5. La politique sociale et le chômage en Europe - Interventions de MM. Jean-Pierre MASSERET, sénateur (Soc.), Michel HUNAULT, député (RPR), et Jean VALLEIX, député (RPR) (Mardi 24 septembre)

L'Assemblée aborde la discussion commune de deux rapports : le premier portant sur la politique sociale et le second sur le chomâge en Europe.

L'avenir de la politique sociale

Selon les rapporteurs, l'organisation du travail a été modifiée par les progrès technologiques et la mondialisation ; en conséquence, le système de protection sociale de naguère, qui fonctionnait "du berceau jusqu'à la tombe", n'est plus viable. Le rapport met en avant un grand nombre de propositions très variées, qui devraient permettre de trouver de nouvelles orientations en matière de politique sociale.

Des horaires de travail souples, le partage du travail, les bassins d'emplois et la réduction du temps de travail sont autant de propositions destinées à stimuler l'emploi. L'éducation et la formation devraient être déclarés prioritaires, et les travailleurs devraient avoir la possibilité d'alterner entre le travail et la formation. Les services de proximité pourraient générer de nouvelles sources d'emplois.

Les rapporteurs pensent que les questions financières doivent être repensées. Le PIB devrait être remplacé par l'IDH -un "indicateur de développement humain" prenant en compte différents facteurs tels que le revenu, l'espérance de vie, la nutrition, les soins de santé et l'éducation. Les impôts, les budgets et la redistribution des revenus pourraient être réorganisés afin qu'on puisse dégager des fonds, et les projets importants de l'Europe pourraient être financés par un grand crédit européen.

Les rapporteurs soulignent enfin que la politique sociale doit être pondérée, et qu'elle doit reposer sur la Charte sociale européenne du Conseil de l'Europe.

Le chômage en Europe - Causes et solutions

Le rapporteur rappelle que le chômage a pris une ampleur intolérable dans de nombreux Etats membres du Conseil de l'Europe, où il atteint de plein fouet des millions de personnes.

Le taux de chômage varie considérablement entre ces différents Etats  : parfois inférieur à 3 %, il dépasse ailleurs les 20 %, et il est important de comprendre les raisons de ces différences. Le chômage n'est plus seulement un phénomène cyclique  ; il est devenu essentiellement structurel, ce qui signifie que la reprise économique n'entraîne plus forcément une reprise de l'emploi.

Les Etats doivent prendre d'urgence des mesures radicales s'ils veulent parvenir à résoudre durablement le chômage. Ils doivent se doter de politiques macroéconomiques qui stimulent la croissance économique, et mieux structurer leur système de sécurité sociale et leur fiscalité afin d'améliorer la flexibilité du marché du travail. Il est primordial d'offrir une meilleure éducation et la possibilité de suivre une formation en alternance. En outre, le rapporteur préconise d'accorder la priorité aux petites et moyennes entreprises, qui peuvent offrir des moyens novateurs de réanimer les économies.

M. Jean-Pierre MASSERET, sénateur (Soc.) , intervient dans le débat en ces termes :

" Je commencerai par citer Jean-Jacques Rousseau : "Le plus grand mal s'est déjà produit quand on doit protéger les pauvres et contenir les riches". C'est bien de cela qu'il est question dans les rapports qui nous sont soumis, deux rapports qui présentent, en vérité, plus de différences que de points communs.

" Certes, les deux rapports expriment un même souci, ils sont fondés sur un même constat : les sociétés européennes produisent de l'exclusion sociale, notamment du chômage, qui est la première cause de l'exclusion, et cette situation crée des souffrances individuelles et collectives.

" Mais là s'arrêtent les points communs. En effet, le rapport de notre collègue M. Blœtzer est franchement, disons-le, néolibéral, alors que le rapport de la Commission des questions sociales est mieux balancé, même s'il présente des insuffisances au regard de son objectif central qui est d'installer une véritable démocratie sociale.

"  Au-delà de la forme, l'intérêt de ces deux rapports est qu'ils engagent un débat essentiel sur un choix de société.

