers de construction de 15 000 places supplémentaires en établissements pénitentiaires et de création de 20 centres éducatifs fermés de deuxième génération reposent en partie sur la nécessité de diversifier et d'adapter les modalités de prise en charge des personnes détenues et des mineurs.

C'est un aspect fondamental de ces plans, qui n'a pourtant encore fait l'objet d'aucune évaluation. Certes, il est impossible d'évaluer ce qui n'a pas encore été livré - les structures InSERRE connaissent par exemple d'importants retards - mais il existe déjà des structures d'accompagnement vers la sortie (SAS) et des centres éducatifs fermés. Surtout, conduire une évaluation ne s'improvise pas, le travail préparatoire doit donc être anticipé par le ministère de la justice.

Le rapporteur regrette à cet égard que ce dernier n'ait pas mieux tenu compte des observations relevées dans le cadre de la contre-expertise menée sur le plan 15 000 et n'ait pas, dès le début du plan, entamé la mise en place des outils nécessaires à l'évaluation de ces nouvelles modalités de détention : « En outre, le caractère expérimental et novateur à bien des égards des nouveaux modes de prise en charge des personnes détenues mérite que l'on mesure leur impact, vraisemblablement pour les conforter, mais certainement aussi pour les amender. Bien consciente [...de] la nécessité de vérifier les effets du choix très intéressant de la diversification des types d'établissement, la [contre-expertise] propose que soit engagée une évaluation à mi-parcours en 2022 »56(*).

Il en va de même pour les centres éducatifs fermés de deuxième génération. Si le rapporteur en partage les grandes orientations, il en regrette le manque d'évaluation, à l'instar des membres de la mission d'information sur la délinquance des mineurs, qui recommandaient que l'ensemble des mesures éducatives proposées par la DPJJ fassent l'objet d'un programme d'évaluation57(*). Cette recommandation a d'ailleurs été reprise par la Cour des comptes, qui a récemment publié ses observations définitives sur les centres éducatifs fermés, en plaidant pour que le prochain plan de création de CEF soit mieux préparé, avec une évaluation des besoins et de l'offre existante58(*).

Le rapporteur avait également appelé, dans son rapport budgétaire sur la mission « Justice » lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2023, à ce qu'enfin soit disponible l'application permettant de suivre le parcours complet des mineurs pris en charge par la justice, quelles que soient les mesures de prise en charge et avec la possibilité pour le secteur associatif habilité (SAH) de pouvoir accéder à ces informations.

Alors que le ministère de la justice indique que l'application PARCOURS permet depuis deux ans le suivi des mineurs dans le secteur public comme dans le SAH, les personnels du SAH ne peuvent pas accéder à l'ensemble du dossier du mineur. L'outil PARCOURS fait partie des axes prioritaires du plan de transformation numérique (PTN) du ministère. Il devrait permettre, à l'issue de son déploiement, de pouvoir évaluer l'efficacité des mesures de placement et des peines prononcées sur la trajectoire des mineurs et leur réinsertion, ce qui est absolument essentiel et constitue un prérequis à tout nouveau programme immobilier sur le périmètre de la protection judiciaire de la jeunesse.

Recommandation n° 12 : finaliser l'outil de suivi du parcours des mineurs d'ici 2024, en le rendant accessible au secteur associatif habilité, et produire des évaluations sur la récidive et la réitération des mineurs pour mesurer l'efficacité des mesures de placement (ministère de la justice).

*

Loin de parvenir à anticiper la dynamique de la population carcérale et d'être en mesure d'atteindre les objectifs fixés en matière de lutte contre la surpopulation et d'encellulement individuel, les programmes immobiliers pénitentiaires successifs ont davantage couru après le temps et l'évolution du nombre de détenus.

Le rapporteur partage dès lors en conclusion le constat du comité des États généraux de la Justice, qui rappelait dans la synthèse de ses travaux qu'une « réponse fondée uniquement sur la détention par l'enchaînement de programmes de construction d'établissements pénitentiaires ne peut constituer une réponse adéquate »59(*).

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 18 octobre 2023 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a entendu une communication de M. Antoine Lefèvre, rapporteur spécial, sur les plans de construction de quinze mille places de détention supplémentaires et de vingt centres éducatifs fermés.

M. Claude Raynal, président. - Nous en venons à la communication de notre collègue Antoine Lefèvre sur les plans de construction de 15 000 places de détention supplémentaires et de 20 centres éducatifs fermés (CEF).

M. Antoine Lefèvre, rapporteur spécial. - Je commencerai la présentation de mes travaux de contrôle par une citation de Mme Dominique Simonnot, contrôleure générale des lieux de privation de liberté : « C'est triste à dire, mais surnage de ces constats le sentiment d'un abandon par l'État des captifs, mais aussi de ses fonctionnaires chargés de les garder ou des équipes qui les soignent, ou les accompagnent. » Ces mots résument un positionnement que j'ai toujours défendu devant vous : la surpopulation carcérale et la dégradation du parc immobilier pénitentiaire conduisent non seulement à des conditions indignes de détention, pour lesquelles la France est régulièrement condamnée, mais également à des conditions de travail très dégradées pour le personnel pénitentiaire.

En réponse à ces difficultés, la France s'est lancée depuis quarante ans dans une course contre le temps : les programmes immobiliers se sont succédé pour tenter de remédier à la surpopulation carcérale et pour proposer des modes de prise en charge plus adaptés aux profils des détenus. Le dernier plan en date, présenté par le Gouvernement le 11 septembre 2018, vise à créer 15 000 places de détention supplémentaires.

On pourrait bien entendu débattre du calendrier : alors que le candidat Macron avait laissé entendre que ces places seraient créées en cinq ans, le président Macron a précisé qu'une première tranche de 7 000 places serait livrée en 2022, suivie d'une seconde de 8 000 places en 2027. Soyons réalistes, aucun gouvernement n'aurait pu livrer 15 000 places en cinq ans compte tenu des difficultés que rencontre ce type de programme de grande ampleur.

