II. AUDITION DE M. MICHEL BARNIER

Le mercredi 12 juin 1996, la délégation a entendu M. Michel Barnier, ministre délégué aux Affaires européennes, sur les travaux de Conférence intergouvernementale. A la demande du ministre, cette réunion n'a pas donné lieu à un compte rendu .

III. AUDITION DE M. MICHEL BARNIER

Le mercredi 26 juin 1996, la délégation a entendu M. Michel Barnier, ministre délégué aux Affaires européennes, sur les résultats du Conseil européen de Florence.

M. Jacques Genton a tout d'abord observé que ce Conseil laissait l'impression que peu d'éléments marquants y étaient intervenus, et que les chefs d'Etat et de Gouvernement ne semblaient pas avoir défini d'orientation forte en ce qui concerne les travaux de la Conférence intergouvernementale.

M. Michel Barnier a fait valoir qu'il existait de nombreuses inquiétudes avant ce Conseil européen et que le risque d'échec était important. La présidence italienne a en effet été obérée par une longue période électorale. La Conférence intergouvernementale n'a pas réellement débuté puisque les premiers mois ont surtout permis de préciser les positions de chacun, ainsi que les points qui semblent ouverts et ceux qui feront l'objet de discussions serrées. Enfin, la crise de la vache folle a provoqué un changement de climat et aurait pu provoquer un échec du Conseil européen. En définitive, cette réunion a finalement été substantielle et utile, du fait notamment de l'ingéniosité de la présidence italienne.

A propos de la Conférence intergouvernementale, M. Michel Barnier a précisé que le Conseil européen de Florence avait permis de parvenir à un accord sur trois points importants :

- les chefs d'Etat et de Gouvernement ont donné mandat à leurs représentants à la Conférence intergouvernementale pour présenter un document écrit, lors du Conseil européen de Dublin, contenant des propositions de rédaction du Traité avec des variantes et des alternatives. La France formulera naturellement ses propres propositions en vue de la préparation de ce document ;

- les chefs d'Etat et de Gouvernement ont également identifié des points clés pour les travaux de la Conférence intergouvernementale. La France, pour sa part, a mis l'accent sur sept d'entre eux : le fonctionnement du Conseil, la composition de la Commission, le rôle du Parlement européen et des Parlements nationaux, la subsidiarité, la politique étrangère et de sécurité commune, les affaires intérieures et de justice, la clause sur les coopérations renforcées ;

- enfin, les chefs d'Etat de Gouvernement ont décidé de s'impliquer personnellement dans le déroulement de la Conférence, en réunissant dès octobre à Dublin un Conseil européen spécial.

Le ministre a ensuite insisté sur la visibilité politique des deuxième et troisième piliers, estimant que la Conférence intergouvernementale serait davantage jugée sur les progrès dans ces domaines que sur les mécanismes institutionnels proprement dits. Il a observé que plusieurs délégations, notamment les petits pays, avaient exprimé la crainte d'une ratification difficile si le nouveau traité n'abordait pas les sujets touchant de près les citoyens. Il a enfin souligné l'opposition des petits pays à certaines propositions institutionnelles telles que la réduction du nombre de commissaires ou la pondération des voix.

A propos de l'affaire de la vache folle, M. Michel Barnier a estimé que les Anglais avaient, dans un premier temps, tenté d'apporter une solution politique à un problème qui était un problème de santé publique, avant de chercher un accord avec leurs partenaires.

