2. Les nouveaux défis sociaux appellent des solutions de proximité

a) L'identification de ces défis

L'action publique devra nécessairement s'adapter aux nouveaux défis auxquels notre société sera confrontée au début du siècle prochain, dont certains ont déjà commencé à produire leurs effets.

1.- Les effets de l'évolution démographique

Ces défis résulteront, en premier lieu, de la transformation des besoins qui résultera inévitablement de l'évolution des caractéristiques de la population.

Les grandes tendances de l'évolution de la population à l'aube du prochain siècle sont désormais bien identifiées.

Les données démographiques pour les prochaines années résultent mécaniquement des tendances observées au cours des cinquante dernières années, caractérisées par les générations très nombreuses nées dans la période du " baby-boom " auxquelles ont succédé des générations moins nombreuses nées depuis 1975.

L'évolution de la fécondité et le déséquilibre de la pyramide des âges se sont d'ores et déjà traduit par une augmentation sensible de la proportion des personnes âgées de 60 ans et plus. Ce mouvement devrait se poursuivre à l'aube du prochain siècle avec l'arrivée à cet âge des générations nombreuses du babyboom. Ainsi, les personnes ayant atteint ou dépassé 60 ans qui étaient 10 millions en 1985 (soit 18,1 % de la population totale) devraient être 12,1 millions en l'an 2000 (soit plus de 20 % de la population) et 17 millions en 2020 (soit 25 à 35 % de la population totale), selon les projections effectuées par l'INSEE. En outre, la proportion des plus de 80 ans devrait s'accroître très sensiblement. Dans le même temps, la population active, sauf reprise de la fécondité, devrait commencer à diminuer au tournant du prochain siècle. Ainsi, selon l'Institut national d'Etudes démographiques (INED), le rapport de trois adultes (20-59 ans) pour une personne âgée (60 ans et plus) observé en 1980 pourrait s'établir à 2,5 en l'an 2000 et à 2 en 2020, cette prévision reposant sur une hypothèse encore incertaine de ralentissement de la progression de l'espérance de vie.

En outre, différents facteurs tendront à réduire le nombre d'adultes actifs effectivement occupés : l'allongement et la durée des études, l'abaissement de l'âge de cessation d'activité, le nombre de chômeurs prévisible au regard des tendances actuellement en cours.

Dans ces conditions, le rapport entre le nombre d'actifs effectivement occupés et le nombre d'inactifs allocataires risque de connaître un déséquilibre majeur .

Ces grandes tendances auront pour effet de modifier les besoins auxquels les collectivités publiques doivent faire face.

Schématiquement, celles-ci devront de plus en plus -comme elles le font déjà en particulier pour ce qui est des départements- répondre aux besoins d'une population âgée dont une partie se trouvera en situation de dépendance.

Parallèllement, le besoin d'éducation sera moins massif mais se diversifiera. Il fera davantage place à la formation permanente et justifiera de plus en plus un lien plus étroit entre cette formation et les débouchés professionnels.

2.- La fracture sociale

Au-delà de ces conséquences de l'évolution démographique, notre société doit d'ores et déjà relever différents défis dont l'accentuation de la fracture sociale n'est pas le moindre.

La crise de l'emploi est évidemment au coeur de ce mouvement. Entre 1980 et 1992 l'emploi total est ainsi resté quasiment stable, ne progressant que de 500 000 emplois (+ 0,17 % par an) pendant que la population active connaissait une croissance de 185 000 personnes par an (entre les deux recensements de 1982 et 1990). Il en est résulté une forte progression du chômage qui est passé de 6 % en 1979 à 10,7 % en 1987 pour atteindre 12,7 % aujourd'hui. Cette évolution s'inscrit dans un contexte de tertiarisation de l'économie qui bouleverse la structure de l'emploi. Le secteur tertiaire absorbe ainsi désormais les deux tiers des emplois, la France ayant perdu 1,2 million d'emplois industriels et près de 750 000 emplois agricoles entre 1980 et 1992.

Le chômage obéit à des facteurs multiples (évolution démographique, mondialisation de l'économie qui renforce les impératifs de compétitivité, progrès technologique, augmentation du taux d'activité féminine) dont certains risquent d'être durables.

Aussi, comme le souligne le rapport de la commission du Livre Blanc coprésidée par M. Jacques Chaban-Delmas, ancien Premier ministre, et par le Président René Monory 6( * ) : " il semble inéluctable que le nombre d'actifs effectivement employés, vivant pour l'essentiel du revenu de leur travail donnant lieu au paiement d'impôts et de cotisations sociales, ira diminuant alors que celui des inactifs de tous âges vivant pour l'essentiel de revenus de transferts (pensions de vieillesse, allocations chômage) ira augmentant. A système économique et social constant, on s'achemine vers une proportion réelle de deux inactifs pour un actif cotisant . ".

