TROISIÈME PARTIE :
FONDER LA POLITIQUE ÉTRANGÈRE COMMUNE
SUR DE NOUVELLES BASES

Les instruments prévus par le traité pour mettre en place une politique étrangère commune ont révélé des faiblesses. Aussi votre rapporteur s'attachera-t-il maintenant à avancer quelques propositions qui pourraient contribuer à remédier à ces défaillances et préparer les voies d'une diplomatie européenne plus efficace.

Trois préoccupations d'ordre différent ont guidé votre rapporteur dans les suggestions présentées.

En premier lieu il convient de ne pas oublier les réactions de nos partenaires européens ; trop souvent le souci d'apporter des solutions efficaces aux lacunes du dispositif actuel conduit à présenter des idées séduisantes certes, mais inacceptables pour certains pays. On peut certes vouloir réduire le poids des « petits pays » que certains jugent, non sans raison, excessifs, mais comment espère-t-on obtenir leur adhésion à ce diminis capitio . La réforme de la PESC, ne l'oublions pas, s'inscrit dans un processus de négociation dont la conférence intergouvernementale fixe le cadre. Il ne faut pas perdre de vue cet arrière-plan qui détermine les chances de succès des propositions avancées.

En second lieu, l'analyse des instruments de la politique étrangère commune l'a montré, toutes les possibilités inscrites dans le second pilier n'ont pas été utilisées, ou l'ont été fort mal. Que l'on songe par exemple au vote à la majorité qualifiée, prévu dans le cadre de la mise en oeuvre des actions communes, et resté lettre morte. Aussi faut-il se garder de propositions novatrices que leur ambition même condamnerait à l'échec.

Enfin, si efficaces que soient les dispositions institutionnelles, leur portée resterait illusoire si la volonté politique indispensable à une réelle coopération dans le domaine de la politique étrangère commune continuait à manquer. Car cette volonté des Etats membres apparaît en dernier ressort la vraie condition d'une politique étrangère commune plus efficace. Aussi votre rapporteur tentera-t-il, au-delà des propositions destinées à améliorer l'instrument PESC, de préciser les conditions nécessaires à la naissance d'une réelle volonté politique qui jusqu'à présent, a fait défaut à l'Europe dans le domaine de la politique étrangère.

I. LA NÉCESSAIRE ADAPTATION DES INSTRUMENTS DE LA POLITIQUE ÉTRANGÈRE COMMUNE

Comment donner à l'Union les moyens d'exercer sur la scène internationale une influence à la mesure des moyens financiers qu'elle consacre à son action extérieure ? L'Union souffre aujourd'hui d'un double handicap : un présence internationale qui n'a ni la visibilité, ni la continuité nécessaires ; un processus de décision peu compatible avec une diplomatie d'initiative.

A. CONFÉRER UNE MEILLEURE VISIBILITÉ À LA POLITIQUE EXTÉRIEURE DE L'UNION

Pour assurer et conforter sa crédibilité dans les relations internationales, l'Union européenne manque d'une autorité capable de s'exprimer au nom des quinze Etats membres. Que peut-elle opposer aux chefs d'Etat ou de gouvernement ou aux ministres des affaires étrangères des grandes puissances ? Une diplomatie à plusieurs voix : celle de la présidence du Conseil, souvent mêlée aux deux autres voix des partenaires de la troïka. Encore ces intervenants suivent-ils en principe une même partition. Mais ils doivent compter également avec le président de la Commission auquel son mandat assure une certaine stabilité et avec les différents commissaires dont les compétences intéressent les relations extérieures.

L'efficacité et à coup sûr la visibilité de la politique extérieure commune gagneraient à ce qu'elle soit exprimée par une seule voix et une seule autorité.

Dans cette perspective, plusieurs solutions ont été avancées. Les premières préconisent le renforcement des institutions existantes. Les secondes prônent la création d'une autorité nouvelle. Ni les unes, ni les autres, votre rapporteur tentera de le montrer, n'emportent vraiment l'adhésion.

1. La création d'un haut représentant pour la PESC

La création d'une nouvelle instance, idée sans doute séduisante, se heurte à plusieurs objections et suscite un certain scepticisme.

a) Les avantages

Comment pourrait se présenter cette autorité ? La seule hypothèse aujourd'hui retenue porte sur la création d'un haut représentant pour la PESC. Il s'agit d'une idée française que notre pays défendra dans le cadre de la CIG de Turin.

