4. Discours de M. Marc FORNÉ MOLNÉ, chef du Gouvernement de la Principaute d'Andorre - Questions de M. Jean BRIANE, député (UDF) (Jeudi 26 septembre)

M. FORNÉ MOLNÉ prononce l'allocution suivante  :

" Je tiens à vous remercier, Madame Fischer, Présidente de cette Assemblée, pour vos paroles au sujet de la Principauté d'Andorre, notre pays, ainsi que pour votre constante lutte en faveur de la paix et des droits de l'homme au sein de cette Assemblée.

" En ce jour particulier, tout juste deux ans après l'approbation par cette honorable Assemblée de l'adhésion de la Principauté d'Andorre au Conseil de l'Europe, c'est un grand honneur pour moi d'être parmi vous, au sein de ce prestigieux hémicycle, pour se souvenir d'un moment si important pour tous les Andorrans.

" Le chemin que nous avons parcouru au cours de ces deux années, a été long et intense, grâce à l'activité parlementaire des députés andorrans, à la présence de la représentation permanente d'Andorre, à la tâche du juge et du tout nouveau commissaire au sein de la Cour européenne des droits de l'homme, de la présence de nombreux experts et professionnels de l'administration andorrane aux réunions du Conseil de l'Europe, entre autres.

" Depuis la Constitution de 1993, notre pays a dû assumer de profonds et d'importants changements, tant au niveau législatif qu'aux niveaux politique et institutionnel.

" L'étroite collaboration qui est mise en œuvre grâce à la mise à disposition des services du Conseil de l'Europe, que je tiens à remercier pour leur coopération, nous est une aide précieuse.

" L'Andorre est, comme vous le savez déjà, un pays très particulier doté d'une spécificité économique, humaine et géographique. Cette situation est due à divers facteurs historiques et conjoncturels du système international actuel et est comparable, par exemple, à celle des pays ayant des configurations similaires tout en demeurant différents, comme Saint Marin, le Liechtenstein ou Malte.

" La coopération et la participation sont des éléments essentiels pour la vitalité et l'efficacité de cette organisation. Nul ne doit oublier que la vie du Conseil de l'Europe est le reflet de la capacité de réaction qu'ont les nations qui le composent. Le monde et l'Europe particulièrement, ont beaucoup changé depuis 1989. Cette Assemblée en est la preuve visible, puisqu'en quelques années, elle a accueilli quatorze pays sans compter les nouveaux pays observateurs.

" L'interdépendance et la planétisation des courants et des tendances ont unifié le monde dans lequel nous vivons, au point qu'aucun conflit, danger ou injustice ne peuvent nous être indifférents. L'extrémisme violent et agressif, la détérioration de l'environnement, l'insécurité citadine dans les grandes métropoles européennes, les guerres et les conflits ethniques et religieux, que l'on mélange souvent, sont des soucis qui constituent des préoccupations fondamentales de notre société et qui restent des défis difficiles à atteindre pour les pouvoirs publics.

" Les Commissions de cette Assemblée sont un cadre de travail, de réflexion et d'information sans pareil, grâce à leurs rapports et aux exposés où se font jour les expériences vécues et la neutralité des opinions extérieures des parlementaires présents.

" Partager les savoirs, la richesse, l'expérience et la responsabilité pour favoriser le développement démocratique des pays qui restructurent leurs institutions depuis 1989 ou qui sont nouvellement indépendants, est une tâche constante du Conseil de l'Europe, malgré ses maigres moyens humains et économiques. Cette enrichissante relation directe permet la participation pleine et authentique de tous les pays afin d'aider à atteindre la liberté, la solidarité et le respect des droits de l'homme en Europe.

" Nous sommes tous conscients du fait que les menaces les plus graves pour la paix et le futur de l'Europe ont changé de signe au cours de ces dernières années. La chute du mur de Berlin ouvrit au grand jour les forces et les situations réprimées pendant longtemps en raison de la rivalité entre les deux blocs. Les conflits qui surgissent de nos jours sont essentiellement le résultat de l'oppression vécue plus que des cinquante ans de rêve de liberté.

" Chaque nation a essayé de s'adapter à un nouveau milieu social, économique, institutionnel et politique en accord avec son passé historique et avec sa conscience nationale actuelle. Les destins n'ont pas toujours été tranquilles. On se souvient de la différence profonde qui existe aujourd'hui entre la séparation de velours des Républiques tchèque et slovaque et les difficultés rencontrées pour trouver un compromis politique à la question nationale au sein des territoires de l'Ex-Yougoslavie.