Le chômage est un des facteurs essentiels des phénomènes d'exclusion sociale qui se sont développés dans notre pays.

Dans son avis présenté en 1995 au nom du Conseil économique et social, sur l'évaluation des politiques publiques de lutte contre la grande pauvreté 7( * ) , Mme Geneviève de Gaulle-Anthonioz a estimé, à partir d'une enquête du CREDOC qui a sélectionné un échantillon de personnes concernées, que l'on peut déterminer des précarités significatives dans cinq domaines et observer la proportion des personnes touchées : 60% disposent mensuellement de moins de 2 800 francs par unité de consommation ; 56 % n'ont pas de logement stable ou sont sans abri ; 18 % exercent une activité, 43 % sont au chômage et 38 % n'ont pas de travail et ne cherchent pas à en obtenir ; 47 % n'ont aucun diplôme (10 % souffrent d'illétrisme) : 31 % ont un état de santé dégradé.

La gravité de la précarité de situation en matière de logement et d'emploi ressort par ailleurs nettement de l'enquête : 36 % des personnes ont perdu leur logement depuis un à cinq ans et 22 % depuis plus de cinq ans ; 35 % des personnes qui sont au chômage le sont depuis un à cinq ans, 19 % le sont depuis plus de cinq ans.

En outre, les facteurs de précarité se cumulent bien souvent : 80 % des personnes souffrent de deux précarités au moins ; près de la moitié (48 %) de trois ou davantage. La fraction la plus défavorisée (18 % de l'échantillon) cumule 4 ou 5 précarités.

Ces phénomènes d'exclusion constituent un défi majeur pour les politiques publiques.

Lors de son audition par le groupe de travail, M. Jean-Louis Sanchez, délégué général de l'observatoire national de l'action sociale décentralisée, a fait observer que, même si la cohésion sociale globale n'était pas en cause, les phénomènes d'exclusion concernaient de plus en plus de personnes, la moitié des Français se sentant menacés par le risque d'exclusion.

Ainsi le nombre de bénéficiaires de minima sociaux s'élevait pour la France métropolitaine en 1994 à 3,1 millions de ménages contre 2,8 millions en 1992. Ce sont les minima sociaux liés au chômage et à la pauvreté qui ont le plus évolué.

M. Jean-Louis Sanchez a également relevé la situation des personnes âgées de plus de 75 ans, dont la proportion de celles vivant seules à domicile s'est accrue d'un tiers en trente ans et qui sont directement touchées par les phénomènes d'isolement social.

3.- La fracture territoriale

La fracture territoriale constitue un autre défi essentiel auquel notre société doit faire face.

Le Sénat a, depuis plusieurs années, consacré des réflexions approfondies au thème de l'aménagement du territoire.

Après une mission d'information relative à l'avenir de l'espace rural français, qui a achevé ses travaux en 1991, la mission d'information chargée d'étudier les problèmes de l'aménagement du territoire et de définir les éléments d'une politique de reconquête de l'espace rural et urbain, présidée par M. Jean François-Poncet et dont les rapporteurs étaient MM. Gérard Larcher, Jean Huchon, Roland du Luart et Louis Perrein, a parfaitement identifié les éléments de cette fracture territoriale : une hypertrophie de la région d'Ile-de-France, une asphyxie parallèle des banlieues et des zones rurales fragiles.

La Convention nationale, qui s'est déroulée au Futuroscope de Poitiers, sous la présidence de M. René Monory, président du Sénat, a permis d'enrichir les analyses et les propositions de la mission d'information.

Par ailleurs, le grand débat national organisé sous le Gouvernement de M. Edouard Balladur et sur l'impulsion de M. Charles Pasqua, a permis d'identifier les difficultés rencontrées pour assurer une cohésion territoriale.

4.- La fracture " civique "

Enfin, apparaissant très largement comme une conséquence des deséquilibres qui menacent la cohésion du tissu social, le risque d'une fracture " civique " qui mettrait en cause certains principes fondamentaux sur lesquels reposent les valeurs essentielles de la République ne doit pas être sous-estimé.

M. Jean-Paul Delevoye a en particulier souligné ce risque dont la prévention appelle de la part des collectivités publiques des mesures de nature à renforcer la citoyenneté et le lien social.

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