Les traits de ce Monsieur -ou Madame- PESC se sont précisés au cours des derniers mois.

Dans l'esprit de ces initiateurs le haut représentant sera nommé pour trois ou cinq ans par le Conseil européen ou le Conseil des ministres pour accomplir les tâches qui lui auront été assignées par les Etats membres. De façon générale il sera investi d'un rôle de représentation et d'animation. Aussi pourra-t-il soumettre des propositions aux Quinze afin de faciliter l'émergence d'une politique commune. A cette fin il devrait disposer des structures d'analyse nécessaires sous la forme d'un secrétariat général du Conseil renforcé.

La proposition française présente un double mérite. D'une part, elle peut s'appuyer sur les précédents constitués par la nomination de hauts représentants de l'Union pour gérer des aspects particuliers de la politique étrangère notamment pour l'ancienne Yougoslavie. Ces nominations ont d'abord montré l'existence d'une impossibilité et d'un besoin : l'impossibilité de participer à Quinze à la négociation, doublée de la nécessité pour l'Union d'être représentée dans un processus où elle engage des fonds considérables. L'expérience en second lieu, a donné satisfaction, malgré les inévitables accrocs liés au caractère inédit de l'opération. Ainsi la mise en place d'un haut représentant généraliserait-elle une expérience qui a paru s'imposer d'elle-même dans l'ancienne Yougoslavie.

Mais l'initiative française présente un autre avantage car au-delà d'une représentation unifiée, l'institution d'un haut représentant favoriserait incontestablement l'unification du processus de décision dont votre rapporteur a souligné combien il apparaissait pour l'heure, fragile.

b) Les inconvénients

Cependant l'initiative française soulève plusieurs interrogations. En premier lieu, elle se heurte à l'opposition générale de nos partenaires. Les partisans d'une coopération plus étroite dans le domaine de la PESC tendent en effet à privilégier le renforcement du rôle de la Commission destinée de par ses compétences et son expérience acquise dans l'action communautaire extérieure à jouer un rôle éminent d' « animation » de la diplomatie européenne.

L'idée de haut représentant heurte également les tenants de la coopération intergouvernementale classique. La notion, on l'a vu, emporte au-delà de la simplification du mode de représentation de l'Union sur la scène internationale une dynamique d'unification du processus de décision. L'évolution possible de l'action du Monsieur PESC pourrait s'inscrire dans un schéma fédéral que personne n'envisage sérieusement pour le moment.

L'option française a semblé cependant recevoir l'agrément de l'Allemagne. En effet la déclaration franco-allemande de Fribourg du 27 février 1996 rendue publique, à l'issue d'une rencontre entre les ministres des affaires étrangères, plaide pour la création d' « une nouvelle fonction qui contribue à une meilleure visibilité et à une meilleure cohérence de la PESC ». La formulation relativement vague en témoigne, la France s'est acquis le soutien allemand au prix d'une ambiguïté. Quelle sera la nature de l'autorité ainsi instituée ? En d'autres termes, s'agira-t-il d'une personnalité politique ou d'un haut fonctionnaire ? Les Français songent à la première hypothèse tandis que les Allemands penchent pour la seconde. La question toutefois n'est pas seulement d'ordre symbolique et risque donc de décider du succès de cette proposition. En effet un haut représentant doté d'une réelle stature politique comme par exemple le Secrétaire général de l'OTAN, paraît seul en mesure d'exercer les missions que la France entend assigner à cette fonction.

Nos partenaires ne sont pas aujourd'hui prêts à cette solution trop audacieuse. Le ministre allemand des affaires étrangères, en craignant que le haut représentant ne s'érige en instance concurrente des ministres des affaires étrangères, et en réaffirmant le rôle déterminant que le Conseil devait continuer de jouer dans l'exercice de la PESC, ne s'est pas fait seulement l'écho des préoccupations allemandes mais aussi du sentiment dominant des Etats-membres.

Faut-il conférer au haut représentant pour la PESC une dimension seulement administrative ? Cette solution modeste dans son ambition et susceptible de constituer une formule de compromis n'est guère satisfaisante. La fonction ainsi créée redoublera les instances compétentes dans le domaine de la politique étrangère sans bénéficier de l'autorité -que seule une stature politique lui conférerait- nécessaire à la coordination et la capacité d'initiative requises pour la politique étrangère.

Aussi bien, si votre rapporteur appuie la position française, il craint qu'une solution de compromis ne vienne encore compliquer une structure de décision déjà bien lourde et peu efficace.

