B. RENFORCER LE RÔLE DES REGIONS

En 1993, notre collègue M. Hubert Haenel, dans le cadre de la commission d'enquête du Sénat sur la SNCF, avait proposé le transfert aux régions de la responsabilité du transport ferroviaire régional. Cette idée s'est progressivement imposée et a été reprise dans la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire du 4 février 1995, dont l'article 67 précise :

« Afin d'assurer la mise en oeuvre de la politique nationale d'aménagement et de développement du territoire, une loi définira, après une phase d'expérimentation qui débutera un an au plus tard après l'adoption de la présente loi, les modalités d'organisation et de financement des transports collectifs d'intérêt régional et les conditions dans lesquelles ces tâches seront attribuées aux régions, dans le respect de l'égalité des charges imposées au citoyen ainsi que de l'égalité des aides apportées par l'Etat aux régions ».

Le projet d'expérimentation a fait l'objet d'un protocole d'accord conclu en avril 1995 entre la SNCF et neuf régions : Alsace, Aquitaine, Basse-Normandie, Centre, Midi-Pyrénées, Nord-Pas-de-Calais, Provence-Alpes-Côte d'Azur, Pays de la Loire et Rhône-Alpes.

Dans ce cadre, les régions auraient la responsabilité de la consistance des dessertes, de la qualité du service offert, des tarifs pratiqués.

Un tel transfert de compétences présente l'avantage considérable de rapprocher la décision de l'usager et de contribuer à la clarification des responsabilités qui constitue la première condition de survie de la SNCF. Les régions sont mieux à même que l'Etat d'apprécier les besoins, les demandes de la population, les moyens adéquats d'assurer le service public du transport.

Naturellement, un tel transfert de compétences implique que les régions soient dotées des moyens nécessaires à la prise en charge de ces services. C'est pourquoi la méthode de l'expérimentation réversible est la seule possible, les régions devant être convaincues qu'il ne s'agit pas en fait d'un simple transfert de charges. Un audit commandé par l'Etat, la SNCF et l'ANER (Association nationale des élus régionaux) a abouti à la conclusion que l'actuelle contribution de 4 milliards de francs versée par l'Etat pour le transport régional devrait être augmentée de 1,9 milliard de francs dans le cadre du transfert de compétences.

Par ailleurs, ce transfert de responsabilités ne peut être envisagé que dans le cadre d'une réflexion globale et en mettant en oeuvre la clarification appelée de ses voeux par votre rapporteur. Peut-on attendre en effet des conseils régionaux qu'ils prennent des décisions parfois douloureuses si l'Etat de son côté ne donne pas un signal politique fort et ne définit pas un cadre pour l'avenir ?

En ce qui concerne la consistance du réseau, le transfert de compétences aux régions peut être positif. Jusqu'à présent, les décisions de fermeture de lignes -rares au demeurant- se faisaient dans la confusion, sans que les usagers sachent d'où venait la décision. Dans le cadre régional, la situation des lignes déficitaires pourra être examinée de manière complète, en prenant en compte les points de vue de tous les intéressés. Des débats au niveau local peuvent être organisés afin de déterminer si une ligne est d'intérêt public, si le rail est le moyen le plus pertinent pour assurer cette liaison. Il est probable qu'on aboutira à une diversification des solutions retenues susceptible de limiter le déficit d'exploitation de certaines lignes.

Actuellement, certaines lignes d'intérêt régional nécessitent des subventions publiques manifestement disproportionnées par rapport à l'intérêt de la liaison : la ligne Saint-Claude-Oyonnax nécessite un financement public de 495 F par voyageur pour 33 km ; la ligne Bayonne-Saint-Jean de Pied-de-Port un financement de 365 F par voyageur pour 50 km...

Il faudra évidemment supprimer un certain nombre de lignes et il est préférable de le faire rapidement afin que la SNCF puisse se concentrer sur les secteurs porteurs d'avenir.

Dans de nombreux cas, la mise en place de liaisons par autocar, voire par taxi collectif pourrait suffire sans que l'usager pâtisse de cette évolution. De telles transformations ont d'ores et déjà été assurées sur certaines lignes, comme le montrent les exemples suivants:

Entre Aurillac et Bort-les-Orgues, la ligne SNCF a été fermée en juillet 1994 et remplacée par une desserte routière avec le même nombre de points d'arrêts. La fréquentation s'est accrue de 25 % par an et l'économie réalisée (9,6 millions de francs) a profité à la région ;

Entre Millau et Montpellier, la ligne SNCF a été remplacée en septembre 1994, par deux allers-retours par jour en car. Le temps de parcours a été réduit de 2 H 40 à 1 H 35 ; la fréquentation s'est fortement accrue et le coût de la desserte est passé de 10 millions de francs par an à 1,5 million de francs.

