10. La demande d'adhésion de la Russie au Conseil de l'Europe - Interventions de MM. Jacques BAUMEL, député (RPR), Jean-Pierre MASSERET, sénateur (Soc.), Jean de LIPKOWSKI, député (RPR), Nicolas ABOUT, sénateur (Ap. RI), Jean BRIANE, député (UDF), et Jean SEITLINGER, député (UDF) (Jeudi 25 janvier)

Compte tenu de la poursuite des réformes juridiques, politiques et économiques en Russie, selon le rapporteur, les assurances données par les autorités russes -notamment pour la recherche d'une solution politique du conflit en Tchétchénie- et des engagements auxquels elles ont souscrit, la Commission politique recommande à l'Assemblée de voter en faveur d'une invitation de la Russie à devenir membre du Conseil de l'Europe.

Parallèlement, elle suggère que l'Assemblée renforce ses procédures et moyens de contrôle du respect des obligations et engagements. Une liste des engagements contractés par la Russie figure dans le projet d'avis.

Enfin, la Commission politique recommande que dix-huit sièges soient attribués à la Russie. Elle propose également que le Comité des ministres adapte les moyens et les capacités de l'Organisation aux conséquences de cette adhésion.

M. Jacques BAUMEL, député (RPR) , intervient dans le débat en ces termes :

" Monsieur le Président, mes chers collègues, avant de commencer mon exposé, je veux remercier notre rapporteur M. Muehlemann, pour l'inlassable travail qu'il poursuit depuis de longues années, parfois dans des circonstances très difficiles. Il est juste de lui rendre hommage quelles que soient les opinions que nous puissions avoir sur ce sujet historique. J'associe à ces remerciements notre collègue, M. Seitlinger, mon compatriote, car il a fait preuve également de beaucoup de sérieux et de dévouement.

" Qui se rend compte dans cet hémicycle que nous sommes devant une décision historique ? Que ce débat risque d'entraîner des conséquences, quelles que soient les réponses que nous donnerons ce soir ?

" Je dégagerai d'abord une idée générale. En dehors peut-être de quelques rares milieux politiques européens, il est évident que tout le monde est d'accord pour que la Russie ait sa place, toute sa place, en Europe. Quand on est un homme d'Etat tourné vers l'avenir, on ne peut pas imaginer une architecture politique, économique ou stratégique de l'Europe sans une place pour la Russie. Ce serait un très mauvais calcul que de la repousser d'où elle vient à cause de certains aspects de son histoire, et de la rendre plus asiatique qu'européenne.

" Déjà, trop de peuples russes, trop de citoyens, considèrent que ce pays est isolé, qu'il n'est pas pris suffisamment en compte, ce qui alimente l'anti-occidentalisme qui a parcouru toute l'histoire de la Russie, depuis ses origines, et qui tend à faire de Moscou la troisième Rome après Byzance.

" Aujourd'hui, nous sommes devant un choix extrêmement dramatique. Nous voulons affirmer notre solidarité avec le peuple russe qui a subi des épreuves tragiques tout au long de son histoire. C'est Le malheur russe selon le titre d'un livre de politologie. Mais, en même temps, nous devons faire respecter l'honneur de notre Assemblée, les droits imprescriptibles que sont les droits de l'homme, le rôle de la démocratie. Il faut bien dire que les événements récents ne facilitent pas ce choix particulièrement dramatique. Il est évident que, devant la lourde succession de faits que l'on dénonce depuis des jours et des semaines, le choix devient de plus en plus difficile.

" Finalement, si on veut écarter les passions malsaines, les partis pris systématiques de certains, si on entend rester fidèle à une conception très élevée de notre devoir, deux questions se posent.

" Première question : l'adhésion de ce grand pays qu'est la Russie au Conseil de l'Europe peut elle renforcer, de façon très forte, les aspects démocratiques et favoriser la démocratisation, alors que la Russie n'est pas encore totalement un Etat de droit ?

" Si nous avions la conviction que cette décision peut jouer un rôle essentiel dans cette démocratisation, tous les doutes seraient balayés. Malheureusement, nous n'en sommes pas sûrs. C'est un peu ce que nous appelons en France le "pari pascalien", du nom du grand philosophe chrétien. C'est un grand pari que nous prenons et dans ce pari tout le monde a raison et certains ont peut-être tort. Nous ne pouvons pas savoir quels seront les effets de cette adhésion dans la grande masse de la Russie profonde -et pas dans les cercles d'intellectuels, de journalistes ou de politiques des deux ou trois grandes villes.