2. Les autres solutions possibles

Quelles sont, dès lors, les autres solutions capables de satisfaire l'objectif auquel devait répondre le haut représentant : donner un visage à la diplomatie européenne ?

Parmi les différents dispositifs envisagés, trois retiennent spécialement l'attention. Ils visent chacun à renforcer le rôle de trois institutions européennes : la Commission, le Conseil, le secrétariat général.

a) Faut-il renforcer le rôle de la Commission ?

Il peut paraître en premier lieu judicieux de confier à la Commission, ou plutôt à son représentant, le rôle d'exprimer d'une seule voix le point de vue des Quinze et d'animer la politique étrangère commune. Trois raisons plaident dans ce sens.

Le président de la Commission doté d'un mandat de quatre ans renouvelable et fort de l'autorité internationale que lui ont conférée ses titulaires successifs, remplit manifestement les conditions de visibilité et de notoriété requises pour affirmer la présence de l'Union sur la scène internationale.

En outre le rôle éminent joué par la Commission dans l'action communautaire extérieure (relations commerciales, aide au développement, aide aux pays d'Europe orientale et centrale) permettrait au président, s'il était investi d'une nouvelle responsabilité politique, de veiller à la meilleure coordination entre les orientations politiques fixées par le Conseil et la mise en oeuvre des politiques communautaires.

Enfin, le président de la Commission disposerait dans l'exercice de cette mission de représentation, de la capacité d'expertise et d'évaluation que lui procurent les directions générales de la Commission et ses délégations à l'étranger.

Cette solution pourtant n'est ni souhaitable, ni possible. Ni souhaitable parce que même encadré par un mandat précis du Conseil et investi de la seule fonction de représentation, le président de la Commission sera toujours soupçonné de vouloir déterminer la diplomatie européenne à la place du Conseil. Compte tenu de la stabilité de la fonction et des moyens dont dispose le président, ce soupçon pourrait à la longue se justifier quelles que soient les bonnes intentions du titulaire du mandat.

Or cette évolution n'est guère acceptable car elle reviendrait à remettre en cause le cadre intergouvernemental choisi par les Etats-membres pour la PESC et en dernier ressort, l'existence d'un second pilier. Inutile de souligner combien cette évolution et les conséquences limitatives qu'elle emporterait sur la souveraineté des Etats apparaissent aujourd'hui très éloignées des objectifs des Quinze.

En second lieu, cette évolution n'apparaît guère possible du fait de la dispersion des compétences liées à la politique étrangère entre quatre commissaires différents 12 ( * ) . La logique institutionnelle qui conduit à représenter les Etats-membres par un ou deux commissaires apparaît incompatible avec le souci d'efficacité et de cohérence qui doit présider à la définition de la politique étrangère commune.

b) Les moyens de conforter le rôle du Conseil

Faut-il dès lors revenir à l'autre pôle du pouvoir dans les instances européennes, le Conseil, et en renforcer la présidence ? On le sait, le système d'une présidence tournante tous les 6 mois n'est guère compatible avec la continuité et la visibilité nécessaires à la PESC. Le principe de la troïka n'a que partiellement remédié à ces faiblesses. Une double orientation permettrait de donner à la présidence l'autorité nécessaire à la représentation de l'Union dans les relations internationales : l'allongement de la durée de la présidence d'une part, le renforcement du rôle des « grands pays » d'autre part.

La première réforme n'est concevable que si la seconde est mise en oeuvre. En effet cette proposition dans ses deux aspects s'inscrit dans la perspective d'un élargissement rapide de l'Union. Dans un ensemble élargi à plus de vingt Etats, les grandes puissances européennes dotées des moyens suffisants pour représenter l'Union sur la scène internationale forment un club étroit et minoritaire. De nombreux Etats appelés pendant 6 mois à donner une impulsion décisive à la politique étrangère commune n'ont pas toujours ni les moyens nationaux nécessaires, ni même l'ambition d'assumer ce rôle.

Toutefois il ne peut être question d'exclure un Etat de la présidence de l'Union. Cette perspective n'aurait aucune chance de l'emporter dans le processus de réforme institutionnelle engagé à Turin.

Serait-elle d'ailleurs souhaitable ? Ce n'est pas si sûr. L'existence de la présidence constitue en effet, notamment pour les nouveaux Etats-membres un exercice très utile d'intégration européenne . La préparation des Conseils, le rôle de coordination qu'elle implique, favorisent en effet une prise de conscience par l'Etat assurant la présidence, des responsabilités européennes. Les présidences espagnoles et leur succès reconnu, en apportent un témoignage significatif.

