II. LES RAISONS D'UNE GRAVE CARENCE

Le déroulement des Etats généraux de la santé, organisés à l'initiative du ministère de la santé au moment de la rédaction du présent rapport, montre que, selon le journal Le Quotidien du médecin, la douleur et les soins palliatifs constituent la " préoccupation numéro un des Français " . Parmi les thèmes retenus par les comités de pilotage des Etats généraux, le thème " douleur et soins palliatifs " est en effet celui qui fait l'objet du plus grand nombre de réunions organisées sur l'ensemble du territoire.

Pourtant, l'offre de soins palliatifs demeure insignifiante par rapport à cette préoccupation grandissante de nos concitoyens. Il convient d'en analyser les raisons, avant de formuler des propositions dont la mise en oeuvre permettra de supprimer cet inadmissible décalage.

Il apparaît que les obstacles au développement des soins palliatifs résultent, d'abord, d'une insuffisante formation. Ils sont aussi d'ordre réglementaire et budgétaire, ces deux aspects étant d'ailleurs intimement liés. Ils tiennent enfin au manque de volonté politique, dont l'expression, dans le passé, s'est trop souvent réduite à des effets d'annonce.

A. LA FORMATION ET LA RECHERCHE EN SOINS PALLIATIFS NE SONT PAS SUFFISAMMENT DÉVELOPPÉES

L'approche en termes de soins palliatifs est ancienne. Ainsi, le Professeur Jean Kermarec, au cours d'une séance récente de l'Académie de médecine, a résumé l'essentiel de ce que sont les soins palliatifs et leur long cheminement.

Il a indiqué à cet égard que la thérapeutique palliative visant à soulager le malade, remonte à l'Antiquité avec l'utilisation de l'opium, et que l'accompagnement a pris son essor grâce notamment à des mouvements et ordres religieux tels que les Filles de la Charité, les Camilliens ou les Diaconnesses. Il cite notamment la création, en 1842, de l'oeuvre des Dames du Calvaire par Jeanne Garnier.

Tout se passe cependant comme si les grands progrès accomplis par la médecine avaient " fait oublier " cette nécessaire association des thérapeutiques palliatives et de l'accompagnement et contribué à rendre la mort de plus en plus médicalisée, et parfois de moins en moins humaine.

Tout se passe comme si la mort était vécue comme un échec de la médecine et devait donc être refoulée, cachée.

1. La formation des futurs médecins est lacunaire

Au cours des auditions publiques organisées, au Sénat, par votre commission des Affaires sociales, le Professeur Bernard Glorion, président du Conseil national de l'Ordre des médecins, a rappelé son expérience d'interne des hôpitaux : " Nous passions seulement devant la chambre des mourants car nos patrons nous disaient : " il n'y a plus rien à faire " ".

Cette occultation de la mort n'est bien entendu pas du seul fait des médecins : elle nous concerne tous et constitue, si l'on peut dire, un fait de société.

Mais c'est un euphémisme de constater que, si les infirmières sont formées aux soins infirmiers palliatifs reconnus par leur décret de compétence, la formation des médecins ne prépare pas assez ces derniers à affronter la mort et à prendre en charge tous les besoins des malades dont le pronostic vital est en jeu.

Certes, comme l'a souligné au cours des auditions publiques organisées au Sénat le Professeur Roland, président de la Conférence des Doyens, " il n'y a pas 5 % des étudiants en médecine qui ont vu un mort à leur entrée en médecine ; c'est en anatomie le plus souvent que ce premier épisode de désacralisation, du fait de notre défaite, leur apparaît comme réel. (...) En outre, dans les soins palliatifs, nous ne pouvons pas multiplier les stagiaires autour du lit de la personne et nous nous y refusons totalement . " Enfin, le président de la Conférence des Doyens a souligné le fait qu'il sera très difficile d'améliorer l'enseignement des soins palliatifs s'il n'existe pas, à l'hôpital ou en ville, de structures de soins qui fonctionnent et auprès desquelles les étudiants peuvent apprendre.