Ces fermetures de lignes sont toujours difficiles, dans la mesure où existe la crainte d'une disparition à terme du service public lui-même. C'est pourquoi des débats devront avoir lieu directement avec les usagers fréquentant une ligne menacée afin qu'il soit clairement expliqué qu'un éventuel transfert sur route n'est pas le préalable à la disparition totale du service.

Cependant, ce transfert sur route peut parfois être évité sur des lignes régionales déficitaires. Beaucoup d'organisations syndicales font remarquer qu'en diminuant l'offre ferroviaire, on est évidemment assuré que la demande n'augmentera pas ! C'est pourquoi dans certains cas, une réflexion sur la redéfinition de l'offre, la modification des horaires, l'évolution des conditions d'exploitation peut permettre le maintien de certaines lignes apparaissant condamnées. L'expérience de l'entreprise CFTA (Chemins de fer et transports automobiles) montre que ce type de solution est parfois opérant.

L'expérience de CFTA

En 1990, le Conseil régional de Bretagne a décidé avec la SNCF de faire acquérir par CFTA trois autorails d'un type nouveau spécialement conçus pour une exploitation peu coûteuse. Ces autorails ont été utilisés sur les lignes Carhaix-Guingamp et Guingamp-Paimpol. Le trafic avait considérablement diminué sur cette ligne avant la mise en oeuvre de cette expérience, passant de 151.568 voyageurs en 1985 à 107.884 en 1990. A partir de cette date, ce trafic a de nouveau régulièrement augmenté pour atteindre 142.500 voyageurs en 1995.

Ce résultat a été obtenu grâce à un renforcement de l'offre de service, une adaptation des horaires, une utilisation intensive du matériel et une importante réduction des coûts d'exploitation (notamment grâce à la présence d'un conducteur-receveur sans agent d'accompagnement, à une consommation de carburant réduite, à un coût de maintenance abaissé).

Naturellement, ces résultats doivent être observés avec prudence dans la mesure où l'entreprise CFTA n'assume pas les coûts liés à l'infrastructure. Il faut néanmoins souligner que les dépenses d'exploitation sont passées de 10,3 millions de francs en 1989 à 8,7 millions de francs en 1993, soit une diminution de 16 %.

CFTA, qui est une filiale de la CGEA (Compagnie générale Entreprises automobiles) exploite d'autres lignes pour la SNCF, mais également pour le compte de collectivités locales (ligne Nice-Digne des Chemins de Fer de la Provence et Chemin de Fer de La Rhune dans les Pyrénées-Atlantiques). Cette entreprise exerce également des activités de transport de frêt pour le compte de la SNCF et gère également les installations ferroviaires d'entreprises industrielles raccordées au rail.

Dans certains cas, le maintien d'une desserte ferroviaire est donc possible, à condition d'adapter l'offre, de faire preuve de flexibilité et de dynamisme. La SNCF peut-elle, avec son mode de fonctionnement et ses structures actuels, mettre en oeuvre de telles actions de redynamisation de l'offre ? Dans un récent entretien, M. Le Floch-Prigent, nouveau président de la SNCF a estimé que ce type de solution devait être étudiée avant d'envisager la fermeture d'une ligne :

« Nous avons une mission générale qui me paraît être celle du transport de beaucoup de gens pour assurer les grandes migrations. Si une ligne ne va pas bien, dans une zone où il y a des migrations, on doit augmenter l'offre, la rendre dynamique, puis voir si la demande est là. S'il apparaît qu'il y a de moins en moins de gens sur la ligne et qu'il n'y a rien à faire, il faut que, lucidement, au niveau de la région ou du département, on se pose la question de ce qu'on va faire avec cette ligne. Cela ne veut pas dire la fin de la ligne. Mais il faut réfléchir sur l'usage que l'on peut en faire. Y-a-t-il un usage alternatif en voie dédiée de fret ? Y-a-t-il du tourisme à assurer sur cette voie ? Y-a-t-il un désenclavement à assurer autour de cette ligne ? Le train n'est pas adapté pour faire du transport individuel. » (8 ( * )) .

* (8) Les Echos, 25 mars 1996.

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