2. L'avenir des chaînes généralistes

Dans une économie progressivement bouleversée par la montée en puissance de la télévision payante, quel sera l'avenir des grandes chaînes généralistes gratuites qui forment l'ossature actuelle du paysage audiovisuel ? Brutal reversement du cours des choses ou progressive adaptation, les perspectives qui se dessinent à cet égard seront déterminantes pour l'évolution harmonieuse ou heurtée du secteur de la communication audiovisuelle en général, et du secteur public en particulier.

a) Un déclin relatif
(1) Vers le déclenchement d'un processus cumulatif ?

Auditionné par le groupe de travail, sur le thème de l'évolution de la communication audiovisuelle, M. Jean-Charles Paracuellos, chargé de l'audit de France-Télévision, a présenté, sous la forme du schéma suivant, une synthèse des menaces que le développement de la télévision payante fait peser sur le service de base universel de télévision :

MENACES SUR LE SERVICE DE BASE " UNIVERSEL "

(Source : France télévision)


 
 

Abonnements aux services payants

en hausse

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Déplacement de l'audience vers les services payants

 
 
 
 

Dégradation de la qualité du service de base

 
 
 
 
 

?

 
 
 
 
 
 
 

Moindres ressources publicitaires

 
 

Insuffisance des ressources du service de base

 
 
 
 
 
 
 
 

Contexte défavorable à l'accroissement de la redevance

 
 
 

Risque de déstabilisation

du secteur

L'idée est que le déplacement de l'audience vers les services payants va amoindrir les ressources publicitaires de la télévision gratuite et, par voie de conséquence, provoquer la diminution des capacités de production de celle-ci, c'est-à-dire la dégradation de la qualité du service de base, l'inégalité d'accès du public aux programmes, l'américanisation des contenus. La contribution des grandes chaînes gratuites du service de base à la production française diminuant, les chaînes payantes, qui pratiquent essentiellement la rediffusion, devront se tourner vers le marché américain pour alimenter leur antenne). Cette dégradation amplifierait le déplacement de l'audience vers les services payants et déclencherait un processus cumulatif de déclin des chaînes gratuites.

Les premières étapes de ce processus sont en passe d'être atteintes. La part de marché des chaînes locales ou thématiques de la " nouvelle télévision " est passée de 3,1 % en mars 1996 à 4,2 % en mars 1998. Autre indicateur, la part de marché des chaînes thématiques pour les abonnés au câble et du satellite était de 28,9 % en janvier 1998 contre 20 % il y a deux ans, cette croissance étant due essentiellement à l'évolution de la consommation des abonnés du satellite. L'expérience américaine confirme qu'il s'agit d'une tendance de fond. La part de marché des trois grands réseaux ABC, CBS et NBC est tombée de 52 % en mars 1996 à 45,5 % en février 1998 4( * ) . Les grandes chaînes hertziennes françaises, qui conservent encore 96 % de l'audience, suivront-elles le même cours, déclenchant le cycle dépressif évoqué plus haut ? La perspective reste lointaine.

(2) Des risques limités

Revenons à l'exemple américain. La diminution de l'audience des chaînes généralistes n'a pas porté atteinte à leur valeur marchande comme l'ont montré le rachat de CBS par Westing House et celui d'ABC par Disney. Un avenir reste promis à ce type de télévision. En effet, la diminution de l'audience n'implique pas obligatoirement celle des ressources publicitaires. Les grands annonceurs recherchent de larges audiences qui deviendront un bien rare avec le morcellement des modes de consommation de la télévision. Le déclin des parts de marché de la télévision généraliste ne devrait donc pas empêcher l'augmentation de la valeur des écrans publicitaires diffusés en " prime time ". Les médias de masse, même diminués, resteront ainsi incontournables pour les grands annonceurs. La croissance, évoquée plus haut, des investissements publicitaires dans les chaînes thématiques ne dément pas cette analyse. Si les chaînes thématiques ont représenté 2 % des investissements publicitaires en télévision à la fin de 1997, ce taux est nettement inférieur à leur part d'audience, qui aurait atteint 4,2 % en mars 1998, comme on a vu ci-dessus. La télévision thématique, télévision de niche, n'est pas en fait adaptée à la publicité des produits de masse. Elle se présente comme un support de complément permettant d'offrir aux consommateurs des informations détaillées sur certains produits, comme des expériences récentes l'ont montré dans le secteur de l'automobile, ou encore comme un support destiné à des produits visant un public étroit, pour lequel les écrans des chaînes généralistes sont trop coûteux.