Un mois plus tard, le Gouvernement, par l'intermédiaire de la garde des sceaux Nicole Belloubet, présentait un plan de création de 20 centres éducatifs fermés, dits « de deuxième génération ». Destinés à l'accueil de mineurs récidivistes ou réitérants, ces centres sont une alternative aux quartiers pour mineurs en établissement pénitentiaire ; ils offrent un accompagnement éducatif et médico psychologique renforcé et adapté à la personnalité des jeunes qui y sont placés. Les 20 nouveaux CEF devaient être livrés à compter de 2021 et à l'horizon de 2027.

L'année 2022 apparaît donc, pour ces deux programmes immobiliers, comme une année pivot. C'est la raison pour laquelle j'ai souhaité consacrer mes travaux de contrôle budgétaire à un bilan à mi-parcours du plan 15 000 et du plan CEF. Si l'ampleur de ces programmes avait de quoi nous rendre optimistes, leur exécution laisse un goût d'inachevé, avec d'importants écarts calendaires et budgétaires. De fait, la probabilité que 20 CEF et 15 000 places de détention soient créés d'ici à 2027 apparaît très faible.

Toutefois, il ne s'agit pas de distribuer les bons ou les mauvais points, mais de comprendre les raisons de ces écarts et, dans la mesure du possible, de proposer des pistes pour faire en sorte que ces deux plans s'achèvent correctement, sans revenir sur leurs objectifs initiaux. Il serait illusoire de croire que nous pouvons rattraper les dizaines de mois de retard accumulés sur certains projets ou économiser les centaines de millions d'euros de surcoût liés aux évolutions techniques des projets et aux aléas conjoncturels. À défaut de pouvoir faire plus, veillons à faire bien.

Le plan 15 000 comporte 50 opérations réparties en France métropolitaine et en outre-mer. Il doit conduire à la création de 15 856 places nettes exactement, pour un coût initialement estimé à 4,3 milliards d'euros. Quelque 1 700 places environ devraient être créées en maisons d'arrêt, c'est-à-dire dans le type d'établissement qui connaît les niveaux de surpopulation carcérale les plus importants. Le taux d'occupation de certaines maisons d'arrêt dépasse les 200 %, ce qui correspond à trois personnes pour des cellules d'une surface moyenne de 9 mètres carrés, avec un matelas au sol.

Toutefois, car c'était aussi bien là l'objectif du plan 15 000, une part importante des nouvelles places doit être créée dans des structures innovantes et plus adaptées aux profils des détenus, selon leur peine, leur profil et leur projet de réinsertion. Quelque 142 places devaient ainsi être livrées dans deux nouveaux quartiers de semi-liberté, 1 800 places dans 14 structures d'accompagnement vers la sortie (SAS) et 380 places dans 3 structures expérimentales de responsabilisation et de réinsertion par l'emploi, dans le cadre du projet dit « InSERRE ». J'ai moi-même eu l'occasion de visiter, au sein du centre pénitentiaire de Mulhouse-Lutterbach, le premier quartier de confiance de France, inspiré des modules de respect espagnols.

Le plan de création de 20 CEF de deuxième génération répondait, quant à lui, moins à une situation de saturation des capacités d'accueil - puisque le taux d'occupation moyen est de 60 % à 70 % sur les cinq dernières années - qu'à la volonté de rénover le cadre de cette modalité de prise en charge des mineurs. Le cahier des charges architectural a été entièrement révisé, avec un aménagement des chambres, la création de maisons familiales, davantage d'espaces collectifs et extérieurs, ainsi qu'une localisation plus proche des villes, donc des services publics tels que l'éducation, la santé, la culture ou encore le sport.

Le plan comprend la création de 20 établissements de 12 places, dont 5 relèvent du secteur public et 15 du secteur associatif habilité. L'investissement initial, estimé à 30 millions d'euros, a rapidement été réévalué à 76,5 millions d'euros.

Où en est-on dans la mise en oeuvre du plan 15 000 ? Au 1er juillet 2023, 14 projets et 2 771 places nettes ont été livrés, soit 2,5 fois moins que ce qui était prévu pour 2022. D'ailleurs, le Gouvernement ne parle plus, dans sa communication, de 7 000 places « livrées » en 2022, mais de 7 000 places dont les travaux sont « bien avancés ». J'ajoute que, sur ces 2 771 places, certaines correspondent à des travaux débutés bien avant l'annonce du plan 15 000. Les travaux sur les centres pénitentiaires des Baumettes 2 et de Papéari ont, par exemple, été lancés en 2013, et ceux de la rénovation de la maison d'arrêt de la Santé en 2006.

Premier constat, nous n'avons pas le nombre de places annoncées à mi-parcours. Les données obtenues montrent en outre qu'au fur et à mesure que l'on avance dans le temps, le calendrier de livraison des projets se décale. Ainsi, le calendrier révisé prévoit la livraison de 19 projets et de près de 9 115 places en 2027, alors qu'il était initialement prévu que 11 opérations s'achèvent en 2027, pour un peu plus de 5 900 places. On observe donc un net report vers 2027, ce qui ne laisse absolument plus aucune marge de manoeuvre pour achever le plan 15 000 dans le délai annoncé. Certains retards s'apparentent à de véritables dérapages : ainsi, la maison d'arrêt de Basse-Terre devrait être livrée avec sept ans de retard. Sur les 36 opérations restantes, 13 sont encore en phase d'études préalables.

En matière budgétaire, des écarts sont également à attendre. En effet, entre le dossier de presse du plan 15 000 et la détermination de l'enveloppe budgétaire votée par le Parlement, on observe une augmentation de près de 800 millions d'euros pour atteindre un budget total initial de 4,3 milliards d'euros. En juin 2022, la direction du budget a révisé cette évaluation à 5,4 milliards d'euros. Les données analysées dans mon rapport montrent que le coût prévisionnel révisé atteignait même 5,55 milliards d'euros en juin 2023. Si l'on suit un rythme de 200 millions d'euros supplémentaires chaque année, la barre des 6 milliards d'euros pourrait être largement dépassée d'ici à 2027. Le plus inquiétant est la révision des coûts des projets qui sont encore en phase d'études préalables. À titre d'exemple, l'estimation du budget alloué au futur centre pénitentiaire de Trélazé, près d'Angers, a été doublée. De fait, avant de créer plus de places d'ici à 2027, nous devons achever ce qui a été annoncé et le faire mieux.

