C. TROISIEME PARTIE DE LA SESSION DE 1996 (24-28 JUIN)

1. Discours de M. Kiro GLIGOROV, Président de l'Ex-République yougoslave de Macédoine - Question de M. Nicolas ABOUT, sénateur (Ap. RI)) (Lundi 24 juin)

M. Kiro GLIGOROV se déclare tout d'abord honoré de s'adresser à l'Assemblée de l'une des plus anciennes organisations européennes, et de l'une des plus représentatives du continent. Le Conseil a joué un rôle historique dans la prise de conscience européenne et a été au premier rang dans le combat pour la paix, la prospérité et la coopération entre les peuples. La République de Macédoine est donc fière d'en être devenue le 38ème membre, entrant ainsi dans la grande famille de ceux qui travaillent à élargir le territoire des droits de l'homme et à construire la maison commune.

La République de Macédoine a acquis son indépendance en 1991, quand l'Ex-Yougoslavie s'est désintégrée, mais elle a choisi une voie pacifique, montrant qu'au seuil du XXIème siècle, un peuple peut se doter d'un Etat sans que le sang soit versé. En effet, les Macédoniens ont refusé de participer à la guerre insensée qui a dévasté la région : ils ont refusé toute revendication territoriale, toute politique de purification ethnique et le résultat montre bien que c'étaient celles-ci qui étaient à l'origine du conflit des Balkans.

La Macédoine a fermement opté pour la coopération et l'amitié avec les pays voisins, pour la libre circulation des personnes, des biens et des idées. Elle n'a aucun contentieux territorial et souhaite que les frontières existantes soient maintenues. Elle est ainsi devenue un facteur de paix et de stabilité dans la région. En politique extérieure, elle s'est prononcée pour le règlement pacifique de tous les contentieux, elle a clairement fait sienne l'option atlantique et elle aspire à l'intégration européenne. A l'intérieur, elle s'est engagée dans une transition rapide et radicale vers l'économie de marché, dans la construction d'un Etat de droit et elle considère que le respect des droits des minorités nationale est l'un des fondements de la stabilité politique et la condition d'un développement démocratique.

Les cinq dernières années ont été très difficiles pour les Macédoniens. Toutes sortes d'obstacles ont été dressés sur leur chemin par la Communauté internationale : c'était l'effet d'un manque de confiance dû à la guerre et aux sanctions économiques, mais aussi le signe d'une politique peu cohérente, probablement héritée de la période où s'affrontaient deux blocs. Heureusement, un grand nombre de ces obstacles ont maintenant été surmontés, comme le prouve l'admission de la Macédoine au Conseil de l'Europe.

Les Macédoniens considèrent que la question des Balkans est une question-clé pour l'Europe, un test pour la solidité de la future architecture de sécurité commune.

Qu'on le veuille ou non, les Balkans sont une région d'Europe, géographiquement et politiquement. La Grèce est membre de l'Union européenne et de l'OTAN, la Turquie se prépare à l'intégration dans l'Union européenne et est déjà membre de l'OTAN ; la Slovénie et la Macédoine ont pris des options européennes claires et sont déjà bien avancées dans la voie des réformes ; la Croatie manifeste les mêmes aspirations, de même que l'Albanie, dont les problèmes cependant sont multiples ; la Bulgarie est indéniablement un pays en transition ; la République fédérative de Yougoslavie doit maintenant consolider sa situation économique et s'assurer l'accès aux institutions internationales ; quant à la Bosnie-Herzégovine c'est actuellement le plus grand chantier du continent.

Il est donc clair que l'Union européenne, l'OTAN, l'OSCE et le Conseil doivent s'atteler à construire dans cette région une paix durable. L'Europe elle-même n'a t-elle pas souffert beaucoup de tous les déchirements balkaniques, anciens ou récents ? N'a-t'elle pas été affectée par l'interruption des échanges, par la pression d'une nouvelle immigration ? La menace de trafics divers, nés de la guerre, ne pèse-t-elle pas sur elle ?

La politique européenne dans les Balkans doit partir de la réalité actuelle : l'ancienne Yougoslavie s'est désintégrée et a été remplacée par des Etats indépendants et souverains, dont les frontières clairement définies ont été reconnues par la Communauté internationale.

Tous les Etats membres de l'ancienne fédération sont les successeurs de la République de la Yougoslavie. Chacun a ses propres perspectives d'avenir, radicalement différentes de celles du voisin. Aucune résolution internationale ne pourra réduire ces peuples à une seule communauté. Il est grand temps de cesser d'utiliser le terme "ancienne Yougoslavie" car il n'existe plus.

Si on néglige cette réalité, tout projet sera contreproductif. La seule solution possible est de soutenir le mouvement d'indépendance de ce pays. L'application des accords de Dayton et de Paris, la normalisation des relations entre les pays des Balkans, la démocratisation de ces pays sont les seules voies possibles pour que la poudrière des Balkans devienne une région stable et sûre.

