CHAPITRE IV

LE SOUTIEN PUBLIC A L'AÉRONAUTIQUE CIVILE
EN FRANCE

Les modalités du soutien public à l'industrie aéronautique civile privilégient en France le recours à un soutien ponctuel et transitoire avec le mécanisme des avances remboursables.

Notre système de soutien offre donc surtout un soutien direct à des produits par opposition théorique aux soutiens indirects, qualificatif accordé traditionnellement aux aides à la recherche, qui n'y occupent qu'une place seconde.

Le tableau qui suit décrit l'architecture de ce système. Hors dotations en capital, plus de 81 % des concours publics à la construction aéronautique civile ont pris la forme d'avances remboursables, le reste se répartissant entre des subventions à divers organismes (ONERA, soufflerie européenne...) pour 2,2 % et des crédits de recherche-amont pour 16,4 %.

L'efficacité de ce système n'est pas niable. Elle n'est pourtant pas entière.

En outre, elle ne doit pas occulter les lacunes des autres formes possibles de soutien à l'industrie aéronautique civile qu'elles soient financières -aides à la recherche, contribution de l'Etat actionnaire à l'équilibre financier de ses entreprises publiques- ou immatérielles, organisationnelles ou diplomatiques.

L'appréciation de la qualité de notre système de soutien public au secteur doit être conduite à partir des objectifs théoriques d'un tel système.

Au terme de cet exercice, un réexamen s'impose. Les solutions qui peuvent en découler sont à l'évidence contraintes par les règles internationales qui nous lient et dont la justification a été discutée en plusieurs développements de ce rapport. Un "aggiornamento" apparaît indispensable sur ce point, sauf à accepter la persistance d'un handicap structurel. S'il n'était pas réalisé, il faudrait alors opérer une réorientation plus profonde des modalités du soutien public à l'aéronautique.

Mais, les contraintes internes existent aussi. Il ne faut ni les minimiser ni en faire le prétexte à un immobilisme qui serait ruineux. Ruineux mais aussi défaitiste car, comme l'a montré l'histoire de l'aéronautique civile, ce secteur est porteur de victoires économiques et commerciales à peu d'autres pareilles.

I. PRÉLIMINAIRES : APERÇU DE L'ORGANISATION ADMINISTRATIVE EN CHARGE DU SECTEUR

L'organisation administrative, qui constitue le support institutionnel des soutiens publics à l'industrie aéronautique civile, est caractérisée par une grande complexité.

1. La responsabilité de l'Etat propriétaire

Nos deux plus grandes entreprises étant publiques, l'organisation de l'Etat actionnaire doit être brièvement évoquée.

Tout d'abord et quoique l'on puisse penser du rôle des conseils d'administration des entreprises publiques, leurs conseils d'administration font place aux représentants de l'Etat et, en particulier, du ministère de la défense, des transports et de l'économie et des finances.

En outre, un commissaire du Gouvernement et un contrôleur d'Etat siègent aux conseils d'administration.

En outre, la diversité des tutelles et contrôles étatiques caractérisent la vie ordinaire d'entreprises qui doivent faire face à une exigence forte de cohérence.

Il ne s'agit pas ici d'affirmer que celle-ci est hors d'atteinte mais, en tout cas, de poser la question de savoir quelle est la contribution d'un Etat actionnaire divisé à la poursuite de cet objectif.

En toute hypothèse, si la diversité culturelle de la représentation de l'Etat dans les conseils d'administration des entreprises publiques et de la tutelle exercée par l'Etat sur elles s'impose comme un constat fort rendant quelque peu énigmatique le processus de direction et de contrôle desdites entreprises, une autre observation doit être soulignée : le contraste entre la vocation de ces entreprises, principalement industrielles et civiles, et celle des cadres administratifs chargés d'y représenter l'Etat.

C'est ainsi d'abord que, malgré la réalité d'une activité majoritairement commerciale et civile, l'influence du ministère de la défense est sur elles très forte, voire prépondérante.

C'est ainsi ensuite que, bien qu'elles soient confrontées à des contraintes industrielles tout à fait particulières, la représentation et le contrôle de l'Etat paraissent ignorer cette donnée, privilégiant semble-t-il la tutelle financière et budgétaire. Or, il n'est pas sûr que, compte tenu des caractéristiques très particulières de l'environnement financier de leur activité, la représentation et le contrôle de l'Etat en ce domaine soient exercés selon des méthodes adaptées.

C'est en particulier l'impression qui émerge du constat que l'Etat n'a pas résolu certaines de ses contradictions habituelles. Avare de ses deniers, il n'a pas su mettre en oeuvre les moyens financiers du développement de ses entreprises, en bref leur accorder des dotations en fonds propres suffisantes, s'y refusant en particulier au nom de résultats dégradés et conditionnant son soutien à un retour à meilleure fortune qu'il hypothéquait par ses réticences.

Mais, dans le même temps, comme en a témoigné le directeur financier d'une des entreprises concernées, l'Etat n'a jamais, semble-t-il, fixé d'objectifs de retour sur investissement ou, même d'ailleurs, d'objectifs précis de gestion.

Enfin, alors que le ministère des transports est censé, à travers les services spécialisés de la direction générale de l'aviation civile, abriter et cultiver la "culture" du marché de la construction aéronautique civile, son influence paraît limitée à l'excès.

2. La responsabilité de l'Etat pourvoyeur de moyens

S'agissant non plus des entreprises mais des crédits publics destinés à soutenir les constructions aéronautiques, hors dotations en capital, le processus de décision est lui-même complexe.

