2. Périmètre et structures du secteur public

a) Les questions posées

L'essaimage de l'audiovisuel public a conduit à la coexistence de services généralistes et de services thématiques entre lesquels le partage d'attributions ne procède pas d'une logique indiscutable (ou simplement préexistante à la création d'organismes nouveaux). Ajoutons que les modalités de la collaboration entre ces organismes sont imprécises, sinon inexistantes. Faut-il resserrer le périmètre du secteur public en supprimant certains organismes et en redéployant les moyens ? Faut-il laisser les choses en l'état, la pluralité étant synonyme de créativité, et se contenter de renforcer la collaboration des organismes ? Faut-il opérer des regroupements partiels, ou un regroupement global, afin d'introduire une logique dans l'anarchie des structures et de permettre la rationalisation de l'emploi des moyens ? Le champ des questions est ouvert. Tout comme celui des propositions, que leur diversité ne permet pas d'énumérer dans le cadre du schéma de réflexion que nous exposons ici.

Autre question, la numérisation n'impose-t-elle pas, contrairement à la logique implicite des questions précédentes, la poursuite de l'essaimage par la création de chaînes thématiques numériques ? Ce point fondamental pour l'évolution du secteur public sera abordé de façon autonome ci-dessous.

Enfin, le thème du renforcement des synergies entre des organismes conservant leur autonomie incite à envisager l'autre aspect de cette problématique : faut-il maintenir les collaborations actuellement imposées par la loi de 1986. Comme Jean-Louis Missika le souligne dans son rapport (p. 33 ), " un ensemble de prescriptions sur les relations avec les autres organismes publics impliqués dans l'audiovisuel forme un second bloc, (de missions spécifiques), sorte de fossile de l'ORTF dont on comprend mal l'objet mais qui entretient une opacité nuisible ".

Au nombre de ces prescriptions, il faut citer le monopole de diffusion des sociétés nationales de programmes, confié à TDF par l'article 51 de la loi de 1986 et fortement contesté par les intéressés au vu des tarifs pratiqués par TDF. Il faut aussi mentionner les obligations de commander à la SFP, et la cession à l'INA, trois ans après la première diffusion, des droits d'exploitation des programmes des sociétés nationales autres que les fictions.

Ces prescriptions pèsent sur la gestion des organismes qui y sont soumis et ne paraissent pas insusceptibles d'être analysées comme des subventions croisées contraires aux règles européennes de la concurrence.

b) Quelques repères

On ne peut formuler de principes d'organisation du secteur audiovisuel public qu'à partir d'hypothèses clairement posées. On tentera ici d'en énumérer quelques-unes, de portée inégale.

(1) L'établissement de synergies

L'intensification des collaborations et l'identification des synergies possibles entre organismes conservant leur autonomie est une voie a priori intéressante dans la mesure où elle offre les avantages de pragmatisme, en paraissant éviter les traquenards d'une démarche juridique et institutionnelle qui apparaît parfois plus comme une fin en soi que comme un point de départ. Cependant l'expérience montre les limites du pragmatisme dans ce domaine. En matière d'échange de programmes, par exemple, le véritable pragmatisme est, du point de vue des organismes publics, de céder les droits détenus au plus offrant, après exploitation sur sa propre antenne, ou de poursuivre leur exploitation sur des services thématiques partenaires. La circulation des programmes risque ainsi de ne concerner que les produits peu intéressants. Quand à entrer plus systématiquement dans une politique de coproduction, les différences de lignes éditoriales entre les chaînes publiques constituent un obstacle important.

En fait, l'autonomie des organismes et la diversité de leurs missions implique une large autonomie dans l'établissement de leurs partenariats. Le fonctionnement a minima du GIE constitué en janvier 1995 par la Sept-Arte et la Cinquième le confirme. Les ambitions étaient vastes. Il s'agissait de mettre des moyens en commun en matière de diffusion, d'achats de programmes, de gestion des stocks de programmes, de communication, de coproduction, de commercialisation. Le gouvernement attendait de ce rapprochement 40 millions de francs d'économies pour la Sept-Arte. Les seuls acquis significatifs ont concerné la négociation commune menée avec TDF pour la fixation des frais de diffusion et l'extension de la couverture du cinquième réseau hertzien : la seule chose que les deux chaînes avaient apparemment en commun, à l'époque.

(2) La bipolarisation de la télévision publique

L'idée d'un regroupement des organismes publics de télévision en deux pôles a été exprimée lors de la première lecture du projet de loi modifiant la loi du 30 septembre 1986 (la discussion de ce texte a été interrompue à la suite du renouvellement de l'Assemblée nationale au printemps 1997).

Le projet de loi prévoyait en son article 16 la fusion de la Cinquième et de la Sept-Arte. Le ministre de la culture a justifié cette intention dans les termes suivants : " il s'agit d'éviter la dispersion et les gaspillages, de mieux utiliser l'argent de la redevance " 56( * ) . Le ministre a aussi évoqué la transformation de France télévision en société holding contrôlant France 2 et France 3, indiquant qu'il était " favorable à une telle création qui, à côté de la réunion de La Cinquième et de la Sept-Arte, conduira à une véritable réorganisation du secteur public audiovisuel " . 57( * )

Aussi utile que soit la rationalisation des moyens de l'audiovisuel public, cet objectif ne suffit pas à expliquer le choix de regrouper La Cinquième et Arte d'un côté, France 2 et France 3 de l'autre. Il faut qu'il y ait une conception du secteur public derrière cela.