" Deuxième question : devons-nous vraiment prendre une décision immédiatement, après des élections législatives que certains ont examinées de près et qui se sont déroulées, il faut le dire, dans de parfaites conditions démocratiques - cela est d'autant plus inquiétant qu'elles ont révélé une profonde poussée nationaliste et néocommuniste qui pèse aujourd'hui sur le pays et dont on ne sait pas ce qu'elle deviendra, et avant une élection présidentielle dont nul aujourd'hui ne peut présager du résultat ?

" C'est une question posée par des gens de bonne volonté, qui ne sont nullement des partisans, mais qui s'interrogent. Le malaise qui pèse sur nous depuis quelques jours, en dehors des pressions excessives et, par certains côtés, scandaleuses, venant de l'extérieur, nous place vraiment devant un choix important.

" Je crois, par conséquent, que le problème reste entier. Il faudra examiner très attentivement les amendements et s'assurer, de toute façon, des garanties, des assurances formelles, afin de pas donner un chèque en blanc à un Etat, quel qu'il soit.

" C'est la raison pour laquelle je considère qu'au-delà du débat politique c'est une question de conscience personnelle, une question de conscience morale, pour chacun d'entre nous. Ainsi, nous pourrons mieux répondre à la tragique interrogation qui nous est posée aujourd'hui ".

M. Jean-Pierre MASSERET, sénateur (Soc.) , intervenant dans le débat, fait les observations suivantes :

" Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, au moment de nous prononcer sur la demande d'adhésion de la Russie, nous devons nous poser deux questions. Où est l'intérêt de l'Europe ? Quel est l'intérêt de la démocratie ?

" Pour ce qui est de l'intérêt de l'Europe, il faut ici se rappeler que notre projet politique est de rassembler, dans un espace démocratique commun, ouvert à l'ensemble des pays du continent européen. Or, la Russie fait partie de l'Europe.

" Notre projet politique est de promouvoir un modèle démocratique apportant le progrès économique, le progrès social, la paix et la sécurité. Cependant, pour être au niveau de ces enjeux que le monde lui fixe, que nous nous fixons à nous-mêmes, encore faut-il que l'Europe soit rassemblée !

" Si bien qu'aujourd'hui refuser l'adhésion de la Russie, c'est diviser l'Europe. Refuser l'adhésion de la Russie, c'est constituer une nouvelle barrière -certains ont parlé ce matin d'un nouveau mur. Refuser l'adhésion de la Russie, c'est la pousser à se détourner de l'Europe, à se détourner de notre Organisation démocratique et à chercher d'autres réponses en dehors de cette enceinte de la démocratie. Refuser l'adhésion de la Russie, c'est renouveler les erreurs du traité de Versailles.

" Face à l'intérêt de l'Europe, que chacun aura compris, examinons la situation de la démocratie en Russie. Il est vrai que des questions se posent.

" L'affaire de Tchétchénie est une réalité que l'on ne peut nier. Il faut que nous travaillions ensemble à y apporter des réponses politiques, des réponses pacifiques. Les insuffisances de la démocratie en Russie sont une réalité. Le développement des zones grises en sont une autre.

" En regard de ces points noirs, ne méconnaissons pas les progrès qui ont été réalisés dans des domaines qui sont de notre compétence. Des élections libres sont intervenues plusieurs fois depuis quatre ans, date de la première demande d'adhésion déposée par la Russie. Le pluralisme politique existe. Un Etat de droit s'édifie pierre après pierre. Les libertés fondamentales émergent et irriguent l'ensemble de la société, sans doute trop lentement, mais réellement.

" Il faut, mes chers collègues, que nous soyons exigeants. Il faut que nous soyons vigilants. Il faut également que nous soyons justes. Nous ne pouvons pas, dans le domaine de la démocratie, exiger de la Russie un comportement à l'égal de nos propres comportements, notamment en Europe occidentale, dans une société démocratique que nous avons mis plusieurs siècles à élaborer. Si bien que, malgré nos interrogations, il faut que nous ayons confiance en nous-mêmes. Notre Assemblée est la mieux placée pour permettre à la Russie de gagner la bataille de la démocratie.

