B. AMÉLIORER L'EFFICACITÉ DE LA POLITIQUE ÉTRANGÈRE COMMUNE

Aussi votre rapporteur tentera-t-il d'examiner les adaptations requises pour rendre le dispositif consacré à la politique étrangère commune plus efficace.

L'efficacité dépend d'une double condition. Il faut d'abord donner à l'Union la capacité d'agir et non pas seulement de réagir dans le domaine de la politique étrangère commune. Il convient ensuite de mobiliser avec une rapidité accrue les moyens indispensables à la mise en oeuvre des orientations des Quinze.

1. Favoriser la capacité de décision

Pour donner à l'Union européenne une réelle capacité d'initiative, il faut d'une part encourager la concertation le plus tôt possible, et d'autre part empêcher que la capacité d'action de l'Union ne soit bloquée par l'opposition d'un Etat-membre. Comment adapter le processus de décision dans ce sens ?

a) Unifier le processus de décision en amont

Dans un monde en changement, où la nécessité d'agir rapidement et même d'anticiper l'événement s'impose avec une particulière acuité, les procédures liées à la préparation de la PESC paraissent inadaptées. Il convient d'une part de simplifier les différents mécanismes existants mais d'autre part, et surtout, de donner plus de densité à la coopération politique.

La multiplicité des instances compétentes dans la préparation du Conseil ralentit la prise de décision sans garantir par ailleurs une concertation suffisante. La simplification des procédures répond au double objectif de rationalisation et de cohésion. Elle suppose en premier lieu que soient conduits à leur terme le processus d'unification des groupes de travail et la réduction de leur nombre.

Enfin l'articulation des compétences entre le comité politique et le comité des représentants permanents mériterait d'être précisée, quitte à confier à la première instance la responsabilité principale pour la préparation du Conseil quand il s'agit de trancher des questions relevant de la politique étrangère.

Cependant le comité politique ne se réunit qu'une fois par mois, les groupes de travail, nombreux, trop nombreux, se tiennent de façon épisodique. Les mécanismes institutionnels de coopération ont privilégié le nombre plutôt que la densité.

Aussi apparaît-il indispensable de mettre en place une instance de concertation permanente entre les Etats membres . Trop souvent en effet les représentants des Etats membres se réunissent à Bruxelles pour discuter de points de vue arrêtés par chacun des gouvernements. L'élaboration d'une politique commune s'inscrit dès lors dans un processus classique de négociation et supporte une double contrainte : le temps -souvent long de la discussion- et le compromis -l'alignement sur le plus petit dénominateur commun. L'impuissance de l'Union observée dans l'ancienne Yougoslavie doit nous tenir lieu de leçon : la concertation au sein des instances de l'Union arrivait trop tard, après que chaque gouvernement eut élaboré dans le secret des cabinets ministériels des positions difficilement conciliables.

Il importe de préparer un accord le plus tôt possible dans les étapes de la décision et de favoriser en conséquence l'émergence d' une analyse commune de la situation internationale . A cet égard la « cellule d'analyse commune » présentée pour la première fois par le gouvernement italien et soutenue par l'ensemble des Etats-membres et la Commission constituerait une avancée très prometteuse. Elle reste cependant en-deçà du rôle dont cette instance de concertation devrait être chargée.

Cette entité doit pouvoir en effet lancer les initiatives communes que lui inspirera son analyse de la situation internationale. Elle posera ainsi les bases d'un futur accord que devront parfaire les groupes de travail, le comité politique puis le Conseil.

Mais pour jouer ce rôle d'initiateur, l'instance de concertation permanente ne doit pas réunir de simples experts qui, si compétents soient-ils dans les domaines de l'analyse et de la prospective, n'auraient pas d'influence sur leurs administrations nationales respectives, mais des diplomates de haut rang, entourés le cas échéant, par une équipe de collaborateurs.

Structure d'analyse et de proposition de première instance associant également des représentants de la Commission et du secrétariat général du Conseil, cet organe ne trancherait naturellement pas toutes les oppositions, mais il clarifierait les positions et faciliterait les conditions dans lesquelles l'arbitrage pourrait être rendu à un niveau supérieur.

b) Les conditions de vote

Si les conditions d'émergence d'une volonté majoritaire -plutôt que de l'impossible volonté commune- peuvent être favorisées, encore faut-il qu'elles ne soient pas paralysées au stade du Conseil par les mécanismes de décision. Dans cette perspective les règles de vote devraient être assouplies.

