III. LES REMÈDES PROPOSÉS PAR LORD WOOLF POURRAIENT FACILITER UN RAPPROCHEMENT DE NOS SYSTÈMES JUDICIAIRES

Ayant porté un diagnostic sévère sur la situation actuelle, Lord Woolf l'indique d'emblée : " Je ne propose pas que nous abandonnions notre tradition accusatoire et orale pour un système inquisitoire dans lequel le juge joue un rôle directeur pour fixer les questions à trancher et rechercher les preuves. L'approche que je recommande consiste à préserver les meilleurs éléments de notre système contradictoire actuel tout en donnant au juge un rôle de direction plus interventionniste afin d'éviter les excès qui déforment aujourd'hui ce système " 23( * ) .

Il n'ignore pas que les problèmes à régler se rapprochent, par certains aspects, de ceux diagnostiqués en France par notre mission sur les moyens de la justice, en dépit des capacités de régulation données au juge par notre procédure civile.

Sa position, ainsi qu'il l'a indiqué lui-même lors de notre rencontre, a d'ailleurs été qualifiée de " mid-channel " (à mi-Manche).

Les huit principes que devra respecter, selon Lord Woolf, le futur système de justice civile sont les suivants :

a) que les résultats obtenus soient justes ;

b) que le traitement des justiciables soit équitable ;

c) que soient proposées des procédures appropriées à un coût raisonnable ;

d) que les affaires soient réglées dans un délai raisonnable ;

e) que le système soit compréhensible pour l'usager ;

f) qu'il réponde aux besoins des usagers ;

g) qu'il procure autant de sécurité que la nature des cas particuliers le permet ;

h) qu'il soit performant : pourvu et organisé de manière adéquate.

Or, estime-t-il, le système actuel est trop coûteux pour les parties, trop lent, trop imprévisible et incompréhensible pour la plupart des justiciables. Enfin, il est trop fragmenté et trop conflictuel 24( * ) .

Lord Woolf propose donc un nouveau " paysage " dont les objectifs seront :

- d' éviter la judiciarisation chaque fois que cela sera possible en développant la médiation notamment grâce à l'extension de l'aide judiciaire ;

- d'accroître la capacité du juge d'encourager la coopération des parties ;

- d'établir des procédures identiques et simplifiées devant la High Court et les County Courts et de favoriser le traitement des affaires par la Cour la plus adaptée au cas ;

- de raccourcir le calendrier d'examen des affaires et de réduire le coût des procédures, en permettant au juge de piloter le contentieux ;

- de favoriser l'égalité entre des parties disposant de moyens financiers inégaux ;

- de rationaliser l'organisation des juridictions et la carte judiciaire , en concentrant le traitement spécialisé des affaires complexes mais en maintenant le tissu des petites juridictions et en développant l'informatisation ;

- d'éliminer les appels
ne présentant pas de réelles chances de succès.

Ces objectifs seront recherchés au travers de filières de procédures modernisées, du développement d'une mise en état informatisée pilotée par le juge et de l'encouragement des méthodes alternatives de résolution des conflits (A.D.R.).

A. LA CRÉATION DE FILIÈRES DE PROCÉDURE MODERNISÉES

1. Trois filières

Lord Woolf propose une réorganisation des procédures autour de trois filières basées sur le montant disputé et la complexité des affaires :

a) Le " petit contentieux " (small claims) : jusqu'à 3000 ( 1000 pour les dommages corporels)

Lord Woolf propose la confirmation de la procédure simplifiée existant actuellement devant les County Courts pour les faibles enjeux dont le plafond venait d'être rehaussé à 3 000 par le Lord Chancellor. La représentation par un avocat n'est pas obligatoire et les coûts sont limités autour de 100 à 200.

Le perdant ne paye au gagnant que les frais de justice et de dépositions des témoins, pas les honoraires.

b) La " filière rapide " (Fast track) : de 3 000 à 10 000

Ce serait le coeur de la réforme . Le critère financier ne serait pas seul pris en compte pour renvoyer une affaire à cette filière.

Ainsi, seraient écartées de cette procédure et renvoyées à la troisième filière les affaires d'un montant inférieur à 10 000 mais :

- soulevant des questions d'intérêt général ;

- représentant un cas test ;

- nécessitant le témoignage oral des experts ;

- supposant des argumentations développées ou des dépositions orales qui ne pourraient être présentées dans le cadre des audiences de cette filière (soit un jour d'audience maximum) ;

- comportant des volumes substantiels de documentation.

Seront probablement renvoyées sur ces critères d'exclusion la plupart des affaires de responsabilité médicale, celles relevant d'un jury et les cas de tromperie.

A l'inverse, Lord Woolf n'interdit pas au juge d'aiguiller vers cette filière des affaires portant sur des sommes supérieures à 10 000.

La décision de répartition sera prise par un district judge même si les parties conservent indirectement une certaine faculté de choix en fixant le montant de la demande initiale.

c) La filière " à géométrie variable " (Multi track) : au-delà de 10 000

Dans cette filière, la Cour devra mettre en oeuvre le traitement adapté au cas particulier en optant alternativement ou cumulativement pour :

- une conférence de mise en état ;

- un calendrier fixe jusqu'à la révision préalable à l'audience ( pre-trial review ) ;

- une date ou une période envisagée pour l'audience.

2. Des dossiers et des coûts allégés

Le principe pour la fast et la multi-track est de limiter les délais et les coûts en plafonnant le travail qui peut être effectué sur un dossier . On limite ainsi les frais de défense payés aujourd'hui à l'heure ainsi que les frais d'expertises.

En outre, les défenseurs auront l'obligation professionnelle d'expliquer les coûts à leurs clients dès le début de l'affaire et de les prévenir à l'avance en cas de dérapage par rapport aux estimations.

· Ainsi, pour la fast track sont prévus :

- une communication standardisée des dossiers entre les parties (la " disclosure " remplacerait la " discovery " qui était très lourde et très chronophage) ;

- la limitation à une seule expertise et l'absence de déposition orale des experts à l'audience ;

- la plafonnement de la durée de l'audience , le plus souvent à trois heures, au maximum à un jour ;

- des coûts fixes à payer à la partie gagnante : le solicitor pourra demander davantage à son client sous réserve de signer préalablement une convention avec lui.

La matrice préparée par le barreau prévoit une modulation des tarifs en fonction des enjeux (inférieurs à 5000 ou compris entre 5000 et 10000) et de la difficulté de l'affaire. Le versement des honoraires est étalé dans le temps. En dehors des frais de plaidoirie (solicitor ou barrister) si l'affaire vient à l'audience, les frais seraient plafonnés à 2 500. Ce plafond ne devrait être atteint que pour les enjeux atteignant 10 000 et impliquant des travaux supplémentaires en raison de leur difficulté.

· Pour la multi-track :

- les parties devront fournir tôt la liste des questions qu'elles souhaitent voir traitées par le juge ;

- le principe sera la communication standardisée des pièces entre les parties, sous réserve d'une autorisation du juge pour les compléments ( extra disclosure) ;

- les coûts seront contrôlés (mais non fixes) pour les cas les plus simples.

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