" Pensons, mes chers collègues, au peuple russe. Craignons les forces nationalistes qui se nourriront de l'isolement de la Russie. L'isolement de la Russie sera source de danger pour la sécurité de l'Europe tout entière.

" Refuser l'adhésion de la Russie aujourd'hui, c'est favoriser les forces nationalistes, asseoir l'isolement de la Russie, c'est donc faire peser une menace sur notre sécurité commune.

" Pour ces raisons, brièvement exposées, Monsieur le Président, je me prononce en faveur de l'adhésion de la Russie au Conseil de l'Europe. "

M. Jean de LIPKOWSKI, député (RPR) , a pris à son tour la parole en ces termes :

" Pour prendre notre décision, sans doute la plus importante depuis que notre Organisation existe, je pense qu'il faut nous poser trois questions.

" Premièrement, l'entrée de la Russie constitue-t-elle un élément positif pour l'Europe, sa sécurité et sa stabilité ?

" Certains de nos collègues sont réticents pour des raisons émotionnelles qui tiennent au passé. Les vieilles peurs resurgissent et je peux parfaitement les comprendre. Mais la question que je leur pose est la suivante : se sentiraient-ils davantage en sécurité si nous fermions notre porte à la Russie ?

" Nous encouragerions les tendances ou les dérives inquiétantes qui se manifestent depuis quelque temps dans la politique russe. Les éléments ultra-conservateurs exploitent un certain nombre de frustrations, que, naturellement, je ne prends pas à mon compte, mais que je constate.

" Après l'effondrement de l'URSS, la diplomatie russe a choisi résolument d'abandonner la confrontation pour une coopération confiante avec l'Occident, en espérant entrer dans nos organisations. Espoirs déçus : pas question de la faire entrer dans l'Union européenne ; elle attend toujours que soit ratifié l'accord de partenariat que nous avons signé avec elle ; elle voit avec inquiétude l'élargissement de l'OTAN, car elle considère que nous ne lui avons pas trouvé une place satisfaisante dans l'architecture de sécurité européenne ; elle n'est toujours pas admise au G7, ni à l'OCDE, ni chez nous.

" Elle a l'impression -humiliation suprême- de faire antichambre tandis qu'elle voit d'anciens sujets admis avant elle au Conseil de l'Europe, lesquels n'ont pourtant pas fait autant de chemin vers la démocratie. Deux poids, deux mesures. Elle a l'impression de ne pas être traitée selon son rang de grande puissance, que ce soit dans le processus de paix au Moyen-Orient ou dans les Balkans.

" Ces frustrations permettent d'alimenter la campagne des ultra-conservateurs à partir de la vieille notion de l'ennemi extérieur, ce qui conduit à l'affrontement et non plus à la coopération avec l'Occident.

" Naturellement, je ne prends pas à mon compte cette analyse d'une Russie systématiquement isolée, ignorée ou même méprisée par nous. Je dis uniquement que c'est un thème commode pour les nostalgiques de l'ancien régime qui veulent reconstituer l'URSS. Malheureusement, les dernières élections en Russie prouvent qu'ils ne sont pas restés inertes. L'élimination de M. Kozirev est d'ailleurs un signe inquiétant du durcissement de la politique soviétique.

" Alors, prenons garde ! Un vote négatif encouragerait les ultra-conservateurs à mobiliser l'opinion russe contre nous. On en reviendrait à la "guerre froide" et à la coupure de l'Europe en deux. Par contre, accueillir la Russie parmi nous nous permettrait de créer des liens de partenariat et de confiance qui donneront un encouragement puissant à tous les réformateurs qui répudient la reconstitution des blocs.

" Deuxième question : l'entrée de la Russie constituerait-elle ou non une victoire pour la démocratie ? A l'évidence, oui.

" Notre Organisation est la seule qui puisse encourager, conduire et guider la Russie vers l'établissement d'une démocratie complète. Or, certains signes montrent qu'elle n'est pas à l'abri d'un retour en arrière vers un régime fascisant qui exploiterait l'échec économique et l'humiliation nationale. Des forces rétrogrades travaillent dans ce sens. En lui fermant la porte, quelle prise aurions-nous sur la Russie pour éviter cette détestable dérive et encourager l'évolution démocratique ? Aucune. Tout ce que la Russie a accompli sur le chemin de la démocratie, c'est à nous qu'elle le doit.

