3. La tutelle des chaînes publiques

a) Aspects du problème

Le problème de la tutelle des chaînes publiques présente plusieurs aspects. Un aspect politique, d'abord, c'est le problème des combinaisons permettant de concilier l'exercice par l'état de ses responsabilités d'actionnaire et la neutralité des organismes. Un aspect institutionnel ensuite, c'est le problème de la capacité de l'Etat actionnaire à se donner des objectifs et à en obtenir la réalisation à travers les différents contrôles qu'il exerce sur les chaînes, organismes bénéficiant de l'autonomie de gestion reconnue aux entreprises publiques.

S'agissant de ce second volet de la question, on rappellera simplement que l'affaire des contrats d'animateurs-producteurs de France Télévision a démontré en 1996 que la superposition des instances de contrôle ne garantissait pas la qualité des résultats : trop de contrôle tue le contrôle. Ces différentes instances et niveaux de contrôle sont les conseils d'administration, le contrôle économique et financier, le contrôle technique du service juridique et technique de l'information, le contrôle budgétaire opéré par le parlement, le contrôle opéré par le CSA, sur lequel on insistera ici afin de mettre en lumière les problèmes que posent les solutions données par la loi de 1986 au premier volet de la problématique, l'aspect politique.

b) Le CSA et l'audiovisuel public

Le CSA ne dispose pas, à l'égard de l'audiovisuel public, de pouvoirs de régulation très sensiblement différents de ceux qu'il exerce à l'égard du secteur privé.

Il est consulté sur les cahiers des charges, mais pas sur les projets de budgets des chaînes, ce qui n'empêche d'ailleurs pas de faire connaître son avis sous forme de communiqué : le communiqué n° 235 publié le 31 octobre 1996 mentionnait sans aménité le point de vue du CSA sur le projet de budget de 1997.

Il dispose de quelques pouvoirs particuliers en matière de contrôle des programmes du secteur public : il garantit l'indépendance et l'impartialité de ce dernier et à cette fin, assure le respect de l'expression pluraliste des courants de pensée et d'opinion dans les programmes et fixe les règles de la campagne officielle sur les chaînes publiques.

Le principal pouvoir dont le CSA dispose à l'égard du secteur public est lié à l'idée d'indépendance et d'impartialité. C'est en vue de cet objectif qu'a été confiée au CSA la nomination des présidents des sociétés nationales de programme : Radio Franc, France 2 et France 3, RFO, RFI (parmi les membres du conseil d'administration désignés par l'Etat dans ce dernier cas).

Ce pouvoir paraît bénéficier d'une certaine garantie juridictionnelle de pérennité : le Conseil constitutionnel a en effet considéré (dans sa décision sur la présidence commune) que la nomination des présidents des sociétés nationales de programmes par le CSA était une garantie de l'indépendance de ces sociétés. Il se pourrait ainsi que la modification éventuelle du mode de nomination des présidents soit considérée, selon la formulation consacrée, comme " privant de garanties légales une exigence de caractère constitutionnel ".

Le pouvoir de nomination est complété par un pouvoir de révocation qui appartient exclusivement au CSA.

Quelle est la portée de ces prérogatives, celles de l'actionnaire dans le droit commun de l'entreprise, privée comme publique ? Leur exercice ne permet manifestement pas au CSA de se substituer à l'Etat dans l'exercice des autres responsabilités, en particulier financières, de l'actionnaire. L'absence d'intervention du CSA dans la procédure budgétaire et le caractère incongru de son éventuelle implication le montrent bien. C'est donc à l'Etat, propriétaire du capital des organismes, apporteur de financements, responsable de la définition des missions de l'audiovisuel public, qu'appartiennent la responsabilité essentielle du contrôle des organismes et la sanction des fautes et insuffisances des dirigeants. L'impossibilité de révoquer les présidents le prive d'un instrument essentiel à l'exercice de cette dernière responsabilité, ou le fait recourir à des procédés biaisés que la morale publique ne permet pas d'approuver.

Le CSA, de son côté, n'a manifestement pas à utiliser son pouvoir de révocation pour sanctionner des erreurs stratégiques ou l'échec de la gestion d'un président. Le dénouement de l'affaire des contrats des animateurs- producteurs montre qu'il a conscience de cette limite. Son pouvoir de révocation ne peut en bonne logique être exercé qu'au regard des motifs qui ont justifié l'attribution du pouvoir de nomination : l'impératif d'indépendance et d'impartialité.

Notons aussi, à cet égard, le caractère un peu parodique des généreux discours programmatoires présentés à l'occasion des auditions précédant la nomination des présidents.

En l'état des textes, il n'existe donc pas de véritable possibilité de sanctionner l'échec de la gestion d'un président d'organisme public. Cette lacune est dommageable au bon fonctionnement du secteur public qui oscille entre la " présidence impériale " de dirigeants libres de toute sujétion et l'atmosphère un peu délétère qui précède de temps en temps la démission d'un président ayant perdu la confiance de son actionnaire.

La difficulté de trouver une solution permettant d'assurer sur des bases juridiques solides l'indépendance et l'impartialité du secteur public tout en rendant à l'Etat actionnaire la plénitude de ses responsabilités apparaît ainsi comme un sujet permanent de préoccupation au regard de la nécessaire cohérence de la tutelle des chaînes publiques.

Ceci conduit à étudier un aspect rarement abordé de la question, celle du mandat des présidents des chaînes publiques.

Il n'est pas utile de rappeler dans les détails les solides arguments qui plaident en faveur de l'allongement à cinq ans de la durée des mandats, actuellement fixée à trois ans. L'alignement sur la situation des autres présidents du secteur public, la comparaison entre la stabilité des dirigeants du secteur privé et le management chaotique du secteur public, le déroulement du cycle de préparation et d'exécution d'une politique des programmes sont des éléments incontournables de la réflexion.

Cependant il faut aussi tenir compte du fait que la brièveté du mandat de trois ans est à peu près le seul contrepoids juridique à l'autonomie dont les présidents jouissent à l'égard de leur actionnaire. Il n'est donc pas illogique de soumettre l'allongement à cinq ans à la condition préalable d'une restauration de l'efficacité des contrôles.

Incidemment, on ne peut manquer de soulever la question de la compatibilité entre l'allongement du mandat présidentiel et un éventuel regroupement des organismes en holding. Si un tel regroupement est mal préparé, son principal résultat risque d'être, comme on l'a vu, de brouiller la répartition des pouvoirs entre les multiples organes directeurs, de rendre plus opaque le processus décisionnel, de diluer les responsabilités et le contrôle. La disparition, avec l'allongement de la durée du mandat, de l'unique moyen de sanctionner effectivement une gestion inefficace, risque alors d'avoir des conséquences graves pour le secteur public.

Par ailleurs, l'assimilation des présidents de l'audiovisuel public à ceux des entreprises publiques ne paraît pas indiscutable si l'on choisit d'asseoir la légitimité de l'audiovisuel public sur la théorie de la fonction sociale. Ce qui justifie la durée du mandat des présidents d'entreprises publiques est avant tout la logique en grande partie économique du fonctionnement des entreprises et le contexte concurrentiel dans lequel elles ont à déterminer leurs stratégies. Ce ne peut être le cas d'entreprises audiovisuelles pour lesquelles la contrainte économique, aussi exigeante qu'elle puisse apparaître, doit être seconde par rapport à leur vocation sociale d'intégration. Dans cette optique, il est d'ailleurs injustifié de comparer la stabilité des dirigeants de TF1 à la rotation de ceux de France Télévision : la logique de fonctionnement est absolument différente.

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