Ajoutons à ce tableau le fait que dans un pays de la taille de la France, l'impact sociologique des chaînes généralistes est supérieure à celui qu'il peut avoir aux Etats-Unis, ce qui devrait contribuer à freiner la diminution de l'audience de ces services par rapport à l'évolution américaine.

Les perspectives économiques des chaînes généralistes restent donc bonnes, ce qui ne les empêche pas de préparer l'avenir en investissant le paysage numérique.

b) Occuper le terrain numérique
(1) La diversification

Fortes de leur domination actuelle sur le marché de la télévision, les grandes chaînes hertziennes en clair préparent l'avenir en se positionnant sur le marché de la télévision numérique. Elles tentent d'acquérir les compétences nécessaires en montant des partenariats dont TPS est en France l'illustration la plus remarquable. Ces stratégies peuvent comporter des chausse-trappes. Dans son rapport spécial sur le projet de loi de finances pour 1997 5( * ) , M. Alain Griotteray remarquait, à propos de l'accord conclu entre TPS et Paramount pour l'acquisition des droits satellite de 1 100 films du studio, que la négociation avait été menée " de bout en bout par les équipes de TPS, renforcées par les spécialistes de TF1 ou de la CLT, sous l'égide du président de TPS, qui se trouve être aussi celui de TF1 " . Notant que, parallèlement à cet accord un second accord avait été conclu pour la cession des droits hertziens en clair des mêmes films à une société TCM regroupant TF1, M6 et la CLT, à l'exclusion de France-Télévision, il estimait que la chaîne publique avait été écartée du bénéfice de la négociation globale des différentes catégories de droits, et s'était ainsi fait un peu piéger.

Il existe des stratégies moins ambitieuses d'approche du numérique. Les chaînes hertziennes terrestres peuvent se positionner comme éditeurs de programmes destinés aux bouquets numériques. Cette stratégie est souvent préconisée pour les chaînes publiques, handicapées par leur rôle de service public, la difficulté de trouver de nouveaux financements et de nouer des alliances, leur manque de réactivité et de flexibilité " 6( * ) . L'expérience de France Télévision dans TPS ne semble toutefois pas confirmer cette analyse.

(2) Organiser la synergie

Les chaînes généralistes gratuites utilisent une grande variété de contenus susceptibles d'une exploitation multimédia. Il est possible d'organiser des synergies entre différents systèmes de diffusion. La reprise d'éléments des grilles de programmes généralistes permet l'élaboration de chaînes thématiques. Il est aussi possible d'organiser une synergie entre les programmes généralistes ou thématiques et Internet, ainsi que de commercialiser sur support " off line " (cassettes vidéo et CD-Rom) les contenus exploités par ailleurs en ligne. Dans un domaine proche, le groupe Disney offre un exemple éclairant d'une stratégie de synergie entre métiers et modes d'exploitation d'un produit. Le produit est en l'occurrence un concept, celui du Roi Lion par exemple, exploité sous forme de films de cinéma, de cassettes vidéo, de musique, de livres, de jouets et d'objets, de logiciels de jeux, de parcs à thèmes.

Transposé dans le monde de la télévision généraliste, ce modèle consisterait à lancer, dès la conception des contenus, un processus intégré de multi-éditions destiné à permettre l'exploitation multimédias. Il s'agirait de numériser ces contenus de toutes natures : photos, textes, documents audiovisuels, données, musique, rushes, et de les archiver sous cette forme en vue d'une réutilisation facile sous forme d'émissions de télévision, de programmes thématiques, de cassettes vidéo et de CD-Rom, de sites internet. Une organisation cohérente de la distribution par les différents systèmes de diffusion, jouant en particulier sur une chronologie efficace, permettrait une valorisation efficace des contenus déjà mobilisés par les chaînes généralistes. Les conditions de départ sont la numérisation, déjà citée, l'acquisition des droits correspondant aux différentes formes d'exploitation, l'acquisition des compétences, évoquées plus haut nécessaires à l'entrée dans le numérique, ce qui implique des investissements à la rentabilité graduelle et des alliances avec des partenaires soumis à la même logique de diversification ou disposant de compétences complémentaires. C'est ainsi que s'explique l'apparente bonne entente qui règne au sein du bouquet TPS, entre les opérateurs naturellement concurrents que sont TF1, France Télévision et M6.

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