" La tâche de cette organisation demeure ainsi encore immense, afin de préciser les positions, de permettre un forum ouvert de discussions et de trouver des solutions de compromis. En outre, la longue expérience pédagogique des fonctionnaires présents et la volonté de conciliation des parlementaires engagés sont des facteurs indispensables pour atteindre la stabilité si prisée dans notre continent.

" Madame la Présidente, Mesdames, Messieurs les parlementaires, l'Europe n'est pas un espace ayant une interprétation unique des réalités. Ce continent, à la différence de grands espaces comme l'Amérique du Nord, n'a pas et n'aura jamais une langue européenne unique. Notre richesse provient de la pluralité de langues, de cultures et de coutumes de l'ensemble européen. Nous sommes un continent polyglotte et cette réalité, loin d'être une entrave, doit s'ériger comme notre force. Cette différenciation interne est un des caractères géopolitiques les plus importants et durables. Nous abritons quarante trois langues et trois alphabets -latin, grec et cyrillique.

" Le catalan est la seule langue officielle de l'Andorre. Elle progresse grâce à la dynamique économique des régions voisines de la Principauté.

" Cependant, les récentes indépendances ou les reconnaissances internationales des pays de l'Europe centrale et orientale ont donné une impulsion à la réhabilitation de langues nationales d'origine finlandaise, comme l'estonien, ou d'origine balte, comme le letton ou le lituanien. La langue particulière, outil de communication administratif, économique et de transmission de la mémoire, devient le fondement de la nation en tant que culture spécifique.

" L'Europe a d'immenses ressources dont elle doit savoir tirer profit. Parallèlement à la renaissance des langues et des cultures réprimées ou oubliées, elle développe l'usage des langues véhiculaires comme l'anglais ou l'allemand en Europe centrale, et doit soutenir l'énorme richesse de communication en langue française et espagnole dans de nombreuses parties du monde.

" Notre devoir est de promouvoir ces réalités et de les transformer en facteur de progrès. La création du Centre de Graz, pour la promotion et pour l'apprentissage des langues vivantes en Europe, est une illustration de cette volonté partagée au sein du Conseil de l'Europe. Il s'agit là d'un terrain très connu pour les Andorrans sur lequel nous nous sentons fort à l'aise. Nos enfants choisissent parmi trois systèmes scolaires publics ayant comme base d'apprentissage, soit le catalan, soit le castillan, soit le français. Ils ont la possibilité d'apprendre chacune de ces deux autres langues, aussi bien dans l'établissement choisi que de façon spontanée dans la rue. En outre, l'anglais leur est enseigné en tant que quatrième langue. Du reste, ils côtoient et se familiarisent avec une autre langue latine qu'est le portugais, langue qui est parlée par une partie importante de la communauté andorrane. Aussi, nous avons la chance que la langue catalane soit la plus proche de l'italien, puisque ses racines latines ont reçu moins d'influences étrangères du fait de son isolement séculaire.

" L'Etat andorran, dès lors la reconnaissance internationale de ce qu'il a été sept siècles durant -un Etat indépendant- a reçu la mission de faire connaître au sein de toutes les institutions internationales cette langue qui est commune à dix millions d'Européens. Et l'Andorre peut justement accomplir cette mission de façon ouverte et sans exclusion, de manière fraternelle avec les grandes langues voisines que nous cultivons et que nous apprécions aussi.

" Mais il ne faut pas oublier que notre langue, chez nous, est devenue minoritaire dans bien des domaines, en raison de la force démographique immigratoire et des médias en langue espagnole. Lorsqu'on nous demande de ratifier la Convention européenne sur les minorités, il est bien évident que bon nombre de ceux qui l'ont conçue ne pouvaient pas imaginer qu'il existe des Etats européens dont l'une des minorités est celle des nationaux. Il nous faut y réfléchir tous ensemble parfois les lieux communs et les clichés habituels ne tiennent pas compte de certaines situations.

" Mesdames et Messieurs, la diversité linguistique est un des aspects de la particularité européenne. Cependant, c'est l'originalité géographique, historique et géopolitique, dont la Principauté d'Andorre est un vif exemple, qui demeure la caractéristique du poids des années et des siècles d'expériences humaines au sein de notre continent.

" La diversité fait partie de notre patrimoine.

" L'expérience de pays comme le Liechtenstein, Saint-Marin, Malte, Chypre ou le Luxembourg nous montre que l'espace qui nous entoure est polyculturel.

" Chaque endroit montre sa spécialité et son itinéraire.

" L'identité de pays comme l'Andorre, qui vivent au milieu d'Etats plus vastes, est une garantie de la richesse qu'offre la démocratie internationale.

" Préserver l'histoire, les coutumes, la culture et la tradition des sites européens n'est pas synonyme de conservatisme, mais tout le contraire !

