II. LES AVANCES REMBOURSABLES

A. ARCHITECTURE DES AVANCES REMBOURSABLES

Les avances remboursables constituent, en niveau, la première forme d'aide publique aux constructeurs aéronautiques civils.

Il s'agit pour l'Etat de verser à l'industriel une avance couvrant le développement et l'industrialisation d'un programme donné.

De manière générale, les travaux éligibles concernent tous les travaux nécessaires à l'achèvement d'un programme, à l'exception des tâches de recherche-amont. Les travaux de développement et d'industrialisation pouvant bénéficier du soutien public incluent ainsi les tâches réalisées par les équipementiers et les sous-traitants.

Le niveau de la participation financière de l'Etat a varié . Couvrant l'ensemble des coûts à l'origine, il était usuellement de l'ordre de 60 % des coûts pour les programmes concernant les avions commerciaux les plus récents et souvent supérieur pour les autres programmes -moteurs, équipements...- que ceux concernant les appareils eux-mêmes. Pour les premiers, il a été abaissé à la suite des accords internationaux cités par ailleurs.

En outre, il est usuel que les conventions dont font l'objet les avances remboursables plafonnent celles-ci par référence à une valeur nominale précisément définie.

Les financements de l'Etat sont, en général, aménagés selon un échéancier prévisionnel portant sur des valeurs nominales qui comporte en outre une clause limitant à tout moment de la période conventionnelle au "pourcentage plafond" le montant des concours alloués par l'Etat.

Une clause également habituelle exonère l'Etat de toutes les conséquences financières pouvant découler des retards mis par lui dans l'exécution de ses obligations.

Les avances versées par l'Etat sont remboursables. Les remboursements ont usuellement pour fait générateur la livraison commerciale d'un produit donné. Les versements exigibles sont calculés sur la base d'un pourcentage des sommes avancées qui varie souvent selon le rang de livraison du produit. Le barème des remboursements est ainsi progressif, ce qui constitue une mesure de faveur pour les industriels. Cet agencement est favorable compte tenu du caractère décroissant des coûts de chaque programme. La séquence de remboursement prévoit donc, généralement, des versements progressifs exprimés en pourcentage de l'aide apportée par l'Etat et, au-delà du stade où celle-ci aura été complètement remboursée, le paiement d'une redevance calculée par application d'un pourcentage aux recettes issues de la vente du produit aidé.

B. CARACTÈRES

1. Transparence

Le mécanisme des avances remboursables est très transparent.

Les crédits budgétaires sont inscrits chaque année à un chapitre du budget du ministère des transports et l'autorisation de dépenser donnée par le Parlement concerne des dépenses précisément évaluées qui sont, en outre, "éclatées" entre les différents grands programmes concernés.

Telle était du moins la présentation retenue jusqu'à la loi de finances pour 1997 dans les "bleu" et "vert" budgétaires. L'innovation introduite pour 1997, consistant à regrouper les crédits d'avances remboursables par catégories de produits, marque un certain recul sur le plan de la lisibilité des documents budgétaires. Motivée par la souplesse nécessaire à la gestion des crédits devant soutenir des projets industriels susceptibles d'évolutions en cours d'année, cette modification n'est guère satisfaisante mais n'emporte pas d'altération décisive de l'information donnée au Parlement puisque les questionnaires budgétaires adressés aux services permettent d'identifier les programmes auxquels sont a priori destinés les soutiens et a posteriori les bénéficiaires réels des crédits publics.

Les dépenses étant aisément identifiables -même si le recours de plus en plus fréquent aux procédures de régulation budgétaire invite à dissocier le jugement sur les crédits initiaux et celui sur les crédits réellement consommés-, les remboursements des avances par les constructeurs sont d'évaluation moins aisée. Les documents budgétaires ne les isolent pas puisqu'ils sont agrégés en recettes non fiscales dans une ligne "Divers" dont le traitement budgétaire en termes de rattachement temporel n'est pas toujours satisfaisant, cette dernière observation n'entamant d'ailleurs en rien la transparence financière des remboursements. Car si celle-ci n'est pas totale à la seule lecture des documents budgétaires, là aussi, les réponses aux questionnaires budgétaires des parlementaires permettent d'en assurer l'effectivité.

