III. LES ASPECTS ECONOMIQUES

A. LE PACTE DE STABILITE

Le mardi 29 octobre 1996, sous la présidence de M. Jacques Genton, la délégation a entendu M. Jean-Paul Fitoussi, président de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).

La première question à laquelle a répondu M. Jean-Paul Fitoussi portait sur l'éventuel effet récessif que pourrait avoir le pacte de stabilité budgétaire s'il s'accompagnait d'une politique restrictive de la Banque centrale européenne.

M. Jean-Paul Fitoussi a estimé que l'on était confronté à une incertitude quant au comportement des autorités monétaires et quant au comportement des autorités politiques, dans la mesure où l'on ne sait pas encore quel sera le contrepoids politique à la Banque centrale européenne. De manière générale, une politique monétaire restrictive entrave la réduction du déficit budgétaire, car elle en accroît le coût en termes d'emplois et d'activités, tandis qu'une politique monétaire expansionniste facilite la réduction de l'endettement des Etats. Si la politique monétaire européenne était trop restrictive, les efforts pour respecter le pacte de stabilité pourraient être d'autant plus déstabilisateurs pour l'activité et l'emploi que les Etats arriveront, lors de l'adoption de la monnaie unique, à la limite des critères. La question fondamentale, a poursuivi M. Jean-Paul Fitoussi, est de savoir comment un Gouvernement peut agir pour régler les problèmes quotidiens des populations dont il a la charge lorsqu'il n'a plus la maîtrise ni de la politique monétaire, ni de la politique budgétaire ; une bonne politique structurelle ne peut en effet compenser les effets d'une mauvaise politique macro-économique.

La seconde question concernait les éléments qui devraient être pris en compte pour influer sur la parité de l'Euro.

Un pays, a expliqué M. Jean-Paul Fitoussi , est dans une situation de compétitivité satisfaisante si trois conditions sont simultanément réunies : il doit avoir un taux d'inflation voisin de celui de ses partenaires ; il ne doit pas avoir de déséquilibre extérieur important dès lors que le taux d'intérêt est supérieur à son taux de croissance ; il doit avoir une situation d'emploi et de croissance similaire à celle des autres pays. Si les deux premières conditions sont remplies pour la France et pour l'Europe, en revanche l'Europe - et la France en particulier - souffrent depuis la fin des années 80 d'un chômage de masse qui prouve que les conditions d'une bonne compétitivité économique ne sont pas réunies. L'explication tient à une surévaluation des monnaies européennes, notamment du mark, de l'ordre de 20 % par rapport au dollar. On peut craindre une surévaluation identique de l'Euro. Cette situation est particulièrement défavorable lorsque l'inflation est faible ou inexistante, comme c'est le cas actuellement. On inflige alors aux entreprises une perte de compétitivité qui ne peut être compensée que par la baisse de la masse salariale (licenciements et modération salariale).

M. Jean-Paul-Fitoussi a estimé que, pour la future parité de l'Euro, il était essentiel de prendre en compte ces quatre variables (différence des taux de chômage, différence des taux de croissance, différence des taux d'inflation et différence des déficits extérieurs) qui constituent autant d'éléments objectifs déterminant les parités d'équilibre ; il a souligné que cette analyse était cohérente avec les différentes théories économiques, qu'elles soient libérales ou interventionnistes.

La troisième question était relative à l'évolution du cours des devises européennes à l'approche de la troisième phase de l'Union monétaire.

M. Jean Paul Fitoussi a indiqué que les périodes de transition sont souvent des périodes de grande instabilité pour les marchés financiers du fait des opportunités de spéculation qui se présentent dans ces circonstances. " Peut-on faire l'Euro autrement que par surprise ? " s'est alors interrogé M. Jean-Paul Fitoussi, car, à ses yeux, le délai contenu dans le traité n'est pas fondé en logique économique et il pourrait refléter, aux yeux des marchés, l'indétermination des Etats membres qui s'acheminent vers l'UEM " comme à contrecoeur ". On sait qu'une spéculation peut se nourrir d'éléments très divers, comme la chute d'une institution financière, une croissance plus vive dans un pays que dans un autre, la faiblesse du dollar. Ce sont là autant de phénomènes qui rendent plus risquée la période de transition.

La quatrième question visait les moyens dont pourraient disposer les Etats de la zone Euro pour réagir d'un point de vue macro-économique en cas de choc asymétrique.

M. Jean-Paul Fitoussi a estimé que, dès lors qu'ils ne disposeraient ni de la politique monétaire, ni de la politique de change, ni de la politique budgétaire globale, les Etats confrontés à un choc asymétrique n'auraient que des marges de manoeuvre extrêmement limitées, sinon nulles. Tout au plus les pays participant à la monnaie unique pourraient-ils alors apprécier si ce choc asymétrique constitue une " circonstance exceptionnelle " permettant d'accorder une marge de manoeuvre plus grande aux pays concernés.