" L'intelligence de l'avenir européen nécessite une grande cohésion, un dialogue et une confrontation des expériences de l'ensemble des Etats situés en Europe.

" A ce propos, les contacts bilatéraux et multilatéraux entre les différents pays sont très importants, où chacun parle selon des critères propres, sans se soucier de critères comparatifs, démographiques, sociaux, économiques ou géographiques. Le grand défi des Européens est peut-être les seuls à pouvoir rendre possible la fraternisation de cultures aussi différentes que ce sont celles de l'Extrême Orient et de l'Occident américain. Nous pouvons l'accomplir car nous avons parcouru difficilement un long chemin d'apprentissage de tolérance et de connaissance de la culture d'autrui.

" Cela est, plus ou moins, ce que cette organisation s'efforce de faire depuis quarante sept ans pour la protection des droits de l'homme.

" Nous parlons d'une des valeurs fondamentales de l'Europe et de l'humanité, de droits qui touchent des domaines si divers comme les droits sociaux et économiques, la liberté de la presse ou la protection de la société civile.

" Il existe ainsi différents instruments pour sensibiliser et contrôler les Etats membres.

" Nous pouvons remercier la tâche de la Commission et de la Cour européenne des Droits de l'Homme, qui accueille des requêtes individuelles et personnelles des citoyens des pays qui ont signé et qui ont ratifié la Convention pour la sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales.

" Je voudrais souligner aussi l'importance des autres textes de grande valeur, comme celui de la Convention pour la prévention de la torture et des peines ou des traitements inhumains ou dégradants, que la Principauté d'Andorre vient de signer. Il faut ajouter que bien avant son abolition officielle, la peine capitale ne s'appliquait plus en Andorre depuis 1944.

" Et parmi les droits dont nous parlons, la liberté d'expression, de circulation et de représentation sont les conditions nécessaires pour que quiconque puisse jouir des initiatives à caractère politique, social et économique. Ces droits sont une garantie pour la démocratisation d'un Etat et des individus qui le composent.

" Chaque individu qui vit dans un espace concret a, de ce fait, un certain nombre de droits et de devoirs. La société est en elle-même un cadre de codes et de paramètres dans lequel se reconnaissent les personnes qui y prennent racine.

" Ainsi, il est erroné de penser que les droits individuels sont contraires au besoin de la collectivité ou aux procédures pour prendre des positions collectivement.

" Dans ce sens, je me permets de rappeler ce qui a été confirmé lors de la Conférence mondiale des droits de l'homme qui s'est tenue à Vienne en juin 1993 : "tous les droits de l'homme sont universels, indivisibles et interdépendants et sont reliés entre eux" (déclaration et programme d'action, paragraphe 5).

" Les tâches menées à terme grâce à un travail de fond par les membres de cette organisation en sont une excellente illustration.

" Mais il reste encore beaucoup à faire.

" Mon optimisme d'une Europe unie et différente ne doit pas nous faire oublier qu'à deux heures d'avion de Strasbourg, il existe des peuples qui souffrent de la guerre. La tragédie ne doit pas nous être étrangère et nous devons multiplier nos efforts afin de conserver notre héritage et pour travailler à un avenir sûr et paisible.

" Fort heureusement, la Principauté d'Andorre a pu jouir de la paix et de la stabilité pendant plus de sept cents ans. Lors de la signature des premiers "Pareatges", la sentence arbitrale, considérée en quelque sorte comme une pré-constitution, les deux coseigneurs s'ordonnèrent mutuellement ainsi qu'au peuple la démolition de toutes les fortifications. Ceci eut lieu au XIIIème siècle et à présent, si vous visitez l'Andorre, vous ne trouverez aucune forteresse. Nos monuments les plus prisés sont de simples églises et chapelles romanes aux portes toujours ouvertes. Ne cherchez ni murailles ni restes de remparts dont il ne subsiste que quelques pierres. Lundi même, à l'Assemblée des Nations unies, j'ai exprimé mon vœu que toutes les grandes, moyennes et petites puissances surarmées imitent un jour ces admirables ancêtres andorrans, pionniers du pacifisme le plus authentique : ceux-là qui l'ont rendu possible en commençant par l'élimination des armes.

" Malheureusement, même dans cette partie de l'Europe qui jouit de la paix depuis tant d'années, le spectre de la crise du travail, un des droits de la personne submerge les Gouvernements dans le doute quant au futur, le maintien du bien-être et son étendue à toutes les classes sociales, à tous les âges.