S'agissant des centres éducatifs fermés, les constats sont similaires, même si les enjeux budgétaires sont moindres. Il y a eu une première révision du budget total alloué au projet, particulièrement sous-évalué à l'origine : de 30 millions d'euros, l'enveloppe est ainsi passée à 76,5 millions d'euros. Les données obtenues montrent que le coût prévisionnel du plan serait désormais plutôt de l'ordre de 110 millions d'euros, c'est-à-dire quasiment trois fois plus que le budget initialement prévu.

Pour les délais de livraison, la situation est, si j'ose dire, encore plus préoccupante. Au 1er juillet 2023, seulement 3 CEF sur les 20 prévus ont été livrés, et 3 autres sont en phase de projets.

Deux facteurs structurels et deux aléas conjoncturels expliquent cette situation.

La première difficulté a trait au pilotage du plan 15 000. Le Gouvernement a voulu aller vite et avancer avant d'avoir fiabilisé les cahiers des charges techniques et les coûts. Les opérations sont quant à elles placées sous l'égide de l'Agence publique pour l'immobilier de la justice (APIJ), qui doit composer avec les nombreuses modifications des spécifications techniques. La volonté de multiplier les modalités de prise en charge des détenus est louable et essentielle, mais elle se traduit en réalité par une absence de standardisation des constructions, même s'il existe des programmes-cadres. L'évolution constante des caractéristiques techniques des projets est la principale explication aux écarts calendaires et budgétaires constatés dans l'exécution du plan 15 000.

Il en va de même pour les CEF, les surcoûts s'expliquant principalement par la révision des critères de sécurisation des projets. Cela peut s'avérer nécessaire : ainsi, dans un centre que j'ai visité, les boutons de sécurité incendie qui permettent d'ouvrir toutes les portes étaient accessibles à toutes les personnes présentes, tout le temps, sans sécurisation.

À l'inverse, il ne faut pas non plus que l'APIJ, maître d'ouvrage, fasse preuve d'une trop grande rigueur dans ses programmes-cadres. La construction des centres pénitentiaires a parfois conduit à des aberrations, qui ne sont d'ailleurs pas imputables à l'agence et qu'il est impératif de corriger le plus en amont possible, pour éviter des travaux d'aménagement trop lourds et, partant, des coûts encore plus élevés.

J'ai pu en observer quelques exemples lors de mes déplacements aux centres pénitentiaires de Bordeaux-Gradignan et de Mulhouse-Lutterbach : une isolation par l'intérieur et non par l'extérieur, alors que les détenus peuvent se servir de l'isolation intérieure pour des caches de produits illicites ; l'absence de barreaux aux fenêtres des parloirs réservés aux avocats donnant directement sur le toit-terrasse du premier étage ; des châssis de fenêtres pouvant être démontés avec un coupe-ongles ; l'absence de filet de sécurité entre deux étages ou encore des boîtiers de sécurité de commande extérieure qui gèlent sous une certaine température et ne fonctionnent plus en cas de surchauffe. Certes, ces anecdotes peuvent prêter à sourire, mais pour les fenêtres, par exemple, la facture s'élève à 600 000 euros, un an et demi après la livraison du centre pénitentiaire.

Je recommande le modèle mis en place à Bordeaux, où une petite équipe de deux ou trois personnes, appartenant à l'administration pénitentiaire, se rend tous les jours sur le chantier pour observer ses avancées et signaler très en amont les défauts de conception qu'elles repèrent. Cela permet de réagir plus vite, donc de limiter les coûts. Ce modèle doit être reproduit et les professionnels davantage associés aux chantiers. S'il est parfaitement concevable que le maître d'oeuvre ne puisse pas avoir en tête l'ensemble des impératifs du monde pénitentiaire, il est en revanche inconcevable de se priver des connaissances de terrain de l'ensemble des personnels.

La deuxième difficulté structurelle porte sur la mise à disposition du foncier. La recherche de terrains est à la fois longue et complexe. En effet, au-delà de la disponibilité du foncier, il faut tenir compte de sa qualité dans le respect d'un cahier des charges exigeant : surface et topographie du terrain, proximité des réseaux de distribution, accessibilité, absence de surplomb, etc. Il ne s'agit pas, comme cela a pu être le cas, de proposer un terrain à proximité d'une décharge publique.

Pour l'un des projets de structure d'accompagnement vers la sortie, les travaux ont déjà pris trois ans de retard parce que la ville refuse de procéder aux travaux de voirie convenus avec l'administration pénitentiaire avant les élections de 2020. Pas moins de 5 projets de CEF se voient bloqués par manque de terrain disponible dans les villes qui devaient les accueillir.

Aux circonstances politiques et géographiques s'ajoutent les craintes des riverains. En effet, l'on peut nourrir des inquiétudes à l'idée d'avoir une prison à côté de chez soi. Toutefois, l'implantation d'un établissement pénitentiaire représente une population supplémentaire, un renforcement de la sécurité grâce à davantage de patrouilles de police, l'installation des personnels à proximité, l'inscription de leurs enfants à l'école, le développement d'emplois pour leurs conjoints, ainsi que des accords avec les entreprises et les commerces locaux. À titre d'exemple, à Mulhouse-Lutterbach, un contrat a été passé avec un bar-tabac de proximité, qui a désormais un chiffre d'affaires de 200 000 euros à 300 000 euros.

Ainsi, plutôt que de contraindre, il me semble qu'il faut convaincre les élus locaux et les populations locales, en évaluant les gains socioéconomiques des projets.

Quant aux deux aléas conjoncturels que sont l'inflation et la pénurie des matériaux en 2022, ils n'ont fait qu'accentuer les fragilités structurelles du plan 15 000 et du plan CEF. Toutefois, en dépit de mes demandes, je n'ai pas pu évaluer le surcoût lié à l'inflation. Il y a eu des révisions de prix dans les contrats et des indemnisations exceptionnelles octroyées à certains maîtres d'oeuvre. Je crois toutefois qu'il faut nous féliciter que ces deux aléas n'aient pas conduit à revoir à la baisse les ambitions de ces deux programmes immobiliers.