" Pour satisfaire à toutes nos exigences, elle a instauré la liberté d'expression, s'est donnée une Constitution, a procédé à des élections libres. Naturellement -et nos rapporteurs l'ont justement souligné-, bien du chemin reste à faire, mais elle est en transition vers un Etat démocratique ; elle s'y achemine pas à pas. De surcroît, elle prend des engagements comme son adhésion à la Convention européenne des Droits de l'Homme, avec droit de recours individuel.

" N'oublions pas qu'en cas de manquement grave ou de retour en arrière nous avons toujours la possibilité d'une sanction, c'est-à-dire la mise en congé, comme on le fit jadis pour la Grèce des colonels et pour la Yougoslavie.

" Troisième et dernière question : l'entrée de la Russie est-elle un élément positif pour notre Organisation ?

" La réponse est claire : un vote négatif réduirait considérablement le rôle du Conseil de l'Europe. Beaucoup de ses membres sont candidats à l'entrée dans l'Union européenne, si bien que le Conseil de l'Europe risque d'en devenir une succursale ou un musée des droits de l'homme.

" Dans ce cas, Moscou a une politique de rechange. Elle se tournera vers l'OSCE où elle jouera activement son rôle dans la sécurité européenne. Elle tâchera notamment d'y développer un mini-conseil de sécurité pour l'Europe, où un siège permanent lui sera garanti.

" En revanche, l'entrée de la Russie donnera à notre Organisation un nouvel élan et une grande autorité. Nous serons la seule organisation paneuropéenne, puisque l'OSCE comprend les Etats-Unis et le Canada. Nous serons le seul forum de dialogue incluant tous les pays d'un continent européen que nous aurons enfin réconcilié avec lui-même grâce à l'émergence d'une Russie démocratique qui, pour la première fois depuis soixante-quinze ans, pourra jouer pleinement son rôle dans la grande famille démocratique européenne.

" Ce vote est historique. Chacun comprendra que de nous dépend aujourd'hui l'avenir de la stabilité et de la paix en Europe. Faisons confiance à nos rapporteurs qui l'ont dit.

" Je voterai pour l'entrée de la Russie au Conseil de l'Europe. "

M. Nicolas ABOUT, sénateur (Ap. RI) , intervient dans le débat en ces termes :

" Madame la Présidente, mes chers collègues, notre Assemblée, en se prononçant sur l'adhésion de la Russie, doit être consciente de ses responsabilités et de l'enjeu que représente cette nouvelle étape dans l'histoire du Conseil de l'Europe.

" L'histoire de l'Europe et celle de la Russie se confondent depuis plusieurs siècles. Il serait anormal que le Conseil de l'Europe laisse sur le bord de la route une grande nation européenne. La Russie a besoin de l'Europe pour supporter la difficile transition économique qui s'opère depuis la chute de l'URSS.

" La libéralisation économique a entraîné son lot de misères et d'exclus qui deviennent nostalgiques de l'époque soviétique ou qui se mettent à croire en un nationalisme extrémiste qui porte en son idéologie les dangers passés.

" Les Européens doivent participer au redressement de l'économie russe, car il s'agit de l'avenir d'un pays plein de potentialités, le plus peuplé d'Europe.

" Sur les plans politique et culturel, la pratique de la démocratie a fait défaut jusqu'à ces dernières années, bien que des progrès indéniables aient été accomplis dans la voie des réformes, dans un pays, ne l'oublions pas, sans tradition démocratique. La corruption au sein de l'Etat et les multiples activités des mafias mettent en péril la toute jeune démocratie russe. Il est à craindre que si l'on abandonne la Russie à son triste sort ces dérives prennent des proportions préjudiciables pour l'avenir du pays.

" Forte de son expérience en la matière, l'Europe occidentale peut contribuer au renforcement de la démocratie en Russie. Intégrée aux structures du Conseil de l'Europe, la Russie sera conduite à améliorer les conditions de la détention pénitentiaire et à régler ses problèmes de minorités, nombreuses au sein de la Fédération de Russie, par des voies pacifiques.