Quoi qu'il en soit, le système des avances remboursables est aisément identifiable et contrôlable. Il doit ces propriétés à ses caractéristiques propres qui le conduisent à constituer une aide directe et conditionnelle accordée à partir d'une ligne budgétaire unique. Il diffère en cela en tous points des aides pratiquées aux Etats-Unis qui, éparpillées, sont également indirectes et soutiennent des projets très peu précisément définis. Il expose notre système de soutien à une grande vulnérabilité compte tenu des propriétés des règles internationales.

2. Concessionnalité

En dépit de certaines observations parfois émises par leurs bénéficiaires, les avances remboursables ne peuvent être considérées autrement que comme une véritable modalité de soutien public à la construction aéronautique civile. En revanche, il serait entièrement erroné de les considérer comme de simples subventions.

Elles diffèrent fondamentalement de ces dernières en ce qu'elles sont remboursables. Elles en diffèrent encore en ce sens qu'elles sont rémunérées. Il ne s'agit donc pas, par ailleurs, de prêts gratuits.

Cependant, elles constituent bien un soutien consenti par l'Etat aux projets aéronautiques civils.

D'abord, parce qu'elles apportent aux entreprises un financement externe et qu'elles limitent d'autant la pression que pourraient exercer les projets de développement conçus par les entreprises sur leurs ressources propres.

De la même manière, on peut juger qu'elles permettent aux entreprises de trouver un financement qu'un prêteur autre que l'Etat n'accorderait pas nécessairement compte tenu des risques encourus. En un mot, l'Etat "solvabilise" des projets par le biais des avances remboursables.

Ensuite, parce que les avances sont assorties de conditions de remboursement qui en font un instrument "concessionnel ".

En premier lieu, les avances ne sont remboursées que si le développement et l'industrialisation du projet qui en bénéficie débouchent sur un succès commercial. En cas d'échec, il n'est, par convention, prévu aucun remboursement.

En second lieu, les modalités de remboursement des avances leur confère un attrait particulier pour leurs bénéficiaires. L'Etat prêteur assume en effet le coût d'opportunité des avances pendant une période variable, mais qui dépend principalement du succès commercial du projet et de son calendrier. Cet avantage, qu'un financement bancaire ou obligataire de droit commun n'offrirait pas, dépend aussi du niveau de rémunération qui serait celui d'un financement externe alternatif. Il décroît à mesure que les taux d'intérêt décroissent. De la même manière, le coût supporté par l'Etat dépend du niveau du coût de financement de sa dette dès lors que l'Etat est endetté [4] .

On a vu plus haut que la concessionnalité attachée au mécanisme des avances remboursables n'était pas synonyme de gratuité, ce qui confère au système un caractère nettement moins avantageux pour les entreprises bénéficiaires que les soutiens directs ou indirects tels qu'accordés par les pouvoirs publics américains par exemple qui, pour l'essentiel, sont eux, gratuits. Plus encore, le mécanisme des avances remboursables est susceptible à terme de pénaliser significativement les entreprises auxquelles ces avances auront été accordées. v. infra.

C. EVOLUTIONS

L'évolution des crédits d'avances remboursables est extrêmement préoccupante. Elle contribue à la situation déplorable au terme de laquelle le soutien public consacré à l'industrie aéronautique civile représente moins de 2,5 % du BCRD.

1. Les avances remboursables brutes

Les avances remboursables consenties à l'industrie aéronautique civile se sont élevées au total à 32,3 milliards de francs depuis la mise en oeuvre du système [5] 6.

Un peu plus de la moitié -56,3 %- a bénéficié aux avions de transport et un peu moins d'un tiers -31,3 %- aux moteurs . Le reste a été versé dans le cadre des développements d'équipements -4,9 %-, d'avions d'affaires -4,6 %-, d'hélicoptères -2,5 %- et d'avions légers -0,4 %-.