Il convient de concilier le principe d'efficacité avec le respect de la souveraineté des Etats qui doit continuer à présider à l'élaboration de la politique étrangère commune. Aussi faut-il distinguer deux plans dans l'élaboration de la PESC : les décisions de principe, les décisions d'application. Les premières continueront à relever d'un vote à l'unanimité. L'abstention d'un ou de plusieurs Etats-membres ne doit toutefois pas faire obstacle à une initiative pour laquelle un très large accord s'est fait. Dans cette hypothèse, l'abstention constructive (« opting out » en anglais) permet à un Etat de ne pas s'associer à une entreprise commune, sans toutefois en interdire la mise en oeuvre. Ainsi l'abstention constructive ménage une voie intermédiaire entre le veto toujours possible et le consentement.

L'assouplissement des conditions de vote doit aller au-delà. Sur ce plan, le vote à la majorité qualifiée doit pouvoir se généraliser pour la mise en oeuvre des orientations du Conseil.

Le vote à la majorité, prévu par le traité n'a jamais été utilisé. Le dispositif actuel en verrouille l'usage puisque le Conseil décide à l'unanimité des mesures d'application qui seront adoptées à la majorité qualifiée.

La règle devrait être inverse : le Conseil décidant à la majorité que certaines modalités d'application seront adoptées à l'unanimité.

Comme d'ailleurs le préconisait le rapport précité de M. Guéna, sans doute serait-il souhaitable que la majorité qualifiée prenne en compte un double critère : pourcentage des voix et seuil démographique, les décisions n'étant acquises qu'à condition de recueillir l'approbation des Etats représentant les deux tiers de la population de l'Union.

L'assouplissement des règles de vote conduira-t-il à un changement réel des pratiques ? On le sait, la faculté de recourir au vote à la majorité n'a jamais été utilisée et plus encore, la procédure de vote elle-même s'est effacée au profit du consensus. Deux observations paraissent ici s'imposer. En premier lieu, même si la pratique du consensus devait perdurer, la menace d'un recours au vote -et notamment au vote à la majorité- aujourd'hui trop strictement encadrée, peut avoir un effet dissuasif pour certains Etats et les conduire plus rapidement à un accord.

La pérennisation d'habitudes anciennes ne serait toutefois guère satisfaisante, aussi la deuxième observation portera-t-elle sur la nécessité de fixer un cadre général favorable à la procédure du vote à la majorité. Il semble indispensable à cette fin de mieux délimiter le champ d'action de la politique étrangère commune. Les interventions de l'Union apparaissent en effet aujourd'hui beaucoup trop dispersées. Dans la perspective d'une réforme du second pilier, la CIG offre pour les Quinze l'occasion de déterminer les régions et les domaines d'action pour lesquels ils entendent conduire une politique commune. En ce qui concernent ces orientations du reste, l'expérience des quatre années écoulées permet d'en fixer les grands traits. La Méditerranée, les pays d'Europe orientale et centrale et la CEI présentent du point de vue de la sécurité et de l'économie, des enjeux communs à l'ensemble des pays membres. Par ailleurs, de façon générale, les questions de sécurité sont de celles où les Quinze ont le plus grand intérêt à agir de concert. En conséquence les Etats-membres devraient s'entendre pour fixer ces priorités dans le traité lui-même. L'unanimité ayant été dégagée sur ces principes d'action, le recours au vote et en particulier au vote à la majorité, présenterait sans doute moins de difficulté.

2. La mise en oeuvre des décisions : une cohérence à rétablir

Améliorer l'efficacité du processus de décision resterait toutefois inutile si la mise en oeuvre des orientations du Conseil devait continuer à pâtir des conflits entre le Conseil et la Commission et des ambiguïtés du mode de financement. Il importe d'améliorer les modalités d'application de la PESC dans cette double dimension institutionnelle et financière. La réforme envisagée reste commandée par le souci de conforter le Conseil dans son rôle directeur pour la PESC en tenant compte cependant des prérogatives de la Commission et du Parlement européen. Les propositions de votre rapporteur, sans transiger sur le souci prioritaire d'efficacité, s'efforcent de ménager ces deux institutions.

a) La coordination Conseil-Commission

L'Union européenne dispose dans les moyens communautaires d'un puissant levier pour exercer une réelle influence sur la scène internationale. Encore doit-elle se trouver en mesure d'agir efficacement sur ces instruments dont l'utilisation, certes placée sous l'autorité du Conseil, relève du droit d'initiative exclusif de la Commission. Or la Commission s'est montrée très attentive au respect de ses compétences, et a même tendu à privilégier la sauvegarde de son autonomie au détriment de la cohésion de la politique extérieure de l'Union. Plusieurs arrangements ont tenté d'établir le moyen de porter remède à cette faiblesse. Mais ces obstacles d'ordre institutionnel ne peuvent être levés de l'avis de votre rapporteur que par une modification du traité lui-même.

