4- MM. FRANÇOIS STASSE, CONSEILLER D'ETAT, ET FRÉDÉRIC-SALAT-BAROUX, MAÎTRE DES REQUÊTES

Préparés par une réflexion approfondie (rapports BRAIBANT, MATTEI, LENOIR...), les textes de 1994 sont d'une qualité digne des grandes lois du XIX e siècle. Les principes posés (intégrité du corps, non-patrimonialité, intégrité de la personne et de l'espèce humaine) ne nécessitent pas de modification et peuvent s'adapter aux évolutions scientifiques (problème du clonage). Cette construction législative est d'autant plus remarquable qu'elle va bien au-delà des dispositions prises par d'autres pays développés. Aussi a-t-elle pu inspirer plusieurs conventions internationales (UNESCO, Conseil de l'Europe).

Il est cependant indispensable, dans le cadre de cette mission d'évaluation, de prendre l'avis des professionnels pour relever les dispositions qui entravent l'exercice de leur activité et les lacunes éventuelles (prélèvements d'organes, diagnostic préimplantatoire).

Il existe d'autre part un point central qui mérite un réexamen approfondi : c'est celui de la recherche sur l'embryon .

Le compromis auquel est parvenu le Parlement au terme de la navette est porteur d'ambiguïté. La distinction entre l'expérimentation prohibée et les études autorisées (mais très strictement encadrées par le décret d'application) est obscure. Ces études ne peuvent porter atteinte à l'intégrité de l'embryon mais la loi permet par ailleurs sa destruction.

Il y a de toute évidence une " malfaçon législative ". La question aujourd'hui posée est de savoir s'il est préférable de se cantonner dans cette situation floue qui a pu présenter, en son temps, des avantages " politiques " ou d'adopter une position claire. Une indication en ce sens a été donnée par le Comité national d'éthique dans son avis de 1997 sur la constitution de cellules souches embryonnaires. C'est là un vrai problème de fond dès lors qu'on est sur la voie, dans les pays où l'expérimentation est autorisée, de découvertes fondamentales touchant la multiplication cellulaire qui trouveront des applications décisives, notamment en cancérologie. L'intérêt thérapeutique de la personne " totale " confronté à la préservation éthique de la personne " potentielle ", tel est le véritable dilemme devant lequel se trouve placé le législateur.

La loi n'a pas voulu régler explicitement le sort des embryons surnuméraires créés après son entrée en vigueur. Mais la logique de destruction à laquelle aboutit inévitablement cette situation n'est-elle pas moins défendable que la fixation de protocoles de recherche très rigoureux sur ces embryons " orphelins ", encadrés par un dispositif de contrôle efficace et assortis de sanctions pénales ? A cet égard, le système actuel, qui ne donne pas à la Commission nationale de médecine et de biologie de la reproduction et de diagnostic prénatal les moyens d'exercer efficacement sa mission, constitue le modèle de ce qu'il ne faut pas faire.

Tout dépend, en définitive, de la réponse que l'on apportera à une interrogation philosophique essentielle : l'embryon est-il, dès l'origine, assimilable à une personne humaine ? MM. STASSE et SALAT-BAROUX se réfèrent, sur ce point, à l'opinion négative du Professeur FRYDMAN (in " Dieu, la médecine et l'embryon ").

M. SALAT-BAROUX estime souhaitable que la réflexion de l'Office porte également sur certains points de la loi 94-653 et, notamment, sur la nouvelle rédaction donnée à l'article 16-11 du Code civil relatif à l'utilisation des empreintes génétiques pour l'établissement d'un lien de filiation. La Cour d'appel de Paris en a fourni une lecture surprenante s'agissant de l'identification d'une personne décédée, en donnant le pas au droit de connaître ses origines sur le principe de consentement. Il y a là une source de tension juridique que la loi devrait s'efforcer de réduire.

Il conviendrait d'autre part de revoir l'article 16-4 du Code civil issu de la même loi qui interdit les transformations des caractères génétiques de la personne humaine sans préjudice des recherches tendant à la prévention et au traitement des maladies génétiques. La possibilité de traitement devrait être également admise.

La position des deux intervenants se divise sur la question de l'insémination post mortem. Pour M. STASSE qui fut confronté à ce problème dans ses précédentes fonctions de directeur général de l'Assistance publique avant l'intervention de la loi, il n'appartient pas à la société d'apporter son concours à la naissance d'un enfant sans père qui ne peut résulter que des aléas du destin. M. SALAT-BAROUX estime, en revanche, qu'indépendamment de la réflexion plus générale qui peut se développer sur l'évolution de la notion de famille, il devrait être fait droit à la volonté d'une veuve qui souhaite accueillir un embryon conçu avant le décès de son époux.

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