Il paraît possible d'en identifier deux.

La première distinguerait un service de base, fourni par France Télévision, et un service de complément, fourni par la Cinquième et la Sept-Arte. Cette distinction, qui ne recoupe pas la distinction globale entre le service de base universel et gratuit et les services payants de complément mentionnés dans la première partie du rapport 58( * ) , est suggérée par le rapport Bloch-Lainé selon lequel La Cinquième et la Sept-Arte " ont des missions proches " (p. 48) et par le rapport Missika qui relève aussi la proximité éditoriale des deux chaînes avant de noter que " télévision publique spécialisée, Arte assume le principe de complémentarité " (p. 61).

La seconde tendance se différencie de la précédente en ce qu'elle associe un jugement de valeur au clivage entre télévision de base et télévision de complément. Le ministre de la communication a ainsi qualifié la Sept-Arte et La Cinquième de " références majeures du secteur public audiovisuel " lors de la conférence de presse de présentation du projet de budget de la communication pour 1998. Une autre possibilité d'associer un jugement de valeur à la distinction entre service de base et service de complément est de partir de la théorie de la fonction sociale de la télévision et, rappel fait de la valeur prééminente accordée alors à la télévision généraliste, de renverser la proposition précédente en faisant de France Télévision la véritable " référence majeure " du secteur public audiovisuel.

Partant d'un regroupement sans grande portée apparente des chaînes publiques en deux pôles, nous arrivons ainsi à des jugements de valeur qui pourraient, si l'on pousse les raisonnements au bout de leur logique, conduire à préconiser la suppression ou la privatisation des organismes appartenant au pôle déprécié.

(3) La création de sociétés holding

Il s'agit d'une modalité juridique de rationalisation des moyens et de création de synergies, qui permet en principe de surmonter les limites du pragmatisme expérimenté par La Cinquième et la Sept-Arte. La superposition d'un société holding aux organismes existants facilite en effet l'identification d'un terrain commun, la définition d'objectifs communs et leur exécution, dans la mesure où cela devient la tâche d'une structure dotée d'un pouvoir hiérarchique sur les structures préexistantes.

La formule de l'entreprise holding, chargée de diriger et de coordonner l'activité de sociétés filiales et sous filiales, peut parfaitement être utilisée dans le secteur public comme dans le secteur privé. Mais elle peut apparaître comme dangereuse en termes de complexité, de lourdeur et d'opacité, si le plus grand soin n'est pas apporté à la définition des compétences des différentes autorités en charge de l'ensemble de sociétés, dans le but de simplifier les circuits de décision et de clarifier les responsabilités.

Il est possible d'illustrer ces dangers à partir de l'expérience de la présidence commune de France Télévision.

La loi du 2 août 1989, en dotant d'un président commun Antenne 2 et FR3, rebaptisées depuis France 2 et France 3, a maintenu la séparation juridique des deux chaînes. France Télévision n'est ainsi qu'une dénomination commerciale ne correspondant à aucune entité juridique.

Le rapprochement souhaité par le législateur entre les deux chaînes a suscité l'apparition progressive d'une " présidence commune " groupant un état-major de plus en plus substantiel autour du président, et le recours à diverses formules pour assurer la coordination des chaînes.

Des directions communes ont ainsi été mises en place dans des domaines décisifs de la programmation, au risque de porter atteinte à la spécificité éditoriale de chaque chaîne. Des services communs ont été créés pour gérer des questions cruciales comme la politique des sports ou la politique des programmes de divertissement.

L'expérience a montré l'utilité et les dangers de ces efforts de coordination réalisés en dehors d'un cadre juridique cohérent.

La politique de programmation des deux chaînes a été heureusement harmonisée, ce qui a favorisé l'augmentation de l'audience. Mais certaines questions ont été traitées par la présidence commune sans que les organes dirigeants des chaînes, et spécialement les conseils d'administration, aient été associés à la décision, ni même parfois simplement informés.

Ainsi l'affermissement progressif de la présidence commune, favorisé par les très larges pouvoirs reconnus au président dans les statuts de chaque chaîne, n'a pas permis le fonctionnement normal des procédures de contrôle.

Il convient de faire en sorte que le recours à la formule du holding n'accentue pas ces distorsions. Qu'est-ce en effet qu'une société holding, sinon l'institutionnalisation de l'idée qui a suscité la création d'un président commun ?

La formule, appliquée à France Télévision n'a de sens que si elle permet de préciser les domaines dans lesquels le rôle de coordination du président doit donner lieu à la création de services communs, de mieux définir le partage des rôles avec les organes des chaînes et de soumettre le fonctionnement de la présidence commune au contrôle d'un conseil d'administration.

Appliquée à un regroupement plus large que France Télévision, cette formule juridique suppose un surcroît de rigueur dans la définition des structures et des compétences des organes.

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