Au total, l'ensemble de ces facteurs tend à montrer qu'il faut mieux anticiper ces plans de grande ampleur. Le prochain ne devrait en effet pas tarder : alors que le plan 15 000 a été conçu pour accueillir une population de 75 000 détenus en 2027, ce niveau est quasiment atteint en 2023. À titre d'exemple, un an et demi après la livraison du centre de Mulhouse-Lutterbach, le taux d'occupation atteint déjà 131 % et il y a même eu un pic à 180 %, ce qui ne fait qu'accélérer la dégradation des bâtiments et nuire aux projets de réinsertion. En tant que parlementaires, nous devons également prendre conscience que la politique publique pénitentiaire ne peut pas se résumer à une politique immobilière.

Je conclurai comme j'ai commencé, en revenant sur la situation du personnel pénitentiaire, en particulier celle des surveillants. Les taux de vacance sur les postes demeurent élevés, autour de 10 %, tandis que de 20 % à 30 % des places offertes aux concours ne sont pas pourvues.

Je soutiens à cet égard les mesures de valorisation mises en place par le ministère de la justice, telles que l'octroi d'une prime de fidélisation, le passage de la catégorie C à la catégorie B des surveillants, ou encore le recrutement d'agents pénitentiaires sous le statut de contractuels pour soutenir le travail des surveillants. Une telle mesure est de nature à faciliter, au niveau local, le recrutement de profils qui n'auraient sans doute pas passé le concours autrement.

On ne peut pas envisager de continuer à créer des places de prison supplémentaires sans disposer du personnel adéquat et sans remédier au déficit d'attractivité des métiers de la pénitentiaire, qui permettent pourtant de belles progressions de carrière.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Votre rapport mentionne la volonté du ministère de la justice de privilégier l'implantation des centres de détention et des centres éducatifs fermés près des centres urbains. Dans mon département, j'ai visité un CEF que le ministère souhaiterait rapprocher de la ville alors qu'il n'en est éloigné que de quinze à vingt minutes en voiture. Trouvez-vous cela justifié ? Ne faudrait-il pas plutôt améliorer la desserte et prendre en compte des critères plus variés comme la possibilité de réemployer d'anciens bâtiments de qualité, par exemple ? On répondrait ainsi aux besoins d'accessibilité et de maîtrise des coûts.

M. Claude Raynal, président. - À vous entendre, rien ne change, on a toujours ces décalages entre les effets d'annonce et la réalisation. La construction des bâtiments publics, quels qu'ils soient, pose un problème. Il faudrait toujours multiplier le temps et les finances par deux. Le raisonnement est lassant.

Mme Nathalie Goulet. - Qu'en est-il du développement des quartiers de prise en charge des personnes radicalisées (QPR), annoncés depuis 2018 par le gouvernement d'Édouard Philippe ? Hormis le quartier de la prison des femmes, à Rennes, où se trouvent 29 femmes radicalisées, on a très peu parlé des autres structures, alors que l'actualité nous rappelle tristement qu'elles sont indispensables.

M. Dominique de Legge. - Nous sommes nombreux à dénoncer la tendance de l'État à vouloir se démembrer en créant des agences. L'APIJ en est un exemple, avec un taux de réalisation des objectifs n'atteignant pas 50 %. De quels moyens dispose réellement le ministère de la justice pour faire en sorte que les objectifs assignés à cette agence soient respectés ?

M. Pascal Savoldelli. - Vous concluez en disant que la politique pénitentiaire ne peut pas se résumer à une politique immobilière. La prison de Fresnes se trouve dans mon département et je ne souscris pas à l'avis de la Cour des comptes selon lequel la population carcérale évolue au même rythme que la création de places nettes dans les établissements pénitentiaires. L'approche quantitative est tout à fait inadéquate.

Il faudrait revoir la relation entre l'État et les collectivités territoriales sur cette question. En effet, les établissements carcéraux représentent un enjeu en matière d'immobilier, de foncier et d'urbanisme.

En outre, je veux attirer votre attention sur la standardisation des constructions, dont le rapport défend le principe et à laquelle il me semble que nous devons prendre garde. Par exemple, à la prison de Fresnes, je suis favorable au maintien d'une unité médicale de psychiatrie carcérale, et ce pour la sécurité de tous. Tout ne peut pas être standardisé.

Mme Christine Lavarde. - Il y a une vingtaine d'années, la construction des prisons se faisait dans le cadre de partenariats public-privé (PPP), ce qui devait favoriser une vision de long terme des dépenses d'investissement et de fonctionnement. Le coût unitaire de la place de prison en investissement me semble très élevé. Comment le ministère de la justice peut-il ensuite provisionner le fonctionnement ? Ces centres dégagent-ils des « recettes » grâce au travail des prisonniers ou par des missions d'intérêt général ? On risque de créer des charges considérables pour l'avenir.

M. Emmanuel Capus. - À Angers, nous attendons avec impatience la construction du centre pénitentiaire de Trélazé, même si j'ai bien compris que son coût avait doublé.

Vous indiquez dans votre rapport que le taux d'encellulement individuel est plus élevé dans les établissements pour peines que dans les maisons d'arrêt. Avez-vous le détail de ce qui sera construit ? En effet, la maison d'arrêt d'Angers doit être remplacée par un établissement pour peines. Dans la mesure où le taux d'occupation dans les maisons d'arrêt atteint 200 % d'occupation, dans quelle mesure est-ce raisonnable de les remplacer par des centres pour peines ?

M. Marc Laménie. - Les douze recommandations de ce rapport montrent que le dossier est sensible. On constate une explosion des coûts financiers ainsi qu'un problème d'attractivité et de foncier pour la localisation des centres pénitentiaires. Qu'en est-il des moyens humains et de l'attractivité des métiers de l'administration pénitentiaire, qui sont difficiles ? Comment améliorer la politique de recrutement ?