" En quelques minutes cependant, je veux dire mon opposition radicale au rapport de mon collègue M. Blœtzer qui se fait le chantre de la pensée unique dominante. La rhétorique employée, la vision proposée portent la marque de l'offensive libérale. Son rapport propage l'idée qu'il existe des contraintes inflexibles en matière économique et sociale, contraintes présentées comme s'il s'agissait de phénomènes naturels, de phénomènes météorologiques, comme si la volonté politique, la volonté des hommes, était effacée : c'est ainsi que l'on crée le fossé qui se creuse aujourd'hui entre la responsabilité des élus et du citoyen.

" Le rapport nous offre le tour de force qui consiste à présenter les reculs sociaux comme des réformes positives. Ces pseudo-réformes correspondent, en fait, à de vrais reculs sociaux, il ne faut pas s'y tromper. Elles touchent tous les domaines : la santé, les retraites, l'enseignement, les salaires. Nous sommes invités à traiter des questions de culture, des questions sociales et de santé sous le seul angle de leur financement. L'Etat-providence devrait en somme disparaître et il faudrait privatiser et commercialiser les biens collectifs et les services publics. On peut même lire que le salaire minimum est une gêne pour l'emploi ! Allez donc expliquer à ceux qui ont 3.000 FF par mois pour vivre qu'ils gagnent trop aujourd'hui ! Moi, je ne le ferai pas, je ne peux le faire !

" L'aspect moral de ma responsabilité me l'interdit totalement. Les salaires conventionnels qui garantissent pourtant la stabilité de la demande intérieure sont condamnés. L'austérité est érigée en vertu. Je rappelle ici que l'objet de toute réforme sociale est d'ouvrir des possibilités d'intégration sociale, et non d'exclusion ! Toute réforme sociale doit accorder la priorité à la dignité humaine plutôt qu'à l'utilité financière des individus. La logique de rentabilité n'est pas plus importante que la recherche de l'équilibre interne de la société.

" Le chantage exercé sur les salariés européens en exploitant la misère du monde ne légitime pas une politique sociale.

" Sur ces questions essentielles, il ne peut donc y avoir de consensus. Je sais que notre Assemblée parlementaire fonctionne sur la base du consensus et nous pouvons l'instaurer quand il s'agit des principes démocratiques constitutionnels, des institutions et des droits de l'homme. En revanche, à propos du contenu économique et social, se creuse un véritable fossé entre certaines conceptions qui existent dans cette Assemblée. Le mieux est de le dire, de le soutenir et d'en débattre.

" C'est ainsi que nous rendrons service à la démocratie parce que, derrière tout cela, c'est bien son avenir qui est en jeu. En évoquant dans ces rapports les dangers sociaux, vous fracassez les principes d'égalité et de solidarité. Or la démocratie requiert un équilibre entre liberté, égalité et solidarité, ce qui n'est pas, me semble-t-il, contenu dans le projet de recommandation de notre collègue M. Blœtzer ".

M. Michel HUNAULT, député (RPR) , a pris la parole à son tour en ces termes  :

" Madame le Président, Mesdames et Messieurs les Députés, je tiens en premier lieu à féliciter M. Blœtzer pour la qualité de son rapport sur "le chômage en Europe : causes et remèdes", un fléau qui touche aujourd'hui l'ensemble de nos pays.

" Je le remercie d'avoir fait état dans ce rapport de la proposition de recommandation sur l'emploi des jeunes que j'ai présenté en mai 96 et je souhaite développer les propositions contenues dans cette recommandation.

" Il me paraît important de dissocier le chômage en général et l'emploi des jeunes en particulier. Ce dernier est spécifique et de son évolution dans les prochaines années, dépendra le dynamisme économique et l'avenir de nos pays donc de l'Europe face aux autres continents.

" Le chômage est le plus important problème économique auquel sont confrontés nos pays européens. Faut-il rappeler que plus de 20 millions de nos compatriotes sont touchés ?