Près des deux tiers des avances remboursables ont été versés après 1986 . Au cours des dix dernières années, le montant des avances remboursables s'est élevé à 21,4 milliards de francs. Dans cette période, la part des avances remboursables consacrées aux avions de transport s'est un peu accrue ainsi que celle attribuée aux avions d'affaires au détriment des soutiens alloués aux moteurs , qui n'a plus représenté que 25,1 % du total contre une moyenne, citée plus haut, de 31,3 %.

Le montant des avances remboursables est en constante inflexion . De 2.356 millions de francs en autorisations de programme et 2.135 millions en crédits de paiement en 1986, il est passé à 962 et 1.142 millions de francs en 1996. En loi de finances initiale pour 1997, il s'est encore incliné pour s'établir à 726 millions de francs, soit une chute de plus de 36 % par rapport à 1996. En 1997 donc, le niveau du soutien public accordé sous forme d'avances remboursables n'est plus que du tiers de celui qui était accordé en 1986.

Sans décision nouvelle, cette tendance devrait se poursuivre en s'accentuant à l'avenir.

Le tableau ci-dessous présente, pour les principaux programmes ayant fait l'objet d'une décision de soutien par avances remboursables, les dotations budgétaires prévues jusqu'en 2001.

(1) Les montants relatifs à l'hélicoptère EC 165 sont prévisionnels, le calendrier définitif n'ayant pas encore été arrêté.

Les montants figurant dans le tableau supposent que les crédits actuellement gelés seront rendus disponibles d'ici la fin de l'année.

Les avances remboursables accordées pour soutenir les programmes d'Aérospatiale hors avion de 100 places se sont élevées à 18,8 milliards de francs.

Cinq grands programmes en ont bénéficié :

- l'A 300 à partir de 1971 ;

- l'A 310 à partir de 1980 ;

- l'ATR 42 et l'A 320 à partir de 1984 ;

- et les A 330 et A 340 à partir de 1991.

En revanche, n'ont pas bénéficié d'avances remboursables les programmes concernant l'ATR 72, l'A 319 et l'A 321.

Le tableau ci-dessous rappelle l'évolution des avances consenties dans le cadre de ces différents programmes.

En moyenne annuelle, le niveau du soutien public brut par avances remboursables s'est élevé à près de 724 millions de francs depuis 1971 .

Les programmes les plus anciens ont bénéficié d'avances équivalant à la quasi-totalité des coûts engagés par les industriels . Toutefois, les appareils dérivés n'ont été aidés que partiellement, qu'il s'agisse des dérivés de l'A 300 ou de ceux de l'A 320 pour lesquels les coûts de développement de l'industriel n'ont été avancés par l'Etat qu'à hauteur de 66 % et 60 % respectivement.

A partir du programme A 320, le taux de couverture des coûts par avances remboursables s'est réduit , passant de 75 % pour cet appareil à 60 % pour les A 330 et A 340.

Si le niveau du soutien s'est accru compte tenu de la croissance des coûts des programmes, le taux du soutien s'est affaissé.

Cette évolution a exercé une forte contrainte sur l'entreprise qui a dû trouver ailleurs des financements d'un montant considérable. Or, cette contrainte accrue s'est imposée dans le pire des contextes, caractérisé tout à la fois par une phase baissière du cycle aéronautique, des tensions monétaires et de change, et la montée en charge des remboursements des avances remboursables correspondant aux programmes les plus anciens.

S'agissant des programmes développés par la SNECMA , le montant des avances remboursables dont ils ont bénéficié s'est élevé à 9,9 milliards de francs . Le tableau ci-après en rappelle la répartition.

Ni le CFM 56-5 B, ni le CFM 56-7 n'ont bénéficié d'avances remboursables.

En moyenne annuelle, le soutien public brut par avances remboursables consenti aux programmes de l'entreprise s'est élevé à près de 380 millions de francs depuis 1971.