M. Christian Bilhac. - Merci à notre rapporteur spécial pour ce dossier complet, qui est aussi le dossier des échecs. Rien n'est respecté, ni les coûts ni les délais. C'est à se demander pourquoi le Parlement vote des mesures. Le rapporteur explique qu'on ne peut pas se limiter à une politique immobilière. En effet, l'emprisonnement, c'est l'échec.

Autrefois, la prison avait deux buts, à savoir punir et réinsérer. Désormais, au lieu de punir, elle donne un diplôme et c'est celui de l'école du crime. La surpopulation explique cette évolution. Mieux vaudrait sanctionner préalablement. Par exemple, on parle du refus d'obtempérer en voiture, mais rien n'est dit sur le refus d'obtempérer à mobylette ou à vélo. Si l'on veut que les individus changent, il faut les sanctionner au préalable, sans attendre le quinzième délit pour les envoyer en prison. Pourquoi ne pas développer les sanctions graduées et les travaux d'intérêt général, pour peu qu'ils soient surveillés par le personnel pénitentiaire, car les maires ne sont pas des spécialistes de la délinquance.

Les éducateurs spécialisés me disent qu'en rapprochant les CEF des centres urbains pour que ceux qui s'y trouvent soient plus proches de leur famille, on rapproche aussi les prisonniers de leurs copains de délinquance, ce qui ne favorise pas leur réinsertion.

J'ai connu des centres où il y avait entre 40 et 50 jeunes et autant d'encadrants. Cette force de l'encadrement a disparu. Je m'interroge sur la manière dont on réfléchit, au ministère, sans doute un peu trop loin du terrain.

M. Christopher Szczurek. - Nous sommes d'accord sur le constat : les agents qui constituent le personnel pénitentiaire souffrent en général de leurs difficultés de travail et sont en nombre trop faible. Toutefois, je reste sceptique sur le recrutement d'agents pénitentiaires contractuels. Dans ce type de filière, il ne peut pas y avoir deux niveaux d'agents. Le poste est tellement sensible qu'il faut renforcer la formation des titulaires. En outre, les milieux de sécurité sont assez facilement noyautés par des fondamentalistes.

Mme Marie-Carole Ciuntu. - Dans le Val-de-Marne, nous avons toujours milité pour que la prison de Fresnes ne reste pas dans l'état où elle se trouve. Le fiasco calendaire et financier tient sans doute aux choix initiaux qui ont été faits, donc à la relation instaurée entre l'État et les collectivités locales. Les 47 communes du département ont dit non au lieu choisi pour l'implantation d'un nouveau centre carcéral tout comme la région, le département et la métropole, et les élus ont finalement appris la décision du ministère par voie de presse. Comment s'étonner ensuite que tout prenne du temps ?

En outre, le foncier n'est pas forcément adapté. La garde des sceaux, lorsqu'elle s'était déplacée, au début du projet, a semblé découvrir l'absence de RER dans la ville où le centre de détention devait être construit, alors même que nous avions fait remonter l'information. Plus grave encore, même si l'on ne peut pas contester le phénomène de surpopulation carcérale et que l'on est favorable à la construction de nouveaux centres de détention, on ne peut pas effacer l'aspect environnemental. Or, la plupart du temps, on veut construire des prisons sur des terres agricoles.

À l'évidence, il ne peut y avoir que des résistances et une série d'obstacles à ce type de projet. L'absence de desserte, l'impossibilité de circuler, l'engagement d'un projet sur du foncier inadapté entraînent forcément un dérapage du calendrier et des conditions financières catastrophiques.

Gardons en tête qu'il y a pourtant plus de villes qui veulent des prisons que de prisons dont on envisage la construction. Il y a donc des endroits disponibles. Si nous ne tenons pas compte de cette donnée, le fiasco est annoncé.

M. Laurent Somon. - Lundi dernier, j'ai rencontré le directeur de la maison d'arrêt d'Amiens, qui est en surpopulation, puisque l'on y compte deux fois plus de personnes incarcérées que de places disponibles. Le côté immobilier pose manifestement problème. Le plan prévisionnel d'investissement, même s'il est retardé, est en cours de mise en oeuvre. Qu'en est-il de la gestion des ressources humaines ? Le directeur me précisait, en effet, qu'il existait un problème non seulement de recrutement, mais aussi de formation du personnel, dans la mesure où celle-ci a été réduite en temps.

M. Bruno Belin. - Quelles sont les modalités de prise en charge des places de prison pour les femmes enceintes et pour celles qui ont des enfants de moins de 18 mois ? Le financement est-il assuré par l'État, s'agissant du domaine régalien de la justice, ou cela relève-t-il du département, au titre de la protection de l'enfance ? Faut-il le rappeler, les conseils départementaux sont exsangues.

M. Jean-Marie Mizzon. - La mise en oeuvre de ce programme est un véritable fiasco et je me réjouis, au vu de tels dérapages, que l'État ne s'occupe plus de la construction des collèges et lycées. L'État communique trop et les réalisations dérapent partout. Nous l'avions déjà constaté au sujet de l'emploi des crédits du fonds Marianne, même si le montant était bien évidemment beaucoup plus modeste.

Dans les CEF, qui conjuguent enfermement et enseignement, le personnel relève de l'éducation nationale. Or cette institution a déjà du mal à recruter pour sa mission première. Comment envisage-t-elle l'emploi des enseignants dans les CEF ?

M. Antoine Lefèvre, rapporteur spécial. - Il me semble en effet que les CEF doivent être situés près des centres urbains. S'il s'agit de petites villes, il faut vérifier la présence d'infrastructures sanitaires et d'éducation. Rien ne sert de créer ce genre d'établissement dans de grandes métropoles, mais la proximité minimale d'un certain nombre de services s'impose.

Les quartiers de prise en charge des personnes radicalisées (QPR)  ont bien été mis en place. Quelque 49 millions d'euros ont été programmés depuis 2016. Ils ne sont pas saturés, puisque, au 1er juillet 2023, 37 places sur 60 sont occupées à Paris ; les 30 places disponibles à Marseille sont occupées ; à Lyon, 11 places sur 30 sont occupées et à Lille 13 places sur 30 sont occupées.