Le ministre a précisé que le plan accepté par les chefs d'Etat et de Gouvernement avait été élaboré par la Commission européenne et approuvé à l'unanimité par le comité vétérinaire permanent. Ce plan permettra la mise en oeuvre de multiples actions, en particulier l'abattage de nombreux animaux en remontant jusqu'aux bêtes nées en 1989 et 1990, l'identification des animaux dans chaque troupeau, le repérage des stocks de farine polluée et leur destruction, la destruction des carcasses. La levée de l'embargo ne pourra être menée que par étapes, en commençant par les troupeaux non touchés, puis les embryons, les bovins nés cette année, les bovins âgés de moins de trente mois, enfin les bovins âgés de plus de trente mois. Chaque étape devra faire l'objet d'une validation préalable par le comité vétérinaire permanent et le comité pluridisciplinaire récemment mis en place. Enfin, la solidarité communautaire jouera à l'égard de la filière bovine. La Commission européenne avait proposé de débloquer une aide de 650 millions d'écus que le Conseil européen a porté à 850 millions d'écus. Le Conseil des ministres de l'agriculture a décidé qu'un quart de cette somme serait attribué à la France. De plus, une aide nationale du même montant sera dégagée, qui pourrait en particulier prendre la forme d'augmentations de primes ou d'allégements fiscaux.

M. Michel Barnier a alors observé que cette crise marquait la limite du discours sur la subsidiarité. Il a souligné que, dans un marché unique, on ne pouvait se passer au moins d'une coordination en matière de contrôles vétérinaires et de santé publique, et a rappelé que la France disposait d'une politique de prophylaxie très sérieuse, mais que les Allemands n'avaient pas une telle politique jusqu'il y a quatre ou cinq ans. Le ministre a en outre fait valoir que les mécanismes de l'Union avaient joué correctement dans cette crise et que celle-ci avait montré l'émergence de l'Europe des citoyens, les Etats membres ayant pris en compte les réactions de l'opinion publique. Enfin, il a souligné qu'il était sans doute nécessaire de réfléchir à une réorientation de la politique agricole commune afin de faire une place à une agriculture extensive privilégiant la qualité des produits.

Evoquant ensuite le problème de l'emploi, M. Michel Barnier a indiqué que les chefs d'Etat et de Gouvernement avaient consacré beaucoup de temps à cette question, sur la base du pacte de confiance pour l'emploi présenté par le président de la commission européenne, M. Jacques Santer. Les six derniers mois ont été marqués par certains progrès dans ce domaine, en particulier le déblocage de la directive sur le congé parental, l'établissement d'une position commune sur la directive relative au détachement des travailleurs, la première réunion conjointe des ministres des affaires sociales et des ministres des finances. Les chefs d'Etat et de Gouvernement ont insisté sur la nécessité, dans le domaine des fonds structurels, de donner priorité aux actions qui peuvent exercer un effet de levier sur l'emploi. A cet égard, il faut prendre conscience qu'à l'avenir, dans la perspective de l'élargissement, il faudra faire mieux avec moins d'argent, dans la mesure où il ne sera pas possible d'augmenter fortement la contribution des Etats membres.

M. Michel Barnier a ensuite évoqué les autres questions abordées lors du conseil européen. La question de l'importance des services publics en Europe fait désormais l'objet d'une unanimité qui n'existait pas auparavant. Les chefs d'Etat et de Gouvernement ont pris acte des propositions de la Commission européenne dans le domaine des grands travaux, pour lesquels elle envisage l'inscription de crédits d'engagements supplémentaires de 1,2 milliard d'écus d'ici 1999. A ce sujet, le Président de la République a demandé que l'on consomme d'abord les crédits d'ores et déjà disponibles, à savoir 1,8 milliard d'écus. En ce qui concerne Europol, les Britanniques ont levé leurs réserves tout en refusant de participer à cette convention, qui sera donc mise en oeuvre à quatorze. Enfin, le Conseil européen a pris acte des travaux des ministres des finances sur certains aspects de la réalisation de l'Union économique et monétaire, notamment le problème de la stabilité budgétaire et celui des rapports entre pays participant à la monnaie unique et pays n'y participant pas.