Depuis 1988, le montant des avances mandatées a été de 4.468,1 millions de francs (45,1 % de l'ensemble des avances accordées à l'entreprise depuis l'origine). Dans le même temps, les dépenses de recherche-développement du groupe ont atteint 16.070,3 millions de francs (un peu moins de quatre fois les avances brutes) et le chiffre d'affaires 165.569 millions de francs. Au total, les avances brutes accordées à la SNECMA ont donc représenté moins de 2,7 % de son chiffre d'affaires.

Des avances consenties à l'entreprise, seules restent à mandater désormais quelques dizaines de millions de francs au titre du moteur GE 90. Les crédits de paiement consacrés à ce programme, qui s'élevaient à 354 millions de francs en 1995, s'infléchissent pour ne plus représenter que 234 millions de francs en 1996 et 69 millions en 1997.

*

* *

La réduction du montant des avances remboursables est cohérente avec l'achèvement des programmes qu'elles contribuaient à financer. Mais, il faut souligner qu'elle ne s'accompagne pas d'une réduction à due concurrence des coûts de recherche-développement supportés par le secteur. Ce phénomène de ciseau constitue une illustration d'une caractéristique essentielle du mécanisme des avances remboursables comme mode de soutien public à l'industrie aéronautique qui est aussi une limite. Son caractère ponctuel et donc provisoire tranche avec l'inertie des coûts des entreprises et, aussi, avec d'autres formes de soutien public.

Les avances accordées à la SNECMA illustrent une autre caractéristique importante du soutien public : les risques assumés par l'Etat, reflets des risques industriels et commerciaux du secteur.

L'exemple de la convention portant sur le THR le montre assez. A un degré moindre, le programme GE 90, qui a bénéficié d'un soutien à hauteur de 2,2 milliards de francs, rencontre des difficultés commerciales importantes.

Enfin, le programme CFMXX, pour lequel avait été prévu en loi de finances pour 1996 un crédit de 140 millions de francs, témoigne des aléas des projets conçus par les motoristes.

Le CFM XX

Le projet de moteur CFM XX, d'une poussée voisine de 42.000 livres, avait été étudié conjointement par General Electric et Snecma dans le but de motoriser le projet de version allongée de l'A340 alors en cours de définition par Airbus Industrie.

L'évolution des spécifications de l'Airbus allongé et le retard observé dans le calendrier de l'avion ont conduit au gel de ce projet de moteur. Airbus Industrie a, en outre, marqué sa préférence pour un dérivé sensiblement plus lourd. L'étude préliminaire du moteur a alors été confiée par Airbus Industrie à General Electric, la Snecma montrant quelques réticences à s'engager aux conditions financières proposées par Airbus. Les conditions de participation de Snecma à ce programme de moteur devront cependant être précisées une fois les études terminées. Aucun des crédits réservés pour le soutien du CFM XX (140 millions de francs en 1996) n'a été utilisé.

Il est désormais certain que la provision de 80 millions de francs inscrite dans le budget 1997 ne le sera pas davantage, compte tenu de la décision prise de confier la motorisation du nouvel appareil à Rolls Royce.

2. Les remboursements : des avances brutes aux avances nettes

Si l'on néglige le coût d'opportunité supporté par l'Etat du fait des dépenses qu'il engage dans le cadre du mécanisme des avances remboursables, l'appréciation sur l'effort public de soutien au bénéfice de la construction aéronautique civile doit tenir compte des remboursements effectués par les entreprises.

Le tableau ci-après met en rapport l'ensemble des avances remboursables octroyées par l'Etat et l'ensemble des montants exigibles auprès des entreprises à la date du 31 décembre 1995.

Il en ressort que les avances nettes ne représentent qu'un peu plus de la moitié des avances remboursables brutes consenties par l'Etat.

Les tableaux ci-après isolent les remboursements d'Aérospatiale et de la SNECMA respectivement ainsi que le solde net des avances par grands programmes.

Pour Aérospatiale et Snecma, le bilan des remboursements figure dans les deux tableaux suivants.