Je souscris au questionnement de notre collègue Dominique de Legge sur les agences. Toutefois, l'APIJ a plus de 20 ans d'expérience et a démontré sa capacité à conduire des projets de grande ampleur - la difficulté provient des commandes contradictoires qui lui sont adressées. Elle doit en revanche pouvoir davantage s'appuyer sur l'ensemble des personnels qui gèrent les établissements et une capacité d'audit doit être développée.

La relation de l'État avec les collectivités territoriales pose en effet problème. Certaines villes sont demandeuses de ce type d'établissement, mais l'État les impose à d'autres collectivités. Dans le Val-de-Marne, les problématiques de desserte n'ont pas été suffisamment prises en compte. Ce n'est pas en cabrant les élus que l'on parviendra à mener à bien des projets, mais en engageant un dialogue très en amont. Si l'on veut progresser sur le respect du calendrier, sans doute faudrait-il changer la méthode de concertation et de consultation pour l'implantation des établissements pénitentiaires.

En ce qui concerne la standardisation, je voulais simplement suggérer qu'elle était susceptible de faire gagner du temps dans la conception et la réalisation - c'est du moins ce qu'a montré le plan Chalandon. Néanmoins, les unités psychiatriques sont indispensables dans les établissements, et il faut en tenir compte. La standardisation ne signifie pas la disparition des quartiers adaptés aux profils des détenus.

Dans le plan 15 000, la mise en place des PPP a été complètement abandonnée, car l'on a constaté qu'ils avaient donné lieu à des surcoûts importants et à des difficultés dans la gestion des établissements.

Le plan 15 000 doit conduire à la création de 1 700 places en maisons d'arrêt, 2 500 places en structures d'insertion et 10 000 places en établissements pénitentiaires, qui comprennent au moins deux types de quartiers. Dans l'établissement que j'ai visité, à Mulhouse, on trouve un quartier pour les femmes, un quartier de détention, deux quartiers de maisons d'arrêt, un quartier d'insertion pour les jeunes et un quartier expérimental de confiance.

La prison est faite non seulement pour punir et réinsérer, mais aussi pour protéger les victimes. Pas moins de 40 000 téléphones portables sont saisis chaque année dans les cellules, qui permettent aux prisonniers de continuer de harceler leurs victimes.

J'ai visité le CEF d'Épernay, situé en centre-ville, qui a été réaménagé et qui est géré par le secteur associatif habilité, grâce à un engagement de grande qualité de la part des éducateurs. Une jeune femme a fait une demande pour y séjourner plus longtemps afin de pouvoir terminer son parcours de formation sans être gênée par un environnement familial toxique. Cela témoigne d'une prise en charge importante qui contribue efficacement à la réinsertion de certains jeunes.

Le recours aux contractuels devient une nécessité. Ils ne pourront intervenir qu'en complément et en soutien des surveillants et il faut bien entendu assurer leur formation. Certaines personnes qui travaillent déjà dans le domaine de la sécurité peuvent être intéressées par les métiers de l'administration pénitentiaire. Dans les prochaines années, nous risquons d'être confrontés à de grandes difficultés pour recruter. Les campagnes de communication ne suffiront pas. Le garde des sceaux a octroyé aux surveillants pénitentiaires d'accéder à la catégorie B. Il faut continuer de travailler sur le statut des agents.

Je renvoie à la lecture de mon rapport d'information sur l'École nationale d'administration pénitentiaire (ENAP). En effet, celle-ci a été remaniée en deux formations, dont une en stage pratique dans les établissements, pour absorber le volume important de surveillants pénitentiaires à former. Nous avons besoin d'agents en nombre suffisant pour faire fonctionner les nouveaux établissements qui verront le jour.

J'ai visité les établissements dont vous parlez, monsieur Belin. Par définition, la prison est gérée par l'État, qui doit organiser sa relation financière avec les départements pour soulager ces derniers.

Certes, il y a un fiasco ou du moins un dérapage. Plutôt que de communiquer, il faut des résultats. Je souhaite que ce rapport serve à interpeller le garde des sceaux sur ce sujet qu'il connaît bien.

M. Claude Raynal, président. - Nous remercions le rapporteur spécial pour son travail

La commission a adopté les recommandations du rapporteur spécial et autorisé la publication de sa communication sous la forme d'un rapport d'information.

LISTE DES DÉPLACEMENTS

Déplacement au centre éducatif fermé d'Épernay

- Mme Inès AMRI-AYARI, directrice du centre ;

- M. Philippe COLAUTTI, directeur général de la Sauvegarde 51.

Déplacement au centre pénitentiaire de Bordeaux-Gradignan

- M. Guillaume GOUJOT, directeur interrégional adjoint des services pénitentiaires Sud-Ouest - Bordeaux ;

- Mme Aurélie JAMMES, directrice adjointe du centre pénitentiaire.

Déplacement au centre pénitentiaire de Mulhouse-Lutterbach

- M. Renaud SEVEYRAS, directeur interrégional des services pénitentiaires Grand-Est - Strasbourg ;

- Mme Laure HACCOUN, directrice adjointe du centre pénitentiaire.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Direction du budget

- M. Jean-Marc OLÉRON, sous-directeur de la 8e sous-direction en charge de la justice ;

- Mme Louise MESNARD, cheffe du bureau de la Justice et des Médias ;

- M. Bao NGUYEN-HUY, adjoint de M. Jean-Marc OLERON ;

- M. Pierre TAMBRUN, adjoint de Mme Louise MESNARD.

Secrétariat général du ministère de la Justice

- Mme Carine CHEVRIER, secrétaire générale ;

- M. Philippe MONNOT, chef du service de l'immobilier ministériel ;

- M. Jean-Yves HERMOSO, chef du service des finances et des achats.

Direction de l'administration pénitentiaire

- M. Laurent RIDEL, directeur ;

- M. Pierre AZZOPARDI, chef du service métier.

