4. La démocratie électronique - Rapport de M. Jean-Pierre MASSERET, sénateur (Soc.) - Intervention de M. Claude BIRRAUX, député (UDF) (Mardi 23 janvier)

Présentant son rapport (7359), M. Jean-Pierre MASSERET, sénateur (Soc.) a formulé les observations suivantes  :

" Monsieur le Président, mes chers collègues, ce sujet, la démocratie électronique, a été pris en compte depuis déjà un certain temps par la Commission des relations parlementaires et publiques. En effet, depuis plusieurs années, notre Commission réfléchit et travaille sur un certain nombre de sujets intéressant le fonctionnement de la démocratie. Elle s'inquiète notamment du fossé existant entre la fonction politique et les citoyens.

" Depuis trois ans, nous menons des études et organisons des colloques sur ce thème, dont le dernier est celui de l'avenir de la démocratie confrontée au développement des nouveaux moyens techniques de communication.

" Notre Commission a organisé un séminaire à Paris, au Sénat, réunissant non seulement des parlementaires, mais aussi des experts techniques de l'Europe et même des Etats-Unis. Par ailleurs, des expériences ont pris en compte les travaux menés aussi bien à Amsterdam que dans d'autres villes, que ce soit en Italie ou en France.

" Notre sujet de discussion, rapporté dans le document que j'ai soumis à la Commission des relations parlementaires et publiques, était le suivant : faut-il ou non imaginer un cadre juridique européen qui éviterait les dérives ou les mauvais usages de ces moyens modernes de communication, lesquels ne sont pas sans incidence sur le fonctionnement de notre société ?

" Après avoir salué tous les apports positifs que l'on doit attendre de ces nouveaux moyens de communication, aussi bien dans le domaine de la culture que dans ceux des sciences et des connaissances facilitant la vie quotidienne de nos concitoyens, je dois souligner que nous assistons à la mise en place d'un véritable pouvoir. Dans une démocratie, nous le savons, les pouvoirs fonctionnent à condition qu'il y ait des contre-pouvoirs visant à protéger le bon fonctionnement de la société, ainsi que les citoyens contre d'éventuelles dérives de tel ou tel de ces pouvoirs. Tel était notre sujet de préoccupation.

" C'est pourquoi nous avons élaboré ce projet de recommandation, qui avait le mérite d'ouvrir un débat. Cette nécessité, me semble-t-il, s'imposait à notre Assemblée. Nous suggérons, après avoir fait une analyse très synthétique de la situation, de mettre en place un cadre juridique assez léger, mais visant tout de même à protéger les citoyens.

" Il n'est pas dans l'intention de la Commission des relations parlementaires et publiques d'imposer un cadre strict privant les opérateurs de toute initiative. Il ne s'agit pas de poser un carcan administratif sur quelque chose que l'on ne pourrait pas maîtriser. Les évolutions technologiques et techniques doivent pouvoir se développer tout à fait normalement, dans l'intérêt bien compris de la planète. Nous devons cependant toujours veiller au respect des libertés, du bon fonctionnement de la démocratie, des droits fondamentaux des personnes et des citoyens.

" Par conséquent, la Commission appelle l'attention de l'Assemblée sur un certain nombre de difficultés et d'interrogations retracées dans le rapport.

" Ce document a été soumis à l'avis d'autres collègues et d'autres Commissions de notre Assemblée. Je veux d'abord remercier M. Birraux, rapporteur pour avis, de son travail constructif dont il sera, bien entendu, tenu compte.

" La Commission des questions juridiques et des droits de l'homme a fourni un document très important, très intéressant, qui pose naturellement des questions que nous-mêmes nous nous sommes posés.

" La Commission des questions juridiques et des droits de l'homme souhaite des développements un peu plus amples, des précisions qui pourraient être apportées sur tel ou tel point. Nous en tiendrons compte également dans la procédure que je vais suggérer à la fin de mon propos.

" Je fais remarquer également à la Commission des questions juridiques et des droits de l'homme que bien des points abordés par elle sont effectivement déjà synthétisés dans le rapport de la Commission des relations parlementaires et publiques. Ces points sont peut-être moins développés et probablement trop synthétiques. Sans doute faut-il y voir l'esprit un peu français, un peu trop cartésien qui a animé le rapporteur.

" La Commission de la culture et de l'éducation a également déposé un document important. Cependant, alors qu'elle avait été sollicitée sur l'aspect culturel, elle a plutôt apporté des éléments de réponse dans le domaine économique, en quelque sorte un peu à côté de la demande que nous avions formulée. Quoi qu'il en soit, les analyses intéressantes qui y sont développées doivent nécessairement être prises en compte, car elles viennent naturellement compléter la réflexion de la Commission des relations parlementaires et publiques.