D. APPRÉCIATIONS

1. Les fonctions théoriques des avances remboursables...

Les finalités du système des avances remboursables doivent être rappelées avant tout jugement sur le mécanisme examiné.

L'octroi d'avances remboursables est censé favoriser la mise en oeuvre de programmes aéronautiques. Mais cette simple affirmation est plus ambiguë qu'elle ne paraît.

Il pourrait d'abord s'agir pour l'Etat d'inciter les entreprises à mettre en oeuvre tel programme qu'il juge opportun.

Qu'elles soient publiques ou privées, les entreprises de construction aéronautique constituent des entités autonomes censées concevoir et mettre en oeuvre les moyens correspondant à leur intérêt propre. L'Etat pourrait donc souhaiter les inciter à orienter leur développement via des mesures de soutien public.

Une deuxième fonction, on l'a dit, consiste à solvabiliser le développement des entreprises . Compte tenu de l'ampleur des financements nécessaires aux programmes aéronautiques, il apparaît que, sans soutien public, les entreprises pourraient ne pas trouver les moyens internes ou externes nécessaires à leur mise en oeuvre.

Le troisième rôle des avances remboursables consiste à contribuer à l'équilibre financier de l'activité de construction aéronautique civile . Car, à supposer solvable le développement des entreprises, les caractéristiques des programmes du secteur sont telles que les soutiens publics sont appelés à contribuer à l'équilibre financier des entreprises qui, sans eux, seraient compromis par des programmes coûteux et à rentabilité très différée.

Le quatrième rôle consiste à "publiciser" les risques . Les avances consenties aux entreprises ne sont remboursées qu'en cas de succès des programmes. Si l'échec survient, les fonds publics sont perdus, l'avance se mue en subvention, sorte d'assurance pour l'entreprise contre le risque industriel.

Le quatrième rôle des avances remboursables consiste à satisfaire le nécessité de compenser l'impact favorable aux concurrents des soutiens publics qu'ils reçoivent.

Sur un marché où nos concurrents bénéficient de transferts publics importants qui financent certes des programmes mais bien au-delà, constituent un flux permanent de subventions leur permettant de se décharger d'une partie de leurs coûts, il est nécessaire de disposer d'un mécanisme de soutien compensant plus ou moins complètement les entorses à une concurrence loyale nées des pratiques étrangères .

Dans un monde idéal, cette contrainte serait levée puisque les pratiques anticoncurrentielles seraient éliminées. Mais, le monde n'est pas idéal et moins encore le marché des appareils commerciaux. Au demeurant, les accords internationaux reconnaissent la légitimité des soutiens publics aux entreprises du secteur.

2. ...ne sont pas toutes remplies par le système.

Une fois identifiés les rôles virtuels des avances remboursables, la question est de savoir si cette mécanique est susceptible de les remplir efficacement.

La réponse à cette interrogation est complexe. S'il est bien clair que les avances remboursables ne représentent pas un levier incitatif à la disposition de l'Etat pour orienter les décisions des entreprises, il reste à évaluer l'efficacité avec laquelle elles remplissent leurs autres fonctions.

S'agissant du rôle "incitatif" des avances remboursables, il y a lieu de rappeler qu'il existe à l'autonomie des entreprises du secteur deux bémols très puissants.

Le premier, c'est que dans certains pays et en France tout particulièrement, les chefs de file du secteur sont des entreprises publiques à l'égard desquelles l'Etat exerce un rôle de direction qui devrait le conduire à se forger une conception propre de l'intérêt de l'entreprise. En un mot, il est normal et souhaitable que l'Etat actionnaire ait une stratégie, une vision du développement de ses entreprises. Partant de ce principe, il est également cohérent, on peut le souligner ici incidemment, que l'Etat actionnaire fournisse à ses entreprises les moyens de leurs ambitions. C'est tout le rôle des dotations en capital.