Au terme d'une nouvelle rédaction, la Commission doit concourir aux décisions fixées par le Conseil et proposer les mesures qu'implique la mise en oeuvre de ces principes . Le droit d'initiative de la Commission est préservé mais doublement contraint : il devient une obligation dans le cadre de la PESC et le contenu des propositions apparaît prédéterminé par les orientations du Conseil. Ce nouveau dispositif implique en contrepartie de la part du Conseil une discipline accrue dans la formulation de ses décisions : définition d'objectifs précis et le cas échéant des moyens subséquents, dans l'ordre communautaire notamment.

Certes, objectera-t-on, voilà la capacité d'initiative de la Commission réduite, dans ce contexte, à un faux-semblant. L'argument appelle trois remarques. Il mérite en premier lieu d'être nuancé, en effet l'initiative de la Commission est encadrée pour les seules mesures de mise en oeuvre de la politique étrangère commune. Dans tous les domaines où elle dispose d'un droit d'initiative exclusif la Commission peut continuer d'agir sans décision préalable de la PESC. Ainsi, elle peut adopter dans l'ordre commercial les dispositions qui lui paraissent propres à répondre à ses objectifs (contre-mesures prises au titre de la politique commerciale).

Par ailleurs si la Commission est liée par les orientations du Conseil dans ce domaine, elle conserve à l'instar de chacun des Etats-membres, la capacité de proposer à l'Union d'intervenir sur la scène internationale.

Enfin la Commission, précisément pour jouer conjointement ce rôle d'impulsion avec chacun des Etats-membres, doit être associée étroitement à l'ensemble des travaux du Conseil dans le cadre de la « cellule d'analyse et de proposition » dont votre rapporteur préconise la mise en place. Dans la mesure où la Commission aura ainsi accompagné dès l'origine le processus de décision, les dispositions prises par le Conseil ne pourront être perçues comme imposées par une instance à l'autre.

b) Les modalités de financement

Si la mise en oeuvre de la PESC mérite ainsi davantage de cohésion, le mécanisme de financement doit lui aussi, être clarifié. Trois cas de figure apparaissent concevables. Les Quinze peuvent s'accorder sur une simple déclaration sans aucune implication concrète. L'Union, on le sait, a plutôt abusé de cette diplomatie déclaratoire.

La mesure adoptée peut en second lieu impliquer la mise en oeuvre de moyens communautaires classiques. Dans cette hypothèse et sous réserve d'une coordination améliorée selon les termes qui viennent d'être indiqués, la question du financement est automatiquement réglée. Les fonds sollicités (FED, TACIS ou autres) étant par hypothèse pourvus.

Mais dans un troisième cas de figure, la PESC peut requérir des actions qui ne relèvent pas du champ communautaire classique. Dans cette dernière hypothèse, le traité a prévu deux possibilités alternatives : un financement par contributions nationales, un financement sur le budget communautaire. On l'a vu dans ce dernier cas, les dépenses considérées comme non obligatoires relèvent d'une procédure budgétaire au terme de laquelle le Parlement européen a le dernier mot. Par ce biais cette institution a gagné un pouvoir d'influence dans le domaine de la politique étrangère, peu conforme à l'esprit même du traité. Il importe de mettre fin à cette dérive.

Deux solutions apparaissent ici possibles. Le principe des contributions nationales peut être, seul, retenu. La pratique toutefois l'a montré, les Etats se montrent réticents à recourir à ce système. Deux raisons l'expliquent. D'une part ce financement suppose un effort supplémentaire par rapport à la contribution versée au budget communautaire, alors même que la quasi-totalité des Etats membres affichent aujourd'hui, et sans doute encore pour longtemps, un souci de rigueur budgétaire.