Sans doute une solution mixte, une présidence exercée par un grand Etat chef de file, associé à un groupe limité d'autres Etats comme l'a suggéré M. Yves Guéna 13 ( * ) , apparaît-elle plus adaptée. Mais pour réunir l'accord de tous les Etats-membres, cette proposition devrait s'inscrire dans une modification de l'actuel équilibre institutionnel. Elle impliquerait sans doute en contrepartie que les « grands Etats » renoncent à désigner, chacun, deux représentants au sein de la Commission. Au terme de la CIG, le compromis institutionnel se fera sans doute, sur des bases plus modestes et des modifications plus limitées.

En dernier ressort, la voie la plus satisfaisante, celle qui a également le plus de chance de recevoir l'accord de l'ensemble des pays de l'Union, invite à renforcer le rôle du secrétaire général du Conseil. Cette solution présente pour votre rapporteur trois mérites essentiels : elle s'inscrit d'abord dans le prolongement d'une coopération intergouvernementale dont le secrétariat général du Conseil constitue le support administratif. Elle utilise ensuite une instance existante, bien placée au coeur de la préparation des travaux du Conseil pour jouer non seulement le rôle de porte-parole du Conseil, mais aussi donner l'impulsion nécessaire à la PESC et en assurer le suivi. Enfin, nommé par le Conseil européen à l'unanimité, le secrétaire général dispose de l'autorité requise pour donner à la PESC la visibilité et la continuité qui lui font aujourd'hui défaut.

Cette proposition pourra paraître limitée au regard de l'institution d'un haut représentant disposant d'une stature politique et destiné à se consacrer entièrement à la politique étrangère commune. Mais les esprits ne sont pas encore mûrs pour cette avancée décisive dans la mise en oeuvre d'une diplomatie européenne. Aussi, dans l'immédiat, la modestie apparaît-elle à la fois nécessaire et suffisante. Nécessaire car il vaut mieux utiliser une instance existante, le secrétariat général du Conseil, plutôt que d'accepter en guise de compromis la création d'une entité au profil administratif nécessairement redondant. L'habitude française de résoudre un problème en superposant les institutions les unes aux autres plutôt qu'en cherchant à élaguer ou améliorer le fonctionnement des institutions existantes nous est trop familière pour que nous puissions nous rallier à une demi-mesure.

En second lieu, à trop se concentrer sur la question de la représentation de la politique étrangère on perd de vue le problème de fond de la mise en place d'une politique étrangère commune : l'accord indispensable des Etats membres. Continuité et visibilité sont sans doute indispensables mais croit-on remplir ces conditions par l'institution d'une autorité nouvelle ou le renforcement d'une instance existante ? Quelle que soit la solution retenue, l'institution chargée de représenter les Quinze sera condamnée à l'impuissance si les Etats-membres apparaissent incapables de dégager une attitude commune. Inversement une réelle détermination de l'Union lui conférera influence et autorité sur la scène internationale, que cette volonté s'exprime à plusieurs voix ou comme il est certes préférable, à une seule.

Aussi convient-il de ne pas inverser l'ordre des priorités, le problème de la représentation de l'Union apparaît second par rapport aux moyens de favoriser l'émergence d'une volonté commune.

* 12 Au 1er janvier 1995 les compétences dans le domaine des relations extérieures se trouvaient réparties de la façon suivante : les relations extérieures avec la Méditerranée-Sud, le Moyen et le Proche-Orient, l'Amérique latine, l'Asie -à l'exception de l'Asie orientale- constituent le secteur de compétences du vice-président de la Commission, M. Manuel Marin (Espagne) ; les relations extérieures avec l'Amérique du Nord, l'Australie, la Nouvelle-Zélande, le Japon, la Chine, la Corée du Sud, Hong-Kong, Taïwan relèvent du vice-président de la Commission, Sir Leon Brittan (Royaume-Uni) ; les relations extérieures avec les pays d'Europe centrale et orientale et les pays issus de l'ancienne Union Soviétique, la Turquie, Chypre, Malte relèvent de M. Hans Van den Broek (Pays-Bas) ; les relations extérieures avec les pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique et l'Afrique du Sud constituent le secteur de compétences de M. João de Deus Pinheiro (Portugal).

* 13 Voir Y. Guéna, La réforme de 1996 des institutions de l'Union européenne. Rapport d'information n° 224, Sénat.

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