" L'adhésion au Conseil de l'Europe doit être un signe d'encouragement pour les autorités russes et le mouvement réformateur, ainsi que le moyen pour les Européens de s'assurer que la démocratisation se poursuivra.

" L'Europe a également besoin de la Russie, car le rendez-vous de l'unité européenne est arrivé après des siècles de déchirures et d'intrigues. Comment concevoir la construction européenne sans prendre en compte la nation russe ? Son histoire et sa culture se mêlent à nos histoires et à nos cultures.

" Des défis aussi importants que la sécurité européenne, l'avenir des centrales nucléaires à l'est, l'environnement ou les droits de l'homme, des enfants ou des minorités nationales ne peuvent trouver des solutions satisfaisantes sans la participation de la Russie aux différentes institutions européennes qui abordent ces questions.

" Cette adhésion permettra également à la Russie de développer et d'améliorer ses relations avec certains Etats voisins, membres du Conseil de l'Europe. C'est donc un facteur de stabilité dans une région aux contentieux frontaliers multiples.

" Madame la Présidente, mes chers collègues, M. Jirinovsky vient de nous refaire le numéro qu'il a fait ce matin devant la presse, numéro, d'ailleurs, qu'il a complété par des déclarations sur notre Conseil, estimant que nous n'étions ici qu'une Assemblée de parlementaires en mal de discours et que les étoiles européennes craignaient la Russie.

" Ne tombons pas dans la provocation. Ne jouons pas le jeu de M. Jirinovsky. Nous ne construisons pas aujourd'hui l'Europe pour Eltsine ou pour Jirinovsky. Notre rôle est de construire, par nous-mêmes, pour nos enfants et nos petits-enfants, une Europe plus respectueuse de ses enfants et plus paisible que celle du XX e siècle.

" C'est la raison pour laquelle je voterai tout à l'heure en faveur de l'adhésion. "

M. Jean BRIANE, député (UDF) , s'exprime dans le débat en ces termes :

" Madame la Présidente, mes chers collègues, c'est parce que le Conseil de l'Europe a des exigences que l'admission de la Fédération de Russie en son sein a fait l'objet d'un ajournement. Aujourd'hui, nous sommes de nouveau appelés à nous prononcer. Il convient en effet de dire très clairement si oui ou non nous sommes favorables à son entrée.

" Les excellents rapports dont nous avons pris connaissance avec la plus grande attention nous éclairent sur la situation actuelle en Russie. Je remercie les rapporteurs de la qualité de leurs travaux. Ce grand pays, la Russie, remplit-il toutes les conditions pour son admission à part entière et sans nouveau délai au Conseil de l'Europe ? Objectivement, je dois répondre non.

" Il est bon de rappeler les exigences du Conseil de l'Europe vis-à-vis des Etats membres, concernant le strict respect des droits de l'homme et des libertés, et la pratique de la démocratie pluraliste.

" Tous les Etats membres du Conseil de l'Europe, je dis bien tous, ont les mêmes droits et les mêmes devoirs. Le Conseil de l'Europe doit être cohérent avec lui-même et avoir exactement les mêmes exigences envers chaque Etat membre. Le Conseil de l'Europe n'est pas une auberge espagnole où chacun peut entrer quand il l'entend et comme il l'entend. C'est une communauté de pays qui a ses règles et chacun doit s'y soumettre. Il lui appartient de les faire respecter avec souplesse et compréhension, mais aussi avec détermination.

" Quelle est la situation actuelle de la Russie ? De graves déficits ont été constatés dans les domaines juridiques et dans ceux des droits de l'homme, dans le domaine démocratique également. La Russie ne peut aujourd'hui être considérée comme un "Etat de droit". De ce seul point de vue, elle ne remplit donc pas les conditions d'admission.

" Toutefois, la démocratie ne naît pas de la génération spontanée. La Russie n'a pas de passé démocratique. Au régime des tsars a succédé le régime totalitaire. Les changements récents, intervenus depuis la disparition de l'Ex-Union Soviétique, n'ont pas, malgré les évolutions positives constatées, permis l'émergence d'une véritable démocratie telle que nous la concevons en Occident. De graves dysfonctionnements existent dans l'exercice du pouvoir et sont soulignés dans les rapports écrits. Le drame tchétchène ne fait, hélas, que confirmer cette réalité et disqualifie en quelque sorte ceux qui en sont responsables.