D'autre part le système de contributions nationales suppose que soit définie une clef de répartition entre les Etats-membres avec toutes les difficultés que peut susciter ce genre d'exercice. Exercice encore plus délicat si l'on admet les possibilités pour un Etat, en vertu du droit à l'abstention constructive, de ne point s'engager en faveur d'une initiative de l'Union. Le principe d'une coopération unitaire conduirait sans doute, dans cette hypothèse, à imposer une contribution à tous les Etats, mais dans la pratique, cette solution n'apparaît guère réaliste.

Aussi convient-il de conserver l'option possible entre contributions nationales et financement communautaire. Cette dernière alternative présente en effet l'avantage d'un financement déjà assuré sans les interrogations que suscite la mise au point d'une clef de répartition ad hoc. Il importe toutefois d'inscrire ce financement dans le cadre des dépenses obligatoires de la communauté. Le Parlement européen ne dispose pas du dernier mot pour cette catégorie de dépenses.

Sans doute la Commission exerce-t-elle dans le cadre de la procédure budgétaire la plénitude de ses attributions. Certains pourront la soupçonner de vouloir reprendre dans ce domaine une responsabilité excessive dans la définition de la PESC. Mais dans le cadre institutionnel proposé par votre rapporteur, où la Commission apparaît strictement liée par les décisions du Conseil, ce risque éventuel paraît conjuré.

Du reste, ce n'est pas en terme d'opposition mais plutôt d'association qu'il convient d'envisager les rapports entre ces deux instances, le Conseil conservant la primauté dans un domaine qui touche si étroitement la souveraineté des Etats.

Mais le Parlement européen ? Se résignera-t-il à cette modification de nomenclature budgétaire qui, au-delà de son aspect technique, remet en cause la capacité d'influence qu'il avait su gagner ? Il faut ici apporter trois remarques. En premier lieu, soulignons-le encore, cette capacité d'influence résulte d'une évolution sans doute permise par certaines imprécisions du traité, mais nullement prévue par le texte et encore moins conforme à son esprit.

Ensuite il serait paradoxal que le Parlement européen puisse, par le biais budgétaire, commander la politique étrangère de l'Union, alors que cette prérogative dévolue à l'exécutif dans un certain nombre de pays membres n'est pas reconnue aux parlements nationaux. Enfin sans doute serait-il opportun d'organiser au sein du Parlement européen, à échéance régulière (tous les six mois par exemple) un débat sur les orientations adoptées par le Conseil dans le domaine de la politique étrangère commune.

Sans doute ces propositions, modestes dans leur formulation, conduisent à un réaménagement de l'équilibre des pouvoirs entre les différentes institutions. Le champ du dispositif reste toutefois strictement borné à la politique étrangère commune. La primauté reconnue au Conseil ne fait que tirer les conséquences de la logique de coopération intergouvernementale reconnue et admise par tous les Etats membres.

Toutefois, et paradoxalement le souci de ménager, au moins sur la forme, les Etats membres, traditionnellement les plus favorables à la dynamique communautaire, avait conduit, au moment de la rédaction du traité, à des ambiguïtés, source de difficultés peu compatibles avec la mise en oeuvre d'une la diplomatie européenne efficace. Aussi les modifications proposées par votre rapporteur entendent-elles clarifier et expliciter toutes les implications juridiques du principe de coopération intergouvernementale retenu pour la politique étrangère commune.

S'il apparaît aujourd'hui nécessaire de tenir compte de l'expérience de quatre années de mise en oeuvre de la PESC et de corriger, à la faveur de la CIG, les lacunes ou les obscurités du traité, cette démarche ne saurait suffire.

La logique instrumentale à l'oeuvre dans les dispositions initiales du traité de Rome -aujourd'hui regroupées dans le premier pilier- ne peut s'appliquer pour la politique étrangère. Votre rapporteur ne croit pas inutile de le rappeler, il est vain d'espérer qu'un dispositif juridique ingénieux et l'habitude de travailler ensemble, finiront par produire une volonté commune. Sans volonté politique préalable, le traité restera une coquille vide.

Faut-il se résigner cependant à invoquer la nécessité d'une volonté politique et s'en remettre au hasard des circonstances et à la bonne fortune pour que se réalisent les conditions propres à décider l'Union à agir de concert ? Votre rapporteur ne le croit pas. Cependant avant de mieux préciser les moyens qui permettront de « forcer » l'avènement d'une volonté commune, il convient de prendre une juste mesure des difficultés de l'entreprise.

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