" Depuis 1973, il a connu une augmentation progressive et aucun Etat n'est parvenu à réduire fortement le chômage ou à le maintenir à un faible niveau sur une longue période exception faite du Luxembourg.

" Le chômage des jeunes a suivi hélas la même courbe.

" Dans tous les Etats membres le chômage frappe les jeunes bien plus que leurs aînés à l'exception de l'Allemagne.

" Depuis le choc pétrolier de 1973, clôturant deux décennies marquées par une croissance économique élevée et relativement constante en Europe, le taux de chômage n'a cessé de croître. Chacun s'accorde sur le fait que le chômage est le plus important problème économique de l'Europe.

" Mais aujourd'hui, près d'un jeune sur cinq de moins de vingt cinq ans est au chômage. Un taux deux fois supérieur à celui des adultes.

" Devenu un véritable sujet au centre des débats internationaux, comme dernièrement au sommet du G7 sur l'Emploi, le chômage des jeunes trouve principalement ses causes dans les faiblesses des formations et leurs inadéquations au marché du travail.

" Ainsi l'évolution du chômage des jeunes est caractéristique de cette dernière décennie, tant d'un point de vue quantitatif -21 % des jeunes de moins de 25 ans touchés par le chômage- que qualitatif par le développement de la précarité du travail.

" Il est à souligner que cette généralisation du chômage des jeunes a entraîné le recul de la proportion des jeunes de moins de 25 ans dans la population active. Elle est tombée de 20 % en 1985 à 15 % en 1992 dans les pays européens.

" Nous devons d'autant plus y faire attention et trouver rapidement le moyen de combattre de fléau que ce phénomène s'installe ".

M. Jean VALLEIX, député (RPR) , prend la parole en ces termes :

"
Monsieur le Président, chers collègues, le scepticisme des opinions publiques existe aussi bien en Europe de l'ouest où se mettent en place de sévères politiques budgétaires, qu'en Europe centrale et orientale, où s'ajoutent les traumatismes dus à la transition parfois brutale vers l'économie de marché.

" Les Européens ont le sentiment que nous allons vers la monnaie unique et vers l'application du traité de Maastricht à marche forcée, alors que l'objectif prioritaire devrait être la création de richesses et donc de salaires, capable de résorber le chômage et de réduire l'exclusion.

" Les insuffisances de l'Europe communautaire dans le domaine social, la priorité absolue qu'elle donne à la monnaie unique, l'aggravation du chômage dans toute l'Europe (20 millions dans les pays de l'Union européenne, 35 millions dans la zone OCDE) ont pour conséquences un désenchantement des opinions publiques à l'égard de la construction européenne et un accroissement du malaise social.

" Si la libre concurrence et le marché sont de nature à promouvoir les droits de l'homme et la démocratie pluraliste, qu'en est-il des garanties que les citoyens attendent des Etats dans le domaine de la protection sociale, de l'accès aux services publics, de la lutte contre le chômage et la fracture sociale ?

" Il est urgent aujourd'hui de remettre l'homme au cœur du projet européen, de donner à la construction européenne une finalité humaine et sociale et non pas seulement économique et monétaire. "La grandeur d'un métier, c'est aussi d'unir les hommes" dit St Exupéry.

" Comment expliquer que l'Union européenne ne parvienne pas à mettre en œuvre le programme de grands travaux toujours en panne et qui serait pourtant susceptible de relancer l'emploi dans plusieurs régions de l'Europe ?

" Nos réflexions sont bien entendu liées au processus de mondialisation de l'économie, à ses nouvelles technologies qui détruisent plus d'emplois qualifiés qu'elles ne créent d'emplois plus spécialisés, qui nécessitent d'ailleurs une formation accrue. Il est donc essentiel de privilégier la formation, des jeunes en particulier.

" Nous devons en particulier privilégier l'aide aux petites et moyennes entreprises qui contribuent à créer un tissu économique propice à l'emploi et qui s'avèrent capables d'accéder aux plus hautes performances pour peu qu'on leur en donne les moyens.