A la suite des travaux de votre commission des Affaires sociales et, notamment de son rapport consacré à la prise en charge de la douleur, le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche a concrétisé, par une circulaire DGES/DGS n°15 du 9 mai 1995, les engagements pris auprès de votre rapporteur. Elle a consacré le traitement de la douleur et les soins palliatifs comme thèmes prioritaires devant faire l'objet de séminaires au cours des études médicales.

Puis, un arrêté du 4 mars 1997 est venu réformer le contenu de la deuxième partie du deuxième cycle des études médicales.

Cet arrêté complète l'introduction, en première année, d'un enseignement de sciences humaines qui a été réalisée par l'arrêté du 18 mars 1992 modifié par l'arrêté du 21 avril 1994.

Il prévoit que l'enseignement théorique, dans la deuxième partie du deuxième cycle des études médicales, comprend, parmi des matières ou groupe de matières obligatoires, les soins palliatifs et le traitement de la douleur.

L'arrêté indique que cet enseignement de matières obligatoires est complété, outre des enseignements à option, par des thèmes d'enseignement jugés prioritaires, parmi lesquels figurent nécessairement la médecine générale et la gérontologie. Les autres thèmes, dispose l'article 7 de l'arrêté, sont définis tous les quatre ans par arrêté des ministres chargés de l'enseignement supérieur et de la santé. Ils sont organisés au moins tous les deux ans, sous forme de séminaire, par un professeur des universités-praticien hospitalier. Le traitement de la douleur et les soins palliatifs ont ainsi été retenus comme thèmes prioritaires de ces séminaires.

Votre rapporteur s'est félicité du contenu de cet arrêté au moment de sa publication. Cette satisfaction passagère a cependant rapidement laissé place à une inquiétude sur le degré d'application de cet arrêté et de cette circulaire, en pratique, dans les Facultés de médecine.

Interrogé par votre rapporteur au cours des auditions publiques organisées au Sénat, le Professeur Roland a estimé qu'environ la moitié des Facultés de médecine avaient mis en place les séminaires prévus par les textes réglementaires... ce qui signifie que, trois ans et demi après la publication de la circulaire de 1995, la moitié des Facultés de médecine n'a toujours pas appliqué les textes en vigueur .

Conformément à la demande formulée par de votre rapporteur, M. Jean Rey, conseiller auprès du Ministre de l'Education nationale, de la Recherche et de la Technologie, a interrogé les Doyens sur le degré de mise en oeuvre des séminaires consacrés à la douleur et aux soins palliatifs.

A partir du 15 février 1999, devraient être connues les réponses des Facultés aux questions suivantes :

" 1/ Cet enseignement a-t-il été organisé en 1997-1998 et/ou en 1998-1999 ?

2/ Si vous ne l'avez pas organisé au cours de ces deux années, prévoyez-vous de le faire lors de l'année universitaire 1999-2000 ?

3/ Si vous l'avez organisé, précisez :


l'organisation générale de ce ou de ces séminaires avec notamment le nombre d'heures qui lui ont été consacrées ;

• si les étudiants ont pris une part active à ce ou ces séminaires, notamment en y faisant des exposés ;


quel enseignant en est responsable, en précisant sa discipline de rattachement ;

quels enseignants y ont participé, en précisant là encore leurs disciplines de rattachement, qu'il s'agisse de disciplines médicales ou non médicales.

L'amélioration de la formation médicale initiale des médecins doit, on le voit, être poursuivie assidûment. Et il convient de garder en mémoire que les progrès initiés, soit à l'initiative de Facultés de médecine, soit grâce à des textes réglementaires, n'auront d'effet dans les pratiques médicales que dix ou quinze ans plus tard, si l'on prend on considération la longue durée des études médicales et le temps mis par les Facultés à adapter leurs pratiques à ce qui ne semble parfois perçu que comme un " environnement réglementaire "..

Il est donc important que la formation continue des médecins en matière de soins palliatifs soit, elle aussi, améliorée et valorisée, et que soient développés, parallèlement, des diplômes universitaires consacrés aux soins palliatifs. Lors de son audition par votre commission, le docteur Benoît Burucoa a indiqué qu'il existe ainsi aujourd'hui 23 diplômes, dont certains sont regroupés en deux diplômes inter-universitaires.

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