Direction de la protection judiciaire de la jeunesse

- Mme Caroline NISAND, directrice ;

- M. Ludovic FOURCROY, sous-directeur du pilotage et de l'optimisation des moyens au sein de la direction.

Direction de l'immobilier de l'État

- M. Alain RESPLANDY-BERNARD, directeur.

Agence publique pour l'immobilier de la justice (APIJ)

- M. David BARJON, directeur général ;

- M. Guilhem BLANCHARD, directeur adjoint au directeur général.

Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGPL)

- Mme Dominique SIMONNOT, contrôleure générale des lieux de privation de liberté.

Cour d'appel de Bordeaux

- Mme Isabelle GORCE, première présidente de la cour d'appel de Bordeaux et présidente, dans le cadre des États généraux de la Justice, du groupe de travail sur la justice pénitentiaire et la réinsertion.

Union syndicale des magistrats (USM)

- Mme Alexandra VAILLANT, secrétaire générale ;

- Mme Stéphanie CAPRIN, secrétaire nationale.

Syndicat de la magistrature

- Mme Nelly BERTRAND, secrétaire générale ;

- Mme Samra LAMBERT, secrétaire permanente.

Table ronde des syndicats représentants de l'administration pénitentiaire

FO Justice

- Mme Valérie VAISSIE, membre élue de la commission exécutive, capitaine et affectée à la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis ;

- M. Yoan KARAR, secrétaire général adjoint, brigadier et affecté au centre pénitentiaire Paris la Santé.

UFAP-UNSa Justice

- M. Luciano DUCCESCHI, secrétaire général adjoint et capitaine au centre de détention d'Oermingen ;

- M. Thomas JACQUOT, surveillant au pôle de rattachement des extractions judiciaires de Béziers.

CGT Pénitentiaire

- M. Damien TRIPENNE, membre du bureau directeur.

Syndicat Pénitentiaire des Surveillants (SPS)

- M. Joseph PAOLI, secrétaire général national adjoint, surveillant brigadier à la maison centrale de Saint-Martin-de-Ré ;

- M. Philippe KUHN, secrétaire général national adjoint, surveillant brigadier à la maison d'arrêt de Villepinte.

Table ronde des fédérations associatives sur le plan de construction de nouveaux centres d'éducation fermés (CEF)

Union nationale interfédérale des oeuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux (Uniopss)

- M. Jérôme VOITURIER, directeur général ;

- Mme Alexandra ANDRES, conseillère technique Enfances Familles Jeunesses.

Convention nationale des associations de protection de l'enfant (CNAPE)

- Mme Audrey HANNE, conseillère Justice pénale des mineurs ;

- M. Philippe COLAUTTI, directeur général de la sauvegarde de la Marne.

Fédération nationale des associations socio-judiciaires Citoyens & Justice

- M. Stéphane LANDREAU, directeur général ;

- Mme Sophie DIEHL, responsable du pôle Justice des enfants et des adolescents.


* 1 Conseil de l'Europe, juin 2023. Le taux de densité carcérale correspond au nombre de détenus pour 100 places de détention.

* 2 Article 190 de la loi n° 2022-1726 du 30 décembre 2022 de finances pour 2023.

* 3 La liste détaillée des 50 projets, avec le nombre de places, le calendrier prévisionnel et le coût prévisionnel (initial et révisé) est reprise dans le rapport d'information.

* 4 Conseil de l'Europe, Statistiques pénales annuelles du Conseil de l'Europe (SPACE).

* 5 Éléments transmis par le ministère de la justice et repris dans le rapport de la Cour des comptes, «  Une surpopulation carcérale persistante, une politique d'exécution des peines en question » (octobre 2023).

* 6 Selon les statistiques pénales annuelles du Conseil de l'Europe.

* 7 Un centre pénitentiaire peut regrouper plusieurs quartiers caractérisés par des régimes de détention différents : quartier centre de détention, quartier maison d'arrêt, quartier mineur, quartier femmes, etc.

* 8 D'après les données transmises dans le projet annuel de performances de la mission « Justice », s'agissant des cibles de l'indicateur de performance 2.1 « Taux d'occupation des établissements pénitentiaires » du programme 107 « Administration pénitentiaire ».

* 9 Article 190 de la loi n° 2022-1726 du 30 décembre 2022 de finances pour 2023.

* 10 D'après les données transmises au rapporteur.

* 11 Ces crédits sont ouverts sur le programme 107 « Administration pénitentiaire » de la mission « Justice ».

* 12 Programme immobilier lancé par le ministre de la justice Albin Chalandon en 1986.

* 13 D'après les données transmises au rapporteur par le ministère de la justice ainsi que les rapports de la Cour des comptes sur la politique immobilière de la justice (décembre 2017) et sur la surpopulation carcérale (octobre 2023).

* 14 Ce programme avait également pour objectif de confier une partie de la gestion des établissements pénitentiaires à des prestataires privés, concernant par exemple la restauration, la blanchisserie, la maintenance de l'établissement ou la formation des détenus.

* 15 Loi n° 2002-1138 du 9 septembre 2002 d'orientation et de programmation pour la justice.

* 16 Cour des comptes, «  Une surpopulation carcérale persistante, une politique d'exécution des peines en question », octobre 2023.

* 17 Comité des États généraux de la justice, rapport du groupe de travail sur la justice pénitentiaire et de réinsertion, avril 2022.

* 18 Il ne s'agit ici pas de se prononcer sur cette forme de prise en charge mais sur l'exécution du plan immobilier. Concernant les interrogations sur l'opportunité de développer des CEF de deuxième génération, parmi d'autres modes de prise en charge, le lecteur est invité à se reporter au rapport d'information n° 885 (2021-2022) de la mission conjointe d'information de la commission des lois et de la commission de la culture du Sénat sur la prévention de la délinquance des mineurs (septembre 2022).

* 19 Espace d'accueil temporaire à l'intérieur du centre éducatif fermé et destiné à accueillir les familles du mineur placé dans le centre.

* 20 Loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.

* 21 Contrôleur général des lieux de privation de liberté, Rapport d'activité 2022, 23 juin 2023.