" Je me réjouis que notre Commission des questions économiques organise fin novembre à Budapest un colloque sur les P.M.E., appliqué notamment à l'Europe centrale et orientale.

" Le débat sur la politique sociale et sur le chômage est au cœur de la discussion sur le modèle de société européen, car la perte d'emploi a de dramatiques conséquences sur les comportements individuels, sans parler de la crise de l'adhésion aux différentes institutions que nous ressentons tous.

" Le modèle social européen proposé par le Président Chirac alors que s'ouvrait la Conférence intergouvernementale de l'Union européenne, repose essentiellement sur trois piliers : en premier lieu, il convient de rappeler que des systèmes de protection sociale sont très enracinés dans la culture européenne. L'Europe n'est pas l'Amérique et, à l'Ouest comme à l'Est du continent, le sentiment dominant est que l'Etat doit garantir les citoyens des aléas de l'existence et leur assurer notamment un revenu garanti après la retraite.

" Entre l'ultra-libéralisme et l'étatisation à outrance, une nouvelle voie doit être recherchée. Pour Guy Sorman, l'Amérique privilégie la croissance et le travail, l'Europe plutôt le confort et un discours égalitaire.

" En second lieu, nous devons maintenir la notion de l'égal accès de tous aux services publics, qu'il s'agisse des transports, des télécommunications, de l'éducation ou de la santé. La notion de "service d'intérêt général" est proposée par la Commission européenne et vise les entreprises publiques privatisées. Elle ne doit pas aboutir à exclure des services essentiels les plus défavorisés.

" Enfin, la priorité doit être donnée à l'emploi des jeunes et je saisis cette occasion pour apporter mon appui à la proposition de recommandation présentée par notre collègue Michel Hunault.

" Par ailleurs, il est indispensable que se développe le dialogue social européen. Le Conseil de l'Europe doit apporter sa contribution grâce au dispositif conventionnel dont il dispose déjà. Le Conseil de l'Europe devrait mettre en chantier un code de conduite des relations sociales et du travail adapté au nouveau contexte économique et social.

" Le Conseil de l'Europe n'est pas dénué de moyens. Je rappelle à ce sujet l'importance que nous attachons au Fonds de développement social. Nous devons encourager ce Fonds à accroître encore ses actions, en particulier dans les pays d'Europe centrale et orientale et dans le cadre de l'aide à la reconstruction en Ex-Yougoslavie ; il est cependant indispensable que les Etats membres du Fonds libèrent une part plus grande du capital souscrit, afin d'en renforcer la base de fonctionnement.

" Je rappellerai en conclusion que si notre civilisation et les valeurs qui la sous-tendent ne devaient pas s'imposer comme la motivation première de toutes nos actions économiques et financières, c'en serait fait, je le crains, de l'idéal européen fondé avant tout sur la suprématie de l'homme. "

La recommandation n° 1304 contenue dans le rapport 7634 sur l'avenir de la politique Sociale est adoptée , amendée à l'issue d'un long délai.

Prenant la parole contre un amendement proposant, comme incitation à la création d'emplois, d'"assouplir la réglementation du travail", M. Jean-Pierre MASSERET, sénateur (Soc.) , formule les observations suivantes :

" La souplesse dont il est ici question s'applique toujours aux mêmes, c'est-à-dire aux travailleurs, aux plus modestes. Les efforts sont toujours demandés aux mêmes catégories !

" Il n'est donc pas question d'accepter une remise en cause de la législation du travail qui engendrerait prétendument des emplois. Nous avons tous assisté dans nos pays respectifs à des demandes de ce type. En France, par exemple, a été réclamée et accordée l'autorisation administrative de licenciement. Au lieu de créer 400.000 ou 500.000 emplois, on a enregistré, en fait, 500.000 chômeurs de plus. Ce n'est pas en portant atteinte à la législation sociale du travail que se réglera le problème du chômage ! "

A la suite de cette intervention, l'amendement est rejeté par l'Assemblée.

La résolution n° 1098 contenue dans le rapport 7620 sur le chômage en Europe est adoptée, amendée.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page