" La Commission des questions économiques et du développement pose, me semble-t-il, un problème aujourd'hui plus délicat à traiter : la liberté économique s'opposerait, en quelque sorte, à la nécessité de définir un cadre juridique tel que nous l'avons suggéré. C'est une question lourde, une question de principe, voire une question idéologique, mais au sens noble du terme. Nos collègues craignent en effet qu'une réglementation ne perturbe les initiatives qui sont absolument nécessaires dans le domaine économique et industriel.

" Loin de nous l'idée d'empêcher le développement des techniques de communication. Même si nous le voulions, nous ne le pourrions pas. Nous ne sommes pas assez bêtes pour vouloir encadrer un développement technique, technologique et scientifique qui, de toute façon, va se développer et dont l'intérêt est évident pour l'ensemble du monde.

" Je vous invite cependant à la prudence : la liberté absolue dans ce domaine ne sera pas sans conséquence sur le bon usage que l'on fera de ces instruments techniques pour le meilleur fonctionnement de notre société, pour la meilleure protection des droits fondamentaux des individus et l'exercice de la démocratie.

" En conséquence, Monsieur le Président, j'appelle notre Assemblée à contribuer à la réflexion sur ce sujet. Il est évident que nous ne sommes ni au bout du chemin, ni au bout de notre réflexion, mais nous avons voulu lancer le débat, lequel s'est engagé, et c'est bien !

" Si l'on veut tenir compte de tous les avis, de toutes les observations, remarques et propositions, il est évident que l'on ne peut pas les trancher ce matin après un débat de cinquante minutes ou d'une heure. Il faut se donner un peu de temps, un peu de recul et approfondir ces questions. C'est pourquoi je suggérerai tout à l'heure à notre Assemblée de renvoyer le dossier en Commission.

" Je proposerai la constitution d'un petit groupe de travail composé de tous les rapporteurs concernés, au fond ou pour avis. Ils se rencontreront dans les prochaines semaines et travailleront au cours des prochains mois. Nous serons alors en mesure de soumettre un rapport plus complet, plus exhaustif, peut-être plus utile à notre Assemblée lors de notre session de septembre prochain.

" Il y a nécessité de débattre et d'avancer sur ce sujet. Il faut savoir également que nos collègues du Parlement européen s'intéressent de très près à la question. Or, nous avons notre mot à dire, ce lieu-ci étant approprié pour définir des cadres juridiques pouvant concerner l'ensemble du continent européen. "

M. Claude BIRRAUX, député (UDF), rapporteur pour avis de la Commission de la science et de la technologie , s'est exprimé en ces termes  :

" Je tiens d'abord à souligner la qualité du rapport de notre collègue M. Masseret.

" Aujourd'hui, il n'est pas possible de considérer que les autoroutes de l'information sont des techniques émergentes. Il s'agit en fait d'une révolution tranquille, invisible, engagée et permise par une offre de matériels qui s'élargit chaque mois et s'accompagne d'une baisse des coûts. Elle répond à une demande très forte du public et correspond à un marché solvable de grande dimension.

" Les réseaux à haut débit et le multimédia constituent donc un marché d'avenir dans lequel s'engouffre l'industrie américaine soutenue par les pouvoirs publics. Les Etats-Unis disposent, en effet, d'une avance considérable pour les composants, les logiciels grand public et les industries de programme. L'administration Clinton avec son projet "d'infrastructure nationale d'information" en a fait un de ses chevaux de bataille dans le domaine économique ainsi qu'en matière d'image politique.

" La Commission européenne, elle aussi, tente de susciter une dynamique industrielle européenne, au travers du Livre blanc pour la croissance, du rapport Bangemann et de son rôle moteur lors de la conférence du G7 tenue à Londres en février dernier.

" Je dirai encore qu'un phénomène fondamental doit être noté dans la diffusion de ces nouvelles technologies de l'information : leur appropriation immédiate par les utilisateurs dont le nombre croît exponentiellement. L'usage de ces technologies se répand rapidement, grâce à l'importance du parc électronique ou informatique installé et grâce à un niveau de formation en hausse rapide quand il s'agit de l'usage des produits électroniques. Ces technologies s'ouvrent des publics et des champs d'application nouveaux et variés : éducation, formation, culture, loisirs, communication interpersonnelle, vie communautaire, nouvelles professions.