Le second, c'est que même lorsque les acteurs sont privés, leur activité qui, de surcroît, est fort souvent mixte, c'est-à-dire civile et militaire, les attrait dans la sphère publique, qu'elle soit considérée soit comme recelant des enjeux de souveraineté, soit comme occupant une place si essentielle que l'Etat ne peut s'en désintéresser.

En conclusion, il apparaît que les rapports entre l'Etat et les entreprises de construction aéronautique -et l'exemple de l'Amérique libérale le montre abondamment- ne peuvent qu'être très étroits quelle que soit la nature juridique des entreprises du secteur. Si étroits, en tout cas, que la fonction d'incitation des avances remboursables puisse être jugée nulle car inutile.

C'est donc un autre rôle que sont censées jouer les avances remboursables. Un autre rôle ou plutôt d'autres rôles.

a) Un mécanisme nécessaire à l'équilibre financier d'entreprises en développement

Sous les réserves indiquées plus bas, les avances remboursables ne sont théoriquement pas nécessaires à l'équilibre financier courant des entreprises. En effet, en l'état des programmes, le recours à de nouvelles avances remboursables n'apparaît pas indispensable aux entreprises [7] . L'accès des entreprises concernées au marché financier est certes limité, du fait de leur statut d'entreprise publique, aux financements bancaires ou obligataires. Mais, cette faculté subsiste. Ce n'est en outre pas le rôle des avances remboursables d'assurer l'équilibre financier courant des entreprises elles-mêmes auquel -v.infra- les dotations en capital devraient en revanche mieux contribuer.

Cependant, le développement des entreprises du secteur aéronautique suppose de nouveaux programmes .

Quoique fort importants, les coûts des programmes envisagés sont en principe répartis entre les différentes entreprises participant aux structures de coopération qui sont censées les conduire. La charge effective des programmes pour les entreprises nationales s'en trouve ipso facto limitée. Mais il apparaît cependant que ceux-ci ne sauraient être viables sans soutien public.

Soit l'A3XX, compte tenu du coût de développement du futur gros-porteur estimé à 50 milliards de francs, la charge supportée par Aérospatiale serait, à défaut de soutien public et sur la base de la répartition actuelle des droits dans le GIE, de l'ordre de 18,8 milliards de francs. Il apparaît douteux que l'entreprise soit en mesure de trouver un financement externe à hauteur de ces besoins si bien que des avances remboursables peuvent être jugées nécessaires à la solvabilisation des programmes aéronautiques majeurs.

Mais, surtout il apparaît qu'un tel financement extérieur alourdirait beaucoup les charges financières des entreprises et déséquilibrerait leur bilan compte tenu de la faiblesse de leurs fonds propres.

Les avances remboursables jouent donc bien leur troisième rôle qui est de contribuer à l'équilibre financier de l'activité de construction aéronautique civile.

La variation des frais financiers supportée par les entreprises de construction aéronautique résultant de ces programmes dépend du coût des emprunts nécessaires mais, en dépit de la situation des taux d'intérêt actuellement plus favorable, elle obérerait la capacité des entreprises à redresser leurs comptes.

Il reste toutefois à souligner que la période actuelle de décrue des taux d'intérêt conjuguée à la reprise du marché aéronautique présente une fenêtre d'opportunité exceptionnelle pour combler les lacunes de la gamme Airbus et, plus généralement, de l'offre des constructeurs aéronautiques français.

Il apparaît donc peu envisageable, si l'Etat industriel et commerçant devait décider de remédier à ces lacunes -ce qui semble très souhaitable à votre rapporteur- qu'il s'abstienne de leur octroyer les avances remboursables nécessaires à la préservation de leur équilibre financier.

Sans doute, le calibrage de cette aide ne peut être appréciée de façon abstraite sans tenir compte des conditions concrètes de financement des entreprises, et en particulier des données de leur équilibre financier propre ou des éléments extérieurs -accès aux fonds propres, taux d'intérêt- qui constituent leur environnement financier.

De la même manière, si la situation du bénéficiaire potentiel du soutien public doit être évaluée, il en va ainsi de celle de l'Etat pourvoyeur de l'avantage.