Au cours du débat qui a suivi, M. Jacques Oudin a évoqué la Conférence intergouvernementale et s'est déclaré frappé du fait que les sept points importants évoqués par le ministre n'avaient pas donné lieu à de véritables orientations à Florence. Il a exprimé le souhait que la délégation continue à réfléchir sur ces questions afin de poursuivre le dialogue avec le Gouvernement. Il a par ailleurs insisté sur l'importance des grands travaux, en particulier du réseau de TGV, pour l'aménagement du territoire européen et s'est interrogé sur les raisons du blocage des projets prioritaires.

M. Christian de La Malène s'est interrogé sur la capacité de l'Irlande à faire avancer les travaux de la Conférence intergouvernementale et à préparer un document pour le Conseil de Dublin. Soulignant que l'Irlande était un petit pays, peu intéressé, du fait de sa neutralité, par les questions de politique étrangère et de défense, et surtout attaché aux retombées financières de sa participation à l'Union européenne, il a estimé que les grands Etats, et particulièrement la France et l'Allemagne, devraient donner une impulsion significative à la préparation du document qui sera présenté au conseil européen de Dublin. Il s'est demandé comment il serait possible de rallier les petits pays à des réformes institutionnelles indispensables pour le fonctionnement de l'Union et a souligné que le problème de la ratification se posait autant aux grands Etats membres qu'aux petits.

A propos de la subsidiarité, M. Christian de La Malène a observé qu'on avait remplacé les contrôles vétérinaires aux frontières par des contrôles sur place, ce qui impliquait une confiance plus grande à l'égard du pays d'origine des produits. Il s'est demandé s'il fallait revenir au système antérieur ou mettre en place des contrôles communautaires sur tout le territoire de l'Union, ce qui ne semble pas être la solution la plus pratique.

M. Yves Guéna, revenant sur l'intervention de M. Christian de La Malène à propos de la présidence irlandaise, a évoqué la réunion de la XIV ème COSAC à Rome et a indiqué que les participants avaient décidé de constituer un groupe de travail pour réformer le fonctionnement de la COSAC. Il a souligné que la présidence italienne s'était tournée vers les représentants irlandais qui organiseront la prochaine COSAC, mais que ceux-ci s'étaient montrés très réservés à l'égard de la constitution de ce groupe de travail, évoquant la charge lourde que représente une présidence. M. Yves Guéna en a conclu qu'il reviendrait aux parlementaires des Etats intéressés de faire vivre le groupe de travail.

M. Philippe François s'est réjoui du fait que les chefs d'Etat et de Gouvernement, comme la presse française récemment, aient découvert, grâce à la maladie de la vache folle, qu'on pouvait élever des vaches dans les prés. Il a évoqué des articles de presse, soulignant très sérieusement que des expériences concluantes en ce sens avaient été tentées dans le sud-ouest et seraient donc prolongées.

M. Xavier de Villepin a expliqué que, pour le citoyen français, le Conseil européen de Florence avait été marqué par l'accord sur l'affaire de la vache folle et l'absence d'accord sur l'emploi. Il a souligné que les attentes des Français étaient au-delà de ces problèmes. Evoquant la croissance ralentie dans l'ensemble des pays européens, le niveau élevé de l'épargne des ménages qui constitue un signe d'inquiétude et de défiance, il s'est déclaré très inquiet des problèmes graves auxquels il faudrait faire face à l'automne et a cité notamment le chômage, la situation des finances publiques, les licenciements au sein de l'entreprise Moulinex, la situation du Crédit Lyonnais. Il a constaté qu'aucun espoir ne se dégageait de la réunion des chefs d'Etat et de Gouvernement et s'est demandé s'il n'existait vraiment aucune possibilité d'entreprendre des initiatives fortes pour améliorer cette situation.

M. Jean-Paul Emorine est revenu sur le problème de la vache folle et a plaidé pour la mise en place de certifications des élevages, qui permettraient de valoriser les élevages de qualité bénéficiant de conditions d'alimentation satisfaisantes. Il s'est déclaré partisan du développement de l'agriculture extensive, mais a souligné que cela impliquait des mesures fortes, en particulier une augmentation de la prime à l'herbe et une limitation de la prime à l'animal. Il a précisé que certaines organisations professionnelles étaient tout à fait favorables au développement de l'agriculture extensive.