" La diffusion de ces nouvelles technologies s'effectue à la fois dans la sphère marchande et non marchande. Dans la sphère non marchande des comportements nouveaux et positifs peuvent être trouvés.

" Comme le montre le cas du réseau mondial Internet, il apparaît que la communauté scientifique a su mettre en place d'une manière totalement décentralisée, participative et désintéressée des règles de fonctionnement tendant à faire respecter une éthique de vérité.

" Ces principales règles de fonctionnement sont le partage des coûts de connexion et de télécommunications, l'abaissement de ceux-ci à des niveaux insoupçonnés auparavant, le respect d'une éthique de comportement interdisant par exemple les pratiques commerciales comme les mailings automatiques, la diffusion d'informations contraires à la vérité et aux bonnes mœurs.

" Parmi les questions-clés à résoudre -outre celles touchant aux libertés individuelles et aux droits de l'homme, qui doivent faire l'objet d'une attention permanente de notre Assemblée- se pose le très important problème de la propriété intellectuelle, alors même que, pour contenir les coûts d'utilisation des réseaux, il est systématiquement fait usage de la duplication des données collectées et mises en forme par les producteurs, suivie d'un retraitement par l'utilisateur sur son propre site.

" L'ouverture des marchés, la déréglementation des télécommunications et la généralisation du multimédia sont des mouvements inéluctables dans l'ensemble des pays du monde. Les principaux acteurs de cette révolution déjà engagée, en particulier les Etats-Unis, ont déjà pris les moyens d'y jouer un rôle majeur, en renforçant leurs instances de régulation, leur réglementation technique et les aides économiques de toutes sortes, directes ou indirectes.

" Il faut d'urgence mettre en place en Europe des cadres institutionnels et juridiques, car je ne crois pas que les seules lois du marché soient suffisantes pour présenter des garanties intrinsèques contre des dérives signalées, entre autres, par notre collègue M. Probst. Il faut donc mettre en place ces cadres ainsi que des aides économiques pour tirer le meilleur parti de la révolution des nouvelles technologies de l'information, tant au plan économique qu'au plan du fonctionnement de la démocratie, qui est l'objet de l'attention permanente du Conseil de l'Europe. "

M. Jean-Pierre MASSERET, sénateur (Soc.) , a repris la parole en ces termes :

" Monsieur le Président, j'adresse mes remerciements aux différents orateurs aux propos desquels je n'ai rien à ajouter : chacun a donné un éclairage particulier complémentaire composant un tableau impressionniste de la démocratie et des préoccupations qui concernent notre Assemblée.

" Il faut que nous nous mettions bien d'accord sur le fait que ce qui nous importe c'est de mettre au service du progrès économique, du progrès social et du progrès humain les nouveaux moyens de communication et de technologie de l'information. Il ne s'agit de rien d'autre et nous devons, dans ce domaine, éviter deux écueils.

" Le premier serait qu'un groupe quelconque, financier ou autre, accapare ces moyens pour influencer le fonctionnement de la démocratie et l'organisation de nos sociétés. Le second serait que des hommes politiques, des élus, utilisent de façon populiste, démagogique, ces moyens de communication et d'information, pour imposer leurs vues, leur régime et, éventuellement, leurs déviances.

" Nous sommes donc tout à fait dans notre rôle qui vise à mieux faire fonctionner la démocratie.

" Les différents orateurs ont démontré, notamment mes collègues rapporteurs, que la démocratie est un tout, ses différentes composantes sont interdépendantes. La démocratie, c'est de la culture, de la science, de la technique, du droit, de la vie, de la politique.

" Aussi, Monsieur le Président, peut-être faudrait-il que le groupe de travail, composé des différents rapporteurs, change l'intitulé "démocratie électronique" qui pourrait laisser supposer que la démocratie se coupe en morceaux. En fait, il conviendrait plutôt de parler des "incidences des nouvelles technologies sur le fonctionnement de nos démocraties". Il me semble que la formule serait plus appropriée.

" En réalité, nous avons à travailler et c'est bien ce que nous voulons faire. L'Assemblée s'est prononcée sur ce sujet. Il nous reste quelques mois pour compléter nos réflexions, pour présenter de meilleures propositions et un rapport conforme aux enjeux que notre Assemblée a bien voulu définir ce matin. "

A l'issue du débat, l'Assemblée décide le renvoi en Commission du rapport, afin de permettre à toutes les Commissions intéressées (science et technologie, éducation et culture, questions politiques et questions économiques, de préparer leurs contributions en vue d'un nouveau débat élargi à tous les aspects des nouvelles technologies de l'information.

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