1.3 La détermination de l'exposition ajoutée laisse la porte ouverte à de vives polémiques

La CRII-RAD a conduit de janvier à septembre 1993 une Étude radioécologique sur la division minière de La Crouzille, à la demande du Conseil général de la Haute Vienne et du Conseil régional du Limousin. L'examen du volumineux rapport rédigé par l'association montre à quel point la notion de « niveau naturel » reste insaisissable. Dans le deuxième volume, par exemple, le chapitre consacré à la contamination par voie atmosphérique traite en particulier du radon. Une campagne de mesures a été effectuée sur et autour du site SIMO, à Bessines. La CRII-RAD a pratiqué des mesures (concentrations en radon, mesures de l'énergie a potentielle) dans des couronnes concentriques centrées sur le site SIMO. Se fondant sur l'analyse de documents émanant de COGEMA, elle met en évidence le fait que "les valeurs utilisées par l'exploitant pour définir les expositions naturelles sont obtenues à partir des mesures effectuées sur deux sites : Rilhac-Rancon et Malabard :"

"- Rilhac-Rancon est situé au sud des monts d'Ambazac, à 26 km au sud de Bessines et à l'extérieur de la division minière de la Crouzille !"

" - Malabard est situé entre les sites de Razès et Montmassacrot, à 1,5 km à l'est du site de Chanteloube !"

" [...] Cette méthode d'évaluation n'a aucun fondement scientifique. On ne peut considérer ces deux stations comme des références représentatives des niveaux de radon mesurables sur le site de Bessines et ses environs avant l'exploitation. Ce procédé n'est d'ailleurs pas réservé au seul site de Bessines : les stations de Rilhac-Rancon et Malabard sont polyvalentes : elles servent à mesurer l'impact de TOUS LES SITES DE LA DIVISION : site de Bessines, Bellezane, Montmassacrot, Puy de l'Âge, mais aussi de Montulat, tout au nord, de Margnac, Fanay et Henriette tout au sud. [...] "

"Si l'on examine les résultats des analyses officielles, on constate en outre que la station de Rilhac-Rancon donne des niveaux d'exposition aux descendants du radon particulièrement élevés. Pour 1991, la valeur est de 129 nJ.m -3 . Aucune des mesures effectuées sur les sites eux-mêmes (Bellezane : carreau ; Chatenet Moussant ; LPP Razès ; Montmassacrot) n'atteint ce résultat. Le maximum, mesuré sur le carreau de Bellezane est de 108 nJ.m -3 ."

"Quant aux mesures effectuées dans l'environnement proche des sites, sur 14 résultats, 4 seulement sont supérieurs aux 129 nJ.m -3 de Rilhac. Cette valeur se trouv e en outre :"

- 2,9 fois plus élevée que celle mesurée à Bellezane village ;"

- 2 fois plus élevée que celle mesurée à Fanay ;"

- 2,7 fois plus élevée que celle mesurée à La Croix du Breuil ;"

- 2,5 fois plus élevée que celle mesurée à La Traverse, etc."

"On va donc soustraire aux concentrations mesurées dans l'environnement proche des sites une valeur qui leur est supérieure. L'impact devient ainsi négatif et on pourrait en conclure que les activités minières décontaminent ! En utilisant un point chaud pour déterminer le bruit de fond de référence, l'exploitant se met en situation de minimiser. voire d'effacer, l'impact de ses installations. "

Il ne m'appartient pas de juger des intentions de l'exploitant ni de la pertinence de ses actions. Je remarque cependant que l'exploitant est manifestement soucieux d'équilibrer points chauds et points froids, puisque la seconde station de mesure en « milieu naturel » donne une valeur moyenne sur l'année 1991 de 45 nJ.m -3 , valeur minimale pour l'ensemble des stations fonctionnant cette année là (à égalité avec la valeur relevée à Bellezane village). Je remarque aussi que l'interprétation du tableau commenté par la CRII-RAD est particulièrement difficile : si l'association note fort justement que toutes les valeurs mesurées sur les 4 sites recensés dans le tableau sont inférieures à celle de la station de Rilhac, on y voit également que certaines stations « environnement proche des sites » donnent pour leur part des valeurs supérieures (Bachellerie : 170 ; Bessines : 133 ; Margnac : 169 ; Villard : 158). Enfin, en moyenne, les stations « environnement proche » exposent à une énergie a potentielle de 92 nJ.m -3 contre 78 nJ.m -3 en moyenne sur les quatre sites eux-mêmes.

La publication du rapport de la CRII-RAD a attiré sur COGEMA les foudres des associations locales. COGEMA a été contrainte de retirer de son réseau la station de Rilhac à partir du 1 er trimestre 1994. La polémique est donc close, sur ce point particulier.

Je ne peux m'empêcher cependant de ressentir une certaine gêne. Je conçois parfaitement les problèmes que peut poser le choix - nécessairement arbitraire, dans une large mesure - d'une référence pour le niveau naturel d'exposition. Je m'interroge pourtant sur la pertinence réelle du choix initial de COGEMA. J'ai en effet en mémoire une expression, plusieurs fois répétée, employée par Y. COUPIN, directeur de la Branche Uranium, ou J.P. PFIFFELMANN, chef du Service Environnement des Sites miniers : la station incriminée, m'ont-ils dit, était située sur une "anomalie radon". Le mot "anomalie" a-t-il dépassé leur pensée ? Si ce n'était pas le cas, je trouverais fort regrettable qu'une station de référence ait été établie en toute connaissance de cause sur une "anomalie". Cela me paraîtrait contraire au B-A-BA de la mesure... et de l'honnêteté.

Au demeurant les difficultés d'interprétation ne vont pas toujours dans le même sens. La CRII-RAD et la COGEMA ont conduit conjointement une campagne de mesures sur le site de l'Écarpière (Loire Atlantique), destinée à donner une évaluation de l'impact du site sur l'environnement. Un rapport de synthèse établit par J.P. MANIN, ingénieur de l'IN 2 P 3 , montre que la mesure du niveau naturel de radioactivité par la CRII-RAD est supérieure à celle déterminée par COGEMA. En conséquence, la CRII-RAD a estimé, au vu de cette campagne de mesures, un impact du site inférieur à celui évalué par COGEMA.

Les difficultés rencontrées dans le choix des stations de mesure « niveau naturem » (pour les différentes voies d'exposition) peuvent également s'étendre au choix des autres stations : dans quelle mesure sont-elles représentatives de l'impact du site ?

En tout état de cause, il semble que l'ensemble des principaux acteurs souhaitent trouver un moyen de sortir de l'impasse. Cette volonté est apparue avec force lors de l'audition du 16 novembre 1995. La COGEMA, par la voix de J.P. PFIFFELMANN, demandait que des réflexions soient engagées dans plusieurs directions, dont "la métrologie et la méthodologie d'analyse, pour que tout le monde parle de la même chose quand on compare des résultats", ainsi que "la représentativité des mesures. " La CRII-RAD réclame elle aussi la mise au point d'une méthode précise pour évaluer l'impact sanitaire, comme l'impose la réglementation.

Cette exigence est d'autant plus grande que, dans la perspective des réaménagements des sites en fin d'exploitation, la nécessaire prise en compte - même avec une légère anticipation - des recommandations de la CIPR 60 impose d'affiner la méthodologie d'analyse et d'évaluation. Il semble au demeurant que l'on ne doive pas nourrir de trop vives inquiétudes pour les programmes de réaménagement des sites, au moins à moyen terme.

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