M. Pierre Fauchon a regretté que le programme de grands travaux n'arrive pas à démarrer. Il a estimé que tous les pays européens recherchaient une activité économique accrue et que les grands travaux au niveau européen présentaient l'avantage de n'avoir pas d'effet inflationniste et de ne pas perturber les économies nationales. Il a ajouté que ces travaux démontreraient le caractère concret de la construction européenne.

M. Jacques Oudin a insisté sur la faiblesse de la croissance européenne par rapport à celle des autres grands ensembles géo-économiques. Il a estimé qu'il était indispensable de diminuer les prélèvements et a demandé si quelques mesures spectaculaires de vérité seraient prises en ce qui concerne les frais de fonctionnement de la Commission européenne.

En réponse aux orateurs, M. Michel Barnier a tout d'abord fait valoir que, sur la Conférence intergouvernementale, les conclusions du Conseil européen de Florence étaient plus actives que celles du Conseil européen de Turin. Il a estimé qu'il n'était pas choquant que l'on ait passé deux mois à expliquer les positions des différents Etats membres et a souligné que c'était la première fois en France que le négociateur lui-même venait rendre compte au Parlement des négociations en temps réel.

A propos des grands travaux, le ministre a observé que les blocages étaient nombreux et a cité la difficulté d'établir certains tracés, l'insuffisance de la contribution européenne, la difficulté de rassembler les contributions nationales ou régionales. Il a cependant remarqué que ces travaux n'étaient pas au point mort et que des sommes importantes avaient notamment été consacrées aux études pour la réalisation de la ligne ferroviaire Lyon-Turin.

Evoquant la présidence irlandaise, M. Michel Barnier a précisé que, naturellement, les autres pays participeraient à la rédaction du document qui sera présenté au Conseil européen de Dublin. Il a estimé que les petits pays pourraient se rallier à des réformes institutionnelles importantes s'ils constataient la réalité de l'axe franco-allemand et s'ils avaient le sentiment qu'on s'orientait vers un approfondissement politique. A cet égard, il a noté un certain nombre de signaux positifs, en particulier le fait que désormais seule l'Irlande revendiquait ouvertement sa neutralité et que d'autres pays avaient évolué sur cette question.

Le ministre a ensuite estimé qu'il était souhaitable de mener une réflexion approfondie sur la subsidiarité et que l'affaire de la vache folle conduisait à poser cette question. Il a fait valoir que le problème n'était pas de savoir qui effectuait les contrôles, mais d'être sûr que ces contrôles étaient effectués. A cet égard, il a estimé qu'il existait sans doute un manque d'Europe.

M. Michel Barnier a ensuite rappelé que la France faisait du renforcement du rôle des Parlements nationaux dans le domaine du troisième pilier une condition de la communautarisation de certaines matières telles que l'asile, les visas, l'immigration, la drogue. Il a observé que, de son côté, l'Allemagne était fermement attachée à l'attribution de vrais pouvoirs supplémentaires au Parlement européen.

Approuvant les propos de M. Xavier de Villepin, le ministre a fait valoir que le Chef de l'Etat souhaitait profondément qu'on remette l'homme au coeur de la construction européenne. Il a souligné que les politiques de baisse des taux d'intérêts engagées en Europe ne pouvaient pas ne pas porter de fruits à un moment ou à un autre.

Enfin, M. Michel Barnier s'est déclaré en accord avec M. Jean-Paul Emorine sur l'idée de valoriser l'authenticité des produits ou des techniques agricoles.

M. Jacques Genton est alors revenu sur le problème de la place des Parlements nationaux et a souligné que la COSAC de Rome avait démontré que beaucoup de chemin restait à parcourir ; il a ajouté que les délégations avaient besoin de l'aide du Gouvernement français pour valoriser l'idée d'une représentation collective des Parlements.

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