D'après la théorie économique, il y a plusieurs moyens de réagir à un choc asymétrique dans une zone monétaire unique. Le premier consiste à compenser partiellement le choc par l'accroissement du déficit budgétaire. Le second à faire jouer la solidarité budgétaire entre les pays européens, ce qui impliquerait l'existence d'un budget fédéral important. Le troisième à utiliser la flexibilité des prix et des salaires ; celle-ci ne jouant qu'à moyen terme, cela impliquerait que le pays concerné soit soumis à une croissance relative du chômage par rapport à ses voisins pendant une période qui pourrait durer au moins une décennie. M. Jean-Paul Fitoussi a conclu qu'il ne semblait pas rationnel d'imaginer que l'on puisse lier les Gouvernements par un pacte budgétaire en cas de choc asymétrique et qu'il faudrait alors choisir, soit de nouer davantage les solidarités européennes, soit de laisser une marge de manoeuvre budgétaire aux Gouvernements européens.

M. Alain Richard a alors demandé quelle pourrait être la réaction de la Banque de réserve fédérale américaine pour le cas où les autorités monétaires européennes, convaincues par l'argumentation développée par l'orateur, chercheraient à faire baisser de quelque 15 % ou 20 % la valeur relative de l'Euro par rapport au dollar.

M. Jean-Paul Fitoussi a répondu que l'Europe ne pouvait que gagner en pareil cas. En effet, c'est par la baisse des taux d'intérêt que l'on peut faire baisser la valeur d'une monnaie. Même si la baisse des taux d'intérêt en Europe incitait les Etats-Unis à baisser leurs propres taux d'intérêt, cette baisse se poursuivrait en Europe, ce qui ne pourrait qu'avoir des effets positifs, même s'il ne s'ensuivait pas de modification dans la parité de l'Euro avec le dollar. Il a ajouté que l'Euro permettrait à l'Europe d'avoir une stratégie de change et qu'il était lui-même favorable à la création de l'Euro dans le mesure où l'on utiliserait cette possibilité de stratégie de change.

M. Alain Richard a demandé à M. Jean-Paul Fitoussi s'il estimait que la plongée du déficit budgétaire français, qui est passé de 2 % à 6 % du produit intérieur brut en 1993-1994, avait aidé la France en termes de croissance.

M. Jean-Paul Fitoussi a répondu que, pour l'ensemble des économistes, c'était la politique monétaire qui avait engendré le déficit public en France. La politique monétaire suivie par notre pays, consistant à appliquer la même politique monétaire restrictive que l'Allemagne qui devait alors répondre au choc que constituait l'unification, l'a conduit à connaître le taux d'intérêt réel court qui fut à la fois le plus élevé de son histoire (à l'exception de quatre ans pendant les années trente) et le plus élevé du monde, et cela alors même que la France ne connaissait aucun problème d'inflation. Cet accroissement considérable des taux d'intérêt réels français, à contrecourant de la conjoncture, a provoqué un effondrement des taux d'investissement et une baisse de la croissance. Il en est résulté un effondrement des recettes publiques et, par là même, une augmentation du déficit budgétaire. Il eût été préférable, a ajouté M. Jean-Paul Fitoussi, de réévaluer le mark, ce qui n'aurait mis en danger ni la construction européenne, ni le système monétaire européen.

M. Yves Guéna a souligné la complexité du problème que pose le niveau de parité entre l'Euro et le dollar ; d'une part, on souhaite que l'Euro soit une monnaie forte ; mais, d'autre part, on sait qu'il serait bon que le dollar soit réévalué par rapport à l'Euro. La question est d'autant plus inquiétante que, si la Réserve fédérale a son Gouvernement derrière elle, on ne sait pas quelle autorité politique pourra être aux côtés de la Banque centrale européenne. Enfin, M. Yves Guéna a déclaré que, pour lui, un Gouvernement qui ne maîtriserait ni la politique monétaire, ni la politique budgétaire, ne serait plus un Gouvernement.

M. Xavier de Villepin s'est étonné du pessimisme des propos de M. Jean-Paul Fitoussi et a estimé que les phénomènes nouveaux, qui ne manqueront pas de suivre la mise en place de la monnaie unique, auront sans nul doute des effets positifs pour l'Europe.

M. Paul Loridant a renouvelé son interrogation quant à la possibilité de réguler un système monétaire centralisé en Europe sans cohérence du pouvoir politique.

M. Jean-Paul Fitoussi a précisé que ses critiques portaient sur la notion même de pacte de stabilité et non sur la monnaie unique ; il a ajouté que l'Europe avait jusqu'à présent payé des primes de risque excessives parce qu'il y avait des taux de change intraeuropéens et que l'adoption de la monnaie unique devrait permettre d'éliminer cette contrainte ; il a estimé en conséquence que le pire était derrière nous. Quant au pacte de stabilité, ce sera une contrainte ou non selon le taux de croissance. Enfin, a-t-il conclu, le vrai problème tient à l'absence de répondant politique réel à la Banque centrale européenne.

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