Le calibrage des crédits n'est pas autonome .

Il dépend d'abord des projets des industriels qui eux-mêmes en dépendent, ce qui introduit un processus d'interaction peu simple à maîtriser.

Mais il dépend aussi, une fois formalisées les demandes du ministère des transports, de la direction du budget. Or, celle-ci considère que les crédits de soutien à la construction aéronautique civile font partie de l'enveloppe du budget civil de recherche et de développement (BCRD). C'est d'ailleurs le bureau en charge des problèmes de recherche qui "gère" les crédits budgétaires du secteur au ministère de l'économie et des finances. Cette conception n'est pas neutre : elle oriente la réflexion sur le niveau des crédits susceptibles d'être mobilisés en faveur de la construction aéronautique qui se trouvent dépendre, conceptuellement, de l'évolution des autres crédits du BCRD . On doit à ce stade rappeler que ce dernier est largement inerte puisqu'il finance des programmes de recherche longs à vocation pluriannuelle et que son évolution est très étroitement dépendante de dépenses de personnel peu élastiques.

Dans les faits, les programmes nouveaux ont donc du mal à prendre place dans un exercice qui privilégie la prolongation des tendances. Les crédits d'intervention cèdent devant les crédits assurant le fonctionnement continu et courant des grands organismes et programmes.

Incidemment, on peut observer combien le secteur aéronautique confirme le bien-fondé de l'interrogation formulée par la Cour des comptes sur la capacité du BCRD à constituer le cadre d'une coordination de la programmation et de l'exécution de l'effort de recherche par le ministre chargé de la recherche.

Si la définition des crédits de soutien à l'industrie aéronautique n'est pas autonome, il en va de même de leur gestion.

Pour aller à l'essentiel, il convient d'indiquer qu'en la matière, les services techniques du ministère de la défense, à travers la délégation générale pour l'armement -DGA-, exercent l'expertise et, secondairement, sont ordonnateurs des crédits, la direction des programmes aéronautiques civils -DPAC- du ministère des transports ayant, elle, un rôle de définition de la politique industrielle.

Cette solution a permis de garder à la DPAC une dimension modeste comme le démontre son organigramme fonctionnel.

L'ORGANIGRAMME DE LA DPAC

DIRECTEUR

Programmes Airbus et Gros moteurs (2 personnes)

- Définition de la politique à l'égard d'Airbus et des moteurs civils : statut, produits, soutien de l'Etat. Participation aux structures intergouvernementales d'Airbus et concertation avec les partenaires européens d'Airbus.

Affaires internationales (2 personnes)

- Négociation et application de la réglementation communautaire. Participation aux négociations internationales (suivi de l'accord bilatéral de 1992, réglementation de l'OMC, etc...). Élaboration des dossiers relatifs à la construction aéronautique civile préparés pour les entretiens ministériels.

Programmes d'avion de transport régional (1 personne)

- Définition de la politique à l'égard d'ATR et AIR : statut, produits, soutien de l'Etat.

SOUS-DIRECTION DES PROGRAMMES

Bureau hélicoptères (1 personne)

- Définition de la politique à l'égard d'Eurocopter et de Turbomeca : statut, produits, soutiens de l'Etat.

Bureau aviation légère et d'affaires (1 personne)

- Définition de la politique à l'égard de l'activité avions d'affaires de Dassault Aviation et des constructeurs d'avions légers et de voltige et de planeurs.

Bureau études-recherche et équipements (5 personnes)

- Définition de la politique de soutien à la recherche : choix des programmes de recherche et mise en place des soutiens correspondants. Définition de la politique de soutien aux équipementiers : suivi des industriels, choix des programmes et mise en place des soutiens correspondants. Suivi des installations publiques de recherche nationales ou européenne : ONERA, soufflerie transsonique européenne (ETW). Participation aux travaux européens en matière de recherche : task force "avion du futur", programmes cadres de recherche et développement (PCRD), etc... Participation aux structures de coopération internationale en matière de recherche : groupes bilatéraux ; soutiens propres aux pays Airbus, GARTEUR.

SOUS-DIRECTION DES AFFAIRES ECONOMIQUES ET FINANCIERES

Bureau études économiques et affaires financières (2 personnes)

- Analyse de l'environnement économique, de la situation économique et de l'activité des entreprises du secteur ; études de marché et de rentabilité. Suivi de l'élaboration et de l'application des accords internationaux relatifs au commerce ou au financement des ventes des aéronefs civils. Instruction des dossiers de financement et de garantie des exportations des divers matériels aéronautiques civils. Suivi de la situation financière des entreprises du secteur ; préparation des dossiers des conseils d'administration d'Aérospatiale et Snecma. Documentation et statistiques.

Bureau budget (3 personnes)

- Préparation et mise en oeuvre du budget de la construction aéronautique civile. Planification pluriannuelle. Suivi des remboursements des avances et redevances. Suivi administratif des marchés et conventions.

Compte tenu du personne chargé du soutien (secrétariat, etc...), l'effectif total de la DPAC est de 27 personnes .

Si ainsi ont été évitées des redondances coûteuses, il n'en reste pas moins que la définition et le suivi de la politique de l'Etat en la matière supposent les détours de "l'interministérialité", tandis que l'administration spécialisée dans le secteur, malgré la valeur de ses hommes, paraît privée de la taille-critique qui serait nécessaire à en faire l'animateur. Cette organisation, en tout cas, ne garantit pas que les spécialistes financiers, des affaires extérieures, de la défense... prennent toujours en compte suffisamment les particularités d'un secteur qui le mériterait pourtant.

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