" C'est par rapport à ce droit fondamental que nous tendons plus à l'échec malgré quantité d'efforts louables, malgré nos formules plus ou moins adéquates et nos bonnes intentions. Il y a moins de travail et il va falloir mieux le distribuer.

" Et si nous réfléchissons froidement aux problèmes qui s'accumulent sur le continent africain, bien proche du sud européen, il nous faut être assez lucide pour accepter la responsabilité européenne dans le possible développement de ses terres malmenées, d'abord en raison de la colonisation extérieure, et ensuite en raison des formes les plus diverses de despotisme intérieur.

" Je me demande si je puis ajouter quelque chose, devant vous tous, qui n'ait déjà été dit ou répété dans cette assemblée. Je ne sais si les paroles ont toutes la force pour laquelle elles ont été créées.

" Mais, des montagnes d'Andorre qui montrent déjà les premières neiges anticipées, jusqu'à cette pleine du centre de notre continent, nous partageons l'idée commune que Charlemagne a lancé à la manière de son temps : par la force des armes. Une conception d'une Europe qui s'élargit et constitue un exemple pour le reste du monde, à la manière d'aujourd'hui : par le moyen du dialogue, la connaissance des différences et le désir de paix, de liberté et de tolérance.

" Ainsi soit-il pour les années à venir. "

M. Jean BRIANE, député (UDF) , pose sa question en ces termes :

" La région Midi-Pyrénées étant voisine de l'Andorre et ayant des relations privilégiées avec elle, je suis particulièrement heureux de retrouver ici aujourd'hui, au Conseil de l'Europe, le Président du Gouvernement andorran.

" Je voudrais lui dire combien je suis admiratif de ce que fait l'Andorre pour maintenir malgré tout l'identité, la culture et la langue de ce magnifique pays. Je souhaite que tous les Gouvernements européens s'inspirent du modèle andorran, car l'Andorre est sans doute, à ce titre, un modèle pour tous les pays européens. J'aimerais qu'il me donne la recette pour que nos Gouvernements imitent l'Andorre. "

M. FORNÉ MOLNÉ lui répond de la façon suivante :

" Monsieur Briane, je suis honoré par vos félicitations, surtout venant d'un voisin de l'Andorre.

" Ainsi que vous vous en doutez, je ne possède pas de recette. Les peuples ne sont pas ce que voudraient parfois leurs dirigeants. Ils se font eux-mêmes. Les pays avancent malgré les politiciens, parfois avec leur aide, surtout celle des Parlementaires.

" L'Andorre s'est construite sur la tolérance et fut de tous temps terre d'asile, tout d'abord, du fait des malheureuses guerres qui ont entaché l'histoire de l'Europe. D'où, depuis toujours, cet esprit d'accueil de l'étranger en difficulté. Elle s'est surtout traduite au cours de la guerre civile espagnole et de la seconde guerre mondiale. Peut-être de là, est née la façon d'être des Andorrans.

" Par ailleurs, l'Andorre était un pays pauvre avant la guerre, avant qu'elle ne jouisse d'une prospérité touristique. Les Andorrans ont souvent été contraints de s'expatrier ; aujourd'hui, l'histoire s'inverse : nous recevons des populations immigrées. Mais nous devons nous rappeler que les Andorrans partaient chercher du travail dans le Béarn, en Ariège, dans le Languedoc-Roussillon et en Catalogne.

" Tout cela est resté présent dans l'esprit de toutes les familles. Nous avons tous des oncles qui habitent en France ou en Espagne ; nous avons tous des cousins nés en France, tout comme moi. Tous les Andorrans, ici présents, ont des parents nés en Espagne ou en France. Après une génération d'émigration, il y en a beaucoup qui reviennent. Mais cela explique notre esprit d'ouverture en dehors de notre pays, c'est la force des choses !

" Maintenant il est de notre devoir de faire l'inverse, et donc de recevoir l'immigration dans notre pays où la communauté portugaise représente actuellement plus de 12 % de la population. Cette communauté est particulièrement bien intégrée et c'est tout à son honneur. Les Portugais arrivent en Andorre et en très peu de temps, ils sont capables de parler catalan. Leur langue est très semblable à la nôtre, mais ils font l'effort de s'intégrer très vite comme l'ont fait les Espagnols et les Français, avant eux.

" C'est sans doute pour cette raison que les Andorrans ont toujours eu l'esprit ouvert. Le Parlement et le Gouvernement unanimes œuvrent dans ce sens. Nous n'avons pas de recette magique. C'est le travail de tous les jours et surtout l'ouverture vers des forums internationaux comme le vôtre et comme l'ONU. Cela nous impose une responsabilité plus grande envers les communautés qui habitent chez nous et qui viennent pour la plupart d'Etats européens. "

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