Concrètement, il apparaît aujourd'hui que compte tenu du niveau des charges d'intérêt supportées par l'Etat et des ratios d'endettement des principales entreprises du secteur qui sont raisonnables, la justification à l'octroi d'un soutien public n'implique pas que celui-ci couvre l'ensemble des coûts de développement des programmes. Au demeurant, l'encadrement international des soutiens l'interdit. Cependant, une aide substantielle s'impose et les coûts pour l'Etat d'un tel soutien ne doivent pas être exagérés comme le montre le chiffrage de l'impact financier d'un soutien accordé à un programme aussi ambitieux que l'A3XX.

Dans ce cas, sur la base de coûts de développement estimés à 50 milliards de francs et compte tenu de la part des droits d'Aérospatiale dans le GIE Airbus et du plafond fixé à l'octroi d'avances remboursables par les règles internationales, la charge supportée par l'Etat serait de 6,2 milliards de francs, soit 1,5 milliard de francs par an pendant quatre ans.

A supposer que des partenaires extérieurs au GIE soient associés à ce programme à hauteur de 20 %, le coût pour l'Etat serait ramené à 1,25 milliard de francs par an.

Un tel programme laisserait donc à l'entreprise une charge de financement non couverte par avances remboursables importante puisqu'elle se situerait à hauteur de près de 12,6 milliards de francs.

b) Un mécanimse insuffisant

L'exemple de l'A3XX offre une illustration parfaite de ce que les soutiens par avances remboursables tout au moins pour les appareils commerciaux de 100 places et plus ne constituent pas un mode de soutien suffisant.

Une conséquence s'impose : les soutiens doivent être diversifiés.

Etant souligné que les avances remboursables permettent de "publiciser" les risques -fonction indispensable compte tenu des caractéristiques de cette industrie-, il y a lieu en outre de souligner que l'examen de leur capacité à satisfaire leur cinquième fonction, de compensation des soutiens publics accordés à nos concurrents, débouche sur un jugement négatif.

Les avances remboursables ne sont en rien assimilables en France à un mécanisme systématique de soutien des entreprises aéronautiques. Or, nombre de nos concurrents ont mis en place un tel mécanisme.

L'aide apportée par l'Etat n'est que provisoire, si bien que le bilan des relations financières entre l'Etat et les entreprises évolue en fonction de l'évolution des aides consenties et du niveau des remboursements à l'Etat.

Or, le poids des remboursements ne doit pas être sous-estimé . Sur un total de 32,3 milliards de francs reçus de l'Etat, les entreprises aéronautiques avaient en 1995 remboursé plus de 15,3 milliards de francs, soit près de la moitié des avances à elles consenties.

Plus encore, le bilan des versements de l'Etat et des remboursements opérés par les entreprises s'est dégradé au désavantage de ces dernières. Ainsi, dans le cas d'Aérospatiale, les flux devraient être défavorables à l'entreprise en 1997 pour un montant considérable, de l'ordre de 1,5 milliard de francs et en 1998, pour près de 2 milliards de francs. Quant à la SNECMA, elle serait débitrice nette de près de 36 millions de francs en 1997 et de plus de 80 millions de francs en 1998. Cette charge, si elle est la rançon des avantages octroyés à l'entreprise dans le passé et si elle traduit en outre les succès commerciaux des programmes alors soutenus, n'en est pas moins considérable au point que le redressement en cours des entreprises concernées pourrrait être compromis par ces versements. Il est alors loisible de considérer comme indispensable que l'Etat prenne l'initiative de mieux équilibrer ses relations financières avec elles.

Ces données contrastent pour le moins avec l'image complaisamment répandue selon laquelle notre système de soutien "distordrait" la concurrence en octroyant un avantage indu à nos entreprises. Si notre système offre un avantage ponctuel aux entreprises, il n'est pas un mécanisme systématique de financement public de la construction aéronautique civile. Il convient donc de compléter les avances remboursables et de rééquilibrer les interventions de l'Etat .

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