" Si nous ouvrons la porte de l'Europe à la Fédération de Russie, peut-on obtenir de celle-ci que soient effectivement tenus, dans des délais raisonnables à fixer, tous les engagements pris par elle ? Aurons-nous les moyens d'en contrôler l'exécution comme il convient ? La question est posée, mais je n'en ai pas la réponse.

" Mes chers collègues, nous avons un défi à relever. Le constat de la situation actuelle de la Fédération de Russie plaide en faveur du prolongement de l'ajournement. Nous sommes convaincus cependant de la nécessité d'arrimer la Russie à l'Europe. Pouvons-nous le faire sans transgresser les règles et les exigences du Conseil de l'Europe ?

" Il eût fallu pouvoir envisager une admission suspensive, ou, mieux encore, initier une formule spéciale de partenariat et de coopération entre le Conseil de l'Europe et la Fédération de Russie, une formule prenant en compte sa spécificité et ses particularités de nation de dimension intercontinentale avec des composantes multiples et complexes. Notre désir d'arrimer la Russie à l'Europe ne nous permet pas de signer un chèque en blanc en sa faveur, mais nous ne pouvons pas lui fermer la porte.

" Il nous reste donc à tendre la main à nos amis démocrates de la Fédération de Russie et à tous ceux qui, là-bas, luttent pour les droits de l'homme et l'avènement de la démocratie, pour les aider à se hisser au niveau des exigences du Conseil de l'Europe et faire ainsi gagner la Fédération de Russie et l'Europe.

" Ce défi, nous ne pourrons le relever qu'ensemble. C'est pourquoi je voterai oui à l'adhésion de la Russie pour des raisons politiques et géopolitiques, et pour la paix future en Europe, à laquelle aspirent tous les peuples. "

M. Jean SEITLINGER, député (UDF) , a formulé les observations suivantes :

" Madame la Présidente, mes chers collègues, nous arrivons à l'issue de ce débat de très grande qualité, au cours duquel de nombreux collègues ont pu intervenir.

" Il est vrai que la question posée nous interpelle et que la simple analyse des faits ne peut pas toujours aboutir à une certitude, d'où l'interrogation légitime de certains de nos collègues que nous comprenons parfaitement.

" Il n'en reste pas moins vrai -je remercie tous les orateurs qui se sont exprimés- qu'une large majorité s'est prononcée en faveur de l'adhésion et que, de ce fait, la question posée à notre institution est celle de savoir si nous sommes fidèles à la mission qui est la nôtre.

" Je le crois profondément pour une double raison, contenue dans l'article 1 er de notre Statut, qui précise que notre Organisation a pour buts, d'une part, de réaliser une union plus étroite entre ses membres, et, d'autre part, non seulement de sauvegarder, ce qui est statique, mais aussi de promouvoir les idéaux et les valeurs qui sont les nôtres. Cette mission spécifique du Conseil de l'Europe a été rappelée à Vienne en 1993 lors du Sommet des chefs d'Etat et de Gouvernement.

" Si nous voulons respecter cet objectif, si nous voulons promouvoir nos valeurs -en d'autres termes, exploiter les droits de l'homme-, ce n'est pas en fermant la porte que nous y parviendrons. Ne faisons donc pas de cadeaux aux nationalistes, mais, au contraire, aidons les forces qui font appel à nous. En effet, non seulement les autorités du pays, non seulement nos collègues, non seulement tous les partis politiques, à l'exception d'un seul, mais encore et surtout les organisations non gouvernementales, les refuzniks, la presse, les journalistes, les communautés religieuses, les nationalités, tous les interlocuteurs que les Commissions ont rencontrés sur le terrain nous ont demandé avec insistance d'accepter l'adhésion de la Russie au Conseil de l'Europe.

" Pour conclure je dirai que nous avons l'occasion de réunir les deux tronçons opposés d'une Europe trop longtemps divisée. Soyons, toujours nombreux, les artisans de ce chantier pour bâtir un continent de stabilité et de paix. "

A l'issue du débat, l'avis n° 193 contenu dans le rapport 7443 est adopté, modifié par des amendements .

Puis, la directive n° 516 figurant dans le rapport 7375 est adopté à son tour .

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