* 22 Rapport n° 449 (1999-2000) de M. Guy-Pierre Cabanel, rapporteur de la commission d'enquête, «  Prisons : une humiliation pour la République », juin 2000.

* 23 Contrôleur général des lieux de privation de liberté, op. cit.

* 24 Secrétariat général pour l'investissement, Avis sur la procédure de contre-expertise du dossier d'évaluation socio-économique du programme immobilier pénitentiaire 15 000 places, 14 octobre 2019.

* 25 D'après les données transmises en réponse au questionnaire budgétaire du rapporteur spécial.

* 26 Agence publique pour l'immobilier de la justice, rapport d'activité pour l'année 2022, août 2023.

* 27 Livre blanc sur l'immobilier pénitentiaire remis à Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice, par Jean-René Lecerf, président de la commission du livre blanc, 4 avril 2017.

* 28 En décomptant les 573 places fermées.

* 29 Les informations dans les documents budgétaires ne permettent pas de disposer du calendrier actualisé de l'ensemble des projets mais seulement de ceux dont le passage en phase opérationnelle a été validé ou de ceux qui ont fait l'objet d'une commande ferme de réalisation, avec fixation d'un coût final estimé.

* 30 Données transmises dans le projet annuel de performances de la mission « Justice », annexé au projet de loi de finances pour 2024.

* 31 Secrétariat général pour l'investissement, op. cit.

* 32 Ces projets correspondent, dans le tableau de présentation du plan de construction, à la mention « pas de date ».

* 33 Ministère de la justice, dossier de presse «  Création de 20 centres éducatifs fermés », septembre 2018.

* 34 Secrétariat général pour l'investissement, op. cit.

* 35 Selon l'expression employée dans le cadre de la contre-expertise du plan 15 000, reprise dans l'avis précité du secrétariat général pour l'investissement.

* 36 Audition d'Éric Dupond-Moretti, ministre de la justice, par la commission des finances de l'Assemblée nationale (25 mai 2023).

* 37 Circulaire n° 6374/SG du 29 septembre 2022 relative à l'exécution des contrats de la commande publique dans le contexte actuel de hausse des prix de certaines matières premières et abrogeant la circulaire n° 6338-SG du 30 mars 2022.

* 38 Codifiée au 3° de l'article L. 6 du code de la commande publique prévoit, en cas de survenance d'un « événement extérieur aux parties, imprévisibles et bouleversant temporairement l'équilibre du contrat », que le cocontractant qui en poursuit l'exécution a droit à une indemnité.

* 39 Il a également été recouru à la théorie de l'imprévision pour certains des contrats contenant des clauses de révision de prix, ce droit s'appliquant lorsque l'économie du contrat est bouleversée, au-delà des mécanismes correctifs insérés dans le contrat.

* 40 D'après les données transmises dans le projet annuel de performances annexé au projet de loi de finances pour 2024 de la mission « Justice », s'agissant des cibles de l'indicateur de performance 2.1 « Taux d'occupation et de prescription des établissements » du programme 182 « Protection judiciaire de la jeunesse ».

* 41 Une marche à blanc est organisée par l'administration pénitentiaire après la livraison de l'établissement mais avant sa mise en opération. Les personnels de l'administration pénitentiaire testent les locaux avant l'arrivée des détenus.

* 42 Rapport d'information n° 569 (2021-2022), «  L'ENAP, une école pour consolider l'avenir de l'administration pénitentiaire », fait par M. Antoine Lefèvre au nom de la commission des finances, 9 mars 2022.

* 43 Livre blanc sur l'immobilier pénitentiaire, op. cit.

* 44 Arrêté du 26 mai 2020 autorisant l'ouverture au titre de l'année 2020 de concours pour le recrutement de surveillantes et de surveillants de l'administration pénitentiaire.

* 45 Ces données proviennent des observations définitives de la Cour des comptes sur l'École nationale d'administration pénitentiaire (juillet 2023).

* 46 Le passage du premier au troisième grade s'effectuerait en neuf ans en catégorie B, contre treize ans en catégorie C.

* 47 Statut prévu et formalisé par l'article 14 du projet de loi d'orientation et programmation du ministère de la justice 2023-2027.

* 48 École nationale d'administration pénitentiaire, «  Observatoire de la formation, 215e promotion », avril 2023.

* 49 Contrôleur général des lieux de privation de liberté, Rapport d'activité 2022, 23 juin 2023.

* 50 Comité des États généraux de la Justice, «  Rendre justice aux citoyens », avril 2022.

* 51 Livre blanc sur l'immobilier pénitentiaire, op. cit.

* 52 Le titulaire du marché avait décidé de ne pas approvisionner le centre, estimant qu'il vendait à pertes au regard des conditions de marché.

* 53 Selon les données présentées dans le projet annuel de performances de la mission « Justice » annexé au projet de loi de finances pour 2024, la consommation d'énergie finale rapportée s'élèverait, sur le périmètre du parc immobilier concerné, à 170 kWh par mètre carré de surface utile brute.

* 54 Les fonctions pouvant être déléguées, dans le cadre de marchés publics « multi-techniques et mult-services » sont les fonctions d'intendance et de logistique telles que la restauration, l'hôtellerie, la cantine, le transport, la maintenance, le nettoyage, l'accueil des familles ou encore le travail en détention.

* 55 Livre blanc sur l'immobilier pénitentiaire, op. cit.

* 56 Secrétariat général pour l'investissement, op. cit.

* 57 Rapport d'information n° 885 (2021-2022), «  Prévenir la délinquance des mineurs - Éviter la récidive », de Mme Céline BOULAY-ESPÉRONNIER, M. Bernard FIALAIRE, Mmes Laurence HARRIBEY et Muriel JOURDA, fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication et de la commission des lois, déposé le 21 septembre 2022

* 58 Cour des comptes, Observations définitives, «  Les centres éducatifs fermés et les établissements pénitentiaires pour mineurs », juillet 2023.

* 59 Comité des États généraux de la Justice, «  Rendre justice aux citoyens », avril 2022.

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