En optant pour une coopération avec le Conseil de l'Europe, la République de Macédoine s'est engagée dans un processus d'adaptation de sa législation en vue de la rendre compatible aux standards européens. Pour ce faire, il a été fait appel aux experts du Conseil de l'Europe.

La République de Macédoine travaille activement à la ratification de diverses conventions dont la Convention européenne des Droits de l'Homme, la Convention-cadre sur la protection des minorités, la Charte européenne sur les langues régionales et minoritaires.

La République de Macédoine a accepté dès le début le système de monitoring patronné par le Conseil de l'Europe. Ce système lui a d'ailleurs été d'une grande aide. Toutefois, il doit rester spécifique à la région à laquelle il s'adresse. Dans l'avenir, le monitoring propre à la Macédoine ne peut être inclus dans les mandats destinés aux autres Etats issus de l'ancienne Yougoslavie.

La signature d'un accord de coopération commerciale marque les premiers pas de l'adhésion de la Macédoine à l'Union européenne.

La République de Macédoine attache une grande importance au respect des droits de l'homme. Selon un proverbe macédonien, chaque homme en vaut un autre et peut-être même un peu plus. Ce proverbe témoigne bien de la volonté de respect des droits de l'homme, de la compréhension et de la tolérance du peuple macédonien.

La République de Macédoine a la volonté d'appliquer les principes les plus élevés défendus par le Conseil de l'Europe. Elle a réussi à améliorer sa situation sur ce plan en peu de temps.

S'agissant des minorités nationales, les droits de ces minorités ont été calqués sur les traditions des peuples macédoniens ainsi que sur les droits internationaux en la matière. La sauvegarde des droits des minorités est contenue dans un cadre légal et est reprise plus spécifiquement au niveau de la Constitution. Des actions claires et précises tentent de mettre en oeuvre les solutions prévues par la loi pour améliorer l'intégration des minorités dans la vie sociale, ce qui différencie la Macédoine de ses voisins.

Les experts du Conseil de l'Europe et de l'ONU, le commissaire de l'OSCE pour les minorités nationales ont joué un grand rôle dans ce processus. Le respect des minorités est un problème crucial pour la stabilité des Balkans. C'est pourquoi, la République de Macédoine a proposé une étude comparative sur la situation des minorités dans cette région d'Europe. Elle pourrait être le point de départ d'un dialogue permettant d'établir la confiance et le bon voisinage ainsi qu'une coopération accrue.

Le Président Gligorov exprime son plaisir d'avoir pu parler devant l'Assemblée parlementaire, cette tribune des peuples démocratiques européens. Il est à la disposition des parlementaires pour répondre à leurs questions.

M. Nicolas ABOUT , sénateur (Ap. RI) , pose la question suivante à M. GLIGOROV :

" Monsieur le Président, je tiens dans un premier temps à vous remercier pour votre action et pour votre diplomatie en faveur de la paix et de la réconciliation dans la région des Balkans.

" Malgré de nombreuses concessions, comme la suppression de l'étoile de Virginia sur votre drapeau, vous n'avez toujours pas le droit d'utiliser les termes "République de Macédoine" pour nommer votre pays. La France, pour sa part, apprécie l'usage par l'un de ses voisins du nom de l'une de ses régions, la Bretagne.

" Vous faudra-t-il qualifier votre pays de "grand" pour éviter les querelles ? Peut-être pourriez-vous donc l'appeler "la République de la Grande Macédoine".

" Plus sérieusement, Monsieur le Président, est-il permis d'espérer une issue rapide à cette querelle de mots ? "

M. Gligorov lui rappelle en réponse que le Conseil de l'Europe et les Nations Unies ont adopté une résolution demandant à la République de Macédoine de trouver un accord avec ses voisins.

Il est arrivé que certains pays changent de nom, mais il s'agissait alors d'une décision souveraine. Dans le cas de la Macédoine, il y a exception à cette pratique traditionnelle puisque le changement serait imposé de l'extérieur. On se trouve donc dans une impasse, car il n'est pas question pour les Macédoniens de renoncer à leur souveraineté, c'est-à-dire à leur dignité. On conviendra que, sur un point aussi fondamental, il ne puisse être question d'aller trop vite. C'est pourquoi les autorités macédoniennes cherchent une solution conciliant les intérêts communs de deux peuples unis par l'Histoire.

M. Gligorov se dit fier qu'en dépit de l'embargo qui a durement éprouvé son pays, le peuple macédonien n'éprouve pas de ressentiment à l'égard des Grecs. Des échanges, notamment commerciaux, se multiplient entre les deux nations. Il convient donc de se donner le temps de résoudre ces difficultés, ce qui ne pourra se faire que si chaque pays surmonte ses aspirations nationalistes. Chacun doit comprendre que la Macédoine ne peut renoncer à son nom. L'accepter signifierait pour elle accepter la perte de son identité, avec le risque de conflit et peut-être de guerre généralisée qu'une telle frustration engendrerait.

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